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Compte-rendu - ANRT

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CONFERENCE-DEBATL'INNOVATION AU JAPONJEUDI 19 SEPTEMBRE 2002 - PARISCYCLE DE CONFERENCES – "REPERES SUR L'INNOVATION"Introduction par Denis RANDET, Délégué général de l’<strong>ANRT</strong>Repères géopolitiques, économiques et culturelsGuy FAURE, Chargé de recherche, CNRS, Institut d’Asie OrientaleLes caractéristiques du système de recherche et d’innovation :acteurs, organisation et politiquesMichel ISRAEL, Conseiller pour la science et la technologieà l’Ambassade de France à TokyoL’INNOVATION AU JAPON : ÉCHANGES D’EXPÉRIENCESTable-ronde présidée par Yves-Michel PEYRACHE, Président de la société JITEXINNOVER À PARTIR DU JAPONLa recherche japonaise vue de l’intérieur :le centre de recherche d’Air Liquide au JaponJean-Marie FRIEDT, Directeur du développement technologique AL Electronique, Présidentdu Conseil de Air Liquide Laboratories,TsukubaINNOVER ENSEMBLEComment Renault et Nissan coopèrent-ils dans l’amélioration des gammesexistantes et la préparation des gammes futures ?Yves MAROGER, Directeur de l’Amont, des Prestations et de l’Environnementde la Mécanique - Vice-Président Renault Innovation, Environment and CustomerSpecification DepartmentExemples de développements industriels avec des partenaires japonais :échecs et réussitesÉdouard GEOFFROIS - Responsable des activi tés de traitement de la parole et du langageau Centre technique de la Direction Générale de l’ArmementPrésident de Synergies France-Japon15 ans de coopération en robotique avec le Japon : les leçons d’une expériencePhilippe COIFFET, Directeur de recherche au CNRS,Laboratoire de Robotique de VersaillesACHETER OU VENDRE UNE INNOVATION AU JAPONUne PME française peut-elle jouer la carte de l’innovation sur le marché japonais ?Bruno GUIHARD, Directeur commercial, représentant de la société Europlasmaau JaponConclusion par Henri MARTRE, Président du Comité Japon du MEDEF International,Président de la SFJTI


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002REPERES SUR L’INNOVATION AU JAPONIntroductionDenis RANDETDélégué général de l’<strong>ANRT</strong>Les échanges entre la France et le Japon sont actifs. Les nombreuses personnalitésfrançaises qui les font vivre ont su s’adapter aux exigences de la culture japonaise, dontla constance est l’une des plus ancrées. Et pourtant, cette conférence n’a pas lieu enpériode de « nippomania ». Depuis dix ans, la tendance est plutôt, à l’inverse, de sousestimerle rôle du Japon dans l’innovation technologique, à tort, comme vont nous lemontrer les différents intervenants de cette rencontre. Après une présentationd’ensemble du pays, ils nous livreront leurs témoignages personnels de l’innovation auJapon.


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002Repères géopolitiques, économiques et culturelsGuy FAUREChargé de recherche, CNRS, Institut d’Asie OrientaleIl est toujours difficile de présenter le Japon : les perceptions qu’on a de ce pays sonttoujours en décalage avec la réalité. Aujourd’hui, il est généralement perçu commetraversant une crise, et ce depuis une décennie. Et en effet, les années 1990 sontsouvent qualifiées au Japon de « décennie perdue ». Elle n’a pourtant pas été perduepour tous, et surtout pas pour les Japonais eux-mêmes.Le Japon est-il vraiment en panne actuellement ? Incontestablement, il traverse une crisestructurelle durable, issue du cocktail empoisonné de la crise financière et de laglobalisation, mais surtout du glissement très lent de la société industrielle traditionnellevers une société de la connaissance.Pour autant, le Japon a-t-il été inhibé par ces difficultés ? Une chose est claire, pendantles années 1990, l’écart entre l’économie américaine et l’économie japonaise s’estcreusé. Alors que le Japon rêvait de concurrencer les États-Unis dans les années 1980,il a perdu cet espoir au cours de la décennie suivante. Le Japon reste, malgré cela, ladeuxième puissance économique du monde.Si le Japon a été peu performant sur le plan financier et industriel, la crise n’a pas eu derépercussions sur le niveau de l’investissement dans la recherche scientifique ettechnologique. En effet, durant cette période de crise, à aucun moment les Japonaisn’ont ralenti leur effort d’investissement dans la recherche publique. En outre, larecherche privée - plus dépendante de la bonne santé économique du pays - a bénéficiédu soutien compensatoire de la politique scientifique de l’État nippon. Ainsi, pendantcette décennie, la politique de recherche scientifique du Japon s’est consolidée. La partdu PIB consacrée par ce pays à la recherche reste la plus forte au monde. Et lesJaponais gardent l’espoir de devenir le leader mondial sur le plan scientifique ettechnique.Par ailleurs, un glissement de la politique industrielle vers la politique scientifique ettechnique s’est opéré. L’actuel ministère de l’Industrie, le METI, intervient de manièrecroissante en amont sur ces questions stratégiques.Les médias ont suffisamment parlé des aspects négatifs de la crise. Je voudrais plutôtinsister sur ses conséquences positives pour le pays. Tout d’abord, les Japonais ontperdu l’arrogance qui les caractérisait au début des années 1990, quand rien ne semblaitpouvoir les arrêter. D’ailleurs, au début de la décennie, l’alliance de Renault et deNissan aurait paru impossible. Mais les Japonais ont changé. Si, il y a dix ans, ilsn’étaient pas du tout favorables à des partenariats, ils se sont massivement orientésaujourd’hui vers une géopolitique du partage de l’information. Le Japon a ainsicommencé à comprendre qu’il fallait s’ouvrir aux coopérations et aux partenariatsscientifiques et technologiques. Ces mutations se sont opérées de manière lente, certes,mais régulière.La révolution des mentalités est donc l’un des effets les plus positifs de cette crise. LesJaponais ont fait leur autocritique de manière particulièrement constructive. Autre


