6 / N°165 / février 2009 / la terrassethéâtreentretien / Michel Vinaver et Gilone BrunGilone Brun et Michel Vinaver.Le théâtre deMichel Vinaver fait sonentrée Salle RichelieuAprès Bernard-Marie Koltès en 2007, Jean-Luc <strong>La</strong>garce en 2008, laComédie-Française ouvre aujourd’hui son répertoire à l’œuvre deMichel Vinaver. En collaboration avec Gilone Brun, le dramaturgemet en scène L’Ordinaire, une pièce qui s’approprie le cadre dela célèbre catastrophe aérienne ayant eu lieu, en 1972, dans laCordillère des Andes (1) .Avez-vous été consulté lors du choix dela pièce à travers laquelle votre œuvre faitaujourd’hui son entrée au répertoire de laComédie-Française ?Michel Vinaver : Oui. Lorsque Muriel Mayette m’ademandé quelle pièce j’envisageais pour cet événement,j’ai immédiatement répondu L’Ordinaire.Approuvant ce choix, elle a proposé ce texte aucomité de lecture, qui s’est lui même prononcépour son inscription au répertoire de la Comédie-Française. J’avais depuis longtemps envie de revisitercette œuvre. Lors de sa création au Théâtrenational de Chaillot, en 1983, Alain Françon etmoi-même avions commis l’erreur de construireune représentation hyperréaliste, chose qui, jepense, handicapait la perception du spectacle.Cette création Salle Richelieu est l’occasion de luidonner une nouvelle chance.Dans quelle mesure L’Ordinaire vous semble-t-elleêtre une œuvre représentative devotre écriture ?M. V. : D’abord, il s’agit d’une pièce qui fait preuved’une approche discontinue du dialogue, donnantainsi naissance à une polyphonie de voix, de thèmes,de situations. A partir de cette polyphonie,des phénomènes musicaux et textuels apparaissent: des accords, mais aussi des chocs, descollisions, comme des étincelles qui produisent dusens. C’est l’un des aspects importants de monécriture. De plus, dans L’Ordinaire, comme dans lamajorité de mes pièces, on est toujours dans l’ins-« L’Ordinaire fait preuved’une approchediscontinue dudialogue, donnantainsi naissance à unepolyphonie de voix,de thèmes, desituations. » Michel Vinavertant même de la parole au moment précis où ellese prononce. Le personnage n’a jamais d’avancesur le public, il se situe toujours dans l’exact présentdes choses qui prennent corps sur scène.Pourquoi avoir décidé de revisiter ce faitdivers tragique ?M. V. : Pour éclairer l’une des lignes directricesde L’Ordinaire : le « faire comme si », attitude quela plupart des gens adoptent lors d’événementsexceptionnels. Dans ma pièce, les survivants dela catastrophe aérienne continuent à fonctionner– mentalement, affectivement – comme si rien nes’était passé. Cette façon de ne pas vouloir dévier,quoi qu’il arrive, de la trajectoire de son existencepeut bien sûr être un facteur de survie, mais égalementde dislocation, de dissolution de l’individu.Ainsi, certains des personnages meurent alors qued’autres s’adaptent et changent radicalement. Cechangement radical, ce passage d’une structurepyramidale du pouvoir à une démocratie réinventée,à un « vivre ensemble » qui sort des habituelsrapports hiérarchiques de la société, constitue lethème central de L’Ordinaire.Quelles sont les grandes orientations devotre mise en scène ?Gilone Brun : Plutôt que d’illustrer le texte, nousavons souhaité créer un rapport plastique à l’écritureen donnant une place centrale à la présencedes corps et des voix dans l’espace. Au fur età mesure de la construction du spectacle, nousavons procédé à un travail d’évidement pour quene subsiste que le cœur de l’essentiel. Cela, enimaginant une scénographie qui permette unegrande proximité avec le public, une grande intimitéde la parole. Nous avons ainsi pensé notredécor comme un élément de dialogue avec la SalleRichelieu. Il s’agit d’un vaste promontoire qui, telun bélier, s’avance dans l’orchestre, vient fracasserle cadre de scène.critique Hamlet<strong>La</strong> compagnie des Sans Cou est un collectif dejeunes comédiens ébouriffés, bruyamment engagésà faire les quatre cents coups dans une aventurescénique joyeuse, des figures éclairées etdégingandées de b.d. ou mangas. L’adaptationd’Hamlet est mise en scène par Igor Mendjiskyavec Clément Aubert, James Champel, RomainCottard, Fanny Deblock, Yves Jégo, Imer Kutlovici,Dominique Massat et Arnaud Pfeiffer. Une générationgénéreuse avec le plateau et désireuse deparcourir, malgré les vicissitudes d’un quotidienterne, l’espace réinventé de tous les jeux du possible.