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musique et mathematiques _article - Alliance Française Halifax

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Musique <strong>et</strong> mathématiques : pour une orientation de recherche.Le domaine de la connaissance humaine aura subi bien des évolutions au cours des siècles.Unifié dans un même but, l’anticipation des intentions divines dans la Grèce antique, il s<strong>et</strong>rouve aujourd’hui subdivisé en spécialités définies, toujours plus nombreuses. Les différentesdisciplines qui le composent sont souvent dissociées en catégories, <strong>et</strong> les avancéestechnologiques, qui agrandissent le champ de la recherche, génèrent la nécessité de définir,encore <strong>et</strong> toujours, de nouvelles branches à l’arbre 1 de la connaissance.Dans ce vaste champ, les domaines des arts, d’un côté, <strong>et</strong> des sciences, de l’autre, sont rarementmis en relation. Les mathématiques, en tant que science pure, peuvent trouver une idée dedéfinition dans certaines lignes de pensée récentes 2 . Celles-ci sont structurées, formelles, <strong>et</strong>d’un langage spécifique qui les rend difficiles d’accès. Elles sont pourtant au moins aussianciennes que l’humanité elle-même. A dire vrai, les mathématiques ne semblent pas être trèspopulaires de nos jours, contrairement à la <strong>musique</strong>, qui bénéficie d’une diffusion extrêmementlarge <strong>et</strong> d’une facilité d’accès hors normes. L’activité musicale, d’ordinaire, représente, quant àelle, l’art d’engendrer des émotions en atteignant la dimension transcendantale de l’homme, <strong>et</strong>toute civilisation, sans exception, présente un aspect musical propre à sa culture. L’universalitécaractérise largement ces deux disciplines, mais ne suffit pas à les lier véritablement.Des recherches fondamentales sur la <strong>musique</strong> <strong>et</strong> les mathématiques jalonnent l’histoire del’homme, <strong>et</strong> ce, depuis les plus anciennes réflexions de la philosophie occidentale. Denombreuses théories tentèrent de véritables explications de l’ordre du monde par une harmoniedéterminée mathématiquement, <strong>et</strong> d’autres, eurent l’audace de soum<strong>et</strong>tre la <strong>musique</strong> auxmathématiques. Ainsi, au XVII e siècle, Gottfried Wilhem von Leibniz (1646-1716), ira jusqu’àaffirmer que la <strong>musique</strong> est une arithmétique inconsciente de l’esprit humain 3 .L’importance profonde de ces deux disciplines, conjointement, <strong>et</strong> le rôle qu’elles ont à jouerdans le développement de l’esprit humain ne va pas de soi. Il est donc absolument nécessairede r<strong>et</strong>racer l’évolution la plus probable, compte tenu des fragments historiques, du lien qui lesuni fondamentalement à travers les investigations, passions <strong>et</strong> découvertes de l’homme.1 « Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines font la métaphysique, le tronc est la physique, <strong>et</strong> lesbranches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir lamédecine, la mécanique <strong>et</strong> la morale, j'entends la plus haute <strong>et</strong> la plus parfaite morale, qui, présupposant uneentière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse », in Descartes, Principes de laphilosophie, Vrin, 2000, p. 42.2 Friedrich Ludwig Gottlob Frege (1848-1925), mathématicien, logicien <strong>et</strong> philosophe allemand, donne unedéfinition logiciste des mathématiques en proposant de dériver l’arithmétique de la logique. Son contemporain <strong>et</strong>correspondant Bertrand Russel (1872-1970), épistémologue, mathématicien, logicien, philosophe <strong>et</strong> moralistebritannique, attribue aux mathématiques une valeur de vérité, <strong>et</strong> postule l’existence des entités mathématiques,indépendamment de l’esprit humain, mais aussi de la réalité.3 « L'ame compte les battements du corps sonnant qui est en vibration, <strong>et</strong> quand ces battements se rencontrentregulierement à des intervalles courts, elle y trouve du plaisir. Ainsi elle fait ces comptes sans le savoir. C'estainsi qu'elle fait encore une infinité d'autres p<strong>et</strong>ites operations tres justes, quoyqu'elles ne soyent pointvolontaires ny connues que par l'eff<strong>et</strong> notable où elles aboutissent enfin, en nous donnant un sentiment clair maisconfus, parceque ses sources n'y sont point apperçues. Il faut que le raisonnement tache d'y suppléer, comme onl'a fait dans la Musique, où l'on a decouvert les proportions qui donnent de l'agrement. ». « Musica estexercitium arithm<strong>et</strong>icae occultum nescientis se numerare animi » : « la <strong>musique</strong> est une pratique cachée del'arithmétique, l'esprit n'ayant pas conscience qu'il compte », in Patrice Bailhache, Leibniz <strong>et</strong> la théorie de la<strong>musique</strong>, Klincksieck, 2000, p. 151.


Une approche historique : de Pythagore à BachC<strong>et</strong>te idée de relation entre la <strong>musique</strong> <strong>et</strong> les mathématiques est un domaine extrêmement largequi n’a cessé de s’enrichir depuis les plus antiques recherches scientifiques <strong>et</strong> philosophiques.En eff<strong>et</strong>, les passions que déchaîne l’art musical <strong>et</strong> les sciences mathématiques ne datent pasd’une époque récente, bien au contraire. La fiabilité des sources perm<strong>et</strong> de remonter àl’antiquité les premiers esprits avertis.C’est donc aux alentours du VI e siècle avant J.-C., sur Pythagore de Samos (570-500 av. J.-C.),que se focalise la pensée de l’historien. Le contexte d’évolution des savants <strong>et</strong> philosophesgrecs, souvent confondus, présentait un aspect de la connaissance très différent de celui régnantaujourd’hui. Le monde <strong>et</strong> les questions fondamentales soulevées par son observation étaient lapréoccupation première. Anticiper les décisions du divin devenait ainsi la priorité des sciences,en toute évidence, mais aussi, plus étrangement, celle des arts. Ces activités humainespossédaient donc un dessein identique, <strong>et</strong> des similitudes, car il est bon de rappeler que lesfrontières conventionnelles auxquelles les modernes sont habitués, n’étaient pas strictementancrées <strong>et</strong> catégorisées. Le monde des Grecs recelait tant de mystères que la recherche de lois<strong>et</strong> de principes d’un ordre était une nécessité.Dans c<strong>et</strong>te perspective, la détermination des intervalles musicaux fut réalisée. Pythagore auraiteu une ébauche d’idée, en observant l’atelier d’un maréchal-ferrant, dans une sciencemathématique 4 imprégnée de la théorie des rapports entre les grandeurs <strong>et</strong> plus tard de la« découverte » des irrationnels. Le mathématicien remarqua que les hauteurs des sons émis pardifférents marteaux sur une même enclume pouvaient être mis en relation avec la masse proprede chacun d’eux. Par expérience, il constata que des intervalles musicaux étaient égaux lorsquedes rapports de masses l’étaient aussi. C’est sur le rapport de la masse la plus lourde sur la pluslégère que Pythagore a établi son système. Un exemple simple : si l’enclume était d’abordfrappée avec un premier marteau de masse m <strong>et</strong> ensuite avec un autre marteau de masse 2m,donc deux fois plus lourd, un rapport 2 serait considéré, <strong>et</strong> les deux sons obtenus seraient dansun rapport d’octave 5 , le marteau le plus léger tirant la note la plus aigue. Pour un rapport de3/2, avec un marteau de 4kg <strong>et</strong> un autre de 6kg par exemple, l’intervalle musical est unequinte 6 . C<strong>et</strong>te observation permit à Pythagore de tester c<strong>et</strong>te loi sur une sorte de tympanon, uninstrument appelé monocorde 7 . Autre constatation, les vibrations des cordes produisaient dessons musicaux harmonieux pour l’oreille humaine lorsque le rapport de la plus grande longueur4 Les éléments d’Euclide, dans l’antiquité grecque, présente un agrégat de la plupart des grandes idéesmathématiques de la période -300 av. J.-C. Véritable encyclopédie mathématique, elle est une des principalessources historiques d’importance <strong>et</strong> de fiabilité relativement grande. Y apparaissent les idées fondamentales deproportionnalité, <strong>et</strong> implicitement, de rapport, aux livres V <strong>et</strong> VII, respectivement.5 L’octave est l’intervalle situé entre deux sons musicaux dont les fréquences fondamentales sont dans un rapportdouble. La reconnaissance de c<strong>et</strong> intervalle, à l’oreille humaine, est universelle, <strong>et</strong> si évidente qu’elle est àl’origine de l’attribution des noms des notes. Par exemple, la fréquence 440Hz, celle du diapason, correspond àla note la, <strong>et</strong> ainsi, les notes de fréquences 880 Hz <strong>et</strong> 220 Hz, seront aussi appelées La.6 Le mot quinte désigne, grossièrement, l’intervalle que l’on trouve généralement entre cinq notes. Plusexactement, la quinte est l’intervalle qui sépare deux sons dont les fréquences fondamentales sont dans unrapport 3/2. Autrement dit, la note la plus aigue présente trois vibrations lorsque la note le plus grave n’enprésente que deux. Mise à part l’octave, la quinte est considérée comme l’intervalle consonant par excellence,c'est-à-dire celui dont la combinaison des sons est la plus proche de la pur<strong>et</strong>é, donc la plus remarquable àl’oreille.7 Le monocorde ne possède qu’une seule <strong>et</strong> unique corde montée sur trois taqu<strong>et</strong>s, dont l’intermédiaire,s’apparentant à un cheval<strong>et</strong> mobile, perm<strong>et</strong> de faire varier la longueur de la corde <strong>et</strong> ainsi la hauteur de sondésirée. Dans c<strong>et</strong>te vérification expérimentale, la longueur de la corde remplace la masse des marteaux, <strong>et</strong> lesrapports entre les longueurs que le troisième taqu<strong>et</strong> perm<strong>et</strong> de déterminer, correspondent aux intervalles.