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002conséquence incroyable de cette crise à la fin de la dernière décennie : un bondconsidérable des investissements européens au Japon, et surtout français. La Franceétait le premier investisseur étranger en 1999 ; en trois ans, elle a plus investi dans cepays qu’au cours des quarante-cinq dernières années. Les Français sont aujourd’huiconsidérés comme de bons managers et font l’objet d’un véritable engouement chez lesJaponais. A ce titre, le partenariat emblématique entre Renault et Nissan atteste de cerenversement complet de situation : le Japon s’est également ouvert à des méthodesnouvelles et progressistes en matière de management.Enfin, il a connu toute une série de réformes en dix ans, avec notamment larecomposition de la structure industrielle. Cette réorganisation des conglomérats degrandes entreprises japonaises, les Keiretsus, a <strong>rendu</strong> la structure industrielle japonaiseplus lisible pour les investisseurs étrangers et plus conforme au modèle européen. C’estune révolution culturelle menée sous influence directe des étrangers. A l’instar deNissan, sous management français, l’ensemble des groupes japonais a réduitsensiblement le nombre des sous-traitants collaborateurs. Le système de distributionintérieur japonais a connu également de profondes modernisations.La réforme financière a conduit à la modernisation du système bancaire japonais.L’assainissement des finances - notons que l’endettement japonais est essentiellementintérieur - est en bonne voie et les banques japonaises ont appris ces dix dernièresannées à devenir rentables.L’État connaît aussi une réforme majeure, et particulièrement l’administration, dont lesproblématiques sont proches de son homologue française. Débureaucratisée etmodernisée dans son fonctionnement, l’administration japonaise est devenue plusefficace, dans les secteurs scientifique et technologique particulièrement.La réforme managériale s’opère lentement mais sûrement depuis l’introduction dusystème du mérite il y a une dizaine d’années. La gestion du partage des connaissances(knowledge management) a été bouleversée, dans l’organisation des bureauxnotamment. En introduisant des méthodes révolutionnaires dans les activitésbureaucratiques, les Japonais ont obtenu des gains de productivité considérables.Quel type de scénario peut-on envisager pour demain ? Le scénario du déclin est le plusfréquemment avancé dans la presse : le Japon aurait connu une période d’apogée par lepassé, qui prend fin aujourd’hui, selon le schéma classique de la grandeur et de ladécadence des empires. C’est un scénario auquel je ne souscris pas du tout. Secondscénario développé, le Japon serait rentré dans une phase de normalisation : il rejoint leclub des grands pays industriels et ses comportements s’alignent sur les nôtres.Troisième scénario, celui de la renaissance : les réformes finiront par payer et le Japonva retrouver sa puissance. En réalité, chacun de ces scénarios comporte une part devérité : les secteurs en déclin vont finir par disparaître ; la normalisation des pratiquescomptables, financières et managériales est à l’œuvre ; certains secteurs devraient eneffet nous étonner dans les prochaines années.Contrairement aux idées reçues, le Japon est donc un pays qui change : dans la périodemoderne, depuis le XIXème siècle, il a connu trois périodes de réformes profondes,dont la dernière se déroule actuellement. On peut noter, d'ailleurs, qu’elles ont été àchaque fois déclenchées par des pressions extérieures et qu’elles ont toujours duré unequinzaine d’années. Le Japon d’aujourd’hui connaît des difficultés depuis à peu près6


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002douze ans… La fin de cette période difficile n’est peut-être pas si lointaine ! Force estde constater, en tout cas, que ce pays n’a pas abandonné l’ambition de devenir lapremière puissance scientifique et technologique du monde.DÉBATQuel est l’impact dans la région du développement de pays comme la Chine, laCorée ou l’Inde ?G.F. : Depuis dix ans, les Japonais sont talonnés par leurs voisins. Les produits coréenset taiwanais envahissent le marché japonais, ce qui oblige le pays à adopter une stratégiede revalorisation amont de la politique scientifique et technique. Il doit être en avancedans la recherche appliquée mais aussi dans la recherche fondamentale pour résister à lamenace concurrentielle que représentent ces pays.Quelle forme prend le rachat des firmes japonaises par des entreprisesétrangères ?G.F. : Jusqu’à présent, Renault est la seule entreprise étrangère à avoir développé unepolitique d’alliance dans le cadre d’un rachat d’une firme japonaise, au lieu d’une prisede contrôle pure et simple comme en ont l’habitude les Américains ou les Allemands. Etle résultat est là. Pour l’instant, il n’existe pas d’autre exemple de ce type.Le déclin japonais ne serait qu’apparent selon vous. Il n’est pourtant pascontestable sur le plan démographique. Par ailleurs, les bouleversements de lasociété japonaise ne risquent-ils pas de se révéler un handicap, le sens de ladiscipline ayant perdu beaucoup de la place qu’il avait autrefois ?G.F. : On ne parle pas de « déclin démographique » au Japon, mais de « vieillissementde la population ». En effet, les Japonais ne partagent pas cette vision pessimiste propreaux Européens. La population du Japon a pourtant vieilli en cinquante ans comme lesEuropéens en deux siècles. Mais l’augmentation du nombre des personnes âgées estconsidérée comme une opportunité de nouveaux développements commerciaux etindustriels. En outre, l’entrée progressive dans une société de la connaissance a entraînéun allongement de la durée des carrières. Aujourd’hui, ceux qui détiennent un savoirtravaillent de plus en plus tard, alors que dans le système industriel classique, oncommençait une seconde carrière à partir de 55 ans : on pensait alors qu’à cet âge onn’était plus suffisamment productif pour travailler dans une très grande entreprise.On s’est beaucoup interrogé, en effet, sur le comportement des jeunes Japonais dans lemonde du travail, eux qui n’ont connu qu’une période d’opulence, contrairement à leursaînés. Force est de constater qu’il y a peu de changements entre les deux générations.La seule différence, toutefois, est qu’autrefois on entrait dans une entreprise comme onentrait dans les ordres. Aujourd’hui, les jeunes Japonais changent plus fréquemmentd’entreprises : ils ont le droit à l’erreur.Quant aux femmes, leur situation s’est améliorée dans un premier temps, mais ellesjouent aujourd’hui le rôle de « pare-chocs social ». Rien n’est encore gagné pour elles.7


