ConclusionLe développement anarchique des villes n’est, en aucun cas, une spécificité haïtienne. L’ensemble despays d’Amérique latine est confronté à cette même dynamique d’occupation illégale de l’espace etd’émergence de quartiers informels. Les politiques d’ajustement structurel au milieu des années 80 ont eucomme conséquences désastreuses le désengagement de l’Etat de ses prérogatives. « De « problème »urbain dans les années 70, les occupations illégales sont devenues au fil du temps la « solution » la pluséconomique p<strong>ou</strong>r « rés<strong>ou</strong>dre » l’épineuse question de l’accession au sol urbain et au logement. Cedésengagement progressif des p<strong>ou</strong>voirs publics en matière de politique urbaine depuis les années 1980s’observe, certes avec des nuances, dans l’ensemble des Etats d’Amérique latine et du BassinCaraïbes » 48 .La présente étude confirme la concomitance entre le désengagement de l’Etat et l’occupation incontrôléedes terres. Cette dernière est donc bien antérieure au séisme du 12 janvier 2010, mais la catastrophe aparticipé à l’amplification du phénomène. La dynamique d’occupation des terres n’est donc pas en soi unphénomène exceptionnel par sa nature, mais l’est par son ampleur et son rythme. Le site de <strong>Morne</strong>-<strong>Hôpital</strong>, p<strong>ou</strong>rtant doté d’un dispositif légal censé le protéger, fait face à un envahissement sans communemesure avec les situations passées et est en-cela une illustration du problème aigu de g<strong>ou</strong>vernance.Il est aussi le révélateur d’un énorme déficit en logement qui préexistait au séisme et qui s’est bienentendu fortement aggravé. « Deux ans après le séisme du 12 janvier 2010, on estime les besoins enlogement en Haïti à 500 000 unités. Cette estimation inclut 200 000 logements détruits et endommagéspar le séisme, selon l’étude des dommages conduite par le g<strong>ou</strong>vernement, et une estimation de 300 000logements additionnels, considérant les estimations du déficit de logements avant le séisme et de lacroissance démographique tel que le d<strong>ou</strong>blement de la population de Port-au-Prince durant les 17prochaines années » 49 .La reconstruction n’est t<strong>ou</strong>tefois pas qu’une question de logements, même si celle-ci est cruciale. Elledevrait impliquer de repenser la ville, de rés<strong>ou</strong>dre des problèmes fonciers, d’apporter des solutionstransitoires acceptables p<strong>ou</strong>r les personnes dans les camps, de développer une n<strong>ou</strong>velle prise en charge del’espace, d’apporter des réponses aux problèmes environnementaux et surt<strong>ou</strong>t de renforcer lag<strong>ou</strong>vernance urbaine.Le séisme a eu p<strong>ou</strong>r conséquence un phénomène dont l’ampleur n’avait semble-t-il pas été anticipé et p<strong>ou</strong>rlequel aucune solution n’a à ce j<strong>ou</strong>r été tr<strong>ou</strong>vée, à savoir un développement extensif et non contrôlé de laville. La présente étude décrit la dynamique où les camps de déplacés servent de relai à l’accaparementdes terres environnantes dans un contexte où peu d’alternatives de relogement sont proposées. La situationchaotique post-séisme a provoqué un appel d’air où la terre est apparue subitement accessible dans unclimat de plus grande tolérance vis-à-vis de ce phénomène d’invasion foncière. Aucun mécanisme nesemble auj<strong>ou</strong>rd’hui mis à l’œuvre p<strong>ou</strong>r endiguer un flux qui, depuis longtemps, ne concerne plus lesseules victimes du séisme. Au contraire, certaines décisions stratégiques semblent alimenter un peu plusencore la dynamique. Les risques d’une politique basée sur l’auto-construction avaient déjà été évoquésdans les précédents travaux du Gr<strong>ou</strong>pe <strong>URD</strong> : « Une autre contrainte, cette fois-ci physique, estsusceptible de compromettre les effets d’une telle politique sur le long terme. La superficie de la régionmétropolitaine de Port-au-Prince est non extensible du fait de sa configuration géographique (mer et………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………48 H. Godard, M.M. Mérat. Les occupations de terres urbaines : l’illégalité tolérée voire enc<strong>ou</strong>ragée. Mappemonde72, 2003/0449 UCLBP. Politique nationale du logement, de l’habitat et du développement urbain, Version du 30 avril 2012,présentée le 29 juin 2012.
