POUR MOINS - La Tribune
POUR MOINS - La Tribune
POUR MOINS - La Tribune
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
ENQUÊTE<br />
Angry Birds, Candy Crush, ces jeux qui valent des milliards P. 12-13<br />
DU VENDREDI 11 AU JEUDI 17 OCTOBRE 2013 – N O 62 www.latribune.fr<br />
France métropolitaine - 3 €<br />
Raymond<br />
Soubie<br />
« On reparlera<br />
des retraites<br />
avant 2020. »<br />
PAGE 26<br />
L’artisan de la<br />
réforme des retraites<br />
de 2010 s’inquiète<br />
pour l’avenir de<br />
notre modèle social.<br />
ENTRETIEN AVEC AURÉLIE FILIPPETTI<br />
PLUS DE<br />
CULTURE<br />
<strong>POUR</strong> <strong>MOINS</strong><br />
« LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO <strong>POUR</strong> LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. »<br />
DE CRISE<br />
<strong>La</strong> France est une grande<br />
puissance culturelle.<br />
Comment peut-elle mieux<br />
tirer parti de cet atout<br />
pour en faire un levier<br />
de la croissance ?<br />
PAGES 4 à 7<br />
Pour la ministre<br />
de la Culture et de<br />
la Communication,<br />
« il n’y aura pas de<br />
redressement<br />
productif sans<br />
redressement<br />
créatif ».<br />
L 15174 - 62 - F: 3,00 €<br />
ENTREPRISES<br />
REBAPTISER<br />
SA SOCIÉTÉ, <strong>POUR</strong><br />
QUOI FAIRE ? P. 14-15<br />
INNOVATION<br />
LA MESURE<br />
DE SOI, NOUVELLE<br />
RÉVOLUTION 2.0 P. 16-17<br />
MÉTROPOLES<br />
ISTANBUL SAISIE<br />
PAR LA FOLIE<br />
DES GRANDEURS P. 20<br />
© ANTOINE ANTONIOL/AFP
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
COULISSES 3<br />
© BERTRAND LANGLOIS/AFP<br />
François Hollande racontait récemment une anecdote qui fait froid dans le dos.<br />
Au téléphone avec le président russe, le Premier ministre anglais, David Cameron, parlant<br />
du bombardement chimique du 21 août à Damas, évoque « la bataille de Stalingrad ».<br />
Du tac au tac, Vladimir Poutine aurait répondu : « Non, l’incendie du Reichstag ». Ambiance…<br />
Alain <strong>La</strong>mbert ressort<br />
la LOLF Ancien ministre<br />
du Budget (du gouvernement<br />
Raffarin), président du conseil<br />
général de l’Orne, Alain <strong>La</strong>mbert<br />
publie, le 16 octobre chez Armand<br />
Colin, Déficits publics,<br />
la démocratie en danger. François<br />
Hollande vient de lui confier, avec<br />
Martin Malvy, président du<br />
conseil régional de Midi-Pyrénées,<br />
lui aussi ancien ministre du<br />
Budget (du gouvernement<br />
Bérégovoy), une mission sur la<br />
maîtrise de la dépense publique.<br />
Alain <strong>La</strong>mbert, l’un des pères,<br />
avec Didier Migaud, premier<br />
président de la Cour des comptes,<br />
de la LOLF (loi organique relative<br />
aux lois de finances), devrait<br />
refaire parler de lui…<br />
JEUNES D’AVENIR<br />
À LA VILLETTE<br />
Raymond Soubie (lire<br />
p. 26), actionnaire<br />
majoritaire de l’agence<br />
d’information AEF,<br />
organise les 29 et<br />
30 novembre, à la grande<br />
halle de la Villette, le<br />
Salon Jeunes d’avenir,<br />
dédié aux jeunes<br />
de 16 à 25 ans, peu<br />
ou pas qualifiés. Placé<br />
sous le haut patronage<br />
du Premier ministre et<br />
soutenu par l’ANDRH,<br />
le Salon a pour objectif<br />
d’offrir un guichet unique<br />
des acteurs publics et<br />
privés et des dispositifs<br />
pour les jeunes : emplois<br />
d’avenir, contrats<br />
de génération,<br />
apprentissage…<br />
© KENZO TRIBOUILLARD/AFP<br />
Redressement patronal<br />
Charles Beigbeder.<br />
Verts sous pression<br />
Selon Charles<br />
Beigbeder<br />
(fondateur de<br />
Selftrade et de<br />
Poweo), candidat<br />
à l’investiture UMP<br />
aux municipales dans le 12 e arr.<br />
à Paris, « les Verts, c’est<br />
comme une pastèque : vert à<br />
l’extérieur, rouge à l’intérieur ».<br />
Une chose est sûre, l’attitude<br />
récente de Cécile Duflot a mis<br />
hors de lui François Hollande,<br />
qui a vu sa séquence Florange<br />
effacée par la polémique avec<br />
Antoine Frérot, PDG de<br />
Veolia Environnement.<br />
Le PDG de Veolia se bat pour<br />
faire comprendre à Bercy<br />
que le rôle de l’État n’est pas<br />
de définir les marchés.<br />
V<br />
ous n’imaginez pas le combat<br />
qu’il a fallu mener<br />
contre la Direction de l’Industrie<br />
pour leur faire comprendre<br />
que les 34 filières voulues par<br />
Arnaud Montebourg devaient être<br />
confiées à des chefs d’entreprise ou<br />
à des hommes des pôles de compétitivité<br />
», a soupiré Antoine Frérot,<br />
le PDG de Veolia Environnement,<br />
devant Christian <strong>La</strong>joux, le<br />
PDG de Sanofi France, et Jean-<br />
Luc Beylat, le président du pôle<br />
de compétitivité Systematic.<br />
Le patron de Veolia se bat depuis<br />
des mois pour faire comprendre à<br />
Bercy que ce n’est pas à l’État de<br />
définir les marchés et la manière de<br />
les attaquer, mais que son rôle est<br />
l’accompagnement. Pour l’instant,<br />
le Redressement productif semble l’avoir<br />
entendu, au vu de la liste Montebourg, qui a<br />
nommé Thierry Breton (Atos), Carlos Ghosn<br />
(Renault-Nissan), Paul Hermelin (Capgemini),<br />
Antoine Frérot et quelques autres dirigeants<br />
comme héraults pour coordonner son<br />
plan. Une façon de se réconcilier avec les<br />
patrons… et de préparer l’avenir. <br />
Manuel Valls sur les Roms.<br />
D’après certains responsables<br />
éminents du PS, les Verts<br />
jouent très gros aux élections<br />
municipales. S’ils confirment<br />
leur mauvais score de la<br />
présidentielle, le président<br />
pourrait s’en passer dans le<br />
prochain gouvernement. Dans<br />
les dîners en ville, Alain Minc<br />
lui donne en tout cas ce<br />
conseil : « Monsieur Hollande,<br />
on ne peut pas être fort face<br />
à Assad et faible face à Duflot.<br />
Virez-les ! »<br />
© ERIC PIERMONT/AFP<br />
Vladimir Poutine.<br />
TREMPLIN Pour la<br />
6 e édition des Jeco, les<br />
Journées de l’économie,<br />
du 14 au 16 novembre, à<br />
Lyon, Pascal Le Merrer<br />
recevra Mario Monti<br />
pour ouvrir le cycle<br />
de conférences sur<br />
le thème « Reconstruire<br />
la confiance ». On attend<br />
Pierre Gattaz, Benoît<br />
Hamon, Chantal Jouanno,<br />
Dominique Bertinotti,<br />
autour du sénateur maire<br />
de Lyon, Gérard Collomb,<br />
qui cherche ainsi<br />
à s’affirmer comme<br />
possible futur ministre<br />
de l’Économie.<br />
Un exil fiscal de Plus<br />
Olivier Duha, ancien président<br />
de l’association patronale<br />
CroissancePlus et coprésident<br />
fondateur de Webhelp, l’un<br />
des leaders français des centres<br />
d’appels, part pour la Belgique.<br />
Non pas pour y diriger le centre<br />
du groupe à Bruxelles, mais pour<br />
des raisons fiscales. Il fait partie<br />
de la dernière vague d’exilés qui,<br />
au dire d’un bon connaisseur<br />
des jeunes dirigeants fortunés,<br />
ne cesse de s’amplifier.<br />
Les syndicats en veulent<br />
à L’Express Les syndicats sont<br />
furieux contre Christophe<br />
Barbier, le patron de L’Express,<br />
après la publication, le<br />
25 septembre, du dossier Pourquoi<br />
les syndicats sont nuls. Des<br />
représentants de la CFDT parlent<br />
de « dangereuse dérive populiste ».<br />
Autre reproche fait au magazine :<br />
avoir publié les extraits d’un livre<br />
dénonçant la gestion des comités<br />
d’entreprise. « Ce livre racoleur ne<br />
fait que reprendre les 4 ou 5 cas de<br />
dérives constatées et connues. »<br />
Une question revient : « Qui a<br />
intérêt à cogner ainsi sur les corps<br />
intermédiaires ? »<br />
© ANTON DENISOV/AFP<br />
SOMMAIRE<br />
COULISSES<br />
3 > Redressement patronal.<br />
L’ÉVÉNEMENT<br />
4 <strong>La</strong> culture, levier de sortie de crise.<br />
6 L’autre vertu du mécénat : donner des couleurs<br />
aux entreprises.<br />
> Capitale européenne de la culture, à qui le tour ?<br />
7 Entretien avec Aurélie Filippetti, ministre de la<br />
Culture et de la Communication : « L’investissement<br />
créatif, c’est rentable et ça rapporte ! »<br />
LE BUZZ<br />
8 L’ŒIL DE PHILIPPE MABILLE<br />
Des Assises de la Liberté.<br />
Web TV de latribune.fr<br />
Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor :<br />
« Arrêtons les subventions aux entreprises,<br />
baissons les impôts. »<br />
9 Les Allemands aussi se mettent<br />
à la voiture électrique.<br />
10 Comment Air France<br />
en est arrivé là ?<br />
12 Candy Crush,<br />
Angry Birds : ces jeux<br />
qui valent des milliards.<br />
L’ENQUÊTE<br />
14 Un nouveau nom, mais pour quoi faire ?<br />
ENTREPRISES & INNOVATION<br />
16 <strong>La</strong> mesure de soi sera-t-elle la prochaine<br />
révolution 2.0 ?<br />
TERRITOIRES / FRANCE<br />
18 Bordeaux, capitale mondiale des hydroliennes<br />
fluviales en 2014.<br />
TERRITOIRES / INTERNATIONAL<br />
20 Istanbul, la mégapole eurasienne saisie par la folie<br />
des grandeurs.<br />
LES IDÉES / LES CHRONIQUES<br />
22 Les futurs choix pour l’Europe d’Angela Merkel.<br />
Par Jean Pisani-Ferry, commissaire général<br />
à la stratégie et à la prospective.<br />
23 Nous citoyens : « Unissons nos forces pour débrider<br />
le potentiel de la France. » Par Denis Payre,<br />
fondateur de CroissancePlus.<br />
LES LIVRES / LES CHRONIQUES<br />
24 Nassim Taleb : « Je m’adapte, donc je suis. »<br />
25 À New York aussi, un parc<br />
sur une ligne de chemin de fer.<br />
> ON EN PARLE À BRUXELLES,<br />
LE CARNET DE FLORENCE AUTRET<br />
Gouvernance de la zone euro, le dilemme de Mosco.<br />
L’INTERVIEW<br />
26 Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas<br />
Sarkozy, président des sociétés de conseil Alixio et<br />
Taddeo : « On reparlera des retraites avant 2020. »
4<br />
L’ÉVÉNEMENT<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
117 milliards<br />
d’euros de chiffre<br />
d’affaires, c’est ce qu’a<br />
rapporté le tourisme<br />
culturel en France en<br />
2009, soit 6 % du PNB.<br />
Source : Icomos.<br />
© UNESCO / MICHEL RAVASSARD<br />
«Une nouvelle économie<br />
de la culture et surtout une<br />
nouvelle vision du rôle de celle-ci<br />
dans nos sociétés sont en train<br />
d’émerger. »<br />
IRINA BOKOVA, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’UNESCO<br />
Emplois culturels D’après<br />
une étude Ineum Consulting/Kurt Salmon pour<br />
le Forum d’Avignon 2010, à l’échelle européenne<br />
l’emploi culturel représente 3,1 % de la population<br />
active pour 2,6 % du PIB, et un CA de 654 Mds €.<br />
Aux États-Unis, 1 dollar public investi dans<br />
une activité artistique a un effet multiplicateur<br />
de cinq sur l’ensemble de l’activité économique.<br />
LA CULTURE, LEVIER D<br />
LES FAITS <strong>La</strong> culture a la cote<br />
en période de crise et sert<br />
de levier de croissance pour<br />
renforcer l’attractivité d’un<br />
territoire. Après Bilbao et Lille,<br />
Lens, Marseille ou Metz jouent<br />
à fond cette carte. Tout comme<br />
les pays émergents.<br />
LES ENJEUX Tendance plus<br />
récente, l’art au sens large est<br />
aussi vu comme un facteur de<br />
dynamisme par les entreprises<br />
qui investissent dans la culture<br />
et les industries culturelles.<br />
VALÉRIE ABRIAL<br />
<strong>La</strong> culture, nouvel eldorado<br />
pour la France, qui<br />
est clairement une<br />
g r a n d e p u i s sa n c e<br />
potentielle dans ce<br />
domaine (voir graphique cicontre)<br />
? <strong>La</strong> question suscite un<br />
intérêt grandissant depuis que le<br />
secteur culturel est reconnu comme<br />
un facteur de croissance réel. Sa<br />
valeur ajoutée en termes de création<br />
d’emplois, d’attractivité et de<br />
cohésion sociale contribue pleinement<br />
à la relance économique.<br />
<strong>La</strong>ure Kaltenbach et Olivier Le<br />
Guay, respectivement directrice et<br />
responsable éditorial du Forum<br />
d’Avignon, en sont convaincus : « <strong>La</strong><br />
nouvelle économie créative possède<br />
un potentiel considérable et peut être<br />
envisagée comme un instrument de<br />
sortie de crise. »<br />
Illusoire ? Pas vraiment. Déjà, au<br />
début du XX e siècle, pendant la<br />
grande crise des années 1930, le<br />
président américain F. D. Roosevelt<br />
avait inclus dans son New Deal un<br />
audacieux programme de redressement<br />
économique par la culture, et<br />
plus spécifiquement par l’art. Plus<br />
proche de nous, les années 1980 de<br />
l’ère Mitterrand ont marqué la<br />
France d’un soutien sans faille aux<br />
acteurs culturels, sous la houlette<br />
de Jack <strong>La</strong>ng. De nouvelles structures<br />
et institutions ont germé et un<br />
florilège incroyable de festivals a<br />
parsemé la France. Le scénario est<br />
vertueux : le dynamisme culturel<br />
rend le territoire plus attractif, attire<br />
les visiteurs et les habitants, relance<br />
la consommation, les emplois et in<br />
fine favorise le développement économique.<br />
« <strong>La</strong> culture est un formidable<br />
levier de croissance », poursuit<br />
<strong>La</strong>ure Kaltenbach. Exemple incontournable<br />
: Lille. En devenant capitale<br />
européenne de la culture en<br />
2004, elle a su démontrer la pertinence<br />
de ce choix : en investissant<br />
74 millions d’euros, dont 20 % en<br />
provenance du secteur privé, la ville<br />
a affiché un résultat de 2,5 millions<br />
d’euros de bénéfices après impôts.<br />
L’AVÈNEMENT<br />
DU « TOUT-CULTUREL »<br />
On comprend que beaucoup de<br />
collectivités aient voulu suivre son<br />
exemple, comme Metz, Lens et<br />
Marseille (lire page 6) et que tous<br />
les territoires s’en soient inspirés,<br />
tout comme les entreprises qui<br />
cherchent elles aussi à mesurer<br />
l’impact des investissements culturels<br />
sur leur économie propre.<br />
Signe extérieur du changement,<br />
l’art est aujourd’hui partout ! Il n’est<br />
plus le parent pauvre de l’économie,<br />
bien au contraire, il est devenu un<br />
atout de poids. Preuve en est les<br />
investissements phénoménaux de<br />
certains pays qui, à l’instar de l’Espagne<br />
avec Bilbao, veulent leur<br />
« Guggenheim » à tout prix. À la fin<br />
des années 1990, la ville basque,<br />
sinistrée par la fin de la sidérurgie,<br />
renaît de ses cendres grâce à l’implantation<br />
d’un nouveau musée<br />
d’art contemporain, antenne européenne<br />
de la Fondation Guggenheim<br />
de New York, signée par l’un<br />
des plus prestigieux architectes au<br />
monde, Franck Gehry. Le succès est<br />
spectaculaire. Dix ans après son<br />
ouverture, le Guggenheim de Bilbao<br />
affiche 1 million de visiteurs par<br />
an, a généré 4 500 emplois directs<br />
et indirects et participe à hauteur<br />
de 1,57 milliard d’euros à l’économie<br />
du pays.<br />
Dès lors, on ne s’étonnera pas que<br />
villes et pays du monde entier souhaitent<br />
suivre l’exemple. Les pays<br />
émergents sont les premiers à avoir<br />
adopté de nouvelles politiques de<br />
développement culturel : parmi eux,<br />
la Chine et son ambitieux projet de<br />
5 000 nouveaux musées pour 2014 !<br />
De son côté, le Brésil souhaite<br />
construire 300 centres artistiques ;<br />
il est suivi de près par le Mexique,<br />
qui a fait de la culture son fer de<br />
lance pour redresser l’économie du<br />
pays, tout comme l’Inde et l’Indonésie.<br />
Les pays arabes ne sont pas en<br />
reste, puisqu’ils préparent l’aprèspétrole<br />
en investissant des sommes<br />
gigantesques dans des infrastructures<br />
culturelles majeures.<br />
Le « Louvre des sables » à Abu<br />
Dhabi, dont l’ouverture est prévue<br />
en 2015, est l’exemple type de cette<br />
nouvelle économie. <strong>La</strong> directrice<br />
générale de l’Unesco, Irina Bokova,<br />
en est certaine : « Cette nouvelle<br />
approche de la culture s’intègre dans<br />
une nouvelle économie de la connaissance,<br />
où l’innovation et la créativité<br />
sont les moteurs de la croissance. <strong>La</strong><br />
culture occupe progressivement une<br />
place centrale dans les politiques<br />
nationales du développement. Il suffit<br />
de penser que ces jours-ci, le<br />
Bureau d’analyse économique des<br />
États-Unis, l’institution en charge<br />
des statistiques économiques, va
L’ÉVÉNEMENT 5<br />
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
500 millions d’euros<br />
Ce sont, selon le ministère de la Culture,<br />
les recettes directes générées par<br />
le patrimoine culturel en France,<br />
qui lui-même en générerait indirectement<br />
21 millions dans les secteurs du tourisme,<br />
du bâtiment et des métiers d’art.<br />
LE « PONT » D’AVIGNON Créé<br />
en 2008, le Forum d’Avignon est<br />
un laboratoire d’idées qui a pour<br />
objectif d’approfondir les liens<br />
entre les mondes de la culture<br />
et de l’économie, aux niveaux<br />
international, européen et local.<br />
<strong>La</strong> prochaine rencontre<br />
internationale, dédiée aux<br />
« Pouvoirs de la culture », se tiendra<br />
du 21 au 23 novembre.<br />
© THIBAUT VOISIN<br />
«Notre rôle est aussi de créer<br />
une relation étroite avec tous<br />
les acteurs de la création, car<br />
ils sont le poumon d’une nouvelle<br />
forme d’économie. »<br />
GUILLAUME HOUZÉ, DIRECTEUR DU MÉCÉNAT<br />
DU GROUPE GALERIES LAFAYETTE<br />
E SORTIE DE CRISE<br />
changer la façon dont le PNB américain<br />
est calculé en introduisant la<br />
créativité dans les comptes économiques<br />
nationaux. C’est la marque<br />
d’un changement. »<br />
LA FORCE DE L’ÉCONOMIE<br />
CRÉATIVE<br />
En presque vingt ans, le secteur<br />
culturel a pris une telle place dans<br />
les politiques de développement<br />
qu’il est devenu incontournable, dès<br />
lors que l’on parle de valeurs économiques,<br />
sociales et créatives. Et la<br />
créativité est de loin le sujet à la<br />
mode ces derniers temps. Déjà en<br />
1994, les sociologues anglais Scott<br />
<strong>La</strong>sh et John Urry présentaient le<br />
concept de « culturation » de l’économie<br />
et de l’industrie, mettant en<br />
avant la prise de conscience nécessaire<br />
des dirigeants d’entreprise<br />
envers l’impératif créatif à des fins<br />
de développement. En 2013, l’ère de<br />
l’hypertechnologie est dépassée ; les<br />
compétences technologiques et<br />
scientifiques ne suffisent plus à la<br />
réussite d’un produit ou d’un service.<br />
Les dimensions esthétiques et<br />
émotionnelles sont devenues indispensables.<br />
Et quand on sait que derrière les<br />
trois fondateurs de Pinterest se<br />
cache un architecte designer, le<br />
concept prend tout son sens. Les<br />
frontières entre les territoires économiques<br />
et culturels n’ont plus<br />
lieu d’exister. Le monde se décloisonne<br />
pour se réinventer ; il cherche<br />
des solutions à la crise. Art et économie<br />
font bon ménage et la vieille<br />
rengaine des années 1950 scandée<br />
par le designer Raymond Loewy –<br />
« Le beau fait vendre » – est plus que<br />
jamais d’actualité. Apple a été l’un<br />
des premiers groupes à utiliser la<br />
créativité esthétique pour séduire<br />
de nouveaux marchés, à tel point<br />
qu’au moment de la mort de son<br />
fondateur on saluait l’œuvre de<br />
Steve Jobs « l’artiste visionnaire ».<br />
LE DÉVELOPPEMENT<br />
« ARTY » DES ENTREPRISES<br />
C’est un fait aujourd’hui : les entrepreneurs<br />
deviennent artistes et les<br />
artistes deviennent entrepreneurs,<br />
à l’instar de l’anglais Damien Hirst,<br />
véritable business man quand il<br />
s’agit de vendre ses œuvres et de<br />
sauvegarder sa cote. Les sphères se<br />
mélangent, laissant place à de nouveaux<br />
fonctionnements qui entremêlent<br />
le commercial et le créatif,<br />
l’industrie, l’art et l’économie…<br />
Dans son dernier ouvrage (L’esthétisation<br />
du monde : vivre à l’âge<br />
du capitalisme artiste, coécrit avec<br />
Jean Serroy aux éditions Gallimard),<br />
Gilles Lipovetsy l’affirme<br />
clairement : « L’ère hypermoderne a<br />
développé cette dimension artiste au<br />
point d’en faire un élément majeur<br />
du développement des entreprises,<br />
un secteur de valeur économique, un<br />
gisement chaque jour plus important<br />
de croissance et d’emplois. » C’est ce<br />
qu’il appelle le « capitalisme<br />
artiste », désignant l’utilisation de<br />
l’esthétisme et de la créativité à des<br />
fins de rentabilité financière.<br />
Le groupe LVMH a été l’un des<br />
premiers à mettre en œuvre une<br />
© BRUNO KHOURY<br />
telle stratégie. Résultat ? Quand la<br />
direction de Louis Vuitton décide<br />
en décembre 2006 d’exposer l’artiste<br />
danois Olafur Eliasson dans<br />
ses vitrines, sans qu’aucun des<br />
produits de la marque y soit installé,<br />
le groupe réalise l’un de ses<br />
plus gros chiffres d’affaires pour la<br />
période de Noël.<br />
Au sein du groupe Galeries <strong>La</strong>fayette,<br />
le lien avec l’art fait partie de<br />
l’histoire de l’enseigne. Sous l’impulsion<br />
familiale, le grand magasin<br />
a toujours soutenu la création et ce<br />
n’est pas l’arrière-arrière-petit-fils<br />
du fondateur des Galeries <strong>La</strong>fayette,<br />
Guillaume Houzé, qui le<br />
contredira. Aujourd’hui directeur<br />
du mécénat du groupe (antenne<br />
créée en 2010), il rappelle à quel<br />
point « le lien aux arts plastiques<br />
fait partie du code génétique de la<br />
marque » ; lien confirmé en 2001<br />
( Pourquoi les entreprises investissent-elles de plus<br />
en plus dans le culturel ?<br />
PASCALE CAYLA – Le modèle a fait ses preuves.<br />
Les grands groupes et multinationales ont montré<br />
l’exemple. Ils ont su améliorer leur productivité<br />
et rentabilité en impulsant une nouvelle<br />
dynamique par la créativité et l’art. Mais la créativité<br />
ne passe pas uniquement par le produit ou<br />
l’image d’une entreprise ; elle est indispensable<br />
à la cohésion sociale d’un groupe. Dynamiser son<br />
entreprise, c’est aussi miser sur le capital<br />
humain. De plus en plus de DRH organisent des<br />
actions culturelles pour résoudre des problèmes<br />
de transversalité entre leurs services, redonner<br />
du souffle à l’innovation et porter une attention<br />
à l’environnement de leurs collaborateurs.<br />
( <strong>La</strong> stratégie culturelle d’entreprise contribuet-elle<br />
à se démarquer de la concurrence ?<br />
Sans aucun doute. À compétences égales, c’est<br />
la valeur ajoutée qui fait la différence. C’est flagrant<br />
dans le cadre d’un appel d’offres. De plus<br />
en plus de PME gagnent des marchés grâce à<br />
cette valeur ajoutée. Investir dans la culture,<br />
c’est donner du sens et un certain engagement<br />
sociétal à son entreprise. C’est révéler les valeurs<br />
avec l’ouverture de la Galerie des<br />
Galeries (un espace d’exposition de<br />
300 m 2 à vocation non marchande)<br />
au cœur du magasin du boulevard<br />
Haussmann, à Paris.<br />
Depuis, les actions de mécénat et<br />
de soutien à la création se sont multipliées<br />
jusque dans les vitrines des<br />
magasins, qui chaque mois de juillet<br />
présentent la fine fleur de la scène<br />
arty émergeante, en partenariat<br />
avec les grandes institutions<br />
comme le centre Pompidou, le<br />
Palais de Tokyo, le musée d’Art<br />
moderne de la ville de Paris, le<br />
musée des Arts décoratifs et tout<br />
récemment les Frac (Fonds régionaux<br />
d’art contemporain). En 2016,<br />
c’est la Fondation Galeries <strong>La</strong>fayette<br />
qui verra le jour. « Au-delà de<br />
notre engagement envers la création<br />
et sa démocratisation, je suis<br />
convaincu que l’investissement<br />
TROIS QUESTIONS À…<br />
culturel répond aux grands changements<br />
structurels du monde. Nous<br />
entrons dans l’ère de l’immatériel ; on<br />
vit un moment charnière où l’Internet<br />
a bousculé nos habitudes. Le<br />
rapport à la possession s’en trouve<br />
changé. L’acte d’achat se fera de plus<br />
en plus sur le Web ; nos magasins<br />
proposeront moins de produits pour<br />
davantage de services. Et pour<br />
répondre à cette dématérialisation<br />
des choses, quoi de plus naturel que<br />
de proposer des moments d’expériences<br />
et d’émotions. »<br />
L’art pour combler le vide ? Un<br />
changement sociétal, de toute évidence.<br />
Mais qu’elle génère de la<br />
croissance ou des émotions, en<br />
trente ans la culture a réussi le pari<br />
fou de se réconcilier avec l’économie<br />
et les pouvoirs politiques, laissant<br />
espérer la naissance d’une<br />
nouvelle économie culturelle. <br />
PASCALE CAYLA<br />
Cofondatrice en 1991 de l’agence l’Art en direct, Pascale Cayla<br />
accompagne les entreprises dans leurs opérations et projets culturels.<br />
« L’enjeu de l’investissement<br />
culturel, c’est la qualité »<br />
d’un groupe et de ses dirigeants ; c’est marquer<br />
son empreinte dans un secteur. Aujourd’hui la<br />
part de RSE [responsabilité sociétale de l’entreprise,<br />
ndlr] est passée de 10 à 30 % dans les<br />
cahiers des charges. L’engagement d’une entreprise<br />
pour le bien-être de ses collaborateurs,<br />
mais aussi pour celui des citoyens, est devenu<br />
fondamental ; et l’investissement culturel participe<br />
aujourd’hui au développement durable.<br />
( Quel est le challenge de l’investissement culturel ?<br />
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que<br />
la culture est un levier de performance pour<br />
l’entreprise et donc tout le monde veut en être.<br />
Mais attention, la culture n’est pas une potion<br />
magique qui va résoudre tous les problèmes. Il<br />
ne s’agit pas de faire une opération one shot<br />
par-çi par-là, juste pour dire : « Moi aussi j’investis<br />
dans l’art et la culture… » Si vous n’êtes<br />
pas mécène par essence, il faut plus que jamais<br />
élaborer un vrai projet, avoir une stratégie. Et<br />
la stratégie indispensable c’est de faire des<br />
choix en accord avec le modèle de son entreprise.<br />
<strong>La</strong> qualité et l’intelligence du propos sont<br />
nécessaires à toute rentabilité culturelle. <br />
PROPOS RECUEILLIS PAR V. A.