sur la plus p<strong>et</strong>ite donnait un entier. L’inexplicable devenait mystique, <strong>et</strong> les disciples dePythagore auraient ainsi véhiculé une forme de philosophie suivant laquelle les nombrespouvaient conférer à l’art musical, <strong>et</strong> au monde en général, pur<strong>et</strong>é <strong>et</strong> intelligibilité.Mais c’est la contribution de Platon (427-348 av. J.-C.) qui détermina l’avenir de c<strong>et</strong>tedécouverte capitale, <strong>et</strong> pas seulement pour la <strong>musique</strong>, les mathématiques <strong>et</strong> le rapport entre cesdeux disciplines, mais pour le déploiement du savoir tout entier. Il lui appartient d’avoir sauvéc<strong>et</strong>te découverte de toutes considérations ésotériques évidentes. C<strong>et</strong>te loi ne fait pas partie dudomaine mystique, <strong>et</strong> n’est pas non plus une simple curiosité. Elle s’intègre dans l’ordreimmanent des choses. Le monde aura ainsi, pendant près d’une vingtaine de siècles, unejustification cohérente <strong>et</strong> véritablement scientifique, appuyée par le sens que Platon aura donnéà la découverte de Pythagore. Platon participera d’un nouveau développement de la théorie desintervalles musicaux. Il m<strong>et</strong>tra en place, en s’appuyant sur ce que les Anciens postulaient ausuj<strong>et</strong> des mouvements <strong>et</strong> trajectoires des corps célestes, la célèbre Musique Des Sphères 8 . Ce nesont évidemment pas des lois universelles que le philosophe a laissées en héritage, mais il auraainsi fait régner ses idées pendant des milliers d’années.Quelques siècles plus tard, la <strong>musique</strong> est à nouveau présente aux côtés des mathématiques <strong>et</strong>sa place est considérable. Interpréter <strong>et</strong> comprendre les signes que Dieu envoie est une leçonqui s’appliquera à nouveau aux apports de la science grecque. Ainsi se répandral’enseignement, au XII e siècle, des monastères aux écoles, <strong>et</strong> il apportera au monde la mise enavant des disciplines fondamentales du savoir, le Quadrivium : l’Arithmétique, l’Astronomie,la Géométrie, <strong>et</strong> la Musique.La philosophie <strong>et</strong> la science grecques auront une autorité telle à travers les âges que leur remiseen question n’apparaîtra qu’en fin de XIX e siècle. Ce système trop rigide aura un succès quiengendrera son propre processus de remise en cause. La vision antique du monde ne saura fairepreuve d’adaptation face à la cohérence nécessaire entre théorie <strong>et</strong> expérience. La différenceflagrante entre le système de Platon <strong>et</strong> le réel ne pu donc se taire plus longtemps. Les planètesne suivaient pas rigoureusement les trajectoires qui leur était attribuées, <strong>et</strong> les sons musicaux,de leur côté, ne vérifiaient pas strictement le système établi. Pour ne donner qu’un exemple, lasuccession des quintes n’engendrait pas une suite cyclique, <strong>et</strong> pendant de très nombreuxsiècles, confondre une note altérée 9 par un dièse <strong>et</strong> celle qui la suit directement sur un clavier,comme do # <strong>et</strong> ré b, par exemple, eut un rôle d’une importance sans précédent sur la viemusicale.Il faudra attendre le XVII e siècle pour voir apparaître une des premières solutions à c<strong>et</strong>imposant problème. C’est Andreas Werckmeister 10 (1645-1706), qui enclencha le bon procédé.Il présenta une technique d’accord d’un clavier, en gardant l’écart de fréquences entre les notesmi# <strong>et</strong> fa comme constante. Il attribue ensuite de manière égale c<strong>et</strong> écart sur les douze degrésde la totalité chromatique. Ainsi apparaît une notion très précieuse en théorie de la <strong>musique</strong> : la8 La théorie de la <strong>musique</strong> des sphères, ou encore l’harmonie des sphères, se base sur l’intuition que le monde estsoumis à des lois dictées par des rapports mathématiques harmonieux, <strong>et</strong> que, dans un modèle géocentrique del’Univers, les planètes comme Mercure, Mars, Jupiter, la Lune, Saturne, le Soleil, <strong>et</strong> Vénus, qui sont des sphèresfixes, sont liées à des proportions musicales, <strong>et</strong> les distances qui les séparent, à des intervalles musicaux.9 Les altérations sont symbolisées, en <strong>musique</strong>, par # <strong>et</strong> b. Le dièse augmente une note d’un demi-ton, <strong>et</strong> lebémol la baisse d’un demi-ton.10 Andreas Werckmeister, était un musicien allemand, organiste, expert en facture <strong>et</strong> théoricien de la <strong>musique</strong>. Ilest plus particulièrement connu, aujourd’hui, pour ses théories musicales <strong>et</strong> ses écrits : Musicae mathematicaehodegus curiosus (1687), <strong>et</strong> Musicalische Temperatur (1691).


notion de tempérament 11 . En hommage au travail de Werckmeister, Bach (1685-1750)composera le très célèbre Clavier bien tempéré. C<strong>et</strong>te œuvre, principalement théorique, auraiteu pour unique but de m<strong>et</strong>tre en avant les possibilités harmoniques qu’une détermination d’unbon tempérament pouvait réaliser.Il y eut énormément de conséquences, dont un fossé grandissant entre théorie musicale <strong>et</strong>pratique musicale, mais également une considération différente des musiciens théoriciens,comme étant, jusqu’au XVIII e siècle, les seuls véritables musiciens dignes de ce nom. Lesinstrumentistes, voire même les compositeurs, ne représentaient alors que de simples outilsaux mains du théoricien. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le lien entre les sciencesmathématiques <strong>et</strong> l’art musical ait varié au cours du temps, à la façon d’une distancephysique, parfois trop proche <strong>et</strong> parfois trop lointaine. Il semble qu’à partir de l’instant où lesystème des Anciens fut remis en cause, ces deux disciplines s’éloignèrentsignificativement. Les théoriciens de la <strong>musique</strong> de l’époque de Werckmeister <strong>et</strong> du XVII esiècle, faisaient preuve de démarches scientifiques, mais cela ne suffisait pas à combler cefossé radicalement creusé au plus profond des mentalités.La <strong>musique</strong>, les hommes de sciences, <strong>et</strong> la perfection chez EulerAprès l’époque médiévale, un grand nombre de savants s’intéressèrent à la <strong>musique</strong>. L’étatd’esprit platonicien demeurait vivant au sein de la communauté scientifique qui se penchaitsur les théories musicales. L’objectif, par des investigations orientées sur les systèmesharmoniques, restait la découverte d’une vaste explication du monde. Le célèbre allemandJohannes Kepler (1571-1630), connu dans le domaine de l’astronomie, affichera sesinfluences marquantes dans De Harmonice Mundi, où se trouvent certains éléments duTimée 12 de Platon. Un contemporain, Robert Fludd (1554-1637), qui affichait un jugementsévère envers les thèses de l’astronome, considérées dans leur dimension naïve, tentera unsystème différent 13 . Sans oublier, que, Sir Isaac Newton (1642-1727), pour sa part, n’était passi loin de ces idées, mais le domaine scientifique aura tôt fait d’épurer ses véritables objectifs.Leibniz n’avait certainement en vue, d’après un bon nombre d’interprétations historiques, que11 Le tempérament est un procédé musical qui nécessite des calculs mathématiques. L’octave se divise en 7 sousintervalles, dont les notes do, ré, mi, fa, sol, la, si, do, en sont les bornes. Celui-ci peut aussi être divisé en 12parties, chacune étant égale à un demi-ton. C’est le tempérament égal. Entendu comme égalisation desintervalles de l’échelle sonore, de sorte que chaque intervalle soit égal ou équivalent à un multiple d’un intervalleétalon qui est de l’ordre d’un douzième d’octave, le tempérament égal perm<strong>et</strong>, à un pianiste par exemple, dontl’instrument possède des sons fixes, de prendre n’importe quel son de l’échelle pour commencer une nouvellegamme. Le tempérament égal devait fonder un système qui donnait à la <strong>musique</strong> des règles précises <strong>et</strong>universelles. C<strong>et</strong>te division en demi-tons égaux s’est effectuée en fonction des limites de ce que peut percevoirl’oreille humaine. C<strong>et</strong>te dernière est sensible aux demi-tons, c'est-à-dire qu’elle fait la différence entre les notesdo <strong>et</strong> do#, par exemple. La division commune du tempérament égal ne convenait pas à d’éminents musicologues<strong>et</strong> théoriciens de la <strong>musique</strong>, soucieux de l’exactitude d’un découpage de l’octave en douzième d’octave. Lagamme tempérée, citée dans un traité de Werckmeister datant de 1691, trouve ses origines au cours du XVII esiècle, <strong>et</strong> ce dans un but purement rationnel <strong>et</strong> pratique. Les principaux tempéraments inégaux se trouvent auXVIII e siècle. Le but est d’améliorer la qualité des tierces, des quintes, <strong>et</strong> des modulations. Les possibilités, dansla recherche du tempérament inégal idéal, sont en nombre infini, <strong>et</strong> il n’en existe évidemment pas une seulequi soit parfaite. La seule alternative est celle du choix de l’un d’entre eux qui serait plus avantageux que lesautres, relativement à l’œuvre musicale envisagée. C<strong>et</strong>te notion est étroitement liée au concept de subjectivité.12 Le grand astronome Johannes Kepler reprend les thèses de Platon en s'émerveillant de la <strong>musique</strong> des Sphères.Le modèle musical doit décrire le monde des sons, mais bien plus encore l'univers lui-même. La <strong>musique</strong>, lesmathématiques <strong>et</strong> la philosophie sont alors entrecroisés dans un même but.13 Dans ses livres, Robert Fludd cherche à trouver une harmonie entre le monde <strong>et</strong> l'homme. Il s’intéresse àl’harmonie entre les planètes, la <strong>musique</strong>, le corps humain <strong>et</strong> les anges dans Monochordium Mundisymphoniacum J. Kepplero oppositum (1622).


