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POUR MOINS - La Tribune

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ENQUÊTE<br />

Angry Birds, Candy Crush, ces jeux qui valent des milliards P. 12-13<br />

DU VENDREDI 11 AU JEUDI 17 OCTOBRE 2013 – N O 62 www.latribune.fr<br />

France métropolitaine - 3 €<br />

Raymond<br />

Soubie<br />

« On reparlera<br />

des retraites<br />

avant 2020. »<br />

PAGE 26<br />

L’artisan de la<br />

réforme des retraites<br />

de 2010 s’inquiète<br />

pour l’avenir de<br />

notre modèle social.<br />

ENTRETIEN AVEC AURÉLIE FILIPPETTI<br />

PLUS DE<br />

CULTURE<br />

<strong>POUR</strong> <strong>MOINS</strong><br />

« LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO <strong>POUR</strong> LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. »<br />

DE CRISE<br />

<strong>La</strong> France est une grande<br />

puissance culturelle.<br />

Comment peut-elle mieux<br />

tirer parti de cet atout<br />

pour en faire un levier<br />

de la croissance ?<br />

PAGES 4 à 7<br />

Pour la ministre<br />

de la Culture et de<br />

la Communication,<br />

« il n’y aura pas de<br />

redressement<br />

productif sans<br />

redressement<br />

créatif ».<br />

L 15174 - 62 - F: 3,00 €<br />

ENTREPRISES<br />

REBAPTISER<br />

SA SOCIÉTÉ, <strong>POUR</strong><br />

QUOI FAIRE ? P. 14-15<br />

INNOVATION<br />

LA MESURE<br />

DE SOI, NOUVELLE<br />

RÉVOLUTION 2.0 P. 16-17<br />

MÉTROPOLES<br />

ISTANBUL SAISIE<br />

PAR LA FOLIE<br />

DES GRANDEURS P. 20<br />

© ANTOINE ANTONIOL/AFP


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

COULISSES 3<br />

© BERTRAND LANGLOIS/AFP<br />

François Hollande racontait récemment une anecdote qui fait froid dans le dos.<br />

Au téléphone avec le président russe, le Premier ministre anglais, David Cameron, parlant<br />

du bombardement chimique du 21 août à Damas, évoque « la bataille de Stalingrad ».<br />

Du tac au tac, Vladimir Poutine aurait répondu : « Non, l’incendie du Reichstag ». Ambiance…<br />

Alain <strong>La</strong>mbert ressort<br />

la LOLF Ancien ministre<br />

du Budget (du gouvernement<br />

Raffarin), président du conseil<br />

général de l’Orne, Alain <strong>La</strong>mbert<br />

publie, le 16 octobre chez Armand<br />

Colin, Déficits publics,<br />

la démocratie en danger. François<br />

Hollande vient de lui confier, avec<br />

Martin Malvy, président du<br />

conseil régional de Midi-Pyrénées,<br />

lui aussi ancien ministre du<br />

Budget (du gouvernement<br />

Bérégovoy), une mission sur la<br />

maîtrise de la dépense publique.<br />

Alain <strong>La</strong>mbert, l’un des pères,<br />

avec Didier Migaud, premier<br />

président de la Cour des comptes,<br />

de la LOLF (loi organique relative<br />

aux lois de finances), devrait<br />

refaire parler de lui…<br />

JEUNES D’AVENIR<br />

À LA VILLETTE<br />

Raymond Soubie (lire<br />

p. 26), actionnaire<br />

majoritaire de l’agence<br />

d’information AEF,<br />

organise les 29 et<br />

30 novembre, à la grande<br />

halle de la Villette, le<br />

Salon Jeunes d’avenir,<br />

dédié aux jeunes<br />

de 16 à 25 ans, peu<br />

ou pas qualifiés. Placé<br />

sous le haut patronage<br />

du Premier ministre et<br />

soutenu par l’ANDRH,<br />

le Salon a pour objectif<br />

d’offrir un guichet unique<br />

des acteurs publics et<br />

privés et des dispositifs<br />

pour les jeunes : emplois<br />

d’avenir, contrats<br />

de génération,<br />

apprentissage…<br />

© KENZO TRIBOUILLARD/AFP<br />

Redressement patronal<br />

Charles Beigbeder.<br />

Verts sous pression<br />

Selon Charles<br />

Beigbeder<br />

(fondateur de<br />

Selftrade et de<br />

Poweo), candidat<br />

à l’investiture UMP<br />

aux municipales dans le 12 e arr.<br />

à Paris, « les Verts, c’est<br />

comme une pastèque : vert à<br />

l’extérieur, rouge à l’intérieur ».<br />

Une chose est sûre, l’attitude<br />

récente de Cécile Duflot a mis<br />

hors de lui François Hollande,<br />

qui a vu sa séquence Florange<br />

effacée par la polémique avec<br />

Antoine Frérot, PDG de<br />

Veolia Environnement.<br />

Le PDG de Veolia se bat pour<br />

faire comprendre à Bercy<br />

que le rôle de l’État n’est pas<br />

de définir les marchés.<br />

V<br />

ous n’imaginez pas le combat<br />

qu’il a fallu mener<br />

contre la Direction de l’Industrie<br />

pour leur faire comprendre<br />

que les 34 filières voulues par<br />

Arnaud Montebourg devaient être<br />

confiées à des chefs d’entreprise ou<br />

à des hommes des pôles de compétitivité<br />

», a soupiré Antoine Frérot,<br />

le PDG de Veolia Environnement,<br />

devant Christian <strong>La</strong>joux, le<br />

PDG de Sanofi France, et Jean-<br />

Luc Beylat, le président du pôle<br />

de compétitivité Systematic.<br />

Le patron de Veolia se bat depuis<br />

des mois pour faire comprendre à<br />

Bercy que ce n’est pas à l’État de<br />

définir les marchés et la manière de<br />

les attaquer, mais que son rôle est<br />

l’accompagnement. Pour l’instant,<br />

le Redressement productif semble l’avoir<br />

entendu, au vu de la liste Montebourg, qui a<br />

nommé Thierry Breton (Atos), Carlos Ghosn<br />

(Renault-Nissan), Paul Hermelin (Capgemini),<br />

Antoine Frérot et quelques autres dirigeants<br />

comme héraults pour coordonner son<br />

plan. Une façon de se réconcilier avec les<br />

patrons… et de préparer l’avenir. <br />

Manuel Valls sur les Roms.<br />

D’après certains responsables<br />

éminents du PS, les Verts<br />

jouent très gros aux élections<br />

municipales. S’ils confirment<br />

leur mauvais score de la<br />

présidentielle, le président<br />

pourrait s’en passer dans le<br />

prochain gouvernement. Dans<br />

les dîners en ville, Alain Minc<br />

lui donne en tout cas ce<br />

conseil : « Monsieur Hollande,<br />

on ne peut pas être fort face<br />

à Assad et faible face à Duflot.<br />

Virez-les ! »<br />

© ERIC PIERMONT/AFP<br />

Vladimir Poutine.<br />

TREMPLIN Pour la<br />

6 e édition des Jeco, les<br />

Journées de l’économie,<br />

du 14 au 16 novembre, à<br />

Lyon, Pascal Le Merrer<br />

recevra Mario Monti<br />

pour ouvrir le cycle<br />

de conférences sur<br />

le thème « Reconstruire<br />

la confiance ». On attend<br />

Pierre Gattaz, Benoît<br />

Hamon, Chantal Jouanno,<br />

Dominique Bertinotti,<br />

autour du sénateur maire<br />

de Lyon, Gérard Collomb,<br />

qui cherche ainsi<br />

à s’affirmer comme<br />

possible futur ministre<br />

de l’Économie.<br />

Un exil fiscal de Plus<br />

Olivier Duha, ancien président<br />

de l’association patronale<br />

CroissancePlus et coprésident<br />

fondateur de Webhelp, l’un<br />

des leaders français des centres<br />

d’appels, part pour la Belgique.<br />

Non pas pour y diriger le centre<br />

du groupe à Bruxelles, mais pour<br />

des raisons fiscales. Il fait partie<br />

de la dernière vague d’exilés qui,<br />

au dire d’un bon connaisseur<br />

des jeunes dirigeants fortunés,<br />

ne cesse de s’amplifier.<br />

Les syndicats en veulent<br />

à L’Express Les syndicats sont<br />

furieux contre Christophe<br />

Barbier, le patron de L’Express,<br />

après la publication, le<br />

25 septembre, du dossier Pourquoi<br />

les syndicats sont nuls. Des<br />

représentants de la CFDT parlent<br />

de « dangereuse dérive populiste ».<br />

Autre reproche fait au magazine :<br />

avoir publié les extraits d’un livre<br />

dénonçant la gestion des comités<br />

d’entreprise. « Ce livre racoleur ne<br />

fait que reprendre les 4 ou 5 cas de<br />

dérives constatées et connues. »<br />

Une question revient : « Qui a<br />

intérêt à cogner ainsi sur les corps<br />

intermédiaires ? »<br />

© ANTON DENISOV/AFP<br />

SOMMAIRE<br />

COULISSES<br />

3 > Redressement patronal.<br />

L’ÉVÉNEMENT<br />

4 <strong>La</strong> culture, levier de sortie de crise.<br />

6 L’autre vertu du mécénat : donner des couleurs<br />

aux entreprises.<br />

> Capitale européenne de la culture, à qui le tour ?<br />

7 Entretien avec Aurélie Filippetti, ministre de la<br />

Culture et de la Communication : « L’investissement<br />

créatif, c’est rentable et ça rapporte ! »<br />

LE BUZZ<br />

8 L’ŒIL DE PHILIPPE MABILLE<br />

Des Assises de la Liberté.<br />

Web TV de latribune.fr<br />

Xavier Fontanet, ancien président d’Essilor :<br />

« Arrêtons les subventions aux entreprises,<br />

baissons les impôts. »<br />

9 Les Allemands aussi se mettent<br />

à la voiture électrique.<br />

10 Comment Air France<br />

en est arrivé là ?<br />

12 Candy Crush,<br />

Angry Birds : ces jeux<br />

qui valent des milliards.<br />

L’ENQUÊTE<br />

14 Un nouveau nom, mais pour quoi faire ?<br />

ENTREPRISES & INNOVATION<br />

16 <strong>La</strong> mesure de soi sera-t-elle la prochaine<br />

révolution 2.0 ?<br />

TERRITOIRES / FRANCE<br />

18 Bordeaux, capitale mondiale des hydroliennes<br />

fluviales en 2014.<br />

TERRITOIRES / INTERNATIONAL<br />

20 Istanbul, la mégapole eurasienne saisie par la folie<br />

des grandeurs.<br />

LES IDÉES / LES CHRONIQUES<br />

22 Les futurs choix pour l’Europe d’Angela Merkel.<br />

Par Jean Pisani-Ferry, commissaire général<br />

à la stratégie et à la prospective.<br />

23 Nous citoyens : « Unissons nos forces pour débrider<br />

le potentiel de la France. » Par Denis Payre,<br />

fondateur de CroissancePlus.<br />

LES LIVRES / LES CHRONIQUES<br />

24 Nassim Taleb : « Je m’adapte, donc je suis. »<br />

25 À New York aussi, un parc<br />

sur une ligne de chemin de fer.<br />

> ON EN PARLE À BRUXELLES,<br />

LE CARNET DE FLORENCE AUTRET<br />

Gouvernance de la zone euro, le dilemme de Mosco.<br />

L’INTERVIEW<br />

26 Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas<br />

Sarkozy, président des sociétés de conseil Alixio et<br />

Taddeo : « On reparlera des retraites avant 2020. »