6<br />
L’ÉVÉNEMENT<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
L’AUTRE VERTU DU MÉCÉNAT : DONNER<br />
DES COULEURS AUX ENTREPRISES<br />
En 2012, le budget du mécénat d’entreprise pour la culture était de 494 millions d’euros, soit 26 % du budget global, contre 19 %<br />
en 2010. Signe que, malgré le climat morose, la culture peut redonner des couleurs dans les PME/TPE… et des réductions d’impôts.<br />
VALÉRIE ABRIAL<br />
Le grand acquis de la loi de<br />
2003 relative au mécénat,<br />
c’est d’avoir permis la<br />
conquête des PME et des TPE. »<br />
Robert Fohr, responsable de la<br />
mission mécénat au ministère de<br />
la Culture et de la Communication<br />
donne le ton : « En 2012, les PME<br />
représentent 93 % des mécènes, tous<br />
secteurs confondus. »<br />
C’est un virage sans précédent<br />
dans l’histoire philanthropique de<br />
la France, peu encline à la tradition<br />
de mécénat beaucoup plus courante<br />
aux États-Unis. Et s’il est vrai<br />
que les mécènes de la culture<br />
comptent plus de grandes entreprises<br />
(plus de 250 salariés) que la<br />
moyenne tous secteurs confondus,<br />
c’est que leur plus forte résistance<br />
à la crise leur permet de préserver<br />
le budget qu’ils y allouent.<br />
Mais c’est aussi une histoire de<br />
conviction. Car, si l’engagement<br />
citoyen sert à valoriser l’image de<br />
l’entreprise, la créativité et l’art<br />
s’avèrent être porteurs de bien-être<br />
pour le groupe, allant jusqu’à révéler<br />
l’investissement culturel comme<br />
un formidable bouclier anticrise.<br />
Angélique Aubert, ancienne responsable<br />
de mécénat d’un grand<br />
groupe bancaire, directrice du<br />
mécénat de la foncière Emerige<br />
(comptant 45 salariés) depuis<br />
juin 2013, se souvient que, « au<br />
moment du krach boursier d’octobre<br />
2008, la banque avait hésité<br />
à réduire le budget de ses actions<br />
culturelles. Mais devant leur succès,<br />
le programme a été maintenu.<br />
Nous avons été obligés de faire<br />
sortir des personnes qui venaient<br />
assister à une conférence sur<br />
Picasso pendant l’heure du déjeuner,<br />
car il y avait trop de monde.<br />
Nous n’avions jamais connu un tel<br />
succès alors que nous vivions une<br />
pleine période de crise. »<br />
L’IMPORTANT :<br />
TRANSMETTRE SA PASSION<br />
Porteur de retombées indirectes<br />
sur la productivité, le bien-être<br />
des collaborateurs d’une entreprise<br />
est une valeur reconnue<br />
dans sa rentabilité. Du coup, les<br />
dirigeants des PME et TPE n’hésitent<br />
plus à faire partager leurs<br />
passions à leurs salariés. Car c’est<br />
souvent à leur initiative que l’entreprise<br />
s’engage dans le culturel.<br />
Certains sont passionnés d’art<br />
contemporain, d’autres d’opéra ou<br />
de danse ; peu importe le domaine,<br />
transmettre sa passion devient un<br />
vrai moteur. Et les formes de<br />
mécénat ont largement évolué en<br />
dix ans. Le soutien systématique<br />
et finalement peu risqué aux<br />
grandes institutions, expositions<br />
et autres festivals à dimension<br />
internationale est de moins en<br />
moins suivi.<br />
Aujourd’hui, il s’agit de donner<br />
du sens à ses actions de mécénat.<br />
FOCUS<br />
<strong>La</strong> loi Aillagon fête<br />
ses dix ans<br />
<strong>La</strong> loi de 2003 relative au mécénat propose un<br />
certain nombre de mesures fiscales aux particuliers<br />
et aux entreprises. Elle a été mise en<br />
place par le ministre de la Culture de l’époque,<br />
Jean-Jacques Aillagon, et a survécu à la rigueur<br />
budgétaire. Parmi les dispositions destinées<br />
aux entreprises, l’une des plus connues est celle<br />
liée au régime général : une réduction d’impôt<br />
égale à 60 % du montant du don, dans la limite<br />
de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes. <br />
Est-ce pour autant la raison qui<br />
pousserait les petites et moyennes<br />
entreprises à s’engager sur le terrain<br />
culturel ? Pour Charlotte<br />
Dekoker, en charge du secteur<br />
culturel à l’Admical (carrefour du<br />
mécénat d’entreprise), « il y a un<br />
aspect de communication, c’est sûr,<br />
mais pas seulement, car le mécénat<br />
n’est pas de la publicité. En<br />
revanche, par le choix de son mécénat,<br />
une entreprise exprime ce<br />
qu’elle est réellement. Et affirmer<br />
ses valeurs, c’est de plus en plus<br />
important de nos jours. C’est également<br />
un moyen de développer un<br />
ancrage territorial fort et de développer<br />
un nouveau réseau. Mais on<br />
le voit bien aujourd’hui, ce qui<br />
prime avant tout c’est l’idée de<br />
transmettre la connaissance, et<br />
l’envie de montrer un engagement<br />
citoyen fort ».<br />
L’entreprise comme outil de<br />
démocratisation culturelle ? Il n’y<br />
a qu’un pas à franchir. <br />
Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture<br />
des gouvernements Raffarin I et II. [THOMAS SAMSON]<br />
CAPITALE EUROPÉENNE<br />
DE LA CULTURE, À QUI LE TOUR ?<br />
Plus qu’un challenge, décrocher le titre de capitale européenne de la culture est devenu le passage obligé de toute ville<br />
qui souhaite redorer son image et redresser son économie.<br />
Bien sûr, il y a Lille, la référence<br />
dans l’histoire des<br />
capitales européennes de<br />
la culture (CEC). Mais il y a aussi<br />
Gênes, Glasgow ou encore Essen<br />
qui ont vécu une véritable renaissance<br />
en misant sur le culturel.<br />
Certaines connaissent même<br />
une résurrection, comme Liverpool<br />
en 2008 et ses 9 millions<br />
d’euros de bénéfices, ses 5,2 millions<br />
de visiteurs et la hausse vertigineuse<br />
(65 %) de la fréquentation<br />
de ses musées.<br />
À ce régime-là, qui ne voudrait<br />
pas en être ? Même si certaines<br />
villes n’ont pas toujours su relever<br />
le défi, comme Thessalonique,<br />
Patras ou Istanbul, faute d’une<br />
bonne gestion financière. Mais<br />
depuis presque trente ans que les<br />
CEC existent, les villes candidates<br />
ont appris à tirer parti des expériences<br />
du passé. Et quand Marseille<br />
pose sa candidature pour<br />
© LISA RICCIOTTI<br />
Le 30 juin, le Mucem avait déjà accueilli 1 million des 3,5 millions<br />
de visiteurs de Marseille, capitale européenne de la culture 2013.<br />
l’année 2013, c’est tout un aréopage<br />
qui se déplace à la Commission<br />
européenne de Bruxelles.<br />
Jean-Claude Gaudin, le maire,<br />
est accompagné des représentants<br />
des conseils général et<br />
régional, mais aussi du président<br />
de la CCI, Jacques Pfister, et<br />
d’une délégation de chefs d’entreprise.<br />
En face et en lice : Bordeaux,<br />
représenté par le seul<br />
Alain Juppé. Il ne fera pas le<br />
poids. Quand une ville se mobilise<br />
à ce point, il y a fort à parier<br />
que l’objectif est prometteur. Et,<br />
de fait, le 30 juin dernier, la cité<br />
phocéenne dépassait largement<br />
ses prévisions : au lieu des 2 millions<br />
de visiteurs attendus à cette<br />
date, leur nombre réel s’élevait<br />
déjà à 3,5 millions, le Mucem<br />
(musée des Civilisations de l’Europe<br />
et de la Méditerranée) en<br />
réunissant à lui seul presque<br />
1 million. Corinne Brenet, présidente<br />
fondatrice de Mécènes du<br />
Sud et directrice générale d’une<br />
société de courtage, a été l’une<br />
des premières à défendre la candidature<br />
marseillaise : « Avec<br />
660 millions d’euros d’investissement<br />
public et privé, ce sont plus<br />
de 20 grands chantiers qui ont été<br />
réalisés. Le visage de la ville s’est<br />
complètement transformé. Et<br />
l’impact direct sur l’hôtellerie et<br />
les grandes enseignes y est frappant<br />
; tout comme l’activité des<br />
croisiéristes, qui s’est accélérée. »<br />
ATTENTION À NE PAS<br />
TOMBER DANS L’ANGÉLISME<br />
Et quand on l’interroge sur le<br />
cap à tenir, Corinne Brenet est<br />
sans détour : « Dans un tel projet,<br />
penser l’après-2013, c’était fondamental.<br />
Nous n’avions pas les<br />
moyens de faire un tel investissement<br />
pour une année seulement.<br />
Il est évident que toutes ces<br />
actions ont une stratégie à long<br />
terme. C’est le but : redresser notre<br />
image et notre économie. »<br />
C’est clair : sans gestion efficiente,<br />
pas de retour sur investissement.<br />
Et Françoise Benhamou,<br />
économiste spécialiste de la<br />
culture, de rappeler qu’« il ne faut<br />
pas oublier qu’investir dans la<br />
culture génère inévitablement des<br />
dépenses avec des budgets de fonctionnement<br />
souvent importants. Le<br />
danger serait d’avoir une vision<br />
angélique de la culture. Or la<br />
culture n’est pas un remède à elle<br />
seule, c’est un outil qui génère un<br />
apport économique plus indirect<br />
que direct. Mais c’est aussi et surtout<br />
un élément de bien-être, du<br />
vivre ensemble, de la qualité de vie<br />
et de la citoyenneté. » Une question<br />
d’équilibre, en somme. V. A.
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
L’ÉVÉNEMENT 7<br />
AURÉLIE FILIPPETTI<br />
MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION<br />
« L’INVESTISSEMENT CRÉATIF,<br />
C’EST RENTABLE ET ÇA RAPPORTE ! »<br />
Pour Aurélie Filippetti, la France a des atouts majeurs à faire valoir dans le secteur des industries<br />
culturelles, qui, souligne-t-elle, jouent un rôle majeur dans la croissance économique. <strong>La</strong> ministre<br />
veut créer un modèle dans lequel les sphères publique et privée travailleront main dans la main.<br />
Elle envisage même de promouvoir l’entreprise comme un nouvel espace d’exposition.<br />
PROPOS RECUEILLIS PAR<br />
VALÉRIE ABRIAL ET DELPHINE CUNY<br />
( LA TRIBUNE – En période de<br />
crise, avec un budget en baisse, comment<br />
faire de la culture un levier de<br />
croissance ?<br />
AURÉLIE FILIPPETTI – Au moment<br />
où l’on doit se positionner à l’échelle<br />
de la mondialisation, la culture<br />
constitue – pour parler un langage<br />
économique – un avantage comparatif<br />
énorme de la France, un<br />
moyen de se différencier. Elle a permis<br />
à la France d’acquérir une excellence,<br />
des savoir-faire, un rayonnement<br />
international et une<br />
attractivité, au sens touristique et<br />
en termes d’image. <strong>La</strong> culture génère<br />
des externalités positives infiniment<br />
supérieures à ce qu’elle<br />
coûte en investissement. Par<br />
exemple, un euro investi dans le<br />
Festival d’Aix-en-Provence en rapporte<br />
10 et, à Bussang, dans les<br />
Vosges, il en rapporte 4. Marseille,<br />
capitale européenne de la culture<br />
2013, a d’ores et déjà recueilli six<br />
fois plus de retombées économiques<br />
que les sommes investies au<br />
total par le public et le privé.<br />
Pour les territoires, investir dans la<br />
culture permet de relancer une attractivité,<br />
une économie, une<br />
image, qui génèrent des investissements<br />
dans d’autres secteurs de<br />
l’économie, et cela crée de l’emploi.<br />
<strong>La</strong> culture est sous-estimée dans<br />
son apport à l’économie globale.<br />
C’est pourquoi je mets l’accent sur<br />
ce formidable levier de développement.<br />
En période de crise, où l’on<br />
doit justifier les investissements<br />
publics, je souhaite montrer que la<br />
culture ne se résume pas à des subventions<br />
qui tombent comme une<br />
manne pour des activités de divertissement,<br />
mais qu’il s’agit d’un investissement<br />
qui rapporte.<br />
( Peut-on mesurer cet impact<br />
économique ?<br />
Je dis toujours qu’il n’y aura pas de<br />
redressement productif sans<br />
redressement créatif. Nous voulons<br />
montrer que l’investissement créatif<br />
est un investissement rentable.<br />
Je pourrais vous citer des dizaines<br />
d’exemples. Depuis la création du<br />
Grand Louvre, les touristes restent<br />
en moyenne une nuitée de plus, ce<br />
qui représente de 15 000 à 20 000<br />
emplois induits. Lille, en faisant le<br />
choix de la culture, connaît un<br />
retour sur investissement extrêmement<br />
important. Je souhaite modéliser<br />
cet impact de la culture. Avec<br />
Pierre Moscovici, le ministre de<br />
l’Économie et des Finances, nous<br />
avons confié une mission à l’Inspection<br />
générale des affaires culturelles<br />
et à l’Inspection générale des<br />
finances afin d’évaluer le poids de<br />
la culture dans l’économie, au<br />
sens large : nous aurons les<br />
conclusions en novembre. Je veux<br />
pouvoir valoriser toutes ces externalités<br />
positives de la culture,<br />
parfois perçue à Bercy comme un<br />
luxe superflu…<br />
Lors de la campagne des élections<br />
européennes, l’an prochain,<br />
il faudra mettre<br />
en avant l’importance<br />
de la culture<br />
dans la construction<br />
de l’identité<br />
e u r o p é e n n e<br />
m a i s a u s s i<br />
dans le positionnement<br />
de l’Europe<br />
Aurélie Filippetti travaille,<br />
en association avec Pierre<br />
Moscovici, à modéliser l’impact<br />
des investissements culturels<br />
sur l’économie française, afin<br />
de les valoriser. [MCC/D. PLOWY]<br />
dans l’économie globale. <strong>La</strong> première<br />
industrie exportatrice des<br />
États-Unis est le divertissement,<br />
ce qui leur donne une influence<br />
considérable, puisque les gens<br />
dans le monde entier ont ensuite<br />
envie de vivre et de consommer<br />
américain. Ce sont des enjeux<br />
stratégiques, économiques et de<br />
souveraineté majeurs.<br />
( Est-ce un changement de philosophie<br />
dans le soutien à la culture que de<br />
baisser les subventions, notamment à<br />
la consommation, et de privilégier<br />
désormais l’investissement ?<br />
C’est vrai, ce type de mesure ne<br />
marche pas. Certes, lorsque nous<br />
abaissons la TVA sur les tickets de<br />
cinéma à 5 % au 1 er janvier 2014,<br />
l’objectif est de relancer la consommation,<br />
mais pas en donnant<br />
une aide publique. C’est<br />
cela, finalement, le succès<br />
de l’exception<br />
culturelle française :<br />
des modes de financement<br />
astucieux<br />
de la culture, plutôt<br />
que des subventions<br />
pures, avec<br />
des mécanismes<br />
f i s c a u x , d e s<br />
comptes de soutien,<br />
s’appuyant<br />
sur l’idée qu’il faut<br />
faire financer en<br />
amont la production<br />
par ceux qui<br />
diffusent les œuvres.<br />
Demain, il faudra<br />
une contribution<br />
sur les terminaux<br />
connectés,<br />
car ce sont<br />
des produits,<br />
qui plus est<br />
d’importation,<br />
servant à consommer des<br />
contenus culturels : cela fait partie<br />
de la modernisation des outils de<br />
financement. Une taxe à un taux<br />
très faible avec une assiette large<br />
serait relativement indolore pour le<br />
consommateur. Nous en discuterons<br />
en 2014.<br />
Nous devons aussi redéfinir nos<br />
priorités. Nous étudions ainsi la<br />
réforme du crédit d’impôt jeux<br />
vidéo, car c’est un secteur d’excellence<br />
française, à très haute valeur<br />
ajoutée, qui doit être une priorité :<br />
de très petites<br />
entreprises ont du<br />
mal à passer au<br />
stade d’ETI. Il faut<br />
aussi éviter la fuite<br />
des talents, alors<br />
que le Québec et le<br />
Canada ont mis en<br />
place un système<br />
très attractif pour<br />
les jeunes développeurs<br />
et ingénieurs. J’aimerais<br />
également que l’on améliore le crédit<br />
d’impôt cinéma international,<br />
pour attirer les tournages, en augmentant<br />
le plafond de 10 à 15 millions<br />
d’euros, ce qui ne coûterait<br />
rien.<br />
J’ai aussi dégagé 20 millions d’euros<br />
pour l’Ifcic, l’Institut pour le financement<br />
du cinéma et des industries<br />
culturelles, qui permettra de mettre<br />
en place un dispositif d’aide par la<br />
BPI, avec un effet multiplicateur de<br />
cinq, soit 100 millions d’euros de<br />
garanties et d’avances, afin d’aider<br />
les petites entreprises des industries<br />
créatives, qui souffrent souvent<br />
de problèmes structurels de<br />
trésorerie.<br />
( Vous avez sauvé la loi relative au<br />
mécénat, dite « loi Aillagon », dont<br />
les dispositifs fiscaux encouragent<br />
l’investissement culturel. Envisagezvous<br />
de nouvelles mesures en faveur<br />
des entreprises ?<br />
Il existe un réel écosystème culturel<br />
qui met en jeu des financements,<br />
parmi lesquels la participation<br />
des entreprises du secteur<br />
privé. Le champ culturel est un<br />
terreau d’innovation économique<br />
et financière. <strong>La</strong> loi sur le mécénat,<br />
dont on fête les dix ans cette<br />
année, est la loi la plus avantageuse<br />
au monde pour stimuler le<br />
«Demain, il<br />
faudra une<br />
contribution sur<br />
les terminaux<br />
connectés. »<br />
mécénat. Il faut désormais aller<br />
encore plus loin. Nous travaillons<br />
à l’amélioration du fonctionnement<br />
pour les PME, car on arrive<br />
vite à un plafond. Une charte est<br />
en cours de rédaction par la mission<br />
mécénat du ministère de la<br />
Culture. Elle sera une sorte de<br />
vade-mecum et va notamment<br />
clarifier les règles s’appliquant au<br />
mécénat de compétences [par<br />
lequel une entreprise délègue gracieusement<br />
du personnel volontaire<br />
au profit de fondations ou<br />
d’associations, sur le temps de<br />
travail, ndlr].<br />
Il faut développer aussi le mécénat<br />
des particuliers, encore<br />
méconnu, qui peut permettre de<br />
m o b i l i s e r d e s<br />
m i l l i e r s d e<br />
donateurs sur<br />
une œuvre très<br />
connue, comme<br />
les Trois Grâces<br />
de Lucas Cranach<br />
au Louvre,<br />
ou le Chêne de<br />
Flagey de Gustave<br />
Courbet au<br />
musée Courbet d’Ornans. Je veux<br />
également encourager et valoriser<br />
le nouveau mécénat « participatif<br />
» par les réseaux (le crowdfunding).<br />
C’est un investissement<br />
capital dans le monde des entreprises<br />
culturelles.<br />
( Comment encourager les PME à<br />
investir dans la culture en période de<br />
crise ?<br />
Il y a d’abord de nombreux dispositifs<br />
fiscaux. Et je souhaite faire<br />
de l’entreprise un lieu prioritaire<br />
d’expositions et de circulation des<br />
œuvres sur des lieux de passage,<br />
partout en France. Cela fait partie<br />
de cette citoyenneté culturelle.<br />
Nous avons déjà signé une<br />
convention avec la Fédération des<br />
entreprises des industries<br />
gazières et électriques, qui compte<br />
650 000 salariés. Je veux poursuivre<br />
cette démarche, car c’est<br />
aussi le rôle du ministère de valoriser<br />
les collections nationales et<br />
d’aller à la rencontre des gens là<br />
où ils se trouvent. Aujourd’hui, il<br />
y a des mesures ciblées pour les<br />
jeunes et pour les retraités, mais<br />
la période de vie active doit aussi<br />
être prise en compte. Et l’éducation<br />
artistique, qui se fait tout au<br />
long d’une vie, peut aussi se faire<br />
dans une démarche collective, sur<br />
un lieu de travail.
