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La quete de la paix - Plough

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<strong>La</strong> quête<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>Notes et conversations en cheminJohann Christoph ArnoldAvant-propos <strong>de</strong> Thich Nhat HanhThe <strong>Plough</strong> Publishing House


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IVTremplins 65<strong>La</strong> simplicité 74Le silence 79L’abandon 87<strong>La</strong> prière 97<strong>La</strong> confiance 107Le pardon 118<strong>La</strong> reconnaissance 125L’honnêteté 133L’humilité 142L’obéissance 153Le caractère ferme 162Le repentir 170<strong>La</strong> conviction 181Le réalisme 191Le service 200V<strong>La</strong> vie abondante 209<strong>La</strong> sécurité 220<strong>La</strong> plénitu<strong>de</strong> 229<strong>La</strong> Joie 238L’Action 248<strong>La</strong> Justice 257L’Espoir 268A propos <strong>de</strong> l’auteur 276Le Bru<strong>de</strong>rhof 278


•Avant-proposDans le Sermon sur <strong>la</strong> montagne, Jésus nous dit, « Heureuxceux qui créent <strong>la</strong> <strong>paix</strong> autour d’eux, car Dieu lesappellera ses fils ! » Afin <strong>de</strong> travailler pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, il fautavoir le cœur en <strong>paix</strong>. Et alors, vous êtes un enfant <strong>de</strong> Dieu.Cependant, beaucoup parmi ceux qui travaillent pour <strong>la</strong><strong>paix</strong> ne sont pas en <strong>paix</strong>. Ils ont encore <strong>de</strong> l’irritation et <strong>de</strong><strong>la</strong> frustration, et leur travail n’est pas réellement en <strong>paix</strong>. Onne peut pas dire qu’ils touchent le royaume <strong>de</strong> Dieu. Afin <strong>de</strong>gar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, notre cœur doit être en <strong>paix</strong> avec le mon<strong>de</strong>,avec nos frères et nos sœurs. Cette vérité est au cœur dunouveau livre, si bienvenu, <strong>de</strong> Johann Christoph Arnold, <strong>La</strong>quête <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Nous pensons souvent que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est l’absence <strong>de</strong> guerre ;que si les pays puissants en Europe vou<strong>la</strong>ient bien réduireleurs arsenaux, nous aurions <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Mais si nous considéronssérieusement nos armements, nous voyons notrepropre cœur – nos préjugés, nos craintes, et notre ignorance.Même si nous transportions toutes les bombes sur <strong>la</strong> lune,les racines <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre et <strong>la</strong> raison que les bombes existentseraient encore dans nos cœurs et notre esprit, et tôt ou tardnous ferions <strong>de</strong> nouvelles bombes.


L A q u ê t e d e l a p a i xJésus nous dit :...il a été dit aux anciens : « Tu ne commettras pas <strong>de</strong>meurtre; celui qui commet un meurtre mérite <strong>de</strong> passer enjugement. » Mais moi je vous dis : Tout homme qui se meten colère contre son frère mérite <strong>de</strong> passer en jugement ;celui qui traite son frère d’imbécile mérite d’être puni parle tribunal, et celui qui le traite <strong>de</strong> fou mérite d’être punipar le feu <strong>de</strong> l’enfer (Matthieu 5.21-22).Ainsi, œuvrer pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> doit en effet signifier plus que <strong>de</strong>rejeter les armes. Ce<strong>la</strong> doit commencer par le déracinement<strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> notre cœur et du cœur <strong>de</strong> tout être.Comment pouvons-nous rompre le cycle <strong>de</strong> <strong>la</strong> violence ?Arnold nous dit qu’avant <strong>de</strong> pouvoir trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> avecnos semb<strong>la</strong>bles et avec le mon<strong>de</strong>, nous avons à faire <strong>la</strong> <strong>paix</strong>avec nous-mêmes. Combien ce<strong>la</strong> est vrai ! Si nous sommesen guerre avec nos parents, notre famille, notre société ounotre Eglise, il y a vraisemb<strong>la</strong>blement une guerre en nousmêmes,aussi. Donc, notre travail <strong>de</strong> base doit être <strong>de</strong> revenirà nous-mêmes, et <strong>de</strong> créer l’harmonie entre ces éléments –nos sentiments, notre perception et notre état mental.En lisant ce livre, essayez <strong>de</strong> reconnaître les éléments opposésdans votre cœur, et leur cause. Cherchez à avoir plusconscience <strong>de</strong> ce qui cause <strong>la</strong> colère et <strong>la</strong> séparation, et <strong>de</strong>ce qui les surmonte. Déracinez <strong>la</strong> violence qui est dans votrevie, et apprenez à vivre avec compassion, attention et souci.Recherchez <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Quand vous aurez <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en vous-même,alors <strong>la</strong> <strong>paix</strong> véritable avec les autres sera possible.Thich Nhat HanhVil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s Pruniers, France, Printemps 1998vii


I<strong>La</strong> quête<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>« L’espoir, c’est ce qui nous restedans <strong>de</strong>s temps difficiles »Proverbe Ir<strong>la</strong>ndais


•<strong>La</strong> quête <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>Nous vivons dans un mon<strong>de</strong> troublé, et malgré les discussionsconstantes à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> nousmanque. En effet, il y a si peu <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, que lorsque je par<strong>la</strong>is<strong>de</strong> ce livre à un ami, il a insinué que ce n’était pas seulementnaïf d’écrire un livre sur un tel sujet, mais même quelquepeu perverse.Personne ne peut nier le fait que <strong>la</strong> violence influence<strong>la</strong> vie publique, partout sur notre globe terrestre, <strong>de</strong>puisles points chauds, comme les Chiapas, l’Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong> du Nord,le Timor oriental, l’Iraq, et l’Israël Occi<strong>de</strong>ntal, jusque dansles rues <strong>de</strong> nos cités américaines dé<strong>la</strong>brées. De même dansnotre vie personnelle – y compris dans les faubourgs les plus« tranquilles » – le manque <strong>de</strong> <strong>paix</strong> est souvent l’ordre dujour : <strong>la</strong> violence domestique, <strong>la</strong> toxicomanie, les tensionsqui divisent le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s affaires, les écoles, et les Eglises.<strong>La</strong> violence se dissimule <strong>de</strong>rrière les faça<strong>de</strong>s les plus respectables<strong>de</strong> notre société, soi-disant édifiée dans le « Siècle<strong>de</strong>s lumières ». Elle se cache dans les turbines <strong>de</strong> l’aviditéet <strong>de</strong> l’hypocrisie, <strong>de</strong> l’injustice, raciale et économique, quidirigent nos gran<strong>de</strong>s institutions financières et culturelles.Elle est présente dans l’infidélité qui peut éro<strong>de</strong>r les mariages,


L A q u ê t e d e l a p a i xmême les plus pieux mariages « chrétiens ». Cette violenceest là, aussi dans l’hypocrisie qui mortifie <strong>la</strong> vie spirituelleet qui dérobe l’expression <strong>la</strong> plus religieuse <strong>de</strong> sa crédibilité.Du point <strong>de</strong> vue humain, il peut, en effet, sembler mêmepervers d’écrire un livre sur <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Cependant, le besoin <strong>de</strong><strong>la</strong> <strong>paix</strong> crie au ciel. C’est un <strong>de</strong>s désirs les plus poignants ducœur. Donnez-lui le nom que vous voulez : harmonie, sérénité,unité, solidité mentale ; ce désir est là en chacun d’entrenous. Personne n’aime les problèmes, les maux <strong>de</strong> tête, lechagrin. Chacun désire <strong>la</strong> <strong>paix</strong> – d’être libéré <strong>de</strong> l’anxiété etdu doute, <strong>de</strong> <strong>la</strong> violence et <strong>de</strong> <strong>la</strong> division. Chacun désire <strong>la</strong>stabilité et <strong>la</strong> sécurité.Il y a même <strong>de</strong>s organisations qui désirent ar<strong>de</strong>mment<strong>la</strong> <strong>paix</strong> universelle, telle que le Mouvement International <strong>de</strong> <strong>la</strong>Réconciliation. Son but est d’atteindre <strong>la</strong> coopération politique,à l’échelle internationale. D’autres, comme le groupeGreenpeace, veulent promouvoir l’harmonie entre les êtreshumains et tout ce qui vit, et une conscience <strong>de</strong> nos rapportsavec notre entourage.D’autres cherchent <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en modifiant leur style <strong>de</strong> vie :en changeant leurs carrières, en déménageant <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville à<strong>la</strong> banlieue, (ou <strong>de</strong>s banlieues à <strong>la</strong> campagne) en économisantet en simplifiant, ou en améliorant, d’une façon oud’une autre, leur qualité <strong>de</strong> vie. Puis, il y a le jeune homme,récemment revenu <strong>de</strong> l’étranger à notre communauté, aprèsune pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie folle, <strong>de</strong> dépenses et <strong>de</strong> mœurs légères ;il désire ar<strong>de</strong>mment maintenant « s’éveiller chaque matin en<strong>paix</strong> avec lui-même et avec Dieu ». D’autres encore, semblentse contenter <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, telle qu’ils <strong>la</strong> mènent ; heureux et comblés,ils disent, peut-être, ne rien désirer <strong>de</strong> plus. Pourtant,3


L A q u ê t e d e l a p a i xje soupçonne qu’au fond d’elles-mêmes, ces personnes nepossè<strong>de</strong>nt pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong> parfaite.Tandis que je travail<strong>la</strong>is à ce livre, j’ai trouvé par hasardune publicité : l’image d’une femme, allongée sur une chaiselongue, contemp<strong>la</strong>nt le coucher <strong>de</strong> soleil sur un <strong>la</strong>c. On lisait :« <strong>La</strong> profession rêvée. De beaux enfants. Le mariage parfait.Et le sentiment rongeur d’un vi<strong>de</strong> absolu. » Combien <strong>de</strong> millionspartagent cette peur tacite ?A un certain niveau, nous sommes tous à <strong>la</strong> recherche<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, telle que le Créateur l’a intentionnée : une vie oùrègnent l’harmonie, <strong>la</strong> joie, <strong>la</strong> justice, et <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Nous avonstous sûrement rêvé d’une vie dans <strong>la</strong>quelle le malheur et<strong>la</strong> douleur n’existaient pas : le Paradis perdu, pour lequel(comme nous dit <strong>la</strong> Bible) toute <strong>la</strong> création gémit.Ce désir est aussi ancien qu’il est universel. Il y a <strong>de</strong>s milliersd’années, le prophète hébreu Esaïe, rêvait d’un règne <strong>de</strong>Paix, dans lequel, le lion vivrait avec l’agneau. Ainsi, au travers<strong>de</strong>s siècles, même si l’horizon était sombre et le champ<strong>de</strong> bataille sang<strong>la</strong>nt, les hommes et les femmes auraientretrouvé l’espoir en cette vision.Lorsque Philip Berrigan, militant contre <strong>la</strong> guerre, fut passéen jugement récemment, et condamné pour avoir commisun acte <strong>de</strong> désobéissance civile dans un chantier naval auxEtats-Unis, beaucoup ont désapprouvé ses actions ; Phil admitque pour <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s gens en effet, « c’était une actionabsur<strong>de</strong> ». Mais il ajouta qu’il aimerait mieux passer sa vie enprison pour ses convictions, plutôt que <strong>de</strong> passer le reste <strong>de</strong>sa vie « sur quelque p<strong>la</strong>ge ». Combien d’entre nous, peuventparler ainsi ? Jusqu’à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> sa vie en 2002, Phil continuaitsans relâche à militer contre l’industrie d’armement nucléaire.4


L A q u ê t e d e l a p a i xMa propre communauté, le Bru<strong>de</strong>rhof, a souvent été accuséed’avoir perdu pied avec <strong>la</strong> réalité. Oui, nous avonsabandonné le chemin usuel, du bien-être bourgeois – duchez-soi, <strong>de</strong> <strong>la</strong> propriété privée, <strong>de</strong> <strong>la</strong> carrière, du compte enbanque, <strong>de</strong> <strong>la</strong> retraite confortable – afin d’essayer <strong>de</strong> vivreensemble, comme les premiers chrétiens l’ont fait. Nousluttons pour pouvoir vivre une vie <strong>de</strong> sacrifice, <strong>de</strong> discipline,et <strong>de</strong> service mutuel. Ce n’est pas une vie <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, telle quele mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> donne.Qu’est-ce que <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et <strong>la</strong> réalité, qu’est-ce que c’est ?Pourquoi vivons-nous ? Et que voulons-nous <strong>la</strong>isser à nosenfants et petits-enfants ? Même si nous sommes heureux,que <strong>la</strong>issons-nous à <strong>la</strong> postérité, après le mariage et lesenfants, l’automobile et le travail ? Est-ce que notre héritageest vraiment <strong>la</strong> réalité d’un mon<strong>de</strong> hérissé d’armement, unmon<strong>de</strong> <strong>de</strong> haine entre les c<strong>la</strong>sses, et <strong>de</strong> querelles familiales,un mon<strong>de</strong> sans amour, d’égoïsme ambitieux, <strong>de</strong> médisanceet <strong>de</strong> rancune ? Où existe-t-il une réalité plus gran<strong>de</strong>, où toutceci est dominé par le pouvoir du Prince <strong>de</strong> <strong>la</strong> Paix ?Dans les pages suivantes j’ai essayé d’éviter <strong>de</strong> formuler<strong>de</strong>s thèses bien tournées, ou <strong>de</strong> présenter <strong>de</strong>s argumentssans sortie. On peut trouver cette sorte <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>s spirituelsdans n’importe quelle librairie. Mais, à mon expérience, <strong>la</strong> vieelle-même n’est jamais aussi bien-ordonnée. Au contraire.De toute façon, chaque lecteur se trouvera à un endroit différentdans sa recherche. J’ai <strong>de</strong> même essayé <strong>de</strong> ne pasm’attar<strong>de</strong>r sur les causes du manque <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. On pourraitécrire tout un livre sur ce sujet, mais ce serait trop déprimant.Mon but, tout simplement, c’est <strong>de</strong> vous présenter un tremplin,et suffisamment d’espoir pour vous ai<strong>de</strong>r à continuervotre recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.5


IISignifications« Uniquement si vous êtes en <strong>paix</strong> avec vous-même, serezvouscapable <strong>de</strong> promouvoir <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans le mon<strong>de</strong>. »Rabbi Simcha Bunim


•SignificationsQue ce soit une carte <strong>de</strong> vœux, ou un signet, ou unpanneau d’affichage, ou même un torchon à vaissellebrodé, notre culture est inondée d’expressions au sujet <strong>de</strong><strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Des expressions telles que « <strong>paix</strong> et bonne volonté »sont si répandues, qu’elles ne sont <strong>de</strong>venues que sloganset clichés. Nous terminons souvent nos lettres avec le mot« Paix ». Sur un autre p<strong>la</strong>n, dans le gouvernement et dans lesnouvelles, on parle <strong>de</strong> bataillons armés en tant que forces <strong>de</strong>maintien <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, stationnés dans les régions déchiréespar <strong>la</strong> guerre, <strong>de</strong> par le mon<strong>de</strong>. Dans les Eglises, les prêtreset les curés terminent leurs offices avec les paroles « Allez en<strong>paix</strong> », et bien que ces paroles soient intentionnées commeune bénédiction, elles semblent plutôt être un renvoi jusqu’auDimanche prochain.Muhammad Salem Agwa, Imam (prêtre musulman) à NewYork, remarque que les Musulmans se saluent réciproquementavec les paroles Sa<strong>la</strong>am A<strong>la</strong>ikum. Cependant il dit <strong>de</strong>même, que parmi eux c’est aussi <strong>de</strong>venu une habitu<strong>de</strong>, sanspenser aux responsabilités mutuelles que ceci implique :Je salue toujours avec ces paroles, mais elles ne veulentpas simplement dire « Bonjour » ou « bonsoir ». Elles ont


L A q u ê t e d e l a p a i xun sens plus profond : « Que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> bénédiction <strong>de</strong>Dieu soient avec vous. » Lorsque je dis ceci, je sens queje suis en <strong>paix</strong> avec vous, et vous avec moi. Je vous tends<strong>la</strong> main. Je viens vers vous, pour vous donner <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Etpendant ce temps, jusqu’à notre prochaine rencontre, ce<strong>la</strong>veut dire : je prie Dieu <strong>de</strong> vous bénir, d’avoir pitié <strong>de</strong> vous,et <strong>de</strong> renforcer nos rapports mutuels, en tant que frères.Combien différent serait le mon<strong>de</strong>, si nous étions vraimenten <strong>paix</strong> avec tous ceux que nous rencontrons au cours <strong>de</strong><strong>la</strong> journée, si nos paroles étaient plus que simple politesseet venaient <strong>de</strong> notre cœur ! En réalité, et les athéistes nousl’indiquent maintes fois, peu <strong>de</strong> conflits ont causé autantd’effusion <strong>de</strong> sang au cours <strong>de</strong> l’histoire, comme l’ont faitnos incessantes querelles à propos <strong>de</strong>s différentes religions.Il n’est pas étonnant que les anciens prophètes ont soupiré, :« Ils égarent mon peuple, en disant, ‘Paix, Paix’, quand il n’ya pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. »8


•<strong>La</strong> <strong>paix</strong> en tantqu’absence <strong>de</strong> guerrePour beaucoup, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> signifie sécurité nationale, stabilité,<strong>la</strong> loi et l’ordre. Elle est associée avec l’éducation, <strong>la</strong>culture, le <strong>de</strong>voir civique, <strong>la</strong> prospérité et <strong>la</strong> santé, le confortet <strong>la</strong> tranquillité. C’est <strong>la</strong> bonne vie. Mais, est-ce qu’une <strong>paix</strong>basée sur ces choses-là peut être pour tous ? Si <strong>la</strong> bonnevie représente un choix et une consommation illimités pourquelques privilégiés, il s’ensuit que les autres, les millionsd’autres doivent travailler dur, dans <strong>la</strong> pire pauvreté. Est-cealors <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ?A <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale, mon grand-père,Eberhard Arnold a écrit :Le Pacifisme, nous suffit-il ? Je ne pense pas.Lorsque plus d’un millier ont été tués injustement, sansprocès, sous le nouveau régime <strong>de</strong> Hitler, n’est-ce pas làdéjà, <strong>la</strong> guerre ?Lorsque <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> personnes ontété mises dans les camps <strong>de</strong> concentration, perdant leurdignité humaine et leur liberté, n’est-ce pas là <strong>la</strong> guerre ?Lorsque <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> personnes meurent <strong>de</strong> faim enAsie, tandis qu’en Amérique du Nord, et autre part, <strong>de</strong>s


L A q u ê t e d e l a p a i xmillions <strong>de</strong> tonnes <strong>de</strong> blé sont stockées dans <strong>de</strong>s hangars,n’est-ce pas là, <strong>la</strong> guerre ?Lorsque <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> femmes ruinent leur vie en prostitution,pour gagner <strong>de</strong> l’argent, lorsque <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong>bébés sont avortés, tous les ans, n’est-ce pas là, <strong>la</strong> guerre ?Lorsque les gens sont forcés à travailler comme <strong>de</strong>sesc<strong>la</strong>ves, parce qu’ils ne peuvent à peine acheter le painet le <strong>la</strong>it pour leurs enfants, n’est-ce pas là, <strong>la</strong> guerre ?Lorsque les riches habitent leurs vil<strong>la</strong>s dans leurs parcs,tandis que dans les faubourgs il y a <strong>de</strong>s familles qui n’ontqu’une seule pièce à partager, n’est-ce pas là, <strong>la</strong> guerre ?Lorsqu’une personne possè<strong>de</strong> un compte en banqueénorme, tandis qu’une autre ne possè<strong>de</strong> même pas lestrict nécessaire, n’est-ce pas là, <strong>la</strong> guerre ?Lorsque <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> conducteurs impru<strong>de</strong>nts sont <strong>la</strong>cause d’acci<strong>de</strong>nts tous les ans, n’est-ce pas là, <strong>la</strong> guerre ?Je ne peux pas représenter un pacifisme qui maintientqu’il n’y aura plus <strong>de</strong> guerre. Une telle revendicationne vaut rien ; <strong>la</strong> guerre continue quand même jusqu’àprésent... Je ne suis pas d’accord, non plus, avec un pacifismedont les représentants maintiennent les causesprincipales <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre : <strong>la</strong> propriété et le capitalisme.Je ne crois pas au pacifisme <strong>de</strong>s hommes d’affaires quifont chuter leurs concurrents, ou au pacifisme <strong>de</strong>s marisqui ne peuvent même pas vivre en <strong>paix</strong> et dans l’amouravec leurs propres épouses...Je préfèrerais carrément ne pas me servir du mot « pacifisme». Mais je suis un partisan <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Jésus a dit,« Heureux sont ceux qui veulent <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ! » Si je désirevraiment <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, je dois <strong>la</strong> représenter dans tous les domaines<strong>de</strong> ma vie.En termes politiques, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> prend <strong>la</strong> forme d’accords commerciaux,<strong>de</strong> compromis, et <strong>de</strong> traités <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. De tels traités10