4<br />

L’ÉVÉNEMENT<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

117 milliards<br />

d’euros de chiffre<br />

d’affaires, c’est ce qu’a<br />

rapporté le tourisme<br />

culturel en France en<br />

2009, soit 6 % du PNB.<br />

Source : Icomos.<br />

© UNESCO / MICHEL RAVASSARD<br />

«Une nouvelle économie<br />

de la culture et surtout une<br />

nouvelle vision du rôle de celle-ci<br />

dans nos sociétés sont en train<br />

d’émerger. »<br />

IRINA BOKOVA, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’UNESCO<br />

Emplois culturels D’après<br />

une étude Ineum Consulting/Kurt Salmon pour<br />

le Forum d’Avignon 2010, à l’échelle européenne<br />

l’emploi culturel représente 3,1 % de la population<br />

active pour 2,6 % du PIB, et un CA de 654 Mds €.<br />

Aux États-Unis, 1 dollar public investi dans<br />

une activité artistique a un effet multiplicateur<br />

de cinq sur l’ensemble de l’activité économique.<br />

LA CULTURE, LEVIER D<br />

LES FAITS <strong>La</strong> culture a la cote<br />

en période de crise et sert<br />

de levier de croissance pour<br />

renforcer l’attractivité d’un<br />

territoire. Après Bilbao et Lille,<br />

Lens, Marseille ou Metz jouent<br />

à fond cette carte. Tout comme<br />

les pays émergents.<br />

LES ENJEUX Tendance plus<br />

récente, l’art au sens large est<br />

aussi vu comme un facteur de<br />

dynamisme par les entreprises<br />

qui investissent dans la culture<br />

et les industries culturelles.<br />

VALÉRIE ABRIAL<br />

<strong>La</strong> culture, nouvel eldorado<br />

pour la France, qui<br />

est clairement une<br />

g r a n d e p u i s sa n c e<br />

potentielle dans ce<br />

domaine (voir graphique cicontre)<br />

? <strong>La</strong> question suscite un<br />

intérêt grandissant depuis que le<br />

secteur culturel est reconnu comme<br />

un facteur de croissance réel. Sa<br />

valeur ajoutée en termes de création<br />

d’emplois, d’attractivité et de<br />

cohésion sociale contribue pleinement<br />

à la relance économique.<br />

<strong>La</strong>ure Kaltenbach et Olivier Le<br />

Guay, respectivement directrice et<br />

responsable éditorial du Forum<br />

d’Avignon, en sont convaincus : « <strong>La</strong><br />

nouvelle économie créative possède<br />

un potentiel considérable et peut être<br />

envisagée comme un instrument de<br />

sortie de crise. »<br />

Illusoire ? Pas vraiment. Déjà, au<br />

début du XX e siècle, pendant la<br />

grande crise des années 1930, le<br />

président américain F. D. Roosevelt<br />

avait inclus dans son New Deal un<br />

audacieux programme de redressement<br />

économique par la culture, et<br />

plus spécifiquement par l’art. Plus<br />

proche de nous, les années 1980 de<br />

l’ère Mitterrand ont marqué la<br />

France d’un soutien sans faille aux<br />

acteurs culturels, sous la houlette<br />

de Jack <strong>La</strong>ng. De nouvelles structures<br />

et institutions ont germé et un<br />

florilège incroyable de festivals a<br />

parsemé la France. Le scénario est<br />

vertueux : le dynamisme culturel<br />

rend le territoire plus attractif, attire<br />

les visiteurs et les habitants, relance<br />

la consommation, les emplois et in<br />

fine favorise le développement économique.<br />

« <strong>La</strong> culture est un formidable<br />

levier de croissance », poursuit<br />

<strong>La</strong>ure Kaltenbach. Exemple incontournable<br />

: Lille. En devenant capitale<br />

européenne de la culture en<br />

2004, elle a su démontrer la pertinence<br />

de ce choix : en investissant<br />

74 millions d’euros, dont 20 % en<br />

provenance du secteur privé, la ville<br />

a affiché un résultat de 2,5 millions<br />

d’euros de bénéfices après impôts.<br />

L’AVÈNEMENT<br />

DU « TOUT-CULTUREL »<br />

On comprend que beaucoup de<br />

collectivités aient voulu suivre son<br />

exemple, comme Metz, Lens et<br />

Marseille (lire page 6) et que tous<br />

les territoires s’en soient inspirés,<br />

tout comme les entreprises qui<br />

cherchent elles aussi à mesurer<br />

l’impact des investissements culturels<br />

sur leur économie propre.<br />

Signe extérieur du changement,<br />

l’art est aujourd’hui partout ! Il n’est<br />

plus le parent pauvre de l’économie,<br />

bien au contraire, il est devenu un<br />

atout de poids. Preuve en est les<br />

investissements phénoménaux de<br />

certains pays qui, à l’instar de l’Espagne<br />

avec Bilbao, veulent leur<br />

« Guggenheim » à tout prix. À la fin<br />

des années 1990, la ville basque,<br />

sinistrée par la fin de la sidérurgie,<br />

renaît de ses cendres grâce à l’implantation<br />

d’un nouveau musée<br />

d’art contemporain, antenne européenne<br />

de la Fondation Guggenheim<br />

de New York, signée par l’un<br />

des plus prestigieux architectes au<br />

monde, Franck Gehry. Le succès est<br />

spectaculaire. Dix ans après son<br />

ouverture, le Guggenheim de Bilbao<br />

affiche 1 million de visiteurs par<br />

an, a généré 4 500 emplois directs<br />

et indirects et participe à hauteur<br />

de 1,57 milliard d’euros à l’économie<br />

du pays.<br />

Dès lors, on ne s’étonnera pas que<br />

villes et pays du monde entier souhaitent<br />

suivre l’exemple. Les pays<br />

émergents sont les premiers à avoir<br />

adopté de nouvelles politiques de<br />

développement culturel : parmi eux,<br />

la Chine et son ambitieux projet de<br />

5 000 nouveaux musées pour 2014 !<br />

De son côté, le Brésil souhaite<br />

construire 300 centres artistiques ;<br />

il est suivi de près par le Mexique,<br />

qui a fait de la culture son fer de<br />

lance pour redresser l’économie du<br />

pays, tout comme l’Inde et l’Indonésie.<br />

Les pays arabes ne sont pas en<br />

reste, puisqu’ils préparent l’aprèspétrole<br />

en investissant des sommes<br />

gigantesques dans des infrastructures<br />

culturelles majeures.<br />

Le « Louvre des sables » à Abu<br />

Dhabi, dont l’ouverture est prévue<br />

en 2015, est l’exemple type de cette<br />

nouvelle économie. <strong>La</strong> directrice<br />

générale de l’Unesco, Irina Bokova,<br />

en est certaine : « Cette nouvelle<br />

approche de la culture s’intègre dans<br />

une nouvelle économie de la connaissance,<br />

où l’innovation et la créativité<br />

sont les moteurs de la croissance. <strong>La</strong><br />

culture occupe progressivement une<br />

place centrale dans les politiques<br />

nationales du développement. Il suffit<br />

de penser que ces jours-ci, le<br />

Bureau d’analyse économique des<br />

États-Unis, l’institution en charge<br />

des statistiques économiques, va


L’ÉVÉNEMENT 5<br />

VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

500 millions d’euros<br />

Ce sont, selon le ministère de la Culture,<br />

les recettes directes générées par<br />

le patrimoine culturel en France,<br />

qui lui-même en générerait indirectement<br />

21 millions dans les secteurs du tourisme,<br />

du bâtiment et des métiers d’art.<br />

LE « PONT » D’AVIGNON Créé<br />

en 2008, le Forum d’Avignon est<br />

un laboratoire d’idées qui a pour<br />

objectif d’approfondir les liens<br />

entre les mondes de la culture<br />

et de l’économie, aux niveaux<br />

international, européen et local.<br />

<strong>La</strong> prochaine rencontre<br />

internationale, dédiée aux<br />

« Pouvoirs de la culture », se tiendra<br />

du 21 au 23 novembre.<br />

© THIBAUT VOISIN<br />

«Notre rôle est aussi de créer<br />

une relation étroite avec tous<br />

les acteurs de la création, car<br />

ils sont le poumon d’une nouvelle<br />

forme d’économie. »<br />

GUILLAUME HOUZÉ, DIRECTEUR DU MÉCÉNAT<br />

DU GROUPE GALERIES LAFAYETTE<br />

E SORTIE DE CRISE<br />

changer la façon dont le PNB américain<br />

est calculé en introduisant la<br />

créativité dans les comptes économiques<br />

nationaux. C’est la marque<br />

d’un changement. »<br />

LA FORCE DE L’ÉCONOMIE<br />

CRÉATIVE<br />

En presque vingt ans, le secteur<br />

culturel a pris une telle place dans<br />

les politiques de développement<br />

qu’il est devenu incontournable, dès<br />

lors que l’on parle de valeurs économiques,<br />

sociales et créatives. Et la<br />

créativité est de loin le sujet à la<br />

mode ces derniers temps. Déjà en<br />

1994, les sociologues anglais Scott<br />

<strong>La</strong>sh et John Urry présentaient le<br />

concept de « culturation » de l’économie<br />

et de l’industrie, mettant en<br />

avant la prise de conscience nécessaire<br />

des dirigeants d’entreprise<br />

envers l’impératif créatif à des fins<br />

de développement. En 2013, l’ère de<br />

l’hypertechnologie est dépassée ; les<br />

compétences technologiques et<br />

scientifiques ne suffisent plus à la<br />

réussite d’un produit ou d’un service.<br />

Les dimensions esthétiques et<br />

émotionnelles sont devenues indispensables.<br />

Et quand on sait que derrière les<br />

trois fondateurs de Pinterest se<br />

cache un architecte designer, le<br />

concept prend tout son sens. Les<br />

frontières entre les territoires économiques<br />

et culturels n’ont plus<br />

lieu d’exister. Le monde se décloisonne<br />

pour se réinventer ; il cherche<br />

des solutions à la crise. Art et économie<br />

font bon ménage et la vieille<br />

rengaine des années 1950 scandée<br />

par le designer Raymond Loewy –<br />

« Le beau fait vendre » – est plus que<br />

jamais d’actualité. Apple a été l’un<br />

des premiers groupes à utiliser la<br />

créativité esthétique pour séduire<br />

de nouveaux marchés, à tel point<br />

qu’au moment de la mort de son<br />

fondateur on saluait l’œuvre de<br />

Steve Jobs « l’artiste visionnaire ».<br />

LE DÉVELOPPEMENT<br />

« ARTY » DES ENTREPRISES<br />

C’est un fait aujourd’hui : les entrepreneurs<br />

deviennent artistes et les<br />

artistes deviennent entrepreneurs,<br />

à l’instar de l’anglais Damien Hirst,<br />

véritable business man quand il<br />

s’agit de vendre ses œuvres et de<br />

sauvegarder sa cote. Les sphères se<br />

mélangent, laissant place à de nouveaux<br />

fonctionnements qui entremêlent<br />

le commercial et le créatif,<br />

l’industrie, l’art et l’économie…<br />

Dans son dernier ouvrage (L’esthétisation<br />

du monde : vivre à l’âge<br />

du capitalisme artiste, coécrit avec<br />

Jean Serroy aux éditions Gallimard),<br />

Gilles Lipovetsy l’affirme<br />

clairement : « L’ère hypermoderne a<br />

développé cette dimension artiste au<br />

point d’en faire un élément majeur<br />

du développement des entreprises,<br />

un secteur de valeur économique, un<br />

gisement chaque jour plus important<br />

de croissance et d’emplois. » C’est ce<br />

qu’il appelle le « capitalisme<br />

artiste », désignant l’utilisation de<br />

l’esthétisme et de la créativité à des<br />

fins de rentabilité financière.<br />

Le groupe LVMH a été l’un des<br />

premiers à mettre en œuvre une<br />

© BRUNO KHOURY<br />

telle stratégie. Résultat ? Quand la<br />

direction de Louis Vuitton décide<br />

en décembre 2006 d’exposer l’artiste<br />

danois Olafur Eliasson dans<br />

ses vitrines, sans qu’aucun des<br />

produits de la marque y soit installé,<br />

le groupe réalise l’un de ses<br />

plus gros chiffres d’affaires pour la<br />

période de Noël.<br />

Au sein du groupe Galeries <strong>La</strong>fayette,<br />

le lien avec l’art fait partie de<br />

l’histoire de l’enseigne. Sous l’impulsion<br />

familiale, le grand magasin<br />

a toujours soutenu la création et ce<br />

n’est pas l’arrière-arrière-petit-fils<br />

du fondateur des Galeries <strong>La</strong>fayette,<br />

Guillaume Houzé, qui le<br />

contredira. Aujourd’hui directeur<br />

du mécénat du groupe (antenne<br />

créée en 2010), il rappelle à quel<br />

point « le lien aux arts plastiques<br />

fait partie du code génétique de la<br />

marque » ; lien confirmé en 2001<br />

( Pourquoi les entreprises investissent-elles de plus<br />

en plus dans le culturel ?<br />

PASCALE CAYLA – Le modèle a fait ses preuves.<br />

Les grands groupes et multinationales ont montré<br />

l’exemple. Ils ont su améliorer leur productivité<br />

et rentabilité en impulsant une nouvelle<br />

dynamique par la créativité et l’art. Mais la créativité<br />

ne passe pas uniquement par le produit ou<br />

l’image d’une entreprise ; elle est indispensable<br />

à la cohésion sociale d’un groupe. Dynamiser son<br />

entreprise, c’est aussi miser sur le capital<br />

humain. De plus en plus de DRH organisent des<br />

actions culturelles pour résoudre des problèmes<br />

de transversalité entre leurs services, redonner<br />

du souffle à l’innovation et porter une attention<br />

à l’environnement de leurs collaborateurs.<br />

( <strong>La</strong> stratégie culturelle d’entreprise contribuet-elle<br />

à se démarquer de la concurrence ?<br />

Sans aucun doute. À compétences égales, c’est<br />

la valeur ajoutée qui fait la différence. C’est flagrant<br />

dans le cadre d’un appel d’offres. De plus<br />

en plus de PME gagnent des marchés grâce à<br />

cette valeur ajoutée. Investir dans la culture,<br />

c’est donner du sens et un certain engagement<br />

sociétal à son entreprise. C’est révéler les valeurs<br />

avec l’ouverture de la Galerie des<br />

Galeries (un espace d’exposition de<br />

300 m 2 à vocation non marchande)<br />

au cœur du magasin du boulevard<br />

Haussmann, à Paris.<br />

Depuis, les actions de mécénat et<br />

de soutien à la création se sont multipliées<br />

jusque dans les vitrines des<br />

magasins, qui chaque mois de juillet<br />

présentent la fine fleur de la scène<br />

arty émergeante, en partenariat<br />

avec les grandes institutions<br />

comme le centre Pompidou, le<br />

Palais de Tokyo, le musée d’Art<br />

moderne de la ville de Paris, le<br />

musée des Arts décoratifs et tout<br />

récemment les Frac (Fonds régionaux<br />

d’art contemporain). En 2016,<br />

c’est la Fondation Galeries <strong>La</strong>fayette<br />

qui verra le jour. « Au-delà de<br />

notre engagement envers la création<br />

et sa démocratisation, je suis<br />

convaincu que l’investissement<br />

TROIS QUESTIONS À…<br />

culturel répond aux grands changements<br />

structurels du monde. Nous<br />

entrons dans l’ère de l’immatériel ; on<br />

vit un moment charnière où l’Internet<br />

a bousculé nos habitudes. Le<br />

rapport à la possession s’en trouve<br />

changé. L’acte d’achat se fera de plus<br />

en plus sur le Web ; nos magasins<br />

proposeront moins de produits pour<br />

davantage de services. Et pour<br />

répondre à cette dématérialisation<br />

des choses, quoi de plus naturel que<br />

de proposer des moments d’expériences<br />

et d’émotions. »<br />

L’art pour combler le vide ? Un<br />

changement sociétal, de toute évidence.<br />

Mais qu’elle génère de la<br />

croissance ou des émotions, en<br />

trente ans la culture a réussi le pari<br />

fou de se réconcilier avec l’économie<br />

et les pouvoirs politiques, laissant<br />

espérer la naissance d’une<br />

nouvelle économie culturelle. <br />

PASCALE CAYLA<br />

Cofondatrice en 1991 de l’agence l’Art en direct, Pascale Cayla<br />

accompagne les entreprises dans leurs opérations et projets culturels.<br />

« L’enjeu de l’investissement<br />

culturel, c’est la qualité »<br />

d’un groupe et de ses dirigeants ; c’est marquer<br />

son empreinte dans un secteur. Aujourd’hui la<br />

part de RSE [responsabilité sociétale de l’entreprise,<br />

ndlr] est passée de 10 à 30 % dans les<br />

cahiers des charges. L’engagement d’une entreprise<br />

pour le bien-être de ses collaborateurs,<br />

mais aussi pour celui des citoyens, est devenu<br />

fondamental ; et l’investissement culturel participe<br />

aujourd’hui au développement durable.<br />

( Quel est le challenge de l’investissement culturel ?<br />

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que<br />

la culture est un levier de performance pour<br />

l’entreprise et donc tout le monde veut en être.<br />

Mais attention, la culture n’est pas une potion<br />

magique qui va résoudre tous les problèmes. Il<br />

ne s’agit pas de faire une opération one shot<br />

par-çi par-là, juste pour dire : « Moi aussi j’investis<br />

dans l’art et la culture… » Si vous n’êtes<br />

pas mécène par essence, il faut plus que jamais<br />

élaborer un vrai projet, avoir une stratégie. Et<br />

la stratégie indispensable c’est de faire des<br />

choix en accord avec le modèle de son entreprise.<br />

<strong>La</strong> qualité et l’intelligence du propos sont<br />

nécessaires à toute rentabilité culturelle. <br />

PROPOS RECUEILLIS PAR V. A.


6<br />

L’ÉVÉNEMENT<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

L’AUTRE VERTU DU MÉCÉNAT : DONNER<br />

DES COULEURS AUX ENTREPRISES<br />

En 2012, le budget du mécénat d’entreprise pour la culture était de 494 millions d’euros, soit 26 % du budget global, contre 19 %<br />

en 2010. Signe que, malgré le climat morose, la culture peut redonner des couleurs dans les PME/TPE… et des réductions d’impôts.<br />

VALÉRIE ABRIAL<br />

Le grand acquis de la loi de<br />

2003 relative au mécénat,<br />

c’est d’avoir permis la<br />

conquête des PME et des TPE. »<br />

Robert Fohr, responsable de la<br />

mission mécénat au ministère de<br />

la Culture et de la Communication<br />

donne le ton : « En 2012, les PME<br />

représentent 93 % des mécènes, tous<br />

secteurs confondus. »<br />

C’est un virage sans précédent<br />

dans l’histoire philanthropique de<br />

la France, peu encline à la tradition<br />

de mécénat beaucoup plus courante<br />

aux États-Unis. Et s’il est vrai<br />

que les mécènes de la culture<br />

comptent plus de grandes entreprises<br />

(plus de 250 salariés) que la<br />

moyenne tous secteurs confondus,<br />

c’est que leur plus forte résistance<br />

à la crise leur permet de préserver<br />

le budget qu’ils y allouent.<br />

Mais c’est aussi une histoire de<br />

conviction. Car, si l’engagement<br />

citoyen sert à valoriser l’image de<br />

l’entreprise, la créativité et l’art<br />

s’avèrent être porteurs de bien-être<br />

pour le groupe, allant jusqu’à révéler<br />

l’investissement culturel comme<br />

un formidable bouclier anticrise.<br />

Angélique Aubert, ancienne responsable<br />

de mécénat d’un grand<br />

groupe bancaire, directrice du<br />

mécénat de la foncière Emerige<br />

(comptant 45 salariés) depuis<br />

juin 2013, se souvient que, « au<br />

moment du krach boursier d’octobre<br />

2008, la banque avait hésité<br />

à réduire le budget de ses actions<br />

culturelles. Mais devant leur succès,<br />

le programme a été maintenu.<br />

Nous avons été obligés de faire<br />

sortir des personnes qui venaient<br />

assister à une conférence sur<br />

Picasso pendant l’heure du déjeuner,<br />

car il y avait trop de monde.<br />

Nous n’avions jamais connu un tel<br />

succès alors que nous vivions une<br />

pleine période de crise. »<br />

L’IMPORTANT :<br />

TRANSMETTRE SA PASSION<br />

Porteur de retombées indirectes<br />

sur la productivité, le bien-être<br />

des collaborateurs d’une entreprise<br />

est une valeur reconnue<br />

dans sa rentabilité. Du coup, les<br />

dirigeants des PME et TPE n’hésitent<br />

plus à faire partager leurs<br />

passions à leurs salariés. Car c’est<br />

souvent à leur initiative que l’entreprise<br />

s’engage dans le culturel.<br />

Certains sont passionnés d’art<br />

contemporain, d’autres d’opéra ou<br />

de danse ; peu importe le domaine,<br />

transmettre sa passion devient un<br />

vrai moteur. Et les formes de<br />

mécénat ont largement évolué en<br />

dix ans. Le soutien systématique<br />

et finalement peu risqué aux<br />

grandes institutions, expositions<br />

et autres festivals à dimension<br />

internationale est de moins en<br />

moins suivi.<br />

Aujourd’hui, il s’agit de donner<br />

du sens à ses actions de mécénat.<br />

FOCUS<br />

<strong>La</strong> loi Aillagon fête<br />

ses dix ans<br />

<strong>La</strong> loi de 2003 relative au mécénat propose un<br />

certain nombre de mesures fiscales aux particuliers<br />

et aux entreprises. Elle a été mise en<br />

place par le ministre de la Culture de l’époque,<br />

Jean-Jacques Aillagon, et a survécu à la rigueur<br />

budgétaire. Parmi les dispositions destinées<br />

aux entreprises, l’une des plus connues est celle<br />

liée au régime général : une réduction d’impôt<br />

égale à 60 % du montant du don, dans la limite<br />

de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxes. <br />

Est-ce pour autant la raison qui<br />

pousserait les petites et moyennes<br />

entreprises à s’engager sur le terrain<br />

culturel ? Pour Charlotte<br />

Dekoker, en charge du secteur<br />

culturel à l’Admical (carrefour du<br />

mécénat d’entreprise), « il y a un<br />

aspect de communication, c’est sûr,<br />

mais pas seulement, car le mécénat<br />

n’est pas de la publicité. En<br />

revanche, par le choix de son mécénat,<br />

une entreprise exprime ce<br />

qu’elle est réellement. Et affirmer<br />

ses valeurs, c’est de plus en plus<br />

important de nos jours. C’est également<br />

un moyen de développer un<br />

ancrage territorial fort et de développer<br />

un nouveau réseau. Mais on<br />

le voit bien aujourd’hui, ce qui<br />

prime avant tout c’est l’idée de<br />

transmettre la connaissance, et<br />

l’envie de montrer un engagement<br />

citoyen fort ».<br />

L’entreprise comme outil de<br />

démocratisation culturelle ? Il n’y<br />

a qu’un pas à franchir. <br />

Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture<br />

des gouvernements Raffarin I et II. [THOMAS SAMSON]<br />

CAPITALE EUROPÉENNE<br />

DE LA CULTURE, À QUI LE TOUR ?<br />

Plus qu’un challenge, décrocher le titre de capitale européenne de la culture est devenu le passage obligé de toute ville<br />

qui souhaite redorer son image et redresser son économie.<br />

Bien sûr, il y a Lille, la référence<br />

dans l’histoire des<br />

capitales européennes de<br />

la culture (CEC). Mais il y a aussi<br />

Gênes, Glasgow ou encore Essen<br />

qui ont vécu une véritable renaissance<br />

en misant sur le culturel.<br />

Certaines connaissent même<br />

une résurrection, comme Liverpool<br />

en 2008 et ses 9 millions<br />

d’euros de bénéfices, ses 5,2 millions<br />

de visiteurs et la hausse vertigineuse<br />

(65 %) de la fréquentation<br />

de ses musées.<br />

À ce régime-là, qui ne voudrait<br />

pas en être ? Même si certaines<br />

villes n’ont pas toujours su relever<br />

le défi, comme Thessalonique,<br />

Patras ou Istanbul, faute d’une<br />

bonne gestion financière. Mais<br />

depuis presque trente ans que les<br />

CEC existent, les villes candidates<br />

ont appris à tirer parti des expériences<br />

du passé. Et quand Marseille<br />

pose sa candidature pour<br />

© LISA RICCIOTTI<br />

Le 30 juin, le Mucem avait déjà accueilli 1 million des 3,5 millions<br />

de visiteurs de Marseille, capitale européenne de la culture 2013.<br />

l’année 2013, c’est tout un aréopage<br />

qui se déplace à la Commission<br />

européenne de Bruxelles.<br />

Jean-Claude Gaudin, le maire,<br />

est accompagné des représentants<br />

des conseils général et<br />

régional, mais aussi du président<br />

de la CCI, Jacques Pfister, et<br />

d’une délégation de chefs d’entreprise.<br />

En face et en lice : Bordeaux,<br />

représenté par le seul<br />

Alain Juppé. Il ne fera pas le<br />

poids. Quand une ville se mobilise<br />

à ce point, il y a fort à parier<br />

que l’objectif est prometteur. Et,<br />

de fait, le 30 juin dernier, la cité<br />

phocéenne dépassait largement<br />

ses prévisions : au lieu des 2 millions<br />

de visiteurs attendus à cette<br />

date, leur nombre réel s’élevait<br />

déjà à 3,5 millions, le Mucem<br />

(musée des Civilisations de l’Europe<br />

et de la Méditerranée) en<br />

réunissant à lui seul presque<br />

1 million. Corinne Brenet, présidente<br />

fondatrice de Mécènes du<br />

Sud et directrice générale d’une<br />

société de courtage, a été l’une<br />

des premières à défendre la candidature<br />

marseillaise : « Avec<br />

660 millions d’euros d’investissement<br />

public et privé, ce sont plus<br />

de 20 grands chantiers qui ont été<br />

réalisés. Le visage de la ville s’est<br />

complètement transformé. Et<br />

l’impact direct sur l’hôtellerie et<br />

les grandes enseignes y est frappant<br />

; tout comme l’activité des<br />

croisiéristes, qui s’est accélérée. »<br />

ATTENTION À NE PAS<br />

TOMBER DANS L’ANGÉLISME<br />

Et quand on l’interroge sur le<br />

cap à tenir, Corinne Brenet est<br />

sans détour : « Dans un tel projet,<br />

penser l’après-2013, c’était fondamental.<br />

Nous n’avions pas les<br />

moyens de faire un tel investissement<br />

pour une année seulement.<br />

Il est évident que toutes ces<br />

actions ont une stratégie à long<br />

terme. C’est le but : redresser notre<br />

image et notre économie. »<br />

C’est clair : sans gestion efficiente,<br />

pas de retour sur investissement.<br />

Et Françoise Benhamou,<br />

économiste spécialiste de la<br />

culture, de rappeler qu’« il ne faut<br />

pas oublier qu’investir dans la<br />

culture génère inévitablement des<br />

dépenses avec des budgets de fonctionnement<br />

souvent importants. Le<br />

danger serait d’avoir une vision<br />

angélique de la culture. Or la<br />

culture n’est pas un remède à elle<br />

seule, c’est un outil qui génère un<br />

apport économique plus indirect<br />

que direct. Mais c’est aussi et surtout<br />

un élément de bien-être, du<br />

vivre ensemble, de la qualité de vie<br />

et de la citoyenneté. » Une question<br />

d’équilibre, en somme. V. A.


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

L’ÉVÉNEMENT 7<br />

AURÉLIE FILIPPETTI<br />

MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION<br />

« L’INVESTISSEMENT CRÉATIF,<br />

C’EST RENTABLE ET ÇA RAPPORTE ! »<br />

Pour Aurélie Filippetti, la France a des atouts majeurs à faire valoir dans le secteur des industries<br />

culturelles, qui, souligne-t-elle, jouent un rôle majeur dans la croissance économique. <strong>La</strong> ministre<br />

veut créer un modèle dans lequel les sphères publique et privée travailleront main dans la main.<br />

Elle envisage même de promouvoir l’entreprise comme un nouvel espace d’exposition.<br />

PROPOS RECUEILLIS PAR<br />

VALÉRIE ABRIAL ET DELPHINE CUNY<br />

( LA TRIBUNE – En période de<br />

crise, avec un budget en baisse, comment<br />

faire de la culture un levier de<br />

croissance ?<br />

AURÉLIE FILIPPETTI – Au moment<br />

où l’on doit se positionner à l’échelle<br />

de la mondialisation, la culture<br />

constitue – pour parler un langage<br />

économique – un avantage comparatif<br />

énorme de la France, un<br />

moyen de se différencier. Elle a permis<br />

à la France d’acquérir une excellence,<br />

des savoir-faire, un rayonnement<br />

international et une<br />

attractivité, au sens touristique et<br />

en termes d’image. <strong>La</strong> culture génère<br />

des externalités positives infiniment<br />

supérieures à ce qu’elle<br />

coûte en investissement. Par<br />

exemple, un euro investi dans le<br />

Festival d’Aix-en-Provence en rapporte<br />

10 et, à Bussang, dans les<br />

Vosges, il en rapporte 4. Marseille,<br />

capitale européenne de la culture<br />

2013, a d’ores et déjà recueilli six<br />

fois plus de retombées économiques<br />

que les sommes investies au<br />

total par le public et le privé.<br />

Pour les territoires, investir dans la<br />

culture permet de relancer une attractivité,<br />

une économie, une<br />

image, qui génèrent des investissements<br />

dans d’autres secteurs de<br />

l’économie, et cela crée de l’emploi.<br />

<strong>La</strong> culture est sous-estimée dans<br />

son apport à l’économie globale.<br />

C’est pourquoi je mets l’accent sur<br />

ce formidable levier de développement.<br />

En période de crise, où l’on<br />

doit justifier les investissements<br />

publics, je souhaite montrer que la<br />

culture ne se résume pas à des subventions<br />

qui tombent comme une<br />

manne pour des activités de divertissement,<br />

mais qu’il s’agit d’un investissement<br />

qui rapporte.<br />

( Peut-on mesurer cet impact<br />

économique ?<br />

Je dis toujours qu’il n’y aura pas de<br />

redressement productif sans<br />

redressement créatif. Nous voulons<br />

montrer que l’investissement créatif<br />

est un investissement rentable.<br />

Je pourrais vous citer des dizaines<br />

d’exemples. Depuis la création du<br />

Grand Louvre, les touristes restent<br />

en moyenne une nuitée de plus, ce<br />

qui représente de 15 000 à 20 000<br />

emplois induits. Lille, en faisant le<br />

choix de la culture, connaît un<br />

retour sur investissement extrêmement<br />

important. Je souhaite modéliser<br />

cet impact de la culture. Avec<br />

Pierre Moscovici, le ministre de<br />

l’Économie et des Finances, nous<br />

avons confié une mission à l’Inspection<br />

générale des affaires culturelles<br />

et à l’Inspection générale des<br />

finances afin d’évaluer le poids de<br />

la culture dans l’économie, au<br />

sens large : nous aurons les<br />

conclusions en novembre. Je veux<br />

pouvoir valoriser toutes ces externalités<br />

positives de la culture,<br />

parfois perçue à Bercy comme un<br />

luxe superflu…<br />

Lors de la campagne des élections<br />

européennes, l’an prochain,<br />

il faudra mettre<br />

en avant l’importance<br />

de la culture<br />

dans la construction<br />

de l’identité<br />

e u r o p é e n n e<br />

m a i s a u s s i<br />

dans le positionnement<br />

de l’Europe<br />

Aurélie Filippetti travaille,<br />

en association avec Pierre<br />

Moscovici, à modéliser l’impact<br />

des investissements culturels<br />

sur l’économie française, afin<br />

de les valoriser. [MCC/D. PLOWY]<br />

dans l’économie globale. <strong>La</strong> première<br />

industrie exportatrice des<br />

États-Unis est le divertissement,<br />

ce qui leur donne une influence<br />

considérable, puisque les gens<br />

dans le monde entier ont ensuite<br />

envie de vivre et de consommer<br />

américain. Ce sont des enjeux<br />

stratégiques, économiques et de<br />

souveraineté majeurs.<br />

( Est-ce un changement de philosophie<br />

dans le soutien à la culture que de<br />

baisser les subventions, notamment à<br />

la consommation, et de privilégier<br />

désormais l’investissement ?<br />

C’est vrai, ce type de mesure ne<br />

marche pas. Certes, lorsque nous<br />

abaissons la TVA sur les tickets de<br />

cinéma à 5 % au 1 er janvier 2014,<br />

l’objectif est de relancer la consommation,<br />

mais pas en donnant<br />

une aide publique. C’est<br />

cela, finalement, le succès<br />

de l’exception<br />

culturelle française :<br />

des modes de financement<br />

astucieux<br />

de la culture, plutôt<br />

que des subventions<br />

pures, avec<br />

des mécanismes<br />

f i s c a u x , d e s<br />

comptes de soutien,<br />

s’appuyant<br />

sur l’idée qu’il faut<br />

faire financer en<br />

amont la production<br />

par ceux qui<br />

diffusent les œuvres.<br />

Demain, il faudra<br />

une contribution<br />

sur les terminaux<br />

connectés,<br />

car ce sont<br />

des produits,<br />

qui plus est<br />

d’importation,<br />

servant à consommer des<br />

contenus culturels : cela fait partie<br />

de la modernisation des outils de<br />

financement. Une taxe à un taux<br />

très faible avec une assiette large<br />

serait relativement indolore pour le<br />

consommateur. Nous en discuterons<br />

en 2014.<br />

Nous devons aussi redéfinir nos<br />

priorités. Nous étudions ainsi la<br />

réforme du crédit d’impôt jeux<br />

vidéo, car c’est un secteur d’excellence<br />

française, à très haute valeur<br />

ajoutée, qui doit être une priorité :<br />

de très petites<br />

entreprises ont du<br />

mal à passer au<br />

stade d’ETI. Il faut<br />

aussi éviter la fuite<br />

des talents, alors<br />

que le Québec et le<br />

Canada ont mis en<br />

place un système<br />

très attractif pour<br />

les jeunes développeurs<br />

et ingénieurs. J’aimerais<br />

également que l’on améliore le crédit<br />

d’impôt cinéma international,<br />

pour attirer les tournages, en augmentant<br />

le plafond de 10 à 15 millions<br />

d’euros, ce qui ne coûterait<br />

rien.<br />

J’ai aussi dégagé 20 millions d’euros<br />

pour l’Ifcic, l’Institut pour le financement<br />

du cinéma et des industries<br />

culturelles, qui permettra de mettre<br />

en place un dispositif d’aide par la<br />

BPI, avec un effet multiplicateur de<br />

cinq, soit 100 millions d’euros de<br />

garanties et d’avances, afin d’aider<br />

les petites entreprises des industries<br />

créatives, qui souffrent souvent<br />

de problèmes structurels de<br />

trésorerie.<br />

( Vous avez sauvé la loi relative au<br />

mécénat, dite « loi Aillagon », dont<br />

les dispositifs fiscaux encouragent<br />

l’investissement culturel. Envisagezvous<br />

de nouvelles mesures en faveur<br />

des entreprises ?<br />

Il existe un réel écosystème culturel<br />

qui met en jeu des financements,<br />

parmi lesquels la participation<br />

des entreprises du secteur<br />

privé. Le champ culturel est un<br />

terreau d’innovation économique<br />

et financière. <strong>La</strong> loi sur le mécénat,<br />

dont on fête les dix ans cette<br />

année, est la loi la plus avantageuse<br />

au monde pour stimuler le<br />

«Demain, il<br />

faudra une<br />

contribution sur<br />

les terminaux<br />

connectés. »<br />

mécénat. Il faut désormais aller<br />

encore plus loin. Nous travaillons<br />

à l’amélioration du fonctionnement<br />

pour les PME, car on arrive<br />

vite à un plafond. Une charte est<br />

en cours de rédaction par la mission<br />

mécénat du ministère de la<br />

Culture. Elle sera une sorte de<br />

vade-mecum et va notamment<br />

clarifier les règles s’appliquant au<br />

mécénat de compétences [par<br />

lequel une entreprise délègue gracieusement<br />

du personnel volontaire<br />

au profit de fondations ou<br />

d’associations, sur le temps de<br />

travail, ndlr].<br />

Il faut développer aussi le mécénat<br />

des particuliers, encore<br />

méconnu, qui peut permettre de<br />

m o b i l i s e r d e s<br />

m i l l i e r s d e<br />

donateurs sur<br />

une œuvre très<br />

connue, comme<br />

les Trois Grâces<br />

de Lucas Cranach<br />

au Louvre,<br />

ou le Chêne de<br />

Flagey de Gustave<br />

Courbet au<br />

musée Courbet d’Ornans. Je veux<br />

également encourager et valoriser<br />

le nouveau mécénat « participatif<br />

» par les réseaux (le crowdfunding).<br />

C’est un investissement<br />

capital dans le monde des entreprises<br />

culturelles.<br />

( Comment encourager les PME à<br />

investir dans la culture en période de<br />

crise ?<br />

Il y a d’abord de nombreux dispositifs<br />

fiscaux. Et je souhaite faire<br />

de l’entreprise un lieu prioritaire<br />

d’expositions et de circulation des<br />

œuvres sur des lieux de passage,<br />

partout en France. Cela fait partie<br />

de cette citoyenneté culturelle.<br />

Nous avons déjà signé une<br />

convention avec la Fédération des<br />

entreprises des industries<br />

gazières et électriques, qui compte<br />

650 000 salariés. Je veux poursuivre<br />

cette démarche, car c’est<br />

aussi le rôle du ministère de valoriser<br />

les collections nationales et<br />

d’aller à la rencontre des gens là<br />

où ils se trouvent. Aujourd’hui, il<br />

y a des mesures ciblées pour les<br />

jeunes et pour les retraités, mais<br />

la période de vie active doit aussi<br />

être prise en compte. Et l’éducation<br />

artistique, qui se fait tout au<br />

long d’une vie, peut aussi se faire<br />

dans une démarche collective, sur<br />

un lieu de travail.


