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Prostitution et toxicomanie sont-elles liées ? Cet article va tenter tout ...

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Joëlle DUBOCQUEr<strong>Prostitution</strong> <strong>et</strong> <strong>toxicomanie</strong> <strong>sont</strong>-<strong>elles</strong> liées ? C<strong>et</strong> <strong>article</strong> <strong>va</strong> <strong>tenter</strong> <strong>tout</strong> d'abord derépondre à c<strong>et</strong>te question à travers une p<strong>et</strong>ite enquête menée auprès d<strong>et</strong>ra<strong>va</strong>illeurs d'un centre pour toxicomanes, Enaden.Ensuite, ces données vont être confrontées aux avis de tra<strong>va</strong>illeurs de plusieursinstitutions t<strong>elles</strong> que le RA r, le Proj<strong>et</strong> Lama, Infor-Drogues, Espace P <strong>et</strong> Adzon.C<strong>et</strong>te enquête nous mènera à une double constatation: actuellement, peu deprostitués s'adressent à des centres pour toxicomanes <strong>et</strong> rares <strong>sont</strong> les patientsdes centres spécialisés pour toxicomanes qui se livrent à la prostitution.C<strong>et</strong> <strong>article</strong> <strong>tenter</strong>a alors d'interroger c<strong>et</strong>te constatation en partant principalementde la clinique <strong>et</strong> en interrogeant le rôle de l'identification pour c<strong>et</strong>te population.Dans un premier temps, parler destoxicomanes qui fréquentent le milieu dela prostitution m'a interpellée puisque jede<strong>va</strong>is constater que dans ma pratique jene rencontrais que très rarement c<strong>et</strong>tepopulation.J'ai donc voulu soum<strong>et</strong>tre c<strong>et</strong>teconstatation <strong>tout</strong> d'abord à mes collèguesd'Enaden, <strong>et</strong> ensuite à d'autrestra<strong>va</strong>illeurs du secteur.En 1997, nous avons eu l'occasion, àl'unité ambulatoire d'Enaden, de réfléchirà ces questions lors de rencontresrégulières avec l'équipe du Nid. C<strong>et</strong>teéquipe a<strong>va</strong>it constaté que parmi lesprostitués qu'elle rencontrait, nombreuxétaient ceux qui se droguaient, <strong>et</strong> qu'il ya<strong>va</strong>it une difficulté pour l'équipe à aborderc<strong>et</strong>te problématique ainsi qu'à orienter lespersonnes concernées vers desstructures plus spécifiques à la<strong>toxicomanie</strong>.Afin de préparer c<strong>et</strong>te intervention, je mesuis posé différentes questions.La première était de savoir quel était lenombre de patients dans nos centres pourtoxicomanes qui, à un moment de leurexistence, se <strong>sont</strong> livrés à la prostitution.J'ai <strong>tout</strong> d'abord mené une p<strong>et</strong>ite enquêteau sein même d'Enaden. J'ai demandé àmes collègues de <strong>tenter</strong> de cerner la placeque la pratique de la prostitution pou<strong>va</strong>itavoir dans l'existence des personnesconcernées. J'ai poursuivi ensuite c<strong>et</strong>teenquête auprès d'autres institutions t<strong>elles</strong>que le Proj<strong>et</strong> Lama, le RAT, Infor-Drogues,Espace P <strong>et</strong> Adzon.J'a<strong>va</strong>is envie de pouvoir interroger leslieux communs, les idées parfoisvéhiculées par les médias <strong>et</strong> qui nereflètent pas toujours la réalité du terrain.Beaucoup de prostitués (hommes oufemmes) ont recours à la drogue, c'est unfait. Mais c'est autre chose d'en déduireque les femmes toxicomanes <strong>sont</strong>obligées de se prostituer pour pouvoirach<strong>et</strong>er leur drogue, <strong>et</strong> il faut éviter le sautlogique qui ferait