L A q u ê t e d e l a p a i xne sont guère plus qu’un équilibre fragile <strong>de</strong>s pouvoirs, négociéà <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> tension sérieuse qui sèment lesgraines <strong>de</strong> nouveaux conflits, pires que les précé<strong>de</strong>nts qu’ilsétaient censés résoudre. Il y a beaucoup d’exemples, <strong>de</strong>puisle Traité <strong>de</strong> Versailles, terminant <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Guerre, mais qui aentretenu assez <strong>de</strong> nationalisme pour déclencher <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong>Guerre Mondiale, jusqu’à <strong>la</strong> Conférence <strong>de</strong> Yalta, qui termina<strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerre Mondiale, mais qui provoqua les tensions,aboutissant à <strong>la</strong> guerre froi<strong>de</strong>. Les cessez-le-feu, ne mettentpas fin à <strong>la</strong> haine.Tout le mon<strong>de</strong> convient que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> soit <strong>la</strong> réponse à <strong>la</strong>guerre, mais quelle sorte <strong>de</strong> <strong>paix</strong> ? Le Rabbin Kenneth L.Cohen écrit :L’obscurité est l’absence <strong>de</strong> <strong>la</strong> lumière, mais <strong>la</strong> <strong>paix</strong> n’estpas seulement <strong>la</strong> cessation <strong>de</strong>s hostilités. On peut signer<strong>de</strong>s traités, échanger les ambassa<strong>de</strong>urs, renvoyer les armées,et cependant ce ne sera toujours pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Lesimplications <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> sont métaphysiques et cosmiques.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> est plus que l’absence <strong>de</strong> guerre. <strong>La</strong> <strong>paix</strong>, en fait,n’est pas du tout l’absence <strong>de</strong> quelque chose, mais plutôtl’ultime affirmation <strong>de</strong> ce qui peut être.11


•<strong>La</strong> <strong>paix</strong> dans <strong>la</strong> BibleUne façon d’examiner <strong>la</strong> signification profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>,c’est <strong>de</strong> voir ce qu’en dit <strong>la</strong> Bible. L’Ancien Testamentnous donne un concept, <strong>de</strong>s plus riches en profon<strong>de</strong>ur, dansle mot hébreu pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> : shalom. Shalom est difficile àtraduire, à cause <strong>de</strong> ses nombreuses implications. Ce motn’a pas un seul sens, bien qu’on puisse en rendre le sensavec les mots totalité, sûreté ou intégrité – bien plus qu’ilnous suggère au premier abord.Shalom signifie <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre et <strong>de</strong>s conflits, maisaussi l’amitié, le contentement, <strong>la</strong> sécurité et <strong>la</strong> santé ; <strong>la</strong>prospérité, l’abondance, <strong>la</strong> tranquillité, harmonie avec <strong>la</strong>nature, et même le salut. Et ce sens est pour tout le mon<strong>de</strong>,non seulement pour quelques privilégiés. Shalom est au fondune bénédiction, un don <strong>de</strong> Dieu. Ce n’est pas un effort humain.Shalom s’adresse à l’état <strong>de</strong> l’individu, mais <strong>de</strong> mêmeau rapport – entre personnes, entre nations, et entre Dieuet l’être humain. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ceci, shalom est intimement liéà <strong>la</strong> justice, car il représente le désir ou <strong>la</strong> célébration <strong>de</strong>srapports humains rectifiés pour le meilleur.Dans son livre He Is Our Peace (Il est notre <strong>paix</strong>), HowardGoeringer nous montre un sens encore plus radical <strong>de</strong> <strong>la</strong>parole, shalom : Aimer ses ennemis.


L A q u ê t e d e l a p a i xEn l’an 600 avant JC, l’armée Babylonienne envahit <strong>la</strong>Judée et prit <strong>de</strong>s otages <strong>de</strong> Jérusalem en exil. Ce fut ences circonstances extrêmement difficiles que Jérémie aécrit ces paroles remarquables aux réfugiés dans <strong>la</strong> cité,tellement haïe, <strong>de</strong> Babylone : « Recherchez <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong>cité dans <strong>la</strong>quelle je vous ai envoyés en exil, et priez leSeigneur pour elle, car en elle vous trouverez votre shalom.» Les réfugiés furent forcés <strong>de</strong> vivre en exil, tandisqu’ils voyaient leur civilisation s’effondrer. Dédaignantleurs ravisseurs, anxieux <strong>de</strong> retourner à leur pays, irrités<strong>de</strong> ne pas avoir été aidés par Dieu, ils ne pouvaientcomprendre ce que Jérémie leur disait. Cet homme fou <strong>de</strong>Dieu leur disait d’aimer leurs ravisseurs, <strong>de</strong> faire du bienà leurs ennemis, et <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à Dieu <strong>de</strong> bénir leurspersécuteurs avec shalom.Comme nous le pressentions, <strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> Jérémie nefut pas popu<strong>la</strong>ire. Les otages qui souffraient ne voyaientpas que leur bien-être et le bien-être <strong>de</strong> leurs ravisseursdépendaient l’un <strong>de</strong> l’autre. Penser à servir leurs ravisseursavec un esprit <strong>de</strong> compassion, à soigner leurs ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s,à apprendre à leurs enfants leurs jeux juifs et travaillerune heure <strong>de</strong> plus pour eux ! – ce serait <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie !Goeringer a raison : souvent, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu paraît tout à faitirrationnelle, non seulement aux yeux <strong>de</strong> ceux qui avaientl’expérience du mon<strong>de</strong>, mais aussi aux yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart<strong>de</strong>s gens religieux.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> est également un thème central dans le NouveauTestament, où le mot eirene est utilisé très souvent. En soncontexte biblique, le mot eirene va beaucoup plus loin quesa signification c<strong>la</strong>ssique grecque, « le repos », et il inclutun grand nombre <strong>de</strong> connotations <strong>de</strong> shalom. Dans le NouveauTestament, Jésus le Messie est le messager, le signe, et13


L A q u ê t e d e l a p a i xl’instrument <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu. En fait, Saint Paul nous ditque le Christ est notre <strong>paix</strong>. En Lui toutes choses sont réconciliées.Voilà pourquoi son message est appelé l’Evangile<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. C’est <strong>la</strong> Bonne Nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Venue du Règne <strong>de</strong>Dieu, où tout est arrangé.14


•<strong>La</strong> <strong>paix</strong> en tant quecause socialeLe mon<strong>de</strong> est plein d’activistes luttant pour <strong>de</strong> bonnescauses : défenseurs <strong>de</strong> l’environnement et <strong>de</strong>s sansabris,ceux qui sont contre <strong>la</strong> guerre, partisans <strong>de</strong> <strong>la</strong> justicesociale, défenseurs <strong>de</strong>s femmes abusées et <strong>de</strong>s minoritésopprimées, et ainsi <strong>de</strong> suite. Dans les années soixante, nousétions nombreux à marcher aux côtés <strong>de</strong> Martin Luther King.De nos jours, au 21 e siècle, beaucoup luttent pour l’abolition<strong>de</strong> <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> mort. Ma propre communauté s’y est vivementengagée, car cette cause est au fond une lutte contreles injustices du système judiciaire américain. Les horreursque nous avons vues, à <strong>la</strong> fois au niveau local et au niveauinternational comme dans les cas <strong>de</strong>s prisonniers politiquesconnus tels Mumia Abu-Jamal et Léonard Peltier, nous montrentc<strong>la</strong>irement que cette politique <strong>de</strong> l’ordre public a plusà faire avec <strong>la</strong> violence et <strong>la</strong> peur, qu’avec <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Certains <strong>de</strong>s hommes et femmes dont j’ai fait <strong>la</strong> connaissanceen ce milieu sont parmi les personnes les plus dédiéesque j’ai jamais rencontré. Je ne voudrais en rien déprécierleurs bonnes actions. Cependant <strong>la</strong> fragmentation qui


L A q u ê t e d e l a p a i xmarque <strong>la</strong> vie d’autres combattants pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> justice,et <strong>la</strong> dissension qui en résulte, est douloureusement présente.En jetant un regard en arrière dans les années soixante,au temps où il y avait bon nombre <strong>de</strong> ceux qu’on appe<strong>la</strong>itles « peacenicks », plusieurs pensées me viennent à l’esprit.On ne peut pas ne pas tenir compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> nostalgie <strong>de</strong>s admirateurs<strong>de</strong>s Beatles, qui chantaient incessamment, « Donnezdonc une chance à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> » ; je <strong>la</strong> considère nettementspirituelle. A <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s jeunesd’aujourd’hui, beaucoup <strong>de</strong>s jeunes <strong>de</strong> ce temps-là (les années60 et 70) ont tenté <strong>de</strong> traduire leur espérance et leursrêves en actes. Ils ont provoqué <strong>de</strong>s marches, <strong>de</strong>s évènements,<strong>de</strong>s collectifs communautaires, et ils ont commis <strong>de</strong>sactes <strong>de</strong> désobéissance civile, <strong>de</strong>s démonstrations pacifistes,<strong>de</strong>s protestations, et <strong>de</strong>s projets <strong>de</strong> service communautaire.Personne ne pouvait les accuser d’apathie. Pourtant, il estdifficile d’oublier <strong>la</strong> colère qui ravageait les visages <strong>de</strong> ceuxqui hur<strong>la</strong>ient le plus fort pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans ce temps-là, <strong>de</strong>même que l’anarchie et le cynisme qui, plus tard, envahirenttoute l’époque.Que se passe-t-il lorsque l’idéalisme disparaît, <strong>la</strong> manifestationest dispersée, quand le printemps d’amour est passé ?Que se passe-t-il lorsque les collectifs paisibles et les re<strong>la</strong>tionshumaines craquent ? Est-ce que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong>vient alorssimplement une autre commodité culturelle, symbole appliquésur <strong>de</strong>s t-shirts et sur autocol<strong>la</strong>nts pour voiture ? Dansson livre, <strong>La</strong> longue solitu<strong>de</strong>, Dorothy Day, catholique légendairequi organisa Le Mouvement catholique ouvrier, commenteque le grand désir <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse pour un mon<strong>de</strong> meilleur,a souvent autant à faire avec le nihilisme et l’égoïsme,16


L A q u ê t e d e l a p a i xqu’avec autre chose. Les jeunes idéalisent le changement,dit-elle, mais ils ne sont que rarement prêts à changer euxmêmes.Voici une autre citation <strong>de</strong> Rabbi Cohen :Un individu peut, en effet, faire une marche pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>,et peut <strong>de</strong> même avoir, peut-être, une certaine influencesur <strong>de</strong>s problèmes globaux. Mais ce même individu sembleun géant aux yeux <strong>de</strong> l’enfant chez lui. Si <strong>la</strong> <strong>paix</strong> doitvenir, elle doit commencer avec l’individu. Elle se construitbrique par brique.17


<strong>La</strong> <strong>paix</strong> dans <strong>la</strong>vie personnelleSylvia Beels, jeune femme londonienne, est venue à <strong>la</strong>communauté juste avant <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong>Guerre Mondiale. Maintenant, âgée <strong>de</strong> quatre-vingt-dix ans,elle me dit que, dans sa jeunesse, l’attitu<strong>de</strong> courante dumouvement pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> – opposition à tuer, mais non pasà l’injustice sociale – ne <strong>la</strong> satisfaisait pas et <strong>la</strong> poussait àrechercher quelque chose <strong>de</strong> plus.J’avais vu un film <strong>de</strong> guerre, alors que j’avais neuf ans, quim’avait horrifiée, et dès ce moment-là j’ai su que jamaisje ne pourrais considérer <strong>la</strong> guerre comme une bonnechose, quoiqu’en soit <strong>la</strong> cause.Après notre mariage, mon mari Raymond et moi, noussommes <strong>de</strong>venus membres du Left Book Club (club <strong>de</strong>livres <strong>de</strong> <strong>la</strong> gauche), et nous en avons lu toute <strong>la</strong> littérature.Nous nous rencontrions régulièrement avec ungroupe d’amis, pour discuter les idées propagées dansces livres. Nous avons longtemps essayé <strong>de</strong> nous frayerun chemin à travers le <strong>la</strong>byrinthe <strong>de</strong>s idées humaines –<strong>la</strong> guerre, <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, <strong>la</strong> politique, <strong>la</strong> morale conventionnelleet l’amour libre, etc. – mais nous n’en avons pas plus


L A q u ê t e d e l a p a i xtrouvé le chemin qui nous conduirait vers une société <strong>de</strong><strong>paix</strong> et <strong>de</strong> justice.Plus tard, pendant <strong>la</strong> naissance, longue et difficile, <strong>de</strong> son premierenfant, Sylvia s’est rendue compte que sa vie personnelleétait marquée par les mêmes problèmes qu’elle combattaitdans <strong>la</strong> société. Malgré une carrière prometteuse en musique,son mariage était en désarroi et son esprit en tourment. Alors,Sylvia vit qu’elle ne pouvait aucunement contribuer à <strong>la</strong> <strong>paix</strong>mondiale avant <strong>de</strong> trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, en elle-même, et avec lesautres. (Le mari <strong>de</strong> Sylvia mourut d’une ma<strong>la</strong>die cardiaquepeu après, mais ils furent réconciliés à son lit <strong>de</strong> mort.)Maureen Burn, une autre sœur, membre <strong>de</strong> notre communauté,conclut <strong>de</strong> même, après <strong>de</strong>s années d’activité contre <strong>la</strong>guerre, d’abord à Edimbourg, puis à Birmingham, où l’argent,ses re<strong>la</strong>tions sociales, et sa personnalité vibrante, l’ont renduebien connue comme partisane efficace <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.J’avais toujours été idéaliste et rebelle. <strong>La</strong> Première GuerreMondiale me troub<strong>la</strong>it, bien que je n’étais qu’une enfant.On nous disait que c’était l’Empereur d’Allemagne quiavait causé <strong>la</strong> guerre, et quand j’avais dix ans je lui aiécrit d’arrêter <strong>la</strong> guerre. J’ai toujours été contre <strong>la</strong> guerre.Mon mari, Matthew, agent proéminent au ministère <strong>de</strong><strong>la</strong> santé, était aussi « pacifiste ». Après ses expériencesdans les tranchées, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> Première Guerre mondiale,il était <strong>de</strong>venu un antimilitariste ar<strong>de</strong>nt et un champion<strong>de</strong> <strong>la</strong> justice sociale. Notre intérêt commun dans <strong>la</strong> RévolutionRusse <strong>de</strong> 1918, les écrits <strong>de</strong> Tolstoy, et dans lescroisa<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Gandhi, nous avaient rapprochés et nousavaient conduits au mariage.Beaucoup <strong>de</strong> jeunes gens al<strong>la</strong>ient à Moscou, dans cesannées-là, et parce que nous étions attirés par l’idéal19


L A q u ê t e d e l a p a i xcommuniste, « chacun selon sa force, chacun selon sonbesoin », je lui ai proposé d’aller, nous aussi, en Russie,avec nos petits garçons... Mais lorsque Matthew dit :« Une bombe jetée par un communiste, n’est pas meilleurequ’une bombe jetée par un capitaliste », alors j’aichangé d’avis.Matthew avait l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> disparaître le jour <strong>de</strong>l’Armistice je ne sais où. Il était <strong>de</strong> l’avis que ce<strong>la</strong> étaitune insulte pour les morts, <strong>de</strong> faire un défilé militaire aucénotaphe, où le soldat inconnu était enterré ; et il neportait jamais ses médailles. Après <strong>la</strong> guerre, <strong>la</strong> mère <strong>de</strong>Matthew m’a dit qu’il avait une fois déc<strong>la</strong>ré qu’il ne feraitjamais rien pour une société qui était tellement corrompueque même le clergé prêchait le meurtre aux jeunes...A <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerre Mondiale, pendant le bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>l’Angleterre, <strong>de</strong> nombreuses villes commencèrent à évacuerles enfants, et les Burns durent trouver une p<strong>la</strong>ce pour vivreavec leurs quatre fils, le plus jeune, ayant moins d’un an.<strong>La</strong> profession <strong>de</strong> Matthew le forçait à rester dans <strong>la</strong> cité, etMaureen ne savait pas où aller. A cette époque, Maureen vitqu’elle était enceinte <strong>de</strong> son cinquième enfant. Dans <strong>de</strong> tellescirconstances, ils se décidèrent à un avortement.Revenus chez nous, mon mari a suggeré que j’aille passerquelques jours <strong>de</strong> repos avec ma sœur Kathleen. Kathleenvivait au Bru<strong>de</strong>rhof. J’ai écrit pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sice serait possible d’y aller pour quelques jours, et elle arépondu positivement.Je n’avais aucune idée du choc qui m’y attendait. Jelisais un <strong>de</strong> leurs livres dont je ne me rappelle pas le titre.Quoique ce fut, ce livre indiquait c<strong>la</strong>irement qu’avorterétait synonyme <strong>de</strong> meurtre : tuer une nouvelle vie dansle ventre <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère n’avait pas plus <strong>de</strong> justification aux20


L A q u ê t e d e l a p a i xyeux <strong>de</strong> Dieu que tuer en temps <strong>de</strong> guerre. Jusqu’icij’étais quelqu’un <strong>de</strong> rationnel et je ne voyais rien <strong>de</strong> malà l’avortement. Cependant maintenant j’étais complètementbouleversée et j’ai ressenti pour <strong>la</strong> première foisl’horreur <strong>de</strong> ce que j’avais commis.Je ne pleure pas facilement, mais à ce moment-là je nepouvais pas m’arrêter <strong>de</strong> pleurer. Je regrettais profondémentce que j’avais fait et aurais tant voulu pouvoir reveniren arrière. Je n’étais qu’une hôte à <strong>la</strong> communauté,mais ma sœur m’a fait aller voir l’un <strong>de</strong>s pasteurs et jelui ai tout confessé. Il m’a alors invitée à une réunion <strong>de</strong>smembres où une prière fut dite juste pour moi. J’ai tout<strong>de</strong> suite su que j’étais pardonnée. C’était un miracle, undon ; j’étais remplie <strong>de</strong> joie et <strong>de</strong> <strong>paix</strong> intérieure et capable<strong>de</strong> tourner <strong>la</strong> page.Il n’y a rien d’aussi vital – ou douloureux – que <strong>de</strong> reconnaîtreun manque <strong>de</strong> <strong>paix</strong> en soi, dans sa vie et dans soncœur. Ce<strong>la</strong> peut se manifester pour certains par <strong>de</strong> <strong>la</strong> haineou du ressentiment ; <strong>de</strong> <strong>la</strong> tromperie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> division ou <strong>de</strong> <strong>la</strong>confusion pour d’autres ou encore simplement un vi<strong>de</strong> ouune dépression. Dans son sens le plus profond, tout ce<strong>la</strong>correspond à une forme <strong>de</strong> violence à <strong>la</strong>quelle il faut faireface et qu’il faut vaincre. Thomas Merton écrivit :Il existe une forme <strong>de</strong> violence contemporaine qui se faitsentir un peu partout contre <strong>la</strong>quelle le combat idéalistepour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> par <strong>de</strong>s moyens pacifistes est impuissant: l’activisme et le surmenage. <strong>La</strong> vie trépidante et <strong>la</strong>contrainte <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie mo<strong>de</strong>rne en représentent une forme,probablement <strong>la</strong> forme <strong>la</strong> plus commune <strong>de</strong> <strong>la</strong> violenceinnée. Se <strong>la</strong>isser influencer par maint souci contradictoire,capituler <strong>de</strong>vant trop d’exigences, s’engager dans trop <strong>de</strong>projets, vouloir venir en ai<strong>de</strong> à tout un chacun, c’est se21