8<br />

LE BUZZ<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

>> IL A OSÉ LE DIRE « Nous sommes sincèrement animés du désir de faire une belle réforme<br />

de la fiscalité. » BERNARD CAZENEUVE, MINISTRE DU BUDGET, LUNDI 7 OCTOBRE, À LA SUITE DE L’ANNONCE, PAR<br />

FRANÇOIS HOLLANDE, DE PROCHAINES ASSISES DE LA FISCALITÉ.<br />

L’ŒIL DE PHILIPPE MABILLE<br />

Des Assises de la Liberté !<br />

© DR<br />

Mais dans quel cerveau dément a donc germé<br />

cette idée, heureusement sans lendemain, de<br />

taxer l’excédent brut d’exploitation des<br />

entreprises (EBE) pour trouver les 2,5 milliards<br />

d’euros manquant pour le budget<br />

2014 ? Dans le document remis par Bercy à la presse, cette<br />

mesure figure au chapitre « Encourager la croissance, la compétitivité<br />

et l’emploi » ! On ne rit pas, car ce n’est pas drôle.<br />

François Hollande aurait-il perdu le b.a.-ba (b.e.-be ?) de la<br />

réforme fiscale, qui suppose de faire la concertation avant<br />

d’annoncer les arbitrages ?…<br />

Un an après la polémique sur les plus-values de cession<br />

des entrepreneurs, il échappe de peu à une affaire des<br />

« pigeons » 2, un mauvais scénario pour un bien mauvais<br />

film. Deux retours en arrière plus tard, la taxe sur l’EBE a<br />

failli devenir une taxe sur l’ENE (excédent net d’exploitation),<br />

avant que les fiscalistes géniaux du ministère de<br />

l’Économie et des finances ne se rendent compte que l’on<br />

passait d’un « impôt imbécile », qui taxait l’investissement<br />

à venir, à un impôt simplement « idiot », taxant les entreprises<br />

ayant déjà investi et s’étant pour cela endettées…<br />

Chapeau, l’artiste ! Il a donc fallu une nouvelle fronde<br />

patronale pour qu’un peu de bon sens souffle enfin et que<br />

l’on revienne à la solution « la moins pire », celle d’une surtaxe<br />

d’impôt sur les sociétés, épargnant les PME. Et que la<br />

promesse présidentielle d’Assises de la fiscalité des entreprises,<br />

après le vote du PLF, donc en début d’année prochaine,<br />

vienne calmer un peu le jeu pour remettre enfin à<br />

plat ce grand bazar qu’est devenu le système fiscal français.<br />

Entre-temps, Pierre Gattaz, qui s’est fait un peu balader par<br />

ses interlocuteurs gouvernementaux, a fini par retrouver le<br />

goût du « patronat de combat » qui avait été la marque du<br />

début de sa campagne pour la présidence du Medef. Mardi<br />

8 octobre, lors d’une manifestation organisée à Lyon par le<br />

Medef et la CGPME qui font de nouveau front commun, 2000<br />

chefs d’entreprise ont sorti le « carton jaune » contre la hausse<br />

À Lyon, le 8 octobre, des entrepreneurs du Medef<br />

et de la CGPME, quasi unanimes pour adresser ensemble<br />

un carton jaune à François Hollande. [PHILIPPE MERLE/AFP]<br />

de la pression fiscale, des cotisations sociales, la complexité<br />

administrative et surtout l’imprévisibilité d’un gouvernement<br />

ballotté entre ses alliés turbulents écologistes et son incapacité<br />

à tenir les promesses de stabilité fiscale pourtant affirmées<br />

haut et clair par le plus haut responsable de l’État.<br />

EN QUELQUES SEMAINES, FRANÇOIS HOLLANDE<br />

a vu disparaître les effets positifs des beaux discours qu’il tient<br />

sur la compétitivité. Certes, il reste le CICE et ses vingt milliards<br />

d’euros destinés à baisser le coût du travail. Mais sinon,<br />

on nage en pleine pagaille. <strong>La</strong> pause fiscale ? Plus personne n’y<br />

croit, pas plus pour 2014 que pour 2015, alors que la France<br />

va afficher, à rebours de tous ses concurrents, le taux facial<br />

d’impôt sur les bénéfices le plus élevé d’Europe. <strong>La</strong> compensation<br />

de la hausse des cotisations employeurs pour les<br />

retraites, que s’apprête à voter le Parlement ? Personne ne sait<br />

comment et par qui elle sera financée…<br />

Le tout dans un climat politique inquiétant, à l’approche<br />

d’élections municipales et européennes de 2014 qui risquent<br />

bien de consacrer le Front national au centre de la vie politique<br />

française. Certes, le vote de Brignoles, dont le deuxième tour<br />

des cantonales partielles, dimanche 13 octobre, sera scruté<br />

avec attention, ne doit pas faire illusion. En nombre de voix,<br />

le Front national ne fait pas un score plus impressionnant que<br />

celui de 2012 dans cette petite ville du Var. Mais le grand vainqueur<br />

est l’abstention, qui a rassemblé les deux tiers des 20 728<br />

électeurs inscrits et éliminé la gauche (PS et Verts) dès le premier<br />

tour. Ajouté à l’impopularité record de l’exécutif, cela<br />

démontre de la part d’une majorité de Français un rejet des<br />

institutions et de l’ensemble des partis de gouvernement.<br />

Les zigzags actuels de la politique de François Hollande sont<br />

sans doute responsables de cette situation. Mais c’est surtout<br />

l’absence de résultats tangibles que les Français sanctionnent.<br />

<strong>La</strong> priorité donnée à la compétitivité des entreprises ne suffit<br />

pas à calmer la colère des patrons, surtout celle des petits. Les<br />

ménages se sentent les grands oubliés de la politique fiscale,<br />

même si la gauche va tenter de corriger un peu le projet de<br />

budget en faveur du pouvoir d’achat des plus modestes. <strong>La</strong><br />

reprise est là, certes, mais encore imperceptible et sans effets<br />

immédiats sur le chômage.<br />

François Hollande se félicite souvent d’avoir réussi à<br />

réformer sans conflits sociaux. Et il est vrai qu’il n’y a pour<br />

l’instant pas de grève pour menacer la brise de croissance.<br />

Mais en arrière-plan c’est une grève citoyenne qui plane,<br />

faute de parvenir à convaincre les Français que les efforts<br />

consentis vont finir par porter leurs fruits. Sortir de cette<br />

impasse sera long et difficile. Et plutôt qu’à des Assises de<br />

la fiscalité, dont sont curieusement exclus les impôts sur<br />

les ménages, la France des entrepreneurs aspire surtout à<br />

des Assises de la Liberté où l’État ferait enfin sa révolution<br />

copernicienne et chercherait enfin des solutions qui<br />

marchent pour retrouver le point de croissance qui nous<br />

manque. <br />

WEB TV / LA TRIBUNE DES DÉCIDEURS en partenariat avec<br />

« Arrêtons les subventions aux entreprises<br />

et baissons les impôts »<br />

Interrogé dans le cadre de l’émission de latribune.fr, Xavier Fontanet,<br />

ancien président d’Essilor, a répondu aux questions des internautes.<br />

© DR<br />

Le gouvernement est-il en train<br />

de se réconcilier avec l’entreprise<br />

?<br />

Il existe des signaux faibles qui sont<br />

positifs. Regardez Arnaud Montebourg,<br />

qui a remplacé dans son discours le mot<br />

entreprises par celui d’entrepreneurs. Ce<br />

n’est pas neutre. L’entrepreneur, c’est<br />

celui qui prend un risque pour tout le<br />

monde. Mais il a besoin de liberté pour<br />

affronter la concurrence. Et cette liberté<br />

s’acquiert par la confiance. Il faut changer<br />

notre modèle : en réalité, plus l’État<br />

soutient les entreprises, plus il les épuise.<br />

Arrêtons donc les subventions, et baissons<br />

les impôts.<br />

Cette concurrence que vous vantez<br />

a favorisé l’émergence du<br />

low-cost. Pensez-vous que l’optique<br />

puisse prendre ce virage ?<br />

On entend souvent dire que les verres de<br />

lunettes sont plus chers en France qu’en<br />

Allemagne. Mais en France, énormément<br />

de gens portent des Varilux, des verres<br />

plus chers, car ils sont fabriqués à l’unité.<br />

Ce n’est pas un luxe. Si le verre est moins<br />

travaillé, votre cerveau va se fatiguer, et<br />

votre productivité va baisser. On ne peut<br />

donc pas faire de low-cost en la matière.<br />

Ces prix élevés sont aussi favorisés<br />

par la prise en charge des<br />

mutuelles, souvent totale, qui<br />

arrange tout le monde ?<br />

Une minorité d’opticiens s’est mal comportée<br />

vis-à-vis des mutuelles. Il y a un<br />

travail de réconciliation à mener entre<br />

les différentes parties. Cela ne concerne<br />

pas les fabricants de verres. <br />

<br />

Interview réalisée<br />

par Thomas Blard et Éric Walther


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

LE BUZZ 9<br />

BMW i3, Volkswagen Up électrique…, les constructeurs allemands se mettent<br />

aux modèles « zéro émission ». Mais les voitures électriques ne représentent<br />

encore que 0,5 % du marché français. Les marques germaniques croient<br />

d’ailleurs davantage à l’hybride rechargeable.<br />

Les Allemands se mettent<br />

aussi à la voiture électrique<br />

<strong>La</strong> BMW i3 électrique pourra être dotée<br />

d’un prolongateur d’autonomie, pour<br />

5 000 euros de plus. [FABIAN KIRCHBAUER]<br />

ÇA Y EST, ILS ARRIVENT. Au<br />

moment même où Renault<br />

annonce qu’il va se lancer dans les<br />

hybrides car l’électrique ne suffit<br />

pas, les constructeurs allemands<br />

commercialisent leurs premiers<br />

modèles « zéro émission » de série.<br />

C’est à la mi-octobre que BMW fera<br />

essayer à la presse ses nouvelles i3<br />

électriques, dont la production en<br />

série a démarré le mois dernier à<br />

Leipzig. Les premières unités<br />

devraient être livrées en novembre<br />

à un prix de base de 27 990 euros<br />

(super-bonus au tarif actuel<br />

déduit). Le groupe Volkswagen<br />

livrera pour sa part en décembre<br />

ses premières « minis » Up électriques,<br />

au tarif de 18 950 euros<br />

(une fois l’actuel super-bonus écologique<br />

déduit, batteries incluses).<br />

Tous ces véhicules sont plus chers<br />

que la Renault Zoé, livrable à partir<br />

de 13 800 (bonus inclus), mais<br />

dont la location des batteries est<br />

facturée en supplément.<br />

« Nous vendrons quelques centaines<br />

d’i3 électriques cette année,<br />

peut-être 200 », expliquait récemment<br />

à latribune.fr Serge Naudin,<br />

patron de BMW France. Doté d’un<br />

châssis en aluminium et d’un habitacle<br />

en composites à renfort de<br />

fibre de carbone, la BMW i3 pèse<br />

>><br />

L’OFFENSIVE<br />

1 195 kg à peine, dont 230 de batteries.<br />

Elle développe 170 chevaux.<br />

De surcroît, ce véhicule purement<br />

électrique pourra, sur demande,<br />

être doté d’un prolongateur d’autonomie<br />

qui, dès que la charge des<br />

batteries descend trop bas, la maintient<br />

à un niveau constant pendant<br />

le trajet grâce… à l’appoint d’un<br />

moteur bicylindre à essence. Mais<br />

il en coûtera presque 5 000 euros<br />

supplémentaires. <strong>La</strong> future Smart<br />

de Mercedes, produite en Lorraine<br />

dès 2014, aura aussi une déclinaison<br />

électrique de série. L’actuelle<br />

n’est vendue qu’au compte-gouttes<br />

à titre de test.<br />

Le marché est encore balbutiant,<br />

avec un démarrage bien plus lent<br />

que ce qu’espérait Renault.<br />

Sur les neuf premiers mois<br />

de 2016, 6 318 voitures<br />

électriques ont été immatriculées<br />

en France, selon<br />

l’Avere (Association pour le développement<br />

de la mobilité électrique),<br />

qui représentent 0,47 % du<br />

marché à peine. L’Avere espère<br />

toutefois que ce pourcentage grimpera<br />

à 1 % à la fin de l’année grâce<br />

à la multiplication des modèles.<br />

Les pionniers Renault et son allié<br />

Nissan s’octroient 85 % de ce segment.<br />

<strong>La</strong> Renault Zoé représente<br />

près de 50 % des ventes à elle<br />

seule, devant la Nissan Leaf.<br />

« DES VOITURES<br />

<strong>POUR</strong> LES VILLES… »<br />

Alors que le créneau des électriques<br />

commence tout juste à<br />

décoller, surtout grâce aux commandes<br />

publiques ou parapubliques,<br />

les constructeurs allemands,<br />

en plein lancement de leur<br />

offensive « zéro émission », clament<br />

pourtant haut et fort leur prudence.<br />

« Il y a trois ou quatre ans, il y avait<br />

un gros enthousiasme pour le véhicule<br />

électrique. Mais nous, nous<br />

voulons faire des voitures pour les<br />

clients. Et nous ne prévoyons pas de<br />

grand boom pour la voiture électrique<br />

», affirme ainsi Christian<br />

Klingler, membre du directoire de<br />

Volkswagen chargé des ventes et du<br />

marketing. « <strong>La</strong> voiture électrique,<br />

c’est pour les villes avec une autonomie<br />

réduite, et encore plus en hiver »,<br />

poursuit le dirigeant.<br />

S’ils se mettent sur le segment des<br />

électriques, les groupes allemands<br />

misent en fait plutôt sur l’hybride<br />

rechargeable. Une technologie onéreuse,<br />

qui combine motorisations<br />

thermique et électrique, avec une<br />

possibilité de recharge pour bénéficier<br />

d’une cinquantaine de kilomètres<br />

d’autonomie en mode électrique<br />

pur. Et ce, sans obérer la<br />

praticité de véhicules qui s’utilisent<br />

dès lors comme des voitures classiques.<br />

<strong>La</strong> i8, deuxième modèle de<br />

la gamme écologique « i » de BMW<br />

prévu pour le deuxième trimestre<br />

2014, sera ainsi un coupé hautes<br />

performances… hybride rechargeable.<br />

Et Volkswagen va mettre sur<br />

le marché à la mi-2014 une Golf<br />

également « Plug-in Hybrid ». <br />

ALAIN-GABRIEL VERDEVOYE


10<br />

LE BUZZ<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

Avec le nouveau plan de départs volontaires concernant 2 800 personnes, Air France aura, fin 2014, supprimé<br />

près de 10 000 postes depuis 2009. Décryptage des facteurs qui ont obligé la compagnie à serrer la vis. <strong>La</strong> crise, certes,<br />

mais aussi une entreprise qui a trop longtemps vécu au-dessus de ses moyens. Et a tardé à réagir…<br />

10 000 postes en moins en cinq ans…<br />

comment Air France en est arrivé là<br />

>><br />

AIR FRANCE A FÊTÉ, LE<br />

7 OCTOBRE, SES 80 ANS. Un<br />

anniversaire dans la douleur.<br />

Trois jours plus tôt, la direction<br />

détaillait en effet les mesures supplémentaires<br />

pour atteindre les<br />

objectifs du plan Transform 2015,<br />

notamment le plan de départs<br />

volontaires (PDV) concernant<br />

2 800 personnes, le deuxième en<br />

deux ans, après celui lancé l’an<br />

dernier (3 400 personnes), et le<br />

troisième depuis 2009 (1 900 personnes<br />

sont parties en 2010).<br />

Avec les départs naturels non<br />

remplacés, Air France aura supprimé,<br />

d’ici à la fin 2014, près de<br />

10 000 postes en cinq ans, et<br />

comptera moins de 50 000 salariés<br />

(70 000 filiales comprises, et<br />

100 000 pour Air France-KLM).<br />

L’objectif de la compagnie est de<br />

revenir dans le vert en 2014 après<br />

avoir cumulé, pendant les six<br />

années de pertes consécutives,<br />

plus de deux milliards d’euros de<br />

pertes d’exploitation.<br />

Comment en est-on arrivé là ?<br />

Beaucoup d’observateurs ont souvent<br />

invoqué la crise en mettant en<br />

avant les difficultés structurelles<br />

des compagnies traditionnelles<br />

(manque de compétitivité à cause<br />

d’une taxation excessive, développement<br />

des transporteurs du Golfe<br />

et des low-cost…). Tout cela est<br />

vrai, mais n’explique pas tout. Air<br />

FOCUS<br />

L’HÉCATOMBE<br />

France est entrée dans la crise de<br />

2009 moins bien préparée (en<br />

termes de coûts) que ses concurrentes<br />

Lufthansa et British<br />

Airways et, durant les premières<br />

années de la crise, la compagnie<br />

tricolore a tardé à réagir. « On<br />

vivait au-dessus de nos moyens »,<br />

reconnaît-on en interne. D’où,<br />

aujourd’hui, l’intensité du plan<br />

Transform 2015. <strong>La</strong>ncé le 10 janvier<br />

2012, il ambitionne de réaliser<br />

deux milliards d’euros d’économies<br />

en trois ans à l’échelle d’Air France-<br />

KLM. Plus précisément, de générer,<br />

d’ici à 2015, 2,9 milliards d’euros<br />

de cash-flow, dont<br />

deux milliards pour<br />

Air France et 900 millions<br />

pour KLM, les<br />

deux filiales à 100 %<br />

du groupe. Ceci, dans le but de<br />

réduire la dette de 2 milliards<br />

durant la période pour la ramener<br />

à 4,5 milliards d’euros.<br />

EN 2008 ENCORE, LE GROUPE<br />

ÉTAIT MONTRÉ EN EXEMPLE<br />

Des objectifs très ambitieux<br />

pour se remettre sur les rails alors<br />

que, quelques années plus tôt, le<br />

groupe était montré en exemple<br />

pour ses excellents résultats,<br />

comme British Airways l’était<br />

dans les années 1990. Pour rappel,<br />

en mai 2008, au moment où le<br />

baril franchissait les 100 dollars<br />

et où l’économie américaine montrait<br />

des signes inquiétants d’essoufflement<br />

après la crise des<br />

subprimes commencée à l’été<br />

2007, Air France-KLM annonçait<br />

une hausse de 13 % de son bénéfice<br />

d’exploitation pour l’exercice<br />

2007-2008, à 1,4 milliard d’euros<br />

(un record). Sauf que ces chiffres<br />

étaient trompeurs. Ces bons<br />

résultats provenaient plus de l’efficacité<br />

des couvertures carburant<br />

(des instruments d’achats anticipés<br />

qui visent à payer le pétrole en<br />

dessous du prix marché) qui, par<br />

exemple en 2007-2008, ont<br />

contribué à hauteur d’un milliard<br />

au bénéfice d’exploitation ! Ils<br />

provenaient également plus de la<br />

très bonne profitabilité de KLM,<br />

que de la performance réelle d’Air<br />

France, souvent surestimée.<br />

Durant cette période, la compagnie<br />

n’a pas su profiter de cette<br />

Taxe carbone dans l’aérien : un camouflet pour l’Europe<br />

Le plan de départs volontaires annoncé ces jours-ci par la direction<br />

de la compagnie aérienne est le troisième depuis 2009. [AIR FRANCE]<br />

situation favorable pour baisser<br />

suffisamment ses coûts. Notamment<br />

lorsqu’ont été renégociés les<br />

nouveaux accords collectifs avec<br />

les pilotes en 2006 et les hôtesses<br />

et stewards en 2008. Cela alors<br />

que, dans le même temps, en<br />

février 2008, l’accord salarial pour<br />

le personnel au sol est revu à la<br />

hausse. Il est même signé par la<br />

CGT, pour la première fois depuis<br />

1982. L’augmentation des salaires<br />

en 2008 est, en moyenne, de 3 %<br />

(assortie d’une prime uniforme<br />

annuelle revalorisée de 200 euros,<br />

l’équivalent d’une hausse de<br />

salaires de 0,6 %), alors qu’elle était<br />

habituellement calquée sur les prévisions<br />

d’inflation autour de 1,6 %.<br />

Vendredi 4 octobre, 185 des 191 pays<br />

membres de l’OACI (Organisation de<br />

l’aviation civile internationale, qui<br />

dépend de l’ONU) ont adopté la résolution<br />

sur le changement climatique.<br />

Ils ont notamment accepté, non sans<br />

mal, des « mesures de marché » au<br />

niveau mondial pour compléter le système<br />

général de réductions des émissions<br />

de CO2, lesquelles doivent être<br />

obtenues grâce à plusieurs mesures<br />

technologiques, techniques, et le<br />

recours à des biocarburants. Cela dans<br />

le but de plafonner, dès 2020, les émissions<br />

de CO2 du transport aérien et<br />

d’afficher par conséquent une croissance<br />

neutre à partir de cette date.<br />

Contrairement à la résolution précédente,<br />

les pays émergents ont voté favorablement<br />

cet accord. Celui-ci stipule<br />

le lancement dès à présent de travaux<br />

d’élaboration d’un système mondial de<br />

marché qui sera présenté lors de la prochaine<br />

assemblée générale de l’OACI,<br />

en 2016, laquelle décidera de sa mise en<br />

œuvre en 2020.<br />

« Cette étape est très importante, car il<br />

y a un accord mondial du secteur de<br />

l’aviation pour développer puis mettre<br />

en place un tel système fondé sur les<br />

mesures de marché », commente pour<br />

<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong> Michel Wachenheim, le président<br />

français à l’assemblée de l’OACI.<br />

« Les États ont dit que l’OACI ne pourra<br />

pas endosser le système européen »,<br />

précise-t-il. Si l’Europe – qui est<br />

aujourd’hui la seule à avoir introduit<br />

un mécanisme de marché dans l’aviation<br />

– persiste, elle devra en discuter<br />

avec les autres États dans le cadre de la<br />

Convention de Chicago. Avec cet<br />

accord, le secteur de l’aviation est le<br />

premier dans le domaine du transport<br />

à appliquer un tel mécanisme de marché<br />

pour l’émission de gaz à effet de<br />

serre. <strong>La</strong> piste la plus probable semble<br />

celle de l’élaboration d’un système de<br />

compensation des émissions. F. G.<br />

En outre, les gains de productivité<br />

provenaient essentiellement<br />

d’une politique de croissance des<br />

capacités à effectifs plus ou moins<br />

stables. Quand les recettes unitaires<br />

se sont effondrées (de 15 %)<br />

avec la crise de 2009, Air France<br />

a bu la tasse. Plus que les autres.<br />

Les résultats des trois premiers<br />

mois de 2009 en attestent. Durant<br />

cette période, Air France-KLM a<br />

perdu 529 millions d’euros (en<br />

exploitation) contre seulement<br />

44 millions pour Lufthansa.<br />

MAUVAISES APPRÉCIATIONS<br />

ET CRISE DE GOUVERNANCE<br />

Ensuite, le groupe a tardé à réagir.<br />

Certes, le traumatisme dans<br />

lequel était plongée l’entreprise<br />

après l’accident du Rio-Paris, le<br />

1 er juin 2009, n’était pas propice à<br />

des mesures drastiques. Toujours<br />

est-il que le plan de départs<br />

volontaires portant sur 1 800 personnes<br />

décidé en août 2009 était<br />

largement insuffisant. Par ailleurs,<br />

le rebond de l’activité pendant<br />

quelques mois en 2010 a été<br />

mal apprécié. Croyant que la crise<br />

était finie, le groupe n’a pas voulu<br />

se priver de bras pour repartir de<br />

l’avant. Hélas, ce rebond, qui s’est<br />

traduit par des très bons résultats<br />

semestriels en 2010, n’était qu’un<br />

feu de paille. <strong>La</strong> crise est repartie<br />

de plus belle et, après une crise de<br />

gouvernance en 2011 qui n’a pas<br />

arrangé les choses, il faudra<br />

attendre début 2012 pour que soit<br />

lancé un plan à la hauteur des<br />

enjeux. <br />

FABRICE GLISZCZYNSKI


VENDREDI 00 MOIS 2013 LA TRIBUNE<br />

LE BUZZ 11


12<br />

LE BUZZ<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

Les éditeurs des jeux Candy Crush et Angry Birds seraient valorisés plusieurs milliards de dollars. Un succès foudroyant qui<br />

pourrait cependant s’avérer sans lendemain. Versatilité du public, concurrence féroce, modèle économique difficile à équilibrer :<br />

ces entreprises ont-elles une chance de s’inscrire dans la durée ou sont-elles condamnées à n’être qu’un feu de paille ?<br />

