L’ÉTAT DES TORTUES MARINES DANS LE MONDELes chemins de la conservationLes tortues marines jouent leurs rôles écologiques surune planète saine où tous valorisent et célèbrent leur survie.Si vous ne savez pas où aller, tout chemin est bon à prendre.Le chemin démarre par une vision claire de la conservationmondiale des tortues marines.Il n’est pas simple de préserver les tortues marines. Leur distributionétendue en mer, les mystères non résolus de leur histoirenaturelle, et le fait que les tortues de mer et les dangers pour leursurvie ne soient pas uniformément distribués sur la planète sontdéconcertants. Ainsi, les changements climatiques pourraient fairedisparaitre toutes les plages de ponte des Maldives, ce qui ne serapas le cas ailleurs. Le prélèvement de tortues est une menace gravedans les îles Kei en Indonésie, mais pas dans le sud-est des États-Unis. Le développement du littoral, les répercussions de la pêche, lapollution marine et les pathogènes mettent les tortues marines àl’épreuve à des degrés différents, selon le site, la saison et l’espèce.Compte tenu des réponses différentes selon les situations etd’urgence relative de toutes ces actions, les spécialistes de la conservationdoivent adopter une approche stratégique.Stratégique signifie sélectionner les priorités, trouver unéquilibre entre les réponses réactives et proactives, vérifier constammentles avancées et réorienter les efforts en fonction des nouvellesinformations disponibles. Parmi les outils de définition depriorités du groupe de spécialistes des tortues marines de l’UICN,les plus importants sont les évaluations permettant de déterminerles risques d’extinction des tortues marine pour la Liste rougedes espèces menacées de l’UICN. Les cinq dangers mentionnésauparavant, la liste des 10 populations les plus menacées de tortuesmarines et les « principaux mystères non résolus » (voir www.seaturtlestatus.org pour plus d’information) constituent d’autresoutils utiles pour définir les priorités dans le cadre des ateliers surles « problèmes épineux » que rencontre le groupe. Par ailleurs,SWOT rassemble et synthétise les données mondiales afind’évaluer les tendances et définir les priorités pour la conservation14 | Rapport SWOT—Vision déclarée du Groupe de spécialistes des tortues marines de l’UICNSi elle reste sans doute l’espèce de tortue marine la plus menacée du monde, saclassification par l’UICN comme en danger critique d’extinction a contribué à attirerl’attention de la conservation sur la tortue de Kemp, maintenant en reprise. © NPS PHOTOL’identification des zones fortement fréquentées par les tortues caouannes au largede Baja (en orange et en rouge) à l’aide de la télémétrie satellite a encouragé lesefforts de création de zones protégées, ce qui illustre comment des outils de rechercheinnovants peuvent aider à établir des priorités pour la conservation. Le schéma estreproduit avec l’aimable autorisation de Hoyt Peckham, David Diaz, Andreas Walli, GeorgitaRuiz, Larry Crowder et Wallace J. Nichols et provient de l’article « Small-Scale Fisheries BycatchJeopardizes Endangered Pacific Loggerhead <strong>Turtles</strong> » dans PLoS ONE, numéro du 10 oct. 2007.des tortues marines. Plusieurs gouvernements et organisationscaritatives examinent également les priorités nationales et localespour la conservation de ces espèces. Les plans d’action, plansde reprise, les stratégies et modèles foisonnent, examinant leproblème sous différents angles et à différentes échelles.Le meilleur modèle de définition des priorités pour la conservationdes tortues marines doit inclure des parties de tous lesschémas possibles, mais sa flexibilité est cruciale. Il faut constammentrevoir et mettre à jour les priorités – évaluer les espèces et lespopulations à cibler, les étapes de vie les plus vulnérables aux plusgrands dangers et les actions de conservation qui produiront lesrésultats les plus importants et engendreront le plus grand retoursur investissement.On peut certes élaborer des stratégies derrière son ordinateuret dans des ateliers, mais le mot d’ordre pour la conservation doitêtre de « foncer ! ». La conservation ne peut pas attendre lastratégie parfaite. Des actions non nuisibles, appliquant le principede précaution doivent être constamment réalisées, car ce que nousapprenons sur le tas sera la plus grande leçon pour adapter nosstratégies à l’avenir.Roderic B. Mast est co-président du groupe de spécialistes des tortuesmarines de l’UICN, vice-président du programme <strong>Sea</strong> Turtle Flagshipde Conservation International et un grand fan de M. Lea<strong>the</strong>rback.