<strong>La</strong> représentation débute avec Sweet Dreamd’Eurythmics et se poursuit avec une reprise deSpectateur détourné, Hamlet (Romain Cottard) assiste à la fête macabre de la vie.Vers quelle approche du texte avez-vousmené les Comédiens français ?M. V. : Nous avons travaillé comme deux chefsd’orchestre dirigeant des instrumentistes, deuxchefs d’orchestre structurant une polyphonie devoix. Lors des répétitions, j’ai subdivisé le texte en48 segments que nous demandions aux comédiensde jouer selon un procédé de sélection aléatoire,en tirant leur numéro dans un chapeau.G. B. : Chaque segment devait être envisagécomme une fin en soi, en dehors de toute liaisonavec ce qui suit ou précède, un peu comme sichacun d’entre eux représentait, à lui seul, lapièce dans son intégralité. Cette méthode de travailnous a permis de ne pas nous enfermer dansune conception narrative de la pièce, ou dans uneconstruction psychologique des personnages.Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat(1) Accident suite auquel 16 rescapés parvinrent à survivrejusqu’à l’arrivée des secours en mangeant les corps despassagers décédés.L’Ordinaire, de Michel Vinaver (texte publié parActes Sud - collection Babel) ; mise en scène deMichel Vinaver et Gilone Brun. Du 7 février au19 mai 2009, en alternance. Matinées à 14h00,soirées à 20h30. Comédie-Française, Salle Richelieu,place Colette, 75001 Paris. Renseignementset location sur www.comedie-francaise.frou au 0825 10 16 80 (0,15 € TTC la minute).<strong>La</strong> Compagnie des Sans Cou s’estamusée avec un éclat juvénile àréveiller la matière d’Hamlet,pièce maîtresse du grand Will. Une déferlante qui fait briller lejoyau noir de cette quête existentielle.Crazy, histoire d’annoncer la couleur avec fumigènes.<strong>La</strong> traduction de la pièce est réactualisée surun registre ado et familier. Il est vrai que la piècede Shakespeare, avec la mélancolie traînante etobsédante du héros éponyme Hamlet, seigneurd’Elseneur et romantique avant l’heure, avide depureté morale et d’éthique, ne pouvait qu’attirera contrario ces acteurs décidés à en découdreavec la vie, gourmands et mordants dès qu’il s’agitd’obéir aux impulsions intimes d’une reconnaissancepersonnelle. <strong>La</strong> blessure intérieure du jeuneHamlet est due à l’apparition de son père mort surles murailles du château nocturne qui lui révèlele meurtre commis par son propre frère, l’oncle//// pour recevoir la terrasse par internet, envoyez un mail à : la.terrasse@wanadoo.fr en objet : recevoir la terrasse ////© D. R.© D. R.© François Daubyla terrasse / février 2009 / N°165 / 7<strong>critiques</strong> théâtrecritique ŒdipeAvec la compagnie du 3 e Oeil et un Bruno Netter impérial, PhilippeAdrien livre sa vision d’Œdipe, prisonnier entre vérité et aveuglement.Un jeu théâtral jubilatoire, un fantasme scénique inventif et débridé,souvent drôle, autour d’un drame inconcevable.Du theatron, lieu du voir, à la psychanalyse, lieudu dire et du non dire qui émergent au grand jour,Œdipe a connu et connaît toujours une exceptionnellenotoriété. Quel mythe en effet, quel dramefamilial sulfureux et inconcevable résonne avecautant de force ? Œdipe et son fameux “complexe”,lointain et proche, titille toujours notre inconscient…Énigme humaine infinie et paradigmatique, sonnom terrifiant est “dans toutes les têtes” ! Avec sonaudace, son inventivité et sa liberté de ton habituelles,Philippe Adrien s’empare de la tragédieen jouant sur la dialectique éminemment théâtraleentre lucidité et confusion, vérité et aveuglement,Œdipe (remarquable Bruno Netter) arrive à Colone pour y mourir.entre fable grecque soumise à la volonté des Dieuxet drame humain de la déchéance absolue, entreobscurité et mise en lumière, entre tragédie etpointes comiques aussi. Œdipe, si obstiné dans saquête de vérité, se trompe totalement sur son identitéet la découverte de la vérité le détruit. Accentsshakespeariens, jeu