8<br />
LE BUZZ<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
>> IL A OSÉ LE DIRE « Nous sommes sincèrement animés du désir de faire une belle réforme<br />
de la fiscalité. » BERNARD CAZENEUVE, MINISTRE DU BUDGET, LUNDI 7 OCTOBRE, À LA SUITE DE L’ANNONCE, PAR<br />
FRANÇOIS HOLLANDE, DE PROCHAINES ASSISES DE LA FISCALITÉ.<br />
L’ŒIL DE PHILIPPE MABILLE<br />
Des Assises de la Liberté !<br />
© DR<br />
Mais dans quel cerveau dément a donc germé<br />
cette idée, heureusement sans lendemain, de<br />
taxer l’excédent brut d’exploitation des<br />
entreprises (EBE) pour trouver les 2,5 milliards<br />
d’euros manquant pour le budget<br />
2014 ? Dans le document remis par Bercy à la presse, cette<br />
mesure figure au chapitre « Encourager la croissance, la compétitivité<br />
et l’emploi » ! On ne rit pas, car ce n’est pas drôle.<br />
François Hollande aurait-il perdu le b.a.-ba (b.e.-be ?) de la<br />
réforme fiscale, qui suppose de faire la concertation avant<br />
d’annoncer les arbitrages ?…<br />
Un an après la polémique sur les plus-values de cession<br />
des entrepreneurs, il échappe de peu à une affaire des<br />
« pigeons » 2, un mauvais scénario pour un bien mauvais<br />
film. Deux retours en arrière plus tard, la taxe sur l’EBE a<br />
failli devenir une taxe sur l’ENE (excédent net d’exploitation),<br />
avant que les fiscalistes géniaux du ministère de<br />
l’Économie et des finances ne se rendent compte que l’on<br />
passait d’un « impôt imbécile », qui taxait l’investissement<br />
à venir, à un impôt simplement « idiot », taxant les entreprises<br />
ayant déjà investi et s’étant pour cela endettées…<br />
Chapeau, l’artiste ! Il a donc fallu une nouvelle fronde<br />
patronale pour qu’un peu de bon sens souffle enfin et que<br />
l’on revienne à la solution « la moins pire », celle d’une surtaxe<br />
d’impôt sur les sociétés, épargnant les PME. Et que la<br />
promesse présidentielle d’Assises de la fiscalité des entreprises,<br />
après le vote du PLF, donc en début d’année prochaine,<br />
vienne calmer un peu le jeu pour remettre enfin à<br />
plat ce grand bazar qu’est devenu le système fiscal français.<br />
Entre-temps, Pierre Gattaz, qui s’est fait un peu balader par<br />
ses interlocuteurs gouvernementaux, a fini par retrouver le<br />
goût du « patronat de combat » qui avait été la marque du<br />
début de sa campagne pour la présidence du Medef. Mardi<br />
8 octobre, lors d’une manifestation organisée à Lyon par le<br />
Medef et la CGPME qui font de nouveau front commun, 2000<br />
chefs d’entreprise ont sorti le « carton jaune » contre la hausse<br />
À Lyon, le 8 octobre, des entrepreneurs du Medef<br />
et de la CGPME, quasi unanimes pour adresser ensemble<br />
un carton jaune à François Hollande. [PHILIPPE MERLE/AFP]<br />
de la pression fiscale, des cotisations sociales, la complexité<br />
administrative et surtout l’imprévisibilité d’un gouvernement<br />
ballotté entre ses alliés turbulents écologistes et son incapacité<br />
à tenir les promesses de stabilité fiscale pourtant affirmées<br />
haut et clair par le plus haut responsable de l’État.<br />
EN QUELQUES SEMAINES, FRANÇOIS HOLLANDE<br />
a vu disparaître les effets positifs des beaux discours qu’il tient<br />
sur la compétitivité. Certes, il reste le CICE et ses vingt milliards<br />
d’euros destinés à baisser le coût du travail. Mais sinon,<br />
on nage en pleine pagaille. <strong>La</strong> pause fiscale ? Plus personne n’y<br />
croit, pas plus pour 2014 que pour 2015, alors que la France<br />
va afficher, à rebours de tous ses concurrents, le taux facial<br />
d’impôt sur les bénéfices le plus élevé d’Europe. <strong>La</strong> compensation<br />
de la hausse des cotisations employeurs pour les<br />
retraites, que s’apprête à voter le Parlement ? Personne ne sait<br />
comment et par qui elle sera financée…<br />
Le tout dans un climat politique inquiétant, à l’approche<br />
d’élections municipales et européennes de 2014 qui risquent<br />
bien de consacrer le Front national au centre de la vie politique<br />
française. Certes, le vote de Brignoles, dont le deuxième tour<br />
des cantonales partielles, dimanche 13 octobre, sera scruté<br />
avec attention, ne doit pas faire illusion. En nombre de voix,<br />
le Front national ne fait pas un score plus impressionnant que<br />
celui de 2012 dans cette petite ville du Var. Mais le grand vainqueur<br />
est l’abstention, qui a rassemblé les deux tiers des 20 728<br />
électeurs inscrits et éliminé la gauche (PS et Verts) dès le premier<br />
tour. Ajouté à l’impopularité record de l’exécutif, cela<br />
démontre de la part d’une majorité de Français un rejet des<br />
institutions et de l’ensemble des partis de gouvernement.<br />
Les zigzags actuels de la politique de François Hollande sont<br />
sans doute responsables de cette situation. Mais c’est surtout<br />
l’absence de résultats tangibles que les Français sanctionnent.<br />
<strong>La</strong> priorité donnée à la compétitivité des entreprises ne suffit<br />
pas à calmer la colère des patrons, surtout celle des petits. Les<br />
ménages se sentent les grands oubliés de la politique fiscale,<br />
même si la gauche va tenter de corriger un peu le projet de<br />
budget en faveur du pouvoir d’achat des plus modestes. <strong>La</strong><br />
reprise est là, certes, mais encore imperceptible et sans effets<br />
immédiats sur le chômage.<br />
François Hollande se félicite souvent d’avoir réussi à<br />
réformer sans conflits sociaux. Et il est vrai qu’il n’y a pour<br />
l’instant pas de grève pour menacer la brise de croissance.<br />
Mais en arrière-plan c’est une grève citoyenne qui plane,<br />
faute de parvenir à convaincre les Français que les efforts<br />
consentis vont finir par porter leurs fruits. Sortir de cette<br />
impasse sera long et difficile. Et plutôt qu’à des Assises de<br />
la fiscalité, dont sont curieusement exclus les impôts sur<br />
les ménages, la France des entrepreneurs aspire surtout à<br />
des Assises de la Liberté où l’État ferait enfin sa révolution<br />
copernicienne et chercherait enfin des solutions qui<br />
marchent pour retrouver le point de croissance qui nous<br />
manque. <br />
WEB TV / LA TRIBUNE DES DÉCIDEURS en partenariat avec<br />
« Arrêtons les subventions aux entreprises<br />
et baissons les impôts »<br />
Interrogé dans le cadre de l’émission de latribune.fr, Xavier Fontanet,<br />
ancien président d’Essilor, a répondu aux questions des internautes.<br />
© DR<br />
Le gouvernement est-il en train<br />
de se réconcilier avec l’entreprise<br />
?<br />
Il existe des signaux faibles qui sont<br />
positifs. Regardez Arnaud Montebourg,<br />
qui a remplacé dans son discours le mot<br />
entreprises par celui d’entrepreneurs. Ce<br />
n’est pas neutre. L’entrepreneur, c’est<br />
celui qui prend un risque pour tout le<br />
monde. Mais il a besoin de liberté pour<br />
affronter la concurrence. Et cette liberté<br />
s’acquiert par la confiance. Il faut changer<br />
notre modèle : en réalité, plus l’État<br />
soutient les entreprises, plus il les épuise.<br />
Arrêtons donc les subventions, et baissons<br />
les impôts.<br />
Cette concurrence que vous vantez<br />
a favorisé l’émergence du<br />
low-cost. Pensez-vous que l’optique<br />
puisse prendre ce virage ?<br />
On entend souvent dire que les verres de<br />
lunettes sont plus chers en France qu’en<br />
Allemagne. Mais en France, énormément<br />
de gens portent des Varilux, des verres<br />
plus chers, car ils sont fabriqués à l’unité.<br />
Ce n’est pas un luxe. Si le verre est moins<br />
travaillé, votre cerveau va se fatiguer, et<br />
votre productivité va baisser. On ne peut<br />
donc pas faire de low-cost en la matière.<br />
Ces prix élevés sont aussi favorisés<br />
par la prise en charge des<br />
mutuelles, souvent totale, qui<br />
arrange tout le monde ?<br />
Une minorité d’opticiens s’est mal comportée<br />
vis-à-vis des mutuelles. Il y a un<br />
travail de réconciliation à mener entre<br />
les différentes parties. Cela ne concerne<br />
pas les fabricants de verres. <br />
<br />
Interview réalisée<br />
par Thomas Blard et Éric Walther
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
LE BUZZ 9<br />
BMW i3, Volkswagen Up électrique…, les constructeurs allemands se mettent<br />
aux modèles « zéro émission ». Mais les voitures électriques ne représentent<br />
encore que 0,5 % du marché français. Les marques germaniques croient<br />
d’ailleurs davantage à l’hybride rechargeable.<br />
Les Allemands se mettent<br />
aussi à la voiture électrique<br />
<strong>La</strong> BMW i3 électrique pourra être dotée<br />
d’un prolongateur d’autonomie, pour<br />
5 000 euros de plus. [FABIAN KIRCHBAUER]<br />
ÇA Y EST, ILS ARRIVENT. Au<br />
moment même où Renault<br />
annonce qu’il va se lancer dans les<br />
hybrides car l’électrique ne suffit<br />
pas, les constructeurs allemands<br />
commercialisent leurs premiers<br />
modèles « zéro émission » de série.<br />
C’est à la mi-octobre que BMW fera<br />
essayer à la presse ses nouvelles i3<br />
électriques, dont la production en<br />
série a démarré le mois dernier à<br />
Leipzig. Les premières unités<br />
devraient être livrées en novembre<br />
à un prix de base de 27 990 euros<br />
(super-bonus au tarif actuel<br />
déduit). Le groupe Volkswagen<br />
livrera pour sa part en décembre<br />
ses premières « minis » Up électriques,<br />
au tarif de 18 950 euros<br />
(une fois l’actuel super-bonus écologique<br />
déduit, batteries incluses).<br />
Tous ces véhicules sont plus chers<br />
que la Renault Zoé, livrable à partir<br />
de 13 800 (bonus inclus), mais<br />
dont la location des batteries est<br />
facturée en supplément.<br />
« Nous vendrons quelques centaines<br />
d’i3 électriques cette année,<br />
peut-être 200 », expliquait récemment<br />
à latribune.fr Serge Naudin,<br />
patron de BMW France. Doté d’un<br />
châssis en aluminium et d’un habitacle<br />
en composites à renfort de<br />
fibre de carbone, la BMW i3 pèse<br />
>><br />
L’OFFENSIVE<br />
1 195 kg à peine, dont 230 de batteries.<br />
Elle développe 170 chevaux.<br />
De surcroît, ce véhicule purement<br />
électrique pourra, sur demande,<br />
être doté d’un prolongateur d’autonomie<br />
qui, dès que la charge des<br />
batteries descend trop bas, la maintient<br />
à un niveau constant pendant<br />
le trajet grâce… à l’appoint d’un<br />
moteur bicylindre à essence. Mais<br />
il en coûtera presque 5 000 euros<br />
supplémentaires. <strong>La</strong> future Smart<br />
de Mercedes, produite en Lorraine<br />
dès 2014, aura aussi une déclinaison<br />
électrique de série. L’actuelle<br />
n’est vendue qu’au compte-gouttes<br />
à titre de test.<br />
Le marché est encore balbutiant,<br />
avec un démarrage bien plus lent<br />
que ce qu’espérait Renault.<br />
Sur les neuf premiers mois<br />
de 2016, 6 318 voitures<br />
électriques ont été immatriculées<br />
en France, selon<br />
l’Avere (Association pour le développement<br />
de la mobilité électrique),<br />
qui représentent 0,47 % du<br />
marché à peine. L’Avere espère<br />
toutefois que ce pourcentage grimpera<br />
à 1 % à la fin de l’année grâce<br />
à la multiplication des modèles.<br />
Les pionniers Renault et son allié<br />
Nissan s’octroient 85 % de ce segment.<br />
<strong>La</strong> Renault Zoé représente<br />
près de 50 % des ventes à elle<br />
seule, devant la Nissan Leaf.<br />
« DES VOITURES<br />
<strong>POUR</strong> LES VILLES… »<br />
Alors que le créneau des électriques<br />
commence tout juste à<br />
décoller, surtout grâce aux commandes<br />
publiques ou parapubliques,<br />
les constructeurs allemands,<br />
en plein lancement de leur<br />
offensive « zéro émission », clament<br />
pourtant haut et fort leur prudence.<br />
« Il y a trois ou quatre ans, il y avait<br />
un gros enthousiasme pour le véhicule<br />
électrique. Mais nous, nous<br />
voulons faire des voitures pour les<br />
clients. Et nous ne prévoyons pas de<br />
grand boom pour la voiture électrique<br />
», affirme ainsi Christian<br />
Klingler, membre du directoire de<br />
Volkswagen chargé des ventes et du<br />
marketing. « <strong>La</strong> voiture électrique,<br />
c’est pour les villes avec une autonomie<br />
réduite, et encore plus en hiver »,<br />
poursuit le dirigeant.<br />
S’ils se mettent sur le segment des<br />
électriques, les groupes allemands<br />
misent en fait plutôt sur l’hybride<br />
rechargeable. Une technologie onéreuse,<br />
qui combine motorisations<br />
thermique et électrique, avec une<br />
possibilité de recharge pour bénéficier<br />
d’une cinquantaine de kilomètres<br />
d’autonomie en mode électrique<br />
pur. Et ce, sans obérer la<br />
praticité de véhicules qui s’utilisent<br />
dès lors comme des voitures classiques.<br />
<strong>La</strong> i8, deuxième modèle de<br />
la gamme écologique « i » de BMW<br />
prévu pour le deuxième trimestre<br />
2014, sera ainsi un coupé hautes<br />
performances… hybride rechargeable.<br />
Et Volkswagen va mettre sur<br />
le marché à la mi-2014 une Golf<br />
également « Plug-in Hybrid ». <br />
ALAIN-GABRIEL VERDEVOYE
10<br />
LE BUZZ<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
Avec le nouveau plan de départs volontaires concernant 2 800 personnes, Air France aura, fin 2014, supprimé<br />
près de 10 000 postes depuis 2009. Décryptage des facteurs qui ont obligé la compagnie à serrer la vis. <strong>La</strong> crise, certes,<br />
mais aussi une entreprise qui a trop longtemps vécu au-dessus de ses moyens. Et a tardé à réagir…<br />
10 000 postes en moins en cinq ans…<br />
comment Air France en est arrivé là<br />
>><br />
AIR FRANCE A FÊTÉ, LE<br />
7 OCTOBRE, SES 80 ANS. Un<br />
anniversaire dans la douleur.<br />
Trois jours plus tôt, la direction<br />
détaillait en effet les mesures supplémentaires<br />
pour atteindre les<br />
objectifs du plan Transform 2015,<br />
notamment le plan de départs<br />
volontaires (PDV) concernant<br />
2 800 personnes, le deuxième en<br />
deux ans, après celui lancé l’an<br />
dernier (3 400 personnes), et le<br />
troisième depuis 2009 (1 900 personnes<br />
sont parties en 2010).<br />
Avec les départs naturels non<br />
remplacés, Air France aura supprimé,<br />
d’ici à la fin 2014, près de<br />
10 000 postes en cinq ans, et<br />
comptera moins de 50 000 salariés<br />
(70 000 filiales comprises, et<br />
100 000 pour Air France-KLM).<br />
L’objectif de la compagnie est de<br />
revenir dans le vert en 2014 après<br />
avoir cumulé, pendant les six<br />
années de pertes consécutives,<br />
plus de deux milliards d’euros de<br />
pertes d’exploitation.<br />
Comment en est-on arrivé là ?<br />
Beaucoup d’observateurs ont souvent<br />
invoqué la crise en mettant en<br />
avant les difficultés structurelles<br />
des compagnies traditionnelles<br />
(manque de compétitivité à cause<br />
d’une taxation excessive, développement<br />
des transporteurs du Golfe<br />
et des low-cost…). Tout cela est<br />
vrai, mais n’explique pas tout. Air<br />
FOCUS<br />
L’HÉCATOMBE<br />
France est entrée dans la crise de<br />
2009 moins bien préparée (en<br />
termes de coûts) que ses concurrentes<br />
Lufthansa et British<br />
Airways et, durant les premières<br />
années de la crise, la compagnie<br />
tricolore a tardé à réagir. « On<br />
vivait au-dessus de nos moyens »,<br />
reconnaît-on en interne. D’où,<br />
aujourd’hui, l’intensité du plan<br />
Transform 2015. <strong>La</strong>ncé le 10 janvier<br />
2012, il ambitionne de réaliser<br />
deux milliards d’euros d’économies<br />
en trois ans à l’échelle d’Air France-<br />
KLM. Plus précisément, de générer,<br />
d’ici à 2015, 2,9 milliards d’euros<br />
de cash-flow, dont<br />
deux milliards pour<br />
Air France et 900 millions<br />
pour KLM, les<br />
deux filiales à 100 %<br />
du groupe. Ceci, dans le but de<br />
réduire la dette de 2 milliards<br />
durant la période pour la ramener<br />
à 4,5 milliards d’euros.<br />
EN 2008 ENCORE, LE GROUPE<br />
ÉTAIT MONTRÉ EN EXEMPLE<br />
Des objectifs très ambitieux<br />
pour se remettre sur les rails alors<br />
que, quelques années plus tôt, le<br />
groupe était montré en exemple<br />
pour ses excellents résultats,<br />
comme British Airways l’était<br />
dans les années 1990. Pour rappel,<br />
en mai 2008, au moment où le<br />
baril franchissait les 100 dollars<br />
et où l’économie américaine montrait<br />
des signes inquiétants d’essoufflement<br />
après la crise des<br />
subprimes commencée à l’été<br />
2007, Air France-KLM annonçait<br />
une hausse de 13 % de son bénéfice<br />
d’exploitation pour l’exercice<br />
2007-2008, à 1,4 milliard d’euros<br />
(un record). Sauf que ces chiffres<br />
étaient trompeurs. Ces bons<br />
résultats provenaient plus de l’efficacité<br />
des couvertures carburant<br />
(des instruments d’achats anticipés<br />
qui visent à payer le pétrole en<br />
dessous du prix marché) qui, par<br />
exemple en 2007-2008, ont<br />
contribué à hauteur d’un milliard<br />
au bénéfice d’exploitation ! Ils<br />
provenaient également plus de la<br />
très bonne profitabilité de KLM,<br />
que de la performance réelle d’Air<br />
France, souvent surestimée.<br />
Durant cette période, la compagnie<br />
n’a pas su profiter de cette<br />
Taxe carbone dans l’aérien : un camouflet pour l’Europe<br />
Le plan de départs volontaires annoncé ces jours-ci par la direction<br />
de la compagnie aérienne est le troisième depuis 2009. [AIR FRANCE]<br />
situation favorable pour baisser<br />
suffisamment ses coûts. Notamment<br />
lorsqu’ont été renégociés les<br />
nouveaux accords collectifs avec<br />
les pilotes en 2006 et les hôtesses<br />
et stewards en 2008. Cela alors<br />
que, dans le même temps, en<br />
février 2008, l’accord salarial pour<br />
le personnel au sol est revu à la<br />
hausse. Il est même signé par la<br />
CGT, pour la première fois depuis<br />
1982. L’augmentation des salaires<br />
en 2008 est, en moyenne, de 3 %<br />
(assortie d’une prime uniforme<br />
annuelle revalorisée de 200 euros,<br />
l’équivalent d’une hausse de<br />
salaires de 0,6 %), alors qu’elle était<br />
habituellement calquée sur les prévisions<br />
d’inflation autour de 1,6 %.<br />
Vendredi 4 octobre, 185 des 191 pays<br />
membres de l’OACI (Organisation de<br />
l’aviation civile internationale, qui<br />
dépend de l’ONU) ont adopté la résolution<br />
sur le changement climatique.<br />
Ils ont notamment accepté, non sans<br />
mal, des « mesures de marché » au<br />
niveau mondial pour compléter le système<br />
général de réductions des émissions<br />
de CO2, lesquelles doivent être<br />
obtenues grâce à plusieurs mesures<br />
technologiques, techniques, et le<br />
recours à des biocarburants. Cela dans<br />
le but de plafonner, dès 2020, les émissions<br />
de CO2 du transport aérien et<br />
d’afficher par conséquent une croissance<br />
neutre à partir de cette date.<br />
Contrairement à la résolution précédente,<br />
les pays émergents ont voté favorablement<br />
cet accord. Celui-ci stipule<br />
le lancement dès à présent de travaux<br />
d’élaboration d’un système mondial de<br />
marché qui sera présenté lors de la prochaine<br />
assemblée générale de l’OACI,<br />
en 2016, laquelle décidera de sa mise en<br />
œuvre en 2020.<br />
« Cette étape est très importante, car il<br />
y a un accord mondial du secteur de<br />
l’aviation pour développer puis mettre<br />
en place un tel système fondé sur les<br />
mesures de marché », commente pour<br />
<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong> Michel Wachenheim, le président<br />
français à l’assemblée de l’OACI.<br />
« Les États ont dit que l’OACI ne pourra<br />
pas endosser le système européen »,<br />
précise-t-il. Si l’Europe – qui est<br />
aujourd’hui la seule à avoir introduit<br />
un mécanisme de marché dans l’aviation<br />
– persiste, elle devra en discuter<br />
avec les autres États dans le cadre de la<br />
Convention de Chicago. Avec cet<br />
accord, le secteur de l’aviation est le<br />
premier dans le domaine du transport<br />
à appliquer un tel mécanisme de marché<br />
pour l’émission de gaz à effet de<br />
serre. <strong>La</strong> piste la plus probable semble<br />
celle de l’élaboration d’un système de<br />