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002au Japon et les familles ne voient pas d’un bon œil qu’un jeune diplômé aille travaillerdans une start-up, au développement incertain.Les autres acteurs de la recherche sont les entreprises et les « jeunes pousses ». Dansles entreprises, la recherche appliquée est majoritaire, bien que certaines d’entre ellespossèdent des laboratoires de recherche fondamentale. Les partenariats qu’ellesdéveloppent avec les universités sont passés au coup par coup, avec des professeurs.Les partenariats formels entre l’industrie et les universités sont peu fréquents, sans douteparce qu’ils impliquent pour l’inventeur une perte de ses droits sur le brevet au bénéficedu gouvernement. Des lois sont en cours de préparation pour corriger cet état de fait.A l’intérieur des entreprises, on cherche cependant à encourager l’innovation, en offrantla possibilité à certains chercheurs de développer leurs idées, à condition que cedéveloppement, via la création d’une jeune pousse, s’effectue au sein de l’entreprise.Quant aux jeunes pousses créées par des universités ou par des inventeursindépendants, leur situation n’est pas des plus faciles. L’environnement familial estcontraignant au Japon et la motivation doit être très grande pour monter sa propreentreprise. En outre, la création d’une structure nouvelle suppose des financements. Orle capital risque est très peu développé au Japon. Enfin, la structure de la sociétéjaponaise et les dispositifs gouvernementaux ne contribuent pas à favoriser l’espritd’entreprise. La faible mobilité des chercheurs constitue évidemment un frein important.Sur l’évolution du partenariat entre les entreprises et les universités, une enquête a étéréalisée récemment. La situation n’a pas beaucoup progressé depuis cinq ans, bien queles partenariats des entreprises japonaises avec les universités japonaises soient plusnombreux. Le gouvernement, qui mène actuellement une politique active dans cedomaine, devrait prochainement prendre des mesures pour les favoriser. En revanche,les collaborations avec des partenaires étrangers restent faibles.Pour développer les partenariats technologiques, le gouvernement japonais, le ministèrede l’Éducation, le MEXT, et le ministère de l’Industrie, le METI, souhaitent créer unenvironnement favorable au rapprochement entre universités, organismes de rechercheet entreprises. Des structures conçues à cet effet ont été mises en place dans plusieursdisciplines et implantées sur tout le territoire. Chacun de ces centres technologiques estdoté d’une subvention annuelle de quatre millions de dollars. La difficulté reste de lesmettre en relation entre eux.En matière d’innovation, les questions de propriété intellectuelle sont bien évidemmentprégnantes. Au Japon, l’examen d’un dépôt de brevet prend vingt et un mois, ce qui estrelativement long. Par ailleurs, les universités n’ont pas de statut leur permettant deposséder des droits de propriété intellectuelle : ils reviennent soit au gouvernement soit àl’inventeur, selon la décision prise par les comités d’université. Avant 1998, aucuneinvention universitaire n’a réellement été transférée à l’industrie.Afin de favoriser les collaborations entre les entreprises et les universités, lesTechnology Licensing Organization (TLO) ont été créées au sein des universités. LeMEXT et le METI ont approuvé vingt de ces organismes, qui peuvent recevoir desfinancements gouvernementaux, obtenir l’utilisation de brevets à coût réduit et, depuis2001, gérer les brevets possédés par les universitaires et par le gouvernement. A cejour, le nombre d’entreprises créées à partir des TLO reste faible, mais ces structures9


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002constituent un pas en avant réel.Le Japon mène actuellement une profonde réforme du fonctionnement des universités etdes organismes de recherche afin de favoriser l’innovation et les partenariats industriels.L’objectif est de rendre les différentes entités administrativement indépendantes, deretirer aux enseignants chercheurs leur statut de fonctionnaires et de procéder à unevéritable évaluation de la recherche.Quelles sont les perspectives pour les Français aujourd’hui au Japon ? La Direction dela technologie de l’Ambassade de France au Japon a mené en 2001 une mission surl’innovation et les partenariats technologiques au Japon, qui a permis de nombreuxéchanges entre des représentants de nos deux pays. Un séminaire sur la propriétéintellectuelle devrait être organisé en 2003. Ainsi, des propositions d’accueil destagiaires japonais dans la cellule de valorisation de l’Institut Pasteur ont été diffusées.Par ailleurs, un réseau innovation a été mis en place entre la Chambre de commercefrançaise au Japon, le service scientifique, l’Agence française pour l’investissementinternational et la Mission économique. Il s’agit de travailler en commun et d’échangerdes informations afin de s’exprimer d’une seule voix devant les autorités japonaises.Enfin, deux missions de rapprochement sont en cours, sur les biotechnologies, avecParis Bio Team, qui monte des accords de partenariats avec la région d’Osaka-Kobe,et sur les nanotechnologies, avec Minatec, basée à Grenoble, dont les conférencesorganisées avec des partenaires japonais ont rencontré un grand succès.Enfin, si les chercheurs et les entreprises sont, bien entendu, aux avant-postes despartenariats technologiques, les autorités territoriales peuvent jouer un rôle trèsimportant pour les encourager. On l’oublie trop souvent.DÉBATQu’attendez-vous du Comité de coopération scientifique et technologique francojaponais?M. I. : Ce comité consultatif permet de déterminer des axes de coopération entre laFrance et le Japon dans le domaine scientifique, la recherche et la technologie. Il est trèsimportant car il confère une légitimité aux domaines de partenariats choisis. Les Japonaissont très intéressés par le modèle de recherche français, et en particulier par les réseaux.Il me semblait que les entreprises japonaises étaient relativement ouvertes à despartenariats avec des universités étrangères…M. I. : Des coopérations universitaires existent en effet, mais davantage avec les États-Unis qu’avec la France. En outre, les entreprises japonaises continuent de privilégierleurs propres universités et organismes de recherche. Il n’en reste pas moins quecertaines d’entre elles, comme Toyota en France, mènent une politique active departenariats avec les laboratoires de recherche de différents pays européens. Cespartenariats concernent toutefois un très petit nombre de personnes.Dans les échanges franco-japonais entre chercheurs, les chiffres ont-ils beaucoupvarié ou restent-ils modestes ? Quel est le rapport entre le flux Japon-France et le10


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002flux France-Japon ?M. I. : Actuellement, il y a 1 800 étudiants et chercheurs japonais en France, dont1 100 sont inscrits en littérature… Il n’y a donc pas beaucoup de changement parrapport aux dernières années. Le flux des chercheurs japonais vers les États-Unis restequant à lui relativement élevé, et beaucoup moins fort des États-Unis vers le Japon.Quant aux chercheurs français qui se rendent au Japon, ils ne sont pas non plus trèsnombreux, au point même que certaines bourses restent sans bénéficiaires… C’est sansdoute lié à la méconnaissance, en France, du Japon et de ses potentialités. La majoritédes étudiants étrangers au Japon sont des étudiants chinois, juste avant les Coréens.Vous semblez pessimiste sur la propriété intellectuelle au Japon. Comment sesituent les universités dans ce foisonnement des dépôts de brevet ? Qui dépose cesbrevets si ce ne sont pas les universités ?M. I. : Le nombre des brevets déposés mais non utilisés est très important à la fois dansles entreprises et les universités. La quantité des brevets n’est malheureusement pasreprésentative de leur qualité.Les bourses post-doc non utilisées sont nombreuses. Pour remédier à cela, laSociété japonaise pour la promotion de la science (JSPS) propose de réduire ladurée des bourses. Cette solution ne me semble pas la meilleure. Il vaudrait sansdoute mieux renforcer l’information des doctorants sur le Japon. Partagez-vouscet avis ?M. I. : La mauvaise utilisation des bourses de la JSPS, pourtant très confortables,provient probablement de la mauvaise information des laboratoires de recherche et desuniversités. Autre problème, la vision française des laboratoires japonais, comme lavision japonaise des laboratoires français, souffre de préjugés négatifs. Les Japonaisaccordent une bien plus grande confiance aux Français dans les domaines du vin et desproduits de luxe que dans celui de la technologie ! L’insuffisante sécurité de certainslaboratoires japonais, la langue et la distance sont les principaux facteurs dissuasifs pourles Français.Vous avez parlé d’une baisse de la créativité japonaise alors que M. Faure aévoqué la priorité accordée par le gouvernement au haut de gammetechnologique. Peut-être la faiblesse du capital risque au Japon n’est-elle pas unhandicap pour l’innovation ? Car le Japon est à l’avant-garde de la technologieindustrielle. Toyota-Honda ne promet-il pas la voiture à hydrogène pour la fin del’année !M. I. : Il ne s’agit pas tant d’une créativité insuffisante que d’une créativité différente. Larecherche au Japon est très expérimentale. En Europe, à l’inverse, les chercheurstravaillent à partir de modèles théoriques. D’où l’intérêt de coopérations francojaponaises.J’ajouterai que le succès des technologies japonaises s’est construitessentiellement sur le marché intérieur. Celui-ci étant saturé, elles devraient bientôt faireleur apparition sur le marché européen.11