spectaculaire voire lyrique,sobriété digne, contrastes fantasmagoriques entred’Hamlet, s’appropriant du coup son épouse, lamère d’Hamlet, et le royaume du Danemark.Lutter contre uneépoque détraquéeUn fils digne de ce nom ne peut tolérer ce manquementabsolu aux lois humaines élémentaires,qu’elles soient familiales ou politiques ; il doit sevenger. Or, Hamlet n’est pas un agissant - voilàtoute la complexité envoûtante de l’œuvre - maisplutôt un beau ténébreux (le longiligne et vifRomain Cottard, jean, veste, manchons et chaussurespointues). C’est un contemplatif mystiquequi se complaît dans ses lectures non loin de ladouce Ophélie (Fanny Deblock), savante dans lesnoms de fleurs. Le monde poétique des amantsest piétiné sans état d’âme par l’irruption des rapportsde pouvoir vils, un abrégé de la chroniquedes temps. Hamlet va avoir à jouer le fou : « Maistoi mon cœur, il faut que je te retienne… » Sonfidèle ami et confident Horatio est son témoin etsa mémoire. Les adultes ainsi que les faux amispar qui le mal arrive sont vêtus de nippes hippies.Assis sur son siège royal dans la salle, le héros« pleins feux », d’un tour de tête, s’adresse aupublic. Cette tension d’un seul à lutter contre uneépoque détraquée, refusant que « l’enfer soufflesur le monde », est efficace. Un chœur prometteurde comédiens solidaires et instinctifs.Véronique HotteHamlet, de Shakespeare, mise en scène d’IgorMendjisky, du 7 janvier au 8 mars 2009, du mercrediau samedi 19h, dimanche 15h au Ciné 13 Théâtre1, avenue Junot 75018 Paris Tél. 01 42 54 15 12,ciné13théatre@wanadoo.frles personnages et humour se côtoient, jusqu’àun épilogue kitch et drolatique. Il est vrai que leserrements d’Œdipe sont tellement énormes qu’ilspeuvent susciter le rire, d’autant que le public, lui,connaît tout à l’avance, à défaut de connaître sonpropre destin.Un récit remarquablementsimple et implacableLe plateau est structuré par un rideau perlé et unœil, symbolisant les frontières entre conscient etinconscient, et participant à l’élaboration de l’interprétationqui invente un rapport et une distance àla fable fantasmés par l’œil du metteur en scène (etcelui du spectateur). Au théâtre comme en psychanalyse,la perception fait sens, et ici l’humour et lejeu théâtral participent à la puissance sidérante del’histoire, parfois la mettent en perspective. Commeélément moteur de la représentation, la langue deSophocle traduite par Bertrand Chauvet, un récitremarquablement simple et implacable, d’unemodernité immédiatement compréhensible. PhilippeAdrien retrouve la compagnie du 3 e Oeil deBruno Netter, comédien aveugle, composée pourpartie de comédiens handicapés, avec qui il a déjàmonté Le Malade imaginaire, Le Procès et Don Quichotte.Adaptées par Philippe Adrien, Vladimir Ant etBertrand Chauvet, les deux tragédies de Sophocle,Œdipe Roi, exposant l’accomplissement du destind’Œdipe, avec Bruno Ouzeau en Œdipe roi deThèbes, homme d’action et de décision, et Œdipe àColone, rédigée quelque trente ans plus tard, où levieil aveugle s’achemine vers la mort et la délivrance,avec Bruno Netter, remarquable et digne, sont icienchâssées. <strong>La</strong> pièce débute par l’arrivée d’Œdipeà Colone, guidé par sa fille Antigone, une très bellescène inaugurale crépusculaire. Pressé de questionspar ses interlocuteurs, il raconte et on bascule alorsdans l’histoire de sa vie sur le mode d’un flash-back.Une vie traumatique que le jeu théâtral jubilatoirerend ici palpable et pourtant lointaine, refoulée dansdes contrées inconscientes… ou sur une scène dethéâtre qui la surexpose. Une belle réussite !Agnès SantiŒdipe, de Sophocle, traduction Bertrand Chauvet,adaptation Philippe Adrien, Vladimir Ant, BertrandChauvet, mise en scène Philippe Adrien,du 13 janvier au 15 février, du mardi au samedi à20h30 sauf jeudi à 19h30, dimanche à 16h, relâchele 4 février, au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie,75012 Paris. Tél. 01 43 28 36 36.Hors-série Avignon 2009http://www.journal-laterrasse.fr/avignon2009.htmlJoignez-nous vos dossierssur la.terrasse@wanadoo.frRéférence Avignon 2009//// VOUS CHERCHEZ UN JOB éTUDIANT, éCRIVEZ-NOUS SUR la.terrasse@wanadoo.fr ////