Candy Crush, Angry Birds :<br />

ces jeux qui valent des milliards…<br />

SI VOUS N’ÊTES PAR UN<br />

FAMILIER DE CANDY CRUSH<br />

SAGA, vous connaissez certainement<br />

quelqu’un qui y joue ou avez<br />

déjà aperçu des gens dans le<br />

métro, le bus, ou au café, triturer<br />

leur smartphone pour aligner de<br />

manière verticale ou horizontale<br />

des bonbons de la<br />

même couleur en<br />

vue de les faire disparaître.<br />

<strong>La</strong>ncé en 2012, ce<br />

Tet r i s r e v i s i t é<br />

compte aujourd’hui<br />

près de 50 millions<br />

de joueurs actifs<br />

(15 millions y jouent<br />

au quotidien), qui<br />

rapportent près de<br />

850 000 dollars par jour à l’éditeur<br />

de ce jeu, le studio britannique<br />

King. Ce dernier serait par ailleurs<br />

sur le point de faire son entrée en<br />

Bourse à Wall Street, où la société<br />

londonienne, dont le chiffre d’affaires<br />

est estimé à 1 milliard de<br />

dollars, pourrait être valorisée,<br />

selon certaines estimations, à plus<br />

de 5 milliards de dollars (environ<br />

3,7 milliards d’euros).<br />

Un succès qui rappelle celui de<br />

l’entreprise finlandaise Rovio et ses<br />

Angry Birds. Ces « oiseaux en<br />

colère » ont pris leur envol en<br />

2009. Le but du jeu ? Projeter des<br />

oiseaux, à l’aide d’un lance-pierre,<br />

sur des cochons verts, souvent protégés<br />

par des murs et autres<br />

planches de bois, en vue de les<br />

détruire. Tout cela pour une seule<br />

et bonne raison : lesdits cochons<br />

ont dérobé des œufs aux oiseaux,<br />

qui tentent de les récupérer.<br />

>><br />

TOPS ET FLOPS<br />

<strong>La</strong> popularité de ce jeu restant<br />

phénoménale, Rovio ne semble pas<br />

près de battre de l’aile. En 2012, ses<br />

résultats financiers ont été des plus<br />

solides : le chiffre d’affaires a doublé,<br />

passant de 75 millions d’euros<br />

à plus de 150 millions d’euros, une<br />

marge opérationnelle de 50 %, et<br />

la société a même plus que doublé<br />

ses effectifs sur l’année : le nombre<br />

de ses salariés est passé de 224 à<br />

518, contre 28 seulement fin 2010...<br />

En revanche, concernant le projet<br />

d’introduction en Bourse de<br />

leur société, les dirigeants se font<br />

plus discrets depuis quelques mois<br />

et ne semblent guère pressés de<br />

L’engouement pour<br />

les petites tablettes<br />

et grands<br />

smartphones<br />

a favorisé l’essor<br />

des jeux. [CANDY CRUSH]<br />

passer à l’acte. Au milieu de l’année<br />

2012, Rovio aurait été valorisé<br />

9 milliards de dollars (soit à<br />

l’époque 6,8 milliards d’euros), et<br />

la direction aurait refusé, un an<br />

auparavant, une offre de rachat de<br />

2,2 milliards de dollars de Zynga,<br />

le roi déchu des jeux sur Facebook.<br />

RÉSEAUX SOCIAUX ET<br />

MOBILES, LE MIX DU SUCCÈS<br />

Pour Rovio comme pour King, les<br />

chiffres ont de quoi donner le tournis,<br />

d’autant que ces entreprises<br />

sont très jeunes – la création de<br />

King remonte à 2003, mais sa<br />

conversion aux réseaux sociaux et<br />

au mobile remonte à 2012 – et<br />

encore assimilables à de grosses<br />

PME. Comment expliquer le succès<br />

foudroyant de ces jeux ? Et ces<br />

sociétés ont-elles réellement un<br />

avenir ?<br />

Pour Charles Christory, dirigeant<br />

de l’éditeur français Adictiz qui a<br />

mis au point le jeu<br />

Paf le chien (il s’agit<br />

ici de projeter un<br />

chien le plus loin<br />

possible), de nombreux<br />

facteurs sont à l’origine du<br />

succès de ces jeux : le fun est au<br />

cœur de ces applications et le principe<br />

est toujours simple, la prise en<br />

main rapide – on est très vite au<br />

cœur du jeu. Par ailleurs, aucun de<br />

ces jeux n’aurait connu un tel succès<br />

sans les réseaux sociaux et les<br />

mobiles. Le marketing viral, le fait<br />

que l’on puisse partager son score,<br />

impliquer directement ses amis…,<br />

tout cela a permis à ces jeux de<br />

prendre une telle ampleur.<br />

Le constat est similaire du côté<br />

d’Olivier Vialle, associé au sein du<br />

cabinet de conseil PwC, et spécialiste<br />

des jeux vidéo : le succès du<br />

casual gaming ( jeu<br />

simple et destiné à un large<br />

public) ne date pas d’hier, il suffit<br />

de se rappeler Tetris sur PC et sur<br />

la Game Boy, certains jeux sur la<br />

Nintendo DS ou bien encore<br />

Bejeweled, sorti en 2001, et dont<br />

Candy Crush est aujourd’hui le<br />

portrait craché. À l’heure actuelle,<br />

le succès de ce type de jeux est<br />

démultiplié grâce aux smartphones<br />

et tablettes qui permettent<br />

d’y avoir accès et d’y<br />

jouer à n’importe quel moment<br />

de la journée : dans les transports<br />

en commun, à la pause-café au<br />

travail…<br />

Comment expliquer que certains<br />

jeux, sur les centaines du même<br />

genre qui sortent tous les mois,<br />

rencontrent un engouement mondial<br />

? « Au-delà des qualités intrinsèques<br />

du jeu, pour connaître un tel<br />

succès il y a forcément une part de<br />

chance. Il faut arriver au bon<br />

moment sur le marché, et sur la<br />

bonne plate-forme », répond Olivier<br />

Vialle. « Il y a forcément un<br />

côté irrationnel », confirme Grégory<br />

Hachin, expert numérique au<br />

sein du cabinet de conseil Kurt<br />

Salmon. « Difficile de dire pourquoi<br />

le public s’empare de Paf le chien<br />

plutôt que de Gina la girafe. »<br />

Le même genre de jeu peut donc<br />

connaître une réussite à géométrie<br />

très variable. « C’est ce qui<br />

rend également ces sociétés d’édition<br />

fragiles. Avec 50 000 euros,<br />

n’importe quel développeur peut<br />

lancer son application. Le marché<br />

est donc très concurrentiel », poursuit<br />

Grégory Hachin.<br />

Aligner des bonbons de la même couleur, c’est la<br />

proposition toute simple, et qui fait fureur, du jeu Candy<br />

Crush. [CANDY CRUSH]<br />

Impossible donc de vivre très<br />

longtemps sur son succès. Et il faut<br />

à la fois développer et décliner son<br />

application vedette tout en diversifiant<br />

son portefeuille d’activités<br />

afin d’éviter que l’avenir de l’entreprise<br />

ne soit dépendante que d’un<br />

seul jeu, ce qui serait trop risqué.<br />

LA DÉGRINGOLADE<br />

DE ZYNGA, UN CAS D’ÉCOLE<br />

C’est par exemple ce que tente de<br />

faire Adictiz, qui est sur plusieurs<br />

fronts : Paf le chien Run Run est<br />

sorti il y a deux semaines, Paf le<br />

chien 3 devrait débarquer sur les<br />

mobiles et les réseaux sociaux pour<br />

le deuxième trimestre 2014, le jeu<br />

<strong>La</strong>boratz trouve peu à peu son<br />

public et l’application « Il est con<br />

ce pigeon » rencontre depuis plusieurs<br />

mois un franc succès en<br />

Amérique du Sud. Cette stratégie<br />

est une nécessité, selon Charles<br />

Christory : « C’est important d’avoir<br />

une offre variée. Mais à un moment,<br />

il ne faut pas juste faire de bons<br />

jeux, il faut en faire de très bons,<br />

cela ne sert à rien d’en avoir vingtcinq<br />

moyens. De toute façon, au<br />

final, c’est le top ou c’est un flop ».<br />

Zynga en est un bon exemple.<br />

Créé en 2007, cet éditeur californien<br />

a connu une croissance fulgurante<br />

grâce ses jeux (Farmville,<br />

Mafiawars) portés par l’essor de<br />

Facebook. <strong>La</strong> société était même<br />

valorisée 20 milliards de dollars en<br />

janvier 2011 avant son introduction<br />

en Bourse. Et puis la mécanique<br />

s’est subitement grippée.<br />

Principalement parce que les nouvelles<br />

« franchises » n’ont pas rencontré<br />

le succès attendu. Zynga a<br />

proposé le même style d’application<br />

en ne faisant que dupliquer la<br />

recette qui avait fait la gloire de<br />

Farmville et Mafiawars.<br />

LE « BONUS PAYANT », C’EST<br />

RENTABLE ET INDOLORE<br />

Une erreur de taille sur un marché<br />

où les envies d’un jour ne sont<br />

pas forcément celles du lendemain.<br />

« Les jeux de simulation sont<br />

en baisse, alors que les jeux d’arcade<br />

et les puzzles connaissent une forte<br />

croissance », expliquait déjà l’an<br />

passé Sean Ryan, directeur des<br />

partenariats chez Facebook, rapporte<br />

Le Monde.<br />

Autre erreur de Zynga : sa dépendance<br />

à Facebook qui était son<br />

principal canal de distribution.<br />

Pour Grégory Hachin, 75 % de leur<br />

revenu était issu de leur activité


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

LE BUZZ 13<br />

Projeter des oiseaux au lance-pierres sur des cochons verts : depuis<br />

2009, le succès d’Angry Birds (« oiseaux en colère ») reste<br />

phénoménal. En 2012, l’éditeur a doublé CA et effectifs. [ANGRYBIRDS]<br />

sur ce réseau social. Zynga avait<br />

noué un partenariat privilégié avec<br />

Facebook qui a été modifié par ce<br />

dernier, car il ne voulait pas être<br />

trop dépendant de Zynga, ce qui a<br />

ouvert le marché à la concurrence.<br />

De plus, la direction de l’entreprise<br />

n’a pas vu venir la montée en puissance<br />

des jeux sur smartphones et<br />

tablettes, et Zynga a basculé trop<br />

tard sur ces formats.<br />

Conséquence : ces deux dernières<br />

années, Zynga a annoncé plusieurs<br />

plans de restructuration. <strong>La</strong><br />

société a aussi enregistré une perte<br />

de plus de 200 millions de dollars<br />

et son fondateur, Mark Pincus, a<br />

même été contraint de passer la<br />

main en nommant Don Mattrick<br />

au poste de directeur général.<br />

Car, dans le secteur du casual<br />

gaming, trouver son public durant<br />

un temps est une chose. Le fidéliser<br />

et transformer son succès en<br />

espèces sonnantes et trébuchantes<br />

en est une autre. Vente de publicité<br />

en ligne, de produits dérivés, d’applications<br />

en version « de luxe »,<br />

extension de la marque sur d’autres<br />

formats : aucune source de revenus<br />

n’est ainsi négligée par les sociétés<br />

d’édition que sont Rovio et King.<br />

Grégory Hachin précise que ce<br />

qui fonctionne le mieux actuellement<br />

pour les applications du type<br />

de Candy Crush, ce sont les achats<br />

intégrés, en quelque sorte « indolores<br />

», dont le joueur ne se rend<br />

presque pas compte. Il joue à son<br />

application gratuite et on lui propose<br />

de dépenser moins d’un euro<br />

pour pouvoir recommencer à jouer<br />

quand il n’a plus de vie, ou pour<br />

passer au niveau supérieur. Ce système<br />

de « bonus payant » est très<br />

efficace et rentable. Mais, pour ne<br />

pas connaître la descente aux<br />

enfers de Zynga, savoir « monétiser<br />

» son succès et avoir un modèle<br />

économique viable à court terme<br />

ne sont pas des gages suffisants de<br />

succès durable.<br />

UN BEL ESSAI TRANSFORMÉ :<br />

ROVIO, AVEC ANGRY BIRDS<br />

Il faut faire de son jeu phare une<br />

marque très forte, souligne Grégory<br />

Hachin, qui dépasse le seul<br />

cadre du jeu en ligne, dont le succès<br />

n’est pas durable. Et c’est ce<br />

que fait très bien Rovio avec Angry<br />

Birds : ils ont réalisé des dessins<br />

animés et vont sortir un film d’animation<br />

au cinéma en 2016. Rovio<br />

a clairement basculé dans ce qu’on<br />

appelle l’entertainment (l’industrie<br />

du divertissement). Aujourd’hui,<br />

cette entreprise est davantage assimilable<br />

à Disney qu’à une société<br />

d’édition de jeux en ligne.<br />

Un point de vue partagé par Olivier<br />

Vialle, qui précise que « ce<br />

qu’il faut pour que ce type de jeux<br />

dure, c’est une sorte de “statutculte”<br />

comme peuvent en bénéficier<br />

Zelda, Super Mario, GTA… Pour<br />

cela, il faut vraiment créer un univers<br />

particulier ou des personnages<br />

forts auxquels le public s’attache ».<br />

Mais Candy Crush et Angry Birds<br />

sont-ils capables de devenir les<br />

nouveaux Super Mario et Zelda,<br />

voire davantage ?<br />

Selon Olivier Vialle, c’est<br />

quelque chose de tout à fait envisageable,<br />

mais Rovio semble le<br />

mieux parti : « Angry Birds peut<br />

connaître un succès durable à la<br />

Pokemon, puisque les chiffres de<br />

Rovio se maintiennent alors qu’ils<br />

sont en haut de cycle. Le design, les<br />

graphismes des jeux, la cohérence<br />

des suites et des différentes déclinaisons<br />

: tout cela est très professionnel<br />

et soigné, ce qui montre la<br />

construction d’une véritable<br />

licence. En revanche, n’importe<br />

quel développeur a les capacités<br />

techniques pour réaliser un Candy<br />

Crush, et c’est un peu le problème.<br />

Il existe donc une réelle possibilité<br />

que le succès de ce jeu soit un feu<br />

de paille. »<br />

GOOGLE ET APPLE<br />

EN EMBUSCADE ?<br />

De nombreuses inconnues<br />

demeurent. Notamment au niveau<br />

des formats, car actuellement un<br />

support de taille n’a pas encore été<br />

exploré par les jeux en ligne : la<br />

télévision. « Pour le moment, tous<br />

les acteurs du secteur des jeux en<br />

ligne hésitent à se positionner sur<br />

cette question, mais il va bien falloir<br />

: le potentiel de ce marché pour<br />

les jeux est gigantesque », souligne<br />

Grégory Hachin. D’autant plus<br />

qu’il faut faire attention à ne pas<br />

rater le bon wagon, à l’instar de<br />

Zynga avec les mobiles.<br />

Et s’ils veulent que leurs succès<br />

aient des lendemains, une autre<br />

variable devrait peut-être être<br />

intégrée dans l’équation de King et<br />

de Rovio, selon Grégory Hachin :<br />

Google et Apple ne se sont pas prononcés<br />

sur les jeux en ligne, ce qui<br />

ne leur ressemble pas. Ce ne sont<br />

que des suppositions, mais c’est<br />

peut-être bien le calme avant la<br />

tempête. Car ce n’est pas dans leur<br />

habitude de laisser filer un gros<br />

marché comme celui-là sans rien<br />

faire. On pourrait bien avoir des<br />

surprises dans les mois à venir. <br />

<br />

NICOLAS RICHAUD


’est<br />

14<br />

L’ENQUÊTE<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

L’IDENTITÉ DES ENTREPRISES Abandonner un vieux nom « gravé dans le<br />

UN NOUVEAU NOM, MA<br />

LES FAITS De France Telecom<br />

à PPR en passant par EADS ou<br />

Ernst & Young, les changements<br />

de nom ont fleuri au cours de cet<br />

été. Internationalisation des<br />

entreprises, fusions, scissions…<br />

les raisons en sont nombreuses.<br />

L’ENJEU Construire<br />

une notoriété forte autour<br />

de la nouvelle identité, en<br />

évitant les pièges de ce qui reste<br />

un exercice à haut risque.<br />

ODILE ESPOSITO<br />

C<br />

Jusqu’à présent, les<br />

noms des entreprises<br />

racontaient surtout<br />

leur histoire.<br />

Désormais, ils disent<br />

leur vision d’avenir.<br />

dans l’air du<br />

temps visiblement.<br />

Depuis<br />

quelques mois,<br />

plusieurs grands<br />

groupes ont changé de nom. Le<br />

cabinet de conseil américain<br />

Ernst & Young a trouvé plus<br />

simple de se rebaptiser, le 1 er juillet<br />

dernier, de ses initiales EY<br />

(prononcez à l’anglaise, i-ouaille).<br />

Le géant européen d’aéronautique<br />

et de défense EADS a opté pour le<br />

nom de se marque phare, Airbus ;<br />

tandis que le groupe Pages Jaunes<br />

a fait, lui, exactement l’inverse en<br />

se renommant Solocal Group.<br />

France Telecom a achevé cet été<br />

sa mutation en Orange. Enfin<br />

PPR, l’ex-Pinault Printemps<br />

Redoute, qui a cédé ses grands<br />

magasins et devrait bientôt se<br />

délester de son pôle de vente par<br />

correspondance pour se recentrer<br />

sur l’habillement et les accessoires<br />

de luxe et de sport, est<br />

devenu Kering. Un nom qui « s’entend<br />

avant tout comme caring, en<br />

anglais », précisait le groupe lors<br />

de l’officialisation de ce changement,<br />

le préfixe ker (« maison » en<br />

breton) étant un clin d’œil aux<br />

origines du groupe Pinault.<br />

Changer le nom de son entreprise<br />

n’est certes plus un acte<br />

rarissime. Mais, « sur une assez<br />

longue période, le phénomène s’accélère<br />

», observe Marcel Botton,<br />

qui a fondé voilà trente ans le<br />

cabinet Nomen, spécialisé justement<br />

dans la création de noms et<br />

de marques pour les entreprises.<br />

Et cet expert de justifier le phénomène<br />

par les changements de<br />

périmètre et de métiers de plus en<br />

plus rapides des entreprises, au<br />

gré des acquisitions et autres scissions.<br />

Mais aussi par la mondialisation<br />

qui rend obsolètes certains<br />

noms. « Pages Jaunes est difficile<br />

à prononcer à l’étranger, explique<br />

Marcel Botton. À l’international,<br />

France Telecom, qu’il le veuille ou<br />

non, était vue comme un représentant<br />

des autorités nationales françaises<br />

et donc tributaire des aléas<br />

politiques. Enfin, certaines<br />

familles, qui ont donné leur nom à<br />

une entreprise, ne veulent plus voir<br />

ce patronyme accolé à celui de la<br />

société, surtout quand elles n’ont<br />

plus de lien avec elle. »<br />

Si l’exercice est<br />

devenu fréquent, il n’est<br />

jamais pris à la légère et<br />

ne doit d’ailleurs pas<br />

l’être. « Ce changement<br />

de nom a été longuement<br />

préparé, assure Emmanuelle<br />

Raveau, directrice<br />

de la communication<br />

d’EY en France. <strong>La</strong><br />

décision a été prise de façon collégiale,<br />

à l’issue d’une concertation<br />

entre les dirigeants des différentes<br />

zones. Et des groupes de travail se<br />

sont réunis pendant douze à dixhuit<br />

mois. » Marcel Botton<br />

confirme que le sujet était dans l’air<br />

depuis longtemps au sein du<br />

©ERIC PIERMONT/AFP<br />

© MATHIAS CASADO CASTRO<br />

Ne m’appelez plus jamais PPR.<br />

L’ex-groupe Pinault Printemps<br />

Redoute, qui a cédé ses grands<br />

magasins et se recentre sur les<br />

accessoires de luxe et de sport,<br />

s’appelle désormais…<br />

«<br />

Un<br />

changement<br />

de nom, c’est<br />

une petite<br />

déstabilisation. »<br />

MARCEL BOTTON,<br />

FONDATEUR<br />

DU CABINET NOMEN<br />

© CHRISTOPHE RABINOVICI<br />

groupe d’audit : « Ernst & Young<br />