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002L’innovation au Japon : échanges d’expériencesTable ronde présidée par Yves-Michel PEYRACHEPrésident de la société JITEXAprès la description du contexte politique, sociologique, culturel et organisationneljaponais, passons maintenant aux interrogations de praticiens au quotidien del’innovation japonaise. Tous les prochains intervenants ont en effet, à des titres divers,pu côtoyer la recherche japonaise, tant du secteur public que du secteur privé. Ilsdevraient nous faire connaître les raisons de leur succès ou de leurs difficultés, en toutcas nous transmettre leurs propres repères pour mieux appréhender, et un tant soi peudémystifier, l’innovation japonaise. Ils interviennent à titre personnel et aucunement aunom de leur entreprise.INNOVER A PARTIR DU JAPONLa recherche japonaise vue de l’intérieur :le centre de recherche d’Air Liquide au JaponJean-Marie FRIEDT,Directeur du développement technologique AL Electronique,Président du Conseil de Air Liquide Laboratories, TsukubaPour faire de l’innovation efficace et productive, une entreprise doit trouver le bonproduit au bon moment. L’innovation constitue la mise en œuvre pratique, en produit ouen service, d’un concept ou d’une nouvelle idée. Il n’y a donc pas d’innovation sanscréativité. Celle-ci résulte aujourd’hui, selon moi, de la rencontre entre des disciplines àpremière vue éloignées.Certaines conditions nécessaires au succès de l’innovation doivent être remplies. Lacréativité relève de l’individu, or la structure sociale, l’éducation ou les conditions detravail dans une entreprise sont, par définition, « créaticides ». Il est donc nécessaire depromouvoir l’innovation en créant un terreau à la créativité. La principale mission del’entreprise est précisément d’instaurer un climat propice à son éclosion, mais aussi defournir les moyens nécessaires à la réalisation de l’innovation. Il est enfin nécessaire defonctionner en équipes croisées de compétences, afin de mêler les expériencesindividuelles au sein du projet collectif.En matière d’innovation, les atouts du système japonais sont la culture de groupe –quand il se présente, un Japonais cite le nom de son entreprise avant son proprepatronyme - et la capacité à la veille technologique.Les faiblesses de ce système découlent directement de ses forces : l’individu estembrigadé dans un système basé sur la hiérarchie, sa créativité est étouffée par legroupe. En outre, la culture ingénieur reste très présente au Japon : elle favorise12


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002l’innovation, mais celle-ci n’est pas toujours rentable. Les exemples d’innovationstechnologiques remarquables qui sont venues au mauvais moment ou qui ont été malexploitées sont légions au Japon. Par ailleurs, la mise en œuvre de la propriétéintellectuelle est très faible au Japon et les exportations de technologies sont très peunombreuses. La plupart des brevets s’apparentent à des rapports de recherche. Ilsdonnent droit à une prime dans les grandes entreprises, d’où leur nombre très élevé.L’organisation de l’innovation est liée pour une bonne part à l’activité de l’entreprise.Air Liquide développe une activité d’engineering de chimie ultra fine, pour une dizainede clients globaux à l’échelle mondiale. Dans notre cas, trois conditions sont nécessairespour une innovation réussie : un management efficace qui fixe des orientations précisesaux chercheurs, en cohérence avec le marché ; une parfaite connaissance des attentesfutures des clients par une analyse constante des besoins et des contraintes del’industrie ; une collaboration étroite et continue avec les clients finaux, tout au long dudéveloppement des projets.Chez Air Liquide, nous travaillons à partir d’une organisation globale. La R&Dfonctionne comme une équipe unique, délocalisée sur les trois continents, afin decollecter des informations sur toutes les zones actives dans notre domaine et de lestransférer en produits de recherche et d’innovation, pratiquement en temps réel. Lesproblèmes sont les mêmes partout mais émergent plus ou moins rapidement selon leszones. Cette organisation nous permet donc d’anticiper les problèmes et les évolutionstechnologiques pour les traiter dans les meilleurs délais. Nos différentes équipestravaillent en parfaite complémentarité. L’équipe japonaise se distingue par sa capacitéau travail systématique et expérimental. Quant à l’équipe américaine, elle maîtriseparfaitement les plans d’expérience ou les modèles de coût du produit final. LesEuropéens, enfin, sont spécialistes de la modélisation.Je voudrais, pour conclure, insister sur trois idées-forces :• La base de l’innovation, tout au moins pour Air Liquide, est le travail en équipe, lafertilisation croisée des expériences des domaines et l’intelligence technologique auniveau global.• Les capacités d’innovation existent partout, mais varient dans leurs forces.• L’innovation est extrêmement risquée, or une entreprise doit limiter les risques. Lemanagement doit savoir prendre ses responsabilités. Il joue un rôle clé, parfoisoublié.DÉBATA votre connaissance, les objectifs fixés à la ville scientifique de Tsukuba ont-ilsété atteints ? La fertilisation croisée entre les différents organismes de recherchea-t-elle eu lieu ? Votre implantation dans cette zone a-t-elle été favorable à votreactivité ?J.-M. F. : Sur le plan administratif, Tsukuba est un succès. Toutes les statistiques et tousles rapports gouvernementaux en témoignent. Aujourd’hui, 35 % des chercheurs deTsukuba travaillent dans l’industrie et 65 % dans le secteur public.Dans la pratique, les échanges entre chercheurs reposent essentiellement sur les13


