Conférence d'ouverture Mtl 2008 - Association Francophone de Haiku
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Conférence <strong>d'ouverture</strong> du Festival Haïku AFH -<br />
Montréal <strong>2008</strong><br />
par André Duhaime<br />
Bonsoir,<br />
Soyez les bienvenus au Québec, à Montréal, ici… maintenant !<br />
Je me souviens d’il y a 25 ans où j’écrivais <strong>de</strong>s haïkus, seul tout en<br />
sachant que Jocelyne Villeneuve en écrivait elle aussi, à environ 500<br />
kilomètres, moi à Aylmer et elle à Sudbury, dans le nord <strong>de</strong> l’Ontario ce pays<br />
<strong>de</strong> forêts et <strong>de</strong> mines. Il aurait été impossible d’imaginer que tant <strong>de</strong><br />
personnes seraient réunies dans un même lieu pour un festival <strong>de</strong> haïku, et<br />
qu’il y aurait tant <strong>de</strong>s publications individuelles ou collectives telles Regards<br />
<strong>de</strong> femmes ou Pixels, regroupant <strong>de</strong>s haïkistes du Québec et d’Europe.<br />
Tout d’abord, permettez-moi <strong>de</strong> rappeler le souvenir <strong>de</strong> Jocelyne<br />
Villeneuve qui, née en 1941, est morte il y a 10 ans, en mai 1998. Elle a<br />
publié les <strong>de</strong>ux recueils <strong>de</strong> haïkaï (disait-elle encore comme au début du XXe<br />
siècle) La saison <strong>de</strong>s papillons (1980) et Feuilles volantes (1985). Elle m’avait<br />
fait lire son recueil Bagatelles qui est resté inédit. Ne trouvant pas d’éditeur <strong>de</strong><br />
langue française, elle a fini par publier en anglais le recueil Marigolds in Snow<br />
(1993). Voici quelques-uns <strong>de</strong> ses haïkus :<br />
La pluie nocturne. . .<br />
Matin d’été dans la brouette<br />
chargée d’azur.<br />
Pique-nique. La fourmi<br />
sur la nappe quadrillée disparaît<br />
dans un carreau noir.<br />
Couleurs <strong>de</strong> l’été<br />
mêlées aux cris d’un enfant<br />
qui n’est pas le mien…<br />
Milles égratignures<br />
où se lisent <strong>de</strong>s souvenirs. . .<br />
au soleil couchant.<br />
(Jocelyne Villeneuve)<br />
Copyright André Duhaime, <strong>2008</strong>
Jean-Aubert Loranger (1896-1942) est né et mort à Montréal. Il est<br />
surtout été reconnu comme journaliste et conteur. Ce poète, que l’on disait<br />
mineur et marginal, n’a publié que les <strong>de</strong>ux recueils Les Atmosphères (1920)<br />
et Poëmes (1922), lequel contient entre autres ses quatre « haïkaïs » et ses<br />
24 « outas ». Depuis quelques années, il est considéré comme un <strong>de</strong>s pères<br />
<strong>de</strong> la poésie québécoise mo<strong>de</strong>rne. Ici à Montréal, Jean-Aubert Loranger a lu<br />
la mini-anthologie Haï-kaïs préparée par Jean Paulhan et parue dans la NRF<br />
(septembre 1920), et il a composé <strong>de</strong>s haïkus. Ainsi, ce premier haïku <strong>de</strong><br />
Loranger :<br />
n’est pas sans rappeler :<br />
La lampe casquée<br />
Pose un rond sur l’écritoire.<br />
– Une assiette blanche.<br />
Reste à la fenêtre,<br />
La face dorée par la lampe,<br />
Et les cheveux baignés <strong>de</strong> lune.<br />
(René Maublanc)<br />
Nuit sur les fenêtres,<br />
Nuit sur les champs et les routes,<br />
Moi seul et ma lampe.<br />
(Jean-Richard Bloch)<br />
Puis, Loranger qui a séjourné en France, <strong>de</strong> mai à décembre 1921, a<br />
lu notamment d’autres haïkus <strong>de</strong> René Maublanc publiés dans la revue<br />
nantaise La Gerbe (octobre 1920). Et son :<br />
Et j’attends l’aurore<br />
Du premier jour <strong>de</strong> sa mort.<br />
Déjà ! Se peut-il ?<br />
fait écho aux haïkus <strong>de</strong> Maublanc :<br />
Nuit <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil.<br />
Le bruit <strong>de</strong>s vagues<br />
A la voix <strong>de</strong> mon père.<br />
Le son <strong>de</strong> sa voix<br />
N’est plus dans mon oreille;<br />
Vais-je oublier – déjà ?<br />
L’influence <strong>de</strong> Jean-Richard Bloch, par sa rencontre sinon par la<br />
lecture <strong>de</strong> ses poèmes dans les revues Les Écrits nouveaux (décembre 1920)<br />