nous avait déjà interrogés il y a cinq<br />

ans sur un éventuel changement de<br />

nom », confie-t-il. Pour Solocal, « la<br />

réflexion s’est étalée sur plusieurs<br />

années », raconte Gérard Lenepveu,<br />

directeur de la marque, en<br />

insistant sur le fait que c’est le<br />

groupe dans son ensemble qui a été<br />

rebaptisé, tandis que l’emblématique<br />

marque Pages Jaunes est<br />

conservée pour l’activité historique<br />

issue des annuaires. « Notre nom de<br />

Pages Jaunes Groupe ne rendait pas<br />

suffisamment compte de la performance<br />

de nos 17 marques, observe<br />

le dirigeant. Et comme notre chiffre<br />

d’affaires se fait majoritairement<br />

sur le numérique, nous avons considéré<br />

qu’un changement de dénomination<br />

pouvait être un accélérateur<br />

de cette transformation. »<br />

Parfois, l’exercice s’arrête à ce<br />

stade de la réflexion. « Un changement<br />

de nom, c’est une petite déstabilisation,<br />

reconnaît Marcel<br />

Botton. Il arrive que certaines<br />

entreprises renoncent. Parfois<br />

aussi, c’est nous qui leur déconseillons<br />

de changer. C’est ce que nous<br />

avons fait par exemple avec Suez<br />

ou avec la Compagnie des wagonslits.<br />

»<br />

UN NOM À FAIRE ACCEPTER<br />

EN INTERNE ET EN EXTERNE<br />

Si l’entreprise persiste, il lui<br />

reste à trouver un nom, puis à le<br />

faire accepter en interne et en<br />

externe. <strong>La</strong> plupart d’entre elles<br />

font alors appel à des cabinets ou<br />

à des agences. Non sans avoir préparé<br />

le terrain au préalable.<br />

« Nous avons mis en place un<br />

groupe de réflexion et nous nous<br />

sommes appuyés sur Havas Worldwide<br />

Paris [l’ex-Euro RSCG C&O,<br />

qui a lui-même changé de nom il<br />

«Nous sommes<br />

encore souvent<br />

obligés de rappeler<br />

que EY, c’est<br />

Ernst & Young. »<br />

EMMANUELLE RAVEAU,<br />

DIRECTRICE DE LA<br />

COMMUNICATION DE EY FRANCE<br />

y a tout juste un an, ndlr], précise<br />

Gérard Lenepveu. Le travail prend<br />

de nombreux mois, car il faut<br />

d’abord savoir d’où l’on vient et où<br />

on veut aller. Il nous fallait donner<br />

à voir nos 17 marques et nous avons<br />

considéré que notre atout de différenciation<br />

était la dimension locale,<br />

la notion de proximité. D’où le choix<br />

de Solocal. »<br />

« Il faut que le nouveau nom soit<br />

ouvert, qu’il n’enferme pas thématiquement<br />

ou géographiquement,<br />

conseille Marcel Botton. Et il<br />

faut tenir compte d’Internet qui<br />

favorise beaucoup les noms dont<br />

les porteurs sont uniques, comme<br />

Belambra, que nous avons inventé<br />

pour l’ex- Villages Vacances<br />

Familles. On part d’une page<br />

blanche et on explore entre 2 000<br />

et 4 500 noms par société. Jusqu’à<br />

ce qu’on trouve un nom juridiquement<br />

valable, qui ne pose pas de


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

L’ENQUÊTE 15<br />

marbre » n’est plus un tabou.<br />

IS <strong>POUR</strong> QUOI FAIRE ?<br />

FOCUS<br />

Des coûts très variables<br />

Combien coûte un changement de nom pour une entreprise<br />

? Chez Mersen, où l’opération date de 2010, on<br />

chiffre son coût à environ 2 millions d’euros sur deux<br />

à trois ans.<br />

« <strong>La</strong> création d’un nom proprement dit ne coûte que<br />

quelques milliers d’euros, indique Marcel Botton, président<br />

et fondateur du cabinet Nomen. À cela, il faut<br />

ajouter quelques dizaines de milliers d’euros pour les tests<br />

destinés à s’assurer du bon accueil du nom à l’international<br />

ainsi que les frais juridiques qui peuvent aller jusqu’à<br />

200 000 euros. Pour le choix de l’identité visuelle et le<br />

déploiement, il faut compter quelques centaines de milliers<br />

d’euros. Et pour le lancement proprement dit, la<br />

facture peut se chiffrer en millions d’euros. » <br />

© JEAN CHISCANO 2011<br />

… Kering. Un nouveau nom que<br />

le PDG du groupe, François-Henri<br />

Pinault, présentait avec le sourire en<br />

mars 2013. Le préfixe ker (« maison »<br />

en breton) étant un clin d’œil<br />

aux origines de la famille Pinault.<br />

problème à l’international et<br />

autour duquel on puisse écrire une<br />

histoire. Belambra, par exemple,<br />

fait penser au bellombra, un arbre<br />

présent sur les côtes méditerranéennes.<br />

» Pour Mersen, le nouveau<br />

nom choisi en 2010 par Carbone<br />

Lorraine, « nous avions<br />

formé en interne un groupe de six<br />

personnes chargé de définir un<br />

briefing, raconte Véronique Boca,<br />

la directrice de la communication<br />

du groupe de matériaux. Puis<br />

nous avons fait appel au cabinet<br />

Nomen. » Lequel, détaille Marcel<br />

Botton, a « travaillé à partir des<br />

initiales M, E, R, S, E, qui représentaient<br />

les expertises du<br />

groupe : material, electrical,<br />

research, sustainable et energy.<br />

Merse ne donnait rien. Mersen, en<br />

revanche, renvoyait à l’abbé<br />

Mersenne, un scientifique du<br />

XVI e siècle. Et notre client nous a<br />

«Il faut<br />

d’abord savoir<br />

d’où l’on vient<br />

et où on veut<br />

aller. »<br />

GÉRARD LENEPVEU, DIRECTEUR<br />

DE LA MARQUE SOLOCAL GROUP<br />

(EX-GROUPE PAGES JAUNES)<br />

© PEET SIMARD 2011<br />

signalé qu’il existait aussi un<br />

traité de Mersen, signé aux Pays-<br />

Bas en 870, par Charles le Chauve<br />

et Louis le Germanique [les<br />

petits-fils de Charlemagne] préfigurant<br />

les frontières de la<br />

France, de l’Allemagne et de l’Italie.<br />

Cela nous a donc donné un<br />

nom surdéterminé. Peu de gens<br />

sans doute connaissent l’abbé<br />

Mersenne ou le traité de Mersen,<br />

mais il est toujours intéressant<br />

d’avoir une histoire à raconter. »<br />

LA CHOUETTE, NOUVEL<br />

EMBLÈME DE KERING<br />

Ce nouveau nom, les entreprises<br />

l’accompagnent aussi parfois d’un<br />

slogan, d’une « signature », voire<br />

d’un emblème. Kering a opté pour<br />

une chouette, « symbole de<br />

sagesse, de protection et de clairvoyance<br />

», précise le groupe, ainsi<br />

q u e p o u r u n e s i g n a t u r e ,<br />

«Le jour du<br />

changement<br />

de nom, nous avons<br />

organisé des fêtes<br />

sur tous les sites. »<br />

VÉRONIQUE BOCA, DIRECTRICE<br />

DE LA COMMUNICATION DE<br />

MERSEN (EX CARBONE LORRAINE)<br />

« Empowering imagination ».<br />

Chez Ernst & Young, on est passé<br />

du slogan « <strong>La</strong> qualité par principe<br />

» à « Building a better working<br />

world ». « Cette signature a<br />

une double signification, avec le<br />

“better working” qui renvoie à la<br />

notion de progrès, et le “working<br />

world” qui souligne notre souci de<br />

rendre plus juste le monde du travail,<br />

indique Emmanuelle Raveau.<br />

Synthétiser ces mots en français<br />

tout en gardant leur force était<br />

impossible et, comme nous appartenons<br />

à un réseau mondial, nous<br />

avons choisi de conserver cette<br />

signature en anglais. »<br />

L’exercice de créativité terminé,<br />

la nouvelle identité doit s’imposer.<br />

Et l’ancien nom se faire<br />

oublier. En interne, le changement<br />

se fait très vite, assurent en<br />

chœur les responsables de communication.<br />

« Il a été très bien<br />

perçu, indique ainsi Gérard<br />

Lenepveu, chez Solocal. Il a donné<br />

à voir que l’ensemble de l’entreprise<br />

avait changé. Ce qui a apporté de<br />

la fierté et créé de la synergie au<br />

sein de l’entreprise. » Comme pour<br />

un déménagement, les entreprises<br />

multiplient à cette occasion les<br />

réunions conviviales et autres<br />

livrets de présentation. « Le jour<br />

du changement de nom, le 14 avril<br />

2010, nous avons organisé des événements<br />

festifs sur tous les sites,<br />

avec présentation d’un film et distribution<br />

de brochures dans 11 langues,<br />

détaille Véronique Boca,<br />

chez Mersen. Nous avons aussi<br />

nommé un ambassadeur sur<br />

chaque site pour qu’il soit le relais,<br />

et aussi qu’il rassure. Sur notre site<br />

lorrain de Pagny-sur-Moselle<br />

notamment, il fallait expliquer que<br />

l’abandon du nom Carbone Lorraine<br />

ne signifiait pas que cette<br />

usine allait fermer ! »<br />

ORANGE A ÉTÉ INSTALLÉ<br />

TOUT EN DOUCEUR<br />

Le plus délicat, selon ces responsables,<br />

serait plutôt d’être<br />

techniquement prêt pour la date<br />

choisie. Le papier à lettres et les<br />

cartes de visite ne posent guère<br />

de problèmes, mais l’adaptation<br />

des sites Internet peut s’avérer<br />

plus complexe. « Il nous a fallu<br />

fusionner 40 sites Web différents,<br />

avec l’objectif que le nouveau site<br />

soit en ligne le jour J, raconte<br />

Véronique Boca. Le plus long<br />

dans cette opération, c’est la transition<br />

de marque. Sur certaines<br />

lignes de produits, il subsiste<br />

encore des marques anciennes. Le<br />

packaging porte bien le nom de<br />

Mersen, mais certaines marques<br />

n’ont pas encore été changées.<br />

Pour des raisons de coût, mais<br />

aussi pour ne pas bousculer les<br />

habitudes des clients. Dans les<br />

activités B-to-B comme les nôtres,<br />

le plus important est que le client<br />

suive. Votre notoriété, il faut la<br />

reconstruire. »<br />

À l’extérieur de l’entreprise, en<br />

effet, les habitudes ne se modifient<br />

pas si vite. « Nos associés ont expliqué<br />

à leurs clients notre changement<br />

de nom et sa signification,<br />

souligne Emmanuelle Raveau.<br />

Nous profitons aussi des événements<br />

que nous organisons, comme<br />

le prix de l’entrepreneur de l’année,<br />

pour mettre en avant notre nouveau<br />

nom. Mais je ne sais pas si nous perdrons<br />

complètement la référence à<br />

Ernst & Young. Ce changement<br />

étant récent, nous sommes encore<br />

souvent obligés de rappeler que EY,<br />

c’est Ernst & Young. »<br />

Les groupes très présents dans<br />

le grand public peuvent opter<br />

pour un changement très progressif.<br />

France Telecom, par<br />

exemple, a fait basculer, au fil des<br />

années, ses produits et services<br />

sous la marque Orange, plus<br />

internationale, avant d’accoler<br />

cette marque à son nom, puis de<br />

se rebaptiser complètement<br />

Orange au 1 er juillet dernier. Mais<br />

d’autres groupes optent pour une<br />

rupture plus franche. Ainsi PPR,<br />

essentiellement connu dans le<br />

grand public à travers ses<br />

marques phares (Gucci, Puma,<br />

Boucheron, etc.), a choisi de faire<br />

connaître son changement de<br />

nom au travers d’une vaste campagne<br />

publicitaire mondiale, avec<br />

film et spots à l’appui.<br />

Transition en douceur ou vraie<br />

rupture ? Peu importe. L’essentiel<br />

est que le public se repère très vite<br />

dans ce changement d’identité.<br />

Car, en cas d’erreur, l’entreprise<br />

n’aura probablement pas droit à<br />

une seconde chance.


16<br />

ENTREPRISES & INNOVATION<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

<strong>La</strong> mesure de soi sera-t-elle<br />

la prochaine révolution 2.0 ?<br />

SANTÉ CONNECTÉE <strong>La</strong>ncé par des rédacteurs du magazine<br />

Wired, le Quantified Self (automesure de soi) donne naissance<br />

à un marché gigantesque de l’informatique mobile. Celui des objets<br />

connectés que l’on porte sur soi. Ils sont des dizaines de millions<br />

d’adeptes dans le monde, tous à la recherche d’une nouvelle « mise à<br />

jour » de leur vie personnelle sur le terrain de la santé ou du bien-être.<br />

ERICK HAEHNSEN<br />

Le smartphone, la microélectronique,<br />

le sansfil,<br />

les réseaux sociaux<br />

et le cloud convergent<br />

pour mettre du poil à<br />

gratter dans la médecine, la santé<br />

et le bien-être. Il en résulte un<br />

mélange détonant appellé QS,<br />

pour « Quantified Self » – que l’on<br />

pourrait traduire par « automesure<br />

de soi », ou par « santé 2.0 », voire<br />

par « santé connectée ». Tout a<br />

commencé avec Gary Wolf et<br />

Kevin Kelly, deux journalistes californiens<br />

du magazine Wired. En<br />

2007, ils initient le mouvement<br />

Quantified Self qui regroupe les<br />

outils, les principes et les méthodes<br />

permettant à chaque personne de<br />

mesurer ses données personnelles,<br />

de les analyser et… de les partager.<br />

En ce qui concerne les outils, le<br />

QS mise sur des capteurs, des apps<br />

(applications mobiles) ou des services<br />

Web. Demeuré assez confidentiel<br />

pendant ses premières<br />

années au sein d’une communauté<br />

de geeks et d’early adopters, le<br />

mouvement prend une envergure<br />

internationale en 2011 lors d’une<br />

conférence de Gary Wolf et Kevin<br />

Kelly à Mountain View (Californie).<br />

À partir de là, la mesure de soi<br />

a essaimé dans le monde entier.<br />

UN LECTEUR DE GLYCÉMIE<br />

CONNECTÉ À SON IPHONE<br />

Bien sûr, la mesure du corps ne<br />

date pas d’hier. « Depuis plus d’un<br />

siècle, tous les foyers français disposent<br />

de balances et de thermomètres<br />

», remarque le Dr Nicolas<br />

Postel-Vinay, médecin spécialiste<br />

de l’hypertension artérielle qui a,<br />

en tant que directeur du site médical<br />

indépendant Automesure.com<br />

ouvert en 1999, lancé le premier<br />

mouvement QS médical. « En<br />

France, ajoute-t-il, trois millions de<br />

personnes hypertendues, par<br />

exemple, automesurent leur tension<br />

artérielle chez elles. On trouve des<br />

tensiomètres dans presque toutes<br />

les pharmacies. » D’autres capteurs<br />

sont venus compléter l’offre médicale<br />

: les spiromètres (mesure de la<br />

respiration), les lecteurs de glycémie<br />

(taux de sucre dans le sang),<br />

les lecteurs de la coagulation du<br />

sang, les oxymètres du pouls (saturation<br />

de l’hémoglobine artérielle<br />

en oxygène), etc. L’intérêt de ces<br />

instruments d’automesure consiste<br />

à multiplier les relevés et donc à<br />

fournir un nombre de données<br />

élevé et plus fréquemment que des<br />

visites chez son médecin. Jusqu’à<br />

présent, la plupart de ces équipements<br />

de mesure ne communiquaient<br />

pas leurs données à un<br />

système informatique. C’est sous<br />

l’influence du « fun » apporté par<br />

le QS sportif que les lignes de front<br />

ont bougé. En témoigne l’iBGStar<br />

de Sanofi, le premier lecteur de<br />

glycémie lancé cette année qui se<br />

connecte à un iPhone ou à un iPod<br />

Touch. De quoi archiver, imprimer<br />

ou transmettre les mesures par<br />

mail à son diabétologue.<br />

Reste que la grande majorité des<br />

dizaines de millions d’utilisateurs<br />

de QS dans le monde quantifient<br />

avant tout les efforts qu’ils fournissent<br />

pour améliorer leurs performances<br />

sportives ou leur bienêtre<br />

: les distances parcourues en<br />

courant, les 5 000 à 10 000 pas<br />

effectués chaque jour, les marches<br />

d’escalier montées, les cigarettes<br />

non fumées, les hamburgers bien<br />

gras qu’ils refusent héroïquement<br />

de dévorer ! Toutes ces micromesures<br />

de soi correspondent à autant<br />

de microdécisions – microlâchetés<br />

ou microcourages – de la vie quotidienne.<br />

Une fois captées, puis transmises<br />

à l’application mobile et<br />

archivées dans le cloud, les données<br />

des capteurs – ou celles que l’utilisateur<br />

saisit directement sur son<br />

smartphone – sont interprétées par<br />

les petits logiciels ad hoc. Objectif :<br />

afficher les résultats immédiatement<br />

de façon simple et ludique sur<br />

l’écran du smartphone. Et, pourquoi<br />

pas, prodiguer des conseils.<br />

LE CAPTEUR EST DANS<br />

LA FOURCHETTE<br />

De fait, le passage de l’automesure<br />

médicale au QS s’est véritablement<br />

accéléré grâce au développement<br />

du smartphone et aux capteurs<br />

capables de se connecter à Internet<br />

via Bluetooth ou Wi-Fi. À commencer<br />

par la balance communicante.<br />

« Il faut dire que la surveillance du<br />

poids est l’une des priorités majeures<br />

de l’automesure », rappelle Nicolas<br />

Postel-Vinay. Sur ce créneau, citons<br />

les balances connectées du pionnier<br />

français Withings, lancées en 2009,<br />

ainsi que celles des américains Fitbit<br />

et iHealth. Lesquels viennent<br />

d’être imités par Terraillon qui<br />

lance simultanément une offre de<br />

pèse-personne, tensiomètre et<br />

podomètre connectés. Puis très<br />

vite, les fabricants se sont mis à<br />

En plus de son bracelet coach<br />

électronique, Fitbit commercialise<br />

une balance connectée et dispose<br />

d’une application mobile<br />

généraliste. [FITBIT]<br />

Rester assis trop longtemps est mauvais<br />

pour le dos. <strong>La</strong> ceinture et l’application<br />

de Lumoback mesurent le temps que<br />

l’on passe debout. Alors, au bureau :<br />

tout le monde debout ! [ LUMOBACK]<br />

100 millions de dollars. C’est la<br />

somme que la start-up américaine Jawbone a levée en août<br />

2013. Son bracelet Up, décliné en un grand nombre de coloris,<br />

a su trouver son public. D’autant que l’application Up s’affiche<br />

de façon très simple pour tracer l’activité du sommeil et<br />

l’activité physique dans la journée. Enfin, on peut saisir ce que<br />

l’on mange pour obtenir une vision assez complète de sa santé.<br />

DEBOUT ! Lumoback développe une sorte<br />

de ceinture qui mesure la position du dos.<br />

Mieux, l’appareil émet un son lorsqu’on<br />

s’avachit. Quant à l’application iOS, elle<br />

compte les pas effectués et combien de<br />

minutes on se tient debout dans la journée.<br />

Une prochaine application va nous inciter<br />

à nous lever toutes les demi-heures.<br />

De quoi lutter contre le mal de dos.<br />

QS ORANGE. L’opérateur prépare une<br />

plate-forme de QS pour début 2015.<br />

Il s’agit d’une évolution majeure du cloud<br />

de la marque, car elle permettra à chacun<br />

d’agréger ses données QS et de choisir<br />

comment les analyser. Enjeu : améliorer<br />

sa condition physique grâce à la corrélation<br />

des données au Big Data et à de puissants<br />

modèles mathématiques d’analyse.