compensation des émissions. F. G.<br />
En outre, les gains de productivité<br />
provenaient essentiellement<br />
d’une politique de croissance des<br />
capacités à effectifs plus ou moins<br />
stables. Quand les recettes unitaires<br />
se sont effondrées (de 15 %)<br />
avec la crise de 2009, Air France<br />
a bu la tasse. Plus que les autres.<br />
Les résultats des trois premiers<br />
mois de 2009 en attestent. Durant<br />
cette période, Air France-KLM a<br />
perdu 529 millions d’euros (en<br />
exploitation) contre seulement<br />
44 millions pour Lufthansa.<br />
MAUVAISES APPRÉCIATIONS<br />
ET CRISE DE GOUVERNANCE<br />
Ensuite, le groupe a tardé à réagir.<br />
Certes, le traumatisme dans<br />
lequel était plongée l’entreprise<br />
après l’accident du Rio-Paris, le<br />
1 er juin 2009, n’était pas propice à<br />
des mesures drastiques. Toujours<br />
est-il que le plan de départs<br />
volontaires portant sur 1 800 personnes<br />
décidé en août 2009 était<br />
largement insuffisant. Par ailleurs,<br />
le rebond de l’activité pendant<br />
quelques mois en 2010 a été<br />
mal apprécié. Croyant que la crise<br />
était finie, le groupe n’a pas voulu<br />
se priver de bras pour repartir de<br />
l’avant. Hélas, ce rebond, qui s’est<br />
traduit par des très bons résultats<br />
semestriels en 2010, n’était qu’un<br />
feu de paille. <strong>La</strong> crise est repartie<br />
de plus belle et, après une crise de<br />
gouvernance en 2011 qui n’a pas<br />
arrangé les choses, il faudra<br />
attendre début 2012 pour que soit<br />
lancé un plan à la hauteur des<br />
enjeux. <br />
FABRICE GLISZCZYNSKI
VENDREDI 00 MOIS 2013 LA TRIBUNE<br />
LE BUZZ 11
12<br />
LE BUZZ<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
Les éditeurs des jeux Candy Crush et Angry Birds seraient valorisés plusieurs milliards de dollars. Un succès foudroyant qui<br />
pourrait cependant s’avérer sans lendemain. Versatilité du public, concurrence féroce, modèle économique difficile à équilibrer :<br />
ces entreprises ont-elles une chance de s’inscrire dans la durée ou sont-elles condamnées à n’être qu’un feu de paille ?<br />
Candy Crush, Angry Birds :<br />
ces jeux qui valent des milliards…<br />
SI VOUS N’ÊTES PAR UN<br />
FAMILIER DE CANDY CRUSH<br />
SAGA, vous connaissez certainement<br />
quelqu’un qui y joue ou avez<br />
déjà aperçu des gens dans le<br />
métro, le bus, ou au café, triturer<br />
leur smartphone pour aligner de<br />
manière verticale ou horizontale<br />
des bonbons de la<br />
même couleur en<br />
vue de les faire disparaître.<br />
<strong>La</strong>ncé en 2012, ce<br />
Tet r i s r e v i s i t é<br />
compte aujourd’hui<br />
près de 50 millions<br />
de joueurs actifs<br />
(15 millions y jouent<br />
au quotidien), qui<br />
rapportent près de<br />
850 000 dollars par jour à l’éditeur<br />
de ce jeu, le studio britannique<br />
King. Ce dernier serait par ailleurs<br />
sur le point de faire son entrée en<br />
Bourse à Wall Street, où la société<br />
londonienne, dont le chiffre d’affaires<br />
est estimé à 1 milliard de<br />
dollars, pourrait être valorisée,<br />
selon certaines estimations, à plus<br />
de 5 milliards de dollars (environ<br />
3,7 milliards d’euros).<br />
Un succès qui rappelle celui de<br />
l’entreprise finlandaise Rovio et ses<br />
Angry Birds. Ces « oiseaux en<br />
colère » ont pris leur envol en<br />
2009. Le but du jeu ? Projeter des<br />
oiseaux, à l’aide d’un lance-pierre,<br />
sur des cochons verts, souvent protégés<br />
par des murs et autres<br />
planches de bois, en vue de les<br />
détruire. Tout cela pour une seule<br />
et bonne raison : lesdits cochons<br />
ont dérobé des œufs aux oiseaux,<br />
qui tentent de les récupérer.<br />
>><br />
TOPS ET FLOPS<br />
<strong>La</strong> popularité de ce jeu restant<br />
phénoménale, Rovio ne semble pas<br />
près de battre de l’aile. En 2012, ses<br />
résultats financiers ont été des plus<br />
solides : le chiffre d’affaires a doublé,<br />
passant de 75 millions d’euros<br />
à plus de 150 millions d’euros, une<br />
marge opérationnelle de 50 %, et<br />
la société a même plus que doublé<br />
ses effectifs sur l’année : le nombre<br />
de ses salariés est passé de 224 à<br />
518, contre 28 seulement fin 2010...<br />
En revanche, concernant le projet<br />
d’introduction en Bourse de<br />
leur société, les dirigeants se font<br />
plus discrets depuis quelques mois<br />
et ne semblent guère pressés de<br />
L’engouement pour<br />
les petites tablettes<br />
et grands<br />
smartphones<br />
a favorisé l’essor<br />
des jeux. [CANDY CRUSH]<br />
passer à l’acte. Au milieu de l’année<br />
2012, Rovio aurait été valorisé<br />
9 milliards de dollars (soit à<br />
l’époque 6,8 milliards d’euros), et<br />
la direction aurait refusé, un an<br />
auparavant, une offre de rachat de<br />
2,2 milliards de dollars de Zynga,<br />
le roi déchu des jeux sur Facebook.<br />
RÉSEAUX SOCIAUX ET<br />
MOBILES, LE MIX DU SUCCÈS<br />
Pour Rovio comme pour King, les<br />
chiffres ont de quoi donner le tournis,<br />
d’autant que ces entreprises<br />
sont très jeunes – la création de<br />
King remonte à 2003, mais sa<br />
conversion aux réseaux sociaux et<br />
au mobile remonte à 2012 – et<br />
encore assimilables à de grosses<br />
PME. Comment expliquer le succès<br />
foudroyant de ces jeux ? Et ces<br />
sociétés ont-elles réellement un<br />
avenir ?<br />
Pour Charles Christory, dirigeant<br />
de l’éditeur français Adictiz qui a<br />
mis au point le jeu<br />
Paf le chien (il s’agit<br />
ici de projeter un<br />
chien le plus loin<br />
possible), de nombreux<br />
facteurs sont à l’origine du<br />
succès de ces jeux : le fun est au<br />
cœur de ces applications et le principe<br />
est toujours simple, la prise en<br />
main rapide – on est très vite au<br />
cœur du jeu. Par ailleurs, aucun de<br />
ces jeux n’aurait connu un tel succès<br />
sans les réseaux sociaux et les<br />
mobiles. Le marketing viral, le fait<br />
que l’on puisse partager son score,<br />
impliquer directement ses amis…,<br />
tout cela a permis à ces jeux de<br />
prendre une telle ampleur.<br />
Le constat est similaire du côté<br />
d’Olivier Vialle, associé au sein du<br />
cabinet de conseil PwC, et spécialiste<br />
des jeux vidéo : le succès du<br />
casual gaming ( jeu<br />
simple et destiné à un large<br />
public) ne date pas d’hier, il suffit<br />
de se rappeler Tetris sur PC et sur<br />
la Game Boy, certains jeux sur la<br />
Nintendo DS ou bien encore<br />
Bejeweled, sorti en 2001, et dont<br />
Candy Crush est aujourd’hui le<br />
portrait craché. À l’heure actuelle,<br />
le succès de ce type de jeux est<br />
démultiplié grâce aux smartphones<br />
et tablettes qui permettent<br />
d’y avoir accès et d’y<br />
jouer à n’importe quel moment<br />
de la journée : dans les transports<br />
en commun, à la pause-café au<br />
travail…<br />
Comment expliquer que certains<br />
jeux, sur les centaines du même<br />
genre qui sortent tous les mois,<br />
rencontrent un engouement mondial<br />
? « Au-delà des qualités intrinsèques<br />
du jeu, pour connaître un tel<br />
succès il y a forcément une part de<br />
chance. Il faut arriver au bon<br />
moment sur le marché, et sur la<br />
bonne plate-forme », répond Olivier<br />
Vialle. « Il y a forcément un<br />
côté irrationnel », confirme Grégory<br />
Hachin, expert numérique au<br />
sein du cabinet de conseil Kurt<br />
Salmon. « Difficile de dire pourquoi<br />
le public s’empare de Paf le chien<br />
plutôt que de Gina la girafe. »<br />
Le même genre de jeu peut donc<br />
connaître une réussite à géométrie<br />
très variable. « C’est ce qui<br />
rend également ces sociétés d’édition<br />
fragiles. Avec 50 000 euros,<br />
n’importe quel développeur peut<br />
lancer son application. Le marché<br />
est donc très concurrentiel », poursuit<br />
Grégory Hachin.<br />
Aligner des bonbons de la même couleur, c’est la<br />
proposition toute simple, et qui fait fureur, du jeu Candy<br />
Crush. [CANDY CRUSH]<br />
Impossible donc de vivre très<br />
longtemps sur son succès. Et il faut<br />
à la fois développer et décliner son<br />
application vedette tout en diversifiant<br />
son portefeuille d’activités<br />
afin d’éviter que l’avenir de l’entreprise<br />
ne soit dépendante que d’un<br />
seul jeu, ce qui serait trop risqué.<br />
LA DÉGRINGOLADE<br />
DE ZYNGA, UN CAS D’ÉCOLE<br />
C’est par exemple ce que tente de<br />
faire Adictiz, qui est sur plusieurs<br />
fronts : Paf le chien Run Run est<br />
sorti il y a deux semaines, Paf le<br />
chien 3 devrait débarquer sur les<br />
mobiles et les réseaux sociaux pour<br />
le deuxième trimestre 2014, le jeu<br />
<strong>La</strong>boratz trouve peu à peu son<br />
public et l’application « Il est con<br />
ce pigeon » rencontre depuis plusieurs<br />
mois un franc succès en<br />
Amérique du Sud. Cette stratégie<br />
est une nécessité, selon Charles<br />
Christory : « C’est important d’avoir<br />
une offre variée. Mais à un moment,<br />
il ne faut pas juste faire de bons<br />
jeux, il faut en faire de très bons,<br />
cela ne sert à rien d’en avoir vingtcinq<br />
moyens. De toute façon, au<br />
final, c’est le top ou c’est un flop ».<br />
Zynga en est un bon exemple.<br />
Créé en 2007, cet éditeur californien<br />
a connu une croissance fulgurante<br />
grâce ses jeux (Farmville,<br />
Mafiawars) portés par l’essor de<br />
Facebook. <strong>La</strong> société était même<br />
valorisée 20 milliards de dollars en<br />
janvier 2011 avant son introduction<br />
en Bourse. Et puis la mécanique<br />
s’est subitement grippée.<br />
Principalement parce que les nouvelles<br />
« franchises » n’ont pas rencontré<br />
le succès attendu. Zynga a<br />
proposé le même style d’application<br />
en ne faisant que dupliquer la<br />
recette qui avait fait la gloire de<br />
Farmville et Mafiawars.<br />
LE « BONUS PAYANT », C’EST<br />
RENTABLE ET INDOLORE<br />
Une erreur de taille sur un marché<br />
où les envies d’un jour ne sont<br />
pas forcément celles du lendemain.<br />
« Les jeux de simulation sont<br />
en baisse, alors que les jeux d’arcade<br />
et les puzzles connaissent une forte<br />
croissance », expliquait déjà l’an<br />
passé Sean Ryan, directeur des<br />
partenariats chez Facebook, rapporte<br />
Le Monde.<br />
Autre erreur de Zynga : sa dépendance<br />
à Facebook qui était son<br />
principal canal de distribution.<br />
Pour Grégory Hachin, 75 % de leur<br />
revenu était issu de leur activité
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
LE BUZZ 13<br />
Projeter des oiseaux au lance-pierres sur des cochons verts : depuis<br />
2009, le succès d’Angry Birds (« oiseaux en colère ») reste<br />
phénoménal. En 2012, l’éditeur a doublé CA et effectifs. [ANGRYBIRDS]<br />
sur ce réseau social. Zynga avait<br />
noué un partenariat privilégié avec<br />
Facebook qui a été modifié par ce<br />
dernier, car il ne voulait pas être<br />
trop dépendant de Zynga, ce qui a<br />
ouvert le marché à la concurrence.<br />
De plus, la direction de l’entreprise<br />
n’a pas vu venir la montée en puissance<br />
des jeux sur smartphones et<br />
tablettes, et Zynga a basculé trop<br />
tard sur ces formats.<br />
Conséquence : ces deux dernières<br />
années, Zynga a annoncé plusieurs<br />
plans de restructuration. <strong>La</strong><br />
société a aussi enregistré une perte<br />
de plus de 200 millions de dollars<br />
et son fondateur, Mark Pincus, a<br />
même été contraint de passer la<br />
main en nommant Don Mattrick<br />
au poste de directeur général.<br />
Car, dans le secteur du casual<br />
gaming, trouver son public durant<br />
un temps est une chose. Le fidéliser<br />
et transformer son succès en<br />
espèces sonnantes et trébuchantes<br />
en est une autre. Vente de publicité<br />
en ligne, de produits dérivés, d’applications<br />
en version « de luxe »,<br />
extension de la marque sur d’autres<br />
formats : aucune source de revenus<br />
n’est ainsi négligée par les sociétés<br />
d’édition que sont Rovio et King.<br />
Grégory Hachin précise que ce<br />
qui fonctionne le mieux actuellement<br />
pour les applications du type<br />
de Candy Crush, ce sont les achats<br />
intégrés, en quelque sorte « indolores<br />
», dont le joueur ne se rend<br />
presque pas compte. Il joue à son<br />
application gratuite et on lui propose<br />
de dépenser moins d’un euro<br />
pour pouvoir recommencer à jouer<br />
quand il n’a plus de vie, ou pour<br />
passer au niveau supérieur. Ce système<br />
de « bonus payant » est très<br />
efficace et rentable. Mais, pour ne<br />
pas connaître la descente aux<br />
enfers de Zynga, savoir « monétiser<br />
» son succès et avoir un modèle<br />
économique viable à court terme<br />
ne sont pas des gages suffisants de<br />
succès durable.<br />
UN BEL ESSAI TRANSFORMÉ :<br />
ROVIO, AVEC ANGRY BIRDS<br />
Il faut faire de son jeu phare une<br />
marque très forte, souligne Grégory<br />
Hachin, qui dépasse le seul<br />
cadre du jeu en ligne, dont le succès<br />
n’est pas durable. Et c’est ce<br />
que fait très bien Rovio avec Angry<br />
Birds : ils ont réalisé des dessins<br />
animés et vont sortir un film d’animation<br />
au cinéma en 2016. Rovio<br />
a clairement basculé dans ce qu’on<br />
appelle l’entertainment (l’industrie<br />
du divertissement). Aujourd’hui,<br />
cette entreprise est davantage assimilable<br />
à Disney qu’à une société<br />
d’édition de jeux en ligne.<br />
Un point de vue partagé par Olivier<br />
Vialle, qui précise que « ce<br />
qu’il faut pour que ce type de jeux<br />
dure, c’est une sorte de “statutculte”<br />
comme peuvent en bénéficier<br />
Zelda, Super Mario, GTA… Pour<br />
cela, il faut vraiment créer un univers<br />
particulier ou des personnages<br />
forts auxquels le public s’attache ».<br />
Mais Candy Crush et Angry Birds<br />
sont-ils capables de devenir les<br />
nouveaux Super Mario et Zelda,<br />
voire davantage ?<br />
Selon Olivier Vialle, c’est<br />
quelque chose de tout à fait envisageable,<br />
mais Rovio semble le<br />
mieux parti : « Angry Birds peut<br />
connaître un succès durable à la<br />
Pokemon, puisque les chiffres de<br />
Rovio se maintiennent alors qu’ils<br />
sont en haut de cycle. Le design, les<br />
graphismes des jeux, la cohérence<br />
des suites et des différentes déclinaisons<br />
: tout cela est très professionnel<br />
et soigné, ce qui montre la<br />
construction d’une véritable<br />
licence. En revanche, n’importe<br />
quel développeur a les capacités<br />
techniques pour réaliser un Candy<br />
Crush, et c’est un peu le problème.<br />
Il existe donc une réelle possibilité<br />
que le succès de ce jeu soit un feu<br />
de paille. »<br />
GOOGLE ET APPLE<br />
EN EMBUSCADE ?<br />
De nombreuses inconnues<br />
demeurent. Notamment au niveau<br />
des formats, car actuellement un<br />
support de taille n’a pas encore été<br />
exploré par les jeux en ligne : la<br />
télévision. « Pour le moment, tous<br />
les acteurs du secteur des jeux en<br />
ligne hésitent à se positionner sur<br />
cette question, mais il va bien falloir<br />
: le potentiel de ce marché pour<br />
les jeux est gigantesque », souligne<br />
Grégory Hachin. D’autant plus<br />
qu’il faut faire attention à ne pas<br />
rater le bon wagon, à l’instar de<br />
Zynga avec les mobiles.<br />
Et s’ils veulent que leurs succès<br />
aient des lendemains, une autre<br />
variable devrait peut-être être<br />
intégrée dans l’équation de King et<br />
de Rovio, selon Grégory Hachin :<br />
Google et Apple ne se sont pas prononcés<br />
sur les jeux en ligne, ce qui<br />
ne leur ressemble pas. Ce ne sont<br />
que des suppositions, mais c’est<br />
peut-être bien le calme avant la<br />
tempête. Car ce n’est pas dans leur<br />
habitude de laisser filer un gros<br />
marché comme celui-là sans rien<br />
faire. On pourrait bien avoir des<br />
surprises dans les mois à venir. <br />
<br />
NICOLAS RICHAUD
’est<br />
14<br />
L’ENQUÊTE<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
L’IDENTITÉ DES ENTREPRISES Abandonner un vieux nom « gravé dans le<br />
UN NOUVEAU NOM, MA<br />
LES FAITS De France Telecom<br />
à PPR en passant par EADS ou<br />
Ernst & Young, les changements<br />
de nom ont fleuri au cours de cet<br />
été. Internationalisation des<br />
entreprises, fusions, scissions…<br />
les raisons en sont nombreuses.<br />
L’ENJEU Construire<br />
une notoriété forte autour<br />
de la nouvelle identité, en<br />
évitant les pièges de ce qui reste<br />
un exercice à haut risque.<br />
ODILE ESPOSITO<br />
C<br />
Jusqu’à présent, les<br />
noms des entreprises<br />
racontaient surtout<br />
leur histoire.<br />
Désormais, ils disent<br />
leur vision d’avenir.<br />
dans l’air du<br />
temps visiblement.<br />
Depuis<br />
quelques mois,<br />
plusieurs grands<br />
groupes ont changé de nom. Le<br />
cabinet de conseil américain<br />
Ernst & Young a trouvé plus<br />
simple de se rebaptiser, le 1 er juillet<br />
dernier, de ses initiales EY<br />
(prononcez à l’anglaise, i-ouaille).<br />
Le géant européen d’aéronautique<br />
et de défense EADS a opté pour le<br />
nom de se marque phare, Airbus ;<br />
tandis que le groupe Pages Jaunes<br />
a fait, lui, exactement l’inverse en<br />
se renommant Solocal Group.<br />
France Telecom a achevé cet été<br />
sa mutation en Orange. Enfin<br />
PPR, l’ex-Pinault Printemps<br />
Redoute, qui a cédé ses grands<br />
magasins et devrait bientôt se<br />
délester de son pôle de vente par<br />
correspondance pour se recentrer<br />
sur l’habillement et les accessoires<br />
de luxe et de sport, est<br />
devenu Kering. Un nom qui « s’entend<br />
avant tout comme caring, en<br />
anglais », précisait le groupe lors<br />
de l’officialisation de ce changement,<br />
le préfixe ker (« maison » en<br />
breton) étant un clin d’œil aux<br />
origines du groupe Pinault.<br />
Changer le nom de son entreprise<br />
n’est certes plus un acte<br />
rarissime. Mais, « sur une assez<br />
longue période, le phénomène s’accélère<br />
», observe Marcel Botton,<br />
qui a fondé voilà trente ans le<br />
cabinet Nomen, spécialisé justement<br />
dans la création de noms et<br />
de marques pour les entreprises.<br />
Et cet expert de justifier le phénomène<br />
par les changements de<br />
périmètre et de métiers de plus en<br />
plus rapides des entreprises, au<br />
gré des acquisitions et autres scissions.<br />
Mais aussi par la mondialisation<br />
qui rend obsolètes certains<br />
noms. « Pages Jaunes est difficile<br />
à prononcer à l’étranger, explique<br />
Marcel Botton. À l’international,<br />
France Telecom, qu’il le veuille ou<br />
non, était vue comme un représentant<br />
des autorités nationales françaises<br />
et donc tributaire des aléas<br />
politiques. Enfin, certaines<br />
familles, qui ont donné leur nom à<br />
une entreprise, ne veulent plus voir<br />
ce patronyme accolé à celui de la<br />
société, surtout quand elles n’ont<br />
plus de lien avec elle. »<br />
Si l’exercice est<br />
devenu fréquent, il n’est<br />
jamais pris à la légère et<br />
ne doit d’ailleurs pas<br />
l’être. « Ce changement<br />
de nom a été longuement<br />
préparé, assure Emmanuelle<br />
Raveau, directrice<br />
de la communication<br />
d’EY en France. <strong>La</strong><br />
décision a été prise de façon collégiale,<br />
à l’issue d’une concertation<br />
entre les dirigeants des différentes<br />
zones. Et des groupes de travail se<br />
sont réunis pendant douze à dixhuit<br />
mois. » Marcel Botton<br />
confirme que le sujet était dans l’air<br />
depuis longtemps au sein du<br />
©ERIC PIERMONT/AFP<br />
© MATHIAS CASADO CASTRO<br />
Ne m’appelez plus jamais PPR.<br />
L’ex-groupe Pinault Printemps<br />
Redoute, qui a cédé ses grands<br />
magasins et se recentre sur les<br />
accessoires de luxe et de sport,<br />
s’appelle désormais…<br />
«<br />
Un<br />
changement<br />
de nom, c’est<br />
une petite<br />
déstabilisation. »<br />
MARCEL BOTTON,<br />
FONDATEUR<br />
DU CABINET NOMEN<br />
© CHRISTOPHE RABINOVICI<br />
groupe d’audit : « Ernst & Young<br />
nous avait déjà interrogés il y a cinq<br />
ans sur un éventuel changement de<br />
nom », confie-t-il. Pour Solocal, « la<br />