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002individus. Pour ce qui nous concerne, nous travaillons avec plusieurs laboratoires deTsukuba. La collaboration y est plus facile qu’aux États-Unis, mais plus difficile qu’enEurope, évidemment pour des questions de propriété intellectuelle. Pour une sociétéeuropéenne comme la nôtre, Tsukuba est la meilleure solution d’implantation, bienqu’elle ne soit pas la moins chère.Bénéficiez-vous d’aides publiques à la recherche au Japon ? Si oui, vousparaissent-elles suffisantes ? Quelles formes prennent-elles ?J.-M. F. : Des aides publiques pour des entreprises étrangères existent, à conditiond’être introduit. Les conditions de financement sont attractives. Néanmoins, nous avonstoujours renoncé à ces dispositifs parce qu’ils impliquaient l’examen de nos activités parnos concurrents directs, ce qui nous a paru trop dangereux ! Des pillagestechnologiques, par l’intermédiaire de ce type d’opérations, ont déjà eu lieu.14


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002Plusieurs options étaient possibles pour le rapprochement de deux univers si distincts : lamise en compétition des équipes ou la répartition des activités par plaquesgéographiques. Il a été décidé de tenir compte à la fois des plaques géographiques etdes cœurs de compétences. Pour l’essentiel, les moteurs diesel et les boîtes mécaniquessont développées par Renault, les moteurs essence et les transmissions automatiquespar Nissan. Cette organisation a l’avantage d’être bien adaptée aux marchés principauxdes partenaires, mais elle pose problème dans la gestion des fournisseurs, dont lesspécificités selon les zones géographiques ne doivent pas porter atteinte à l’uniformitédes produits. Il faut donc des fournisseurs globaux.Parlons maintenant innovation. Une innovation n’a de sens que si elle a une valeur pourle client. Toute la difficulté est donc de mettre au point des produits qui répondent auxbesoins des différents marchés. Or il se trouve qu’ils sont très différents en Europe, auJapon et aux États-Unis. Par exemple, contrairement aux Américains, les Européenssont très attentifs à la consommation et aux émissions de CO2. Ainsi, le diesel a uneforte image de marque technologique en Europe alors qu’il est très mal considéré auJapon et aux États-Unis. En amont de la conception du produit, l’enjeu est, on le voitbien, d’être capable de décrire des objectifs quantifiés et de définir les innovationscorrespondantes.Les critères de convergence dans le développement d’une gamme commune sont :• la compatibilité de chaque organe mécanique avec les plates-formes à venir etexistantes,• l’amélioration des prestations,• et la rentabilité industrielle de l’innovation, par un échelonnement desinvestissements.Ces critères nous ont conduits à définir avec Nissan un plan à deux horizons temporels,à court et moyen termes dans un premier temps, et à moyen et long termes dans unsecond temps. La première phase, entre 2002 et 2005, consistera à des utilisationscroisées de la banque d’organes existante. A plus long terme, une gamme moteurscommune cible a été définie, les moteurs diesel étant globalement placés sous laresponsabilité de Renault et les moteurs à essence sous celle de Nissan. Les prioritéssont définies en fonction du degré d’obsolescence des organes existants, de l’évolutiondu mix et des prévisions d’accroissement des volumes sur le plan. La gamme cibletransmission est bien entendu conçue en cohérence avec la gamme cible moteur.L’organisation des instances de décision est très importante pour la gestion del’innovation. L’Alliance Board Meeting (ABM) regroupe, au sommet, les plus hautscadres dirigeants et fixe les orientations stratégiques du groupe. Au-dessous,l’Engineering steering committee prépare les dossiers d’ingénierie de l’ABM. Enfin, lesCross company team, qui réalisent un maillage des différentes fonctions présentes dansle groupe, constituent des organes de proposition quant à la stratégie et de pilotageopérationnel. Ces différentes structures se rencontrent une fois par mois, alternativementà Paris et à Tokyo.Le pilotage de l’innovation s’appuie sur une organisation matricielle. Sur chaque projet,un leader est nommé, Renault ou Nissan, assisté de son co-leader, chargé d’attirerl’attention du leader sur les contraintes de ses marchés propres. L’équipe projet,restreinte, qui regroupe entre autres les fonctions Qualité, Planification, Achat, Aprèsventeet Prix de revient, fait appel à des ressources métiers dédiées, hiérarchiquement16


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002attachées à l’ingénierie mécanique. Le « Master Plan » relie les planificationsstratégiques de l’ensemble des véhicules et des groupes autopropulseurs de Renault etde Nissan. Enfin, un jalonnement conjoint est prévu entre les deux entreprises, de laphase d’avant-projet aux accords de fabrication.L’organisation achat est également fondamentale, dans la mesure où 70 % de la valeurd’un moteur ou d’une boîte de vitesse provient des achats et seulement 30 % de lavaleur créée par la transformation du constructeur. Nous avons donc mis en place unestructure d’achat commune, la RNPO (Renault Nissan Purchasing Organisation), quiimpose quelques bouleversements au fonctionnement culturellement figé de Nissan dansce domaine.Les clefs de la réussite, pour un groupe franco-japonais comme le nôtre, sont uneconfiance et un respect mutuels, la compréhension des contraintes et des objectifs dupartenaire et la recherche de la valeur pour le client, pour la société et pour le groupeRenault-Nissan. Il nous reste encore beaucoup d’obstacles à franchir, mais nospremières réalisations communes devraient voir le jour vers 2004, avec notamment lasortie d’un nouveau moteur diesel à haute performance, de nouvelles transmissions sixvitesses et d’un nouveau moteur à essence. Seules des difficultés d’investissementpourraient, à l’avenir, freiner nos ambitions, mais en aucun cas notre volonté decoopérer les uns avec les autres.DÉBATQuelles sont vos relations avec les universités et les organismes de recherchejaponais ?Y. M. : Nous n’avons pas de relations directes avec les universités. En revanche,l’Alliance nous a permis de tisser des liens avec des équipementiers japonais, trèsproches du milieu scientifique.Quelle est la langue de travail utilisée dans le groupe ?Y. M. : C’est l’anglais.Quels enseignements Renault tire-t-il du management japonais ?Y. M. : Dans le domaine technique, les Japonais sont très respectueux des décisionsprises par l’exécutif : ils ne les contestent pas systématiquement, comme nous le faisonsen France. Dans la gestion de la qualité, ils ont par ailleurs une approche trèspragmatique et peu théorique, complémentaire de la nôtre, beaucoup plus intellectuelle.La préservation de nos différences culturelles est l’objectif affiché des présidents, parcequ’elle est enrichissante pour chacun des partenaires.Exemples de développements industriels avec despartenaires japonais : échecs et réussitesÉdouard GEOFFROIS17