des femmestoxicomanes des prostituées.Partant du fait que beaucoup deprostitués ont recours à la drogue, uneautre idée qui elle aussi pourrait paraîtrelogique, serait de les désigner comm<strong>et</strong>oxicomanes <strong>et</strong> d'en faire ainsi despatients potentiels des centresspécialisés en <strong>toxicomanie</strong>.Pourtant, si on observe la réalité duterrain, on constate que, s'il ya beaucoupde prostitués qui prennent des drogues, ilne se présentent pas pour autant en tantque toxicomanes <strong>et</strong> ne viennent querarement demander de raide dans lescentres spécialisés.A Enaden, j'ai interrogé des tra<strong>va</strong>illeursdes quatre unités. centre de jour, centrede crise, centre de séjour court <strong>et</strong>tra<strong>va</strong>illeurs de l'unité ambulatoire. Je leurai demandé de reprendre la liste de tousles toxicomanes qui ont fréquenté lecentre depuis un an <strong>et</strong> parfois plus, <strong>et</strong> derelever le nombre des toxicomanes ayanteu affaire à la prostitution. Sur 680patients recensés, nous n'avonscomptabilisé que 11 patients concernés,dont 9 <strong>sont</strong> des femmes. Ce chiffrecorrespond à moins de 2%.16 Les Cahiers de Prospective Jeunesse- Vol. 4 -n° 2 -2 ème trim. 99


Pour mieux cerner la population que nousavons à Enaden, il faut savoir qu'il ya plusou moins une femme pour quatrehommes qui fréquentent notre centre.Bien sûr, lorsqu'on annonce des chiffres,la prudence s'impose <strong>et</strong> il faut sedemander si ce chiffre reflète bien laréalité. Il est vrai que c<strong>et</strong>te enquête sebase sur ce que rapportent les tra<strong>va</strong>illeursà propos des patients qu'ils ontrencontrés. Je n'ai évidemment pas eu lapossibilité d'interroger chacun despatients à ce suj<strong>et</strong>. Il est donc possiblequ'il y ait eu des omissions <strong>et</strong> que laproportion soit un peu plus élevée. Onpourrait également a<strong>va</strong>ncer que lespatients n'osent pas toujours parler de cegenre de pratiques généralement perçuescomme honteuses. C<strong>et</strong>te idée, si elle estpeut-être vraie pour certains, me semblefausse pour la plupart des patients suivis,parfois depuis longtemps, à Enaden. Lespatients ont souvent établi une relation deconfiance leur perm<strong>et</strong>tant de parler d'euxmêmes<strong>et</strong> il serait dès lors étonnant quece genre de confidences n'apparaissepas.La première question à se poser parrapport à ces chiffres est pourquoi nousne rencontrons pas plus de prostituésdans les centres pour toxicomanes ? Jereviendrai sur c<strong>et</strong>te question plus tard.Nous pouvons déjà dire en <strong>tout</strong> cas, queles femmes toxicomanes que nousrencontrons à Enaden ont donc rarementrecours à ce type de comportement pourpouvoir payer leurs doses de drogue.Des prostitutions...D'après les propos recueillis par mescollègues d'Enaden concernant lespersonnes qui se <strong>sont</strong> livrées à laprostitution, nous apercevons que lapratique de la prostitution ne remplit pas lamême fonction pourchacun.Je reprendrai quelques cas de figure:-Pour certaines personnes, c'est laprostitution qui arrive en premier lieu dansleur vie <strong>et</strong> la drogue en second. Laprostitution est alors souvent un moyen degagner rapidement de l'argent. Dans cecas-ci, nous pouvons nous demander àquoi <strong>elles</strong> <strong>sont</strong> accrochées, si c'est à laprostitution, au milieu, au vertige d'avoirrapidement de l'argent... La drogue est làpour supporter <strong>et</strong> faciliter c<strong>et</strong>te pratique,du moins dans un premier temps.Nous avons rencontré deux cas quientrent dans c<strong>et</strong>te catégorie, à Enaden.L'une s'identifiait <strong>tout</strong>-à-fait à uneprostituée, tandis que pour l'autre c<strong>et</strong>teidentification était peu présente <strong>et</strong> étaitvécue comme problématique.