la <strong>musique</strong> comme système scientifique le plus adéquat. De grands hommes de sciences derenommées indiscutables <strong>et</strong> de découvertes bien souvent fondamentales dans l’histoire del’évolution humaine, ne peuvent que caractériser un argument d’autorité pour une ligne depensée vers laquelle il semble alors judicieux de se tourner.L’idée d’arithmétisation de la <strong>musique</strong> est en train de germer chez Euler (1707-1783) <strong>et</strong> vagarder les bases des principes grecs. C’est en 1739 qu’il publie, en latin, son Essai d’unenouvelle théorie de la <strong>musique</strong> exposée en toute clarté selon les principes de l’harmonie lesmieux fondés 14 . Tout, en <strong>musique</strong>, repose sur les mathématiques, <strong>et</strong> la notion d’agréable àl’oreille humaine également. En eff<strong>et</strong>, certains sons peuvent provoquer du plaisir, paraîtreharmonieux. S’ils le sont, c’est parce qu’ils nous révèlent la perfection. « Il est certain qu<strong>et</strong>oute perfection fait naître le plaisir <strong>et</strong> que c'est une propriété commune à tous les esprits,aussi bien de se réjouir à la découverte <strong>et</strong> la contemplation d'un obj<strong>et</strong> parfait, que d'éprouverde l’aversion pour ce qui manque de perfection ou que des imperfections dégradent. » 15 C’estsur c<strong>et</strong>te base que s’appuie la théorie d’Euler : la sensation d’agréable devient alors un indicede perfection. Et c<strong>et</strong>te dernière se réduit à l’ordre 16 , entendu comme agencement <strong>et</strong>combinaison entre les notes. L’ordre est une notion fondamentale dans c<strong>et</strong>te recherche derègles mathématiques inhérentes à la <strong>musique</strong> <strong>et</strong> à sa perception par l’homme. Il se définit parrapport à deux sortes de caractéristiques : la hauteur des notes, c’est-à-dire si elles sont gravesou aigues, <strong>et</strong> la durée de celles-ci.Selon Euler, le plaisir musical trouve donc son explication dans la mesure arithmétique desproportions liées aux sons. Le mathématicien utilise, d’une part, les rapports de fréquences deplusieurs sons 17 , ce qui représente une démarche scientifique, d’une autre, il justifie leurexistence <strong>et</strong> leur rôle dans la sensation de plaisir par des arguments philosophiques. Euler ner<strong>et</strong>ient pas la durée lorsqu’il m<strong>et</strong> en place sa notion de « degré de douceur » 18 . Euler attribueun rapport mathématique à chaque ordre de sons, comme la tradition antique l’avait élaboré.14 Euler n’est âgé que de 24 ans lorsqu’il écrit c<strong>et</strong> essai. L’intérêt qu’il porte à la <strong>musique</strong> n’a rien de ponctuel.En 1727 sa ‘‘Thèse sur le son’’ présente des comparaisons entre les notes émises par un instrument à vent, <strong>et</strong>celles émises par un instrument à cordes. La notion de timbre, coloration propre à un instrument ou à une voix,apparaît alors déjà dans sa vision musicale.15 Euler, Essai d'une nouvelle théorie de la <strong>musique</strong>, Oeuvres Complètes en Français, Association des capitauxintellectuels pour favoriser le développement des Sciences Physiques <strong>et</strong> Mathématiques, tome 5.16 « Prenons pour exemple une horloge, dont la destination <strong>et</strong> de marquer les divisions du temps ; elle ne plairaau plus haut degré, si l'examen de la structure nous fait comprendre que les différentes parties en sont disposées<strong>et</strong> combinées de telle manière que toutes concourent à indiquer le temps avec exactitude. Ainsi, dans toute choseoù il y a de la perfection il y a nécessairement aussi de l'ordre », in Euler, Essai d'une nouvelle théorie de la<strong>musique</strong>, Oeuvres Complètes en Français, Association des capitaux intellectuels pour favoriser le développementdes Sciences Physiques <strong>et</strong> Mathématiques, tome 5.17 Les sons, comme vibrations de l’air, parviennent à l’oreille en provoquant des pressions régulières, ou descoups, sur le tympan. Le nombre de vibrations par seconde s’appelle la fréquence, mesurée en Hertz, <strong>et</strong>caractérise la hauteur d’une note. Plus le nombre de vibrations est élevé plus la note paraîtra aigue. Euler avaitconscience de l’idée de coups imposés au tympan. Celui-ci imaginait de p<strong>et</strong>its corpuscules sonores régit par uneloi des chocs dans le milieu de propagation des sons. L’expression « numeri vibrationum » qui apparaît dansl’essai original, perm<strong>et</strong> une interprétation moderne en termes de fréquences <strong>et</strong> de « nombre de vibrations ».18 Euler va faire le lien entre mathématique <strong>et</strong> <strong>musique</strong> : le degré de douceur est un nombre entier attribué à unou plusieurs intervalles musicaux. Plus le degré de douceur est p<strong>et</strong>it, plus l’intervalle musical correspondant seraconsonnant <strong>et</strong> proche de la perfection. Le degré de douceur perm<strong>et</strong> ainsi un classement des accordsfondamentaux.


L’horizon de ses travaux est donc l’établissement d’une échelle de douceur des accords 19 , parl’explicitation des degrés de douceur (suavitatis gradus). Ainsi, une note unique possède lerapport 1/1, <strong>et</strong> correspond au premier degré de douceur (primum suavitatis gradum), le plusparfait <strong>et</strong> le plus évident, puisqu’une même note ne peut que convenir parfaitement à ellemême.Le second degré de douceur correspond intuitivement à l’octave, de rapport 1/2. Eneff<strong>et</strong>, après la perfection d’une seule <strong>et</strong> même note, se trouve la proximité de deux noteségales à une octave près. La quinte est de rapport 3/2. La double octave 20 , comme proportiondouble de l’octave est de rapport 1/4. Ces deux intervalles correspondent au troisième degréde douceur. Pour les degrés supérieurs, Euler associera les rapports de la forme 1/2 n au degré(n+1). Ainsi, chaque puissance de 2 présentant un passage à l’octave supérieure, ajoutera undegré de douceur. Par exemple, le rapport 1/8=1/2 3 , sera de degré (3+1) = 4. Euler s’interrogealors sur le degré du rapport 1/p, p désignant un nombre entier premier 21 positif. Si ce dernierest de degré m, nombre entier positif, alors le rapport 1/2p a pour degré m+1, à cause dupassage à l’octave, le rapport 1/4p a pour degré m+2, ainsi le rapport 1/p2 n , aura le degré(m+n).Vient ensuite le cas du degré d’un rapport de la forme 1/pq, les nombres p <strong>et</strong> q étant premiers.C’est à partir d’un raisonnement sans véritable rigueur <strong>et</strong> basé sur des comparaisons, qu’Eulerle détermine. Il part de l’idée que le rapport 1/pq est ‘‘au-dessus’’ des rapports 1/p, 1/q maiségalement 1/1. Le degré doit donc obligatoirement être proportionnel à p, q <strong>et</strong> 1. La valeurqu’Euler donne est donc (p+q-1).La démarche est évidemment purement mathématique. De cas particuliers aisémentsaisissables, l’attention s’oriente vers un établissement de règles générales. Ainsi, Eulers’interroge sur le cas où les nombres de vibrations ne sont pas premiers. Si on prend, parexemple, le rapport 1/k, k n’étant pas premier, on décompose k en produit de facteurspremiers. On obtient une forme semblable à 1/pqrqsp, par exemple, avec p, q, r, s premiers.Les nombres p <strong>et</strong> q interviennent deux fois. Ils représentent donc des sons qui sont confondusà l’oreille. Il convient donc de ne les prendre en compte qu’une seule fois. Le rapportconsidéré devient donc 1/pqrs, pqrs étant le PPCM 22 des facteurs pqrqsp. La généralisation 23perm<strong>et</strong> ensuite de trouver facilement le degré de 1/k. Il ne faut pas oublier le cas où l’un desnombres de vibrations n’est pas 1, comme pour la quinte par exemple, dont le rapport est 3/2.Il faut avant tout simplifier le rapport de sorte qu’il devienne une fraction irréductible, en19 Un accord désigne une combinaison de plusieurs notes, au nombre de trois au minimum, jouéessimultanément.20 La double octave est en toute logique l’intervalle qui sépare deux sons musicaux dont les fréquencesfondamentales sont en rapport 4. Pour la note La, par exemple, il y a une octave double entre le La de fréquence220 Hz <strong>et</strong> le La de fréquence 880 Hz.21 Un nombre premier, en mathématiques, est un nombre dont les seuls diviseurs sont 1 <strong>et</strong> lui-même. Parmi lesplus courants nous pouvons citer : 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, ou encore 22091 !22 Le PPCM est représenté par les initiales signifiant : plus p<strong>et</strong>it commun multiple. Le PPCM de deux nombresest donc le multiple le plus p<strong>et</strong>it qu’ont ces deux nombres en commun.23 La généralisation peut être énoncée par une formule mathématique : ainsi le rapportpour degré ∑ (k i p i – k i ) + 11k ké kp p p n2....n1 1 aura