L A q u ê t e d e l a p a i xsoumettre à <strong>la</strong> violence. Encore bien pire, c’est carrémentcoopérer avec <strong>la</strong> violence. <strong>La</strong> frénésie <strong>de</strong> l’activiste contribueà neutraliser son travail pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Ce<strong>la</strong> détruitles efforts fructueux <strong>de</strong> son propre travail en tuant <strong>la</strong>racine même <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse intérieure qui rend le travailfructueux.Beaucoup <strong>de</strong> personnes ressentent l’appel <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause pour<strong>la</strong> <strong>paix</strong> mais <strong>la</strong> plupart y tournent le dos lorsqu’ils se ren<strong>de</strong>ntcompte qu’ils ne peuvent l’apporter aux autres à moins d’enfaire l’expérience eux-mêmes. Incapables <strong>de</strong> trouver unecertaine harmonie dans leur propre vie, ils y renoncent alorstrès vite.Dans les cas les plus tragiques, une personne peut <strong>de</strong>venirsi désenchantée qu’elle en prend sa propre vie. Le chanteur<strong>de</strong> musique folk Phil Oche, un activiste pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> trèsconnu <strong>de</strong>s années soixante vient à l’esprit ; <strong>de</strong> même MitchSny<strong>de</strong>r, fondateur du Center for Creative Nonviolence (Centre<strong>de</strong> <strong>la</strong> Non-Violence Créative) et un avocat respecté <strong>de</strong>s sansabrià Washington D.C.22


•<strong>La</strong> Paix <strong>de</strong> Dieu<strong>La</strong> véritable <strong>paix</strong> n’est pas simplement une gran<strong>de</strong> causeà poursuivre avec <strong>de</strong> bonnes intentions. Ce n’est pas,non plus, quelque chose qui vous appartient et qu’on peutacheter. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> exige <strong>de</strong> nous une certaine lutte. Il nous fautsurmonter les ennemis principaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie : <strong>la</strong> mort, le mal,le mensonge. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> est un don, mais c’est aussi le résultatd’efforts intenses, et sérieux. En fait, plusieurs versets <strong>de</strong> <strong>la</strong>Bible impliquent que c’est justement en ces efforts que <strong>la</strong><strong>paix</strong> rési<strong>de</strong>. Une telle <strong>paix</strong> est alors <strong>la</strong> conséquence d’avoirconfronté et surmonté ce conflit, et non pas <strong>de</strong> l’avoir évité.Et, <strong>de</strong> même que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> véritable est fondée sur <strong>la</strong> vertu, <strong>la</strong><strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu altère les faux rapports, dérange les systèmeserronés et montre le ridicule <strong>de</strong>s promesses d’une fausse<strong>paix</strong>. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu déracine <strong>la</strong> semence <strong>de</strong> <strong>la</strong> discor<strong>de</strong>.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu ne comprend pas automatiquement <strong>la</strong> tranquillité,l’absence <strong>de</strong> conflit, ou autre opinion mondaine <strong>de</strong><strong>la</strong> <strong>paix</strong>. De même que nous le voyons d’après <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> JésusChrist, ce fut précisément par le rejet du mon<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>du mon<strong>de</strong>, que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> parfaite du Christ fut établie. Et cette<strong>paix</strong> avait sa source en l’acceptation <strong>de</strong> l’abnégation <strong>la</strong> plusdéchirante imaginable : <strong>la</strong> mort sur une croix, <strong>la</strong> Crucifixion.


L A q u ê t e d e l a p a i xBeaucoup parmi nous, actuellement – soi-disant chrétiens– ont oublié ceci, à moins que nous n’en soyons volontairementaveugles. Nous désirons <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, mais comme nousl’entendons. Nous voulons une <strong>paix</strong> aisée. Cependant <strong>la</strong><strong>paix</strong> ne peut pas venir facilement, si elle va être véritablementdurable. Elle ne peut simplement signifier le bien-être,l’équilibre, un sentiment agréable passager. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieuest plus qu’un état <strong>de</strong> conscience. Dorothy Sayers écrit :Je suis persuadée que c’est une erreur <strong>de</strong> présenter lechristianisme comme étant quelque chose <strong>de</strong> charmantet <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>ire, ne pouvant offenser personne. Nous nepouvons fermer les yeux <strong>de</strong>vant le fait que Jésus, en sonhumilité et sa douceur, fut aussi ferme en ses opinions,et aussi incendiaire en son <strong>la</strong>ngage, qu’il fut chassé <strong>de</strong>l’église, maltraité, chassé d’un endroit à l’autre, et finalementpendu à <strong>la</strong> Croix, comme incendiaire et dangerpublique. Quoiqu’était sa <strong>paix</strong>, ce n’était pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong> d’uneindifférence aimable.Ici, il me faut dire, malgré ma propre foi en Jésus Christ, etmalgré le vocabu<strong>la</strong>ire dans ce livre (qui semble peut-êtrequelque peu trop pieux pour certains), je ne pense pas quel’on doive être un chrétien, pour pouvoir trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong>Jésus. Naturellement, nous ne pouvons ignorer l’affirmation<strong>de</strong> Jésus : « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi etcelui qui ne rassemble pas avec moi disperse. » (Luc 11.23).Cependant, que signifient les paroles : être « avec » Jésus ?Ne nous dit-il pas c<strong>la</strong>irement que ce ne sont pas les parolesreligieuses ou autres expressions pieuses qui importent ?Ce sont les actes <strong>de</strong> compassion et <strong>de</strong> pitié – c’est l’amourque Jésus recherche. Et il nous dit que même un verre d’eau24


L A q u ê t e d e l a p a i xpour une personne assoiffée aura sa récompense « dans leroyaume <strong>de</strong>s Cieux ».Jésus est une personne, non pas un concept, ou article <strong>de</strong>théologie, et <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> Jésus embrasse bien plus que nosesprits limités ne peuvent comprendre. En tous les cas, <strong>de</strong>smillions <strong>de</strong> Bouddhistes, <strong>de</strong> Musulmans, et <strong>de</strong> Juifs – agnostiqueset athéistes – pratiquent l’amour que Jésus nouscomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> vivre, avec plus <strong>de</strong> conviction que beaucoup<strong>de</strong> soi-disant Chrétiens. Et ce n’est certainement pas à nous<strong>de</strong> dire s’ils possè<strong>de</strong>nt cette <strong>paix</strong>, ou non.25


•<strong>La</strong> <strong>paix</strong> qui dépassetoute compréhensionCertains lecteurs le jugeraient peut-être profitable,d’examiner, ici, les différents aspects <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et <strong>de</strong>discuter si <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est un chemin à suivre, ou un état d’âme.D’autres voudraient peut-être savoir ce que je veux direquand je dis que les gens recherchent <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Veulent-ilsse rapprocher <strong>de</strong>s autres, ou veulent-ils surtout retrouverleur vraie personnalité ? Ont-ils soif <strong>de</strong> confiance et d’amour,<strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong> meilleur à anticiper, que <strong>la</strong> retraite ?Quelque chose d’entièrement différent ? Qu’est-ce que <strong>la</strong><strong>paix</strong>, en un mot ? Une pensée dans un <strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> mongrand-père m’a toujours été utile. Il écrivit que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> aun triple sens : le repos <strong>de</strong> l’âme en Dieu, <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong><strong>la</strong> non-violence en entretenant <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions pacifistes etl’établissement d’un ordre social <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> <strong>paix</strong>.Or, en fin <strong>de</strong> compte, même <strong>la</strong> meilleure définition <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>paix</strong> n’est pas ce qui importe, car elle ne nous ai<strong>de</strong>ra pasà trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Afin <strong>de</strong> saisir <strong>la</strong> signification <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ilnous faut l’éprouver en tant que réalité pratique, non passeulement ce que nous avons en tête, ou même, dans le cœur,mais dans notre vie quotidienne.


L A q u ê t e d e l a p a i xSadhu Sundar Singh, mystique Indien chrétien au tournantdu siècle <strong>de</strong>rnier, écrivit :Le mystère réel d’une vie <strong>de</strong> bonheur en Dieu ne peutêtre compris sans l’avoir reçu, vécu, et connu. Si nousessayons <strong>de</strong> <strong>la</strong> comprendre seulement avec notre intellect,alors nos efforts seront en vain.Un savant tenait en ses mains un oiseau. Il se rendaitcompte que l’oiseau était en vie ; vou<strong>la</strong>nt savoir où exactementse trouvait cette vie, il se mit à disséquer l’oiseau.Naturellement, ceci eut pour résultat que <strong>la</strong> vie même,dont il était à <strong>la</strong> recherche, disparut. Ceux qui essaient <strong>de</strong>comprendre les mystères <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie intime intellectuellement,échoueront ainsi. Cette analyse aura pour résultatque <strong>la</strong> vie qu’ils recherchent, disparaîtra. De même quel’eau n’a pas <strong>de</strong> repos, avant d’avoir atteint un certainniveau, ainsi l’âme n’est pas en <strong>paix</strong> avant d’avoir atteintson repos en Dieu.27


IIIParadoxes« Je suis un soldat <strong>de</strong> Jésus Christ, je ne puis pas me battre. »St. Martin <strong>de</strong> Tours


•ParadoxesNous l’avons déjà compris : bien que le désir <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>soit un désir ar<strong>de</strong>nt et universel, il est difficile à définir.Il en est <strong>de</strong> même avec tout ce qui est du domaine <strong>de</strong> l’esprit.Elias Chacour, prêtre en Palestine, un <strong>de</strong> mes meilleurs amis,parle <strong>de</strong> ceci dans son livre Frères <strong>de</strong> sang. Par<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>sreligions orientales, il remarque que leurs penseurs (contrairementà <strong>de</strong> nombreux penseurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> civilisation occi<strong>de</strong>ntale)aiment les paradoxes, et les acceptent volontiers,plutôt que <strong>de</strong> les écarter.Chacun est conscient, en lisant <strong>la</strong> Bible, combien Jésuscompte sur les paradoxes et les paraboles pour illustrer <strong>de</strong>profon<strong>de</strong>s vérités. Le paradoxe peut sembler contradictoire,mais, justement, il nous force à considérer <strong>la</strong> vérité avec unenouvelle vision. C’est en ce sens que j’ai écrit les sectionssuivantes, chacune étant pourvue d’un tremplin pour unecompréhension plus profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.


•Non pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong>,mais une épée« Ne croyez pas que je sois venu apporter <strong>la</strong> <strong>paix</strong> sur <strong>la</strong>terre! Je ne suis pas venu apporter <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, mais l’épée, carje suis venu mettre <strong>la</strong> division entre l’homme et son père,entre <strong>la</strong> fille et sa mère, entre <strong>la</strong> belle-fille et sa belle-mère,et l’on aura pour ennemis les membres <strong>de</strong> sa famille. Celuiqui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne<strong>de</strong> moi... »Jésus <strong>de</strong> NazarethLorsque Matthieu nous a rappelé ces paroles <strong>de</strong> Jésus dansle dixième chapitre <strong>de</strong> l’Evangile, il a donné aux générationssuivantes <strong>de</strong> chrétiens, un argument favori pour défendrel’emploi <strong>de</strong> <strong>la</strong> force. Cependant, que vou<strong>la</strong>it dire Jésus, envérité ? Certainement, il ne vou<strong>la</strong>it sûrement pas justifier ouencourager <strong>la</strong> violence <strong>de</strong>s armes. Même s’il avait chassé leschangeurs <strong>de</strong> monnaie avec le fouet, 1 il réprimanda plus tardPierre d’avoir coupé l’oreille d’un soldat en disant que « tous1Pour une excellente exposition <strong>de</strong> Matthieu 21.12-13, voir Jean <strong>La</strong>sserre, Leschrétiens et <strong>la</strong> violence, Olivétan, 2008.


L A q u ê t e d e l a p a i xceux qui prendront l’épée mourront par l’épée » (Matthieu26.52). Et toutes ses actions, jusqu’à à son <strong>de</strong>rnier soupirsur <strong>la</strong> Croix, se reflètent en ses propres paroles : « Tout ceque vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vousaussi, faites-le <strong>de</strong> même pour eux » (Matthieu 7.12).Je suis persuadé que l’épée dont Jésus parle n’a rien à faireavec quelque arme <strong>de</strong> guerre qui soit. Dans les lettres <strong>de</strong>l’apôtre Paul nous lisons comment l’épée <strong>de</strong> l’Esprit est comparéeà l’épée <strong>de</strong> l’autorité du gouvernement, qui est appeléesoit l’épée temporelle soit l’épée du courroux <strong>de</strong> Dieu. Paulconcè<strong>de</strong> que Dieu a retiré le Saint-Esprit du mon<strong>de</strong> parce queles êtres humains ne vou<strong>la</strong>ient pas lui obéir ; en échange, Dieuleur donna « l’épée » <strong>de</strong>s gouvernements terrestres, dont <strong>la</strong>stabilité et l’autorité sont fondées sur leur pouvoir militaire.Mais l’Eglise ne doit pas se servir d’armes matérielles. Ellereste fidèle envers une seule puissance : Jésus Christ. Ses vraisdisciples manient seulement l’épée <strong>de</strong> l’Esprit.Ailleurs dans <strong>la</strong> Bible, l’épée est employée comme symbole<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. Tout comme l’arme matérielle qu’elle représente,cette épée tranche tout ce qui nous attache au péché. Ellenettoie et expose (dans <strong>la</strong> Lettre aux Hébreux, expriméeainsi : « En effet, <strong>la</strong> parole <strong>de</strong> Dieu est vivante et efficace,plus tranchante que toute épée à <strong>de</strong>ux tranchants, pénétrantejusqu’à séparer âme et esprit, jointures et moelles ;elle juge les sentiments et les pensées du cœur » (Hébreux4.12). Pourtant, son <strong>de</strong>ssein n’est ni <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction, ni <strong>la</strong>mort. Citons ici le poète Bru<strong>de</strong>rhof Philip Britts, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> c’est« l’arme <strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong> <strong>la</strong> ré<strong>de</strong>mption...non pas l’armecharnelle, mais l’arme <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> Vérité. » Il ne s’agitpas d’une lutte <strong>de</strong>s hommes les uns contre les autres, mais31


L A q u ê t e d e l a p a i xdu « Créateur contre le Démon ; <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> l’é<strong>la</strong>n vers <strong>la</strong>vie, contre l’é<strong>la</strong>n vers <strong>la</strong> mort ; <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> l’amour contre<strong>la</strong> haine, <strong>de</strong> l’unité contre <strong>la</strong> séparation. »Dans l’Evangile nous lisons, « Depuis l’époque <strong>de</strong> Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume <strong>de</strong>s cieux est assailliavec force, et <strong>de</strong>s violents s’en emparent » (Matthieu 11.12).Bien que ceci soit une <strong>de</strong>s paroles plutôt mystérieuses <strong>de</strong>Jésus, <strong>la</strong> signification <strong>de</strong> « les violents » est suffisante. Nous nepouvons pas rester assis et attendre que le royaume <strong>de</strong>s Cieux,le royaume <strong>de</strong> Dieu, nous tombent sur les genoux. Il nousfaut chercher à le saisir. Comme Thomas Cahill l’exprime :« ... les passionnés, les géants, les sans contrôle, ont une meilleurechance <strong>de</strong> saisir le royaume <strong>de</strong>s Cieux, que ceux qui semaîtrisent, qui calculent, ceux dont le mon<strong>de</strong> approuve. » Cequi est intéressant, c’est que le vocabu<strong>la</strong>ire chrétien n’est pasle seul à employer un <strong>la</strong>ngage violent pour décrire <strong>la</strong> voie <strong>de</strong><strong>la</strong> <strong>paix</strong>. D’après une source musulmane, le mot jihad ne veutpas simplement dire <strong>la</strong> guerre sainte d’Is<strong>la</strong>m, mais aussi <strong>la</strong>guerre spirituelle qui prend p<strong>la</strong>ce en chacun <strong>de</strong> nous.Un grand nombre <strong>de</strong> chrétiens, <strong>de</strong> nos jours, dédaignentl’idée <strong>de</strong> guerre spirituelle. D’une part, ils disent que c’est lefruit <strong>de</strong> notre imagination, d’autre part ils jugent que <strong>la</strong> façondont on en parle a un ton trop provocateur, trop violent, et,pire que tout, trop démodé. Pourtant, <strong>la</strong> guerre cosmique entreles anges <strong>de</strong> Dieu et les armées <strong>de</strong> Satan continue <strong>de</strong> nosjours, malgré une incrédulité croissante. Pourquoi n’en pastenir compte, simplement parce que nous ne le voyons pas ?Je crois fermement que les puissances du bien et du malsont tout aussi réelles que les forces physiques qui formentnotre univers, et à moins qu’on ne puisse les discerner, il ne32


L A q u ê t e d e l a p a i xnous est pas possible <strong>de</strong> prendre part à ce combat vital. Demême que <strong>la</strong> lumière ne peut accommo<strong>de</strong>r l’obscurité, ainsi,le bien et le mal ne peuvent coexister, et donc nous <strong>de</strong>vonsdéci<strong>de</strong>r quel parti prendre.Il y a vingt-cinq ans, en tant qu’ancien, 1 mon père dressaun document auquel nous nous tenons encore. Un « engagement» signé par tous les membres <strong>de</strong> notre communauté,lors <strong>de</strong> son écriture (et auquel chaque membre se tient encoreaujourd’hui) ; ce document nous a souvent aidé à viser <strong>la</strong>racine <strong>de</strong>s problèmes avec lesquels nous luttons :Nous déc<strong>la</strong>rons <strong>la</strong> guerre à tout outrage envers l’espritd’enfance <strong>de</strong> Jésus.Nous déc<strong>la</strong>rons <strong>la</strong> guerre à toute forme <strong>de</strong> cruautéémotionnelle ou physique envers les enfants.Nous déc<strong>la</strong>rons <strong>la</strong> guerre à toute recherche <strong>de</strong> pouvoirsur les autres.Nous déc<strong>la</strong>rons <strong>la</strong> guerre à toute gran<strong>de</strong>ur humaine,et toutes les formes <strong>de</strong> vanité.Nous déc<strong>la</strong>rons <strong>la</strong> guerre à tout orgueil, y comprisl’orgueil collectif.Nous combattons l’esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> rancune, <strong>de</strong> l’envie, et<strong>de</strong> <strong>la</strong> haine.Nous déc<strong>la</strong>rons <strong>la</strong> guerre à l’esprit <strong>de</strong> rancune, d’envieet <strong>de</strong> haine.Nous déc<strong>la</strong>rons <strong>la</strong> guerre à toute curiosité vis-à-vis<strong>de</strong>s ténèbres sataniques. (extraits)Un <strong>de</strong>s plus grands risques courus à prendre les armes contrele mal, c’est <strong>de</strong> se méprendre en pensant qu’il s’agitd’un combat sur un p<strong>la</strong>n humain, les « bonnes personnes »contre les « mauvaises personnes ». On peut parler <strong>de</strong> Dieu1Titre par lequel le dirigeant <strong>de</strong>s communautés du Bru<strong>de</strong>rhof est désigné.33