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

ENTREPRISES & INNOVATION 17<br />

FOCUS<br />

inonder le marché de petits objets<br />

électroniques portatifs (wearables),<br />

qui ont fortement segmenté l’offre :<br />

podomètres pour compter les pas<br />

effectués dans la journée, accéléromètres<br />

pour quantifier l’intensité<br />

de l’effort (qui fait perdre du poids),<br />

électrocardiogrammes, coachs électroniques<br />

portables, détecteurs des<br />

phases du sommeil… Il existe même<br />

une fourchette électronique, la<br />

Hapifork de Hapilabs qui, en<br />

vibrant lorsque les bouchées sont<br />

trop rapprochées, est censée contribuer<br />

à lutter contre le surpoids.<br />

Non contents de segmenter les<br />

produits et applications, les fabricants<br />

se sont mis à multiplier les<br />

déclinaisons de produits au sein<br />

d’une même niche. « Nous avons<br />

trois coachs électroniques [de 60 à<br />

100 euros], un qui se porte au poignet<br />

et deux qui se clippent. Ils se<br />

connectent automatiquement en<br />

tâche de fond au smartphone de<br />

sorte que l’information soit continuellement<br />

mise à jour, explique<br />

Benoît Raimbault, directeur marketing<br />

Europe de Fitbit, une startup<br />

de 150 salariés basée à<br />

San Francisco. De cette<br />

manière, l’utilisateur peut recevoir<br />

des notifications concernant<br />

l’évolution de ses résultats. Même<br />

des félicitations… » Autre exemple :<br />

Beddit veut améliorer notre sommeil<br />

en plaçant une bande de capteurs<br />

très fine sous le drap de notre<br />

lit pour enregistrer les rythmes<br />

cardiaque et respiratoire, les ronflements,<br />

les mouvements, les<br />

bruits et la température de la<br />

chambre…<br />

PREMIÈRE CIBLE :<br />

LE GRAND PUBLIC<br />

L’engouement, mondial est tel que<br />

les cabinets d’analyse marketing en<br />

perdent leur latin. Les projections<br />

des ventes mondiales de wearables<br />

vont de 14 millions d’unités en 2011<br />

à 171 millions à l’horizon 2016 pour<br />

IMS Research. De son côté, ABI<br />

Research fait exploser ce chiffre à<br />

485 millions pour 2018. Pour sa<br />

part, Business Insider Intelligence,<br />

qui situe le démarrage du wearable<br />

(à 80 % couvert par le secteur<br />

« Health & Fitness Connected ») en<br />

2010, tempère les projections à<br />

300 millions d’unités pour 2018. En<br />

termes de chiffre d’affaires cumulé,<br />

IMS Research prévoit un doublement,<br />

de 2 milliards de dollars<br />

(1,478 milliard d’euros) cette année,<br />

à 5 milliards (3,7 milliards d’euros)<br />

l’an prochain. ABI Research va<br />

jusqu’à 12 milliards de dollars<br />

(8,9 milliards d’euros) pour 2018.<br />

IDC annonce que chaque individu<br />

aura en moyenne sur lui 3,5 produits<br />

connectés en 2020. Quant à<br />

Forrester Reseach, il prédit que le<br />

wearable constituera la prochaine<br />

<strong>La</strong> smartwatch, nouvel écran de la mobilité<br />

Les pure players du QS ont du mouron à se<br />

faire. « Les grandes marques lorgnent le marché<br />

de la santé connectée et du wearable », reconnaît<br />

Patrice Slupowski, directeur de l’innovation<br />

numérique d’Orange, qui a lancé en 2012<br />

Body Guru, une application mobile expérimentale<br />

de santé connectée. De son côté,<br />

Apple met un pied dans la mare du QS avec son<br />

dernier-né, l’iPhone 5s, qui embarque un accéléromètre,<br />

un gyroscope et un compas.<br />

Autrement dit, un podomètre. Un terrain sur<br />

lequel Samsung a échoué avec son Galaxy S4.<br />

Mais l’enjeu est peut-être ailleurs : « D’ici trois<br />

ans, les podomètres devraient être intégrés aux<br />

Le bracelet Up de Jawbone :<br />

un coach sportif coloré qui<br />

tient autour du poignet.<br />

[JAWBONE]<br />

montres connectées », prédit Emmanuel<br />

Gadenne, fondateur du collectif Quantified<br />

Self Paris. « <strong>La</strong> smartwatch [montre connectée]<br />

et les smartglass [lunettes connectées]<br />

vont devenir le deuxième écran de la mobilité,<br />

analyse Patrice Slupowski. Le smartphone va<br />

revenir dans la poche pour n’être plus qu’un<br />

relais de communication. » Une chose est sûre :<br />

chacun fourbit ses armes. L’enjeu : séduire le<br />

marché des mutuelles de santé. Celles-ci pourraient<br />

sponsoriser les équipements de QS afin<br />

de réaliser des économies grâce à la prévention.<br />

En espérant qu’elles n’aient pas d’autres<br />

arrière-pensées… <br />

grande révolution informatique,<br />

dans la continuité du smartphone<br />

et des tablettes.<br />

Bien entendu, les start-up du QS<br />

et du wearable ont visé d’emblée<br />

le marché grand public. Notamment<br />

en misant sur la distribution<br />

de masse. « Dès 2009, nous avons<br />

re ç u l ’a u t o r i s a t i o n<br />

d’Apple de mettre un “i”<br />

[rappelant celui de<br />

l’iPhone et de l’iPad]<br />

devant le nom de notre<br />

marque, iHealth, qui a<br />

lancé le premier tensiomètre<br />

», explique Uwe<br />

Diegel, PDG Europe<br />

d’iHealth <strong>La</strong>b, dont le<br />

chiffre d’affaires devrait<br />

atteindre les 200 millions<br />

de dollars cette<br />

année (80 millions en 2012).<br />

« Depuis, nos produits sont distribués<br />

non seulement dans les Apple<br />

Store, mais aussi aux États-Unis,<br />

chez les géants comme Walmart. »<br />

Pour sa part, Fitbit serait distribué<br />

dans plus de 10 000 boutiques aux<br />

États-Unis et dans près de 3 000 en<br />

Europe. « En France, le développement<br />

du QS s’accélère avec la vente<br />

de podomètres, de balances et de<br />

bracelets connectés dans des magasins<br />

comme la Fnac ou les Apple<br />

Store », observe Emmanuel<br />

Gadenne, auteur du Guide pratique<br />

du Quantified Self et fondateur du<br />

collectif Quantified Self Paris, qui<br />

485<br />

millions<br />

d’objets « QS »<br />

seront vendus<br />

dans le monde<br />

à l’horizon<br />

2018, selon les<br />

projections<br />

du cabinet ABI<br />

Research.<br />

L’américain iHealth <strong>La</strong>bs<br />

est le premier à avoir<br />

proposé des tensiomètres<br />

connectés. [IHEALTH LABS]<br />

réunit 400 membres – dont des<br />

acteurs comme Withings, Fitbit ou<br />

Hapilabs. Avec de tels potentiels, les<br />

plus belles start-up du QS et de la<br />

santé connectée n’ont pas de mal à<br />

réussir de très grosses levées de<br />

fonds. Comme Withings et ses<br />

23 millions d’euros en juillet dernier<br />

ou Fitbit et ses<br />

32 millions d’euros en<br />

août. <strong>La</strong> palme revenant à<br />

Jawbone ( bracelets<br />

connectés) qui a levé<br />

74 millions d’euros en<br />

septembre dernier.<br />

Pour accélérer ces développements<br />

et prendre les<br />

meilleures positions, les<br />

spécialistes du secteur<br />

misent à la fois sur l’effet<br />

viral des réseaux sociaux<br />

liés à leurs capteurs et sur des applications<br />

mobiles généralistes pour<br />

centraliser la collecte de différents<br />

capteurs. Quitte à se rendre compatibles<br />

avec des équipements provenant<br />

d’autres marques. « Nous avons<br />

ainsi ouvert notre application à plus<br />

de 100 partenaires, reconnaît Cédric<br />

Hutchings, cofondateur et DG de<br />

Withings. Inversement, nos objets<br />

connectés – balances, tensiomètres,<br />

pèse-bébés, bracelets – sont compatibles<br />

avec des applications tierces. »<br />

De quoi « converser » avec les podomètres<br />

de Nike et rester dans la<br />

course du très prometteur marché<br />

des montres intelligentes. <br />

INNOVONS ENSEMBLE, AVEC<br />

ET<br />

COLDWAY, LE DISCRET<br />

« Nous détenons quinze familles de brevets dans les principaux<br />

pays industriels et nous en déposons trois à quatre par an<br />

actuellement », confie <strong>La</strong>urent Rigaud, le président de Coldway.<br />

Fruit de huit années de recherches, son système frigorifi que<br />

équipe déjà des camions médicaux en France et à l’étranger. Les<br />

industriels s’intéressent aussi aux sels réactifs mis au point par<br />

les deux cofondateurs venus du CNRS. « Nous venons de signer<br />

un contrat de 6 millions d’euros sur 5 ans. » Pour adapter sa<br />

technologie de refroidissement rapide, sans rupture de la chaîne<br />

du froid et autonome en énergie pendant une journée, à de telles<br />

grandes séries, cette PME (de 16 salariés) devrait doubler ses<br />

effectifs d’ici deux ans. Un essor financé par une levée de fonds<br />

de 9,3 millions d’euros en juin dernier. Bpifrance a participé à ce<br />

tour de table via le fonds Ecotechnologies. « Le projet de Coldway<br />

s’inscrit parfaitement dans l’action du fonds Ecotechnologies et<br />

plus largement dans celle menée par Bpifrance. »<br />

Dès ses premières années d’activité, Coldway a reçu le soutien de<br />

Bpifrance pour le recrutement et l’innovation. « À chaque fois, ses<br />

avances remboursables et les conseils des équipes de spécialistes<br />

qui nous ont accompagnés nous ont aidés à passer des caps<br />

techniques. Quant aux prêts à l’innovation, ils permettent de<br />

financer la formation de la force commerciale ou les déplacements<br />

à l’étranger. C’est un coup de pouce non négligeable dans un<br />

budget ! »<br />

Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr<br />

<strong>La</strong>urent Rigaud, président de Coldway<br />

© Coldway


18<br />

TERRITOIRES / FRANCE<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

LA BONNE<br />

OPÉRATION<br />

<strong>La</strong> capitale aquitaine va accueillir dès l’été prochain un projet unique au monde : un test grandeur nature<br />

des prototypes d’hydroliennes développés par les industriels. L’enjeu est de taille : en France, 40 000 emplois<br />

pourraient être créés à l’horizon 2020 grâce à la filière des énergies marines renouvelables.<br />

Bordeaux, capitale mondiale<br />

des hydroliennes fluviales en 2014<br />

NICOLAS CÉSAR, À BORDEAUX,<br />

OBJECTIF AQUITAINE<br />

<strong>La</strong> France a de vrais<br />

atouts. Elle est<br />

deuxième au monde<br />

pour le nombre<br />

de brevets déposés<br />

dans l’hydrolien.<br />

Et si l’on produisait de<br />

l’électricité avec le<br />

courant des fleuves ?<br />

À partir de l’été 2014,<br />

des industriels vont se<br />

presser dans la capitale girondine<br />

pour mettre au banc d’essai leurs<br />

hydroliennes fluviales ou maritimes.<br />

Bordeaux a été choisi<br />

comme site expérimental estuarien<br />

national pour l’essai et l’optimisation<br />

d’hydroliennes (projet<br />

Seeneoh). « Grâce au pont de<br />

pierre et à ses 15 arches marines, il<br />

y a de fortes accélérations de courant.<br />

<strong>La</strong> vitesse peut atteindre<br />

jusqu’à 7 nœuds », justifie Marc<br />

<strong>La</strong>fosse, 32 ans, président d’Énergie<br />

de la Lune, cabinet d’ingénierie<br />

en énergies marines à Bordeaux,<br />

qui va gérer le site. C’est le<br />

seul projet de cette ampleur dans<br />

le monde. Et c’est donc un tout<br />

nouveau marché à fort potentiel<br />

qui s’ouvre. « À ce jour, il existe<br />

146 technologies différentes d’hydroliennes<br />

dans le monde. Nous<br />

avons déjà reçu 17 demandes ! »<br />

indique l’océanographe.<br />

L’ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS<br />

FINANCENT 64 % DU PROJET<br />

Ce site d’essai sera capable d’accueillir<br />

simultanément trois<br />

hydroliennes. Deux seront fixées<br />

sur des plates-formes flottantes<br />

ou semi-flottantes à 46 mètres en<br />

aval du pont de pierre et une autre<br />

sera placée à 125 mètres de l’édifice.<br />

Les appareils devront rester<br />

sur place entre six et vingt-quatre<br />

mois, afin de bien étudier leur<br />

comportement. Même l’impact<br />

éventuel des pales sur les poissons<br />

sera analysé. Côté rendement, les<br />

engins subaquatiques, disposant<br />

de pales de 5 mètres de diamètre,<br />

devraient développer une puissance<br />

totale de 250 kilowatts. À<br />

Bordeaux, on pourrait ainsi alimenter<br />

plus de 20 % de l’éclairage<br />

© INSTREAM<br />

public de la ville avec des hydroliennes<br />

fluviales, qui, ensemble,<br />

offriraient une puissance de<br />

1,2 MW.<br />

Les quatre premières entreprises<br />

à s’installer sur les bords de<br />

la Garonne sont déjà connues. Il<br />

s’agit du bordelais Hydrotube-<br />

Energie, de l’isérois HydroQuest,<br />

qui a créé une hydrolienne<br />

capable de produire 100 kilowatts,<br />

du puissant canadien Instream,<br />

qui a créé une filiale en France et<br />

a choisi Bordeaux pour y installer<br />

son siège social, et du groupe<br />

Cnim (Constructions industrielles<br />

de la Méditerranée), un<br />

poids lourd du secteur, qui a réalisé<br />

722 millions d’euros de chiffre<br />

d’affaires en 2012 et compte 2 772<br />

collaborateurs dans 15 pays.<br />

Ce projet, labellisé<br />

par France énergies<br />

marines, est doté d’un<br />

budget de deux millions<br />

d’euros. Il est pris<br />

en charge par les<br />

quatre collectivités<br />

locales – ville, département,<br />

région, communauté<br />

urbaine – à 14 %,<br />

par des investisseurs<br />

privés (36 %) et bénéficie d’un fort<br />

soutien de l’État dans le cadre des<br />

investissements d’avenir aux côtés<br />

de France énergies marines<br />

(50 %). Le programme doit durer<br />

au moins jusqu’au 31 mars 2020.<br />

Dans ce secteur, la France a de<br />

Installées à proximité du pont de pierre, à Bordeaux,<br />

les hydroliennes fluviales devraient développer<br />

une puissance totale de 250 kW. [ ENERGIE DE LA LUNE]<br />

vrais atouts. Elle est deuxième au<br />

niveau mondial pour le nombre de<br />

brevets déposés dans l’hydrolien.<br />

« Grâce à des leaders comme le<br />

groupe DCNS dans l’armement<br />

naval et l’énergie, Ifremer dans<br />

l’océanographie, EDF, GDF-Suez<br />

dans l’énergie, Vinci, Bouygues,<br />

Eiffage dans les travaux maritimes…<br />

», détaille Marc <strong>La</strong>fosse.<br />

Le marché décolle : en 2013, la<br />

<strong>La</strong> puissante société canadienne Instream a choisi Bordeaux pour y<br />

installer son siège social. Ici, sa turbine hydrocinétique à axe vertical.<br />

convention d’affaires des énergies<br />

marines renouvelables, Thetis<br />

EMR, a accueilli 172 exposants,<br />

contre 70 l’année dernière !<br />

<strong>La</strong> France espère devenir leader<br />

reconnu sur le marché des EMR.<br />

Au total, 113 millions d’euros y<br />

seront investis au cours des dix<br />

prochaines années. <strong>La</strong> filière<br />

devrait créer 40 000 emplois d’ici<br />

à 2020. Si les grands groupes se<br />

sont emparés du marché très prometteur<br />

des hydroliennes<br />

marines, les PME se sont engouffrées,<br />

elles, dans celui des hydroliennes<br />

fluviales ou d’estuaire,<br />

également porteur.<br />

BRETAGNE ET DOM-TOM,<br />

DES SITES À L’ÉTUDE<br />

Selon le cabinet américain Pike<br />

Research, le potentiel mondial de<br />

l’hydrolien fluvial est de 3 000 MW<br />

d’ici à 2025, soit un marché de<br />

10 milliards d’euros. Ainsi, Jean-<br />

François Simon, PDG d’HydroQuest,<br />

start-up grenobloise de<br />

10 salariés, espère vendre de 300 à<br />

500 machines par an d’ici à 2018.<br />

Selon EDF et les experts gouvernementaux,<br />

les zones propices se<br />

situent au large de la pointe de la<br />

Bretagne, entre Ouessant et le<br />

continent, et autour du Cotentin.<br />

Sans oublier, bien entendu, les territoires<br />

d’outre-mer. « En Guyane,<br />

l’hydrolien fluvial permettrait de<br />

Repères<br />

113 MILLIONS D’EUROS C’est<br />

le montant des investissements<br />

français dans les EMR au cours des<br />

dix prochaines années, ce qui devrait<br />

créer 40 000 emplois d’ici à 2020.<br />

ENTRE 3 ET 5 GIGAWATTS<br />

L’estimation du potentiel français<br />

hydrolien océanique.<br />

10 MILLIARDS D’EUROS<br />

Le marché potentiel mondial<br />

de l’hydrolien fluvial d’ici à 2025.<br />

106 MÉGAWATTS L’estimation du<br />

potentiel de l’estuaire de la Gironde,<br />

où 3 000 machines pourraient être<br />

installées. Au niveau local, la filière<br />

devrait créer 400 emplois.<br />

146 Nombre des différentes<br />

technologies d’hydroliennes dans<br />

le monde.<br />

rendre autonome en électricité un<br />

très grand nombre de villages », met<br />

en avant Marc <strong>La</strong>fosse. Ces hydroliennes<br />

pourraient également être<br />

installées dans les passes d’atolls.<br />

Un projet est en cours à Tahiti.<br />

« Il y a peu de filières industrielles<br />

aujourd’hui en France susceptibles<br />

d’offrir une croissance à deux<br />

chiffres », rappelle Marc <strong>La</strong>fosse.<br />

Mais, pour cela, « il ne faut pas<br />

prendre de retard. Les premiers<br />

parcs pilotes arriveront chez nous en<br />

2016, alors qu’en Écosse les permis<br />

de construire sont déjà déposés. »<br />

Une ferme pilote d’une dizaine<br />

d’hectares doit voir le jour en 2016<br />

à Bourg, en Gironde. Selon une<br />

étude de la région Aquitaine menée<br />

en 2012, il y a un potentiel de 3 000<br />

machines dans l’estuaire de la<br />

Gironde, équivalant à une puissance<br />

installée de 106 MW. Au<br />

niveau local, l’objectif est de faire<br />

émerger une filière industrielle avec


125 ans déjà que William Grant posait la première pierre de sa distillerie<br />

dans la vallée des cerfs. 125 années durant lesquelles Glenfiddich a su<br />

développer la gamme de Single Malts la plus récompensée au monde.<br />

125 années de créativité et de tradition qu’incarne à merveille l’alliance des<br />

trois fûts différents dont est issu le Glenfiddich 15 ans.<br />

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20<br />

TERRITOIRES / INTERNATIONAL<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

LE GRAND<br />

CHANTIER<br />

Si la ville n’a pas obtenu l’organisation des Jeux olympiques pour 2020 (au profit de Tokyo), elle n’arrête pas pour<br />

autant ses mégaprojets : la construction du plus grand aéroport du monde, d’un réseau ferroviaire souterrain<br />

de 76 km, d’un troisième pont enjambant le Bosphore, le creusement d’un canal doublant le détroit côté Europe…<br />

Istanbul, la mégapole eurasienne<br />

saisie par la folie des grandeurs<br />

ELISA PERRIGUEUR, À ISTANBUL<br />

Aux côtés des imposantes<br />

mosquées et<br />

drapeaux rouges,<br />

les grues et les<br />

gratte-ciel en chantier<br />

redessinent l’horizon d’Istanbul.<br />

Alors qu’il y a à peine quarante<br />

ans la mégapole surnommée<br />

la « Sublime Porte » entre l’Europe<br />

et l’Asie recensait 2 millions d’habitants,<br />

elle en compte aujourd’hui<br />

quelque 15 millions. Ces quatre<br />

dernières années, 1,15 million de<br />

personnes ont encore débarqué<br />

dans la ville, attirées par le dynamisme<br />

et le développement de<br />

l’agglomération portés par la croissance<br />

du pays (62,57 % cumulés de<br />

2002 à 2012). <strong>La</strong> Turquie,<br />

aujourd’hui au 17 e rang mondial en<br />

termes de PIB, veut en effet faire<br />

d’Istanbul la vitrine de son essor.<br />

Alors d’est en ouest des deux rives<br />

scindées par le détroit du Bosphore,<br />

Istanbul prospère, grossit, se redessine<br />

et prend ses aises. Des quartiers<br />

d’affaires et résidentiels, des<br />

centres commerciaux et des mosquées<br />

fleurissent. Partout, les chantiers<br />

témoignent de la folie des<br />

grandeurs du Premier ministre<br />

islamo-conservateur Recep Tayyip<br />

Erdogan, qui fut également<br />

maire de la mégapole<br />

de 1994 à 1998.<br />

Aussi, à quelques mois<br />

des échéances électorales<br />

(locales en mars et<br />

p résidentielle e n<br />

août 2014), Erdogan se<br />

délecte-t-il en évoquant<br />

tous ces « projets fous »<br />

toujours plus imposants,<br />

toujours plus<br />

coûteux.<br />

Le chef de l’AKP (Parti de la justice<br />

et du développement) entrevoit<br />

l’achèvement du lifting d’Istanbul<br />

en 2023, date clé qui marquera le<br />

62,5 %<br />

c’est la croissance<br />

cumulée de<br />

l’économie turque<br />

sur dix ans, entre<br />

2002 et 2012.<br />

Istanbul est la<br />

vitrine de cette<br />

renaissance.<br />

Le Marmaray, réseau ferroviaire souterrain de 76,3 km qui reliera<br />

les rives asiatique et européenne du Bosphore, a coûté 5 milliards<br />

de dollars. [ERHAN/A.A./SIPA]<br />

centenaire de la République turque.<br />

D’ici là, le pays affiche des objectifs<br />

audacieux : entrer dans le gotha des<br />

dix plus importantes économies au<br />

monde, avec un PIB de 2 000 milliards<br />

de dollars, un PIB par habitant<br />

de 25 000 dollars et des exportations<br />

s’élevant à 500 milliards.<br />

C’est d’abord autour<br />

du scintillant Bosphore<br />

que naissent les<br />

grandes infrastructures.<br />

Comme le relève<br />

Yoann Morvan, chercheur<br />

à l’Institut français<br />

des études anatoliennes<br />

(IEFA), ce<br />

canal, « pourtant à<br />

l’origine de la création<br />

de l’ancienne Constantinople<br />

[…], est aussi un obstacle<br />

gênant pour la circulation intraurbaine<br />

». Chaque jour, plus de<br />

2 millions de personnes traversent<br />

le détroit pour passer d’Asie en<br />

Europe et vice versa. Le 29 octobre<br />

prochain, l’un des « mégaprojets »<br />

destiné à désengorger ce trafic sera<br />

opérationnel. L’ambitieux Marmaray,<br />

plan d’extension et de rénovation<br />

d’un réseau ferroviaire souterrain<br />

de 76,3 km qui reliera les deux<br />

rives, dont une partie (13,5 km)<br />

sous le Bosphore, aura nécessité<br />

près de 5 milliards de dollars.<br />

Selon ses différents contributeurs<br />

( japonais, turcs, français et<br />

coréen), le Marmaray devrait ainsi<br />

capter 27 % des passages (3,6 % à<br />

l’heure actuelle), allégeant d’autant<br />

l’intense circulation routière.<br />

33 Mds D’EUROS <strong>POUR</strong> LE PLUS<br />

GRAND AÉROPORT MONDIAL<br />

C’est également l’objectif du<br />

« troisième pont », passerelle ferroviaire<br />

et routière de 1,2 km – le<br />

neuvième plus long pont suspendu<br />

du monde – qui sera<br />

construit d’ici deux ans au nord du<br />

Bosphore. Construit et exploité<br />

par le turco-italien Içtas-Astaldi,<br />

pour 2,3 milliards d’euros, ce nouveau<br />

pont entre Asie et Europe<br />

connectera une future autoroute<br />

de 260 km. Enfin, projet encore<br />

plus fou, un canal devrait être<br />

creusé d’ici à 2023, parallèle au<br />

Bosphore, sur la rive européenne.<br />

Voué à alléger le transport maritime<br />

– près de 50 000 navires par<br />

an sur le détroit – le coût de ce<br />

corridor de 50 km de long et de<br />

150 mètres de large est estimé<br />

entre 10 et 20 milliards de dollars.<br />

Chaque jour, des centaines<br />

d’ avions survolent la mégapole. Ces<br />

cinq dernières années, la croissance<br />

du trafic moyen des deux aéroports<br />

d’Istanbul s’est envolée à 14 % par<br />

an ! « L’aéroport international Atatürk<br />

d’Istanbul atteint ses limites<br />

En pleine croissance,<br />

la Turquie veut jouer<br />

dans la cour des<br />

grands. Elle l’affirme<br />

aussi au travers des<br />

travaux titanesques<br />

de sa ville phare.<br />

avec 45 millions de passagers en<br />

2012 », précise Seyfettin Gürsel,<br />

économiste et professeur à l’université<br />

de Bahçeşehir. Les autorités ont<br />

donc décidé de bâtir le plus grand<br />

aéroport du monde d’ici à 2018 (lire<br />

<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong> Hebdo n° 56, 12 juillet<br />

2013). Objectif : accueillir, à terme,<br />

150 millions de passagers par an,<br />

soit deux fois plus que Roissy. Un<br />

projet piloté par un consortium<br />

d’entreprises turques pour environ<br />

33 milliards d’euros, soit la plus<br />

grande infrastructure jamais financée<br />

en Turquie. Doté de six pistes,<br />

le mastodonte s’étalera sur<br />

7 500 hectares, au nord de la partie<br />

européenne de la mégapole. À comparer<br />

aux 1 900 hectares occupés<br />

aujourd’hui par le plus grand aéroport<br />

du monde, celui d’Atlanta.<br />

Ces mégaprojets garantissent-ils<br />

pour autant des lendemains qui<br />

chantent ? Le chercheur Yoann<br />

Morvan met en garde : « De nombreux<br />

projets se réaliseront dans le<br />

nord de l’agglomération, visant à<br />

étendre toujours plus Istanbul.<br />

Cependant, une solution aurait été<br />

de rapprocher le troisième pont de la<br />

nappe urbaine existante pour éviter<br />

cet étalement prédateur et préserver<br />

une ceinture verte. <strong>La</strong> casse environnementale,<br />

mais aussi sociale, sera<br />

vraisemblablement énorme. » <strong>La</strong><br />

mégapole est effectivement entourée<br />

d’une forêt qui s’étend sur 50 à<br />

60 % du territoire d’Istanbul. Pour<br />

l’aéroport, près de 600 000 arbres<br />

devraient être abattus et 2 millions<br />

déplacés. Il faudra aussi remuer des<br />

millions de mètres cubes de terre<br />

pour creuser le « Kanal Istanbul ».<br />

LE RISQUE D’UNE<br />

CROISSANCE INSUFFISANTE<br />

« Auparavant, les groupes turcs<br />

empruntaient sur les marchés<br />

internationaux, mais dorénavant<br />

trouver les financements sera difficile,<br />

en raison du changement de<br />

politique de la Réserve fédérale<br />

américaine », s’inquiète Soli Özel,<br />

économiste et conseiller<br />

à la Tusiad, association<br />

des industriels et<br />

hommes d’affaires<br />

turcs. <strong>La</strong> perspective<br />

d’une fin prochaine de<br />

la politique monétaire<br />

p a r t i c u l i è r e m e n t<br />

accommodante menée<br />

par la Fed a incité en<br />

effet nombre d’investisseurs<br />

à se retirer des<br />

pays émergents, jugés trop risqués,<br />

pour se replacer aux États-<br />

Unis. En outre, les manifestations<br />

qui se sont déroulées en juin à<br />

Istanbul ont montré la fragilité<br />

d’une économie émergente,<br />

encore très dépendante des capitaux<br />

étrangers. <strong>La</strong> livre turque a<br />

chuté de 10 % en trois mois ; entre<br />

mai et juillet, la balance des paiements<br />

turque a enregistré une<br />

fuite de capitaux, évaluée à deux<br />

milliards d’euros. « Les projets<br />

dépendent beaucoup de la croissance,<br />

à 2,2 % en 2012, et à 4 %<br />

estimés pour 2013. Si elle ralentit<br />

au cours des prochaines années,<br />

l’aéroport ne sera pas rentable, par<br />

exemple. Dans ce schéma, selon nos<br />

estimations, il n’atteindra jamais<br />

les 150 millions de passagers<br />

annuels espérés, mais restera<br />

limité à 90 millions », soupire le<br />

professeur Seyfettin Gürsel. <br />

EN SAVOIR PLUS<br />

L’étude de Yoann Morvan,<br />

« L’aménagement du grand Istanbul :<br />

entre ambition géopolitique mondiale<br />

et enjeux fonciers locaux », est en<br />

ligne sur www.academia.edu


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22<br />

LES IDÉES<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

LES FUTURS CHOIX <strong>POUR</strong><br />

L’EUROPE D’ANGELA MERKEL<br />

Que l’on préfère attribuer la paternité de l’expression « un grand pouvoir implique de<br />

grandes responsabilités » à Franklin Delano Roosevelt ou à Peter Parker (Spider-Man),<br />

il y a là un adage qui s’applique parfaitement à la chancelière allemande, partie pour<br />

un troisième mandat à la tête de la première puissance économique de la zone euro…<br />