divisant les nombres par leur PGCD 24 . Ainsi le rapport 6/4/8 est égal à 3/2/4. Dans l’exemplede la quinte, 3/2 étant une fraction irréductible, il suffit de trouver le PPCM. Le PPCM de 3 <strong>et</strong>2 est 6. D’après le degré d’un rapport 1/pq, avec ici p=2 <strong>et</strong> q=3, on a bien 2+3-1=4, donc ledegré de la quinte est le quatrième degré.Pour ce qui est de l’idée de dissonance, Euler affirmera qu’il n’y a pas véritablement dedifférenciation consonance/dissonance, mais que les dissonances sont des consonances dedegré élevé seulement. L’oreille humaine, unique critère dans c<strong>et</strong>te théorie, détermine lafrontière entre l’agréable <strong>et</strong> le désagréable.La beauté <strong>et</strong> la perfection : l’harmoniePar une relation d’ordre entre les accords, la notion d’universellement agréable trouvait unejustification dans la perfection mathématique. Mais c<strong>et</strong>te détermination de l’agréable chezEuler, ne s’attachant qu’à un seul élément de la forme musicale : la hauteur des notes, neposait pas la question du jugement de goût, de subjectivité <strong>et</strong> de beauté. Le jugement de goût,en <strong>musique</strong>, habituellement personnel <strong>et</strong> déterminé par l’exercice des sens, peut-il êtredéterminé par des lois objectives comme des lois mathématiques ? Il semblerait que non,étant donnée la subjectivité même du jugement de goût. Comment expliquer, alors, que desœuvres telles que La chevauchée des Walkyries 25 , Le Canon <strong>et</strong> Gigue en ré mineur pour troisviolons <strong>et</strong> basse continue 26 , ou encore L’Aria de Bach, soient considérées comme des œuvresuniversellement belles ? Le concept de beauté paraît traiter effectivement de l’idée desensibilité, <strong>et</strong> a priori, moins de celle de raison, comme le fait le domaine des mathématiques.Mais une telle distinction n’est évidemment pas suffisamment subtile.Une remarque évidente se fait à la première analyse des grandes œuvres de <strong>musique</strong> classique.Ces dernières sont étonnamment structurées, qu’elles soient l’œuvre d’un compositeur <strong>et</strong>théoricien de la <strong>musique</strong>, ou d’un compositeur plus guidé par l’intuition <strong>et</strong> la sensibilité. Bach,par exemple, avait la réputation d’être un musicien trop mathématicien 27 : ses fugues 28présentaient, en eff<strong>et</strong>, des difficultés techniques qui nécessitaient une bonne maîtrise desmathématiques. Mais mis à part les compositeurs théoriciens qui utilisaient consciemmentl’outil mathématique dans leurs <strong>musique</strong>s, d’autres musiciens non théoriciens tout aussicélèbres méritent une attention particulière. Des œuvres telles que Les Valses de Chopin(1810-1849), ou la plupart des œuvres de Mozart (1756-1791), ne sont en aucun cas issuesd’une théorie musicale liée aux mathématiques, <strong>et</strong> pourtant, une simple analyse des partitionsm<strong>et</strong> à jour une forme d’organisation mathématique, d’ordre déterminable. Comment expliquerces faits ? Y a-t-il effectivement des calculs inconscients, comme le pensait Leibniz, quiguident l’esprit vers la composition musicale par les mathématiques? Le musicien peut-ileffectivement avoir accès au beau par les mathématiques ?24 PGCD sont les initiales signifiant : plus grand commun diviseur. Il est donc, des diviseurs qu’ont deuxnombres en commun, celui qui possède la plus grande valeur.25 Pièce de l’opéra La Walkyrie, à l’acte III, scène 1, deuxième des quatre opéras formant L’Anneau du Nibelungde Richard Wagner, dont la première représentation a eu lieu en 1870.26 Œuvre la plus célèbre de Johann Pachelbel (1653-1706), composée dans les années 1680.27 L’offrande musicale, notamment, présente des symétries sur ses portées, mais également des translations.L’autre exemple flagrant du caractère mathématique de la <strong>musique</strong> de Bach est le Clavier Bien Tempéré.28 La fugue est un procédé de composition musicale qui se base sur l’idée d’imitation, <strong>et</strong> de fuite. De façongénérale, une première voix entame la pièce musicale, <strong>et</strong> les voix qui lui succèdent interprètent une réponse quis’apparente, par sa forme en général, à la partie de la première voix. L’auditeur sent le thème principal de lamélodie fuir d’instrument en instrument, ou de voix en voix.


Ce n’est pas la clef de la beauté objective que les mathématiques peuvent nous aider à trouver.En revanche, c’est la partie de ce qui est objectif dans la beauté que ceux-ci peuvent révéler.C<strong>et</strong>te partie s’appelle l’harmonie.Bien avant Euler, Aristote associait l’harmonieux <strong>et</strong> le beau ; <strong>et</strong> de l’esprit cartésien deDescartes naissait une idée d’ensemble <strong>et</strong> de parties, nécessaires à l’harmonie 29 . Le terme« harmonie » est issu du grec « juste rapport », entendu aussi comme proportion juste. Elle estdonc un tout, engendré par différentes parties assemblées selon un ordre. C<strong>et</strong> ordre sousentendune certaine idée de régularité, de symétrie au sein même de l’obj<strong>et</strong> de l’audition <strong>et</strong>non dépendant de l’oreille, donc d’un ordre mathématique. Euler avait donc une intuitionintéressante sur la partie objective <strong>et</strong> raisonnablement mathématique de ce qui peut êtreagréable en <strong>musique</strong>. En revanche, un jugement subjectif de la beauté universelle d’unemélodie ne pourrait s’exprimer en des termes semblables. Qui mieux que Rameau 30 (1683-1764), compositeur à l’esprit systématique, admiré par Voltaire (1694-1778) notamment, peutreprésenter la théorie de l’harmonie ? Il est perçu comme le plus grand musicien français, <strong>et</strong>surtout, comme le premier théoricien de l’harmonie classique, avec une étude précise de c<strong>et</strong>tenotion. Le Traité de l’harmonie paraîtra en 1722, la même année que la première parution duClavier bien tempéré de Bach. Ce n’est donc pas un hasard si le rapprochement entre ces deuxpersonnages jalonne le paysage de la théorie musicale du XVIII e siècle. La vie entière deRameau est rythmée par la <strong>musique</strong> <strong>et</strong> par sa théorie 31 . « C’est dans la <strong>musique</strong> que la naturesemble nous assigner le principe Physique de ces premières notions purement Mathématiquessur lesquelles roulent toutes les Sciences, je veux dire, les proportions, Harmonique,Arithmétique & Géométriques (…)» 32 Les sciences mathématiques ont donc également uneplace dominante, puisqu’elles serviront de modèle à sa <strong>musique</strong>. C<strong>et</strong>te dernière se voudrasemblable à la logique mathématique, <strong>et</strong> donc, articulée par des liens déductifs. D’ailleurs l<strong>et</strong>raité cite explicitement Descartes <strong>et</strong> son Compendium musicae, précisant ainsi laconnaissance que Rameau en avait. Les premières véritables études théoriques de Rameausont donc essentiellement mathématiques <strong>et</strong> reprennent la tradition pythagoricienne, enconstatant notamment que tout le vocabulaire musical est déterminé par des termes issus deproportions mathématiques : les 3/4 d’une corde nous donne une quarte <strong>et</strong>c. Rameau gardac<strong>et</strong>te théorie en pensée maîtresse, jusqu’au moment où il découvrit ce que sont les sonsharmoniques grâce aux études musicales de Joseph Sauveur 33 (1653-1716). Rameaurapprochera alors la nature de ses théories harmoniques.La théorie de l’harmonie nous donne donc une idée qui dépasse celle de la beauté, liée auressenti personnel. Ainsi, Kant nous dirigera vers la pensée que « Le beau est ce qui plaîtuniversellement » 34 . C’est d’ailleurs dans ce sens que l’harmonique, deviendra le terme musical29 « La beauté est un accord <strong>et</strong> un tempérament si juste de toutes les parties ensemble, qu’il n’y en doit avoiraucune qui l’emporte sur les autres ».30 Compositeur <strong>et</strong> théoricien de la <strong>musique</strong>, il a été un des premiers à rapprocher <strong>musique</strong> <strong>et</strong> nature dans un traitéde la <strong>musique</strong> : « Traité sur l’harmonie ».31 Organiste de la cathédrale de Clermont-Ferrand, Rameau publie ce qui fera de lui le plus grand théoricien deson siècle, son Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels.32 In Rameau, Démonstration du principe de l’harmonie, Paris, 1722, p. 5.33 Connu aujourd’hui comme le fondateur de l’acoustique, il considérait c<strong>et</strong>te dernière comme une sciencesupérieure à la <strong>musique</strong>. L’acquis principal tient au fait que lorsqu’une corde ém<strong>et</strong> un son, elle ém<strong>et</strong> égalementdes sons harmoniques, des sons dont les fréquences sont des multiples de la fréquence fondamentale.34 In Kant, Critique de la faculté de juger.