L A q u ê t e d e l a p a i xet <strong>de</strong> l’Eglise en opposition à Satan et au mon<strong>de</strong>, mais enréalité, <strong>la</strong> ligne qui sépare le bien et le mal, traverse chaquecœur humain. Et, qui sommes-nous pour juger un autre quenous-mêmes ?Gandhi a donné ce conseil : « Si vous haïssez l’injustice, <strong>la</strong>tyrannie, et <strong>la</strong> convoitise, haïssez tout d’abord ces choses envous-même. » Chacun <strong>de</strong> nous crée une atmosphère autour<strong>de</strong> lui-même. En se livrant à <strong>la</strong> bonne bataille, n’oublionssurtout pas <strong>de</strong> prendre une pause ici et là en nous <strong>de</strong>mandantsi cette atmosphère est celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> peur, ou <strong>de</strong> l’amourqui chasse <strong>la</strong> peur.Il est plus facile <strong>de</strong> combattre le mal en notre prochain,plutôt qu’en soi-même. En étant horrifiés <strong>de</strong> l’état du mon<strong>de</strong>,ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> notre entourage, il nous est possible <strong>de</strong> <strong>de</strong>venirpharisaïque en notre zèle. Cependant, au lieu <strong>de</strong> gagnerles autres envers une vie nouvelle, ou <strong>de</strong> rechercher leurcœur, il est possible qu’on en finisse par se distancer d’eux.On doit tout d’abord faire <strong>la</strong> guerre contre soi-même.Glenn Swinger, un pasteur confrère, m’a récemment écrità ce propos :Suivant ma conversion, j’ai été baptisé dans ma quarantaine...j’ai confessé tous les péchés, dont j’étais conscient,j’ai mis en ordre tous mes rapports personnels, etj’ai essayé <strong>de</strong> me rendre compte combien j’avais été enopposition à Dieu. J’ai ressenti que j’étais pardonné, cequi m’a apporté <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Cependant tonpère qui m’a baptisé, m’a dit, « C’est maintenant que <strong>la</strong>vraie bataille commence. » Je ne pense pas l’avoir comprisà ce moment-là, mais je me suis dit que j’al<strong>la</strong>is y veiller.Mais, petit à petit, j’ai glissé <strong>de</strong> nouveau dans mesanciennes habitu<strong>de</strong>s, et lentement les petits démons <strong>de</strong>34


L A q u ê t e d e l a p a i xl’orgueil, <strong>de</strong> l’envie, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie, se sont insinués <strong>de</strong>nouveau en ma vie. L’expérience du baptême m’a certainementchangé, je ne peux le nier. Mais je ne suis pas<strong>de</strong>venu maître <strong>de</strong> moi-même. Je restais trop centré surmes propres expériences. Je continuais à vivre joyeusement<strong>de</strong> mes propres forces, <strong>de</strong> mes propres capacités.Je ne « priais pas, je ne veil<strong>la</strong>is pas » que <strong>la</strong> tentation nepénètre en mon cœur... et bientôt, le premier amour quim’avait attiré à Jésus Christ a été ruiné.Plus tard, mon hypocrisie a été révélée, et j’ai dû éprouver<strong>la</strong> douleur du jugement. On m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> déposermon service comme pasteur et enseignant. Je me suiséloigné du Bru<strong>de</strong>rhof pendant quatre mois, et durant cetemps j’ai pu confronter mes péchés avec honnêteté etaccepter le repentir. A mon retour, ayant reçu le pardon<strong>de</strong> ces mêmes frères et sœurs, dont je m’étais séparés,j’ai retrouvé une nouvelle liberté, joie, et <strong>paix</strong>.Les luttes reviennent chaque jour, mais, au cours <strong>de</strong>sannées, je <strong>de</strong>viens lentement conscient <strong>de</strong> <strong>la</strong> significationdu chapitre 13 <strong>de</strong> <strong>la</strong> première Lettre <strong>de</strong> Paul auxCorinthiens : « Maintenant, ces trois choses <strong>de</strong>meurent :<strong>la</strong> foi, l’espérance, et l’amour, mais <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>strois est l’amour. » Je ne dois jamais juger, ou méprisermon prochain, quelque soit sa condition. L’homme riche amis un gouffre entre lui et <strong>La</strong>zare, et dans l’au-<strong>de</strong>là leurspositions ont été inversées. Il y a <strong>de</strong>ux forces puissantesqui agissent en chacun <strong>de</strong> nous, bonnes et mauvaises,et pendant <strong>la</strong> bataille entre elles, nous sommes jugés etpardonnés sans cesse. C’est justement ainsi – en cettelutte continuelle – que nous arrivons à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> véritable.L’observation <strong>de</strong> Glenn est cruciale pour en comprendre leparadoxe : « Je ne suis pas venu apporter <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, mais lecombat, » car il touche à sa signification <strong>la</strong> plus profon<strong>de</strong>.35


L A q u ê t e d e l a p a i xL’épée du Christ, c’est Sa vérité, et nous <strong>de</strong>vons lui permettre<strong>de</strong> nous blesser profondément, et à maintes reprises, quandle péché réapparaît en notre vie. De nous endurcir, et <strong>de</strong>nous en protéger serait nous détourner <strong>de</strong> <strong>la</strong> compassion et<strong>de</strong> l’amour <strong>de</strong> Dieu.36


•<strong>La</strong> violence <strong>de</strong> l’amourSi <strong>la</strong> <strong>paix</strong> véritable exige <strong>la</strong> guerre, elle exige <strong>de</strong> même lesang, et ceci non seulement au sens figuré. Le Christ nousdéfend <strong>de</strong> nous servir <strong>de</strong> <strong>la</strong> force contre les autres, mais Ilexige <strong>de</strong> nous, d’être prêts à souffrir aux mains d’autrui. Luimême,ne nous a-t-Il pas rachetés par son sacrifice, par sonsang, comme nous le dit le Nouveau Testament ; et au travers<strong>de</strong>s siècles, <strong>de</strong>s milliers d’hommes et femmes ont suivi Sonexemple et ils ont volontiers sacrifié leur vie pour leur foi.« Mourir pour notre conviction » est une <strong>de</strong>s choses lesplus difficiles à expliquer. <strong>La</strong> plupart d’entre nous frémissentjuste à l’idée d’un spectacle sang<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> personnes en traind’être brûlées, noyées ou écartelées. Pourtant, <strong>de</strong>s témoinsont, à maintes reprises, décrit <strong>la</strong> <strong>paix</strong> remarquable dont ontfait preuve les martyrs, lors <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>rnier soupir.Dans <strong>la</strong> Chronicle of the Hutterian Brethren (<strong>La</strong> chronique <strong>de</strong>sfrères Huttériens), une histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réformation, qui contientles récits <strong>de</strong> nombreux martyrs, nous lisons l’histoire <strong>de</strong> personnesal<strong>la</strong>nt vers le bûcher, chantant joyeusement. Conrad,jeune homme sur le point d’être exécuté, est resté tellementrésolu et calme, que les spectateurs ont dit qu’ils auraientpréféré ne l’avoir jamais vu, tant ce<strong>la</strong> les rendait mal à l’aise.


L A q u ê t e d e l a p a i xPour <strong>la</strong> plupart d’entre nous, il s’agit rarement <strong>de</strong> martyre.Il est rare, en notre cas, <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir défendre notre foi,même verbalement, et l’idée <strong>de</strong> payer <strong>de</strong> notre vie semble<strong>de</strong> trop dramatique. Quand même, ce<strong>la</strong> ne fait jamais <strong>de</strong>mal <strong>de</strong> considérer <strong>la</strong> foi <strong>de</strong> ceux qui étaient prêts à souffrirpour leur foi – et <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, si nous serions prêts à lefaire nous-mêmes. N’importe qui peut contrôler ses émotionssuffisamment pour rester calme <strong>de</strong>vant les difficultésjournalières. Cependant, pour que nous gardions <strong>la</strong> <strong>paix</strong> enface d’une lutte sérieuse, ou même <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, ce doit êtrefondé sur plus que <strong>de</strong> bonnes intentions. Quelque part, ildoit y avoir une réserve plus profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> fortitu<strong>de</strong>.L’Archevêque Oscar Romero au Salvador a effleuré le secret<strong>de</strong> sa <strong>paix</strong>, quand il par<strong>la</strong>, peu <strong>de</strong> jours avant sa mort, <strong>de</strong>l’importance d’accepter « <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> l’amour ». Romerofut assassiné en 1980, à cause <strong>de</strong> sa franchise au nom <strong>de</strong>spauvres.<strong>La</strong> violence <strong>de</strong> l’amour... a <strong>la</strong>issé le Christ cloué à <strong>la</strong>Croix ; Voici <strong>la</strong> violence que nous <strong>de</strong>vons employer enversnous-mêmes, en vue <strong>de</strong> surmonter notre égoïsmeet les inégalités f<strong>la</strong>grantes parmi nous. Ce n’est pas <strong>la</strong>violence <strong>de</strong> l’épée ni <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine. C’est <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> <strong>la</strong>fraternité, <strong>la</strong> violence qui transformera les épées <strong>de</strong> guerreen faucilles, instruments <strong>de</strong> <strong>paix</strong>.L’amour du Christ est donc une force <strong>de</strong> vérité et <strong>de</strong> sainteté,qui attaque <strong>de</strong> par sa nature tout ce qui est impur et contraireà <strong>la</strong> vérité. L’amour <strong>de</strong> Jésus Christ est un amour totalementautre que l’amour prêché par beaucoup <strong>de</strong> lea<strong>de</strong>rs spirituels<strong>de</strong> notre temps, tel que l’écrivain popu<strong>la</strong>ire Marianne Williamson,qui suggère qu’afin <strong>de</strong> trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, il suffit <strong>de</strong>38


L A q u ê t e d e l a p a i xs’aimer soi-même, tels qu’on est, et d’« accepter le Christqui est déjà en nous ».Ce n’est pas étonnant que <strong>la</strong> plupart d’entre nous préféronsson enseignement. Nous savons bien que chacun portesa croix dans ce mon<strong>de</strong>, mais nous aimons mieux ne pasaller plus loin. Nous préférons <strong>la</strong> religiosité chaleureuse etbienveil<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> l’Eglise mo<strong>de</strong>rne, et <strong>la</strong> bonne volonté promise<strong>de</strong>s anges à Bethléem, plutôt que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> difficilementgagnée <strong>de</strong> Golgotha. Nous admirons l’abandon suprême<strong>de</strong> Jésus mourant – « Père, je remets mon esprit entre tesmains » – mais nous oublions son combat agonisant pendant<strong>la</strong> longue nuit précé<strong>de</strong>nte, à Gethsémani. Nous préférons <strong>la</strong>résurrection sans <strong>la</strong> crucifixion.Récemment, un verset du Livre <strong>de</strong> Jérémie m’a frappé :« Ma parole n’est-elle pas comme un feu, déc<strong>la</strong>re l’Eternel,comme un marteau qui pulvérise <strong>la</strong> roche ? » (Jérémie 23.29).Dieu fait certainement allusion à <strong>la</strong> dureté <strong>de</strong> notre cœur humain.Normalement, nous pensons à <strong>la</strong> dureté, telle qu’ellese révèle dans un criminel : un meurtrier, l’auteur d’un viol,un adultère, ou encore un voleur. Cependant, en conseil<strong>la</strong>ntles prisonniers, j’ai fait cette expérience : souvent, c’est lecriminel le plus violent qui a le cœur le plus tendre, car c’estcelui qui soit le plus conscient <strong>de</strong> son péché. Combien je désireraispouvoir en dire autant <strong>de</strong>s autres « bonnes » personnes,avec leur ego bien repu, et leur image, si soigneusementgardée. Peut-être que <strong>la</strong> pire dureté <strong>de</strong> cœur est en ceux-là,qui sont ainsi accablés.Même si nous sommes conscients <strong>de</strong> nos faiblesses, et <strong>de</strong>nos luttes personnelles, nous résistons souvent à <strong>la</strong> violence<strong>de</strong> l’amour. Nous recherchons <strong>la</strong> véritable <strong>paix</strong>, qui dure, et39


L A q u ê t e d e l a p a i xnous savons que ce<strong>la</strong> va nous coûter quelque chose. Mais,après peu, nous nous contentons <strong>de</strong> moins. Un jeune homme<strong>de</strong> notre église m’a dit un jour, « Je lutte continuellement pourtrouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>... puis, je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, ‘A quoi ce<strong>la</strong> sert <strong>de</strong> memettre dans un tél état ? Ce<strong>la</strong> en vaut-il <strong>la</strong> peine ?’ » Naturellement,je ne pouvais pas répondre pour lui. Mais, au fond,j’aurai probablement dû lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r en retour : que vaut <strong>la</strong><strong>paix</strong>, pour toi, si elle ne vaut pas <strong>la</strong> peine qu’on <strong>la</strong> défen<strong>de</strong> ?Etrange comme ce<strong>la</strong> peut paraître, ceux-là qui sont lesplus convaincus <strong>de</strong> ne pas avoir trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, sont souventles plus proches <strong>de</strong> <strong>la</strong> trouver. Robert (ce n’est pas son vrainom) est un prisonnier à vie. Il a commis un crime horrible,et le souvenir <strong>de</strong> son action le torture parfois tellement, qu’ilne peut supporter <strong>de</strong> vivre encore une journée. A d’autresmoments, son remords lui a donné un sens <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. Dansune <strong>de</strong> ses lettres récentes, il a écrit :Vous me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z si je puis écrire quelque chose à propos<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu. J’aimerais bien le faire, mais je necrois pas être à <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong> cette tâche , car je sens que<strong>la</strong> <strong>paix</strong> dont vous parlez m’a évadé tout au long <strong>de</strong> ma vie.J’ai recherché <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> différentes manières : avec mesamies, ma grand-mère, le succès, <strong>la</strong> drogue, et parfoisavec <strong>la</strong> violence et <strong>la</strong> haine ; avec le sexe, le mariage,les enfants, l’argent et les possessions. En aucune <strong>de</strong>ces choses, n’ai-je trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. C’est étrange, quandmême, car bien que je n’aie jamais eu <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, je sais ceque c’est ; c’est comme si on pouvait enfin respirer ettrouver le repos...Tout au long <strong>de</strong> ma vie (et bien encore<strong>la</strong> majorité du temps) j’ai eu l’impression <strong>de</strong> suffoquer oume noyer et <strong>de</strong>voir me livrer à une lutte constante afin <strong>de</strong>respirer et trouver ce repos.40


L A q u ê t e d e l a p a i xJ’aimerais tant avoir cette <strong>paix</strong>. J’ai appris que <strong>la</strong> seulefaçon d’avoir <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, c’est grâce à Jésus Christ, et ellem’échappe toujours, Je ne suis pas en <strong>paix</strong>, à cause <strong>de</strong> ceque j’ai fait, et son effet sur les autres, je le regrette tant.Je prie qu’une secon<strong>de</strong> chance me soit accordée, au<strong>de</strong>là<strong>de</strong> <strong>la</strong> prison <strong>de</strong> béton et d’acier <strong>de</strong>s hommes, et <strong>de</strong><strong>la</strong> prison du péché, <strong>la</strong> prison <strong>de</strong> Satan. Voilà où reposema foi et mon espoir, <strong>de</strong> savoir que Dieu puisse faire ceci.Si Dieu al<strong>la</strong>it enfin répondre à ma prière, je retrouveraiscette <strong>paix</strong>, malgré toute <strong>la</strong> douleur, les troubles, et lesluttes du passé. Ceci serait même possible, si je savaisque quelqu’un m’aimait, malgré ce que je suis et ce quej’ai fait, et qu’il me pardonne suffisamment, afin d’avoircette secon<strong>de</strong> chance...Robert semble, dans sa lettre, avoir perdu tout espoir, mais jel’ai trouvé (ainsi que d’autres qui lui ont rendu visite) définitivement« changé » <strong>de</strong>puis son arrestation, il y a trois ans.Non qu’il y soit « arrivé » ou que l’on puisse dire franchement,qu’il ait trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Mais Robert <strong>la</strong> désire ar<strong>de</strong>mment,et du fait que l’agonie <strong>de</strong> son repentir réel est profon<strong>de</strong>,il se peut qu’il soit plus proche <strong>de</strong> Dieu que bien d’entre nous.Un texte Hindou ancien, à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, <strong>La</strong> BhagavadGita, nous dit : « Même les meurtriers, les auteurs <strong>de</strong>viol... et les fanatiques les plus cruels, peuvent connaître <strong>la</strong>ré<strong>de</strong>mption, grâce au pouvoir <strong>de</strong> l’amour, s’ils cè<strong>de</strong>nt à sadure mais apaisante discipline. Au travers <strong>de</strong> transformationsdéchirantes, ils recouvriront <strong>la</strong> liberté, et leur cœursera en <strong>paix</strong>. » Et dans <strong>la</strong> Lettre aux Hébreux, nous lisons :« Certes, au premier abord, toute correction semble un sujet<strong>de</strong> tristesse, et non <strong>de</strong> joie, mais elle produit plus tardchez ceux qu’elle a ainsi exercés un fruit porteur <strong>de</strong> <strong>paix</strong> :41


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>la</strong> justice » (Hébreux 12.11). Ce verset n’est peut-être pasconnu <strong>de</strong> Robert. Cependant, dans sa lutte, il fait l’expérience<strong>de</strong> cette vérité. Il est en train <strong>de</strong> vivre <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> l’amour.42


Pas <strong>de</strong> vie sans<strong>la</strong> mortAlors que je travail<strong>la</strong>is à ce livre, ces paroles <strong>de</strong> Jésus,dans l’Evangile <strong>de</strong> Saint Jean ont surtout approfondi macompréhension <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> : « En vérité, en vérité, je vous ledis, si le grain <strong>de</strong> blé tombé en terre ne meurt pas, il resteseul; mais s’il meurt, il porte beaucoup <strong>de</strong> fruit » (Jean 12.24)et « Celui qui aime sa vie <strong>la</strong> perdra et celui qui déteste sa viedans ce mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> conservera pour <strong>la</strong> vie éternelle » (Jean12.25).De même qu’il n’y a pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong> durable sans lutte, iln’existe pas <strong>de</strong> vie véritable sans mort. Parce que nous nesommes pas confrontés à une mort imminente, nous perdons<strong>de</strong> vue ce fait important. Nous oublions ceci : afin<strong>de</strong> réaliser et <strong>de</strong> comprendre <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Jésus, il nous fautd’abord comprendre Sa souffrance. <strong>La</strong> bonne volonté, en vue<strong>de</strong> souffrir, est importante, mais elle ne suffit pas. Il nousfaut éprouver <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance. Comme mon pèrel’a dit : « <strong>de</strong> perdre pour un instant l’amour <strong>de</strong> Dieu, ou <strong>de</strong>se sentir abandonné <strong>de</strong> Dieu, même pour un instant, voilàce qui est décisif pour <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l’âme. »


L A q u ê t e d e l a p a i xPour <strong>la</strong> plupart d’entre nous, l’abandon <strong>de</strong> Dieu peut nousparaître quelque chose <strong>de</strong> négatif, n’ayant rien à voir avec<strong>la</strong> <strong>paix</strong>. C’est douloureux, et non pas agréable, apportant<strong>la</strong> souffrance, et non pas le bonheur, le sacrifice, et nonpas l’instinct <strong>de</strong> conservation. Ce<strong>la</strong> implique <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong>, <strong>la</strong>négation, l’aliénation, et l’anxiété. Pourtant, si nous <strong>de</strong>vonstrouver le sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, il nous faut le trouver dans tout ce<strong>la</strong>.<strong>La</strong> souffrance, comme le grand psychiatre juif Viktor Frankll’a indiqué, « ne peut être effacée <strong>de</strong> <strong>la</strong> palette <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Sans<strong>la</strong> souffrance, <strong>la</strong> vie humaine ne serait pas complète ».Beaucoup <strong>de</strong> gens passent leur vie en essayant d’évitercette vérité ; ils sont parmi les âmes les plus malheureusesqui soient au mon<strong>de</strong>. D’autres trouvent <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et le contentementen l’acceptant. Mary Poplin, une Américaine, qui passaquelque temps avec les Missionnaires <strong>de</strong> Charité à Calcuttaen 1996, nous dit à leur propos :Ces Missionnaires considèrent les épreuves, et les insultes,comme contribuant à l’examen <strong>de</strong> soi-même, en vue<strong>de</strong> procurer l’humilité et <strong>la</strong> patience, et d’aimer l’ennemi– occasions <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir plus saints. Même <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die estinterprétée comme moyen <strong>de</strong> se rapprocher <strong>de</strong> Dieu, afinqu’Il se révèle plus c<strong>la</strong>irement, et comme occasion <strong>de</strong>discerner les problèmes personnels <strong>de</strong> son propre caractèreplus à fond.Nous passons beaucoup <strong>de</strong> temps en essayant <strong>de</strong>calmer et d’éviter <strong>la</strong> souffrance, nous ne savons pas quoien faire lorsqu’elle survient. Nous ne savons encore moinscomment ai<strong>de</strong>r notre prochain, qui souffre. Nous combattons<strong>la</strong> souffrance, nous blâmons les individus, le systèmesocial, et nous essayons <strong>de</strong> nous protéger. Il est rare <strong>de</strong>considérer <strong>la</strong> souffrance comme un don <strong>de</strong> Dieu, qui nousappelle à <strong>de</strong>venir plus purs et plus saints.44