réflexion s’est étalée sur plusieurs<br />
années », raconte Gérard Lenepveu,<br />
directeur de la marque, en<br />
insistant sur le fait que c’est le<br />
groupe dans son ensemble qui a été<br />
rebaptisé, tandis que l’emblématique<br />
marque Pages Jaunes est<br />
conservée pour l’activité historique<br />
issue des annuaires. « Notre nom de<br />
Pages Jaunes Groupe ne rendait pas<br />
suffisamment compte de la performance<br />
de nos 17 marques, observe<br />
le dirigeant. Et comme notre chiffre<br />
d’affaires se fait majoritairement<br />
sur le numérique, nous avons considéré<br />
qu’un changement de dénomination<br />
pouvait être un accélérateur<br />
de cette transformation. »<br />
Parfois, l’exercice s’arrête à ce<br />
stade de la réflexion. « Un changement<br />
de nom, c’est une petite déstabilisation,<br />
reconnaît Marcel<br />
Botton. Il arrive que certaines<br />
entreprises renoncent. Parfois<br />
aussi, c’est nous qui leur déconseillons<br />
de changer. C’est ce que nous<br />
avons fait par exemple avec Suez<br />
ou avec la Compagnie des wagonslits.<br />
»<br />
UN NOM À FAIRE ACCEPTER<br />
EN INTERNE ET EN EXTERNE<br />
Si l’entreprise persiste, il lui<br />
reste à trouver un nom, puis à le<br />
faire accepter en interne et en<br />
externe. <strong>La</strong> plupart d’entre elles<br />
font alors appel à des cabinets ou<br />
à des agences. Non sans avoir préparé<br />
le terrain au préalable.<br />
« Nous avons mis en place un<br />
groupe de réflexion et nous nous<br />
sommes appuyés sur Havas Worldwide<br />
Paris [l’ex-Euro RSCG C&O,<br />
qui a lui-même changé de nom il<br />
«Nous sommes<br />
encore souvent<br />
obligés de rappeler<br />
que EY, c’est<br />
Ernst & Young. »<br />
EMMANUELLE RAVEAU,<br />
DIRECTRICE DE LA<br />
COMMUNICATION DE EY FRANCE<br />
y a tout juste un an, ndlr], précise<br />
Gérard Lenepveu. Le travail prend<br />
de nombreux mois, car il faut<br />
d’abord savoir d’où l’on vient et où<br />
on veut aller. Il nous fallait donner<br />
à voir nos 17 marques et nous avons<br />
considéré que notre atout de différenciation<br />
était la dimension locale,<br />
la notion de proximité. D’où le choix<br />
de Solocal. »<br />
« Il faut que le nouveau nom soit<br />
ouvert, qu’il n’enferme pas thématiquement<br />
ou géographiquement,<br />
conseille Marcel Botton. Et il<br />
faut tenir compte d’Internet qui<br />
favorise beaucoup les noms dont<br />
les porteurs sont uniques, comme<br />
Belambra, que nous avons inventé<br />
pour l’ex- Villages Vacances<br />
Familles. On part d’une page<br />
blanche et on explore entre 2 000<br />
et 4 500 noms par société. Jusqu’à<br />
ce qu’on trouve un nom juridiquement<br />
valable, qui ne pose pas de
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
L’ENQUÊTE 15<br />
marbre » n’est plus un tabou.<br />
IS <strong>POUR</strong> QUOI FAIRE ?<br />
FOCUS<br />
Des coûts très variables<br />
Combien coûte un changement de nom pour une entreprise<br />
? Chez Mersen, où l’opération date de 2010, on<br />
chiffre son coût à environ 2 millions d’euros sur deux<br />
à trois ans.<br />
« <strong>La</strong> création d’un nom proprement dit ne coûte que<br />
quelques milliers d’euros, indique Marcel Botton, président<br />
et fondateur du cabinet Nomen. À cela, il faut<br />
ajouter quelques dizaines de milliers d’euros pour les tests<br />
destinés à s’assurer du bon accueil du nom à l’international<br />
ainsi que les frais juridiques qui peuvent aller jusqu’à<br />
200 000 euros. Pour le choix de l’identité visuelle et le<br />
déploiement, il faut compter quelques centaines de milliers<br />
d’euros. Et pour le lancement proprement dit, la<br />
facture peut se chiffrer en millions d’euros. » <br />
© JEAN CHISCANO 2011<br />
… Kering. Un nouveau nom que<br />
le PDG du groupe, François-Henri<br />
Pinault, présentait avec le sourire en<br />
mars 2013. Le préfixe ker (« maison »<br />
en breton) étant un clin d’œil<br />
aux origines de la famille Pinault.<br />
problème à l’international et<br />
autour duquel on puisse écrire une<br />
histoire. Belambra, par exemple,<br />
fait penser au bellombra, un arbre<br />
présent sur les côtes méditerranéennes.<br />
» Pour Mersen, le nouveau<br />
nom choisi en 2010 par Carbone<br />
Lorraine, « nous avions<br />
formé en interne un groupe de six<br />
personnes chargé de définir un<br />
briefing, raconte Véronique Boca,<br />
la directrice de la communication<br />
du groupe de matériaux. Puis<br />
nous avons fait appel au cabinet<br />
Nomen. » Lequel, détaille Marcel<br />
Botton, a « travaillé à partir des<br />
initiales M, E, R, S, E, qui représentaient<br />
les expertises du<br />
groupe : material, electrical,<br />
research, sustainable et energy.<br />
Merse ne donnait rien. Mersen, en<br />
revanche, renvoyait à l’abbé<br />
Mersenne, un scientifique du<br />
XVI e siècle. Et notre client nous a<br />
«Il faut<br />
d’abord savoir<br />
d’où l’on vient<br />
et où on veut<br />
aller. »<br />
GÉRARD LENEPVEU, DIRECTEUR<br />
DE LA MARQUE SOLOCAL GROUP<br />
(EX-GROUPE PAGES JAUNES)<br />
© PEET SIMARD 2011<br />
signalé qu’il existait aussi un<br />
traité de Mersen, signé aux Pays-<br />
Bas en 870, par Charles le Chauve<br />
et Louis le Germanique [les<br />
petits-fils de Charlemagne] préfigurant<br />
les frontières de la<br />
France, de l’Allemagne et de l’Italie.<br />
Cela nous a donc donné un<br />
nom surdéterminé. Peu de gens<br />
sans doute connaissent l’abbé<br />
Mersenne ou le traité de Mersen,<br />
mais il est toujours intéressant<br />
d’avoir une histoire à raconter. »<br />
LA CHOUETTE, NOUVEL<br />
EMBLÈME DE KERING<br />
Ce nouveau nom, les entreprises<br />
l’accompagnent aussi parfois d’un<br />
slogan, d’une « signature », voire<br />
d’un emblème. Kering a opté pour<br />
une chouette, « symbole de<br />
sagesse, de protection et de clairvoyance<br />
», précise le groupe, ainsi<br />
q u e p o u r u n e s i g n a t u r e ,<br />
«Le jour du<br />
changement<br />
de nom, nous avons<br />
organisé des fêtes<br />
sur tous les sites. »<br />
VÉRONIQUE BOCA, DIRECTRICE<br />
DE LA COMMUNICATION DE<br />
MERSEN (EX CARBONE LORRAINE)<br />
« Empowering imagination ».<br />
Chez Ernst & Young, on est passé<br />
du slogan « <strong>La</strong> qualité par principe<br />
» à « Building a better working<br />
world ». « Cette signature a<br />
une double signification, avec le<br />
“better working” qui renvoie à la<br />
notion de progrès, et le “working<br />
world” qui souligne notre souci de<br />
rendre plus juste le monde du travail,<br />
indique Emmanuelle Raveau.<br />
Synthétiser ces mots en français<br />
tout en gardant leur force était<br />
impossible et, comme nous appartenons<br />
à un réseau mondial, nous<br />
avons choisi de conserver cette<br />
signature en anglais. »<br />
L’exercice de créativité terminé,<br />
la nouvelle identité doit s’imposer.<br />
Et l’ancien nom se faire<br />
oublier. En interne, le changement<br />
se fait très vite, assurent en<br />
chœur les responsables de communication.<br />
« Il a été très bien<br />
perçu, indique ainsi Gérard<br />
Lenepveu, chez Solocal. Il a donné<br />
à voir que l’ensemble de l’entreprise<br />
avait changé. Ce qui a apporté de<br />
la fierté et créé de la synergie au<br />
sein de l’entreprise. » Comme pour<br />
un déménagement, les entreprises<br />
multiplient à cette occasion les<br />
réunions conviviales et autres<br />
livrets de présentation. « Le jour<br />
du changement de nom, le 14 avril<br />
2010, nous avons organisé des événements<br />
festifs sur tous les sites,<br />
avec présentation d’un film et distribution<br />
de brochures dans 11 langues,<br />
détaille Véronique Boca,<br />
chez Mersen. Nous avons aussi<br />
nommé un ambassadeur sur<br />
chaque site pour qu’il soit le relais,<br />
et aussi qu’il rassure. Sur notre site<br />
lorrain de Pagny-sur-Moselle<br />
notamment, il fallait expliquer que<br />
l’abandon du nom Carbone Lorraine<br />
ne signifiait pas que cette<br />
usine allait fermer ! »<br />
ORANGE A ÉTÉ INSTALLÉ<br />
TOUT EN DOUCEUR<br />
Le plus délicat, selon ces responsables,<br />
serait plutôt d’être<br />
techniquement prêt pour la date<br />
choisie. Le papier à lettres et les<br />
cartes de visite ne posent guère<br />
de problèmes, mais l’adaptation<br />
des sites Internet peut s’avérer<br />
plus complexe. « Il nous a fallu<br />
fusionner 40 sites Web différents,<br />
avec l’objectif que le nouveau site<br />
soit en ligne le jour J, raconte<br />
Véronique Boca. Le plus long<br />
dans cette opération, c’est la transition<br />
de marque. Sur certaines<br />
lignes de produits, il subsiste<br />
encore des marques anciennes. Le<br />
packaging porte bien le nom de<br />
Mersen, mais certaines marques<br />
n’ont pas encore été changées.<br />
Pour des raisons de coût, mais<br />
aussi pour ne pas bousculer les<br />
habitudes des clients. Dans les<br />
activités B-to-B comme les nôtres,<br />
le plus important est que le client<br />
suive. Votre notoriété, il faut la<br />
reconstruire. »<br />
À l’extérieur de l’entreprise, en<br />
effet, les habitudes ne se modifient<br />
pas si vite. « Nos associés ont expliqué<br />
à leurs clients notre changement<br />
de nom et sa signification,<br />
souligne Emmanuelle Raveau.<br />
Nous profitons aussi des événements<br />
que nous organisons, comme<br />
le prix de l’entrepreneur de l’année,<br />
pour mettre en avant notre nouveau<br />
nom. Mais je ne sais pas si nous perdrons<br />
complètement la référence à<br />
Ernst & Young. Ce changement<br />
étant récent, nous sommes encore<br />
souvent obligés de rappeler que EY,<br />
c’est Ernst & Young. »<br />
Les groupes très présents dans<br />
le grand public peuvent opter<br />
pour un changement très progressif.<br />
France Telecom, par<br />
exemple, a fait basculer, au fil des<br />
années, ses produits et services<br />
sous la marque Orange, plus<br />
internationale, avant d’accoler<br />
cette marque à son nom, puis de<br />
se rebaptiser complètement<br />
Orange au 1 er juillet dernier. Mais<br />
d’autres groupes optent pour une<br />
rupture plus franche. Ainsi PPR,<br />
essentiellement connu dans le<br />
grand public à travers ses<br />
marques phares (Gucci, Puma,<br />
Boucheron, etc.), a choisi de faire<br />
connaître son changement de<br />
nom au travers d’une vaste campagne<br />
publicitaire mondiale, avec<br />
film et spots à l’appui.<br />
Transition en douceur ou vraie<br />
rupture ? Peu importe. L’essentiel<br />
est que le public se repère très vite<br />
dans ce changement d’identité.<br />
Car, en cas d’erreur, l’entreprise<br />
n’aura probablement pas droit à<br />
une seconde chance.
16<br />
ENTREPRISES & INNOVATION<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
<strong>La</strong> mesure de soi sera-t-elle<br />
la prochaine révolution 2.0 ?<br />
SANTÉ CONNECTÉE <strong>La</strong>ncé par des rédacteurs du magazine<br />
Wired, le Quantified Self (automesure de soi) donne naissance<br />
à un marché gigantesque de l’informatique mobile. Celui des objets<br />
connectés que l’on porte sur soi. Ils sont des dizaines de millions<br />
d’adeptes dans le monde, tous à la recherche d’une nouvelle « mise à<br />
jour » de leur vie personnelle sur le terrain de la santé ou du bien-être.<br />
ERICK HAEHNSEN<br />
Le smartphone, la microélectronique,<br />
le sansfil,<br />
les réseaux sociaux<br />
et le cloud convergent<br />
pour mettre du poil à<br />
gratter dans la médecine, la santé<br />
et le bien-être. Il en résulte un<br />
mélange détonant appellé QS,<br />
pour « Quantified Self » – que l’on<br />
pourrait traduire par « automesure<br />
de soi », ou par « santé 2.0 », voire<br />
par « santé connectée ». Tout a<br />
commencé avec Gary Wolf et<br />
Kevin Kelly, deux journalistes californiens<br />
du magazine Wired. En<br />
2007, ils initient le mouvement<br />
Quantified Self qui regroupe les<br />
outils, les principes et les méthodes<br />
permettant à chaque personne de<br />
mesurer ses données personnelles,<br />
de les analyser et… de les partager.<br />
En ce qui concerne les outils, le<br />
QS mise sur des capteurs, des apps<br />
(applications mobiles) ou des services<br />
Web. Demeuré assez confidentiel<br />
pendant ses premières<br />
années au sein d’une communauté<br />
de geeks et d’early adopters, le<br />
mouvement prend une envergure<br />
internationale en 2011 lors d’une<br />
conférence de Gary Wolf et Kevin<br />
Kelly à Mountain View (Californie).<br />
À partir de là, la mesure de soi<br />
a essaimé dans le monde entier.<br />
UN LECTEUR DE GLYCÉMIE<br />
CONNECTÉ À SON IPHONE<br />
Bien sûr, la mesure du corps ne<br />
date pas d’hier. « Depuis plus d’un<br />
siècle, tous les foyers français disposent<br />
de balances et de thermomètres<br />
», remarque le Dr Nicolas<br />
Postel-Vinay, médecin spécialiste<br />
de l’hypertension artérielle qui a,<br />
en tant que directeur du site médical<br />
indépendant Automesure.com<br />
ouvert en 1999, lancé le premier<br />
mouvement QS médical. « En<br />
France, ajoute-t-il, trois millions de<br />
personnes hypertendues, par<br />
exemple, automesurent leur tension<br />
artérielle chez elles. On trouve des<br />
tensiomètres dans presque toutes<br />
les pharmacies. » D’autres capteurs<br />
sont venus compléter l’offre médicale<br />
: les spiromètres (mesure de la<br />
respiration), les lecteurs de glycémie<br />
(taux de sucre dans le sang),<br />
les lecteurs de la coagulation du<br />
sang, les oxymètres du pouls (saturation<br />
de l’hémoglobine artérielle<br />
en oxygène), etc. L’intérêt de ces<br />
instruments d’automesure consiste<br />
à multiplier les relevés et donc à<br />
fournir un nombre de données<br />
élevé et plus fréquemment que des<br />
visites chez son médecin. Jusqu’à<br />
présent, la plupart de ces équipements<br />
de mesure ne communiquaient<br />
pas leurs données à un<br />
système informatique. C’est sous<br />
l’influence du « fun » apporté par<br />
le QS sportif que les lignes de front<br />
ont bougé. En témoigne l’iBGStar<br />
de Sanofi, le premier lecteur de<br />
glycémie lancé cette année qui se<br />
connecte à un iPhone ou à un iPod<br />
Touch. De quoi archiver, imprimer<br />
ou transmettre les mesures par<br />
mail à son diabétologue.<br />
Reste que la grande majorité des<br />
dizaines de millions d’utilisateurs<br />
de QS dans le monde quantifient<br />
avant tout les efforts qu’ils fournissent<br />
pour améliorer leurs performances<br />
sportives ou leur bienêtre<br />
: les distances parcourues en<br />
courant, les 5 000 à 10 000 pas<br />
effectués chaque jour, les marches<br />
d’escalier montées, les cigarettes<br />
non fumées, les hamburgers bien<br />
gras qu’ils refusent héroïquement<br />
de dévorer ! Toutes ces micromesures<br />
de soi correspondent à autant<br />
de microdécisions – microlâchetés<br />
ou microcourages – de la vie quotidienne.<br />
Une fois captées, puis transmises<br />
à l’application mobile et<br />
archivées dans le cloud, les données<br />
des capteurs – ou celles que l’utilisateur<br />
saisit directement sur son<br />
smartphone – sont interprétées par<br />
les petits logiciels ad hoc. Objectif :<br />
afficher les résultats immédiatement<br />
de façon simple et ludique sur<br />
l’écran du smartphone. Et, pourquoi<br />
pas, prodiguer des conseils.<br />
LE CAPTEUR EST DANS<br />
LA FOURCHETTE<br />
De fait, le passage de l’automesure<br />
médicale au QS s’est véritablement<br />
accéléré grâce au développement<br />
du smartphone et aux capteurs<br />
capables de se connecter à Internet<br />
via Bluetooth ou Wi-Fi. À commencer<br />
par la balance communicante.<br />
« Il faut dire que la surveillance du<br />
poids est l’une des priorités majeures<br />
de l’automesure », rappelle Nicolas<br />
Postel-Vinay. Sur ce créneau, citons<br />
les balances connectées du pionnier<br />
français Withings, lancées en 2009,<br />
ainsi que celles des américains Fitbit<br />
et iHealth. Lesquels viennent<br />
d’être imités par Terraillon qui<br />
lance simultanément une offre de<br />
pèse-personne, tensiomètre et<br />
podomètre connectés. Puis très<br />
vite, les fabricants se sont mis à<br />
En plus de son bracelet coach<br />
électronique, Fitbit commercialise<br />
une balance connectée et dispose<br />
d’une application mobile<br />
généraliste. [FITBIT]<br />
Rester assis trop longtemps est mauvais<br />
pour le dos. <strong>La</strong> ceinture et l’application<br />
de Lumoback mesurent le temps que<br />
l’on passe debout. Alors, au bureau :<br />
tout le monde debout ! [ LUMOBACK]<br />
100 millions de dollars. C’est la<br />
somme que la start-up américaine Jawbone a levée en août<br />
2013. Son bracelet Up, décliné en un grand nombre de coloris,<br />
a su trouver son public. D’autant que l’application Up s’affiche<br />
de façon très simple pour tracer l’activité du sommeil et<br />
l’activité physique dans la journée. Enfin, on peut saisir ce que<br />
l’on mange pour obtenir une vision assez complète de sa santé.<br />
DEBOUT ! Lumoback développe une sorte<br />
de ceinture qui mesure la position du dos.<br />
Mieux, l’appareil émet un son lorsqu’on<br />
s’avachit. Quant à l’application iOS, elle<br />
compte les pas effectués et combien de<br />
minutes on se tient debout dans la journée.<br />
Une prochaine application va nous inciter<br />
à nous lever toutes les demi-heures.<br />
De quoi lutter contre le mal de dos.<br />
QS ORANGE. L’opérateur prépare une<br />
plate-forme de QS pour début 2015.<br />
Il s’agit d’une évolution majeure du cloud<br />
de la marque, car elle permettra à chacun<br />
d’agréger ses données QS et de choisir<br />
comment les analyser. Enjeu : améliorer<br />
sa condition physique grâce à la corrélation<br />
des données au Big Data et à de puissants<br />
modèles mathématiques d’analyse.
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
ENTREPRISES & INNOVATION 17<br />
FOCUS<br />
inonder le marché de petits objets<br />
électroniques portatifs (wearables),<br />
qui ont fortement segmenté l’offre :<br />
podomètres pour compter les pas<br />
effectués dans la journée, accéléromètres<br />
pour quantifier l’intensité<br />
de l’effort (qui fait perdre du poids),<br />
électrocardiogrammes, coachs électroniques<br />
portables, détecteurs des<br />
phases du sommeil… Il existe même<br />
une fourchette électronique, la<br />
Hapifork de Hapilabs qui, en<br />
vibrant lorsque les bouchées sont<br />
trop rapprochées, est censée contribuer<br />
à lutter contre le surpoids.<br />
Non contents de segmenter les<br />
produits et applications, les fabricants<br />
se sont mis à multiplier les<br />
déclinaisons de produits au sein<br />
d’une même niche. « Nous avons<br />
trois coachs électroniques [de 60 à<br />
100 euros], un qui se porte au poignet<br />
et deux qui se clippent. Ils se<br />
connectent automatiquement en<br />
tâche de fond au smartphone de<br />
sorte que l’information soit continuellement<br />
mise à jour, explique<br />
Benoît Raimbault, directeur marketing<br />
Europe de Fitbit, une startup<br />
de 150 salariés basée à<br />
San Francisco. De cette<br />
manière, l’utilisateur peut recevoir<br />
des notifications concernant<br />
l’évolution de ses résultats. Même<br />
des félicitations… » Autre exemple :<br />
Beddit veut améliorer notre sommeil<br />
en plaçant une bande de capteurs<br />
très fine sous le drap de notre<br />
lit pour enregistrer les rythmes<br />
cardiaque et respiratoire, les ronflements,<br />
les mouvements, les<br />
bruits et la température de la<br />
chambre…<br />
PREMIÈRE CIBLE :<br />
LE GRAND PUBLIC<br />
L’engouement, mondial est tel que<br />
les cabinets d’analyse marketing en<br />
perdent leur latin. Les projections<br />
des ventes mondiales de wearables<br />
vont de 14 millions d’unités en 2011<br />
à 171 millions à l’horizon 2016 pour<br />
IMS Research. De son côté, ABI<br />
Research fait exploser ce chiffre à<br />
485 millions pour 2018. Pour sa<br />
part, Business Insider Intelligence,<br />
qui situe le démarrage du wearable<br />
(à 80 % couvert par le secteur<br />
« Health & Fitness Connected ») en<br />
2010, tempère les projections à<br />
300 millions d’unités pour 2018. En<br />