qui désigne l’octave d’une note obtenue en posant un doigt sur l’octave de la corde, sansl’appuyer. Une <strong>musique</strong> passera donc au stade d’universellement belle, non pas parce qu’elleporte la beauté en soi mais parce qu’elle possède une harmonie audible. Mais quelle sorted’harmonie ? Entre les éléments de la chose elle-même ? Et si un être doué d’une facultéd’audition différente de la nôtre percevait une <strong>musique</strong> de réputation belle ? Il n’aurait pas lamême sensation. L’harmonie n’est pas en la chose elle-même. Elle est dans une harmonie entrel’intelligence <strong>et</strong> la sensibilité de l’individu qui entend. Deux qualités essentiellement humaines.Il est donc universel d’être sensible à l’harmonie, comme il était déjà évident qu’il étaituniversel de reconnaître l’octave. Peu importe la culture <strong>et</strong> les habitudes musicales, le subtil jeude la raison <strong>et</strong> de la sensibilité perm<strong>et</strong>, <strong>et</strong> c’est un constat tout à fait admis, la reconnaissanceharmonique.Réapparition d’une théorie de la <strong>musique</strong>Et s’il fallait arrêter une période pour laquelle la cassure est évidente ? Ce serait sanshésitation le début du XIX e siècle. Les Romantiques <strong>et</strong> leur volonté d’opérer une rupture avecd’anciennes idées trop enracinées dans les esprits, ne pouvaient éviter un domaine aussi richeque celui de la <strong>musique</strong>. Les couleurs psychologiques <strong>et</strong> états d’âmes des compositeursn’étaient pas au centre des conceptions médiévales musicales <strong>et</strong> c’est donc ce sur quoi lesromantiques concentrèrent leur créativité. Deux voies se créèrent ainsi au sein même dudomaine musical, <strong>et</strong> le dix-neuvième siècle ne laissera que de rares théories 35 . Mais le fait queles recherches ne se soient pas arrêtées indique que les idées persistent lorsqu’elles paraissentlégitimes. C’est au début du XX e siècle que revient alors, en force, le désir d’établissementd’une théorie musicale. Dans les années vingt apparaît le dodécaphonisme 36 de Schönberg 37 àl’école de Vienne. Sa supériorité s’affiche mondialement. Ce dernier, aux côtés de Berg(1885-1935) <strong>et</strong> Webern (1883-1945) fera régner sa théorie, qu’il dira être basée sur l’histoirede la <strong>musique</strong> depuis Pythagore. Schönberg du créer, comme outil de composition, sa proprealgèbre complète. C<strong>et</strong>te théorie révolutionna réellement les musiciens de l’époque, à tel pointque ceux qui n’entraient pas dans ce système n’eurent pas le succès que les années <strong>et</strong> l’avenirleur attribua. Des noms tels que Debussy (1862-1918) <strong>et</strong> Bartok (1881-1945), ou encoreProkofiev (1891-1953) <strong>et</strong> Janacek (1854-1928) furent ignorés !Il faudra attendre près d’un siècle pour que s’écroule le dogme imposé par l’école de Vienne.De nos jours, c<strong>et</strong> élément révolutionnaire de l’histoire de la <strong>musique</strong> est catalogué au simplerang de tentative isolée. Mais le dodécaphonisme n’est pas seulement une tentative <strong>et</strong> ungénérateur de compositions célèbres, il représente également un exemple de pensées d’unehaute importance pour la transformation <strong>et</strong> l’évolution de l’état d’esprit des musiciens <strong>et</strong> desthéoriciens. En eff<strong>et</strong>, le dodécaphonisme a, en quelque sorte, anéanti le culte qui s’était crééautour d’une tonalité incontournable, <strong>et</strong> en cela, aura permis à de nombreux compositeurs decomprendre que chacun pouvait se forger ses propres outils pour la composition. Ledodécaphonisme aura été un véritable déclencheur de liberté. C<strong>et</strong>te liberté acquise,malheureusement, générera trop de tentatives inutiles <strong>et</strong> parfois farfelues. De nos jours, règneun paradoxe flagrant découlant de c<strong>et</strong>te profusion. A chaque composition correspond unmodèle formel unique. D’où une forme de dispersion perturbante qui ne fait apparaître aucun35 Les théories scientifiques de la <strong>musique</strong> aux XIX e <strong>et</strong> XX e siècles. Laurent Fich<strong>et</strong>, Vrin.36 Composer, selon la théorie dodécaphonique, revient à choisir une série <strong>et</strong> un ordre de douze sons de c<strong>et</strong>te série,sans répétition.37 Arnold Schonberg (1874-1951) compositeur autrichien <strong>et</strong> fondateur de l’école de Vienne.


epère, <strong>et</strong> qui trouble les non musiciens, mais également les musiciens, voire certainsthéoriciens.L’arrivée massive de l’informatique comme assistant de composition a permis d’utiliser dessystèmes de plus en plus complexes. En gagnant en vitesse, les compositeurs y gagnèrent enquantité de compositions, aussi diverses dans leurs fondements que dans leurs saveurs. Lecompositeur, bien évidemment, garde toujours le choix en main, <strong>et</strong> sélectionne ce quicorrespond le plus à sa sensibilité, la vision <strong>et</strong> la conception de l’œuvre qu’il a en tête. Celareste tout de même une liberté relative, n’ayant toujours pas à disposition un outilinformatique captant les signaux cérébraux correspondant à l’image parfaite de la mélodie quele compositeur souhaite développer. Impossible, donc, de s’affranchir de l’impression que lerésultat de certaines des compositions contemporaines tient, avant tout, à une constructionthéorique. Mais la sensation à l’écoute d’une <strong>musique</strong> ne dépend pas uniquement de laméthode <strong>et</strong> des systèmes théoriques qui ont permis de la construire. L’aura du compositeur,l’image que l’auditeur a de ce dernier <strong>et</strong> de l’époque qui l’a vu naître, influencentsignificativement l’écoute.Composer une œuvre musicale grâce aux mathématiques : la S<strong>et</strong> Theory.La S<strong>et</strong> Theory, ou la théorie des ensembles, est née au vingtième siècle. On la doit auxnombreuses réflexions du compositeur <strong>et</strong> théoricien Milton Babbitt 38 . La notion qu’il fautgarder à l’esprit lorsqu’on souhaite traiter des principes de c<strong>et</strong>te théorie est la notion declasse 39 , notion bien connue des mathématiciens. Babbitt présente, par le biais de sa théorie,des règles <strong>et</strong> des conventions pour la composition, exposées sous des représentantssymboliques de collections de notes, comme peuvent l’être des accords ou de simplesagrégats ‘sauvages’ de notes qui caractérisent l’œuvre <strong>et</strong> lui confèrent son identité. Cesymbolisme ainsi mis en place sera l’obj<strong>et</strong> de transformations faites à partir d’outilsmathématiques tels que le principe d’inclusion 40 , <strong>et</strong> de complémentarité 41 , outils classiques dela manipulation des ensembles.C’est la notion de « classes des hauteurs » qui aura son importance dans la suite de ladescription de la S<strong>et</strong> Theory. Les classes de hauteurs vont représenter les hauteurs de lagamme chromatique, formée, d’une succession de demi-tons, chacun égal à 1/12 d’une octav<strong>et</strong>empérée par le tempérament égal. Elles sont exprimées, via une double simplification, étantdonné que tout est exprimé modulo l’octave, soit en mathématiques, modulo 12, <strong>et</strong> quel’oreille de l’homme n’est pas suffisamment sensible pour percevoir certaines différences trop38Milton Babbitt, compositeur américain, est né en 1916 d’un père mathématicien qui influençaconsidérablement sa pensée. Il est connu pour être un des pionniers de la <strong>musique</strong> électronique.39 En mathématiques on parle de classe d’équivalence comme étant, dans un ensemble muni d’une loid’équivalence, chaque sous-ensemble formé des éléments équivalents entre eux deux à deux.40 L’inclusion se comprend comme suit : un ensemble A est dit inclus dans un ensemble B si, quelque soit unélément de A, celui-ci est contenu dans B. Par exemple, l’ensemble des classes de hauteurs {0, 7} est dit inclusdans l’ensemble des classes de hauteurs {0, 4, 7}.41 La complémentarité se définit exactement comme la complémentarité mathématique. Ainsi, un ensemble declasses de hauteurs A sera le complémentaire d’un ensemble de classes de hauteurs B, si ces deuxensembles sont disjoints, c'est-à-dire qu’ils n’ont aucun élément en commun (leur intersection est nulle) maisqu’à la fois la réunion de ces deux ensembles donne l’ensemble tout entier des classes de hauteurs. Pour donnerun exemple simple, si on prend l’ensemble de classes de hauteurs {1, 3, 5, 6} ce dernier adm<strong>et</strong>tra commecomplémentaire l’ensemble de classes de hauteurs {0, 2, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12}.