Le régime alimentaire particulierde la tortue imbriquéeLa tortue imbriquée peut parfois manger du corail, comme le montre cette photo prise sur un récif près de l’atoll de Rangiroa en Polynésie française.© Laurent Ballesta / L’Œil d’AndromèdeEn étrange compagnie avec quelques espèces de poissons et denudibranches, la tortue imbriquée est l’un des rares animauxse nourrissant principalement d’éponges. C’est le plus grandvertébré et le seul reptile à se nourrir ainsi. Les spongivores, c’està-direceux qui se nourrissent d’éponges, sont rares, sans douteen raison des systèmes importants de défense de ces organismes,comme les spicules siliceux, les fibres indigestes de spongine et unensemble de composés chimiques.Aux Caraïbes, les tortues imbriquées se nourrissent dequelques-unes seulement des 300 espèces d’éponges de la région.Les tortues mangent principalement des éponges sans fibres despongine, mais nombreuses sont celles qui contiennent une grandequantité de spicules siliceux. Le régime alimentaire des tortuesimbriquées dans les Caraïbes se compose aussi d’algues, de corallimorphaires(anémones similaires aux coraux), de zoanthaires etde tuniciers, mais ces éléments ne sont significatifs que danscertains cas.Des échantillons d’entrailles de tortues imbriquées provenantdes océans Indien et Pacifique montrent que les éponges sontleur principal aliment, ce qui semble indiquer que ces tortuessont spongivores partout. Cependant, les tortues imbriquées duTerritoire du Nord de Australie mangent des quantités importantesd’algues, d’herbes marines et de fruits de la mangrove.Sans doute en raison de leur alimentation, les tortues imbriquéessont parfois toxiques pour l’homme. Dans de rares cas, la consommationde viande de tortue imbriquée s’est avérée une sourced’empoisonnement collectif qui a tué ou rendu de nombreusespersonnes gravement malades. Les algues bleu-vertes, qui viventen symbiose avec les éponges, ainsi que des composés secondairesprésents dans les éponges, sont les causes suspectées des empoisonnements.On manque cependant de preuves tangibles.Les jeunes tortues imbriquées se nourrissent à la surface desocéans de plantes et d’animaux associés aux organismes dérivants,notamment les algues sargasses, les œufs de poissons, les tunicierset les bernacles. Malheureusement, les jeunes tortues mangentaussi souvent des morceaux de plastique ou des boules de goudronflottant à la surface.Les femelles reproductives de tortues imbriquées modifientaussi leur régime alimentaire, réduisant fortement leur consommationde nourriture et consommant des débris de carbonatede calcium, sans doute comme source de calcium pour leurcoquille d’œufs.Si elles occupent des milieux divers, les tortues imbriquéessont le plus souvent associées aux récifs coralliens où elles jouentun rôle important pour la santé de l’écosystème. À l’aide deleur bec pointu, elles pénètrent dans l’armure externe des épongeset exposent ainsi les parties internes molles à d’autres consommateursd’éponges. Ce régime alimentaire particulier permet égalementde contrôler les populations d’éponges, libérant de l’espacesur les récifs pour que d’autres organismes puissent s’installeret se développer.Anne Meylan est chercheur scientifique sénior au Florida Fish andWildlife Conservation Commission à St. Petersburg, en Floride auxÉtats-Unis. Scott Whiting est un chercheur spécialiste des vertébrésmarins du groupe en charge de la biodiversité marine au sein duDépartement pour les ressources naturelles, l’environnement et les artsdu gouvernement du Territoire du Nord en Australie.<strong>Sea</strong>TurtleStatus.org | 15