termes de chiffre d’affaires cumulé,<br />
IMS Research prévoit un doublement,<br />
de 2 milliards de dollars<br />
(1,478 milliard d’euros) cette année,<br />
à 5 milliards (3,7 milliards d’euros)<br />
l’an prochain. ABI Research va<br />
jusqu’à 12 milliards de dollars<br />
(8,9 milliards d’euros) pour 2018.<br />
IDC annonce que chaque individu<br />
aura en moyenne sur lui 3,5 produits<br />
connectés en 2020. Quant à<br />
Forrester Reseach, il prédit que le<br />
wearable constituera la prochaine<br />
<strong>La</strong> smartwatch, nouvel écran de la mobilité<br />
Les pure players du QS ont du mouron à se<br />
faire. « Les grandes marques lorgnent le marché<br />
de la santé connectée et du wearable », reconnaît<br />
Patrice Slupowski, directeur de l’innovation<br />
numérique d’Orange, qui a lancé en 2012<br />
Body Guru, une application mobile expérimentale<br />
de santé connectée. De son côté,<br />
Apple met un pied dans la mare du QS avec son<br />
dernier-né, l’iPhone 5s, qui embarque un accéléromètre,<br />
un gyroscope et un compas.<br />
Autrement dit, un podomètre. Un terrain sur<br />
lequel Samsung a échoué avec son Galaxy S4.<br />
Mais l’enjeu est peut-être ailleurs : « D’ici trois<br />
ans, les podomètres devraient être intégrés aux<br />
Le bracelet Up de Jawbone :<br />
un coach sportif coloré qui<br />
tient autour du poignet.<br />
[JAWBONE]<br />
montres connectées », prédit Emmanuel<br />
Gadenne, fondateur du collectif Quantified<br />
Self Paris. « <strong>La</strong> smartwatch [montre connectée]<br />
et les smartglass [lunettes connectées]<br />
vont devenir le deuxième écran de la mobilité,<br />
analyse Patrice Slupowski. Le smartphone va<br />
revenir dans la poche pour n’être plus qu’un<br />
relais de communication. » Une chose est sûre :<br />
chacun fourbit ses armes. L’enjeu : séduire le<br />
marché des mutuelles de santé. Celles-ci pourraient<br />
sponsoriser les équipements de QS afin<br />
de réaliser des économies grâce à la prévention.<br />
En espérant qu’elles n’aient pas d’autres<br />
arrière-pensées… <br />
grande révolution informatique,<br />
dans la continuité du smartphone<br />
et des tablettes.<br />
Bien entendu, les start-up du QS<br />
et du wearable ont visé d’emblée<br />
le marché grand public. Notamment<br />
en misant sur la distribution<br />
de masse. « Dès 2009, nous avons<br />
re ç u l ’a u t o r i s a t i o n<br />
d’Apple de mettre un “i”<br />
[rappelant celui de<br />
l’iPhone et de l’iPad]<br />
devant le nom de notre<br />
marque, iHealth, qui a<br />
lancé le premier tensiomètre<br />
», explique Uwe<br />
Diegel, PDG Europe<br />
d’iHealth <strong>La</strong>b, dont le<br />
chiffre d’affaires devrait<br />
atteindre les 200 millions<br />
de dollars cette<br />
année (80 millions en 2012).<br />
« Depuis, nos produits sont distribués<br />
non seulement dans les Apple<br />
Store, mais aussi aux États-Unis,<br />
chez les géants comme Walmart. »<br />
Pour sa part, Fitbit serait distribué<br />
dans plus de 10 000 boutiques aux<br />
États-Unis et dans près de 3 000 en<br />
Europe. « En France, le développement<br />
du QS s’accélère avec la vente<br />
de podomètres, de balances et de<br />
bracelets connectés dans des magasins<br />
comme la Fnac ou les Apple<br />
Store », observe Emmanuel<br />
Gadenne, auteur du Guide pratique<br />
du Quantified Self et fondateur du<br />
collectif Quantified Self Paris, qui<br />
485<br />
millions<br />
d’objets « QS »<br />
seront vendus<br />
dans le monde<br />
à l’horizon<br />
2018, selon les<br />
projections<br />
du cabinet ABI<br />
Research.<br />
L’américain iHealth <strong>La</strong>bs<br />
est le premier à avoir<br />
proposé des tensiomètres<br />
connectés. [IHEALTH LABS]<br />
réunit 400 membres – dont des<br />
acteurs comme Withings, Fitbit ou<br />
Hapilabs. Avec de tels potentiels, les<br />
plus belles start-up du QS et de la<br />
santé connectée n’ont pas de mal à<br />
réussir de très grosses levées de<br />
fonds. Comme Withings et ses<br />
23 millions d’euros en juillet dernier<br />
ou Fitbit et ses<br />
32 millions d’euros en<br />
août. <strong>La</strong> palme revenant à<br />
Jawbone ( bracelets<br />
connectés) qui a levé<br />
74 millions d’euros en<br />
septembre dernier.<br />
Pour accélérer ces développements<br />
et prendre les<br />
meilleures positions, les<br />
spécialistes du secteur<br />
misent à la fois sur l’effet<br />
viral des réseaux sociaux<br />
liés à leurs capteurs et sur des applications<br />
mobiles généralistes pour<br />
centraliser la collecte de différents<br />
capteurs. Quitte à se rendre compatibles<br />
avec des équipements provenant<br />
d’autres marques. « Nous avons<br />
ainsi ouvert notre application à plus<br />
de 100 partenaires, reconnaît Cédric<br />
Hutchings, cofondateur et DG de<br />
Withings. Inversement, nos objets<br />
connectés – balances, tensiomètres,<br />
pèse-bébés, bracelets – sont compatibles<br />
avec des applications tierces. »<br />
De quoi « converser » avec les podomètres<br />
de Nike et rester dans la<br />
course du très prometteur marché<br />
des montres intelligentes. <br />
INNOVONS ENSEMBLE, AVEC<br />
ET<br />
COLDWAY, LE DISCRET<br />
« Nous détenons quinze familles de brevets dans les principaux<br />
pays industriels et nous en déposons trois à quatre par an<br />
actuellement », confie <strong>La</strong>urent Rigaud, le président de Coldway.<br />
Fruit de huit années de recherches, son système frigorifi que<br />
équipe déjà des camions médicaux en France et à l’étranger. Les<br />
industriels s’intéressent aussi aux sels réactifs mis au point par<br />
les deux cofondateurs venus du CNRS. « Nous venons de signer<br />
un contrat de 6 millions d’euros sur 5 ans. » Pour adapter sa<br />
technologie de refroidissement rapide, sans rupture de la chaîne<br />
du froid et autonome en énergie pendant une journée, à de telles<br />
grandes séries, cette PME (de 16 salariés) devrait doubler ses<br />
effectifs d’ici deux ans. Un essor financé par une levée de fonds<br />
de 9,3 millions d’euros en juin dernier. Bpifrance a participé à ce<br />
tour de table via le fonds Ecotechnologies. « Le projet de Coldway<br />
s’inscrit parfaitement dans l’action du fonds Ecotechnologies et<br />
plus largement dans celle menée par Bpifrance. »<br />
Dès ses premières années d’activité, Coldway a reçu le soutien de<br />
Bpifrance pour le recrutement et l’innovation. « À chaque fois, ses<br />
avances remboursables et les conseils des équipes de spécialistes<br />
qui nous ont accompagnés nous ont aidés à passer des caps<br />
techniques. Quant aux prêts à l’innovation, ils permettent de<br />
financer la formation de la force commerciale ou les déplacements<br />
à l’étranger. C’est un coup de pouce non négligeable dans un<br />
budget ! »<br />
Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr<br />
<strong>La</strong>urent Rigaud, président de Coldway<br />
© Coldway
18<br />
TERRITOIRES / FRANCE<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
LA BONNE<br />
OPÉRATION<br />
<strong>La</strong> capitale aquitaine va accueillir dès l’été prochain un projet unique au monde : un test grandeur nature<br />
des prototypes d’hydroliennes développés par les industriels. L’enjeu est de taille : en France, 40 000 emplois<br />
pourraient être créés à l’horizon 2020 grâce à la filière des énergies marines renouvelables.<br />
Bordeaux, capitale mondiale<br />
des hydroliennes fluviales en 2014<br />
NICOLAS CÉSAR, À BORDEAUX,<br />
OBJECTIF AQUITAINE<br />
<strong>La</strong> France a de vrais<br />
atouts. Elle est<br />
deuxième au monde<br />
pour le nombre<br />
de brevets déposés<br />
dans l’hydrolien.<br />
Et si l’on produisait de<br />
l’électricité avec le<br />
courant des fleuves ?<br />
À partir de l’été 2014,<br />
des industriels vont se<br />
presser dans la capitale girondine<br />
pour mettre au banc d’essai leurs<br />
hydroliennes fluviales ou maritimes.<br />
Bordeaux a été choisi<br />
comme site expérimental estuarien<br />
national pour l’essai et l’optimisation<br />
d’hydroliennes (projet<br />
Seeneoh). « Grâce au pont de<br />
pierre et à ses 15 arches marines, il<br />
y a de fortes accélérations de courant.<br />
<strong>La</strong> vitesse peut atteindre<br />
jusqu’à 7 nœuds », justifie Marc<br />
<strong>La</strong>fosse, 32 ans, président d’Énergie<br />
de la Lune, cabinet d’ingénierie<br />
en énergies marines à Bordeaux,<br />
qui va gérer le site. C’est le<br />
seul projet de cette ampleur dans<br />
le monde. Et c’est donc un tout<br />
nouveau marché à fort potentiel<br />
qui s’ouvre. « À ce jour, il existe<br />
146 technologies différentes d’hydroliennes<br />
dans le monde. Nous<br />
avons déjà reçu 17 demandes ! »<br />
indique l’océanographe.<br />
L’ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS<br />
FINANCENT 64 % DU PROJET<br />
Ce site d’essai sera capable d’accueillir<br />
simultanément trois<br />
hydroliennes. Deux seront fixées<br />
sur des plates-formes flottantes<br />
ou semi-flottantes à 46 mètres en<br />
aval du pont de pierre et une autre<br />
sera placée à 125 mètres de l’édifice.<br />
Les appareils devront rester<br />
sur place entre six et vingt-quatre<br />
mois, afin de bien étudier leur<br />
comportement. Même l’impact<br />
éventuel des pales sur les poissons<br />
sera analysé. Côté rendement, les<br />
engins subaquatiques, disposant<br />
de pales de 5 mètres de diamètre,<br />
devraient développer une puissance<br />
totale de 250 kilowatts. À<br />
Bordeaux, on pourrait ainsi alimenter<br />
plus de 20 % de l’éclairage<br />
© INSTREAM<br />
public de la ville avec des hydroliennes<br />
fluviales, qui, ensemble,<br />
offriraient une puissance de<br />
1,2 MW.<br />
Les quatre premières entreprises<br />
à s’installer sur les bords de<br />
la Garonne sont déjà connues. Il<br />
s’agit du bordelais Hydrotube-<br />
Energie, de l’isérois HydroQuest,<br />
qui a créé une hydrolienne<br />
capable de produire 100 kilowatts,<br />
du puissant canadien Instream,<br />
qui a créé une filiale en France et<br />
a choisi Bordeaux pour y installer<br />
son siège social, et du groupe<br />
Cnim (Constructions industrielles<br />
de la Méditerranée), un<br />
poids lourd du secteur, qui a réalisé<br />
722 millions d’euros de chiffre<br />
d’affaires en 2012 et compte 2 772<br />
collaborateurs dans 15 pays.<br />
Ce projet, labellisé<br />
par France énergies<br />
marines, est doté d’un<br />
budget de deux millions<br />
d’euros. Il est pris<br />
en charge par les<br />
quatre collectivités<br />
locales – ville, département,<br />
région, communauté<br />
urbaine – à 14 %,<br />
par des investisseurs<br />
privés (36 %) et bénéficie d’un fort<br />
soutien de l’État dans le cadre des<br />
investissements d’avenir aux côtés<br />
de France énergies marines<br />
(50 %). Le programme doit durer<br />
au moins jusqu’au 31 mars 2020.<br />
Dans ce secteur, la France a de<br />
Installées à proximité du pont de pierre, à Bordeaux,<br />
les hydroliennes fluviales devraient développer<br />
une puissance totale de 250 kW. [ ENERGIE DE LA LUNE]<br />
vrais atouts. Elle est deuxième au<br />
niveau mondial pour le nombre de<br />
brevets déposés dans l’hydrolien.<br />
« Grâce à des leaders comme le<br />
groupe DCNS dans l’armement<br />
naval et l’énergie, Ifremer dans<br />
l’océanographie, EDF, GDF-Suez<br />
dans l’énergie, Vinci, Bouygues,<br />
Eiffage dans les travaux maritimes…<br />
», détaille Marc <strong>La</strong>fosse.<br />
Le marché décolle : en 2013, la<br />
<strong>La</strong> puissante société canadienne Instream a choisi Bordeaux pour y<br />
installer son siège social. Ici, sa turbine hydrocinétique à axe vertical.<br />
convention d’affaires des énergies<br />
marines renouvelables, Thetis<br />
EMR, a accueilli 172 exposants,<br />
contre 70 l’année dernière !<br />
<strong>La</strong> France espère devenir leader<br />
reconnu sur le marché des EMR.<br />
Au total, 113 millions d’euros y<br />
seront investis au cours des dix<br />
prochaines années. <strong>La</strong> filière<br />
devrait créer 40 000 emplois d’ici<br />
à 2020. Si les grands groupes se<br />
sont emparés du marché très prometteur<br />
des hydroliennes<br />
marines, les PME se sont engouffrées,<br />
elles, dans celui des hydroliennes<br />
fluviales ou d’estuaire,<br />
également porteur.<br />
BRETAGNE ET DOM-TOM,<br />
DES SITES À L’ÉTUDE<br />
Selon le cabinet américain Pike<br />
Research, le potentiel mondial de<br />
l’hydrolien fluvial est de 3 000 MW<br />
d’ici à 2025, soit un marché de<br />
10 milliards d’euros. Ainsi, Jean-<br />
François Simon, PDG d’HydroQuest,<br />
start-up grenobloise de<br />
10 salariés, espère vendre de 300 à<br />
500 machines par an d’ici à 2018.<br />
Selon EDF et les experts gouvernementaux,<br />
les zones propices se<br />
situent au large de la pointe de la<br />
Bretagne, entre Ouessant et le<br />
continent, et autour du Cotentin.<br />
Sans oublier, bien entendu, les territoires<br />
d’outre-mer. « En Guyane,<br />
l’hydrolien fluvial permettrait de<br />
Repères<br />
113 MILLIONS D’EUROS C’est<br />
le montant des investissements<br />
français dans les EMR au cours des<br />
dix prochaines années, ce qui devrait<br />
créer 40 000 emplois d’ici à 2020.<br />
ENTRE 3 ET 5 GIGAWATTS<br />
L’estimation du potentiel français<br />
hydrolien océanique.<br />
10 MILLIARDS D’EUROS<br />
Le marché potentiel mondial<br />
de l’hydrolien fluvial d’ici à 2025.<br />
106 MÉGAWATTS L’estimation du<br />
potentiel de l’estuaire de la Gironde,<br />
où 3 000 machines pourraient être<br />
installées. Au niveau local, la filière<br />
devrait créer 400 emplois.<br />
146 Nombre des différentes<br />
technologies d’hydroliennes dans<br />
le monde.<br />
rendre autonome en électricité un<br />
très grand nombre de villages », met<br />
en avant Marc <strong>La</strong>fosse. Ces hydroliennes<br />
pourraient également être<br />
installées dans les passes d’atolls.<br />
Un projet est en cours à Tahiti.<br />
« Il y a peu de filières industrielles<br />
aujourd’hui en France susceptibles<br />
d’offrir une croissance à deux<br />
chiffres », rappelle Marc <strong>La</strong>fosse.<br />
Mais, pour cela, « il ne faut pas<br />
prendre de retard. Les premiers<br />
parcs pilotes arriveront chez nous en<br />
2016, alors qu’en Écosse les permis<br />
de construire sont déjà déposés. »<br />
Une ferme pilote d’une dizaine<br />
d’hectares doit voir le jour en 2016<br />
à Bourg, en Gironde. Selon une<br />
étude de la région Aquitaine menée<br />
en 2012, il y a un potentiel de 3 000<br />
machines dans l’estuaire de la<br />
Gironde, équivalant à une puissance<br />
installée de 106 MW. Au<br />
niveau local, l’objectif est de faire<br />
émerger une filière industrielle avec
125 ans déjà que William Grant posait la première pierre de sa distillerie<br />
dans la vallée des cerfs. 125 années durant lesquelles Glenfiddich a su<br />
développer la gamme de Single Malts la plus récompensée au monde.<br />
125 années de créativité et de tradition qu’incarne à merveille l’alliance des<br />
trois fûts différents dont est issu le Glenfiddich 15 ans.<br />
Découvrez toute la gamme sur www.glenfiddich.fr<br />
Lixir RCS Bobigny N°B 393 611 561<br />
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX <strong>POUR</strong> LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
20<br />
TERRITOIRES / INTERNATIONAL<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
LE GRAND<br />
CHANTIER<br />
Si la ville n’a pas obtenu l’organisation des Jeux olympiques pour 2020 (au profit de Tokyo), elle n’arrête pas pour<br />
autant ses mégaprojets : la construction du plus grand aéroport du monde, d’un réseau ferroviaire souterrain<br />
de 76 km, d’un troisième pont enjambant le Bosphore, le creusement d’un canal doublant le détroit côté Europe…<br />
Istanbul, la mégapole eurasienne<br />
saisie par la folie des grandeurs<br />
ELISA PERRIGUEUR, À ISTANBUL<br />
Aux côtés des imposantes<br />
mosquées et<br />
drapeaux rouges,<br />
les grues et les<br />
gratte-ciel en chantier<br />
redessinent l’horizon d’Istanbul.<br />
Alors qu’il y a à peine quarante<br />
ans la mégapole surnommée<br />
la « Sublime Porte » entre l’Europe<br />
et l’Asie recensait 2 millions d’habitants,<br />
elle en compte aujourd’hui<br />
quelque 15 millions. Ces quatre<br />
dernières années, 1,15 million de<br />
personnes ont encore débarqué<br />
dans la ville, attirées par le dynamisme<br />
et le développement de<br />
l’agglomération portés par la croissance<br />
du pays (62,57 % cumulés de<br />
2002 à 2012). <strong>La</strong> Turquie,<br />
aujourd’hui au 17 e rang mondial en<br />
termes de PIB, veut en effet faire<br />
d’Istanbul la vitrine de son essor.<br />
Alors d’est en ouest des deux rives<br />
scindées par le détroit du Bosphore,<br />
Istanbul prospère, grossit, se redessine<br />
et prend ses aises. Des quartiers<br />
d’affaires et résidentiels, des<br />
centres commerciaux et des mosquées<br />
fleurissent. Partout, les chantiers<br />
témoignent de la folie des<br />
grandeurs du Premier ministre<br />
islamo-conservateur Recep Tayyip<br />
Erdogan, qui fut également<br />
maire de la mégapole<br />
de 1994 à 1998.<br />
Aussi, à quelques mois<br />
des échéances électorales<br />
(locales en mars et<br />
p résidentielle e n<br />
août 2014), Erdogan se<br />
délecte-t-il en évoquant<br />
tous ces « projets fous »<br />
toujours plus imposants,<br />
toujours plus<br />
coûteux.<br />
Le chef de l’AKP (Parti de la justice<br />
et du développement) entrevoit<br />
l’achèvement du lifting d’Istanbul<br />
en 2023, date clé qui marquera le<br />
62,5 %<br />
c’est la croissance<br />
cumulée de<br />
l’économie turque<br />
sur dix ans, entre<br />
2002 et 2012.<br />
Istanbul est la<br />
vitrine de cette<br />
renaissance.<br />
Le Marmaray, réseau ferroviaire souterrain de 76,3 km qui reliera<br />
les rives asiatique et européenne du Bosphore, a coûté 5 milliards<br />
de dollars. [ERHAN/A.A./SIPA]<br />
centenaire de la République turque.<br />
D’ici là, le pays affiche des objectifs<br />
audacieux : entrer dans le gotha des<br />
dix plus importantes économies au<br />
monde, avec un PIB de 2 000 milliards<br />
de dollars, un PIB par habitant<br />
de 25 000 dollars et des exportations<br />
s’élevant à 500 milliards.<br />
C’est d’abord autour<br />
du scintillant Bosphore<br />
que naissent les<br />
grandes infrastructures.<br />
Comme le relève<br />
Yoann Morvan, chercheur<br />
à l’Institut français<br />
des études anatoliennes<br />
(IEFA), ce<br />
canal, « pourtant à<br />
l’origine de la création<br />
de l’ancienne Constantinople<br />
[…], est aussi un obstacle<br />
gênant pour la circulation intraurbaine<br />
». Chaque jour, plus de<br />
2 millions de personnes traversent<br />
le détroit pour passer d’Asie en<br />
Europe et vice versa. Le 29 octobre<br />
prochain, l’un des « mégaprojets »<br />
destiné à désengorger ce trafic sera<br />
opérationnel. L’ambitieux Marmaray,<br />
plan d’extension et de rénovation<br />
d’un réseau ferroviaire souterrain<br />
de 76,3 km qui reliera les deux<br />
rives, dont une partie (13,5 km)<br />
sous le Bosphore, aura nécessité<br />
près de 5 milliards de dollars.<br />
Selon ses différents contributeurs<br />
( japonais, turcs, français et<br />
coréen), le Marmaray devrait ainsi<br />
capter 27 % des passages (3,6 % à<br />
l’heure actuelle), allégeant d’autant<br />
l’intense circulation routière.<br />
33 Mds D’EUROS <strong>POUR</strong> LE PLUS<br />
GRAND AÉROPORT MONDIAL<br />
C’est également l’objectif du<br />
« troisième pont », passerelle ferroviaire<br />
et routière de 1,2 km – le<br />
neuvième plus long pont suspendu<br />
du monde – qui sera<br />
construit d’ici deux ans au nord du<br />
Bosphore. Construit et exploité<br />
par le turco-italien Içtas-Astaldi,<br />
pour 2,3 milliards d’euros, ce nouveau<br />
pont entre Asie et Europe<br />
connectera une future autoroute<br />
de 260 km. Enfin, projet encore<br />
plus fou, un canal devrait être<br />
creusé d’ici à 2023, parallèle au<br />
Bosphore, sur la rive européenne.<br />
Voué à alléger le transport maritime<br />
– près de 50 000 navires par<br />
an sur le détroit – le coût de ce<br />