© DR<br />

© DR<br />

JEAN<br />

PISANI-<br />

FERRY<br />

Économiste,<br />

commissaire général<br />

à la stratégie et<br />

à la prospective. Il<br />

dirigeait également,<br />

jusqu’au printemps<br />

2013, Bruegel,<br />

groupe de réflexion<br />

basé à Bruxelles.<br />

Auteur de :<br />

LE RÉVEIL<br />

DES DÉMONS :<br />

LA CRISE DE L’EURO<br />

ET COMMENT NOUS<br />

EN SORTIR<br />

Éd. Fayard,<br />

novembre 2011.<br />

Le triomphe retentissant d’Angela Merkel<br />

aux dernières élections législatives<br />

allemandes confère à son mandat une<br />

force dont bénéficient aujourd’hui<br />

bien peu de dirigeants à travers le<br />

monde. Dans un pays pourtant obsédé<br />

par les coûts susceptibles d’être infligés<br />

par la crise de l’euro aux épargnants nationaux, le<br />

parti anti-euro baptisé Alternative pour l’Allemagne a<br />

rassemblé moins de 5 % du vote populaire, Angela Merkel<br />

bénéficiant ainsi d’un poids politique exceptionnel.<br />

Le fait même que l’Union chrétienne-démocrate de<br />

centre droit de la chancelière n’ait pu obtenir une majorité<br />

parlementaire absolue constitue en réalité une bénédiction.<br />

L’importante coalition qu’il est probable qu’elle<br />

forme avec le Parti social-démocrate de centre gauche<br />

pourrait prendre la tête d’une super-majorité de 503 des<br />

630 sièges du Bundestag.<br />

<strong>La</strong> question majeure est désormais de savoir dans<br />

quelles directions Angela Merkel investira son riche<br />

capital politique, sachant que ses choix pourraient bien<br />

se révéler déterminants pour l’avenir du continent. Si<br />

l’Europe est aujourd’hui en meilleure forme qu’elle ne<br />

l’était il y a un an, elle demeure confrontée à un avenir<br />

incertain. <strong>La</strong> reprise économique s’avère indéniable, les<br />

déséquilibres externes se sont atténués,tandis que le<br />

désalignement des taux de change réels a été réduit. Le<br />

PIB total par habitant demeure néanmoins en dessous<br />

des niveaux de 2007. En Grèce, le revenu par habitant<br />

reste proche des chiffres enregistrés en 2000, tandis<br />

qu’en Italie ils avoisinent seulement le niveau de 1997.<br />

Par ailleurs, les États d’Europe du Sud sont confrontés<br />

au fléau du chômage de masse, qui frappe particulièrement<br />

les jeunes adultes. Quant aux taux d’endettement,<br />

public comme privé, ils atteignent encore aujourd’hui<br />

un niveau dangereusement élevé. Jusqu’à ce qu’un chemin<br />

soit clairement tracé en direction d’un retour de la<br />

prospérité, tous ces risques sont voués à demeurer. Pour<br />

Angela Merkel, la question est donc de savoir quelle<br />

stratégie de minimisation des risques privilégier.<br />

RÉTABLIR LA CONFIANCE ÉCONOMIQUE,<br />

INSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE<br />

Commençons par les bases. Angela Merkel pourrait<br />

tout d’abord s’attacher à restaurer la confiance au sein<br />

des fondamentaux économiques de l’Europe. Prenons<br />

le marché unique des biens, services et capitaux –<br />

marché célébré en tant que colonne vertébrale de<br />

l’intégration économique. Celui-ci se trouve<br />

aujourd’hui en très mauvais état.<br />

Le marché unique des énergies s’illustre par<br />

exemple par ses défaillances ; sans quoi l’Allemagne<br />

ne procéderait pas à la construction de fermes<br />

solaires, lesquelles seraient plutôt bâties en Europe<br />

du Sud. Le marché numérique souffre par ailleurs<br />

d’un manque d’unification. Quant aux marchés de<br />

capitaux, la crise de l’euro les a laissés dans un état<br />

de véritable fragmentation. Le retour de la confiance<br />

en Europe ne sera pas possible tant que de sérieux<br />

travaux de rénovation n’auront pas été achevés.<br />

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7%0-*F)-*G)&+.)+(-H<br />

C37;


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

LES IDÉES 23<br />

NOUS CITOYENS : « UNISSONS<br />

NOS FORCES <strong>POUR</strong> DÉBRIDER<br />

LE POTENTIEL DE LA FRANCE »<br />

© DR<br />

DENIS<br />

PAYRE<br />

ENTREPRENEUR<br />

(BUSINESS OBJECTS,<br />

KIALA), ANCIEN<br />

PRÉSIDENT<br />

ET FONDATEUR<br />

DE L’ASSOCIATION<br />

D’ENTREPRISES<br />

DE LA NOUVELLE<br />

ÉCONOMIE<br />

CROISSANCEPLUS<br />

AU CŒUR DE<br />

LA CRISE<br />

Denis Payre vient d’annoncer, jeudi 10 octobre, avec d’autres<br />

entrepreneurs, la création de Nous citoyens, un nouveau parti<br />

politique qui entend représenter les Français « qui refusent<br />

de baisser les bras ». Leur intention est de construire un « projet citoyen »<br />

à travers une plate-forme participative. Une méthode qui n’est pas sans rappeler<br />

celle des « pigeons ». Voici leur manifeste, en attendant le programme.<br />

«<br />

Nous citoyens aimons notre<br />

pays et sommes convaincus<br />

de son immense<br />

potentiel. Nous nous réunissons<br />

au sein d’un mouvement<br />

pour être le portevoix<br />

des citoyens frustrés<br />

devant l’incapacité des partis de gouvernement à faire<br />

entrer la France dans le XXI e siècle, et qui veulent<br />

reprendre l’initiative avant qu’il ne soit trop tard. <strong>La</strong><br />

France est à la croisée des chemins. Soit le pays se<br />

réforme radicalement et sait rebondir, soit il risque d’être<br />

dirigé prochainement par des populistes. Nous ne pouvons<br />

laisser la France continuer sa route actuelle vers le<br />

déclin, ne laissant aux générations futures qu’un chômage<br />

de masse, des dettes abyssales et une société où<br />

règne l’injustice sociale. Les Français n’ont plus<br />

confiance en leurs représentants ni dans le système qu’ils<br />

incarnent et sont déçus par les partis de gouvernement.<br />

Nous citoyens pensons que cette situation s’explique<br />

par une société française figée dans laquelle tous les<br />

problèmes doivent être résolus par un État omniprésent<br />

mais de moins en moins efficace, et des administrations<br />

qui ne font pas confiance à la société civile.<br />

Résultat de cette inertie, notre dépense publique est<br />

hors de contrôle et représente 57 % du PIB, un quasirecord<br />

du monde ! À vouloir tout faire, les services<br />

publics sont en dégradation constante et génèrent de<br />

nombreux gaspillages dénoncés par la Cour des comptes.<br />

L’explosion de la dette publique, qui atteint bientôt les<br />

95 % du PIB (près de 2 000 milliards) et les impôts qui<br />

augmentent sans cesse, assommant le pouvoir d’achat<br />

des Français et décourageant tous ceux qui entreprennent,<br />

sont les conséquences de ces écueils. Cette<br />

dérive représente un héritage lourd pour les générations<br />

futures et un risque fort que les marchés financiers nous<br />

obligent à réformer dans l’urgence et la douleur.<br />

« LA FRANCE EST UNE SURDOUÉE<br />

QUI S’IGNORE »<br />

Pourtant, nous sommes convaincus que la France est<br />

« une surdouée qui s’ignore » et qu’elle devrait se trouver<br />

sur les plus hautes marches des podiums de la prospérité<br />

et du bonheur. <strong>La</strong> France et son « art de vivre »<br />

font rêver la plupart des habitants de la planète qui sont<br />

de plus en plus nombreux à pouvoir s’offrir un produit<br />

ou un service français. Cette « marque France » est un<br />

atout considérable dans la mondialisation.<br />

Les Français possèdent aussi des talents clés. Ils font<br />

preuve d’une capacité de travail et de mobilisation<br />

importante si un environnement motivant leur est proposé.<br />

Ils ont une très grande maîtrise de la complexité,<br />

l’esprit de synthèse, une créativité reconnue dans le<br />

monde entier. J’ai eu la chance de le vérifier avec mes<br />

employés et mes associés en tant qu’entrepreneur pendant<br />

plus de vingt ans. Nous nous sommes lancés dans<br />

des secteurs dominés par les Américains et les Allemands<br />

et à chaque fois nous avons réussi à jouer en<br />

coupe du monde. Nous n’avons aucun complexe à avoir<br />

et nous sommes capables de surfer sur toutes les révolutions<br />

technologiques actuelles.<br />

Enfin, les Français sont des entrepreneurs dans l’âme :<br />

d’après la dernière étude du Global Entrepreneurship<br />

Monitor de 2012, 18 % des Français déclarent vouloir<br />

créer une entreprise dans les trois prochaines années,<br />

contre 9 % des Britanniques et 6 % des Allemands. Nos<br />

concitoyens montrent un fort désir d’entreprendre,<br />

mais qui ne se confirme pas dans les faits. Nous comptons<br />

1 million d’entrepreneurs établis en France, contre<br />

2,2 millions en Allemagne et presque 3 millions au<br />

Royaume-Uni. En dépit de leur forte inclination pour<br />

la création d’entreprise, les Français se trouvent bloqués<br />

dans leurs initiatives par les freins du système en<br />

place : manque d’investisseurs, lourdeur de la réglementation,<br />

coût du travail et fiscalité décourageante…<br />

« FÉDÉRER LES FRANÇAIS OPTIMISTES,<br />

CEUX QUI VEULENT ENGAGER LES RÉFORMES »<br />

En résumé, un État qui ne fait pas confiance à la<br />

société civile, qui ne reconnaît pas la réussite et qui ne<br />

fait rien pour que nos concitoyens puissent donner le<br />

meilleur d’eux-mêmes. Un État dirigé par des responsables<br />

politiques qui ont deux types de profil : d’un côté<br />

des fonctionnaires, (dont la qualité n’est pas en cause,<br />

mais le nombre si !), qui ne connaissent que le fonctionnement<br />

de l’administration, pas l’entreprise ni le reste<br />

du monde ; de l’autre des « politiques de carrière » qui<br />

minimisent la prise de risque pour assurer leur réélection<br />

et refusent d’affronter les corporatismes.<br />

Nous citoyens souhaitons fédérer les Français optimistes<br />

mais qui en ont marre, ceux qui veulent engager<br />

les réformes dont notre pays a besoin. Avec eux,<br />

nous allons construire un “Projet Citoyen” à travers<br />

une plate-forme participative, autour de sujets prioritaires<br />

comme l’emploi, l’éducation, la lutte contre<br />

l’exclusion ou le logement. Sans idéologie, nous<br />

sommes guidés par le bon sens et quelques valeurs :<br />

nous prônons une vraie solidarité ciblant en priorité<br />

les sujets comme la très grande pauvreté et visant la<br />

réinsertion dans la société plutôt que l’assistance,<br />

humiliante pour les bénéficiaires et coûteuse pour<br />

la collectivité. Nous voulons un retour de la responsabilité<br />

dans la gestion des affaires publiques, à commencer<br />

par la tenue d’un budget à l’équilibre, un<br />

programme clair et précis lors des élections présidentielles<br />

et une focalisation de l’État sur la régulation<br />

plutôt que l’exécution. Nous voulons aussi rétablir<br />

la confiance entre l’État et la société civile en<br />

renouvelant le personnel politique.<br />

Dans les mois qui viennent, nous mènerons des<br />

actions concrètes pour mobiliser largement et faire<br />

en sorte que notre projet soit repris par les partis de<br />

gouvernement rapidement. Sans ambition personnelle,<br />

nous soutiendrons, lors des principales élections,<br />

les candidats qui reprendront l’intégralité de<br />

notre projet et posséderont la capacité à le mettre<br />

en œuvre. Nous serons très exigeants. Nous nous<br />

réservons la possibilité de présenter des candidats<br />

le cas échéant. » <br />

NOTICE DE REMBOURSEMENT ANTICIPE PAR LA COMPAGNIE GENERALE DES ETABLISSEMENTS MICHELIN<br />

DONNEE AUX PORTEURS DES TITRES SUBORDONNÉS DE DERNIER RANG REMBOURSABLES EN NUMÉRAIRE<br />

À ÉCHÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 2033<br />

(Code ISIN : FR0010034298)<br />

Le 3 décembre 2003, la Compagnie Générale des Etablissements Michelin (ci-après « CGEM ») a émis des titres subordonnés<br />

de dernier rang remboursables en numéraire, portant intérêt au taux de 6,375% l’an et venant à échéance le 3 décembre<br />

2033, pour un montant nominal total de 500 000 000 euros, admis aux négociations sur le marché réglementé de NYSE<br />

Euronext Paris sous le code ISIN FR0010034298 (les « TSR »).<br />

Une description détaillée des TSR figure dans le prospectus sur lequel l’Autorité des marchés financiers a apposé<br />

le visa n°03-1057 en date du 27 novembre 2003 (le « Prospectus »). Des exemplaires de ce Prospectus sont disponibles<br />

gratuitement sur les sites Internet de l’Autorité des marchés financiers (www.amf-france.org) et de CGEM (www.michelin.<br />

com/corporate, sous la rubrique « dette »), ainsi qu’au siège social de CGEM 12, cours Sablon, 63000 Clermont-Ferrand.<br />

<strong>La</strong> CGEM informe les porteurs des TSR qu’elle procèdera le 3 décembre 2013 (la « Date de Rachat ») au remboursement<br />

anticipé de la totalité des TSR restant en circulation conformément à l’article 2.4.5.2 du Prospectus. Le prix du remboursement<br />

anticipé sera égal au pair majoré des intérêts courus depuis le 3 décembre 2012 inclus (date de paiement du dernier coupon)<br />

jusqu’à la Date de Rachat (exclue), calculés conformément aux modalités des TSR. Les TSR seront annulés selon les termes<br />

du Prospectus.<br />

A propos de CGEM<br />

De plus amples informations relatives à CGEM sont disponibles sur le site suivant : http://www.michelin.com/corporate/.<br />

Compagnie Générale des Etablissements Michelin<br />

Contact:<br />

RELATIONS INVESTISSEURS<br />

Valérie Magloire / Matthieu Dewavrin<br />

27, cours de l’Ile Seguin - 92100 Boulogne Billancourt - France<br />

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24<br />

LES LIVRES<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

NASSIM TALEB :<br />

« JE M’ADAPTE, DONC JE SUIS »<br />

L’ancien trader, auteur du best-seller Le Cygne noir, publie en français son nouveau<br />

livre, Antifragile : les bienfaits du désordre, où il montre que l’exposition aux<br />

changements et aux variations nous est bien plus profitable contre le risque que notre<br />

recherche éperdue d’un monde où tout serait sous contrôle.<br />

© DR<br />

© DR<br />

ROBERT<br />

JULES<br />

RÉDACTEUR EN CHEF<br />

À LA TRIBUNE<br />

ANTIFRAGILE :<br />

LES BIENFAITS<br />

DU DÉSORDRE,<br />

PAR NASSIM<br />

NICHOLAS TALEB,<br />

éditions Les Belles<br />

Lettres, traduction<br />

de l’anglais de<br />

Lucien d’Azay et<br />

Christine Rimoldy,<br />

avec la collaboration<br />

de l’auteur,<br />

649 pages,<br />

25,50 euros.<br />

Avec Le Hasard sauvage et surtout<br />

Le Cygne noir, publié peu avant la<br />

crise financière de 2008, Nassim<br />

Nicholas Taleb est devenu l’un<br />

des essayistes les plus importants<br />

du moment à l’échelle internationale.<br />

Il livre aujourd’hui, dans sa<br />

traduction française, son dernier ouvrage de quelque<br />

650 pages serrées, titré Antifragile. Pourquoi un tel<br />

néologisme ? D’ordinaire, la fragilité est opposée à la<br />

robustesse. Mais comme l’illustre la célèbre fable de<br />

<strong>La</strong> Fontaine Le Chêne et le Roseau, un vent violent<br />

peut déraciner le chêne robuste quand le roseau plie<br />

mais ne rompt pas ! C’est précisément cette adaptation<br />

aux variations du vent qui intéresse l’auteur.<br />

« En réalité, je n’ai pas créé l’expression “antifragilité”,<br />

je l’ai emprunté au vocabulaire des traders »,<br />

explique d’une voix douce Nassim Nicholas Taleb, de<br />

passage à Paris pour la promotion de son livre. Cet<br />

homme affable, lecteur vorace, toujours soucieux<br />

d’illustrer ce qu’il avance, est lui-même un ancien<br />

trader, spécialisé dans les marchés des dérivés. Ayant<br />

gagné suffisamment d’argent pour être à l’abri du<br />

besoin, il s’adonne à sa passion, le savoir sous toutes<br />

ses formes – de l’histoire de l’Antiquité aux mathématiques<br />

financières, en passant par l’épistémologie.<br />

Mais pour saisir ce qu’est cette « antifragilité », sans<br />

doute faut-il comprendre d’abord ce qu’est la fragilité.<br />

« <strong>La</strong> fragilité – qui manque d’une définition technique<br />

– pouvait être définie comme ce qui n’aime pas la volatilité<br />

; et ce qui n’aime pas la volatilité n’aime pas le<br />

hasard, l’incertitude, le désordre, les erreurs, les pressions,<br />

etc. », avance Nassim Taleb.<br />

L’ANTIFRAGILITÉ, OU COMMENT ÉCHAPPER<br />

AU DESTIN DE LA « DINDE DE NOËL »<br />

L’antifragilité est alors « cette qualité propre à tout ce<br />

qui est modifié avec le temps : l’évolution, la culture, les<br />

idées, les révolutions, les systèmes politiques, l’innovation<br />

technologique, les réussites culturelles et économiques,<br />

la survie en commun, les bonnes recettes de cuisine (la<br />

soupe au poulet, par exemple, le steak tartare agrémenté<br />

d’une goutte de cognac), l’essor des villes, des cultures,<br />

des systèmes judiciaires, des forêts équatoriales, de la<br />

résistance aux bactéries… jusqu’à notre propre existence<br />

en tant qu’espèce sur cette planète ».<br />

Pour résumer, « l’antifragilité dépasse la résistance<br />

et la solidité. Ce qui est résistant supporte les chocs et<br />

reste identique ; ce qui est antifragile s’améliore »,<br />

souligne-t-il. Bref, elle est partout à l’œuvre dans les<br />

organismes vivants. D’où l’idée de l’auteur que, en<br />

étudiant ce concept, il est possible d’en extraire des<br />

enseignements précieux pour mieux comprendre le<br />

monde et y mieux évoluer.<br />

Rechercher l’antifragilité, c’est ainsi accepter ces<br />

variations permanentes du monde, c’est s’adapter aux<br />

aléas plutôt que de s’enfermer dans un confort rassurant,<br />

mais qui nous laisse à la merci d’un événement<br />

inattendu capable de nous emporter. Il nous faut éviter<br />

d’être la « dinde de Noël », comme l’expliquait Nassim<br />

Taleb dans Le Cygne noir, en reprenant une parabole<br />

de Bertrand Russell. Cette dinde, qui voyant tous les<br />

jours son propriétaire lui donner à manger se persuade<br />

qu’il en sera ainsi pour toujours, jusqu’au jour, la veille<br />

de Noël, où arrive un imprévu : le maître arrive avec un<br />

couteau. On a en effet tout à gagner à se référer à l’antifragilité,<br />

qui aurait peut-être poussé le malheureux<br />

volatile à essayer de s’échapper de sa situation faussement<br />

idéale. Ses applications sont nombreuses.<br />

« J’ÉCRIS AVEC MES STIGMATES, MA PENSÉE<br />

EST INSÉPARABLE DE MA BIOGRAPHIE »<br />

C’est, par exemple, la « mithridatisation », du nom<br />

de ce roi du Pont qui chaque jour s’exposait à de<br />

petites quantités de substances mortelles pour s’immuniser<br />

contre les fortes doses de poisons qui, sinon,<br />

lui auraient été fatales. Il s’agit là, du reste, du principe<br />

de la vaccination. C’est aussi l’« hormèse », une<br />

expression pharmacologique qui désigne la capacité<br />

qu’a l’absorption d’une petite dose de poison de guérir<br />

l’organisme en provoquant des réactions excessives<br />

et salutaires.<br />

L’application de l’antifragilité « à l’évolution, à la<br />

politique, à l’innovation dans les affaires, à la découverte<br />

scientifique, à l’économie, à l’éthique, à l’épistémologie<br />

et à la philosophie générale » offre la possibilité<br />

de jeter un regard différent sur le monde. Ainsi,<br />

en politique, des organisations décentralisées résisteront<br />

mieux que des États<br />

hypercentralisés et bureaucratisés.<br />

Que l’on compare la solidité<br />

du système fédéral de la Suisse à<br />

celui de l’URSS, qui s’est écroulé<br />

comme un château de cartes.<br />

« Si j’écris sur la probabilité, c’est<br />

avec toute mon âme et toute mon<br />

expérience dans le domaine de la<br />

prise de risques ; j’écris avec mes<br />

stigmates, c’est pourquoi ma pensée<br />

est inséparable de mon autobiographie<br />

», écrit Nassim Nicholas Taleb.<br />

Son but est de nous faire observer le monde avec un<br />

regard différent. Il nous pousse à l’étonnement, dont<br />

Aristote affirmait qu’il est le commencement nécessaire<br />

à la philosophie. « Nous ne vivons pas assez scientifiquement<br />

dans ce monde », affirme-t-il. Paradoxalement,<br />

cela ne veut pas dire être plus théorique,<br />

scientiste. Au contraire, face aux nombreuses théories<br />

« sensationnelles » qui prolifèrent, il faut partir d’un<br />

authentique savoir qui s’applique dans la vie courante.<br />

« Les plus grandes découvertes ont été faites par des<br />

bricoleurs », souligne-t-il.<br />

«Les gens<br />

qui parlent<br />

et n’agissent pas<br />

n’ont jamais joué<br />

un rôle aussi<br />

important qu’à<br />

l’époque moderne. »<br />

Nassim Nicholas Taleb, l’ancien trader devenu<br />

essayiste à succès. [DAN CALLISTER / REX FEA/REX/SIPA]<br />

De ce point de vue, Antifragile est un ouvrage serein,<br />

comme si l’auteur était apaisé. Le Hasard sauvage et<br />

Le Cygne noir étaient des ouvrages de combat et de<br />

polémique. L’ex-trader cherchait alors à se faire reconnaître<br />

sur la scène intellectuelle internationale. Désormais,<br />

Nassim Nicholas Taleb est admis dans le monde<br />

savant et est reconnu par ses pairs. Il enseigne en tant<br />

que « distinguished professor » à l’université de New<br />

York et est professeur invité au Centre d’économie de<br />

la Sorbonne. Un parcours en forme d’odyssée pour ce<br />

natif du Liban dont l’adolescence a été marquée par la<br />

guerre civile. Une bonne partie de ses travaux de haut<br />

vol en statistiques et en mathématiques sont consultables<br />

directement sur le Net.<br />

Le lecteur ne sera donc pas étonné qu’Antifragile se<br />

termine sur un propos éthique. Après son long détour<br />

théorique, la fin du livre pointe un principe de responsabilité,<br />

devenu encore plus flagrant avec la crise financière.<br />

« Les gens qui parlent et<br />

n’agissent pas n’ont jamais été aussi<br />

visibles et n’ont jamais joué un rôle<br />

aussi important qu’à l’époque<br />

moderne. C’est le résultat du modernisme<br />

et de la division des tâches »,<br />

constate-t-il. C’est pourquoi, selon<br />

lui, ceux qui prennent les risques,<br />

du personnel politique aux banquiers,<br />

ne sont paradoxalement<br />

jamais sanctionnés quand cela<br />

tourne mal. L’auteur demande donc<br />

à ce que les rôles soient, selon sa<br />

terminologie, « calibrés », c’est-à-dire que les risques<br />

soient assumés par ceux qui prennent les décisions.<br />

Cette leçon de vie qu’est Antifragile réhabilite le<br />

rationalisme comme forme d’éthique de vie, mais une<br />

vie pratique, vécue à l’épreuve du réel. Certains pourront<br />

trouver déprimante une telle remise en cause de<br />

leurs illusions confortables, d’autres devraient au<br />

contraire considérer le propos de ce livre en forme de<br />

« gai savoir » comme libérateur et comme la meilleure<br />

façon d’éviter, grâce à ce « gai savoir », de devenir à leur<br />

tour une « dinde de Noël ». <br />

http://www.latribune.fr<br />

<strong>La</strong> <strong>Tribune</strong><br />

2, rue de Châteaudun - 75009 Paris<br />

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LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.<br />

au capital de 3 200 000 euros.<br />

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RÉDACTION<br />

Directeur de la rédaction Éric Walther.<br />

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( Direction artistique Cécile Gault.<br />