L A q u ê t e d e l a p a i xTandis que nous disons souvent que les crises et lestemps difficiles forment le caractère, nous les évitons autantque possible, et nous recherchons avec beaucoupd’efforts <strong>la</strong> technique qui compenserait, minimiserait, ousurmonterait <strong>la</strong> souffrance. En réalité, notre littérature, engénéral, suggère que Mère Thérèse et les Missionnairesseraient défectueuses psychologiquement dans leur acceptation<strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur et <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance. Quant à moi,ayant travaillé à leurs côtés, je sais que rien n’est pluséloigné <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. Nous, les Américains, ne sommesque rarement encouragés à prendre <strong>la</strong> responsabilité <strong>de</strong>notre propre souffrance. Cependant, chacun <strong>de</strong> nous a,tout au moins, <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> réagir à <strong>la</strong> souffrance, selonson choix, quelle que soit <strong>la</strong> situation.Pour les Missionnaires, <strong>la</strong> souffrance n’est pas simplementune expérience physique, mais une rencontrespirituelle qui nous encourage à rechercher <strong>de</strong> nouvellesréponses, à tâcher d’obtenir le pardon, à se tourner versDieu, à penser comme le Christ, et à se réjouir <strong>de</strong> ce que<strong>la</strong> souffrance ait eu un effet positif, et nous ait, finalement,aiguillonnés à l’action.Le témoignage <strong>de</strong> gens, tels que Philip Berrigan, est toutaussi significatif ; car ils ont non seulement accepté <strong>la</strong> souffrancedans leur vie, mais ils l’ont embrassée. Phil en saitplus que <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s chrétiens <strong>de</strong> nos jours, sur ce quesignifie perdre sa vie « à cause <strong>de</strong> moi ». Pour lui, répondre àl’appel <strong>de</strong> Jésus Christ à suivre <strong>la</strong> voie du disciple lui a valu<strong>la</strong> persécution, l’emprisonnement répété. Dans les annéessoixante, lui et son frère Daniel furent emprisonnés pouravoir protesté contre <strong>la</strong> guerre au Viêt-Nam, et <strong>de</strong>puis, il apassé en tout onze années <strong>de</strong>rrière les barreaux.45


L A q u ê t e d e l a p a i xL’automne <strong>de</strong> 1997 j’ai visité Phil dans une prison dansl’état <strong>de</strong> Maine, alors qu’il y était retenu pour un <strong>de</strong> sesnombreux actes <strong>de</strong> désobéissance civile. Quelques semainesplus tard il fut condamné à <strong>de</strong>ux ans <strong>de</strong> prison – <strong>de</strong>ux ans<strong>de</strong> séparation <strong>de</strong> sa femme, Elisabeth McAlister, et <strong>de</strong> sestrois enfants. Et, ce n’est pas <strong>la</strong> première fois, qu’ils ont étéséparés. Mais ni Phil, ni sa femme ne sont découragés. Unelettre touchante <strong>de</strong> Liz, à propos <strong>de</strong> leurs démarches pour<strong>la</strong> <strong>paix</strong>, si souvent mal comprises et critiquées à cause <strong>de</strong>leurs sous-entendus politiques, nous révèle leur optimismeet leur foi in<strong>la</strong>ssables :Ce n’est pas juste – à l’âge <strong>de</strong> soixante-trois ans, <strong>de</strong> faireface pour <strong>la</strong> énième fois à une sentence <strong>de</strong> prison, dansl’intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Et on doit l’accepter,sans même une audience au tribunal. Mais que pouvonsnousattendre d’autre, alors que <strong>de</strong>s millions sont emprisonnésdans le mon<strong>de</strong>, dont beaucoup souffrent <strong>la</strong>torture, et l’inanition ; ou bien ils disparaissent, perdusà leurs parents aimés.Ce n’est pas juste – nous ne pouvons pas nous réjouirchez nous, en notre nouvelle <strong>de</strong>meure que nous avonsconstruite ensemble ; admirer <strong>la</strong> floraison <strong>de</strong>s roses quenous avons transp<strong>la</strong>ntées ensemble ; manger les fruits <strong>de</strong>nos arbres ; être fiers <strong>de</strong>s enfants que nous avons élevés ;mais que pouvons-nous attendre d’autre alors que <strong>de</strong>smillions sont sans logis, <strong>de</strong>s millions sont <strong>de</strong>s réfugiés <strong>de</strong>guerre, <strong>de</strong> <strong>la</strong> famine, <strong>de</strong> <strong>la</strong> répression – leurs âmes trophébétées par <strong>la</strong> fatigue et <strong>la</strong> peur – rendues aveugles à <strong>la</strong>beauté autour d’eux, leurs espoirs et leurs cœurs briséspar <strong>la</strong> mort journalière <strong>de</strong> leurs enfants... ?Ce n’est pas juste – nous ne pouvons pas célébrer <strong>la</strong>remise <strong>de</strong>s diplômes avec nos enfants Frida et Jerry, à46


L A q u ê t e d e l a p a i xl’université. Ils aimeraient tant nous avoir avec eux pourpartager leur réussite en cette nouvelle phase <strong>de</strong> leurvie. Mais que pouvons-nous attendre d’autre, lorsque,pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s jeunes, l’éducation, l’affection <strong>de</strong> <strong>la</strong>famille, une communauté bienveil<strong>la</strong>nte, ne sont même paschoses rêvées... car ils sont les victimes <strong>de</strong>s institutionsdécrépites, soi-disant d’éducation publique, victimes, euxaussi, du manque d’avenir : leur héritage le plus f<strong>la</strong>grant<strong>de</strong> <strong>la</strong> société ?Ce n’est pas juste – nous ne pouvons pas gui<strong>de</strong>r Kateensemble, qui contemple <strong>la</strong> remise du diplôme, et l’avenird’une jeune femme...Ce n’est pas juste – <strong>la</strong> communauté, que l’on a désiréédifier et reconstruire toutes ces années, est maintenantsans nous, sans <strong>la</strong> prière, le travail, le rêve et lerire ; dépourvue <strong>de</strong> nos dons personnels, notre vision etgrâce. Mais que pouvons-nous attendre d’autre, lorsquen’importe quelle communauté est suspecte, une menace,une anomalie, quand le silence est presque total, quandles gens se recroquevillent, achetés, égarés, participantsà leur propre extinction.... ?Le sens <strong>de</strong> <strong>paix</strong> et <strong>de</strong> détermination, qui accompagne <strong>de</strong>spersonnes comme Liz et Phil, n’est pas compris et on n’en faitpas grand cas dans notre société. C’est le fruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> libertéparadoxale dans le Christ, qui nous dit : « ...je donne ma viepour <strong>la</strong> reprendre ensuite. Personne ne me l’enlève, mais je<strong>la</strong> donne <strong>de</strong> moi-même. J’ai le pouvoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> donner et j’ai lepouvoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> reprendre » (Jean 10.17-18).Pour Phil, un sacrifice, tel que d’être séparé <strong>de</strong> ses êtresaimés, est une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort que l’on doit souffrir sur lechemin qui mène à <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Ce<strong>la</strong> ne lui a pas valu <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, telle47


L A q u ê t e d e l a p a i xque le mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> donne, mais, comme il a écrit <strong>de</strong> <strong>la</strong> prison,en septembre 1997, il contemple une <strong>paix</strong> bien plus sublime :C’est en effet cette <strong>paix</strong> où personne ne domine, où il n’ya plus d’injustice, où <strong>la</strong> violence est un vestige du passé,où les armes ont disparu et les charrues sont nombreuses.C’est une <strong>paix</strong> où tous sont traités en frères et sœurs,avec respect et dignité, où chaque vie est sacrée, et oùl’avenir <strong>de</strong>s enfants est assuré. C’est un tel mon<strong>de</strong> queDieu nous appelle à réaliser.Dans notre pays, ceci peut nous valoir <strong>la</strong> prison, <strong>la</strong> perte<strong>de</strong> notre réputation, <strong>de</strong> notre profession, <strong>de</strong> notre revenu,et même d’être renié par <strong>la</strong> famille et les amis. Pourtant,dans un Etat qui se prépare chaque minute à un holocaustenucléaire, ceci signifie <strong>la</strong> liberté, l’indépendance,d’avoir une vocation, et toute une nouvelle communautéd’amis et <strong>de</strong> famille, en fait, <strong>la</strong> résurrection.Pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> nous, cette mort par <strong>la</strong>quelle nous <strong>de</strong>vonspasser est assez mondaine. Au lieu <strong>de</strong> faire face à un pelotond’exécution (comme Dostoïevski) ou à un juge fédéral(comme les frères Berrigan), nous confrontons seulement lesobstacles <strong>de</strong> notre vie journalière : surmonter notre orgueil,cé<strong>de</strong>r à quelqu’un qui nous ait fait du tort, ou à un membre<strong>de</strong> <strong>la</strong> famille ou un collègue qui soit furieux, ou frustré. Il n’ya rien d’héroïque à choisir <strong>de</strong> faire ceci. Mais « à moins que<strong>la</strong> graine ne meurt » nous ne trouverons jamais <strong>de</strong> vraie <strong>paix</strong>,et nous ne pourrons jamais <strong>la</strong> donner aux autres.<strong>La</strong>urel Arnold, membre <strong>de</strong> notre église, que je connais<strong>de</strong>puis 1950, dit :Quand je pense aux paroles <strong>de</strong> Jésus, « ... c’est ma <strong>paix</strong>que je vous donne. Je ne vous <strong>la</strong> donne pas comme le48


L A q u ê t e d e l a p a i xmon<strong>de</strong> <strong>la</strong> donne », je me souviens combien souventces versets furent lus aux enterrements, et qu’ils ne mefaisaient aucune impression.J’ai grandi dans un quartier protégé et solitaire, et jesuis <strong>de</strong>venue une personne critique et pieuse. Je vou<strong>la</strong>isêtre quelqu’un d’important, un auteur célèbre, peut-être,et je travail<strong>la</strong>is dur pour acquérir quelque distinction àl’université. Je désirais être popu<strong>la</strong>ire, cependant je jugeailes autres. J’étais idéaliste à propos du pacifisme, maistellement bourgeoise et aveugle envers l’injustice socialeet <strong>la</strong> politique du pouvoir, <strong>de</strong> <strong>la</strong> force.J’ai passé les années <strong>de</strong> guerre comme institutrice àNew York, tandis que Paul, mon mari, était en mer. Après<strong>la</strong> guerre, nous avons commencé à nous réveiller, et àvoir <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie autour <strong>de</strong> nous. Paul avait vu <strong>la</strong><strong>de</strong>struction terrible <strong>de</strong>s cités bombardées en Europe ;J’avais, moi-même, trébuché sur les ivrognes dans <strong>la</strong> rue,et j’avais gardé <strong>de</strong>s enfants, qui ne jouaient jamais sur legazon. Nous pensions ai<strong>de</strong>r une alcoolique en <strong>la</strong> menantdans notre famille, mais elle a volé notre argent qui était<strong>de</strong>stiné aux aliments.Nous nous sommes offerts à <strong>la</strong> mission <strong>de</strong> notre Eglise,et nous avons été envoyés en Afrique. Bien que nous quittions<strong>la</strong> mission plus tard, nous participions <strong>de</strong> plus enplus aux activités ecclésiales. Mais nous n’avons jamaistrouvé le rapport <strong>de</strong> cœur à cœur que nous recherchions,à cause <strong>de</strong>s propos superficiels et du commérage. Nousvoulions vivre une vie, suivant Jésus tous les jours, nonpas seulement le dimanche.Plus tard, attirés par l’idéal <strong>de</strong> <strong>la</strong> fraternité, nous avonscommencé à examiner <strong>de</strong>s questions qui ne nous avaientpas été problématiques auparavant : le matérialisme, <strong>la</strong>propriété privée, les causes <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. En 1960, noussommes venus au Bru<strong>de</strong>rhof... Abandonner <strong>la</strong> maison,49


L A q u ê t e d e l a p a i xl’automobile et mettre nos biens en commun, a été facile ;nous avons bien compris ce<strong>la</strong>. Mais, notre dogmatisme,nos nombreux principes, notre pharisaïsme, notre autoritarisme,et ayant une sûreté <strong>de</strong> nous-mêmes qui accab<strong>la</strong>itnos prochains – ce<strong>la</strong> a été plus difficile. Longtemps jecombattais d’avoir à agir en suivant les règlements, aulieu d’être guidé par l’esprit, d’être bien gentil, quand cequ’il me fal<strong>la</strong>it était d’être franche et honnête.Naturellement, nous avons eu autant <strong>de</strong> joies que <strong>de</strong>luttes, et Dieu a été fidèle encore et encore, lors <strong>de</strong> cesannées, à nous juger et nous pardonner et nous offrir <strong>la</strong>possibilité d’un nouveau commencement. Je n’aime toujourspas avoir tort – personne n’aime ça – mais j’ai reçuune telle grâce, un tel amour, dans le jugement <strong>de</strong> Dieu.A l’âge <strong>de</strong> soixante-quatorze ans, ce n’est pas l’heure <strong>de</strong>me détentre et <strong>de</strong> me choyer. Il y a encore tellement àapprendre, tellement à faire...Il y en a qui remercient Dieu d’être Ses enfants. Je n’ensuis pas si sûre. Suis-je vraiment prête à mourir ? Certainement,je ne vis pas avec sérénité, comme il en est lecas dans notre chanson : « ô rivière, je te prie, donnemoita <strong>paix</strong>... » Il y a une sorte d’impatience, <strong>de</strong> désir,en moi-même. Je pense que nous faisons tous partie <strong>de</strong><strong>la</strong> création gémissante, dont parle <strong>la</strong> Lettre aux Romains,chapitre 8. Si je me considère, moi-même, je commenceà trembler, mais si je pense à <strong>la</strong> fidélité <strong>de</strong> Dieu, au travers<strong>de</strong> ma vie – ma confiance et ma <strong>paix</strong> me reviennent.Il n’y a rien <strong>de</strong> spécial à propos <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> <strong>La</strong>urel. Cependant,<strong>la</strong> normalité <strong>de</strong> sa lutte – <strong>la</strong> tâche vitale et universelled’apprendre à vivre avec Dieu, avec ses voisins, et avecsoi-même – ne <strong>la</strong> rend non moins importante que le martyrele plus héroïque. Mon Grand-père écrit :50


L A q u ê t e d e l a p a i xQuant à ce qui concerne l’humanité en général, une seulechose est digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur du royaume <strong>de</strong> Dieu : c’estd’être prêt à mourir. Cependant, à moins <strong>de</strong> le démontrerdans les trivialités <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie journalière, nous ne pourronspas faire preuve <strong>de</strong> courage au moment critique <strong>de</strong>l’histoire. Il nous faut donc totalement surmonter notreattitu<strong>de</strong> et nos sentiments mesquins afin d’abandonnernotre propre façon <strong>de</strong> réagir face à <strong>la</strong> peur, les soucis,l’incertitu<strong>de</strong> – bref, notre incrédulité. A sa p<strong>la</strong>ce, il nousfaut avoir foi : une foi aussi petite qu’une graine <strong>de</strong> moutar<strong>de</strong>: « ... C’est <strong>la</strong> plus petite <strong>de</strong> toutes les semences,mais quand elle a poussé, elle est plus gran<strong>de</strong> que leslégumes... » (Matthieu 13.32). Voilà ce dont nous avonsbesoin, ni plus ni moins.51


•<strong>La</strong> sagesse <strong>de</strong>s fousL’Apôtre Paul écrit dans sa première Lettre aux Corinthiens: « Que personne ne se trompe lui-même: siquelqu’un parmi vous pense être sage selon les critères <strong>de</strong>l’ère actuelle, qu’il <strong>de</strong>vienne fou afin <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir sage, car <strong>la</strong>sagesse <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> est une folie <strong>de</strong>vant Dieu » (1 Corinthiens3.18-19). <strong>La</strong> sagesse <strong>de</strong>s fous (et <strong>la</strong> folie <strong>de</strong>s sages)ne semble peut-être pas être directement en rapport avec <strong>la</strong><strong>paix</strong>, pourtant, en tant qu’un thème biblique central, elle meten lumière un aspect important <strong>de</strong> notre livre. Si <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong>Dieu n’est pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, telle que le mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> donne, elle nepeut donc pas être obtenue par ceux qui suivent <strong>la</strong> sagessedu mon<strong>de</strong>, mais seulement par ceux qui choisissent <strong>la</strong> folie<strong>de</strong> Dieu.Du point <strong>de</strong> vue pratique, cette folie est souvent raillée ourejetée. C’est le cas <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> Saint François d’Assise.De nos jours il est surtout connu comme un moine inoffensif,qui a écrit <strong>de</strong>s chants adressés au soleil, et qui a vécu en<strong>paix</strong> avec les animaux et les oiseaux. Cependant St. Françoisn’était pas un poète aux manières douces. Son âme passionnéecherchait à s’i<strong>de</strong>ntifier avec les pauvres, en abandonnantnon seulement son héritage, mais, en plus les vêtements sur


L A q u ê t e d e l a p a i xson dos. Son testament ultime était si imp<strong>la</strong>cable dans sacondamnation <strong>de</strong>s richesses et <strong>la</strong> religion institutionnelle,qu’il fut confisqué, et brûlé, avant qu’il soit jugé « sain » aêtre canonisé. Et les quelques mots, qu’il nous a <strong>la</strong>issé, nousrévèlent une pénétration d’esprit, qui nous inspire à nouveau,chaque fois que nous les lisons – même s’ils sont <strong>de</strong>venusbanals par leur emploi constant.Seigneur, fais <strong>de</strong> moi un instrument <strong>de</strong> ta <strong>paix</strong>,Là où est <strong>la</strong> haine, que je mette l’amour.Là où est l’offense, que je mette le pardon.Là où est <strong>la</strong> discor<strong>de</strong>, que je mette l’union.Là où est l’erreur, que je mette <strong>la</strong> vérité.Là où est le doute, que je mette <strong>la</strong> foi.Là où est le désespoir, que je mette l’espérance.Là où sont les ténèbres, que je mette <strong>la</strong> lumière.Là où est <strong>la</strong> tristesse, que je mette <strong>la</strong> joie.O Seigneur, que je ne cherche pas tant àêtre consolé qu’à consoler,à être compris qu’à comprendre,à être aimé qu’à aimer.Car c’est en se donnant qu’on reçoit,c’est en s’oubliant qu’on se retrouve,c’est en pardonnant qu’on est pardonné,c’est en mourant qu’on ressuscite à <strong>la</strong> vie éternelle.Ceux qui se cabrent en entendant les réponses par trop religieusesd’aujourd’hui, comme Saint François, sept sièclesplus tôt, seront probablement raillés comme lui. Comme lui,ils trouveront, peut-être, que le chemin, qui mène à une <strong>paix</strong>durable, exige <strong>la</strong> disposition d’être incompris et présentéssous un faux jour.53


L A q u ê t e d e l a p a i xDans mon livre, à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort et <strong>de</strong> mourir, I Tell YouA Mystery (Je vous dis un mystère), j’ai raconté l’histoire <strong>de</strong>ma tante Edith, qui échangea sa vie confortable d’étudianteà l’université <strong>de</strong> Tübingen pour <strong>la</strong> pauvreté du Bru<strong>de</strong>rhof. <strong>La</strong>« folie » d’Edith – Hitler régnait, et notre communauté avaitété dénoncée comme menace pour l’Etat – avait tellementmis ses parents en colère, qu’ils l’avaient enfermée dans sachambre, et lui avaient refusé toute nourriture jusqu’à cequ’elle change d’avis. (Elle se fit un moyen d’échapper par<strong>la</strong> fenêtre, avec ses draps <strong>de</strong> lit.)Marjorie Hindley, personne vibrante, <strong>de</strong> quatre-vingts ans,vivant à l’une <strong>de</strong> nos communautés, en Angleterre, rencontraune résistance d’une autre sorte, mais aux tensions semb<strong>la</strong>bles:J’ai été élevée dans <strong>la</strong> religion méthodiste bien que plustard je sois <strong>de</strong>venue anglicane. Dans notre enfance, mamère priait toujours avec nous à l’heure du coucher. <strong>La</strong>morale conventionnelle était notre standard.Mon père était plutôt socialiste, et je partageais sonfort désir <strong>de</strong> justice. Maman, était plutôt conservative,et mon frère <strong>de</strong> même, et nous avions donc souvent <strong>de</strong>fortes discussions.En grandissant, je n’ai jamais perdu <strong>la</strong> foi en <strong>la</strong> doctrinechrétienne, mais je luttai pour mieux <strong>la</strong> comprendre.A seize ans, j’ai reçu un choc, et dès ce moment j’ai eubeaucoup <strong>de</strong> questions, et je vou<strong>la</strong>is en savoir plus : Uncousin d’une <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> ma c<strong>la</strong>sse avait été mis enprison, parce qu’il était objecteur <strong>de</strong> conscience. Je mesouviens d’avoir vivement protesté, un jour, chez nous,à propos d’une injustice, et ma mère m’a dit : « Attends,tu perdras bien toutes tes illusions ! » Je me suis bien54