corridor de 50 km de long et de<br />
150 mètres de large est estimé<br />
entre 10 et 20 milliards de dollars.<br />
Chaque jour, des centaines<br />
d’ avions survolent la mégapole. Ces<br />
cinq dernières années, la croissance<br />
du trafic moyen des deux aéroports<br />
d’Istanbul s’est envolée à 14 % par<br />
an ! « L’aéroport international Atatürk<br />
d’Istanbul atteint ses limites<br />
En pleine croissance,<br />
la Turquie veut jouer<br />
dans la cour des<br />
grands. Elle l’affirme<br />
aussi au travers des<br />
travaux titanesques<br />
de sa ville phare.<br />
avec 45 millions de passagers en<br />
2012 », précise Seyfettin Gürsel,<br />
économiste et professeur à l’université<br />
de Bahçeşehir. Les autorités ont<br />
donc décidé de bâtir le plus grand<br />
aéroport du monde d’ici à 2018 (lire<br />
<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong> Hebdo n° 56, 12 juillet<br />
2013). Objectif : accueillir, à terme,<br />
150 millions de passagers par an,<br />
soit deux fois plus que Roissy. Un<br />
projet piloté par un consortium<br />
d’entreprises turques pour environ<br />
33 milliards d’euros, soit la plus<br />
grande infrastructure jamais financée<br />
en Turquie. Doté de six pistes,<br />
le mastodonte s’étalera sur<br />
7 500 hectares, au nord de la partie<br />
européenne de la mégapole. À comparer<br />
aux 1 900 hectares occupés<br />
aujourd’hui par le plus grand aéroport<br />
du monde, celui d’Atlanta.<br />
Ces mégaprojets garantissent-ils<br />
pour autant des lendemains qui<br />
chantent ? Le chercheur Yoann<br />
Morvan met en garde : « De nombreux<br />
projets se réaliseront dans le<br />
nord de l’agglomération, visant à<br />
étendre toujours plus Istanbul.<br />
Cependant, une solution aurait été<br />
de rapprocher le troisième pont de la<br />
nappe urbaine existante pour éviter<br />
cet étalement prédateur et préserver<br />
une ceinture verte. <strong>La</strong> casse environnementale,<br />
mais aussi sociale, sera<br />
vraisemblablement énorme. » <strong>La</strong><br />
mégapole est effectivement entourée<br />
d’une forêt qui s’étend sur 50 à<br />
60 % du territoire d’Istanbul. Pour<br />
l’aéroport, près de 600 000 arbres<br />
devraient être abattus et 2 millions<br />
déplacés. Il faudra aussi remuer des<br />
millions de mètres cubes de terre<br />
pour creuser le « Kanal Istanbul ».<br />
LE RISQUE D’UNE<br />
CROISSANCE INSUFFISANTE<br />
« Auparavant, les groupes turcs<br />
empruntaient sur les marchés<br />
internationaux, mais dorénavant<br />
trouver les financements sera difficile,<br />
en raison du changement de<br />
politique de la Réserve fédérale<br />
américaine », s’inquiète Soli Özel,<br />
économiste et conseiller<br />
à la Tusiad, association<br />
des industriels et<br />
hommes d’affaires<br />
turcs. <strong>La</strong> perspective<br />
d’une fin prochaine de<br />
la politique monétaire<br />
p a r t i c u l i è r e m e n t<br />
accommodante menée<br />
par la Fed a incité en<br />
effet nombre d’investisseurs<br />
à se retirer des<br />
pays émergents, jugés trop risqués,<br />
pour se replacer aux États-<br />
Unis. En outre, les manifestations<br />
qui se sont déroulées en juin à<br />
Istanbul ont montré la fragilité<br />
d’une économie émergente,<br />
encore très dépendante des capitaux<br />
étrangers. <strong>La</strong> livre turque a<br />
chuté de 10 % en trois mois ; entre<br />
mai et juillet, la balance des paiements<br />
turque a enregistré une<br />
fuite de capitaux, évaluée à deux<br />
milliards d’euros. « Les projets<br />
dépendent beaucoup de la croissance,<br />
à 2,2 % en 2012, et à 4 %<br />
estimés pour 2013. Si elle ralentit<br />
au cours des prochaines années,<br />
l’aéroport ne sera pas rentable, par<br />
exemple. Dans ce schéma, selon nos<br />
estimations, il n’atteindra jamais<br />
les 150 millions de passagers<br />
annuels espérés, mais restera<br />
limité à 90 millions », soupire le<br />
professeur Seyfettin Gürsel. <br />
EN SAVOIR PLUS<br />
L’étude de Yoann Morvan,<br />
« L’aménagement du grand Istanbul :<br />
entre ambition géopolitique mondiale<br />
et enjeux fonciers locaux », est en<br />
ligne sur www.academia.edu
ESSAI GRATUIT MOIS<br />
<strong>POUR</strong> TOUS<br />
SANS ENGAGEMENT<br />
Quel que soit votre opérateur actuel, c’est<br />
le moment d’essayer le plus grand réseau<br />
de France qui couvre 0 millions de personnes.<br />
Pour en profiter, Bouygues Telecom vous offre<br />
er<br />
votre mois de forfait sans engagement.<br />
Le progrès vous appartient.<br />
Pour tout savoir sur la de Bouygues Telecom,<br />
rendez-vous sur bouyguestelecom.fr<br />
APPELEZ LE<br />
3 06<br />
GRATUIT DEPUIS UN FIXE<br />
MAGASINS<br />
BOUYGUES TELECOM<br />
Source au 25/09/13. Le plus grand réseau avec 40 millions de personnes couvertes en France métropolitaine : calcul sur la base de la population métropolitaine<br />
(chiffre Insee) et du % de la population couverte (déclaration des opérateurs).<br />
Essai 4G gratuit valable jusqu’au 17/11/13, pour toute souscription ou changement pour un Forfait Sensation 24/24 (seul ou dans le cadre d’Ideo) en version éco<br />
(carte SIM seule, hors pro) avec votre mobile compatible 4G et réseau. Remboursement du montant de votre 1 er mois de forfait sous la forme d’une remise sur votre 1 re facture<br />
(hors communications hors forfait, services et options complémentaires). Offre limitée à un remboursement par n o de téléphone et à 3 remboursements maximum par client. Communications<br />
à usage privé (hors n os courts et spéciaux). Magasins du Réseau Club Bouygues Telecom.<br />
Voir détails et conditions sur bouyguestelecom.fr. Bouygues Telecom - Société Anonyme au capital de 712 588 399,56€ - Siège social : 37-39, rue Boissière - 75116 PARIS - 397 480 930 R.C.S. PARIS - DDB<br />
256x363FU_<strong>La</strong><strong>Tribune</strong>_essai4G_presse_E1_v2.indd 1 09/10/13 17:42
22<br />
LES IDÉES<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
LES FUTURS CHOIX <strong>POUR</strong><br />
L’EUROPE D’ANGELA MERKEL<br />
Que l’on préfère attribuer la paternité de l’expression « un grand pouvoir implique de<br />
grandes responsabilités » à Franklin Delano Roosevelt ou à Peter Parker (Spider-Man),<br />
il y a là un adage qui s’applique parfaitement à la chancelière allemande, partie pour<br />
un troisième mandat à la tête de la première puissance économique de la zone euro…<br />
© DR<br />
© DR<br />
JEAN<br />
PISANI-<br />
FERRY<br />
Économiste,<br />
commissaire général<br />
à la stratégie et<br />
à la prospective. Il<br />
dirigeait également,<br />
jusqu’au printemps<br />
2013, Bruegel,<br />
groupe de réflexion<br />
basé à Bruxelles.<br />
Auteur de :<br />
LE RÉVEIL<br />
DES DÉMONS :<br />
LA CRISE DE L’EURO<br />
ET COMMENT NOUS<br />
EN SORTIR<br />
Éd. Fayard,<br />
novembre 2011.<br />
Le triomphe retentissant d’Angela Merkel<br />
aux dernières élections législatives<br />
allemandes confère à son mandat une<br />
force dont bénéficient aujourd’hui<br />
bien peu de dirigeants à travers le<br />
monde. Dans un pays pourtant obsédé<br />
par les coûts susceptibles d’être infligés<br />
par la crise de l’euro aux épargnants nationaux, le<br />
parti anti-euro baptisé Alternative pour l’Allemagne a<br />
rassemblé moins de 5 % du vote populaire, Angela Merkel<br />
bénéficiant ainsi d’un poids politique exceptionnel.<br />
Le fait même que l’Union chrétienne-démocrate de<br />
centre droit de la chancelière n’ait pu obtenir une majorité<br />
parlementaire absolue constitue en réalité une bénédiction.<br />
L’importante coalition qu’il est probable qu’elle<br />
forme avec le Parti social-démocrate de centre gauche<br />
pourrait prendre la tête d’une super-majorité de 503 des<br />
630 sièges du Bundestag.<br />
<strong>La</strong> question majeure est désormais de savoir dans<br />
quelles directions Angela Merkel investira son riche<br />
capital politique, sachant que ses choix pourraient bien<br />
se révéler déterminants pour l’avenir du continent. Si<br />
l’Europe est aujourd’hui en meilleure forme qu’elle ne<br />
l’était il y a un an, elle demeure confrontée à un avenir<br />
incertain. <strong>La</strong> reprise économique s’avère indéniable, les<br />
déséquilibres externes se sont atténués,tandis que le<br />
désalignement des taux de change réels a été réduit. Le<br />
PIB total par habitant demeure néanmoins en dessous<br />
des niveaux de 2007. En Grèce, le revenu par habitant<br />
reste proche des chiffres enregistrés en 2000, tandis<br />
qu’en Italie ils avoisinent seulement le niveau de 1997.<br />
Par ailleurs, les États d’Europe du Sud sont confrontés<br />
au fléau du chômage de masse, qui frappe particulièrement<br />
les jeunes adultes. Quant aux taux d’endettement,<br />
public comme privé, ils atteignent encore aujourd’hui<br />
un niveau dangereusement élevé. Jusqu’à ce qu’un chemin<br />
soit clairement tracé en direction d’un retour de la<br />
prospérité, tous ces risques sont voués à demeurer. Pour<br />
Angela Merkel, la question est donc de savoir quelle<br />
stratégie de minimisation des risques privilégier.<br />
RÉTABLIR LA CONFIANCE ÉCONOMIQUE,<br />
INSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE<br />
Commençons par les bases. Angela Merkel pourrait<br />
tout d’abord s’attacher à restaurer la confiance au sein<br />
des fondamentaux économiques de l’Europe. Prenons<br />
le marché unique des biens, services et capitaux –<br />
marché célébré en tant que colonne vertébrale de<br />
l’intégration économique. Celui-ci se trouve<br />
aujourd’hui en très mauvais état.<br />
Le marché unique des énergies s’illustre par<br />
exemple par ses défaillances ; sans quoi l’Allemagne<br />
ne procéderait pas à la construction de fermes<br />
solaires, lesquelles seraient plutôt bâties en Europe<br />
du Sud. Le marché numérique souffre par ailleurs<br />
d’un manque d’unification. Quant aux marchés de<br />
capitaux, la crise de l’euro les a laissés dans un état<br />
de véritable fragmentation. Le retour de la confiance<br />
en Europe ne sera pas possible tant que de sérieux<br />
travaux de rénovation n’auront pas été achevés.<br />
!"#$%&%'()*+)*+)',(&*-"#$.(/*,01%0.+"20(<br />
7%0-*F)-*G)&+.)+(-H<br />
C37;
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
LES IDÉES 23<br />
NOUS CITOYENS : « UNISSONS<br />
NOS FORCES <strong>POUR</strong> DÉBRIDER<br />
LE POTENTIEL DE LA FRANCE »<br />
© DR<br />
DENIS<br />
PAYRE<br />
ENTREPRENEUR<br />
(BUSINESS OBJECTS,<br />
KIALA), ANCIEN<br />
PRÉSIDENT<br />
ET FONDATEUR<br />
DE L’ASSOCIATION<br />
D’ENTREPRISES<br />
DE LA NOUVELLE<br />
ÉCONOMIE<br />
CROISSANCEPLUS<br />
AU CŒUR DE<br />
LA CRISE<br />
Denis Payre vient d’annoncer, jeudi 10 octobre, avec d’autres<br />
entrepreneurs, la création de Nous citoyens, un nouveau parti<br />
politique qui entend représenter les Français « qui refusent<br />
de baisser les bras ». Leur intention est de construire un « projet citoyen »<br />
à travers une plate-forme participative. Une méthode qui n’est pas sans rappeler<br />
celle des « pigeons ». Voici leur manifeste, en attendant le programme.<br />
«<br />
Nous citoyens aimons notre<br />
pays et sommes convaincus<br />
de son immense<br />
potentiel. Nous nous réunissons<br />
au sein d’un mouvement<br />
pour être le portevoix<br />
des citoyens frustrés<br />
devant l’incapacité des partis de gouvernement à faire<br />
entrer la France dans le XXI e siècle, et qui veulent<br />
reprendre l’initiative avant qu’il ne soit trop tard. <strong>La</strong><br />
France est à la croisée des chemins. Soit le pays se<br />
réforme radicalement et sait rebondir, soit il risque d’être<br />
dirigé prochainement par des populistes. Nous ne pouvons<br />
laisser la France continuer sa route actuelle vers le<br />
déclin, ne laissant aux générations futures qu’un chômage<br />
de masse, des dettes abyssales et une société où<br />
règne l’injustice sociale. Les Français n’ont plus<br />
confiance en leurs représentants ni dans le système qu’ils<br />
incarnent et sont déçus par les partis de gouvernement.<br />
Nous citoyens pensons que cette situation s’explique<br />
par une société française figée dans laquelle tous les<br />
problèmes doivent être résolus par un État omniprésent<br />
mais de moins en moins efficace, et des administrations<br />
qui ne font pas confiance à la société civile.<br />
Résultat de cette inertie, notre dépense publique est<br />
hors de contrôle et représente 57 % du PIB, un quasirecord<br />
du monde ! À vouloir tout faire, les services<br />
publics sont en dégradation constante et génèrent de<br />
nombreux gaspillages dénoncés par la Cour des comptes.<br />
L’explosion de la dette publique, qui atteint bientôt les<br />
95 % du PIB (près de 2 000 milliards) et les impôts qui<br />
augmentent sans cesse, assommant le pouvoir d’achat<br />
des Français et décourageant tous ceux qui entreprennent,<br />
sont les conséquences de ces écueils. Cette<br />
dérive représente un héritage lourd pour les générations<br />
futures et un risque fort que les marchés financiers nous<br />
obligent à réformer dans l’urgence et la douleur.<br />
« LA FRANCE EST UNE SURDOUÉE<br />
QUI S’IGNORE »<br />
Pourtant, nous sommes convaincus que la France est<br />
« une surdouée qui s’ignore » et qu’elle devrait se trouver<br />
sur les plus hautes marches des podiums de la prospérité<br />
et du bonheur. <strong>La</strong> France et son « art de vivre »<br />
font rêver la plupart des habitants de la planète qui sont<br />
de plus en plus nombreux à pouvoir s’offrir un produit<br />
ou un service français. Cette « marque France » est un<br />
atout considérable dans la mondialisation.<br />
Les Français possèdent aussi des talents clés. Ils font<br />
preuve d’une capacité de travail et de mobilisation<br />
importante si un environnement motivant leur est proposé.<br />
Ils ont une très grande maîtrise de la complexité,<br />
l’esprit de synthèse, une créativité reconnue dans le<br />
monde entier. J’ai eu la chance de le vérifier avec mes<br />
employés et mes associés en tant qu’entrepreneur pendant<br />
plus de vingt ans. Nous nous sommes lancés dans<br />
des secteurs dominés par les Américains et les Allemands<br />
et à chaque fois nous avons réussi à jouer en<br />
coupe du monde. Nous n’avons aucun complexe à avoir<br />
et nous sommes capables de surfer sur toutes les révolutions<br />
technologiques actuelles.<br />
Enfin, les Français sont des entrepreneurs dans l’âme :<br />
d’après la dernière étude du Global Entrepreneurship<br />
Monitor de 2012, 18 % des Français déclarent vouloir<br />
créer une entreprise dans les trois prochaines années,<br />
contre 9 % des Britanniques et 6 % des Allemands. Nos<br />
concitoyens montrent un fort désir d’entreprendre,<br />
mais qui ne se confirme pas dans les faits. Nous comptons<br />
1 million d’entrepreneurs établis en France, contre<br />
2,2 millions en Allemagne et presque 3 millions au<br />
Royaume-Uni. En dépit de leur forte inclination pour<br />
la création d’entreprise, les Français se trouvent bloqués<br />
dans leurs initiatives par les freins du système en<br />
place : manque d’investisseurs, lourdeur de la réglementation,<br />
coût du travail et fiscalité décourageante…<br />
« FÉDÉRER LES FRANÇAIS OPTIMISTES,<br />
CEUX QUI VEULENT ENGAGER LES RÉFORMES »<br />
En résumé, un État qui ne fait pas confiance à la<br />
société civile, qui ne reconnaît pas la réussite et qui ne<br />
fait rien pour que nos concitoyens puissent donner le<br />
meilleur d’eux-mêmes. Un État dirigé par des responsables<br />
politiques qui ont deux types de profil : d’un côté<br />
des fonctionnaires, (dont la qualité n’est pas en cause,<br />
mais le nombre si !), qui ne connaissent que le fonctionnement<br />
de l’administration, pas l’entreprise ni le reste<br />
du monde ; de l’autre des « politiques de carrière » qui<br />
minimisent la prise de risque pour assurer leur réélection<br />
et refusent d’affronter les corporatismes.<br />
Nous citoyens souhaitons fédérer les Français optimistes<br />
mais qui en ont marre, ceux qui veulent engager<br />
les réformes dont notre pays a besoin. Avec eux,<br />
nous allons construire un “Projet Citoyen” à travers<br />
une plate-forme participative, autour de sujets prioritaires<br />
comme l’emploi, l’éducation, la lutte contre<br />
l’exclusion ou le logement. Sans idéologie, nous<br />
sommes guidés par le bon sens et quelques valeurs :<br />
nous prônons une vraie solidarité ciblant en priorité<br />
les sujets comme la très grande pauvreté et visant la<br />
réinsertion dans la société plutôt que l’assistance,<br />
humiliante pour les bénéficiaires et coûteuse pour<br />
la collectivité. Nous voulons un retour de la responsabilité<br />
dans la gestion des affaires publiques, à commencer<br />
par la tenue d’un budget à l’équilibre, un<br />
programme clair et précis lors des élections présidentielles<br />
et une focalisation de l’État sur la régulation<br />
plutôt que l’exécution. Nous voulons aussi rétablir<br />
la confiance entre l’État et la société civile en<br />
renouvelant le personnel politique.<br />
Dans les mois qui viennent, nous mènerons des<br />
actions concrètes pour mobiliser largement et faire<br />
en sorte que notre projet soit repris par les partis de<br />
gouvernement rapidement. Sans ambition personnelle,<br />
nous soutiendrons, lors des principales élections,<br />
les candidats qui reprendront l’intégralité de<br />
notre projet et posséderont la capacité à le mettre<br />
en œuvre. Nous serons très exigeants. Nous nous<br />
réservons la possibilité de présenter des candidats<br />
le cas échéant. » <br />
NOTICE DE REMBOURSEMENT ANTICIPE PAR LA COMPAGNIE GENERALE DES ETABLISSEMENTS MICHELIN<br />
DONNEE AUX PORTEURS DES TITRES SUBORDONNÉS DE DERNIER RANG REMBOURSABLES EN NUMÉRAIRE<br />
À ÉCHÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 2033<br />
(Code ISIN : FR0010034298)<br />
Le 3 décembre 2003, la Compagnie Générale des Etablissements Michelin (ci-après « CGEM ») a émis des titres subordonnés<br />
de dernier rang remboursables en numéraire, portant intérêt au taux de 6,375% l’an et venant à échéance le 3 décembre<br />
2033, pour un montant nominal total de 500 000 000 euros, admis aux négociations sur le marché réglementé de NYSE<br />
Euronext Paris sous le code ISIN FR0010034298 (les « TSR »).<br />
Une description détaillée des TSR figure dans le prospectus sur lequel l’Autorité des marchés financiers a apposé<br />
le visa n°03-1057 en date du 27 novembre 2003 (le « Prospectus »). Des exemplaires de ce Prospectus sont disponibles<br />
gratuitement sur les sites Internet de l’Autorité des marchés financiers (www.amf-france.org) et de CGEM (www.michelin.<br />
com/corporate, sous la rubrique « dette »), ainsi qu’au siège social de CGEM 12, cours Sablon, 63000 Clermont-Ferrand.<br />
<strong>La</strong> CGEM informe les porteurs des TSR qu’elle procèdera le 3 décembre 2013 (la « Date de Rachat ») au remboursement<br />
anticipé de la totalité des TSR restant en circulation conformément à l’article 2.4.5.2 du Prospectus. Le prix du remboursement<br />
anticipé sera égal au pair majoré des intérêts courus depuis le 3 décembre 2012 inclus (date de paiement du dernier coupon)<br />
jusqu’à la Date de Rachat (exclue), calculés conformément aux modalités des TSR. Les TSR seront annulés selon les termes<br />
du Prospectus.<br />
A propos de CGEM<br />
De plus amples informations relatives à CGEM sont disponibles sur le site suivant : http://www.michelin.com/corporate/.<br />
Compagnie Générale des Etablissements Michelin<br />
Contact:<br />
RELATIONS INVESTISSEURS<br />
Valérie Magloire / Matthieu Dewavrin<br />
27, cours de l’Ile Seguin - 92100 Boulogne Billancourt - France<br />
Téléphone : +33 (0)1 78 76 45 37 / +33 (0)4 73 32 18 02 - E-mail: investor-relations@fr.michelin.com
24<br />
LES LIVRES<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
NASSIM TALEB :<br />
« JE M’ADAPTE, DONC JE SUIS »<br />
L’ancien trader, auteur du best-seller Le Cygne noir, publie en français son nouveau<br />
livre, Antifragile : les bienfaits du désordre, où il montre que l’exposition aux<br />
changements et aux variations nous est bien plus profitable contre le risque que notre<br />