35mornes). Or favoriser l’auto-construction ne peut mener qu’à un développement extensif de la ville etdonc à l’occupation des zones à risques » 50 . Celle-ci n’était envisageable qu’encadrée, ce qui du reste étaitstipulé dans le document de la Politique nationale, mais qui dans les faits s’est avéré insuffisant.D’autres actions telles que la subvention au loyer <strong>ou</strong> encore les abris transitoires participent également àcette occupation anarchique. Ce ne sont t<strong>ou</strong>tefois pas tant les réponses elles-mêmes qui sont à incriminerque l’absence d’une vision globale de l’aménagement urbain, d’un cadre délimitant les prérogatives dechaque acteur <strong>ou</strong> encore du déni de réalité. La responsabilité collective est auj<strong>ou</strong>rd’hui de dét<strong>ou</strong>rner leregard d’un problème dont les conséquences à long terme peuvent être plus dramatiques encore que leséisme lui-même. Il ne s’agit plus de s’abriter derrière un ‘se pa fot mwen’ déresponsabilisant quandchacun, du simple citoyen qui investit les lieux aux organes de l’Etat en passant par les organisationsinternationales, contribue, à leur manière, à la dégradation du site. P<strong>ou</strong>r cela, il faudrait p<strong>ou</strong>voir sortird’une stratégie à c<strong>ou</strong>rt terme de réponse à une crise à une véritable politique de la ville, partant del’hypothèse que le séisme n’est pas une rupture, mais un évènement majeur dans un cycle continu decrises. Les changements dans la structure démographique et socio spatiale de la région métropolitaine dePort au Prince lui sont antérieurs. Très marqués depuis trois décennies, ils reflètent t<strong>ou</strong>t à la fois desévènements politiques majeurs, des crises économiques <strong>ou</strong> encore des catastrophes naturelles. Ils ne datentdonc pas du séisme, mais celui-ci semble t<strong>ou</strong>tefois avoir j<strong>ou</strong>é un rôle révélateur, si ce n’est amplificateur.Il s’agit donc de replacer le séisme dans une perspective historique, ce qui devrait permettre de sortir de lalogique de projet et d’intégrer dans la politique d’aménagement urbain les facteurs influents qui luipréexistaient : accaparement des terres, variable démographique, liée notamment aux migrations desprovinces vers la région métropolitaine, absence de g<strong>ou</strong>vernance urbaine.Ce phénomène d’invasion des terres et de bidonvilisation concerne auj<strong>ou</strong>rd’hui t<strong>ou</strong>s les quartiers de lacapitale et même plus largement de t<strong>ou</strong>tes les villes haïtiennes. Le cas de <strong>Morne</strong>-<strong>Hôpital</strong> devrait êtret<strong>ou</strong>tefois abordé de façon très spécifique en raison des enjeux environnementaux qu’il rec<strong>ou</strong>vre (gestiondes déchets, accès à l’eau potable, assainissement, déforestation, érosion, protection des ravines…).Comme présenté dans ce rapport, il est t<strong>ou</strong>t à la fois le p<strong>ou</strong>mon écologique de la capitale – <strong>ou</strong> à t<strong>ou</strong>t lemoins l’était quand la c<strong>ou</strong>verture forestière était suffisante -, son principal bassin versant et il abrite 18 des23 points d’eau alimentant la région métropolitaine. La seule référence aux textes de loi et décrets leconcernant pr<strong>ou</strong>ve que son importance environnementale est reconnue par les autorités nationales depuisdes décennies. Il ne constitue pas un enjeu uniquement p<strong>ou</strong>r les personnes qui s’y installent – ce quijustifierait déjà p<strong>ou</strong>rtant une intervention -, mais p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>te la région métropolitaine. Le dispositifinstitutionnel et le cadre légal le protégeant existe p<strong>ou</strong>rtant, mais il semblerait que le séisme ait libéré unflux loin de se tarir et qui ne concerne plus les seules victimes de la catastrophe. S’il ne s’agit pas deremettre en question la présence des personnes installées de longue date dans ce qui fait partie auj<strong>ou</strong>rd’huide la trame urbaine (Jal<strong>ou</strong>sie, Villa Rosa…), il semble par contre urgent de mettre en place un dispositifp<strong>ou</strong>r endiguer ce flux et bien entendu de proposer des alternatives viables et durables de logement à lapopulation de la région métropolitaine. Si elle est négligée auj<strong>ou</strong>rd’hui, la question environnementalerisque en effet de s’imposer aux décideurs dans les prochaines années, avec un coût humain et financierbien supérieur. La responsabilité n’en incombe ici pas uniquement aux autorités publiques, mais aussi auxorganisations inter/nationales (agences des Nations Unies, ONG, bailleurs) qui devraient intégrerdavantage dans leurs stratégies de développement les impacts à long terme de leurs actions. Ici, commesur de nombreuses autres problématiques en Haïti, il s’agirait de renforcer la légitimité des institutionspubliques et leur s<strong>ou</strong>veraineté budgétaire p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voir mettre en œuvre la politique de l’Etat, qui, enmatière d’urbanisme et d’environnement devrait s’inscrire dans une stratégie globale et concertée et non sedécliner en projets circonscrits dans le temps et dans l’espace.………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………50 Caroline Br<strong>ou</strong>dic, Quelles leçons p<strong>ou</strong>r la reconstruction ont été tirées du séisme du 12 janvier 2010 ?, Gr<strong>ou</strong>pe<strong>URD</strong> - Lettre de l’Observatoire Haïti n°3, Juillet 2012.