L A q u ê t e d e l a p a i xdit, tu ne les perdras jamais, mais, plus tard, je me lesuis <strong>de</strong>mandé : seraient-ce simplement <strong>de</strong>s illusions, ouserait-ce vraiment <strong>la</strong> réalité, et tout le reste, une illusion ?Marjorie fut d’abord, secrétaire, premièrement à Manchester,puis à l’université <strong>de</strong> Cambridge ; travail p<strong>la</strong>isant, journéescourtes, longues vacances, pension payée, dans une quarantained’années... Après <strong>de</strong>ux ans elle quitta ce travail, enréfléchissant : <strong>la</strong> vie doit avoir quelque chose <strong>de</strong> plus important.Plus tard, elle étudia <strong>la</strong> psychologie industrielle. A<strong>la</strong> suite <strong>de</strong> quelques bref passages dans <strong>de</strong>s usines diverses,elle accepta une position permanente comme superviseurd’ai<strong>de</strong> sociale dans une autre usine, à Bristol.J’avais entrepris ce travail avec le désir conscient <strong>de</strong> merendre utile et d’ai<strong>de</strong>r un peu à trouver une solution à <strong>la</strong>misère du mon<strong>de</strong>, en vivant une vie plus « chrétienne ».Mais, je rencontrais plus <strong>de</strong> questions, que <strong>de</strong> réponses.Les ouvriers avaient bon cœur et s’entraidaient les uns lesautres ; mais le contremaître, pas autant ; les directeursne pensaient qu’à leur profit. Lesquels ai<strong>de</strong>r ? Les ouvriersou les directeurs ? Les ouvriers me donnaient plus que jene pouvais leur donner. Si moi je recherchais un certaincontentement, que signifiait, pour eux, ce contentement ?Qu’était <strong>de</strong>venu le premier amour <strong>de</strong>s premiers apôtres,qui se levèrent pour suivre Jésus ? Au fond, que signifiaientle christianisme et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du Christ ?J’avais caché un Nouveau Testament dans mon tiroir,que je lisais à l’heure du déjeuner, ayant fermé ma porteà clef. J’ai découvert le Sermon sur <strong>la</strong> Montagne, et jeréfléchissais là-<strong>de</strong>ssus.J’al<strong>la</strong>is à quelque Eglise ou à une autre, le dimanche, età une réunion <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse, les jours <strong>de</strong> <strong>la</strong> semaine. Unefois, à <strong>la</strong> porte du presbytère, je me suis <strong>de</strong>mandée si je55


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong>vais y entrer pour parler au pasteur – mais je ne l’ai pasfait. Une autre fois, je marchais <strong>de</strong> long en <strong>la</strong>rge, quandj’ai entendu une voix me dire très c<strong>la</strong>irement, « Ce ne serapas long, maintenant ». Pourtant, il n’y avait personne.Peu <strong>de</strong> temps après, j’ai découvert que l’un <strong>de</strong>s directeursétait Quaker, et je lui ai <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> me prêter unlivre. Il m’a apporté Le journal <strong>de</strong> George Fox, et Mystical Experience(L’expérience mystique) <strong>de</strong> Rufus Jones. Ces livresm’ont beaucoup aidée. Le soir, j’ai rencontré d’autresjeunes gens qui discutaient <strong>de</strong>s questions du jour. <strong>La</strong>guerre menaçait sur le continent. Pourquoi, les églises,ne montraient-elles pas <strong>la</strong> route à prendre ? Qu’allionsnousprendre comme position ?Finalement, les recherches <strong>de</strong> Marjorie l’ont séparée <strong>de</strong>ssources <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse religieuse conventionnelle – <strong>de</strong>sQuakers aussi, qui lui donnaient <strong>de</strong>s livres qui ne pouvaientrépondre à ses questions ; <strong>de</strong> l’église orthodoxe ang<strong>la</strong>isequi encourageait ses évêques lorsqu’ils écrivaient <strong>de</strong>sdrames à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, mais refusaient <strong>de</strong> les soutenirlorsqu’ils prononçaient contre le conflit qui se préparait avecl’Allemagne. Lors d’une visite au Bru<strong>de</strong>rhof, a-t-elle dit, jesus ce que je <strong>de</strong>vais faire.Tout à coup, au beau milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvreté, le nettoyageet le <strong>la</strong>vage <strong>de</strong>s légumes, j’ai su ce que je <strong>de</strong>vais faire. Ilme fal<strong>la</strong>it recommencer <strong>de</strong> nouveau. Il me fal<strong>la</strong>it renoncerà tout ce que je savais être mal, et dédier ma vie à suivreJésus. <strong>La</strong> lumière qui m’est venue était étonnante – c’étaitune découverte <strong>de</strong> joie, <strong>de</strong> conviction, et <strong>de</strong> <strong>paix</strong>.Marjorie se joignit au Bru<strong>de</strong>rhof, bien qu’elle soit <strong>la</strong> premièreà protester, si son histoire al<strong>la</strong>it signifier que l’on doit <strong>de</strong>venirmembre d’une église, ou communauté, afin <strong>de</strong> trouver <strong>la</strong>56


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>paix</strong>. Sa foi en l’appel du Christ à <strong>la</strong> voie radicale du disciple,est cependant in<strong>la</strong>ssable. Comme elle l’a indiqué à <strong>de</strong>sdizaines <strong>de</strong> jeunes personnes au travers <strong>de</strong>s années, <strong>la</strong> véritable<strong>paix</strong> nous vient seulement si nous suivons notre cœur« en dépit <strong>de</strong> l’opposition <strong>de</strong> nos parents, nos directeurs, noscollègues, nos amis, et même notre église ».<strong>La</strong> comp<strong>la</strong>isance nous aveugle souvent sur les vrais problèmes<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Nous nous sentons matériellement et spirituellementsi satisfaits <strong>de</strong> notre civilisation, que nous n’essayonsmême pas <strong>de</strong> rester éveillés en nous-mêmes, et <strong>de</strong> soulever<strong>de</strong>s questions élémentaires, comme celles <strong>de</strong> Marjorie. Ceciest, au mieux, très dommage, car nous perdons ainsi <strong>la</strong>chance d’éprouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> que l’on gagne en recherchantnos propres réponses. Au pire, c’est <strong>de</strong> l’aveuglement religieux,sinon <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie. <strong>La</strong> romancière Annie Dil<strong>la</strong>rd écrit :En général, les chrétiens ne me semblent pas, en <strong>de</strong>hors<strong>de</strong>s catacombes, suffisamment conscients <strong>de</strong>s conditions.Ne sont-ils aucunement conscients <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance qu’ilsinvoquent aussi tranquillement ? Ou bien, comme je lesoupçonne, n’en croient-ils pas un mot ? Les Eglises sont<strong>de</strong>s enfants, qui jouent sur le tapis avec leurs jeux <strong>de</strong>chimie, mé<strong>la</strong>ngeant un monceau <strong>de</strong> TNT pour passer letemps. C’est fou <strong>de</strong> s’habiller en velours et chapeau <strong>de</strong>paille pour aller à l’église ; nous <strong>de</strong>vrions plutôt mettrenos casques protecteurs. Les p<strong>la</strong>ceurs <strong>de</strong>vraient plutôtdistribuer <strong>de</strong>s gilets <strong>de</strong> sauvetage et <strong>de</strong>s torchères <strong>de</strong> sécurité.Car, il se pourrait que notre Dieu, endormi, seréveille un jour, et qu’Il soit offensé ; ou bien qu’une foisréveillé, notre Dieu nous mène là, d’où nous ne pourronsplus jamais revenir.57


•<strong>La</strong> force <strong>de</strong> <strong>la</strong>faiblesseJ’ai souvent pensé que l’adage paradoxal <strong>de</strong> Jésus le plusdifficile – du moins, au sens <strong>de</strong> le mettre en pratique – estpeut-être le verset dans Matthieu, où Jésus vient <strong>de</strong> remarquerun enfant. Il se tourne vers ses disciples, et il leur ditque « celui qui se rendra humble comme ce petit enfant serale plus grand dans le royaume <strong>de</strong>s cieux » (Matthieu18.4).Devenir comme un enfant, ce<strong>la</strong> implique d’oublier toutce que <strong>la</strong> société nous a appris, à propos <strong>de</strong> grandir. Ce<strong>la</strong>veut dire surmonter <strong>la</strong> tentation d’apparaître forts. Ce<strong>la</strong> veutdire, être prêts à souffrir, plutôt que <strong>de</strong> nous protéger nousmêmes.Ce<strong>la</strong> signifie : reconnaître nos limites et nos pointsfaibles, et leurs faire face, avec humilité.Le Christ a guéri les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, nourri <strong>la</strong> foule, changé l’eauen vin, et marché sur <strong>la</strong> mer. Tout pouvoir était à ses ordres.Mais lorsqu’Il fut arrêté, amené <strong>de</strong>vant Pi<strong>la</strong>te, raillé, frappéà coups <strong>de</strong> fouet, et crucifié, il refusa <strong>de</strong> se défendre. Nonplus n’avait-il choisi d’être né dans un pa<strong>la</strong>is, mais dans <strong>la</strong>mangeoire d’une étable.


L A q u ê t e d e l a p a i xLe Christ a choisi <strong>la</strong> « faiblesse » <strong>de</strong> <strong>la</strong> soumission, et voilà,peut-être, le secret <strong>de</strong> sa <strong>paix</strong>. Dorothy Day écrit :On nous dit <strong>de</strong> nous revêtir du Christ, et nous pensons àlui dans sa vie privée, sa vie <strong>de</strong> travail, sa vie publique,son enseignement, et sa vie <strong>de</strong> souffrance. Mais nousne pensons pas suffisamment à sa vie en tant que petitenfant ou bébé. Son impuissance. Sa dépendance <strong>de</strong>sautres. Il nous faut accepter cet état aussi, incapable <strong>de</strong>faire ou accomplir quoi que ce soit.Gertru<strong>de</strong> Wegner, membre du Bru<strong>de</strong>rhof qui avait dans lessoixante-dix ans, fut forcée d’accepter cet état quand unacci<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> paralysa:J’assistait à une exposition, avec mon mari, à Washington,DC ; je suis tombée, et ma colonne vertébrale a été sérieusementblessée. J’ai su immédiatement que ma conditionétait critique ; j’avais perdu toute sensation, et j’étaisparalysée, du cou jusqu’aux pieds.Deux opérations m’ont certainement aidée mais les heures<strong>de</strong> thérapie – <strong>de</strong>ux routines par jour – nécessitaient untravail <strong>la</strong>borieux, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> persévérance. C’était épuisant.Et, mon mé<strong>de</strong>cin ne savait même pas si j’al<strong>la</strong>is regagner<strong>la</strong> mobilité... Mon acci<strong>de</strong>nt m’a enseigné l’humilité, parceque chaque petite chose <strong>de</strong>vait être faite pour moi. Demois en mois, il y avait un peu d’amélioration, mais c’étaitune lutte pénible. Il y a eu <strong>de</strong>s moments difficiles, maisj’ai appris <strong>de</strong> même à accepter mon incapacité. J’essayais<strong>de</strong> me rappeler les paroles <strong>de</strong> Saint Paul : « Ma grâce tesuffit, car ma puissance s’accomplit dans <strong>la</strong> faiblesse » (2Corinthiens 12.9).Il y a eu d’autres luttes personnelles, mais en chacuned’elles mon désir intense <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, et <strong>la</strong> conviction que je<strong>la</strong> retrouverais, m’a toujours accompagnée. Il me semble59


L A q u ê t e d e l a p a i xque si on a, une fois dans sa vie, fait l’expérience <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>paix</strong>, elle nous revient toujours.En réfléchissant sur mon passé, je regrette beaucoupcertaines choses. De ne pas avoir été une meilleure mèrepour mes enfants. De ne pas avoir passé plus <strong>de</strong> tempsavec mon père, alors qu’il mourait du cancer. J’aurais dûmontrer plus d’amour à ma mère, surtout à ce momentlà,et <strong>la</strong> mieux soutenir. J’aurais dû être plus gentille avecautrui... Il y a tant <strong>de</strong> choses que nous aimerions avoirfait différemment, mais ce<strong>la</strong> ne sert à rien. Tout ce quenous pouvons faire, c’est d’accepter nos limites, et <strong>de</strong>recommencer à zéro chaque jour.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> me vient en espérant pouvoir servir Jésus etmes frères et sœurs, jusqu’à <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière minute <strong>de</strong> mavie, bien que ce soit présomptueux <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r une tellegrâce. Plus je vieillis, plus il m’est c<strong>la</strong>ir que personne ne« possè<strong>de</strong> » cette <strong>paix</strong>, entièrement imméritée.Les pensées <strong>de</strong> Gertru<strong>de</strong> touchent à une vérité importante :plus nous avons confiance en nous-mêmes, en notre propreforce et en nos capacités, moins nous l’avons en Jésus Christ.Notre faiblesse humaine n’est pas un obstacle pour Dieu. Enfait, à moins que nous ne nous en servions comme excusepour le péché, c’est une bonne chose d’être faible. Mais accepternotre faiblesse est plus qu’admettre nos limites ; c’estéprouver un pouvoir beaucoup plus puissant que le nôtre,et nous y soumettre.Voici <strong>la</strong> source <strong>de</strong> <strong>la</strong> grâce : le démantèlement <strong>de</strong> notrepouvoir. Même si quelque peu <strong>de</strong> pouvoir s’élève en nous,l’Esprit et l’autorité <strong>de</strong> Dieu se retirent à un <strong>de</strong>gré correspondant.A mon avis, c’est là le seul aperçu importantconcernant le royaume <strong>de</strong> Dieu.Eberhard Arnold60


L A q u ê t e d e l a p a i xKathy Trapnell, autre membre <strong>de</strong> notre communauté, témoigne<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> ces paroles, dans sa vie et sa recherche:J’ai été en quête <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong>puis que j’ai été assez agéepour ressentir le manque <strong>de</strong> <strong>paix</strong> au sein <strong>de</strong> ma proprefamille. Au cours <strong>de</strong> mes étu<strong>de</strong>s catholiques (<strong>de</strong>puis <strong>la</strong>première année jusqu’à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l’université), je luttaitoujours pour avoir <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans mon cœur, et dans celui<strong>de</strong> mes amies. Lorsqu’une bonne petite catholique serend compte <strong>de</strong> s’être mal conduite, elle le regrette, etelle se hâte à le confesser. Comme je me souviens biendu bien-être ressenti, après chaque confession ! Mêmeà l’université, une ou <strong>de</strong>ux fois, je me suis confesséepubliquement à un Jésuite <strong>de</strong> ma connaissance, et le sentimentd’être réconciliée avec Dieu était pour moi unesource <strong>de</strong> <strong>paix</strong>.Puis vint <strong>la</strong> rébellion <strong>de</strong> mes années d’étudiante, monétape <strong>de</strong> « hippie », dont j’étais fière, et ma colère contrele statu quo et tout ce que je jugeais y être contre <strong>la</strong><strong>paix</strong> et l’amour. Je pensais travailler pour <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>paix</strong> – vou<strong>la</strong>nt mettre fin à <strong>la</strong> guerre au Vietnam, avec lesmanifestations, les chants, <strong>la</strong> résistance, et ainsi <strong>de</strong> suite.Je pensais pouvoir donner justice au sort <strong>de</strong>s travailleursmigrants avec le boycottage <strong>de</strong>s raisins, en causant duchaos dans les supermarchés qui les vendaient. Je vou<strong>la</strong>ispartager tout ce que je possédais ; je faisais du yoga,mettais mon argent en commun avec <strong>de</strong>s autres, et j’aiappris à me contenter <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie dans un collectif.Mais tout ce<strong>la</strong> ne m’a pas apporté <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Je sais,maintenant, que mon orientation était vraiment tout àfait fausse. Non pas que le but, en lui-même, était erroné.Mais, j’étais moi-même, mon propre dieu ; j’étais moimêmele critère par lequel je jugeais ma vie et <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>61


L A q u ê t e d e l a p a i xmon prochain. Enfonçée dans le péché, j’étais sciemmentmon propre patron, et je vou<strong>la</strong>is m’efforcer <strong>de</strong> faire toutmoi-même. Ça ne marche pas.Plus tard, j’ai découvert un esprit <strong>de</strong> <strong>paix</strong> complètementdifférent – <strong>la</strong> <strong>paix</strong> d’une foi, qui admet, et fait faceà nos faiblesses. C’est une <strong>paix</strong> qui nous mène vers JésusChrist et le royaume, le règne futur <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Prenantconscience <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>, je ressentais ma coupabilité ; j’étaisconsciente <strong>de</strong> mon égoïsme, et qu’au fond je n’étais pasen <strong>paix</strong> avec moi-même. Cependant, en cédant ma vie àDieu – non seulement à son amour, mais aussi à son jugement– et, en me sacrifiant au service <strong>de</strong> mon prochain,j’ai trouvé maintenant une nouvelle force, et j’éprouve<strong>de</strong>s miracles <strong>de</strong> <strong>paix</strong> tous les jours.Dans notre société, on est conduit loin <strong>de</strong> cette compréhension<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. On nous enseigne <strong>de</strong> traiter le jugementcomme un affront, d’être responsable et <strong>de</strong> se maîtriser.Nous voulons tous <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et l’amour ; aucun <strong>de</strong> nous nenierait que ce soient <strong>de</strong> bonnes qualités. Mais nous arrêterpour nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si nous les possédons en notre proprecœur, c’est bien différent. Il vaut mieux ne pas en parler.Peut-être est-ce <strong>la</strong> raison pour <strong>la</strong>quelle, bien que noussoyons nombreux à vouloir <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et à <strong>la</strong> rechercher, nousne <strong>la</strong> trouvons pas. Nous sommes trop affectés par notrepropre rôle dans cette quête. Il nous manque <strong>la</strong> simplicité etl’humilité ; au lieu <strong>de</strong> nous tourner vers Jésus, et <strong>de</strong> lui prier<strong>de</strong> nous donner Sa <strong>paix</strong>, nous nous faisons du souci sur ceque les autres pensent <strong>de</strong> notre intégrité. Nous oublions queles Béatitu<strong>de</strong>s ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt pas <strong>de</strong>s célébrités, <strong>de</strong>s Saints,<strong>de</strong>s personnes qui se font remarquer, mais au contraire, <strong>de</strong>spersonnes humbles.62