subtiles comme celle qui existe, par exemple, entre do # <strong>et</strong> ré b. Ainsi on ne définitlogiquement que douze classes de hauteurs, de la note do à la note si.Do0 do#1 ré2 ré#3 mi4 fa5 fa#6 sol7 sol#8 la9la#10 si11Si un analyste souhaite avoir recours à la S<strong>et</strong> Theory il doit procéder avec exactitude.L’ensemble des classes de hauteurs est une collection de notes choisie arbitrairement. Il fautensuite éviter de considérer l’ordre ou les fréquences d’apparition dans la liste des classes dehauteurs qui se trouvent dans la collection. Le nombre d’éléments contenus dans un ensemblede classes de hauteurs est donc évidemment toujours compris entre 1 <strong>et</strong> 12. On représentealors les ensembles comme un ensemble de nombres entiers compris entre 1 <strong>et</strong> 12. Parexemple, l’accord de do majeur, soit les notes do di sol, s’écrit {0, 4, 7}. Ainsi, en pratique,l’analyste qui utilise <strong>et</strong> applique la S<strong>et</strong> Theory devra obligatoirement commencer son analyseen transcrivant des groupes de notes considérés sous forme d’ensemble de classes dehauteurs. En revanche, le libre arbitre étroitement lié à l’affect associé à l’oeuvre qui estl’obj<strong>et</strong> de l’analyste est de mise pour le choix de ces groupes. Ajouté aux classes de hauteurs,se trouve le concept de classes d’intervalles. Elles sont elles aussi au nombre de douze <strong>et</strong>représentent les intervalles classiques en explicitant le nombre de demi-tons contenus. Enpartant de la seconde mineure, dont le représentant est 1, pour aller à l’octave, on exprime cesreprésentants modulo l’octave : ainsi si on augmente l’intervalle par un multiple entierd’octaves, le représentant sera le même pour l’intervalle de départ comme pour l’intervalleaugmenté. La quinte, par exemple, se représente par le chiffre 7. Et c<strong>et</strong>te quinte augmentée d<strong>et</strong>rois octaves, sera elle aussi représentée par le 7.La S<strong>et</strong> Theory est vaste, parait complexe, mais s’appuie sur des concepts mathématiques toutà fait courants. Considérée comme la plus originale de sa période, on la trouve principalementdans la <strong>musique</strong> contemporaine américaine. Elle se situe au cœur même de la vague musicaledes compositeurs assistés par l’outil informatique, <strong>et</strong> aura influencé toute une génération d<strong>et</strong>alents. Parmi eux, Olivier Messiaen (1908-1992), auquel on doit un flot considérabled’innovations <strong>et</strong> d’idées révolutionnaires. Elle reste, aujourd’hui, une façon de formalisermathématiquement les structures musicales, en ne tenant compte que de la hauteur des notes,<strong>et</strong> en négligeant le rythme, les ornementations 42 <strong>et</strong> le timbre 43 des instruments sollicités.Le hasard, les probabilités <strong>et</strong> la <strong>musique</strong> aléatoireIl semble que l’histoire de la <strong>musique</strong> occidentale ait été traversée, <strong>et</strong> souvent même dominée,par un courant de pensées qui s’appuient sur le nombre afin de garantir, à l’œuvre musicale,une forme d’ordre caché, accessible à l’esprit sans forcément être perceptible par laconscience de l’auditeur. Il apparaît alors une tension entre l’audible <strong>et</strong> l’intelligible, <strong>et</strong> audelàdu domaine des nombres, des branches plus spécifiques des mathématiques comme lesprobabilités, se verront liées à la <strong>musique</strong>. Au dix-huitième siècle, Cournot 44 définissait le42 Les ornementations sont bien souvent considérées comme des décorations sans véritable poids musical,superflues <strong>et</strong> redondantes, très utilisées en <strong>musique</strong> classique <strong>et</strong> baroque pour leur raffinement. Mais elles fontpartie intégrante de certaines œuvres <strong>et</strong> participent à la transmission des émotions. Le vibrato d’un instrument àcordes comme le violon, par exemple, est indissociable de la plupart des exécutions musicales. Il se caractérisepar un micromouvement extrêmement rapide de va <strong>et</strong> vient du doigt sur la corde, <strong>et</strong> est une subtilitéincontournable chez les instruments à cordes frottées.43 Le timbre d’un instrument ou d’une voix définit la coloration propre, le grain de son qui identifie l’instrumentou la voix dont il est question. Une note jouée à la tromp<strong>et</strong>te se différencie aisément de la même note jouée surun piano, à l’oreille humaine, grâce au timbre propre à chacun de ces instruments.


hasard dans une formule devenue très célèbre, comme étant « la rencontre de deux sériescausales indépendantes ». Les évènements, en eux-mêmes, sont supposés entièrementdéterminés quant à leurs causes <strong>et</strong> à leurs eff<strong>et</strong>s, inscrits dans le temps <strong>et</strong> l’espace. C’est àl’intersection des deux que se produit le hasard.C’est à partir d’idées semblables à celles de Cournot que s’établit la <strong>musique</strong> aléatoire.Courant de la <strong>musique</strong> occidentale, elle est une technique de composition très particulière <strong>et</strong>incontournable, caractérisée par l’exploitation du hasard. Elle tend donc à intégrer unecertaine part d’indétermination (une part relativement importante cependant) au sein même dela structure de l’œuvre. C’est aux alentours des années 50 que se trouve la naissance de c<strong>et</strong>tedernière, à l’époque même où Pollock(1912-1954), en peinture, Calder(1898-1976), ensculpture, <strong>et</strong> Cage 45 (1912-1992), en <strong>musique</strong>, rem<strong>et</strong>taient en question l’art en occident. C<strong>et</strong>t<strong>et</strong>endance, développée par de nombreux musiciens de l’école sérielle 46 poussés par un besoind’ouverture, gagnera les pays européens.Pour présenter leurs œuvres, les compositeurs Boulez 47 (né en 1925) <strong>et</strong> Stockhausen (né en1928), par exemple, ne posaient qu’une base musicale, <strong>et</strong> laissaient ainsi à l’interprète sa partde choix dans l’exécution. Ils offraient donc un certain nombre de possibilités différentes pourl’exécution de l’œuvre. L’influence de la plupart des musiciens vient essentiellement de Cage<strong>et</strong> Brown 48 . Ainsi inspirés, ceux-ci voyaient dans l’aléatoire un moyen d’ouvrir l’œuvrecomposée, de la grandir <strong>et</strong> de lui laisser sa part propre de liberté, à la façon d’un enfant dontl’éducation <strong>et</strong> le patrimoine génétique ne peuvent déterminer totalement sa personne. L’œuvreissue de la <strong>musique</strong> aléatoire, prévoit des parcours possibles pour le musicien. Le nombre depossibilités est donc déterminé <strong>et</strong> fini. Ainsi, si l’œuvre est « ouverte », elle ne l’est qu’auxstructures qui lui sont propres, celles qu’elle a, elle-même, mises en place. Boulez, à cepropos, comparait, en une image assez amusante, la partition caractéristique de la<strong>musique</strong> aléatoire au plan d’une ville.Mais point d’improvisation dans c<strong>et</strong>te technique! Il serait d’ailleurs simpliste d’associer aussidirectement le hasard à l’idée d’aléatoire, car la <strong>musique</strong> aléatoire correspond à un refusprofond de toute activité musicale improvisée. D’un côté, force a été de constater qu’il nesuffisait pas d’intégrer simplement quelques règles <strong>et</strong> lois prédéterminées à l’outilinformatique pour obtenir une œuvre musicale. Il n’était pas possible d’échanger le librearbitre du compositeur <strong>et</strong> du musicien contre une série de nombres successifs, à laquelle onsoum<strong>et</strong> un processus aléatoire pour déterminer l’ordre. Le formalisme aléatoire apporté parl’informatique est un outil sans précédent, pour les techniques calculatoires, mais ne peutrivaliser avec les apports sensibles du compositeur. D’autre part, les obj<strong>et</strong>s mathématiques quiinterviennent dans l’acte de composition, apparaissent dans l’expérimentation musicale. Cesderniers trouvent la place entre une forme d’ordre particulière <strong>et</strong> un chaos incontrôlé. C’est44 Antoine Augustin Cournot, (1801-1877), économiste mathématicien <strong>et</strong> philosophe français. Ses travauxdonneront les bases de la théorie mathématique de l’économie <strong>et</strong> feront de lui un des précurseurs del’épistémologie.45John Milton Cage (1912-1992) compositeur américain de <strong>musique</strong> contemporaine <strong>et</strong> expérimentale.Egalement philosophe, il aura créé une oeuvre très célèbre, une pièce silencieuse, lors de laquelle il ne joue pas,<strong>et</strong> laisse place aux bruits de la salle, donnant ainsi la possibilité au public de s’écouter.46 CF Gilles Deleuze <strong>et</strong> Félix Guattari : Mille plateaux, Paris, Minuit, p.121.47 Pierre Boulez, aura fait des études de mathématiques <strong>et</strong> de <strong>musique</strong> à Lyon, pour devenir ensuite compositeur<strong>et</strong> chef d’orchestre français d’une influence considérable sur la <strong>musique</strong> contemporaine française.48 Earle Brown (1926-2002) compositeur américain.


dans ce sens que, d’évolutions en évolutions, les compositions issues de la <strong>musique</strong> aléatoirese modifieront, <strong>et</strong> feront naître le <strong>musique</strong> stochastique 49 de Iannis Xenakis.La <strong>musique</strong> stochastique de Iannis XenakisLa <strong>musique</strong> stochastique 50 aura été la première tendance à réellement intégrer l’outilinformatique dans ses techniques d’écriture musicale. Iannis Xenakis 51 ne pouvait imaginerque le hasard soit représenté par une absence de règles. Son esprit scientifique le poussait à seréférer aux techniques de probabilités, <strong>et</strong> le hasard devenait alors calculable. Ainsi, enintégrant une part de hasard à ses œuvres musicales, il opposa rationnellement sa <strong>musique</strong>stochastique à la <strong>musique</strong> aléatoire. Né le 29 Mai 1922 à Braïla, en Roumanie, Xenakiscommença par des études en école d’ingénieur, pour travailler ensuite aux côtés de LeCorbusier. Il évoluant ainsi jusqu’à prendre de nombreuses initiatives, <strong>et</strong> notamment lefameux Pavillon Philips de l’exposition Universelle de Bruxelles en 1958. Xenakis se sentiratoujours poussé par un besoin perpétuel d’être un véritable inventeur d’œuvres toujours plusoriginales les unes des autres. Il aura ainsi créé un nombre phénoménal de concepts <strong>et</strong>d’inventions de sons inattendus. Déchiré entre l’utopie de «l’alliage » arts/sciences, <strong>et</strong> le désirde formaliser la <strong>musique</strong>, son itinéraire personnel <strong>et</strong> professionnel, puisqu’il ne dissociait pasles deux, est d’une complexité rare.Son parcours peut cependant se fractionner en trois grandes phases : Xenakis passera, toutd’abord, par une période de rupture d’une immensité inégalée en <strong>musique</strong>, symptomatique del’art moderne, qu’il aura lui-même créée. Suivra l’étape au cours de laquelle sa pensées’oriente vers des voies plus utopistes, pour enfin terminer par un assagissement significatifd’une intériorisation. C’est dans la première période que se trouve la <strong>musique</strong> stochastique.Elle apparaît immédiatement après la création de l’œuvre M<strong>et</strong>astaseis (1953-1954, pourorchestre) qui fit scandale auprès des traditionalistes, mais également, plus surprenant,auprès des avant-gardistes. C<strong>et</strong>te composition a pour ouverture un tissu sonore singulier <strong>et</strong>une conclusion exactement semblable. Cela constitue la signature Xenakis : un gigantesqueglissando 52 de toutes les cordes. Ce sont des graphiques tracés par le compositeur qui sont àl’origine de ces glissandi.Ces graphiques ont ensuite été r<strong>et</strong>ranscris sur des partitions traditionnelles, pour êtreinterprétées par les musiciens de l’orchestre. Pour en arriver à un tissu aussi complexe 53 , lecompositeur pose les cordes de l’orchestre comme étant individuelles. Les quarante-sixinstrumentistes doivent alors exécuter des partitions différentes pour former un son global 54 .C’est la naissance de la <strong>musique</strong> stochastique. Son œuvre Pithoprakta (1955-1956 pour49 CF Iannis Xenakis : Musiques formelles = Revue Musicale ,253-254, 1963, réédition : Paris, Stock 1981 p. 19.50 Stochastique est un terme grec. Il peut s’interpréter comme l’application des probabilités aux donnéesstatistiques.51 CF Iannis Xenakis. Arts, sciences, alliages. (Casterman, 1979) p. 11 à 25, p. 57 à 59.52 Le glissando est une technique d’exécution musicale. Pour les instruments à cordes, c’est un glissementcontinu du doigt sur la corde, en un mouvement ascendant ou descendant53 CF Iannis Xenakis in Balint A.Varga: Conversations with Iannis Xenakis, London, Faber and Faber, 1996, p.162.54 C’est dans un très célèbre <strong>article</strong> qu’il écrira sur La crise de la <strong>musique</strong> sérielle, que se trouve ledéveloppement de c<strong>et</strong>te technique. Il y introduit bien évidemment le moyen de composer de telles massessonores, <strong>et</strong> c<strong>et</strong> outil s’avère être : le calcul des probabilités.