et Les Cahiers idéalistes (décembre 1921), a été déterminante. Voici trois<br />
haïkus <strong>de</strong> Bloch qui ont inspiré ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> Loranger :<br />
Le zinc <strong>de</strong>s toits pleure,<br />
Copyright André Duhaime, <strong>2008</strong>
talons pressés dans la rue,<br />
un coq s’enroue seul.<br />
La feuille morte file<br />
sur le quai bronzé <strong>de</strong> pluie<br />
– aube <strong>de</strong> janvier.<br />
Cloche au loin, attente,<br />
le vi<strong>de</strong>, un cri, lour<strong>de</strong> approche,<br />
– tourbillon <strong>de</strong> cuivre.<br />
(Jean- Richard Bloch)<br />
L’aube éveille les coqs<br />
Et tous les coqs, à leur tour,<br />
Réveillent le be<strong>de</strong>au.<br />
L’aube prend la lampe,<br />
Au pavé <strong>de</strong>s pas pressés,<br />
La première messe.<br />
(Jean-Aubert Loranger)<br />
Après ce que j’oserais qualifier d’« exercices d’écriture », Loranger a<br />
surtout écrit <strong>de</strong>s « outas » (ou tankas) à la suite Jean-Richard Bloch qui était<br />
l’un <strong>de</strong>s seuls à en composer dans les années 1920, mais là d’une façon<br />
beaucoup plus personnelle, et c’est là la mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong> Loranger dans le<br />
paysage littéraire du Québec d’alors :<br />
Si la photo est manquée<br />
Qu’est-ce qu’il va rester<br />
De la tendre et chère figure ?<br />
– Un trait sur le sable,<br />
Une image dans la mémoire.<br />
(Jean- Richard Bloch)<br />
J’avais perdu mes limites,<br />
Fondu que j’étais<br />
Avec l’épaisseur <strong>de</strong> l’ombre.<br />
– Comme c’est pareil,<br />
Ouvrir ou fermer les yeux.<br />
(Jean-Aubert Loranger)<br />
Les pas que je fais en plus,<br />
Ceux hors <strong>de</strong> moi-même,<br />
Depuis la forme du banc,<br />
– La forme allongée<br />
Du banc vert sous les lilas.<br />
(Jean-Aubert Loranger)<br />
Copyright André Duhaime, <strong>2008</strong>
Simone Routier, née à Québec en 1900 et morte en 1987, est<br />
maintenant, elle aussi, considérée comme mo<strong>de</strong>rne. Après Loranger, elle<br />
semble avoir été la seule poète à composer et à publier <strong>de</strong>s haïkus que l’on<br />
retrouve dans L'Immortel adolescent; lequel contient 14 « haï kaï » et 3<br />
poèmes imités <strong>de</strong> Sei Shōnagon. Ce premier recueil, publié en 1928, lui a<br />
valu le prix Athanase-David, incluant une bourse (1.700 $) qui lui a permis <strong>de</strong><br />
se rendre à Paris où elle a séjourné jusqu’en en 1940 en travaillant à<br />
l’ambassa<strong>de</strong> du Canada.<br />
Routier a probablement lu les haïkus <strong>de</strong> Loranger puisque alors on ne<br />
publiait que quelques recueils par année, elle n’a pas eu accès à la même<br />
« bibliothèque ». En effet, et c’est remarquable combien rapi<strong>de</strong>ment ces<br />
ouvrages lui sont parvenus, Routier a lu les tout récents Les Haïkaï <strong>de</strong><br />
Kikakou (1927) et Les Notes <strong>de</strong> l’oreiller <strong>de</strong> Sei Shōnagon (1928), <strong>de</strong>s<br />
traducteurs Kuni Matsuo et Steinilber-Oberlin. La définition que Routier donne<br />
du haïku est celle <strong>de</strong>s traducteurs Kuni Matsuo et Steinilber-Oberlin dans<br />
l’introduction <strong>de</strong> Les Haikai <strong>de</strong> Kikakou : « Une haïkaï est un poème<br />
minuscule <strong>de</strong> trois vers comptant respectivement cinq, sept, cinq syllabes.<br />
C’est dans ce cadre étroit que le poète japonais, comme un habile ciseleur ou<br />
miniaturiste, concentre sa vie ou note un instant d’élite ». Pour la curiosité <strong>de</strong><br />
la chose, Kuni Matsuo et Steinilber-Oberlin ont opté pour « la haïkaï » comme<br />
Michel Revon l’avait fait en 1910 dans son anthologie <strong>de</strong> la littérature<br />
japonaise; Bloch et Loranger ont choisi le masculin.<br />
Ainsi que Loranger et Bloch, Routier a rejeté l’imagerie japonisante<br />
ainsi que le strict 5-7-5. Malgré la disposition assez originale <strong>de</strong> certains <strong>de</strong>s<br />