L A q u ê t e d e l a p a i xL’écrivain Henri Nouwen, qui abandonna une carrière illustreà Harvard, à Yale, et à Notre Dame, en vue <strong>de</strong> servirles personnes handicapées, a compris ceci mieux que <strong>la</strong>plupart d’entre nous :Nous avons été appelés à être fructueux – non pas àavoir du succès, ou à être productifs, ou accomplis. Lesuccès a sa source en <strong>la</strong> force, en <strong>la</strong> tension et en l’efforthumain. L’accomplissement et <strong>la</strong> réalisation a sa sourceen <strong>la</strong> vulnérabilité, et en <strong>la</strong> reconnaissance <strong>de</strong> notre proprefaiblesse.J’ai longtemps recherché <strong>la</strong> sécurité parmi les personnesintellectuelles et intelligentes, à peine conscient <strong>de</strong>ce que les affaires du royaume sont révélées aux petitsenfants,<strong>de</strong> ce que Dieu a choisi ceux qui, selon <strong>la</strong> normehumaine, sont les insensés en vue <strong>de</strong> faire honte auxsages. Cependant, lorsque j’ai éprouvé l’accueil affectueux,sans prétention, <strong>de</strong> ceux qui n’ont rien <strong>de</strong> quoise vanter, et ai expérimenté l’étreinte <strong>de</strong> personnes quine posaient aucune question, j’ai commencé à me rendrecompte qu’un retour au « bercail » spirituel signifieun retour aux pauvres d’esprit auxquels le royaume <strong>de</strong>scieux appartient.Qu’est-ce qui motive une personne à rechercher une tellepauvreté d’esprit ? Mon Grand-père écrit :Ceci est alors un conflit entre <strong>de</strong>ux buts opposés. L’un <strong>de</strong>sbuts est <strong>de</strong> rechercher <strong>la</strong> personne <strong>de</strong> haute situation, <strong>la</strong>personne importante, <strong>la</strong> personne spirituelle, intellectuelle,adroite, <strong>la</strong> personne bien, <strong>la</strong> personne, qui, en raison<strong>de</strong> ses talents naturels, représente un haut sommet,pour ainsi dire, <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong>s montagnes <strong>de</strong> l’humanité.L’autre but est <strong>de</strong> rechercher les personnes humbles, <strong>la</strong>63


L A q u ê t e d e l a p a i xminorité, les handicapés mentaux, les prisonniers : lesvallées <strong>de</strong>s humbles entre les sommets <strong>de</strong>s grands. Cesont les dégradés, les esc<strong>la</strong>ves, les exploités, les faibleset les pauvres, les plus pauvres parmi les pauvres. Lepremier vise à exalter l’individu, en vertu <strong>de</strong> ses dons naturels,l’élevant à un niveau quasi-divin. Finalement on enfait un dieu. L’autre but poursuit le miracle et le mystère<strong>de</strong> « Dieu <strong>de</strong>venu homme », <strong>de</strong> Dieu à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong>p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> plus humble parmi les hommes.Deux directions complètement opposées. L’une estl’é<strong>la</strong>n vers <strong>la</strong> glorification <strong>de</strong> soi-même, l’autre un mouvementvers le bas afin <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir plus humain. <strong>La</strong> premièrevoie est celle <strong>de</strong> l’amour-propre et l’exaltation <strong>de</strong> soi ;l’autre est <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> l’amour <strong>de</strong> Dieu et l’amour pourson prochain.Lorsqu’une personne a reçu <strong>la</strong> <strong>paix</strong> qui provient d’unevie vécue en cet amour, il n’y a rien auquel elle ne puisses’affronter. Pensez à Jésus sur <strong>la</strong> Croix : vulnérabilité ultime,mais aussi l’exemple suprême <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu. Malgrétout ce qu’on lui avait fait, Il ne s’apitoyait aucunement surson sort. Au contraire Il se tourna vers un <strong>de</strong>s criminels àcôté <strong>de</strong> lui pour le pardonner. Jésus fut capable <strong>de</strong> prononcerces paroles : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pasce qu’ils font » (Luc 23.34). Puis, il y a Etienne, le premiermartyre chrétien, qui, agenouillé, regarda vers le ciel, <strong>la</strong> figureradieuse, tandis qu’on lui jetait <strong>de</strong>s pierres pour le tuer.Lui aussi a dit, « Seigneur, ne les charge pas <strong>de</strong> ce péché ! »(Actes 7.60). Je ne crois pas qu’une telle <strong>paix</strong> puisse êtreobtenue par <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> l’homme.64


IVTremplins« nous progressons pas à pas. »l’Apôtre Paul


•TremplinsThomas Jefferson était tellement convaincu que <strong>la</strong> poursuitedu bonheur était un droit humain, inaliénable, qu’il l’écrivitdans <strong>la</strong> Déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> l’Indépendance et l’appe<strong>la</strong> une véritéqui va <strong>de</strong> soi. Mais les chrétiens ajoutent ceci : tous ceux quipoursuivent le bonheur, ne le trouvent jamais. Puisque <strong>la</strong>joie et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> sont extrêmement évasives, le bonheur n’estqu’une chimère, un fantôme, et même si nous étendons <strong>la</strong>main pour le saisir, il disparaît. Dieu donne <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong>joie, non pas à ceux qui les poursuivent, mais à ceux quiLe poursuivent et qui essaient <strong>de</strong> vivre l’amour. <strong>La</strong> joie et <strong>la</strong><strong>paix</strong> sont là, si on aime son prochain, et nulle part d’autre.John StottBien que ce soit difficile d’accepter, <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>paix</strong> dans notre vie ne dépend pas <strong>de</strong> notre effort assidupour <strong>la</strong> possé<strong>de</strong>r. C’est simplement un fait, que <strong>la</strong> <strong>paix</strong>échappe à ceux qui <strong>la</strong> poursuivent le plus assidûment, tandisque ceux qui ne <strong>la</strong> recherchent pas forcément – à qui ce<strong>la</strong>n’avait même pas effleuré l’esprit – <strong>la</strong> rencontrent, commepar hasard. De plus, <strong>la</strong> Bible contient <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> versets,comme dans <strong>la</strong> Première Lettre <strong>de</strong> Pierre 3.11, qui nous dit


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong> nous détourner du mal, <strong>de</strong> faire le bien, et d’essayer <strong>de</strong>vivre en <strong>paix</strong> « même si tu dois <strong>la</strong> poursuivre et <strong>la</strong> tenir à<strong>de</strong>ux mains ».Nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si nous <strong>de</strong>vons poursuivre activementou non <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est une question qui ne sera jamais résolueà notre satisfaction. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> est un thème vaste, et si nousl’adressons par <strong>de</strong>s généralisations hâtives ce<strong>la</strong> n’ai<strong>de</strong>ra personne.Rechercher <strong>de</strong> noble solution, telle que celle d’essayer<strong>de</strong> sauver l’humanité ou d’instaurer <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans le mon<strong>de</strong>ne nous ai<strong>de</strong>ra non plus. Pour <strong>la</strong> plupart d’entre nous, ilne nous manque pas d’engagements à remplir juste à nosportes – <strong>de</strong>s tâches menues peut-être, mais qui exigent notreattention, aujourd’hui. C’est pourquoi je pense que lesparoles <strong>de</strong> Stott nous donnent peut-être une autre solutionpour atteindre <strong>la</strong> <strong>paix</strong> : au lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> poursuivre pour ellemême,nous <strong>de</strong>vrions <strong>la</strong> rechercher en aimant notre prochaind’un amour actif. Paul suggère <strong>de</strong> même dans sa Lettre auxRomains : « Ainsi donc, recherchons ce qui contribue à entretenir<strong>la</strong> <strong>paix</strong> et à nous faire grandir mutuellement dans <strong>la</strong>foi » (Romains 14.19). Chacun <strong>de</strong> nous peut aimer, et chacun<strong>de</strong> nous peut trouver, dans quelque coin <strong>de</strong> nos vies, quelquechose à faire qui conduit à <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Naturellement, avant d’agir il faut se déci<strong>de</strong>r à le faire. <strong>La</strong>parole <strong>de</strong> Jésus, « Je vous <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, je vous donne ma<strong>paix</strong>. Je ne vous <strong>la</strong> donne pas comme le mon<strong>de</strong> donne » (Jean14.27), est une promesse. Mais cette parole nous invite, <strong>de</strong>même, à faire un choix. Nous pouvons recevoir <strong>la</strong> <strong>paix</strong> queJésus nous offre, ou lui tourner le dos et rechercher <strong>la</strong> <strong>paix</strong>que le mon<strong>de</strong> nous donne. C’est un choix parmi plusieurs,mais j’ose dire que c’est le choix le plus crucial, car ses67


L A q u ê t e d e l a p a i xse détournaient du triomphe trompeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> richesse et <strong>de</strong><strong>la</strong> guerre, et recherchaient quelque chose <strong>de</strong> nouveau : <strong>la</strong>simplicité, <strong>la</strong> communauté, l’harmonie, <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Du jour où nous sommes arrivés à Woodcrest, j’étais exposéà cette recherche. Il y avait <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> visiteurs (pour<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s jeunes) et <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> nouveaux membres<strong>de</strong> milieux très différents, et leurs questions me forçaient àréfléchir plus que jamais. C’étaient <strong>de</strong>s gens qui, d’après le<strong>la</strong>ngage du mon<strong>de</strong>, avaient « réussi » et qui pourtant avaientchoisi <strong>de</strong> jeter tout ce<strong>la</strong> par <strong>la</strong> fenêtre en échange d’une viedévouée à Dieu. En effet, c’étaient <strong>de</strong>s gens qui vendaient volontairementleurs maisons et leurs autos, qui abandonnaientleurs occupations <strong>de</strong>s plus rémunératrices, pour <strong>de</strong>venirpauvres. Je pouvais bien voir, à leur apparence et leurs paroles,qu’ils s’épanouissaient et trouvaient <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie. Bientôt,ce qui m’avait semblé jusqu’alors si désirable perdit <strong>de</strong> sonimportance, et mes projets <strong>de</strong> vie après le lycée – université,argent et indépendance d’adulte – ont commencé à changer,et à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> plus en plus insignifiants. J’avais <strong>de</strong> nouveauxbuts, et <strong>de</strong> nouvelles priorités.Il est difficile <strong>de</strong> préciser l’évènement le plus important quichangea <strong>la</strong> direction que j’avais prise. Je me souviens encoredu jour où je par<strong>la</strong>is à mes parents <strong>de</strong> ma décision <strong>de</strong> vivredifféremment – pour Dieu, et non pas pour moi-même – àpartir <strong>de</strong> ce moment-là. Je ne suis pas sûr que je peut en parlercomme une « conversion » définitive. Mais ce fut certainementune expérience importante qui renforça mon désir <strong>de</strong> trouverma véritable « raison <strong>de</strong> vivre » et d’approfondit ma conviction.Des livres comme les romans et les nouvelles <strong>de</strong> Tolstoï et<strong>de</strong> Dostoïevski, ont beaucoup aidé à former mes réflexions,71


L A q u ê t e d e l a p a i xbien que je n’en fusse pas conscient alors. Je lisais avi<strong>de</strong>ment,mais je ne considérais pas ces livres comme étant « religieux ».Des conversations avec <strong>de</strong>s hôtes, tels que Dorothy Day etPete Seeger, m’ont beaucoup influencé aussi. Je me rendscompte du rôle que mes parents ont joué, bien que je n’en fuspas conscient en ce temps – du moins pas jusqu’à ce que jevis leurs <strong>la</strong>rmes en m’entendant parler <strong>de</strong> mon changement<strong>de</strong> cœur. Ils ont dû bien souvent prier pour moi avec ferveur.Peut-être que le facteur le plus important en ces annéesfut l’influence <strong>de</strong> mon père qui était pasteur. J’étais frappéen voyant Papa baptiser d’autres personnes. Je ressentaisun esprit <strong>de</strong> sainteté, <strong>de</strong> Dieu, et ce sentiment fut confirméplus tard quand je voyais <strong>la</strong> transformation qui s’opéraitdans ceux qu’il avait baptisé. Le changement dans quelquesunsétait tellement radical qu’ils semb<strong>la</strong>ient être, pour ainsidire, revêtus d’une nouvelle personnalité. Je vou<strong>la</strong>is <strong>la</strong> mêmechose pour moi-même – une rupture totale avec mes luttespersonnelles et mon égocentrisme, afin <strong>de</strong> trouver <strong>la</strong> joie et<strong>la</strong> liberté d’une vie nouvelle. Quand je fus baptisé à l’âge <strong>de</strong>dix-huit ans, ce fut un moment décisif : je fus certain quejamais je ne pourrais faire <strong>de</strong>mi-tour, je <strong>de</strong>vais dédier mavie, entièrement et pour toujours, à Dieu.J’ai déjà cité un rabbin qui tint le propos que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> doitêtre construite « brique sur brique ». L’image est très bonne.Une conversation, une lecture, une expérience qui nousémeut (sans pouvoir expliquer pourquoi), une décision –seules, elles ne pourraient jamais changer notre vie. Maispris ensemble, elles nous forment en ce que nous sommesaujourd’hui. Au fond, ce sont ces choses, qui soit nousempêchent <strong>de</strong> trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, soit nous y conduisent.72


L A q u ê t e d e l a p a i xJ’ai rencontré <strong>de</strong>s gens qui pouvaient me dire le momentexact où ils furent convertis et comment ça s’est passé, etje ne doute pas <strong>de</strong> leur sincérité. Mais, sans doute, pour<strong>la</strong> plupart d’entre nous, nous nous i<strong>de</strong>ntifions mieux avecl’écrivain ang<strong>la</strong>is défunt, Malcolm Muggeridge. Il écrivit :Quelques-uns, tels que l’Apôtre Paul, ont <strong>de</strong>s expériencessur <strong>la</strong> route <strong>de</strong> Damas ; j’ai moi-même prié qu’une telleexpérience dramatique m’arrivent aussi, qui, pour ainsidire, me re<strong>la</strong>ncerait sur un nouveau calendrier, tel avantJC jusqu’après JC. Mais <strong>de</strong> tels évènements ne m’ont pasété accordés, et je me suis simplement mis en marche,comme dans Le voyage du pèlerin <strong>de</strong> Bunyan.Pour moi, aussi, <strong>la</strong> conversion ne fut pas un pas en avant,mais plutôt une étape. D’abord un désir ar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> trouverquelque chose <strong>de</strong> nouveau, puis ma décision <strong>de</strong> vivre pourmon prochain, puis le baptême. Aujourd’hui, quarante ansplus tard, je me pose encore <strong>de</strong> nouvelles questions et jetrouve <strong>de</strong> nouvelles réponses. Ici encore, l’image <strong>de</strong> tremplinsvient à l’esprit.Chacune <strong>de</strong>s sections suivantes nous offre <strong>de</strong> telles prises<strong>de</strong> pied. Elles ne sont pas toutes lisses ou sans danger.Certaines, comme l’humilité et <strong>la</strong> confiance, impliquent durisque, et peuvent même <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s pierres d’achoppement.Cependant, sur le sentier <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, chaque obstacle doitêtre franchi.73


•<strong>La</strong> simplicitéL’objet <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie n’est pas d’être du côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> majorité,mais d’éviter d’être mis au rang <strong>de</strong>s fous... Rappelons-nousqu’il existe un Dieu qui ne désire ni louanges, ni gloire, <strong>de</strong>shommes créés en Son image ; mais, plutôt qu’ils soientguidés par <strong>la</strong> raison, <strong>la</strong> faculté du raisonnement, et ainsi,Lui ressembler, et agir comme Lui. Le figuier est fidèle à son<strong>de</strong>stin, le chien <strong>de</strong> même, et les abeilles aussi. Est-ce possible,alors, que l’homme ne remplisse pas sa vocation ?Mais hé<strong>la</strong>s, ces sublimes vérités nous échappent. Le remueménage<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie journalière, <strong>la</strong> guerre, <strong>la</strong> peur sans raison,<strong>la</strong> paresse spirituelle, et <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong> habituelle les étouffent.Marc AurèlePour <strong>la</strong> plupart d’entre nous, le désir <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ne provientpas d’essayer noblement d’être uni à Dieu, bien que cedésir grandisse le long du chemin. Généralement, <strong>la</strong> raisonest plus simple : on est insatisfait avec les tensions et lespressions journalières <strong>de</strong> notre vie, et on a peur – comme ledit Aurèle – <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir fou.Notre civilisation n’est pas seulement marquée par <strong>la</strong>frénésie, mais poussée par elle. Nous sommes obsédés


L A q u ê t e d e l a p a i x(pour citer Thomas Merton) par notre manque <strong>de</strong> tempset d’espace, <strong>de</strong> gagner du temps, <strong>de</strong> conquérir l’espace, <strong>de</strong>conjecturer sur l’avenir, et <strong>de</strong> « nous inquiéter sur <strong>la</strong> dimension,le volume, <strong>la</strong> quantité, <strong>la</strong> vitesse, le nombre, le prix, <strong>la</strong>force, et l’accélération ». Nous vivons, il continue, au « tempsd’aucune p<strong>la</strong>ce, ce qui est <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s temps ».Nous sommes comptés par milliards, amassés ensemble,rassemblés, numérotés, menés ici et là, taxés, exercés,armés... écœurés <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Et comme <strong>la</strong> fin approche, iln’y a plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong> nature. Elle est rayée <strong>de</strong> <strong>la</strong>face <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre par les cités. Il n’y a pas <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong>tranquillité. Il n’y a pas <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong>. Il n’y apas <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce pour <strong>la</strong> réflexion. Il n’y a pas <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce pour<strong>la</strong> sensibilité, pour prendre conscience <strong>de</strong> notre état.Le pire est qu’il ne nous manque pas que <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> – dutemps, <strong>de</strong> l’espace, un <strong>de</strong>meure – pour nous-mêmes ; nousempêchons les autres <strong>de</strong> les avoir.Rien qu’au cours <strong>de</strong>s vingt-cinq <strong>de</strong>rnières années, <strong>de</strong>snouvelles inventions et une hausse au niveau <strong>de</strong> vie onttotalement transformé notre mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vivre. Les ordinateurset télécopieurs, les mobiles et <strong>la</strong> TSF, le mél et d’autres technologies<strong>de</strong> pointe qui allègent le travail ont révolutionnénotre travail et notre vie familiale. Cependant, nous ont-ellesdonné <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> liberté qu’elles promettaient ?Sans en être conscient, nous sommes <strong>de</strong>venus tout aumoins engourdis, pas loin d’avoir subi un <strong>la</strong>vage <strong>de</strong> cerveauavec notre passion pour <strong>la</strong> technologie. Nous sommes <strong>de</strong>venusles esc<strong>la</strong>ves d’un système qui nous force à dépenser<strong>de</strong> l’argent envers <strong>de</strong> nouveaux gadgets, et nous acceptonssans question l’argument : à force <strong>de</strong> travailler plus, nous75


L A q u ê t e d e l a p a i xgagnerons du temps et nous pourrons entreprendre <strong>de</strong>s affairesplus importantes. C’est une logique perverse. Quandtoute cette mo<strong>de</strong>rnisation, <strong>de</strong>puis le logiciel jusqu’aux automobilesnous gouverne ; quand nous nous mesurons constammentavec les autres (même contre notre bon jugement),nous <strong>de</strong>vrions nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu’ils nous ont gagné ousi nos vies sont <strong>de</strong>venues plus paisibles.Au fond, <strong>la</strong> complexité grandissante <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> nos joursnous a dérobé <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et il en résulte une épidémie, discrètemais très répandue, <strong>de</strong> nervosité, d’insécurité, et <strong>de</strong> confusion.Déjà, il y a cinquante ans, l’éducateur Friedrich WilhelmFoerster a écrit :Plus que jamais, notre civilisation technologique a rembourré<strong>la</strong> vie <strong>de</strong> tous les côtés ; mais aussi, plus quejamais, les gens succombent aux chocs qu’ils reçoivent.<strong>La</strong> cause en est simple. Une civilisation qui n’est que technologiqueet matérielle ne peut pas nous ai<strong>de</strong>r, en faced’une tragédie. L’homme actuel, extériorisé comme il l’est,ne sait pas comment se rendre maître <strong>de</strong> son agitation et<strong>de</strong> sa dualité, et il n’en a pas <strong>la</strong> force. Il ne sait que faire<strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance – en faire quelque chose <strong>de</strong> positif – il <strong>la</strong>ressent seulement comme quelque chose <strong>de</strong> déprimant,exaspérant, en conflit avec sa vie. Il n’a pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. Et cesépreuves, qui pourraient ai<strong>de</strong>r un autre, <strong>de</strong> mentalité et<strong>de</strong> vie intérieure actives à surmonter son <strong>de</strong>stin, peuventsuffire à l’envoyer dans une institution mentale.Récemment, un article dans le Times annonçait le déménagementd’un jeune couple, habitant dans un quartier luxueux<strong>de</strong> l’Ohio, dont <strong>la</strong> jeune femme « en avait assez <strong>de</strong> vivredans un voisinage où les gens passent leur temps à travaillersans relâche, <strong>de</strong> façon à remplir leurs gran<strong>de</strong>s habitations <strong>de</strong>76


