Traverser les montagnesPoint <strong>de</strong> passage souvent obligé, lien parfois stratégique,le col routier a longtemps été et <strong>de</strong>meure danscertains cas un lieu <strong>de</strong> contrôle. Son niveau d’équipementet les pratiques qui lui sont associées sont révélateurs<strong>de</strong> ses fonctions actuelles et héritées. Certains colsont ainsi été fortifiés, monumentalisés 7 , dotés <strong>de</strong> tunnelset aménagés à <strong>de</strong>s fins touristiques, sportives, festivesou commémoratives. La monumentalisation et lafortification, plus fréquente en pied <strong>de</strong> col, attestent <strong>de</strong>cette fonction. Dans le cas <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> Restefond-La Bonette, les aménagements ont été réalisés au collui même. Le rattachement <strong>de</strong> la <strong>Savoie</strong> et du Comté<strong>de</strong> Nice à la France a créé en 1860 les bases d’unenouvelle frontière qui traversait la haute montagnealpine [O.T. <strong>de</strong> SAINT-ETIENNE-DE-TINÉE, 1997]. Aprèsquelques achats <strong>de</strong> terrains réalisés par le gouvernementfrançais dès 1877, les premiers programmes <strong>de</strong>fortification ont débuté dès 1879 pour s’achever dansles <strong>de</strong>rnières années du XIX ème siècle. La prise <strong>de</strong> position<strong>de</strong>s « Alpini », troupes militaires <strong>de</strong> montagne et laparticipation <strong>de</strong> l’Italie à la Triplice en 1882, n’ont pasété étrangères à cette accélération et à l’affectation <strong>de</strong>sChasseurs Alpins à Nice et à Barcelonnette en 1888.Dans les années 1930, d’autres ouvrages sont venuscompléter cet ensemble avec en particulier le fort<strong>de</strong> Rimplas qui a préfiguré le programme <strong>de</strong> la ligneMaginot. La fortification d’autres grands cols francoitalienscomme le <strong>Mo</strong>nt-Cenis renvoie à cette mêmechronologie et à cette même logique [FORRAY, 1998].A une autre échelle <strong>de</strong> temps, le col s’inscrit danscette même dialectique d’ouverture et <strong>de</strong> fermeture[BERNIER, 2003]. Celle-ci peut être subie, en raison <strong>de</strong>sconditions climatiques hivernales (c’est le cas pourbeaucoup <strong>de</strong> cols routiers d’altitu<strong>de</strong>), d’une situationd’exposition aux risques (une <strong>de</strong>s voies d’accès au col<strong>de</strong> la Charmette en Chartreuse, propriété <strong>de</strong> l’O.N.F. quin’a pas les moyens d’assurer son entretien et sa sécurisation,est ainsi aujourd’hui fermée à la circulation) ou<strong>de</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la chaussée. La gestion <strong>de</strong>s accès participeparfois d’une politique volontariste <strong>de</strong> contrôledu trafic. Le développement du vélo routier [MESTRE-GONGUET, 2002] est l’occasion d’une fermeture estivaled’une journée réservant l’usage <strong>de</strong> la chaussée auxcyclistes. C’est par exemple le cas, dans le département<strong>de</strong>s Hautes-Alpes, pour les cols du Granon, du Lautaretou <strong>de</strong> l’Izoard. La tenue <strong>de</strong> manifestations sportivescomme Le Tour <strong>de</strong> France donne également lieu à <strong>de</strong>sbouclages routiers. Plus étonnant, la tenue du sommetdu G 8 à Evian du 1 er au 3 juin 2003 a amené les autoritéscette année-là à retar<strong>de</strong>r l’ouverture du col du PetitSaint-Bernard au 4 juin afin <strong>de</strong> ne pas avoir à contrôlerun point frontalier supplémentaire 8 .Inversement, les différents acteurs cherchentparfois à étendre l’ouverture. Le tunnel du Galibier,inauguré en 2002 après 26 ans <strong>de</strong> fermeture, permet, àquelques lacets du « sommet » <strong>de</strong> la route (à 2642 m),d’écrêter le col en quelque sorte. Il autorise ainsi unepério<strong>de</strong> d’ouverture plus longue <strong>de</strong> quelques semaineset <strong>de</strong>s trafics plus importants. Ce passage estd’autant plus important qu’il correspond à une limiteadministrative, entre les départements <strong>de</strong> la <strong>Savoie</strong> et<strong>de</strong>s Hautes-Alpes et entre les régions Rhône-Alpes etProvence-Alpes-Côte-d’Azur. Un équipement semblableexiste au col <strong>de</strong>s <strong>Mo</strong>ntets à quelques kilomètres<strong>de</strong> Chamonix et sur la route <strong>de</strong> la Suisse. Un tunnelbimodal (voie ferrée et route) permet <strong>de</strong> maintenir lepassage routier en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> fort enneigement, d’avalanchesou d’autres formes d’exposition aux risques.Frontière « ponctuelle », le col routier renvoie plus quejamais à la définition du col « passage » (Figure 3). Uneautre illustration peut être trouvée au port <strong>de</strong> Pailhèresen Ariège où un alignement <strong>de</strong> colonnes matérialise lefranchissement. Dans le folklore local, ces colonnes,récemment réhabilitées, servaient traditionnellement<strong>de</strong> repères pour les préposés <strong>de</strong>s postes en cas <strong>de</strong> neige,en particulier pour échanger le courrier <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux valléesd’Ax-les-Thermes et Mijanès. Le col fait lien ; ilest le support et le point obligé du transit.Et le trafic peut d’ailleurs être très important, ycompris pour <strong>de</strong>s cols <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 2000 m d’altitu<strong>de</strong>.Ouverte toute l’année, la route du col du Lautaret(2057 m) a ainsi enregistré en 2001 une moyenneannuelle <strong>de</strong> 1375 véhicules par jour avec un pic <strong>de</strong>5151 passages en une journée. La même année, le coldu <strong>Mo</strong>nt-Cenis (2081 m) affichait une moyenne <strong>de</strong>1693 véhicules pour un maximum <strong>de</strong> 5415 unités en24 h. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, il n’est pas rare d’observerl’été une quantité significative <strong>de</strong> poids lourds qui,malgré le caractère souvent illégal <strong>de</strong> cette circulation,cherchent à économiser le prix du passage du tunneldu Fréjus. Aux cols <strong>de</strong> Larche (Figure 4), <strong>de</strong> Ten<strong>de</strong>, du<strong>Mo</strong>ntgenèvre ou du Somport par exemple, la problématiquedu passage doit donc être abordée en parallèleavec <strong>de</strong>s équipements tunneliers existants ou en projet.Les volumes <strong>de</strong> trafic enregistrés en altitu<strong>de</strong> peuvent eneffet être relativement significatifs et certains cols routiersont <strong>de</strong>s arguments pour proposer une alternativeattractive avec <strong>de</strong>s franchissements non payants.La géographie <strong>de</strong>s cols routiers se révèle finalementsignificative <strong>de</strong> formes <strong>de</strong> passage aussi nombreusesque variées. Au-<strong>de</strong>là, la valeur d’un col semblebel et bien déterminée par les activités et les fonctionsqu’il abrite.7Voir dans ce même numéro l’article <strong>de</strong> Christophe Gauchon.8Un décalage semblable avait été initialement prévu pour le col du <strong>Mo</strong>nt-Cenis, mais la route du col a fi nalement été ouverte le9 mai, soit dans un calendrier habituel.96