haïkus <strong>de</strong> Kikaku qui l’y invitait presque à jouer avec le blanc et l’espace <strong>de</strong> la<br />
page, Routier n’a pas disposé ses vers autrement qu’en tercets justifiés à<br />
gauche :<br />
Voici les <strong>de</strong>ux haïkus <strong>de</strong> Kikaku, puis quatre <strong>de</strong> Routier :<br />
En amont, dans la brume<br />
sont-ce <strong>de</strong>s saules ou <strong>de</strong>s pruniers<br />
?<br />
Dans le ciel, <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong><br />
petits pluviers !<br />
Saule vert.<br />
Ah ! cette chauve-souris<br />
qui passe<br />
dans le crépuscule rose.<br />
Violon lointain<br />
Meubles bas, jour au déclin,<br />
Notre cher silence…<br />
Mon cœur qui t’attend<br />
Toujours le silence,<br />
Copyright André Duhaime, <strong>2008</strong>
Et l’immense effeuillement…<br />
Pavés désertés,<br />
Chau<strong>de</strong>, étrange avalanche:<br />
Juillet, un dimanche.<br />
Élégantes verreries<br />
Parfums exhalés:<br />
Bonheurs en allés…<br />
(Simone Routier)<br />
Simone Routier a été l’une <strong>de</strong>s premières Occi<strong>de</strong>ntales à lire Sei<br />
Shōnagon. De cette <strong>de</strong>rnière, Routier a repris le titre « Choses peu<br />
rassurantes », et a imité les titres « Choses désagréables » et « Choses<br />
émouvantes ». Des « Choses peu rassurantes », un texte en prose <strong>de</strong> 23<br />
lignes, Routier a fait un poème <strong>de</strong> onze vers rimés (2-2-2-2-3) : le<br />
domestique, la mère du bonze et le bébé ont été remplacés par un homme,<br />
une jeune fille et un bon vieux prêtre; le jour <strong>de</strong> septembre où la pluie a cessé<br />
a fait place à la nuit et au « pas lourd vous suivant dans la rue ». Le disciple<br />
n’a pas malheureusement pas su trouver une inspiration digne <strong>de</strong> son maître,<br />
ce qu’elle avait par ailleurs tenté avec un peu plus <strong>de</strong> succès avec le haïku.<br />
Ce badinage poétique pourrait être vu comme un signe que l’Orient était alors<br />
trop inconnu, comme un premier ren<strong>de</strong>z-vous manqué.<br />
Puisse ce Festival faire en sorte que nous entrions davantage en<br />
poésie.<br />
Copyright André Duhaime, <strong>2008</strong>
Bibliographie.<br />
Bloch, Jean-Richard, Offran<strong>de</strong> à la poésie, Poitiers, Le Torii Editions, 2001.Ce<br />
recueil reprend les publications antérieures dans Nouvelle Revue Française<br />
(septembre 1920), Les Écrits nouveaux (décembre 1920), Les Cahiers<br />
idéalistes (décembre 1921) et Europe (juin 1924 et mars-avril 1957).<br />
Loranger, Jean-Aubert, Poëmes, Montréal, L.-Ad. Morissette, 1922.<br />
Rééditions ultérieures sous le titre Les atmosphères suivi <strong>de</strong> Poëmes :<br />
Montréal, HMH, 1970; Paris, La Différence, 1992; Montréal, Les Herbes<br />
rouges, 2001; Québec, Nota Bene, 2004.<br />
Kikaku, Les Haïkaï <strong>de</strong> Kikakou, traduction <strong>de</strong> Kuni Matsuo et [Émile]<br />
Steinilber-Oberlin, Paris, Éditions G. Crès, 1927.<br />
Revon, Michel, Anthologie <strong>de</strong> la littérature japonaise, <strong>de</strong>s origines au XX e<br />
siècle, Paris, Ch. Delagrave, 1910.<br />
Routier, Simone, L'Immortel adolescent, Québec, Le Soleil, 1928.<br />
Sei Shōnagon, Les Notes <strong>de</strong> l’oreiller, traduction <strong>de</strong> Kuni Matsuo et [Émile]<br />
Steinilber-Oberlin, Paris, Stock, 1928. Simone Routier a lu cet ouvrage et non<br />
la traduction d’André Beaujard publiée in extenso en 1934 sous le titre Les<br />
Notes <strong>de</strong> Chevet <strong>de</strong> Sei Shōnagon, Dame d'Honneur au Palais <strong>de</strong> Kyōto<br />
(Paris, Editions G.-P. Maisonneuve).<br />
Villeneuve, Jocelyne, La Saison <strong>de</strong>s papillons, Sherbrooke, Naaman, 1980.<br />
Villeneuve, Jocelyne, Feuilles volantes, Sherbrooke, Naaman, 1985.<br />
Villeneuve, Jocelyne, Marigolds in Snow, Manotick (Ontario), Penumbra,<br />
1993.<br />
Copyright André Duhaime, <strong>2008</strong>