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002Responsable des activités de traitement de la parole et du langage au Centretechnique de la Direction Générale de l’ArmementPrésident de Synergies France-JaponL’expérience du seul étudiant non-asiatique de la Faculté des sciences de Tokyo en1988 est riche d’enseignements sur l’innovation au Japon. Cet étudiant français espéraitpouvoir construire un modèle théorique à partir duquel pourraient être déduites desapplications. En réalité, son professeur l’a engagé, dès son arrivée, à se lancer dans unerecherche appliquée, à partir de laquelle il pourrait déduire la théorie. Il a ainsi étéconduit à abandonner son travail personnel pour une recherche collective. Toutefois, aubout de deux mois, il a manifesté certains désaccords avec les méthodes qui lui étaientimposées, sans pouvoir néanmoins lutter contre une culture japonaise bien spécifiquedans le domaine de la recherche.Au Japon, l’innovation incrémentale donne lieu à une avalanche de produits au cycle devie extrêmement court, à partir d’études nombreuses et redondantes, sans analysemarketing. Casio a lancé plus de mille modèles de calculatrices de poche en une seuleannée et les six fabricants nationaux de boissons non alcoolisées ont sorti plus de huitcents boissons en une seule année. Ainsi, Sony dépense 70 % de son budget R&D pourréaliser des prototypes, lancés en parallèle et massivement. L’innovation japonaisedonne lieu à des séries d’améliorations graduelles, à de nombreux essais en parallèle et,selon les secteurs, à une circulation relativement fluide de l’information entre les groupes,souvent concurrents.Les « roadmaps » technologiques, animées par les agences gouvernementales etrelayées par les industriels, sont nombreuses. Elles sont parfois trop optimistes mais ontle mérite de fixer une direction commune et de créer un sentiment d’appartenancecollective dans un groupe industriel. Dans le domaine de la construction des ponts, leministère des travaux publics lance régulièrement des défis aux industriels. Résultat : leJapon détient le record mondial absolu du nombre de ponts suspendus.Dans les laboratoires de recherche japonais, deux profils d’innovateurs se rencontrentsouvent : l’expert, terne et besogneux, et le gourou, flamboyant et visionnaire. Lepremier est davantage chargé de la circulation de l’information que de l’innovation pure,spécialité du second.Que dire des tentatives de coopération qui ont eu lieu entre partenaires européens etjaponais ? Prenons le cas d’un équipementier européen qui a souhaité amortir ses fraisfixes de R&D en les partageant avec un équipementier japonais de taille équivalente.Leur rapprochement n’a pas été beaucoup plus loin que des visites, nombreuses etportant sur plusieurs générations de produits et de management. Il a même généré unegrande frustration pour les deux parties, sur fond d’incompréhension. Dans le cas d’uncomposantier européen qui souhaitait mettre en œuvre une nouvelle technologie,maîtrisée par un systémier japonais, le partenariat a été plus fructueux mais n’a pas nonplus abouti : il a donné lieu à un achat de licence et à un transfert de savoir, mais au lieud’une coopération transparente pour l’adaptation de la technologie japonaise auxspécificités du besoin européen, il s’est conclu par la sous-traitance au Japon des étapesclés du processus de fabrication. En revanche, dans le cas d’un systémier européen quisouhaitait mettre en œuvre une technologie maîtrisée par un composantier japonais, lacoopération a été positive : elle a conduit à la fabrication de prototypes permettant de18


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002valider la performance de la technologie et de tester de nouveaux concepts et produitsen Europe. En outre, elle a permis la duplication de certains procédés industriels.Contrairement aux Européens, les Japonais acceptent de se placer dans une situationd’inégalité avec leur partenaire, parce qu’ils sont beaucoup plus familiers que nous desrapports hiérarchiques. En outre, celui qui domine a le devoir de protéger ceux quidépendent de lui, ce qui garantit qu’il ne se livrera pas à des abus de pouvoir.La langue paraît un facteur important pour renforcer les liens avec un partenairejaponais. Pourquoi demande-t-on à un expatrié d’apprendre l’allemand quand il se renden Allemagne et pas à un expatrié au Japon d’apprendre le japonais ? Il faut savoir, parailleurs, que si la prise de contact est toujours longue avec les Japonais, une fois laconfiance établie, elle est indéfectible. Une coopération franco-japonaise dans ledomaine de l’innovation est donc possible, s’appuyant de préférence sur un rapport deforce déséquilibré, la convergence d’intérêts entre les deux partenaires et des relationspersonnelles construites sur la durée et sur la continuité.DÉBATVous avez présenté deux profils d’innovateurs : l’expert et le gourou.Correspondent-ils aux jeunes et aux anciens chercheurs ?E. G. : En effet, le chef de groupe est celui qui, fort de son expérience, exprime la visionqui engage le laboratoire. Le jeune chercheur est plutôt chargé de la besognequotidienne.19


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002Quinze ans de coopération en robotique avec le Japon :les leçons d’une expériencePhilippe COIFFETDirecteur de recherche au CNRS, Laboratoire de Robotique de VersaillesAvions-nous intérêt à travailler avec les Japonais dans les domaines de la robotique etde la réalité virtuelle explorés par la recherche publique française ?Trois raisons m’ont poussé, à partir de 1983, à le penser. Tout d’abord, dans ledomaine de la robotique, le Japon est le seul investir. Ensuite, une technologie de pointen’a d’intérêt que si elle est utilisée, or elle l’est peu dans les laboratoires de recherchepublique français. Mon intention était donc d’utiliser la technologie japonaise pourmettre au point les systèmes sur lesquels notre laboratoire travaille. Enfin, la robotique etles systèmes de travail à distance font l’objet de financements publics importants auJapon. Or la complémentarité entre les chercheurs français, théoriciens, et leschercheurs japonais, pragmatiques, est évidente.Je me rends, depuis 1983, deux fois par an au Japon. Entre 1985 et 1995, j’airencontré tous les ans les mêmes personnes pour leur proposer une collaboration, envain, malgré l’assurance vigoureuse de mes interlocuteurs que mon projet était trèsintéressant ! En dix ans, les chercheurs seniors avec qui je menais ces discussions sontdevenus directeurs de leur service. Peu à peu conquis par mes propositions, ils ontfinalement décidé de s’y rallier. Depuis 1996, des échanges de chercheurs français etjaponais ont lieu régulièrement entre le laboratoire de robotique du CNRS et l’Institutdes systèmes intelligents de l’AIST (National Institute of Advanced Industrial Scienceand Technology) de Tsukuba. Notre collaboration a porté sur deux classes de produits :les robots personnels animaloïdes et humanoïdes, et les systèmes de travail à distance.En 1997, j’ai été nommé « technical officer » du METI, c'est-à-dire professeur invité.En 2000, nous avons conclu un contrat avec Sony pour développer l’un de nos projetsde robot. En 2001, j’ai présidé un colloque qui jusque-là avait toujours été placé sous laprésidence japonaise. Un projet franco-japonais sur la robotique avancée a été lancédans la foulée, entre le CNRS et l’AIST.Je crois que le lien personnel est extrêmement important pour créer un climat deconfiance avec un partenaire japonais. De même, il est nécessaire de connaître et derespecter la culture japonaise, ou tout du moins de persuader ses interlocuteurs de sonintérêt pour elle ! Par ailleurs, il convient d’être patient et de ne jamais faire perdre laface à son partenaire. Enfin, il est important de tenir ses promesses et de préciser trèsclairement ce que l’on attend du partenaire.Le chercheur japonais est un excellent partenaire, travailleur, amical, discret etcompétent. Il maîtrise aujourd’hui l’anglais, ce qui facilite la communication par rapportà il y a quelques années. En outre, il comprend mieux aujourd’hui l’intérêt que peuventavoir les collaborations extérieures. Son principal défaut reste qu’il obéit toujours à sonchef ! On ne peut rien discuter aux niveaux hiérarchiques inférieurs, ce qui complexifieles processus de recherche, en ôtant aux chercheurs toute capacité d’initiative.20


