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Mohammed LAGZOULI<br />
Peintre Slaoui<br />
Mustapha El Kasri fut l’un des observateurs<br />
les plus avisés de la scène artistique<br />
marocaine et commençait l’un<br />
de ces articles - inédits - de cette façon : “Naïfs,<br />
primitifs, autodidactes, peintres spontanés<br />
et autres dénominations et appellations désignent<br />
ces artistes marocains venus à la peinture<br />
au beau milieu du siècle ou juste un peu avant.<br />
Ils sont souvent dits « analphabètes », généralement<br />
écartés de toute école plastique depuis<br />
que la peinture a des écoles dans le monde, et<br />
se placent loin de toute méthode académique,<br />
de tout idéal philosophique ou de toute quête<br />
métaphysique. Ces naïfs du Maroc venaient sur<br />
la terre plate « comme avant Galilée ». Ils ont<br />
continué sous d’autres expressions une tradition<br />
artisanale, à la fois folklorique et poétique : tradition<br />
née d’obsessions inconscientes à des verts<br />
paradis des amours enfantines, nées des profondeurs<br />
affectives, sentimentales et religieuses d’un<br />
peuple que la civilisation du « Blue-up » agressif<br />
et du mica polluant n’avait pas encore totalement<br />
entamé, pour étouffer dans l’œuf l’inspiration de<br />
ces poètes conteurs que sont nos « naïfs ». Ils<br />
sont les représentants et les porte-paroles de la<br />
culture populaire, chroniqueurs d’un temps qu’ils<br />
pouvaient pressentir disparaître à jamais. Bergers,<br />
jardiniers, cuisiniers, garçons de café, ouvriers ou<br />
artisans, ces petites gens que sont les « naïfs »,<br />
poussés par le démon implacable de l’art sont venus<br />
à la peinture, comme on viendrait au monde,<br />
en poussant ses premiers vagissements, puis en<br />
articulant ses premiers mots. Tout en titubant, puis<br />
en marchant, en regardant autour d’eux pour découvrir<br />
et s’étonner, en subissant la bastonnade<br />
du « Fkih » et les remontrances paternelles. Enfin,<br />
en reproduisant, chantres de l’imagerie populaire,<br />
les scènes de la simple nature et de la vie sociale<br />
qui les entourent, où ils font partie intégrante, en<br />
les reproduisant telles que leur regard les perçoit,<br />
leur cœur les ressent et les circonstances de leur<br />
vie les leur font voir.”<br />
Entre ce jugement plein d’à propos et la réaction<br />
d’un certain nombre d’experts couvrant ces illettrés-<br />
barbouilleurs de leur mépris “académique”<br />
( on pardonne tout à un naïf, mais quand même<br />
n’est pas Djoha qui veut ! ) une vie a passé. Dans<br />
toutes les cultures, depuis dix ans, on a découvert<br />
ces peintres du peuple, traducteurs de la mémoire<br />
de tout un chacun. Le naïf gagne sa vie par<br />
des travaux manuels, au souk, dans les jardins,<br />
les cafés, les taxis, chez des étrangers , dans les<br />
fermes, ou sur les échafaudages des buildings.<br />
Mohammed <strong>Lagzouli</strong> est un peintre de ce peuple<br />
laborieux slaoui. L’un des meilleurs... car il a su<br />
tirer tableaux de ses mémoires giboyeuses.<br />
De quelles mémoires ?<br />
Celle du coiffeur, du brocanteur, du jardinier,<br />
de l’apprenti tailleur. Sa mémoire d’abord celle<br />
d’un enfant slaoui orphelin , qui a tout appris entre<br />
les rues, les souks. La vie l’a jetée, derrière<br />
l’âne, la carriole, la mobylette. Il a tiré les fils, il<br />
a vu, observé, les vieux métiers qui s’en allaient,<br />
les nouveaux qui s’installaient.. Les choses ordi-