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( Iconographie Sandrine Sauvin.<br />

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Groupe Hima, <strong>La</strong>urent Alexandre,<br />

JCG Medias, SARL Communication Alain<br />

Ribet/SARL, RH Éditions/Denis <strong>La</strong>fay, .<br />

MANAGEMENT<br />

Vice-président en charge des métropoles<br />

et des régions Jean-Claude Gallo. Conseiller<br />

éditorial François Roche. Directrice Stratégie<br />

et Développement Aziliz de Veyrinas (73 26).<br />

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Imprimeries IPS, ZA du Chant des Oiseaux,<br />

80800 Fouilloy. N o de commission paritaire :<br />

0514 C 85607. ISSN : 1277-2380.


VENDREDI 11 OCTOBRE 2013 LA TRIBUNE<br />

LES CHRONIQUES 25<br />

À NEW YORK AUSSI, UN PARC<br />

SUR UNE LIGNE DE CHEMIN DE FER<br />

© DR<br />

FRANCIS<br />

PISANI<br />

CHRONIQUEUR,<br />

AUTEUR, EXPERT<br />

INTERNATIONAL<br />

EN INNOVATION,<br />

CONFÉRENCIER.<br />

SON BLOG :<br />

FRANCISPISANI.NET<br />

AU CŒUR DE<br />

Née de la collaboration entre activistes et municipalité de la<br />

« Grande Pomme », la High Line, un parc installé sur une ligne<br />

L’INNOVATION de chemin de fer désaffectée, à l’instar de la Coulée verte à Paris,<br />

est devenu une sorte de modèle que d’autres villes essayent à leur tour de copier.<br />

Si vous rêvez de visiter Manhattan, votre<br />

– interminable – liste des lieux à visiter<br />

comprend sûrement l’Empire State Building<br />

et la statue de la Liberté. Classique.<br />

Mais ceux qui veulent se faire une idée de<br />

la nouvelle dynamique des villes iront aussi<br />

visiter la High Line, une ancienne ligne de<br />

chemin de fer désaffectée, transformée en parc.<br />

L’exemple vient de la Promenade plantée – ou « Coulée<br />

verte » – sur l’ancienne ligne de Vincennes, dans le<br />

12 e arrondissement de Paris ( jusqu’à Bastille) et<br />

ouverte dès 1993. Une paternité volontiers reconnue<br />

par les fondateurs de High Line. Mais l’histoire newyorkaise<br />

contient quelques enseignements utiles sur<br />

la participation et la récupération par les citoyens<br />

d’espaces voués à la rénovation immobilière gourmande…<br />

« Les fondateurs du projet ont commencé sans<br />

une idée claire de ce qu’ils voulaient, m’a expliqué Peter<br />

Mullan, architecte membre de l’équipe. C’est un bel<br />

exemple de citoyens parvenus à mettre en œuvre, avec la<br />

municipalité, une idée venant d’eux, en se positionnant<br />

à la fois comme projet de conservation et de développement.<br />

» Une tension généralement fatale.<br />

Joshua David et Robert Hammond, deux habitants<br />

du quartier opposés à la destruction de la ligne ont,<br />

dès le départ, fait participer autant de gens que possible.<br />

En créant d’abord un concours d’idées ouvert<br />

à tous. Une façon de brasser les idées les plus folles<br />

(par exemple une piscine de plus de 2 km de long)<br />

tout en étant clair qu’il ne s’agissait pas de les réaliser<br />

mais de s’en inspirer. Mais, consultés, les habitants<br />

du quartier ignoraient ce qu’était devenue la ligne<br />

suspendue à plusieurs mètres de la chaussée. Engagé<br />

tout exprès, un photographe connu a montré qu’elle<br />

s’était transformée en un espace vert sauvage, « un<br />

peu comme les peintres du XIX e siècle mettaient en<br />

image le Far West, que personne ne connaissait », m’a<br />

expliqué Mullan. Un mot s’est dégagé, qui a frappé<br />

l’imaginaire collectif local. Celui d’oasis. « C’est ce<br />

qui a permis de galvaniser la participation autour de<br />

la volonté de “préserver ça”. »<br />

LA QUASI-TOTALITÉ DU BUDGET<br />

COUVERTE PAR DES FONDS PRIVÉS<br />

Mais la difficulté consistait à inclure la municipalité.<br />

Michael Bloomberg, alors candidat au poste de maire,<br />

s’est prononcé pour. Une décision essentielle, car selon<br />

Mullan « nous avions une bonne idée, mais nous ne pouvions<br />

assumer les responsabilités. Nous avions besoin<br />

que la ville se charge de la sécurité, par exemple. » C’est<br />

ainsi que s’est constitué un partenariat entre la municipalité<br />

et une entreprise à but non lucratif : Friends of<br />

the High Line. Elle est aujourd’hui responsable de<br />

l’entretien du parc et se charge de réunir les fonds privés,<br />

qui couvrent 90 % du budget.<br />

Alors que l’aventure s’est lancée en opposition à des<br />

projets immobiliers, le succès du parc – qui reçoit plus<br />

de 4 millions de visiteurs par an – et son impact sur le<br />

quartier ont été suffisants pour entraîner un rebond.<br />

De nouveaux immeubles ont été construits. <strong>La</strong> municipalité<br />

en tire des impôts, mais les loyers ont tendance<br />

à augmenter. « Le secret de notre réussite, estime Mullan,<br />

c’est d’avoir inclus plusieurs communautés. Ça<br />

donne une dynamique particulière. Trop d’espaces<br />

publics sont conçus pour un seul groupe : piste pour<br />

cyclistes ou terrain de jeux pour enfants, par exemple.<br />

Nous avons pris le problème de façon opposée. C’est ça,<br />

travailler pour une ville. »<br />

Né de la participation citoyenne, de la collaboration<br />

entre activistes et municipalité, la High Line est devenue<br />

une sorte de modèle que d’autres villes essayent de<br />

copier (Chicago ou Philadelphie, entre autres). Et cela<br />

nous mène au cœur d’une des difficultés de la collaboration<br />

entre villes. « Nous avons reçu beaucoup d’aide<br />

de partout, explique Mullan, et c’est notre devoir d’aider<br />

en retour. Nous avons envisagé d’institutionnaliser les<br />

connaissances et l’expérience pour aider d’autres villes<br />

dans le monde. Mais nous devons nous concentrer sur ce<br />

lieu pour, sans cesse, nous réinventer et renaître. » Vu<br />

depuis les villes, le local ne fait pas facilement bon<br />

ménage avec le global. <br />

ON EN PARLE À BRUXELLES<br />

LE CARNET DE NOTRE CORRESPONDANTE, FLORENCE AUTRET<br />

Gouvernance de la zone euro, le dilemme de Mosco<br />

© DR<br />

Souvent, on aimerait pouvoir pousser les<br />

portes d’un cénacle européen devant de<br />

simples citoyens, pour qu’ils voient un peu<br />

de quoi est faite la chair de cette « Union »<br />

qu’ils connaissent si mal. Mais parfois, il<br />

semble préférable que les portes restent closes. C’était<br />

le cas la semaine dernière au cours d’un « briefing technique<br />

» de la direction générale des affaires économiques<br />

et monétaires. L’exercice consiste à faire venir plancher<br />

un ou deux fonctionnaires devant un parterre de journalistes<br />

au sujet d’un dossier particulièrement ardu.<br />

Exercice habituellement salutaire pour tout le monde.<br />

En l’occurrence, le sujet était le contrôle des budgets et<br />

des politiques économiques des pays de la zone euro par<br />

la Commission européenne. Depuis l’éclatement de la<br />

crise de l’euro, les chefs de gouvernement et leurs ministres<br />

n’ont cessé de chercher un moyen de faire fonctionner ce<br />

qui avait dysfonctionné : le pacte de stabilité, en clair les<br />

règles budgétaires communes. En trois ans a été créé un<br />

impressionnant écheveau de procédures, d’allers-retours<br />

entre les gouvernements et la Commission, entre la Commission<br />

et les ministres des Finances de l’eurozone. Le<br />

but : décourager les passagers clandestins, ceux qui font<br />

leurs choix économiques et budgétaires sans tenir compte<br />

de l’intérêt de cette collectivité appelée « zone euro ».<br />

Rien à dire sur l’objectif. Sinon que la dernière mouture<br />

de cette « nouvelle gouvernance » économique met la<br />

Commission européenne dans la position d’un « FME »,<br />

d’un Fonds monétaire européen, qui, au nom du nonrespect<br />

des règles budgétaires par la plupart des pays,<br />

leur prescrit leur politique. Pour la première fois cette<br />

année, elle va intervenir dans les débats budgétaires<br />

devant les parlements nationaux en rendant, autour du<br />

15 novembre, son « opinion » sur les projets de budget et<br />

les choix politiques qui les sous-tendent. <strong>La</strong> recommandation<br />

pour la France de mai 2013 regrette « l’interdiction<br />

des ventes à perte » (sans d’ailleurs dire précisément<br />

pourquoi il serait préférable d’y renoncer), l’augmentation<br />

de 16 % en valeur réelle du salaire minimum<br />

entre 2002 et 2012, l’augmentation des cotisations<br />

sociales ou la concentration du marché de l’électricité.<br />

LA COMMISSION SE DÉFEND de vouloir dicter leur<br />

politique aux pays. Mais la fougue avec laquelle la fonctionnaire<br />

qui planchait ce jour-là a tenu à rappeler que<br />

« nous n’avons pas de droit de veto [sur les budgets]… Les<br />

parlements conservent toute leur souveraineté » montre<br />

toutefois qu’un doute est permis. L’un des enjeux de cette<br />

nouvelle gouvernance consiste en effet à lier la question<br />

du déficit d’un côté et les réformes de structure de l’autre,<br />

ce qui augmente le levier de Bruxelles sur ce dernier<br />

volet. Rien de plus logique, mais en pratique cela revient<br />

à placer la Commission en situation de formuler des<br />

conseils politiques et de le faire, dans l’état actuel des<br />

règles, de son propre chef et sans aucun contrôle parlementaire.<br />

Les recommandations par pays sont à peine<br />

validées, dans leurs grandes lignes, par les ministres des<br />

Finances, qui sont plus attentifs à défendre l’intérêt de<br />

leur pays qu’à s’intéresser à celui des autres.<br />

Tout irait encore si la Commission était capable de<br />

défendre l’intérêt européen et de définir une politique<br />

réellement efficace. Hélas, cette aptitude est de plus en<br />

plus contestée par des dirigeants nationaux mais aussi par<br />

des économistes. « <strong>La</strong> Commission a agi comme un agent<br />

défendant les intérêts des nations créditrices », à commencer<br />

par l’Allemagne, a écrit récemment Paul de Grauwe*,<br />

qui démontre les effets catastrophiques des politiques<br />

d’austérité dans le Sud. Le risque existe que les gouvernements<br />

non créditeurs se rebiffent. « <strong>La</strong> Commission est là<br />

pour laisser se déployer les politiques nationales… Intervenir<br />

dans le débat français serait pour elle un problème », a<br />

dit récemment Pierre Moscovici à Bruxelles, où il était<br />

venu présenter le budget français pour 2014. Le ministre<br />

a pourtant voté l’an dernier les nouvelles règles de gouvernance<br />

de la zone euro. Cette contradiction risque de devenir<br />

de plus en plus flagrante dans les années à venir. <br />

* « The legacy of austerity in the eurozone », Center for European<br />

Policy Studies


26<br />

L’INTERVIEW<br />

LA TRIBUNE VENDREDI 11 OCTOBRE 2013<br />

RAYMOND SOUBIE<br />

PRÉSIDENT DES SOCIÉTÉS DE CONSEIL ALIXIO ET TADDEO<br />

« On reparlera des<br />

retraites avant 2020 »<br />

L’ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, chargé de la réforme des retraites de 2010, reçoit<br />

dans le bureau d’Alixio, la société de conseil en ressources humaines que l’ancien patron d’Altedia<br />

(revendu à Adecco) a créée il y a deux ans. Le « parrain du paritarisme » décrypte les réformes en<br />

cours : celles des retraites et de la formation professionnelle. Il s’inquiète des conséquences d’une<br />

croissance durablement trop faible sur le financement de notre modèle social.<br />

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CHRISTOPHE CHANUT<br />

ET PHILIPPE MABILLE<br />

( LA TRIBUNE – Le projet de loi « garantissant l’avenir et la<br />

justice du système de retraite » est au Parlement. C’est une vraie<br />

réforme ?<br />

RAYMOND SOUBIE – C’est une réforme qui apporte des ressources<br />

supplémentaires pour rétablir l’équilibre en 2020.<br />

Mais ce n’est pas une réforme structurelle des fondamentaux<br />

de notre système par répartition. À part les nouvelles<br />

cotisations, rien ne se passe avant 2020. Et après, la seule<br />

mesure consiste à prolonger la réforme Fillon de 2003 de<br />

partage de l’espérance de vie entre actifs et inactifs, et l’allongement<br />

de la durée de cotisations. Des mesures financières<br />

étaient nécessaires. Mais on est loin de la grande réforme<br />

définitive des retraites, scénario qui n’a d’ailleurs été retenu<br />

dans aucun des pays concernés par le vieillissement, à part<br />

la Suède et sa réforme des retraites en compte notionnel.<br />

Ce qui est inquiétant, c’est que les motifs d’une réforme des<br />

retraites se sont déplacés. Le sujet démographique, la dégradation<br />

du ratio du nombre d’actifs par rapport aux inactifs,<br />

a été traité. Mais reste la question de la croissance, qui à son<br />

niveau actuel ne permet pas d’assurer l’équilibre à long<br />

terme des retraites, ni d’ailleurs des<br />

finances sociales dans leur ensemble. Si<br />

la France doit vivre une période de croissance<br />

durablement faible, alors nous<br />

pouvons être certains que l’on reparlera<br />

du financement des retraites très vite,<br />

avant 2020.<br />

Le gouvernement actuel a évité de poser<br />

le débat de l’âge de départ, à la différence<br />

de ce qui a été fait en 2010. Or, je<br />

rappelle que le simple report de 60 à 62<br />

ans de l’âge légal [et de 65 à 67 ans pour<br />

le droit à une retraite à taux plein, quelle<br />

que soit la durée de cotisation, ndlr] va rapporter 22 milliards<br />

d’euros par an à compter de 2018. Le seul allongement<br />

de la durée de cotisation à quarante-trois ans a un<br />

rapport beaucoup moins élevé, d’autant qu’il sera étalé sur<br />

quinze ans, de 2020 à 2035… C’est pour cela que tous les<br />

autres pays européens ont agi sur l’âge de départ. Je suis<br />

convaincu que la France aura un jour à revenir sur ce<br />

tabou.<br />

( Le gouvernement promet de compenser la hausse des cotisations<br />

retraite pour les employeurs. Ne joue-t-on pas un jeu<br />

dangereux avec la compétitivité des entreprises ?<br />

J’avoue que je ne comprends pas bien la mécanique. On<br />

augmente les cotisations retraite pour baisser les cotisations<br />

famille des employeurs. Mais personne ne dit comme<br />

cela sera financé. C’est un peu l’histoire du sapeur Camembert…<br />

<strong>La</strong> bonne nouvelle, c’est que le gouvernement a pris<br />

conscience de l’urgence absolue qu’il y a à soutenir la compétitivité<br />

des entreprises. Mais ce message est brouillé par<br />

des signaux contradictoires permanents, le dernier épisode<br />

en date étant le cafouillage sur la taxe sur l’excédent brut<br />

d’exploitation, qui finit sur une hausse, temporaire dit-on,<br />

«Je suis<br />

convaincu<br />

que la France aura<br />

un jour à revenir<br />

sur le tabou de l’âge<br />

de départ<br />

à la retraite. »<br />

de l’impôt sur les sociétés. <strong>La</strong> solution vertueuse pour la<br />

croissance serait de financer la baisse des cotisations familiales<br />

par une hausse de la CSG ou, mieux, de la TVA,<br />

comme Nicolas Sarkozy l’avait fait voter avant la présidentielle.<br />

D’autant que même à 20 % sur le taux normal, nous<br />

sommes encore loin de la moyenne européenne.<br />

( Le point central, pour sauver notre protection sociale, c’est<br />

surtout de retrouver une croissance de 2 % et plus ?<br />

Oui, mais personne n’assume l’idée que nous sommes peutêtre<br />

entrés dans une nouvelle ère où la croissance sera<br />

durablement proche de 1 % en moyenne. Il est temps de<br />

faire une simulation sur les conséquences que cela aurait<br />

sur nos finances publiques et sociales. J’en ai parlé avec<br />

Jean Pisani-Ferry, le commissaire général à la stratégie et<br />

à la prospective, qui est chargé de ce rapport sur la France<br />

de 2025. Aujourd’hui, tout le monde vit avec l’espoir que<br />

nous retrouverons la croissance du début des années 2000.<br />

Je ne dis pas que c’est impossible, mais que nous devrions<br />

nous interroger sur le fonctionnement de notre modèle<br />

social si cela n’arrive pas… En clair, jusqu’où pouvons-nous<br />

augmenter les impôts et réduire les dépenses pour nous<br />

adapter à cette croissance plate ?<br />

( Que vous inspire l’arrivée devant les<br />

juges de Denis Gautier-Sauvagnac, l’ancien<br />

président de l’UIMM, accusé « d’abus de<br />

confiance » et de « travail dissimulé », pour<br />

avoir utilisé 17 millions d’euros pour « fluidifier<br />

les relations sociales » ?<br />

C’est l’aboutissement d’une procédure<br />

commencée en 2007. C’est aussi la fin<br />

d’un monde. Denis Gautier-Sauvagnac<br />

n’a fait que perpétuer des pratiques qui<br />

existaient bien avant lui au sein de<br />

l’UIMM. Il arrive un moment où ce que<br />

l’on a toujours fait, il ne faut plus le faire. Le financement<br />

syndical doit faire son aggiornamento, comme le financement<br />

des partis politiques il y a quelques années.<br />

a beaucoup de corporatisme dans ce secteur, et tous ses<br />

acteurs n’ont pas nécessairement envie que cela change.<br />

( Pourtant, l’ambition du gouvernement est de refonder la loi<br />

Delors sur la formation continue, qui date de 1971, une époque<br />

de forte croissance…<br />

Oui, il faut faire évoluer les choses, car l’argent de la formation<br />

ne va pas en priorité à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir<br />

les salariés les moins qualifiés, les chômeurs et ceux qui<br />

risquent de perdre leur emploi. Les entreprises préfèrent<br />

utiliser les fonds de la formation sur des sujets qui les intéressent.<br />

Autrement dit, elles préfèrent former quelqu’un de<br />

déjà qualifié pour le rendre encore plus efficace. Les entreprises<br />

n’ont aucun intérêt à former ceux qui n’ont pas d’emploi.<br />

C’est Jacques Delors qui a imposé par la loi l’obligation<br />

du financement de la formation des salariés, via l’institution<br />

du prélèvement de 0,9 % de la masse salariale. Une vraie nouvelle<br />

réforme devrait porter sur le sort et l’affectation de ce<br />

0,9 %, qui doit davantage aller vers les publics prioritaires.<br />

( Donner vie au compte individuel de formation créé par<br />

l’accord sur l’emploi du 11 janvier 2013 peut aussi permettre<br />

aux plus démunis d’accéder à la formation ?<br />

En effet, le compte individuel de formation, un droit portable,<br />

que la personne garde quel que soit son statut, demandeur<br />

d’emploi ou salarié, est une piste intéressante. Mais<br />

cela oblige à repenser sur le fond la formation professionnelle.<br />

C’est toute l’architecture qu’il faut revoir. Actuellement,<br />

l’État gère l’emploi, les régions sont responsables de<br />

la formation, et le financement est en grande partie de la<br />

responsabilité des entreprises. Le système n’a donc pas une<br />

efficience maximale.<br />

( Vous avez l’air dubitatif sur la capacité des partenaires sociaux<br />

à parvenir à une réforme de fond…<br />

Pour les raisons évoquées, je doute que les partenaires<br />

sociaux remettent réellement en question le schéma actuel.<br />

Éventuellement, ils vont accepter de mieux doter le Fonds<br />

paritaire de sécurisation des parcours professionnels, qui<br />

participe à la formation des demandeurs d’emploi. Aussi,<br />

l’État devra apprécier s’il s’agit d’un bon accord qui mérite<br />

d’être retranscrit dans une loi. Si l’État juge que l’accord ne<br />

va pas assez loin, il devra s’en émanciper. <br />

( Justement, le gouvernement a demandé au patronat et aux<br />

syndicats de profondément réformer la formation professionnelle.<br />

Or régulièrement des dérives sont évoquées…<br />

Il risque en effet d’y avoir des blocages pour mener à bien<br />

cette réforme nécessaire. Un premier blocage concerne<br />

les organisations patronales et syndicales qui sont<br />

très, voire trop, impliquées dans la gestion de la<br />

formation professionnelle. Aussi, le ministre du<br />

Travail, Michel Sapin, a bien raison de vouloir<br />

mettre sur la table le financement des organisations<br />

professionnelles. C’est la seule façon<br />

de leur faire accepter une réforme de fond du<br />

dispositif de la formation professionnelle.<br />

Mais il y a un deuxième blocage, celui qui<br />

provient de tous les acteurs du secteur : les<br />

organismes collecteurs – les fameux<br />

Raymond Soubie considère que « le financement syndical<br />

Opca –, bien sûr, mais aussi les quelque<br />

doit faire son aggiornamento, comme le financement<br />

des partis politiques il y a quelques années ». [CHAMUSSY/SIPA]<br />

160 000 prestataires de formation. Il y


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