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002DÉBATComment avez-vous réglé la question de la propriété industrielle avec lelaboratoire universitaire japonais de l’AIST avec lequel vous collaborez ?P. C. : Ce sujet est particulièrement compliqué dans la recherche fondamentale. Unaccord relativement vague a été signé en 1985. En 1990, la partie française a fait unenouvelle proposition aux Japonais, qui l’ont refusée. Nous étions, dès lors, dans unesituation sans précédent : les chercheurs français n’avaient jamais été aussi nombreux àtravailler dans des laboratoires japonais jusque-là très fermés, mais il n’y avait aucunaccord formel réglementant cette collaboration. Nous avons finalement décidé de nousen tenir à la première version de l’accord, vague mais qui permettait de poursuivre notrecoopération. Pour chaque cas particulier, un texte serait ensuite prévu. Ce système aévidemment le désavantage d’allonger les délais déjà longs des remises d’autorisation.Mais nous travaillons dans un secteur bien particulier de ce point de vue : la technologieavancée sur laquelle portent nos efforts ne donnera lieu à des produits que danslongtemps. En réalité, jusqu’à maintenant, nous n’avons eu aucun problème avec notrepartenaire japonais s’agissant de la propriété industrielle. Nous avons même pris desbrevets en commun.Où en est la robotique française par rapport à son homologue japonaise ?P. C. : La robotique humanoïde occupe peu de chercheurs français. Nous avons degrands théoriciens, mais la construction mécanique est très coûteuse et les laboratoirespublics sont peu dotés en moyens. Au niveau européen, en revanche, les laboratoiresfrançais de robotique font partie du réseau European Robotic Network, qui réunit dixpays et organise des échanges très intéressants entre chercheurs.21


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002ACHETER OU VENDRE UNE INNOVATION AU JAPONUne PME française peut-elle jouer la carte de l’innovationsur le marché japonais ?Bruno GUIHARDDirecteur commercial, représentant de la société Europlasma au JaponEuroplasma est une PME cotée au marché libre et spécialisée dans les technologies detraitement des déchets toxiques. Elle a particulièrement réussi au cours des deuxdernières années sur le marché japonais. Mais la promotion d’une technologie innovantefrançaise auprès des gros industriels japonais n’a pas été simple. Vendre de l’innovationne va pas de soi.Europlasma regroupe aujourd’hui trente personnes. Nous étions cinq en 1992 lorsquel’entreprise a été créée. Notre activité est basée sur la torche à plasma, une technologieinventée par deux ingénieurs de l’Aérospatiale, dans les années 1980, pour tester lestêtes d’ogives nucléaires. Nous l’avons détournée de son utilisation originelle pour fairede la vitrification de déchets dans le domaine des déchets municipaux. A partir de 1995,nous avons travaillé avec la ville de Bordeaux. En 2000, l’Aérospatiale nous a cédé tousles droits de la technologie.Le secteur des déchets en France est très similaire à son homologue japonais : oncollecte les déchets puis on les incinère ; quant aux sous-produits issus de cetteincinération, ils sont la plupart du temps stockés dans des décharges. La géographie duJapon renforce l’acuité des problèmes environnementaux. Or Europlasma permet detransformer les sous-produits de déchets en verre réutilisable.Actuellement, il existe une quarantaine d’unités de vitrification au Japon. Quatorze sonten cours de construction, dont quatre utilisent la technologie Europlasma. Lesestimations de croissance de ce marché sont exponentielles : on prévoit deux centsunités de vitrification dans les dix ans à venir. Or le marché français est difficile et nosconcurrents sont beaucoup mieux armés que nous, étant donné leur taille (Vivendi,Lyonnaise des Eaux), pour le conquérir. A partir de 1996, il nous a donc sembléintéressant de commencer à développer des contacts au Japon. Nous l’avons fait demanière innovante, par des méthodes commerciales quelque peu iconoclastes etnouvelles. Nos premiers contacts ont ciblé les maisons de commerce, parce que l’onnous avait dit qu’elles seules pouvaient nous introduire sur le marché japonais.Aujourd’hui, nous sommes revenus de cette opinion : ces maisons ne sont pas conçuespour vendre de l’innovation venue de l’étranger. Le JETRO, Centre japonais ducommerce extérieur, basé à Lyon, nous a ensuite apporté une aide précieuse pour nousfaire connaître au Japon. Finalement, nous avons décidé de nous adresser directementaux industriels susceptibles d’utiliser notre technologie, ce qui a constitué un travail longet fastidieux, mais qui nous a permis de nouer des contacts intéressants.Notre principale difficulté dans ces prises de contact est venue de l’âge de nosinterlocuteurs. Les managers de la vieille génération ne parlent pas l’anglais et refusent,d’une certaine manière, l’innovation. En revanche, les cadres plus jeunes maîtrisent bien22