-Pour d'autres cas, la prostitutioncorrespond à un accident de parcours, unmoyen de financer temporairement leurdrogue. Ici, par rapport à la pratique de la<strong>toxicomanie</strong>, la prostitution estsecondaire. Dès que ces personnes <strong>sont</strong>prises en charge (par les institutionsspécialisées en <strong>toxicomanie</strong>), cespratiques cessent. Ces personnes disentqu'<strong>elles</strong> se <strong>sont</strong> prostituées mais nonqu'<strong>elles</strong> <strong>sont</strong> prostituées.-Une autre personne encore m'aprésenté une formulation qui m'ainterpellée: "on m'a prostituée", soncopain la forçant à ce genre de pratiques.Certaines femmes ont un rapportparticulier à l'autre sexe, ne pou<strong>va</strong>ntqu'être l'obj<strong>et</strong> de la jouissance de l'autre.Ce rapport particulier se r<strong>et</strong>rouve dansleur vie de couple mais trouve aussi saforme paradigmatique dans laprostitution.-L'histoire d'une autre femme se résumequant à elle à un rapport excessif à laconsommation, qu'il s'agisse de drogues.de vêtements, d'obj<strong>et</strong>s. ou de p<strong>et</strong>its amis.Elle dit que lorsqu'elle voit quelquechose. elle "doit" l'ach<strong>et</strong>er. Et saconsommation excessive de p<strong>et</strong>its amisest toujours associée à la consommationde drogue. sans qu'elle se soucie le moinsdu monde de son corps. plein, comme elledit, de plaies. ni d'ailleurs de ses p<strong>et</strong>itscopains.Ce qui est à r<strong>et</strong>enir de ceci c'est qu'il n'y apas "la" prostitution, mais "des"prostitutions, que ces pratiques deprostitution s'inscrivent différemment pourchacun.J'ai voulu étendre mon enquête au-delàd'Enaden <strong>et</strong> j'ai donc interrogé destra<strong>va</strong>illeurs du Proj<strong>et</strong> Lama, du RAT <strong>et</strong>d'lnfor-Drogues. Ces tra<strong>va</strong>illeurs ontconfirmé que la population qu'ilsrencontrent actuellement a très rarementrecours à ces pratiques de prostitution.Certains m'ont également dit qu'ilsa<strong>va</strong>ient eu dans le passé da<strong>va</strong>ntage depatients concernés, mais qui, après leurprise en charge, ont abandonné cespratiques.Les Cahiers de Prospective Jeunesse- Vol. 4 -n° 2 -2 ème trim. 9917


Ma propre expérience professionnelle U'aidébuté dans le secteur de la <strong>toxicomanie</strong> ily a plus de dix ans) confirme c<strong>et</strong>teconstatation: il me semblait égalementrencontrer autrefois plus fréquemmentdes toxicomanes qui a<strong>va</strong>ient recours àune pratique de prostitution pour payerleurs drogues.Une questiond'identification. ..Revenons à notre question de départ :pourquoi si peu de prostitués s'adressentilsaux centres spécialisés pourtoxicomanes ? Il y a certainementplusieurs raisons. La première est que,pour pouvoir s'adresser àun centre pour toxicomanes, il fautd'abord se reconnaître toxicomane. Lespropos recueillis par le Nid, l'Espace P <strong>et</strong>Adzon montrent bien que la population quifréquente ces institutions s'identifiegénéralement non pas au milieu de la<strong>toxicomanie</strong>, mais bien à celui de laprostitution.Comme me le disait un collègue tra<strong>va</strong>illantaux antennes du Proj<strong>et</strong> Lama <strong>et</strong> assurantune permanence à l'Espace P, pour laplupart des prostitués rencontrés