orchestre) est sans doute la première concrétisation de ses techniques. Elle contient dessonorités toutes particulières. On y trouve des sons glissés, ponctuels, <strong>et</strong> même statiques,d’une grande subtilité <strong>et</strong> qui dégagent un acharnement réel dans l’acte de composition.L’innovation majeure 55 présente dans c<strong>et</strong>te composition, tient en les transformations continuesque subissent les sons, ou plus exactement le son sélectionné, que Xenakis fait varier selondifférents états, états variant également incessamment tout au long de l’œuvre.Son parcours de vie <strong>et</strong> ses visions des choses déclenchent des compréhensions plus profondesdes relations qu’entr<strong>et</strong>iennent la <strong>musique</strong> <strong>et</strong> les mathématiques 56 . Ce dernier donnait unedéfinition de la « formalisation » comme devant être la recherche de processus à mêmed’expliciter les procédés de création. Il s’intéressait également profondément à l’intelligenceartificielle. C’est après les années 60 que Xenakis étudiera la philosophie, <strong>et</strong> en particuliercelle de Parménide 57 . Ses diverses réflexions <strong>et</strong> études le pousseront ainsi dans une grandeentreprise personnelle : celle de chercher à ‘fonder’ la <strong>musique</strong> au sens mathématique duterme. Pour cela, il cherchera, par exemple, à utiliser la « théorie des groupes » dans sa<strong>musique</strong>. Ainsi naîtrons Nomos Alpha (1965-1966, pour violoncelle) <strong>et</strong> Nomos gamma (1967-1968, pour orchestre). Pour Nomos Alpha, c’est le groupe mathématique des rotations d’uncube que Xenakis aura choisi. Sa <strong>musique</strong> se transposera sur c<strong>et</strong>te base.Mais Nomos Alpha reste une œuvre à part. Elle est l’unique composition de Xenakis quipuisse prétendre à une explication formelle <strong>et</strong> uniquement mathématique. Nomos gamma,quant à elle, représentera le changement radical de l’espace de la salle de concert, ainsi queTerr<strong>et</strong>ektorh (1965-1966, pour orchestre). La beauté de c<strong>et</strong> éclatement se concrétise par ladispersion de l’orchestre dans le public lui-même, allant même jusqu’à ce que chaque auditeursoit assis à côté d’un instrumentiste. La configuration de Persephassa 58 étudie le son dans saspatialité <strong>et</strong> offre au public la possibilité d’être encerclé par les instrumentistes. C’est ainsiqu’en cherchant à aller plus loin il introduit les jeux de lumières, <strong>et</strong> va jusqu’à sortir de la salleelle-même! C’est ce qu’il appelle polytopes (plusieurs lieux).Par ses paroles <strong>et</strong> ses créations, Xenakis indique dans quel sens va sa pensée… haut <strong>et</strong> loin.« Il n’y a aucune raison pour que l’art ne sorte, à l’exemple de la science, dans l’immensité ducosmos, <strong>et</strong> pour qu’il ne puisse modifier, tel un paysagiste cosmique, l’allure des galaxies.Ceci peut paraître de l’utopie, <strong>et</strong> en eff<strong>et</strong> c’est de l’utopie, mais provisoirement, dansl’immensité du temps. Par contre, ce qui n’est pas de l’utopie, ce qui est possible aujourd’hui,c’est de lancer des toiles d’araignées lumineuses au-dessus des villes <strong>et</strong> des campagnes, faitesde faisceaux lasers de couleur, telles un polytope géant : utiliser les satellites artificielscomme miroirs réfléchissant pour que ces toiles d’araignées montent dans l’espace <strong>et</strong>entourent la terre de leurs fantasmagories géométriques mouvantes ; lier la terre à la lune pardes filaments de lumière ; ou encore, créer dans tous les cieux nocturnes de la terre, à volonté,des aurores boréales artificielles commandées dans leurs mouvements, leurs formes <strong>et</strong> leurscouleurs, par des champs électromagnétiques de la haute atmosphère excités par des55 Rapport de l’IRCAM, Centre Georges Pompidou.56 CF Musique architecture, Casterman, 1976 p.19, 71 à 81, 181 à 187.Ainsi que Arts, sciences, alliages,Casterman, 1979.57 Parménide est un philosophe grec du VI e au V e siècle avant J.-C. Sa philosophie se divisait en deux parties : lavérité <strong>et</strong> l’opinion. Véritable penseur de l’être en tant qu’intelligible <strong>et</strong> intemporel.58 Iannis Xenakis, 1969, pour six percussions.


lasers. » 59 Véritable modèle pour l’esprit qui se veut « ouvert » aux possibilités qu’offrent lesdifférentes formes de savoirs, sa vision des choses de façon générale, de la <strong>musique</strong> <strong>et</strong> dessciences, offre un exemple de chemin à suivre, liant arts <strong>et</strong> sciences dans un but situé au-delàde la pratique pure de l’un ou l’autre de ces deux domaines. Il est difficile d’étudier ce quel’humain a de plus profond sans s’intéresser à ses limites, même cérébrales, quitte à révisercertaines convictions parfois simplistes <strong>et</strong> dotées de l’apparence de la vérité ou de l’évidenceintuitive.L’oreille absolue <strong>et</strong> l’imagerie cérébraleLa querelle de l’oreille absolue 60 est apparue avec le « flottement du diapason 61 » <strong>et</strong>l’interprétation baroque. Rappelons qu’Aristide Cavaillé-Coll (1811-1899), célèbre facteurd’orgues, présentait, à l’académie des sciences, en 1859, un mémoire dans lequel figurel’historique du diapason depuis le XVIII e siècle. Des chiffres tels que quatre cent dixvibrations à la seconde dans une température de quinze degrés, en 1710, quatre cent trente, unsiècle plus tard <strong>et</strong> quatre cent quarante-quatre au final. Ce dernier donnait également commeofficiel en France, dans un devis de 1882, le chiffre de quatre cent trente-cinq.L’idée d’oreille absolue a engendré de nombreuses recherches neurophysiologiques, <strong>et</strong> lesapports au domaine musical <strong>et</strong> à celui des neurosciences perm<strong>et</strong>tent une analyse comparativevis-à-vis des sciences mathématiques. Dans c<strong>et</strong>te fameuse querelle, Robert Zatorre 62 , en 1989,proposait la définition suivante : « capacité à identifier en dénommant les notes la hauteurd’un grand nombre de sons musicaux <strong>et</strong> à produire la hauteur exacte d’une note sans recourirà une note de référence ». La même année, ce dernier voulu montrer qu’une lésion temporalegauche ne pouvait entraîner la perte de l’oreille absolue. Son patient, un jeune garçon âgé dedix-sept ans était atteint depuis l’âge de dix-huit mois d’une épilepsie dite « partiellecomplexe ». Aucun traitement médicamenteux n’était efficace. Celui-ci, après avoir étudié lepiano pendant de très longues années, s’est intéressé au problème de l’harmonie. Il avait lacapacité de dénommer <strong>et</strong> sans le moindre effort les notes qu’on lui faisait écouter sans les voir<strong>et</strong> sans la possibilité de les jouer. Il écrivait quasiment instantanément la note, <strong>et</strong> sonsymbole adéquat, sur une portée. Il ne présentait pas la moindre lésion vasculaire, en revancheil avait subi une exérèse thérapeutique de la partie antérieure du lobe temporale gaucheenglobant le noyau amygdalien, l’uncus <strong>et</strong> quelques centimètres de l’hippocampe.Etrangement, <strong>et</strong> ceci seulement avant l’opération, chacune des notes qu’il dénommait étaitdécalée d’un demi-ton au-dessus ou au-dessous de la note véritablement jouée. A c<strong>et</strong>teépoque, il était sous traitement médicamenteux antiépileptiques, <strong>et</strong> faisait régulièrement descrises d’épilepsie. Sa capacité à reconnaître les notes fût testée une semaine après sonopération : l’identification des notes qu’il faisait était absolument parfaite. Un an après, untest du même genre révéla à nouveau une perfection dans l’identification des notes. PourRobert Zattore, non seulement l’exérèse de la partie antérieure du lobe temporal gauche n’apas pour conséquence la perte de l’oreille absolue, mais bien plus, c’est justement dans lapartie respectée par l’opération que semble siéger le générateur de l’oreille absolue. Et sesdonnées par imagerie cérébrale lui perm<strong>et</strong>tent de le confirmer.59 CF Iannis Xenakis, Arts, sciences, alliages. (Casterman, 1979) p. 15-16.60 In Lilly Bornant, De l’asymétrie cérébral vers le développement de l’imaginaire, de 1a tête bien pleine à 1atête bien faite?61 Pour les mesures de longueurs, nous disposons d’un mètre étalon, celui-ci est déposé au pavillon de Br<strong>et</strong>euil àSèvres, mais pour la mesure des hauteurs des sons, ce n’est pas du tout le cas.62 Le cerveau de Mozart. B.Lechevalier (Odile Jacob, 2003).


