ConclusionAinsi, en ayant recours à des variations de tempo et de dynamique au sein de leursmorceaux, mais aussi à des mètres et des schémas harmoniques complexes et en empruntant desinstruments puisés dans le répertoire de la musique savante, les musiciens de <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> sedistinguent clairement des musiciens de <strong>rock</strong> traditionnel, et plus généralement de musiquepopulaire. Mais doit-on pour autant les exclure de cette catégorie musicale et les considérer commedes musiciens savants à part entière ?D’un côté, le <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> est incontestablement ancré dans la tradition de la musiquepopulaire, ce qui s’explique avant tout chose par son influence indéniable de groupes populairescomme les Beatles. <strong>Le</strong>s musiciens de <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong>, avant d’insérer des instruments classiques ouextra-européens, dont l’usage ne suffit naturellement pas à considérer le genre comme une musiquesavante, utilisent donc en priorité les instruments traditionnels du <strong>rock</strong> : la guitare, la basse et labatterie auxquels s’ajoute le clavier, qui sera vite adopté par une quantité d’artistes populaires.Aussi, une part importante du répertoire des groupes <strong>progressif</strong>s est constitué de morceaux basés surune métrique invariable en 4/4 et respectant une alternance couplets-refrains propre aux hits demusique populaire. De même, les pratiques harmoniques des groupes <strong>progressif</strong>s, malgré quelquesconnotations classiques plus ou moins évidentes, restent souvent puériles au regard de celles desmusiciens savants. Enfin, si les variations de tempo et de dynamique, largement usitées par lescompositeurs savants, constituent un autre trait typique du genre, celles-ci ne s’imposent pascomme une règle absolue puisque beaucoup de titres <strong>progressif</strong>s restent basés sur des tempi et desdynamiques immuables.Mais d’un autre côté, le <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> – comme le terme « <strong>progressif</strong> » (ou plutôt« progressiste ») le suggère – est un genre bien plus élaboré que la plupart des courants demusique populaire, ce qui s’explique en premier lieu par le profil sociologique des protagonistes(voir le livre de Christophe Pirenne pour plus de précisions sur ce sujet), lesquels, contrairementaux artistes de <strong>rock</strong> traditionnel, ont généralement grandi dans un milieu social leur permettant de sefamiliariser avec une pluralité de styles musicaux : de la musique populaire à la musique savante enpassant par le jazz. Forts de leurs influences éclectiques et de leur volonté de donner une nouvelleorientation à la musique populaire, qui découle également du contexte culturel dans lequel ils ontgrandi, les musiciens de <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> parviennent à créer une musique élaborée et novatrice quidénote un véritable désir de légitimité, que ce soit par le biais du recours à des pratiques de lamusique électroacoustique, à une extension de plus en plus étendue de la forme chanson, à desmètres alambiqués ou, plus généralement, à la notion d’album concept.
Tous ces éléments nous poussent donc à nous demander, comme nous l'avons fait pour letitre Atom Heart Mother de Pink Floyd, si le <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> est encore du <strong>rock</strong> ; une interrogationd’autant plus légitime lorsque l’on prend en compte des paramètres que nous avons éludés : lestextes – dont la gravité, elle aussi, dénote d’un désir de légitimité et dont la présentation, qui se faitsouvent dans un style empreint d’influences littéraires diverses, tranche avec celle, plus accessible,de la musique populaire – ou les aspects visuels, en particulier les pochettes d’albums, dontl’iconographie, qui relève souvent du surréalisme, véhicule les thèmes abordés dans les albumsconcepts et participent donc, au même titre que la musique, au processus de légitimation du <strong>rock</strong><strong>progressif</strong>.Prétendre qu’il s’agit d’une musique savante à part entière est donc un pas qui sembleimpossible à franchir, tant les influences de la musique pop y sont importantes et tant l’usage decertaines pratiques semblent naïves en comparaison avec celles de la musique savante. De la mêmemanière, affirmer que le <strong>rock</strong> <strong>progressif</strong> est une musique exclusivement populaire serait injuste auregard des apports des musiciens <strong>progressif</strong>s. En définitive, nous pouvons considérer le <strong>rock</strong><strong>progressif</strong> comme un genre musical à cheval entre la musique savante et la musique populaire,à l’image d’un courant comme le jazz (lui aussi particulièrement hétérogène), dont la question desavoir dans quelle catégorie musicale il « doit » être classé est toujours d’actualité.