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002cette langue et sont sensibles aux technologies nouvelles : nous avons eu, avec eux, desrelations beaucoup plus simples et faciles.Je suis persuadé, par ailleurs, que pour vendre de l’innovation aujourd’hui au Japon, ilfaut savoir identifier «la bonne fenêtre ». Celle-ci dépend de la conjoncture et descycles. Mieux vaut ouvrir la discussion dans un moment de calme conjoncturel. Ainsi,les industriels détestant l’innovation, parce qu’elle implique des risques financiers, ilimporte de leur présenter une nouvelle technologie à un moment où ils peuvent y êtreréceptifs. Nous avons eu la chance d’arriver sur le marché au moment où nos clientspotentiels constataient les mauvais résultats de certains projets en phase pilote, alors quela situation économique connaissait un certain fléchissement. Toutes les conditionsétaient réunies pour que nous bénéficiions d’une écoute positive. Jamais nous n’aurionspu vendre notre innovation si elles ne l’avaient pas été.Une PME française peut-elle jouer la carte de l’innovation sur le marché japonais ? Oui,à condition d’être présente, pérenne, patiente et d’avoir une bonne technologie !Qui sont vos clients actuellement ?DÉBATB. G. : Ce sont des industriels de l’acier, à qui la tâche a été confiée de gérer et detraiter les ordures ménagères au Japon.Vous cédez actuellement votre technologie torche à plasma. Comment voyez-vousle futur ? Votre R&D travaille-t-elle à de nouvelles innovations ?B. G. : Non, nous faisons une pause dans notre activité R&D, mais l’utilisation de notretechnologie devrait donner lieu à de nouvelles avancées chez nos partenaires japonais.Nous ne manquerons pas de nous inspirer de leurs initiatives d’ici quatre à cinq ans.Le risque, pour une petite entreprise française qui fait la promotion de soninnovation au Japon, n’est-il pas de dévoiler ses secrets de fabrication à des plusgrands qu’elle, qui ne manqueront pas d’en faire usage, mais sans elle ?B. G. : Nous vendons un outil, mais pas le savoir-faire qui permet de le fabriquer, et unelicence d’utilisation, c'est-à-dire la méthode d’utilisation de cet outil. S’agissant durisque de copiage, nous n’avons pas eu à le craindre. Les grands groupes avec lesquelsnous travaillons ont une certaine éthique. Ils n’ont d’ailleurs pas le temps de copier. Ilspréfèrent payer pour utiliser une technologie que d’avoir à se lancer dans quinze ans derecherche pour la développer par eux-mêmes. En revanche, ce risque est réel en Coréeou à Taiwan. Je ne me rends jamais dans ces pays avec des plans confidentiels.23


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002CONCLUSIONHenri MARTREPrésident du Comité Japon du MEDEF International,Président de la SFJTILe Japon veut affirmer sa place parmi les grandes puissances et mène une politiquetechnologique et industrielle ambitieuse. Il souhaite ardemment tourner la page de laSeconde guerre mondiale et s’ouvrir sur le monde, pour sortir de sa relation exclusiveavec « le grand protecteur américain ». Deux pays se sont distingués par leurindépendance après les événements du 11 septembre : l’Allemagne et… le Japon.Celui-ci aspire ainsi à reprendre son autonomie dans le domaine de la défense. Lasituation en Chine ne fait que l’y inciter davantage.Au cours des dernières années, le Japon a fait le constat de la chute de sa compétitivitéet dressé une stratégie en conséquence, consistant essentiellement à restructurer le tissuindustriel traditionnel, de manière à ce que l’ensemble des entreprises japonaises, et passeulement les plus brillantes d’entre elles, retrouvent un avantage concurrentiel sur lemarché mondial. Le Japon a par ailleurs décidé de développer ses relations avec leszones à bas salaires situées à proximité, en particulier la Chine. Ce programmegouvernemental se heurte bien entendu à une difficulté majeure : restructurations etdélocalisations ne peuvent aller sans une forte augmentation du taux de chômage, d’oùle scepticisme important qui a accompagné l’annonce de cette stratégie en deux axes,d’autant que les troubles sociaux et la perspective de la hausse du chômage n’ont faitque fragiliser la consommation, au détriment de l’économie.Des réformes sont donc en cours, mais elles sont ralenties par la crainte de déstabiliserle système social. L’expérience Renault-Nissan a été suivie par la communauté desentreprises japonaises avec beaucoup d’intérêt. Sa réussite est une indication pour leschefs d’entreprise qu’une restructuration n’est pas forcément vouée à l’échec dans leurpays.En matière d’innovation, l’avance de certains secteurs de l’économie japonaise estréelle, tels l’informatique, l’automobile, l’électronique ou la photographie, mais d’autresrencontrent plus de difficultés, comme les grands systèmes d’information, domaine danslequel les Français sont bien meilleurs.Le Japon consacre une grande partie de ses ressources à la R&D. Les financements dela recherche provenaient principalement des entreprises quand les frontières japonaisesétaient fermées : elles vendaient très cher leurs produits sur le marché intérieur, lesconfortables marges ainsi dégagées leur permettant de financer la R&D. Depuisl’ouverture de ses frontières, le Japon a été obligé de rétablir un certain équilibre entreles prix pratiqués à l’intérieur et à l’extérieur du pays. C’est alors qu’en 1995, laquestion du financement de la R&D s’est posée de manière délicate : la décision a étéprise de le faire porter non plus sur le consommateur mais sur le contribuable, par unfinancement public. Et les crédits de recherche ont été augmentés de manièreimportante. Ceci démontrant au passage la souplesse et la réactivité du systèmejaponais.24


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002Une des singularités du système de recherche japonais est la circulation de l’information.La solidarité de la collectivité japonaise est absolument admirable et fort productive.A propos de la coopération avec la France, il a été brillamment démontré qu’elle esttout à fait possible mais difficile, étant donné la différence des cultures en présence.Mais les exemples de synergies franco-japonaises ayant conduit à des réussites notablesne sont pas rares. L’intérêt de nos deux pays est donc bien de les rechercher.Les Français, on l’a vu, ont une capacité d’adaptation considérable : tous lesintervenants ont expliqué combien ils ont dû revoir leur mode de communication pours’adapter à leurs interlocuteurs japonais. Nous avons pu noter, à cet égard, le déficitd’image des Français au Japon. Un effort important mériterait d’être fait afin d’améliorerl’image de notre pays : il s’agit de faire comprendre aux Japonais qu’ils ont tout intérêt àtravailler avec un pays dont le niveau technologique est à peu près comparable au leur.L’alliance raisonnée entre les entreprises françaises et les entreprises japonaisesconstitue, en effet, une chance inespérée de combattre à armes égales la puissanceaméricaine. Ensemble, nous pouvons, c’est certain, être les meilleurs !25


Repères sur l’innovation au Japon<strong>ANRT</strong> – 19 septembre 2002Association Nationale de la Recherche Technique41 boulevard des Capucines – F-75002 – ParisTél : 33 (0)1 55 35 25 50 – Fax : 33 (0)1 55 35 25 55www.anrt.asso.fr27

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