Dans une étude plus récente, les recherches de Schlaug, de l’Université de Düsseldorf, en1995, tendent à prouver efficacement une implication plus importante de l’hémisphèregauche. L’imagerie par résonance nucléaire est le moyen par lequel la surface du planumtemporal est mesurée, c'est-à-dire la partie de la face supérieure de la circonvolutiontemporale supérieure, en arrière du gyrus de Heschl. Schlaug s’aide d’un échantillon de trentemusiciens <strong>et</strong> de trente non musiciens. Il y a une asymétrie apparente au niveau du planumtemporal, <strong>et</strong> ceci en raison de la présence des centres du langage dans l’hémisphère dominantchez les droitiers, le gauche est plus vaste que le droit. Onze individus sur les trente musicienssont doués de l’oreille absolue, <strong>et</strong> l’asymétrie qu’ils présentent comparativement aux dix-neufautres est très fortement significative. Ce qui est d’autant plus étonnant que le niveaud’asymétrie présentée par les dix-neuf autres musiciens non dotés d’oreille absolue se révèleêtre identique à celui des non musiciens. Une des conclusions de c<strong>et</strong>te étude est la prioritéattribuée au rôle de la région temporale postérieure <strong>et</strong> supérieure <strong>et</strong> particulièrement auplanum temporal dans la perception de la <strong>musique</strong> <strong>et</strong> dans l’exercice de l’oreille absolue 63 .Ces recherches mènent aux conclusions selon lesquelles des réseaux de neurones impliquésdans l’exercice de l’oreille absolue se localisent dans les aires auditives primaires, dans leplanum temporal gauche <strong>et</strong> dans les aires postéro latérales du cortex frontal gauche, voisine del’aire de Broca. Trois zones cérébrales 64 , déterminant les trois opérations mentales intriquées,sont impliquées dans l’oreille absolue.-L’appareil auditif périphérique <strong>et</strong> central perm<strong>et</strong> la perception de la hauteur du son.-Les aires corticales (aire de Broca impliquée dans l’expression verbale)-La mise en jeu des voix associatives entre ces deux aires.Dans un <strong>article</strong> récent de la revue Nature du 17 mars 2005, Robert Zatorre 65 parlait de la<strong>musique</strong> comme d’un champ d’investigation complexe <strong>et</strong> emballant : « un nombre croissantde chercheurs sont convaincus que la <strong>musique</strong> peut livrer de l’information pertinente sur lafaçon dont le cerveau fonctionne». C’est la manière dont les fonctions cérébrales interagissentavec d’autres fonctions cognitives qui est véritablement l’obj<strong>et</strong> de ses observations. Sachantque l’hémisphère cérébral gauche est spécialisé dans les taches d’écriture, de lecture, d’unemanière générale de tout décodage sémantique, mais également chargé de l’assemblagerythmique, de la mesure temporelle <strong>et</strong> de l’oreille absolue. Le « cerveau droit » lui, est chargédes relations holistiques, de la reconnaissance des intervalles, donc également des mélodies,des couleurs <strong>et</strong> donc des timbres, des changements d’intensités, <strong>et</strong> de toutes lesreprésentations visuo-spatiales. Lechevalier, professeur contemporain de neurologie,spécialisé en neuropsychologie, <strong>et</strong> ses nombreuses études <strong>et</strong> expérimentations, affirment queles musiciens ont un corps calleux, unissant les deux hémisphères, plus important (en volume)que celui des non musiciens, car pratiquer l’art musical oblige à développer la coopérationinter hémisphérique.C’est une constatation de très grande importance qui le fait appeler ce phénomène« plasticité » du cerveau humain <strong>et</strong> de ses lobes. Selon lui, donc, <strong>et</strong> ses études ont cela pourvisée, le cerveau s’organise <strong>et</strong> croît, s’adapte <strong>et</strong> adapterait son volume, sa masse, sa forme <strong>et</strong>ses fonctions selon l’activité qui lui est imposée. Il faut bien évidemment ajouter à cela lesnotions d’habitude, de mécanisme, de rigueur, <strong>et</strong> bien d’autres facteurs psychologiques qui63 Les rapports de l’IRCAM, institut de Recherche <strong>et</strong> Coordination Acoustique/<strong>musique</strong>64 Les rapports du laboratoire d’Imagerie Fonctionnelle sur le site de la Pitié-Salpêtrière : IFR 165Le 14 Juin 2005, Robert Zatorre lançait, à Montréal, aux côtés d’Isabelle Per<strong>et</strong>z, un centre de rechercheunique au monde pour la neuroscience, la psychologie <strong>et</strong> la <strong>musique</strong>, le BRAMS (pour Brain, Musique AndSound Research). Ce qui intéresse les chercheurs de ce centre est c<strong>et</strong>te forme d’art sous l’angle de son rapportavec la cognition <strong>et</strong> le cerveau.


sont des facteurs déterminants dans la formation, ou la déformation (au sens matériel du terme<strong>et</strong> non péjoratif) du cerveau humain. Lorsqu’il est question de prédisposition, notreneurologue parle de formation de la masse cervicale favorisant l’apprentissage ou augmentantles facilités à l’exercice d’une discipline.Vers une éducation de la pensée pluridisciplinaireLa <strong>musique</strong>, comme les mathématiques, élève l’être humain à un rang auquel il ne pourraitprétendre s’il n’était que machine biologique Sa pensée peut aller loin. Ses capacitéscérébrales semblent bien limitées, mais quoi qu’il en soit, le désir <strong>et</strong> la volonté d’apprendre <strong>et</strong>de comprendre seront toujours plus forts que de simples considérations de limites. Maiscomment ouvrir l’esprit pour qu’il puisse atteindre des niveaux qu’il ne peut espérer toucher ?Par des indices de pensée certainement. De grands penseurs, scientifiques, philosophes,musicologues, psychologues, <strong>et</strong> neurologues, m<strong>et</strong>tent ainsi en place l’idée d’une ouverturecognitive par l’activité musicale principalement. Il semblerait que la <strong>musique</strong>, plus que toutautre art, puisse développer les interconnexions neuronales <strong>et</strong> surtout la coopération entre nosdeux hémisphères cérébraux. Elle exige une véritable « synergie » complète de l’activitécérébrale 66 . Le phénomène de plasticité du cerveau humain appuie c<strong>et</strong>te idée tenace qui donneà la <strong>musique</strong> une place fondamentale au sein d’une formation de structures fondamentales <strong>et</strong>suffisamment larges de l’esprit humain.A côté de cela, force est de constater l’arrivée <strong>et</strong> la banalisation de l’outil informatique, quin’est pas sans conséquences sur les pensées des dernières décennies, qui ont été les témoinsd’un profond changement au sein des arts comme des mathématiques, à la recherche de leurpropre légitimité. L’activité mathématique souvent perçue comme un simple outil d’applicationà l’informatique ne siège pas à la place qui lui est due. C’est l’activité mathématique du suj<strong>et</strong>qui est importante, <strong>et</strong> la façon dont celle-ci peut formater <strong>et</strong> éduquer son esprit. Les effortscognitifs <strong>et</strong> les habitudes de manipulation d’outils formels qu’elle nécessite provoquent deshabitudes aux exercices de pensée qui perm<strong>et</strong>tent une plus grande adaptation à la spéculation,<strong>et</strong> à l’approche des sphères les plus abstraites, par exemple. Il n’est donc pas étonnant qu’ellessoient au moins aussi importantes que la <strong>musique</strong> dans toute forme de culture, <strong>et</strong> donc dans toutespoir d’évolution pluridisciplinaire des capacités cérébrales.Disciplines <strong>et</strong> véritables moyens d’accession à une liberté d’adaptation cognitive, lesmathématiques comme la <strong>musique</strong> présentent une autonomie, une rigueur <strong>et</strong> des difficultésqui exigent une immersion relativement importante pour pouvoir être saisis convenablement<strong>et</strong> bénéficier des qualités cognitives qu’elles peuvent déclencher. Développer <strong>et</strong> exercer sapensée sur l’une d’entre elles est devenue une habitude mais également une contrainte sociale.Se spécialiser peut ainsi devenir, de nos jours, une nécessité, mais représente également undanger, la pensée humaine se cantonnant à une seule activité dotée d’un système propre,d’une pensée propre, <strong>et</strong> d’une logique interne propre.La pensée a donc besoin de s’exercer, <strong>et</strong> d’être consciente de ses propres possibilités enobservant les possibilités des autres. L’enseignement tient principalement au fait qu’il fautéviter de négliger tout aspect du savoir, <strong>et</strong> qu’il est judicieux d’ouvrir les frontières quiséparent les arts des sciences, en particulier. Le plus important étant évidemment, par la suite,de savoir se servir au mieux de ces éducations de l’esprit, <strong>et</strong> de c<strong>et</strong>te formation, au sensbiologique, de la masse cérébrale, pour accentuer les facilités intellectuelles sur d’autresdisciplines <strong>et</strong> d’autres formes de savoirs habituelles ou encore inconnues.Aurore Huitorel-V<strong>et</strong>ro66 Bernard Lechevalier, professeur de neurologie spécialisé en neuropsychologie <strong>et</strong> également organiste titulairede l’église Saint-Pierre de Caen, traite de ce suj<strong>et</strong> dans son livre Le cerveau de Mozart.

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