recherche éperdue d’un monde où tout serait sous contrôle.<br />
© DR<br />
© DR<br />
ROBERT<br />
JULES<br />
RÉDACTEUR EN CHEF<br />
À LA TRIBUNE<br />
ANTIFRAGILE :<br />
LES BIENFAITS<br />
DU DÉSORDRE,<br />
PAR NASSIM<br />
NICHOLAS TALEB,<br />
éditions Les Belles<br />
Lettres, traduction<br />
de l’anglais de<br />
Lucien d’Azay et<br />
Christine Rimoldy,<br />
avec la collaboration<br />
de l’auteur,<br />
649 pages,<br />
25,50 euros.<br />
Avec Le Hasard sauvage et surtout<br />
Le Cygne noir, publié peu avant la<br />
crise financière de 2008, Nassim<br />
Nicholas Taleb est devenu l’un<br />
des essayistes les plus importants<br />
du moment à l’échelle internationale.<br />
Il livre aujourd’hui, dans sa<br />
traduction française, son dernier ouvrage de quelque<br />
650 pages serrées, titré Antifragile. Pourquoi un tel<br />
néologisme ? D’ordinaire, la fragilité est opposée à la<br />
robustesse. Mais comme l’illustre la célèbre fable de<br />
<strong>La</strong> Fontaine Le Chêne et le Roseau, un vent violent<br />
peut déraciner le chêne robuste quand le roseau plie<br />
mais ne rompt pas ! C’est précisément cette adaptation<br />
aux variations du vent qui intéresse l’auteur.<br />
« En réalité, je n’ai pas créé l’expression “antifragilité”,<br />
je l’ai emprunté au vocabulaire des traders »,<br />
explique d’une voix douce Nassim Nicholas Taleb, de<br />
passage à Paris pour la promotion de son livre. Cet<br />
homme affable, lecteur vorace, toujours soucieux<br />
d’illustrer ce qu’il avance, est lui-même un ancien<br />
trader, spécialisé dans les marchés des dérivés. Ayant<br />
gagné suffisamment d’argent pour être à l’abri du<br />
besoin, il s’adonne à sa passion, le savoir sous toutes<br />
ses formes – de l’histoire de l’Antiquité aux mathématiques<br />
financières, en passant par l’épistémologie.<br />
Mais pour saisir ce qu’est cette « antifragilité », sans<br />
doute faut-il comprendre d’abord ce qu’est la fragilité.<br />
« <strong>La</strong> fragilité – qui manque d’une définition technique<br />
– pouvait être définie comme ce qui n’aime pas la volatilité<br />
; et ce qui n’aime pas la volatilité n’aime pas le<br />
hasard, l’incertitude, le désordre, les erreurs, les pressions,<br />
etc. », avance Nassim Taleb.<br />
L’ANTIFRAGILITÉ, OU COMMENT ÉCHAPPER<br />
AU DESTIN DE LA « DINDE DE NOËL »<br />
L’antifragilité est alors « cette qualité propre à tout ce<br />
qui est modifié avec le temps : l’évolution, la culture, les<br />
idées, les révolutions, les systèmes politiques, l’innovation<br />
technologique, les réussites culturelles et économiques,<br />
la survie en commun, les bonnes recettes de cuisine (la<br />
soupe au poulet, par exemple, le steak tartare agrémenté<br />
d’une goutte de cognac), l’essor des villes, des cultures,<br />
des systèmes judiciaires, des forêts équatoriales, de la<br />
résistance aux bactéries… jusqu’à notre propre existence<br />
en tant qu’espèce sur cette planète ».<br />
Pour résumer, « l’antifragilité dépasse la résistance<br />
et la solidité. Ce qui est résistant supporte les chocs et<br />
reste identique ; ce qui est antifragile s’améliore »,<br />
souligne-t-il. Bref, elle est partout à l’œuvre dans les<br />
organismes vivants. D’où l’idée de l’auteur que, en<br />
étudiant ce concept, il est possible d’en extraire des<br />
enseignements précieux pour mieux comprendre le<br />
monde et y mieux évoluer.<br />
Rechercher l’antifragilité, c’est ainsi accepter ces<br />
variations permanentes du monde, c’est s’adapter aux<br />
aléas plutôt que de s’enfermer dans un confort rassurant,<br />
mais qui nous laisse à la merci d’un événement<br />
inattendu capable de nous emporter. Il nous faut éviter<br />
d’être la « dinde de Noël », comme l’expliquait Nassim<br />
Taleb dans Le Cygne noir, en reprenant une parabole<br />
de Bertrand Russell. Cette dinde, qui voyant tous les<br />
jours son propriétaire lui donner à manger se persuade<br />
qu’il en sera ainsi pour toujours, jusqu’au jour, la veille<br />
de Noël, où arrive un imprévu : le maître arrive avec un<br />
couteau. On a en effet tout à gagner à se référer à l’antifragilité,<br />
qui aurait peut-être poussé le malheureux<br />
volatile à essayer de s’échapper de sa situation faussement<br />
idéale. Ses applications sont nombreuses.<br />
« J’ÉCRIS AVEC MES STIGMATES, MA PENSÉE<br />
EST INSÉPARABLE DE MA BIOGRAPHIE »<br />
C’est, par exemple, la « mithridatisation », du nom<br />
de ce roi du Pont qui chaque jour s’exposait à de<br />
petites quantités de substances mortelles pour s’immuniser<br />
contre les fortes doses de poisons qui, sinon,<br />
lui auraient été fatales. Il s’agit là, du reste, du principe<br />
de la vaccination. C’est aussi l’« hormèse », une<br />
expression pharmacologique qui désigne la capacité<br />
qu’a l’absorption d’une petite dose de poison de guérir<br />
l’organisme en provoquant des réactions excessives<br />
et salutaires.<br />
L’application de l’antifragilité « à l’évolution, à la<br />
politique, à l’innovation dans les affaires, à la découverte<br />
scientifique, à l’économie, à l’éthique, à l’épistémologie<br />
et à la philosophie générale » offre la possibilité<br />
de jeter un regard différent sur le monde. Ainsi,<br />
en politique, des organisations décentralisées résisteront<br />
mieux que des États<br />
hypercentralisés et bureaucratisés.<br />
Que l’on compare la solidité<br />
du système fédéral de la Suisse à<br />
celui de l’URSS, qui s’est écroulé<br />
comme un château de cartes.<br />
« Si j’écris sur la probabilité, c’est<br />
avec toute mon âme et toute mon<br />
expérience dans le domaine de la<br />
prise de risques ; j’écris avec mes<br />
stigmates, c’est pourquoi ma pensée<br />
est inséparable de mon autobiographie<br />
», écrit Nassim Nicholas Taleb.<br />
Son but est de nous faire observer le monde avec un<br />
regard différent. Il nous pousse à l’étonnement, dont<br />
Aristote affirmait qu’il est le commencement nécessaire<br />
à la philosophie. « Nous ne vivons pas assez scientifiquement<br />
dans ce monde », affirme-t-il. Paradoxalement,<br />
cela ne veut pas dire être plus théorique,<br />
scientiste. Au contraire, face aux nombreuses théories<br />
« sensationnelles » qui prolifèrent, il faut partir d’un<br />
authentique savoir qui s’applique dans la vie courante.<br />
« Les plus grandes découvertes ont été faites par des<br />
bricoleurs », souligne-t-il.<br />
«Les gens<br />
qui parlent<br />
et n’agissent pas<br />
n’ont jamais joué<br />
un rôle aussi<br />
important qu’à<br />
l’époque moderne. »<br />
Nassim Nicholas Taleb, l’ancien trader devenu<br />
essayiste à succès. [DAN CALLISTER / REX FEA/REX/SIPA]<br />
De ce point de vue, Antifragile est un ouvrage serein,<br />
comme si l’auteur était apaisé. Le Hasard sauvage et<br />
Le Cygne noir étaient des ouvrages de combat et de<br />
polémique. L’ex-trader cherchait alors à se faire reconnaître<br />
sur la scène intellectuelle internationale. Désormais,<br />
Nassim Nicholas Taleb est admis dans le monde<br />
savant et est reconnu par ses pairs. Il enseigne en tant<br />
que « distinguished professor » à l’université de New<br />
York et est professeur invité au Centre d’économie de<br />
la Sorbonne. Un parcours en forme d’odyssée pour ce<br />
natif du Liban dont l’adolescence a été marquée par la<br />
guerre civile. Une bonne partie de ses travaux de haut<br />
vol en statistiques et en mathématiques sont consultables<br />
directement sur le Net.<br />
Le lecteur ne sera donc pas étonné qu’Antifragile se<br />
termine sur un propos éthique. Après son long détour<br />
théorique, la fin du livre pointe un principe de responsabilité,<br />
devenu encore plus flagrant avec la crise financière.<br />
« Les gens qui parlent et<br />
n’agissent pas n’ont jamais été aussi<br />
visibles et n’ont jamais joué un rôle<br />
aussi important qu’à l’époque<br />
moderne. C’est le résultat du modernisme<br />
et de la division des tâches »,<br />
constate-t-il. C’est pourquoi, selon<br />
lui, ceux qui prennent les risques,<br />
du personnel politique aux banquiers,<br />
ne sont paradoxalement<br />
jamais sanctionnés quand cela<br />
tourne mal. L’auteur demande donc<br />
à ce que les rôles soient, selon sa<br />
terminologie, « calibrés », c’est-à-dire que les risques<br />
soient assumés par ceux qui prennent les décisions.<br />
Cette leçon de vie qu’est Antifragile réhabilite le<br />
rationalisme comme forme d’éthique de vie, mais une<br />
vie pratique, vécue à l’épreuve du réel. Certains pourront<br />
trouver déprimante une telle remise en cause de<br />
leurs illusions confortables, d’autres devraient au<br />
contraire considérer le propos de ce livre en forme de<br />
« gai savoir » comme libérateur et comme la meilleure<br />
façon d’éviter, grâce à ce « gai savoir », de devenir à leur<br />
tour une « dinde de Noël ». <br />
http://www.latribune.fr<br />
<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong><br />
2, rue de Châteaudun - 75009 Paris<br />
Téléphone : 01 76 21 73 00.<br />
Pour joindre directement votre correspondant,<br />
composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres<br />
mentionnés entre parenthèses.<br />
SOCIÉTÉ ÉDITRICE<br />
LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.<br />
au capital de 3 200 000 euros.<br />
Établissement principal :<br />
2, rue de Châteaudun - 75009 Paris<br />
Siège social : 10, rue des Arts,<br />
31000 Toulouse. SIREN : 749 814 604<br />
Président,<br />
directeur de la publication<br />
Jean-Christophe Tortora.<br />
RÉDACTION<br />
Directeur de la rédaction Éric Walther.<br />
Directeur adjoint de la rédaction<br />
Philippe Mabille.<br />
( Économie Rédacteur en chef : Robert Jules.<br />
Rédacteur en chef adjoint : Romaric Godin.<br />
Jean-Christophe Chanut, Fabien Piliu.<br />
( Entreprise Rédacteur en chef : Michel<br />
Cabirol. Rédacteurs en chef adjoints : Delphine<br />
Cuny, Fabrice Gliszczynski. Alain-Gabriel<br />
Verdevoye.<br />
( Finance Rédacteur en chef adjoint : Ivan<br />
Best. Christine Lejoux, Mathias Thépot.<br />
( Correspondants Florence Autret (Bruxelles).<br />
( Rédacteur en chef Hebdo<br />
Jean-Louis Alcaïde. Jean-Pierre Gonguet.<br />
RÉALISATION RELAXNEWS<br />
( Direction artistique Cécile Gault.<br />
( Graphiste Elsa Clouet.<br />
( Rédacteur en chef édition Alfred Mignot.<br />
( Secrétaire de rédaction Sarah Zegel.<br />
( Révision Jean-Baptiste Luciani.<br />
( Iconographie Sandrine Sauvin.<br />
Stéphanie Tritz.<br />
( Infographies ASKmedia.<br />
ACTIONNAIRES<br />
Groupe Hima, <strong>La</strong>urent Alexandre,<br />
JCG Medias, SARL Communication Alain<br />
Ribet/SARL, RH Éditions/Denis <strong>La</strong>fay, .<br />
MANAGEMENT<br />
Vice-président en charge des métropoles<br />
et des régions Jean-Claude Gallo. Conseiller<br />
éditorial François Roche. Directrice Stratégie<br />
et Développement Aziliz de Veyrinas (73 26).<br />
Directrice de publicité Clarisse Nicot (73 28).<br />
Directeur nouveaux médias<br />
Thomas Loignon (73 07).<br />
Abonnements Aurélie Cresson (73 17).<br />
Marketing des ventes au numéro :<br />
Agence Bo conseil A.M.E/Otto Borscha<br />
oborscha@ame-presse.com (01 40 27 00 18).<br />
Imprimeries IPS, ZA du Chant des Oiseaux,<br />
80800 Fouilloy. N o de commission paritaire :<br />
0514 C 85607. ISSN : 1277-2380.
VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />
LES CHRONIQUES 25<br />
À NEW YORK AUSSI, UN PARC<br />
SUR UNE LIGNE DE CHEMIN DE FER<br />
© DR<br />
FRANCIS<br />
PISANI<br />
CHRONIQUEUR,<br />
AUTEUR, EXPERT<br />
INTERNATIONAL<br />
EN INNOVATION,<br />
CONFÉRENCIER.<br />
SON BLOG :<br />
FRANCISPISANI.NET<br />
AU CŒUR DE<br />
Née de la collaboration entre activistes et municipalité de la<br />
« Grande Pomme », la High Line, un parc installé sur une ligne<br />
L’INNOVATION de chemin de fer désaffectée, à l’instar de la Coulée verte à Paris,<br />
est devenu une sorte de modèle que d’autres villes essayent à leur tour de copier.<br />
Si vous rêvez de visiter Manhattan, votre<br />
– interminable – liste des lieux à visiter<br />
comprend sûrement l’Empire State Building<br />
et la statue de la Liberté. Classique.<br />
Mais ceux qui veulent se faire une idée de<br />
la nouvelle dynamique des villes iront aussi<br />
visiter la High Line, une ancienne ligne de<br />
chemin de fer désaffectée, transformée en parc.<br />
L’exemple vient de la Promenade plantée – ou « Coulée<br />
verte » – sur l’ancienne ligne de Vincennes, dans le<br />
12 e arrondissement de Paris ( jusqu’à Bastille) et<br />
ouverte dès 1993. Une paternité volontiers reconnue<br />
par les fondateurs de High Line. Mais l’histoire newyorkaise<br />
contient quelques enseignements utiles sur<br />
la participation et la récupération par les citoyens<br />
d’espaces voués à la rénovation immobilière gourmande…<br />
« Les fondateurs du projet ont commencé sans<br />
une idée claire de ce qu’ils voulaient, m’a expliqué Peter<br />
Mullan, architecte membre de l’équipe. C’est un bel<br />
exemple de citoyens parvenus à mettre en œuvre, avec la<br />
municipalité, une idée venant d’eux, en se positionnant<br />
à la fois comme projet de conservation et de développement.<br />
» Une tension généralement fatale.<br />
Joshua David et Robert Hammond, deux habitants<br />
du quartier opposés à la destruction de la ligne ont,<br />
dès le départ, fait participer autant de gens que possible.<br />
En créant d’abord un concours d’idées ouvert<br />
à tous. Une façon de brasser les idées les plus folles<br />
(par exemple une piscine de plus de 2 km de long)<br />
tout en étant clair qu’il ne s’agissait pas de les réaliser<br />
mais de s’en inspirer. Mais, consultés, les habitants<br />
du quartier ignoraient ce qu’était devenue la ligne<br />
suspendue à plusieurs mètres de la chaussée. Engagé<br />
tout exprès, un photographe connu a montré qu’elle<br />
s’était transformée en un espace vert sauvage, « un<br />
peu comme les peintres du XIX e siècle mettaient en<br />
image le Far West, que personne ne connaissait », m’a<br />
expliqué Mullan. Un mot s’est dégagé, qui a frappé<br />
l’imaginaire collectif local. Celui d’oasis. « C’est ce<br />
qui a permis de galvaniser la participation autour de<br />
la volonté de “préserver ça”. »<br />
LA QUASI-TOTALITÉ DU BUDGET<br />
COUVERTE PAR DES FONDS PRIVÉS<br />
Mais la difficulté consistait à inclure la municipalité.<br />
Michael Bloomberg, alors candidat au poste de maire,<br />
s’est prononcé pour. Une décision essentielle, car selon<br />
Mullan « nous avions une bonne idée, mais nous ne pouvions<br />
assumer les responsabilités. Nous avions besoin<br />
que la ville se charge de la sécurité, par exemple. » C’est<br />
ainsi que s’est constitué un partenariat entre la municipalité<br />
et une entreprise à but non lucratif : Friends of<br />
the High Line. Elle est aujourd’hui responsable de<br />
l’entretien du parc et se charge de réunir les fonds privés,<br />
qui couvrent 90 % du budget.<br />
Alors que l’aventure s’est lancée en opposition à des<br />
projets immobiliers, le succès du parc – qui reçoit plus<br />
de 4 millions de visiteurs par an – et son impact sur le<br />
quartier ont été suffisants pour entraîner un rebond.<br />
De nouveaux immeubles ont été construits. <strong>La</strong> municipalité<br />
en tire des impôts, mais les loyers ont tendance<br />
à augmenter. « Le secret de notre réussite, estime Mullan,<br />
c’est d’avoir inclus plusieurs communautés. Ça<br />
donne une dynamique particulière. Trop d’espaces<br />
publics sont conçus pour un seul groupe : piste pour<br />
cyclistes ou terrain de jeux pour enfants, par exemple.<br />
Nous avons pris le problème de façon opposée. C’est ça,<br />
travailler pour une ville. »<br />
Né de la participation citoyenne, de la collaboration<br />
entre activistes et municipalité, la High Line est devenue<br />
une sorte de modèle que d’autres villes essayent de<br />
copier (Chicago ou Philadelphie, entre autres). Et cela<br />
nous mène au cœur d’une des difficultés de la collaboration<br />
entre villes. « Nous avons reçu beaucoup d’aide<br />
de partout, explique Mullan, et c’est notre devoir d’aider<br />
en retour. Nous avons envisagé d’institutionnaliser les<br />
connaissances et l’expérience pour aider d’autres villes<br />
dans le monde. Mais nous devons nous concentrer sur ce<br />
lieu pour, sans cesse, nous réinventer et renaître. » Vu<br />
depuis les villes, le local ne fait pas facilement bon<br />
ménage avec le global. <br />
ON EN PARLE À BRUXELLES<br />
LE CARNET DE NOTRE CORRESPONDANTE, FLORENCE AUTRET<br />
Gouvernance de la zone euro, le dilemme de Mosco<br />
© DR<br />
Souvent, on aimerait pouvoir pousser les<br />
portes d’un cénacle européen devant de<br />
simples citoyens, pour qu’ils voient un peu<br />
de quoi est faite la chair de cette « Union »<br />
qu’ils connaissent si mal. Mais parfois, il<br />
semble préférable que les portes restent closes. C’était<br />
le cas la semaine dernière au cours d’un « briefing technique<br />
» de la direction générale des affaires économiques<br />
et monétaires. L’exercice consiste à faire venir plancher<br />
un ou deux fonctionnaires devant un parterre de journalistes<br />
au sujet d’un dossier particulièrement ardu.<br />
Exercice habituellement salutaire pour tout le monde.<br />
En l’occurrence, le sujet était le contrôle des budgets et<br />
des politiques économiques des pays de la zone euro par<br />
la Commission européenne. Depuis l’éclatement de la<br />
crise de l’euro, les chefs de gouvernement et leurs ministres<br />
n’ont cessé de chercher un moyen de faire fonctionner ce<br />
qui avait dysfonctionné : le pacte de stabilité, en clair les<br />
règles budgétaires communes. En trois ans a été créé un<br />
impressionnant écheveau de procédures, d’allers-retours<br />
entre les gouvernements et la Commission, entre la Commission<br />
et les ministres des Finances de l’eurozone. Le<br />
but : décourager les passagers clandestins, ceux qui font<br />
leurs choix économiques et budgétaires sans tenir compte<br />
de l’intérêt de cette collectivité appelée « zone euro ».<br />
Rien à dire sur l’objectif. Sinon que la dernière mouture<br />
de cette « nouvelle gouvernance » économique met la<br />
Commission européenne dans la position d’un « FME »,<br />
d’un Fonds monétaire européen, qui, au nom du nonrespect<br />
des règles budgétaires par la plupart des pays,<br />
leur prescrit leur politique. Pour la première fois cette<br />
année, elle va intervenir dans les débats budgétaires<br />
devant les parlements nationaux en rendant, autour du<br />
15 novembre, son « opinion » sur les projets de budget et<br />
les choix politiques qui les sous-tendent. <strong>La</strong> recommandation<br />
pour la France de mai 2013 regrette « l’interdiction<br />
des ventes à perte » (sans d’ailleurs dire précisément<br />
pourquoi il serait préférable d’y renoncer), l’augmentation<br />
de 16 % en valeur réelle du salaire minimum<br />
entre 2002 et 2012, l’augmentation des cotisations<br />
sociales ou la concentration du marché de l’électricité.<br />
LA COMMISSION SE DÉFEND de vouloir dicter leur<br />
politique aux pays. Mais la fougue avec laquelle la fonctionnaire<br />
qui planchait ce jour-là a tenu à rappeler que<br />
« nous n’avons pas de droit de veto [sur les budgets]… Les<br />
parlements conservent toute leur souveraineté » montre<br />
toutefois qu’un doute est permis. L’un des enjeux de cette<br />
nouvelle gouvernance consiste en effet à lier la question<br />
du déficit d’un côté et les réformes de structure de l’autre,<br />
ce qui augmente le levier de Bruxelles sur ce dernier<br />
volet. Rien de plus logique, mais en pratique cela revient<br />
à placer la Commission en situation de formuler des<br />
conseils politiques et de le faire, dans l’état actuel des<br />
règles, de son propre chef et sans aucun contrôle parlementaire.<br />
Les recommandations par pays sont à peine<br />
validées, dans leurs grandes lignes, par les ministres des<br />
Finances, qui sont plus attentifs à défendre l’intérêt de<br />
leur pays qu’à s’intéresser à celui des autres.<br />
Tout irait encore si la Commission était capable de<br />
défendre l’intérêt européen et de définir une politique<br />
réellement efficace. Hélas, cette aptitude est de plus en<br />
plus contestée par des dirigeants nationaux mais aussi par<br />
des économistes. « <strong>La</strong> Commission a agi comme un agent<br />
défendant les intérêts des nations créditrices », à commencer<br />
par l’Allemagne, a écrit récemment Paul de Grauwe*,<br />
qui démontre les effets catastrophiques des politiques<br />
d’austérité dans le Sud. Le risque existe que les gouvernements<br />
non créditeurs se rebiffent. « <strong>La</strong> Commission est là<br />
pour laisser se déployer les politiques nationales… Intervenir<br />
dans le débat français serait pour elle un problème », a<br />
dit récemment Pierre Moscovici à Bruxelles, où il était<br />
venu présenter le budget français pour 2014. Le ministre<br />
a pourtant voté l’an dernier les nouvelles règles de gouvernance<br />
de la zone euro. Cette contradiction risque de devenir<br />
de plus en plus flagrante dans les années à venir. <br />
* « The legacy of austerity in the eurozone », Center for European<br />
Policy Studies
26<br />
L’INTERVIEW<br />
LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />
RAYMOND SOUBIE<br />
PRÉSIDENT DES SOCIÉTÉS DE CONSEIL ALIXIO ET TADDEO<br />
« On reparlera des<br />
retraites avant 2020 »<br />
L’ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, chargé de la réforme des retraites de 2010, reçoit<br />
dans le bureau d’Alixio, la société de conseil en ressources humaines que l’ancien patron d’Altedia<br />
(revendu à Adecco) a créée il y a deux ans. Le « parrain du paritarisme » décrypte les réformes en<br />
cours : celles des retraites et de la formation professionnelle. Il s’inquiète des conséquences d’une<br />
croissance durablement trop faible sur le financement de notre modèle social.<br />
PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CHRISTOPHE CHANUT<br />
ET PHILIPPE MABILLE<br />
( LA TRIBUNE – Le projet de loi « garantissant l’avenir et la<br />
justice du système de retraite » est au Parlement. C’est une vraie<br />
réforme ?<br />
RAYMOND SOUBIE – C’est une réforme qui apporte des ressources<br />
supplémentaires pour rétablir l’équilibre en 2020.<br />
Mais ce n’est pas une réforme structurelle des fondamentaux<br />
de notre système par répartition. À part les nouvelles<br />
cotisations, rien ne se passe avant 2020. Et après, la seule<br />
mesure consiste à prolonger la réforme Fillon de 2003 de<br />
partage de l’espérance de vie entre actifs et inactifs, et l’allongement<br />
de la durée de cotisations. Des mesures financières<br />
étaient nécessaires. Mais on est loin de la grande réforme<br />
définitive des retraites, scénario qui n’a d’ailleurs été retenu<br />
dans aucun des pays concernés par le vieillissement, à part<br />
la Suède et sa réforme des retraites en compte notionnel.<br />
Ce qui est inquiétant, c’est que les motifs d’une réforme des<br />
retraites se sont déplacés. Le sujet démographique, la dégradation<br />
du ratio du nombre d’actifs par rapport aux inactifs,<br />
a été traité. Mais reste la question de la croissance, qui à son<br />
niveau actuel ne permet pas d’assurer l’équilibre à long<br />
terme des retraites, ni d’ailleurs des<br />
finances sociales dans leur ensemble. Si<br />
la France doit vivre une période de croissance<br />
durablement faible, alors nous<br />
pouvons être certains que l’on reparlera<br />
du financement des retraites très vite,<br />
avant 2020.<br />
Le gouvernement actuel a évité de poser<br />
le débat de l’âge de départ, à la différence<br />
de ce qui a été fait en 2010. Or, je<br />
rappelle que le simple report de 60 à 62<br />
ans de l’âge légal [et de 65 à 67 ans pour<br />
le droit à une retraite à taux plein, quelle<br />
que soit la durée de cotisation, ndlr] va rapporter 22 milliards<br />
d’euros par an à compter de 2018. Le seul allongement<br />
de la durée de cotisation à quarante-trois ans a un<br />
rapport beaucoup moins élevé, d’autant qu’il sera étalé sur<br />
quinze ans, de 2020 à 2035… C’est pour cela que tous les<br />
autres pays européens ont agi sur l’âge de départ. Je suis<br />
convaincu que la France aura un jour à revenir sur ce<br />
tabou.<br />
( Le gouvernement promet de compenser la hausse des cotisations<br />
retraite pour les employeurs. Ne joue-t-on pas un jeu<br />
dangereux avec la compétitivité des entreprises ?<br />
J’avoue que je ne comprends pas bien la mécanique. On<br />
augmente les cotisations retraite pour baisser les cotisations<br />
famille des employeurs. Mais personne ne dit comme<br />
cela sera financé. C’est un peu l’histoire du sapeur Camembert…<br />
<strong>La</strong> bonne nouvelle, c’est que le gouvernement a pris<br />
conscience de l’urgence absolue qu’il y a à soutenir la compétitivité<br />
des entreprises. Mais ce message est brouillé par<br />
des signaux contradictoires permanents, le dernier épisode<br />
en date étant le cafouillage sur la taxe sur l’excédent brut<br />
d’exploitation, qui finit sur une hausse, temporaire dit-on,<br />
«Je suis<br />
convaincu<br />
que la France aura<br />
un jour à revenir<br />
sur le tabou de l’âge<br />
de départ<br />
à la retraite. »<br />
de l’impôt sur les sociétés. <strong>La</strong> solution vertueuse pour la<br />
croissance serait de financer la baisse des cotisations familiales<br />
par une hausse de la CSG ou, mieux, de la TVA,<br />
comme Nicolas Sarkozy l’avait fait voter avant la présidentielle.<br />
D’autant que même à 20 % sur le taux normal, nous<br />
sommes encore loin de la moyenne européenne.<br />
( Le point central, pour sauver notre protection sociale, c’est<br />
surtout de retrouver une croissance de 2 % et plus ?<br />
Oui, mais personne n’assume l’idée que nous sommes peutêtre<br />
entrés dans une nouvelle ère où la croissance sera<br />
durablement proche de 1 % en moyenne. Il est temps de<br />
faire une simulation sur les conséquences que cela aurait<br />
sur nos finances publiques et sociales. J’en ai parlé avec<br />
Jean Pisani-Ferry, le commissaire général à la stratégie et<br />
à la prospective, qui est chargé de ce rapport sur la France<br />
de 2025. Aujourd’hui, tout le monde vit avec l’espoir que<br />
nous retrouverons la croissance du début des années 2000.<br />
Je ne dis pas que c’est impossible, mais que nous devrions<br />
nous interroger sur le fonctionnement de notre modèle<br />
social si cela n’arrive pas… En clair, jusqu’où pouvons-nous<br />
augmenter les impôts et réduire les dépenses pour nous<br />
adapter à cette croissance plate ?<br />
( Que vous inspire l’arrivée devant les<br />
juges de Denis Gautier-Sauvagnac, l’ancien<br />
président de l’UIMM, accusé « d’abus de<br />
confiance » et de « travail dissimulé », pour<br />
avoir utilisé 17 millions d’euros pour « fluidifier<br />
les relations sociales » ?<br />
C’est l’aboutissement d’une procédure<br />
commencée en 2007. C’est aussi la fin<br />
d’un monde. Denis Gautier-Sauvagnac<br />
n’a fait que perpétuer des pratiques qui<br />
existaient bien avant lui au sein de<br />
l’UIMM. Il arrive un moment où ce que<br />
l’on a toujours fait, il ne faut plus le faire. Le financement<br />
syndical doit faire son aggiornamento, comme le financement<br />
des partis politiques il y a quelques années.<br />
a beaucoup de corporatisme dans ce secteur, et tous ses<br />
acteurs n’ont pas nécessairement envie que cela change.<br />
( Pourtant, l’ambition du gouvernement est de refonder la loi<br />
Delors sur la formation continue, qui date de 1971, une époque<br />
de forte croissance…<br />
Oui, il faut faire évoluer les choses, car l’argent de la formation<br />
ne va pas en priorité à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir<br />
les salariés les moins qualifiés, les chômeurs et ceux qui<br />
risquent de perdre leur emploi. Les entreprises préfèrent<br />
utiliser les fonds de la formation sur des sujets qui les intéressent.<br />
Autrement dit, elles préfèrent former quelqu’un de<br />
déjà qualifié pour le rendre encore plus efficace. Les entreprises<br />
n’ont aucun intérêt à former ceux qui n’ont pas d’emploi.<br />
C’est Jacques Delors qui a imposé par la loi l’obligation<br />
du financement de la formation des salariés, via l’institution<br />
du prélèvement de 0,9 % de la masse salariale. Une vraie nouvelle<br />
réforme devrait porter sur le sort et l’affectation de ce<br />
0,9 %, qui doit davantage aller vers les publics prioritaires.<br />
( Donner vie au compte individuel de formation créé par<br />
l’accord sur l’emploi du 11 janvier 2013 peut aussi permettre<br />
aux plus démunis d’accéder à la formation ?<br />
En effet, le compte individuel de formation, un droit portable,<br />
que la personne garde quel que soit son statut, demandeur<br />
d’emploi ou salarié, est une piste intéressante. Mais<br />
cela oblige à repenser sur le fond la formation professionnelle.<br />
C’est toute l’architecture qu’il faut revoir. Actuellement,<br />
l’État gère l’emploi, les régions sont responsables de<br />
la formation, et le financement est en grande partie de la<br />
responsabilité des entreprises. Le système n’a donc pas une<br />
efficience maximale.<br />
( Vous avez l’air dubitatif sur la capacité des partenaires sociaux<br />
à parvenir à une réforme de fond…<br />
Pour les raisons évoquées, je doute que les partenaires<br />
sociaux remettent réellement en question le schéma actuel.<br />
Éventuellement, ils vont accepter de mieux doter le Fonds<br />
paritaire de sécurisation des parcours professionnels, qui<br />
participe à la formation des demandeurs d’emploi. Aussi,<br />
l’État devra apprécier s’il s’agit d’un bon accord qui mérite<br />
d’être retranscrit dans une loi. Si l’État juge que l’accord ne<br />
va pas assez loin, il devra s’en émanciper. <br />
( Justement, le gouvernement a demandé au patronat et aux<br />
syndicats de profondément réformer la formation professionnelle.<br />
Or régulièrement des dérives sont évoquées…<br />
Il risque en effet d’y avoir des blocages pour mener à bien<br />
cette réforme nécessaire. Un premier blocage concerne<br />
les organisations patronales et syndicales qui sont<br />
très, voire trop, impliquées dans la gestion de la<br />
formation professionnelle. Aussi, le ministre du<br />
Travail, Michel Sapin, a bien raison de vouloir<br />
mettre sur la table le financement des organisations<br />
professionnelles. C’est la seule façon<br />
de leur faire accepter une réforme de fond du<br />
dispositif de la formation professionnelle.<br />
Mais il y a un deuxième blocage, celui qui<br />
provient de tous les acteurs du secteur : les<br />
organismes collecteurs – les fameux<br />
Raymond Soubie considère que « le financement syndical<br />
Opca –, bien sûr, mais aussi les quelque<br />
doit faire son aggiornamento, comme le financement<br />
des partis politiques il y a quelques années ». [CHAMUSSY/SIPA]<br />
160 000 prestataires de formation. Il y
Le droit et l’audace<br />
105 avocats<br />
un cabinet full service<br />
Corporate - Social - Médias IP IT - Public Réglementaire<br />
Fiscal - Concurrence Consommation Distribution<br />
Contentieux Arbitrage<br />
réseau<br />
144 cabinets, 22 pays,<br />
9000 avocats<br />
bureaux<br />
3Paris<br />
Bruxelles<br />
Casablanca<br />
recrutement : www.august-debouzy.com