IV – L'harmonieUne autre spécificité du <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> vient du recours à des pratiques harmoniques (àsavoir la science qui organise la formation et l’enchaînement des accords) nettement plus prochesde la musique savante (en particulier classique) que de la musique populaire.Que ce soit :– en utilisant des accords très diversifiés – Karn Evil 9 (1st Impression, Part II) d'ELP, parexemple, qui ne dure pourtant que 4’48’’, comprend une quarantaine d’accords de guitare différents– et enrichis, c'est-à-dire :• tendus : en ajoutant des notes se situant au-delà de la quinte, le plus souvent la septième,comme c'est souvent le cas dans le jazz,• suspendus : un procédé qui consiste à remplacer la tierce de l’accord pour une quarte ou uneseconde,• ou renversés : une technique consistant à construire les accords à partir d’une basse qui n’estpas la fondamentale (la première note de l'accord),– en utilisant de manière ambiguë les différents degrés de la gamme,Nb : avec les musiciens de <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong>, il n’est effectivement pas rare, par exemple, que lemorceau débute par un autre accord que la tonique (la première note de la gamme) qui, avec lasous-dominante et la dominante, affirme la tonalité du morceau. C'est le cas notamment de Still…You Turn Me On d’ELP, qui débute par une alternance entre sol et ré mineur 7 alors que le morceauest plutôt sensé débuter, soit par un do, soit par un la,– en modulant la tonalité des morceaux : And You and I de Yes et Take a Pebble d'ELP, parexemple, font chacun appel à quatre clés (ou armatures) différentes,– en ayant recours à l’écriture atonale, qui permet de composer de manière intuitive en utilisantles douze sons de la gamme chromatique, comme lors de l'introduction d’Atom Heart Mother,laquelle contient d'ailleurs quelques dissonances (qui produisent une impression d’instabilité et detension) obtenues notamment par des accords enrichis d’influence jazz,– en utilisant des gammes modales : Robert Fripp, le guitariste de King Crimson, par exemple, esttrès friand des modes Dorien, Eolien, voire Phrygien mais aussi de la gamme par ton inventée parDebussy,– voire en faisant appel à des techniques classiques comme le contrepoint – qui a pour objet lasuperposition organisée de lignes mélodiques distinctes et qui est très utilisée par Keith Emerson,comme en témoigne l’introduction de la première partie de la première impression de Karn Evil 9,qui débute par un passage à l’orgue écrit pour deux voix avant de faire intervenir les autres
instruments – ou la fugue, une forme d’écriture contrapuntique largement exploitée par descompositeurs classiques comme Bach et que l'on retrouve notamment dans la bien nommée Fugued’ELP, écrite pour trois voix : deux pour le piano et une autre pour la basse.Notons néanmoins qu'il est impossible de définir un langage harmonique propre au <strong>rock</strong><strong>progressif</strong> étant donné, d’une part, que l’harmonie des morceaux du genre, comme pour lesparamètres précédemment évoqués, est partagée entre la norme (en particulier pour Pink Floyd,surtout avant The Dark Side of the Moon) et l’expérimentation et, d’autre part, que les protagonistesont recours à des pratiques harmoniques différentes en fonction de la tendance à laquelle ils sontattachés (symphonic <strong>rock</strong>, classic <strong>rock</strong>, space <strong>rock</strong>...).