àl'Espace P, la <strong>toxicomanie</strong> est un accidentde parcours. Et inversement, pour lestoxicomanes qui fréquentent les centresspécialisés, <strong>et</strong> qui se livrent à laprostitution, elle est elle aussi alorssouvent considérée comme un accidentde parcours.considèrent généralement pas comm<strong>et</strong>oxicomanes, la drogue étant perçuecomme un simple moyen de mieuxsupporter la prostitution <strong>et</strong> saconsommation étant fortement liée aumilieu.Si les prostitués aboutissent rarementdans nos centres, c'est donc égalementque pour eux la question de leurconsommation n'est pas vécue commeproblématique <strong>et</strong> qu'ils ne ressentent pasl'envie d'arrêter. Pour pouvoir s'adresserà un centre spécialisé, la conditionprimordiale est d'ém<strong>et</strong>tre le souhaitd'arrêter, mais il faut aussi croire que l'onn' y arrivera pas <strong>tout</strong> seul, penser qu'onpourra être aidé par une institution.Ainsi, le témoignage du médecin del'antenne du Proj<strong>et</strong> Lama, tra<strong>va</strong>illantaussi à l'Espace P, est précieux puisqu'ilaffirme que lorsque les prostitués sedécident d'arrêter de prendre de ladrogue, les traitements <strong>sont</strong> généralementplus faciles à mener <strong>et</strong> <strong>sont</strong> plusrapides que ne le <strong>sont</strong> les traitementsd'une population qui s'identifie comm<strong>et</strong>oxicomane.Pourquoi rencontrons-nous aussi peu d<strong>et</strong>oxicomanes ayant eu une pratique de laprostitution? Il faut r<strong>et</strong>enir, outrel'hypothèse de l'identification, le fait quedepuis quelques années l'accès aux soins<strong>et</strong> à la méthadone s'est généralisé <strong>et</strong> estsorti du cadre des centres spécialisés.D'autre part, il faut également tenircompte, pour expliquer la diminution deces pratiques parmi les toxicomanes, dela chute du prix de la drogue constatéeces dernières années.On voit donc bien que la question del'identification est primordiale. Il y a ceuxqui ne se reconnaissent pas du <strong>tout</strong> dansle terme de toxicomane, même si leurconsommation est quotidienne <strong>et</strong> ceux-Ià,bien évidemment, nous ne lesrencontrons pas.Ceux qui viennent dans nos centres <strong>sont</strong>ceux qui ont repris l'étiqu<strong>et</strong>te dutoxicomane à leur compte, parfois mêmemalgré eux, faute d'une autre identité.Pour eux, la difficulté de se débarrasserde c<strong>et</strong>te étiqu<strong>et</strong>te réside alors dans laperte d'une part d'eux-mêmes, qui a faitcorps avec eux, c'est-à-dire leur manièrede se présenter à l'autre, de se fairereconnaître par l'autre.Orienter les prostitués vers les centresspécialisés en <strong>toxicomanie</strong> reste doncproblématique, puisqu'ils ne seEn conclusion.Si les prostitués ne se présentent pasfacilement dans un centre spécialisé pourtoxicomanes, ne pourrions-nous pasém<strong>et</strong>tre l'hypothèse que c'est <strong>tout</strong>simplement parce qu'à leurs yeux laconsommation de drogues ne représentepas, en soi, un problème. Ils ressententda<strong>va</strong>ntage une dépendance par rapportau milieu de la prostitution, là où une partd'eux-mêmes est reconnue. Cependant,lorsque ces personnes décident demodifier leur rapport au produit oud'arrêter de prendre de la drogue, c<strong>et</strong>te"non-identification" au toxicomanesemble faciliter leur traitement. Celui-ci ,aux dires de notre collègue, paraît plusaisé <strong>et</strong> plus rapide. .18 Les Cahiers de Prospective Jeunesse- Vol. 4 -n° 2 -2 ème trim. 99

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