L A q u ê t e d e l a p a i xbagatelles coûteuses ». Elle vou<strong>la</strong>it simplement <strong>de</strong> <strong>la</strong> « sérénité,<strong>de</strong> <strong>la</strong> simplicité, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> tranquillité d’esprit ».Au début, <strong>la</strong> vie dans une petite ville leur semb<strong>la</strong>it parfaite,mais bientôt le chômage augmenta le nombre <strong>de</strong> crimes, etl’esprit étroit <strong>de</strong> leurs voisins leur donnait <strong>de</strong>s maux <strong>de</strong> tête.Déterminée à ne pas cé<strong>de</strong>r, <strong>la</strong> jeune femme se <strong>la</strong>nça dans lesbiens fonciers sur <strong>la</strong> restauration <strong>de</strong> bâtiments historiques,et les questions écolières. Mais ceci ne leur apporta pasnon plus ce qu’ils vou<strong>la</strong>ient. Finalement, le couple eut unemeilleure idée, en vue d’atteindre le style <strong>de</strong> vie désiré : ilspartirent pour Nantucket, pour y établir une <strong>de</strong>mi-pension...De même que le bonheur, <strong>la</strong> simplicité n’est pas toujoursacquise en étant recherchée. Ce<strong>la</strong> ne veut pas dire que c’estune vaine recherche. Pourtant, vouloir <strong>la</strong> simplicité pourelle-même finit toujours par une déception. Si nous sommesdésillusionnés par <strong>la</strong> vie matérialiste, et que nous voulons yéchapper, il nous faut faire plus que <strong>de</strong> seulement changer<strong>de</strong> style.Alors que mes parents étaient jeunes, en Europe vers1920, <strong>la</strong> recherche d’une vie simple faisait partie du désird’authenticité, <strong>de</strong> révérence pour <strong>la</strong> nature, <strong>la</strong> communauté,et l’harmonie avec le Créateur. Comme <strong>la</strong> jeunesse <strong>de</strong>s années60, les jeunes gens formaient alors <strong>de</strong>s collectifs, danslesquels ils pouvaient vivre plus près les uns <strong>de</strong>s autres, et– bien que <strong>la</strong> plupart d’entre eux évitaient le <strong>la</strong>ngage religieux– plus près <strong>de</strong> Dieu.Aujourd’hui, <strong>de</strong>s voix comme Wen<strong>de</strong>ll Berry (le « Thoreau» <strong>de</strong> Kentucky) accentuent l’importance <strong>de</strong> retournerà <strong>la</strong> nature, d’apprendre à <strong>de</strong>venir plus indépendant, et <strong>de</strong>« vivre simplement, pour que d’autres puissent simplement77


L A q u ê t e d e l a p a i xvivre ». Dans le Sud <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, le vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> Thich NhatHanh, centre <strong>de</strong> retraite <strong>de</strong>s moines du Vietnam, avec <strong>de</strong>sreligieuses et avec <strong>de</strong>s familles, ont beaucoup à dire sur <strong>la</strong>re<strong>la</strong>tion entre <strong>la</strong> simplicité et <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Nous qui avons <strong>de</strong>s jeunes enfants (ou, <strong>de</strong>s petits-enfants,nièces ou neveux), ne <strong>de</strong>vons pas oublier que leur simplicitéa beaucoup à nous apprendre. Contrairement aux gran<strong>de</strong>spersonnes, les enfants ten<strong>de</strong>nt à embrasser l’essentiel etl’immédiat. Leur plus grand p<strong>la</strong>isir c’est dans les chosesnaturelles et simples. Ils vivent surtout dans le présent etagissent plus spontanément <strong>de</strong> leur cœur, car leur espritest plus libre <strong>de</strong> projets, <strong>de</strong> buts, d’inhibitions, et <strong>de</strong> motifs.<strong>La</strong> simplicité ne peut pas être une fin en soi. Cependant,c’est quelque chose que nous <strong>de</strong>vons nous efforcer <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r,lorsque les possessions, les activités, les agendas, nous égarent,et nous perdons <strong>de</strong> vue les choses importantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie– <strong>la</strong> famille, les amis, les re<strong>la</strong>tions qui importent, et le travailsérieux. Voilà les choses qui nous relient. Nous <strong>de</strong>vrionspasser plus <strong>de</strong> temps avec nos enfants, et moins avec nosoutils et nos jouets ; <strong>de</strong>venir moins dépendants <strong>de</strong>s choseset plus dépendants <strong>de</strong> Dieu.Le Christ a <strong>de</strong>mandé, « Que servira-t-il à un homme <strong>de</strong>gagner le mon<strong>de</strong> entier, s’il perd son âme ? » (Matthieu16.26). Aussi souvent que je me souvient <strong>de</strong> cette simplequestion je trouve <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Ce n’est pas une menace surnotre tête, mais c’est un conseil sûr, qui nous rappelle nosvraies priorités.78


•Le silence<strong>La</strong> <strong>la</strong>ngue est notre arme <strong>de</strong> manipu<strong>la</strong>tion, <strong>la</strong> plus puissante.Un courant frénétique <strong>de</strong> paroles nous échappe, parce quenous voulons continuellement rectifier notre image publique.Nous craignons tellement ce que les autres voient en nous,que nous parlons, afin <strong>de</strong> les éc<strong>la</strong>irer. Si j’ai commis une erreur(ou même quelque chose que vous n’ayez peut-être pascompris), et je découvre que vous en avez entendu parler,je serai tenté <strong>de</strong> vous expliquer mon action.Le silence est une <strong>de</strong>s disciplines les plus importantes <strong>de</strong>l’esprit, car il arrête toute justification <strong>de</strong> soi-même. Un <strong>de</strong>sfruits du silence est <strong>la</strong> libérté <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser Dieu, Lui-même,être notre justificateur. Ce n’est pas nécessaire <strong>de</strong> redresserles autres.Richard J. FosterUn <strong>de</strong>s plus grands obstacles à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est notre incapacité<strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le silence. Pour chaque situation,où nous nous décidons à nous taire, sachant que ce<strong>la</strong> nenous regar<strong>de</strong> pas, il y en a d’autres, où nous nous mêlons.Nous perdons continuellement notre <strong>paix</strong>, parce que nousnous mêlons aux affaires d’autrui. Nous parlons trop. Nousfaisons <strong>de</strong>s commérages. Et nous oublions que nous seronsjugés pour chaque parole oisive.


L A q u ê t e d e l a p a i xIl nous semble, peut-être, que le silence a peu d’importance,quand on le compare avec d’autres aspects <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> présentésen ce livre. Max Picard souligne que le silence « se tienten <strong>de</strong>hors du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> profit et utilité. On ne peut pasl’exploiter ; on ne peut en tirer aucun bénéfice. Il est ‘improductif’,donc inutile. Pourtant, il existe plus <strong>de</strong> guérison etd’ai<strong>de</strong> dans le silence, que dans toute autre chose. »Si nous sommes seuls, il est facile d’être silencieux. (Intérieurement,nous ne le sommes peut-être pas du tout ; <strong>la</strong>tête pleine d’idées, et <strong>de</strong> projets...) Quand nous sommes avecles autres, ce<strong>la</strong> <strong>de</strong>vient plus difficile. C’est bien plus que <strong>de</strong>ne pas parler – ce<strong>la</strong> implique apprendre à écouter.Au Bru<strong>de</strong>rhof, où, plusieurs fois par semaine, nous avons<strong>de</strong>s réunions – <strong>de</strong> prière, d’informations, <strong>de</strong> lecture, oud’échanges informels, on pourrait croire connaître <strong>la</strong> valeurdu silence. Oui, peut-être. Mais c’est étonnant combien ledésir <strong>de</strong> nous exprimer, d’exprimer notre opinion, <strong>de</strong> nous<strong>la</strong>isser entendre, peut déranger un dialogue fructueux.C’est un don <strong>de</strong> ne pas réagir, ne pas vouloir embellir ouexpliquer, mais simplement d’écouter. Quand nous sommescapables d’être réellement silencieux, et d’être à l’écoute, alorsDieu peut parler. C’est une discipline. Mère Thérèse noussouligne que ce que nous avons à dire n’est jamais aussi importantque ce que Dieu nous dit, ou veut dire à travers nous.« Toutes nos paroles sont vaines, si elles ne proviennent pas<strong>de</strong> notre être intérieur. Les paroles qui n’apportent pas <strong>la</strong>lumière du Christ, ne servent qu’à intensifier l’obscurité. »Beaucoup <strong>de</strong> gens semblent considérer le silence commeun accoutrement d’une vie qui est inutilement sévère – plutôtpour les moines et les sœurs, pour les gens « religieux ». Il80


L A q u ê t e d e l a p a i xest vrai que dans certains ordres religieux, on fait un vœu <strong>de</strong>silence. Dans notre communauté, ces vœux peuvent être prisvolontairement, pendant une brève pério<strong>de</strong>, si on désire ainsiréaffirmer son engagement en signe <strong>de</strong> repentance. Mais,pourquoi le considérer négativement ? Le silence nous ai<strong>de</strong>à ne pas nous agiter à cause <strong>de</strong>s problèmes insignifiants..Parmi les Amis (Quakers), <strong>la</strong> prière et le sermon étaientrélégués à <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce, <strong>de</strong>rrière le silence commun, quin’était pas une fin en soi, mais plutôt une façon d’« être àécoute <strong>de</strong> Dieu ». Les Amis pensaient que puisque le silencenous éloigne <strong>de</strong> nous-mêmes et nous met dans une sphèreplus élevé, c’est l’état le plus fructueux qui soit pour trouverle consensus et l’unité, même sur un problème réfractaire.Lorsque les paroles, <strong>la</strong> réflexion, et <strong>la</strong> prière, ne servaient plusà rien, le silence les conduirait à écouter l’Esprit et trouverune réponse.Le silence <strong>de</strong>vant Dieu a un sens profond : dans <strong>la</strong> tranquillité<strong>de</strong> l’âme, l’individu déscend dans le feu central <strong>de</strong><strong>la</strong> communion. Dans le cercle <strong>de</strong> prière, les accords vitauxles plus personnels et les plus élémentaires reçoivent <strong>la</strong>plus profon<strong>de</strong> stimu<strong>la</strong>tion... Dans <strong>la</strong> respiration silencieuse,et dans le dialogue sans paroles <strong>de</strong> l’âme avecDieu, aussi solitaires qu’ils soient, une communion profon<strong>de</strong>peut prendre p<strong>la</strong>ce.Eberhard ArnoldParfois, le silence nécessite <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> corporelle. Si nousvivons et travaillons à côté <strong>de</strong>s autres – dans une familletrès unie, ou en communauté, par exemple – il est alors essentiel<strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s moments pour être seul et tranquille.81


L A q u ê t e d e l a p a i xBonhoeffer nous dit, que ceux qui ne peuvent vivre en communauté,ne peuvent pas, non plus, vivre seuls, mais le contraireest aussi vrai. Ceux qui ne peuvent pas vivre seuls nepeuvent pas non plus vivre en communauté. Je cite mongrand-père, <strong>de</strong> nouveau :Tout comme nous respirons, il nous faut <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong> pourreprendre nos forces et pouvoir <strong>de</strong> nouveau être avec lesautres. Nous apprenons <strong>de</strong> <strong>la</strong> biographie qu’a écrit Nietzschesur <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Zoroastre que l’ancien prophète étaitsouvent seul avec ses animaux. Il se promenait en silenceparmi ces bêtes fortes, nobles et intelligentes, cependantsi soumises, et ainsi, il regagnait ses forces et se sentaitconduit <strong>de</strong> nouveau vers ses semb<strong>la</strong>bles.Personnellement, je suis <strong>de</strong> l’avis qu’il est important <strong>de</strong> sefaire un temps <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong>, chaque jour, ne serait-ce quequelques minutes. Ma femme et moi nous faisons une petitepromena<strong>de</strong> le matin, aussi souvent que possible, et ce<strong>la</strong>nous ai<strong>de</strong> à concentrer nos pensées sur notre préoccupationprincipale. D’autres personnes <strong>de</strong> notre communauté font<strong>de</strong> même : un couple âgé fait une petite promena<strong>de</strong> chaquejour, avant le dîner, simplement pour apprécier <strong>la</strong> soirée etle silence.Surtout, si nous traversons une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> trouble ou <strong>de</strong><strong>de</strong>uil, <strong>la</strong> force curative et silencieuse du grand air ne doitpas être négligée. J’entends encore Ria Kiefer, une vieilledame <strong>de</strong> mon enfance, disant à quelqu’un qui avait <strong>la</strong> minetriste : « Freu’ Dich an <strong>de</strong>r Natur ! » – « Va <strong>de</strong>hors. Réjouis-toi<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature ! »Dans son livre Freedom from Sinful Thoughts (Rompre leschaînes du péché en pensée), mon père écrit à propos d’un82


L A q u ê t e d e l a p a i xsilence différent – le détachement, ou le silence intérieur. Onpourrait beaucoup dire sur le détachement ; les mystiquesen ont beaucoup parlé, <strong>de</strong>s volumes entiers. Cependant, onpeut le définir très simplement comme <strong>la</strong> <strong>paix</strong> qui provient<strong>de</strong> l’abandon <strong>de</strong> tout ce qui nous préoccupe – <strong>la</strong> c<strong>la</strong>meurdu travail, <strong>la</strong> distraction <strong>de</strong> nos projets, <strong>de</strong> nos soucis sur lefutur – afin <strong>de</strong> trouver un silence intérieur. Le Quaker WilliamPenn nous explique pourquoi ceci est si important :Aimez même le silence d’esprit, car les pensées sont pourl’esprit ce que sont les paroles pour le corps, ennuyeuses.Beaucoup parler, comme beaucoup réfléchir, nous consume; et en beaucoup <strong>de</strong> pensées, <strong>de</strong> même qu’en beaucoup<strong>de</strong> paroles, il y a du péché. Le vrai silence c’est lerepos <strong>de</strong> l’esprit, et c’est pour lui ce que le sommeil estpour le corps, une alimentation et un rafraîchissement.C’est une gran<strong>de</strong> vertu ; elle couvre <strong>la</strong> folie, gar<strong>de</strong> lessecrets, évite les disputes, et barre le péché.Nous savons tous, ce que c’est d’être aux côtés d’une personneaimée, ne disant rien mais nous sentant parfaitementà l’aise. Néanmoins, le silence n’est pas toujours une source<strong>de</strong> <strong>paix</strong>. Parfois une simple pause dans <strong>la</strong> conversation suffitpour nous embarrasser et nous recherchons vite quelquechose à dire, pour combler <strong>la</strong> <strong>la</strong>cune. Lorsque quelque chosene va pas – s’il y a quelque chose entre nous qui ne va pas,ou entre nous-mêmes et Dieu – le silence peut même êtreeffrayant.Une personne que j’ai conseillée pendant plusieurs annéesme disait, suivant une pério<strong>de</strong> troublée <strong>de</strong> son existence,qu’elle trouvait <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en <strong>la</strong>issant tout tomber, et en gardantle silence en son âme :83


L A q u ê t e d e l a p a i xIl me semble que si nous ne sommes pas en <strong>paix</strong> avecnous-mêmes, il nous est difficile <strong>de</strong> faire face aux moments« vi<strong>de</strong> » : visuellement (n’avoir rien à contemplerou à lire), auditivement (rien à écouter ou à entendre), ouphysiquement (rien à faire ou l’incapacité <strong>de</strong> faire quoique ce soit). On essaie <strong>de</strong> se distraire du problème en soi– douleur, conflit d’efforts, peur, accusations, mauvaiseconscience, peu importe – mais on n’en <strong>de</strong>vient que <strong>de</strong>plus en plus confus. Pour autant que l’on veuille éviter cevi<strong>de</strong>, on peut y trouver du bien, si on l’accepte et qu’ons’en sert pour le bénéfice <strong>de</strong> son âme. Faire face à cesproblèmes, voilà ce qui est dur, mais ce<strong>la</strong> peut nous préparerà recevoir le don <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, et le don d’une vie plusen harmonie avec <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> Dieu.Sophie Löber, amie d’enfance <strong>de</strong> mon père, que je connais<strong>de</strong>puis mon enfance, m’a récemment écrit, dans le mêmeesprit : « J’ai souvent dû combattre pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans mavie, mais le silence m’a aidée à réfléchir et à me rappeler queDieu tient chacun <strong>de</strong> nous à <strong>la</strong> main. »Sophie était un <strong>de</strong>s membres du Bru<strong>de</strong>rhof en Allemagnecontre lequel <strong>la</strong> Gestapo (<strong>la</strong> police secrète) avait fait unerafle en 1937 et l’avait dissous. Après les avoir alignéscontre le mur et séquestrés les femmes et les enfants dansune chambre, <strong>la</strong> police les interrogea et leur annonça qu’ilsavaient vingt-quatre heures pour quitter les lieux, et sortirdu pays.Quand les Nazis nous ont forcés à quitter notre communautébien-aimée dans <strong>la</strong> région <strong>de</strong> <strong>la</strong> Rhön, on nenous a pas permis <strong>de</strong> prendre autre chose que nos vêtementssur le dos. Mais nous avons emporté nos trésorsdans nos cœurs : nos peines et nos joies, nos temps <strong>de</strong>84


L A q u ê t e d e l a p a i xcombat et <strong>de</strong> célébration, et tout ce que nous avions vécuensemble, pendant ces années. Personne ne pouvait nousles enlever, même si on nous dérobait <strong>de</strong> tous nos biensmatériels. Ceci me donnait une joie profon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>dans mon cœur.Plusieurs années après, Sophie et son mari, Christian, perdirent<strong>de</strong>ux fils d’une ma<strong>la</strong>die rare. D’abord les jeunes garçons<strong>de</strong>vinrent aveugles, puis ils étaient frappés d’une incapacitémentale. Ils moururent, tous <strong>de</strong>ux, dans leur adolescence.Sophie fut frappée d’une tristesse indicible. Certainesquestions <strong>la</strong> torturaient, mais, petit à petit, elle retrouva <strong>la</strong>foi – et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> – dans le silence :Je me suis longtemps <strong>de</strong>mandée : pourquoi Dieu nousdonne-t-il cette ru<strong>de</strong> épreuve ? Parfois, le découragementnous semb<strong>la</strong>it insupportable, même lorsque nous noustournions vers Dieu en prière... Cependant, plus tard,quand j’ai pu réfléchir en silence, j’ai vu que mon inquiétu<strong>de</strong>et ma prière étaient trop mesquines, trop personnelles.Christian et moi, nous tournions autour <strong>de</strong> notre misère,oubliant qu’il y avait <strong>de</strong>s gens à côté <strong>de</strong> nous, qui avaient<strong>de</strong>s besoins aussi. Nous avions aussi oublié <strong>la</strong> promesse,« Recherchez d’abord le royaume et <strong>la</strong> justice <strong>de</strong> Dieu, ettout ce<strong>la</strong> vous sera donné en plus » (Matthieu 6.33).Plus récemment, Sophie perdit son mari au cancer, puis,aussi, un troisième fils (marié, avec <strong>de</strong>s enfants) dans unacci<strong>de</strong>nt d’électrique. Dieu l’a sûrement éprouvée, mais ellenous dit que sa souffrance lui a appris à rechercher le silence,et à « lâcher tout ce qui nous relie ici-bas ». Ainsi, elle a pufaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à Dieu et « Lui permettre <strong>de</strong> pénétrer en moncœur, et mes blessures ont commencé à guérir ».85


L A q u ê t e d e l a p a i xnous nous sommes mariés l’année prochaine, après quej’ai obtenu mon diplôme. Notre mariage a été « fait au paradis», comme on dit. Il m’aimait, je l’aimais, et pour cetteraison nous avons décidé <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser à Dieu l’organisation<strong>de</strong> <strong>la</strong> famille. Et qu’est-ce qu’Il est généreux ! Nous avonsété bénis avec huit enfants en onze ans !Mais qu’en était-il <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ? Quand je pense à ce mot,je pense d’abord à combien les gens abusent ce mot...Un jour, il y a maintenant vingt-<strong>de</strong>ux années, ma viea totalement changé. Jim et moi sommes partis pour leweekend avec trois autres couples, nos meilleurs amis.Ce n’était pas facile <strong>de</strong> nous absenter, à cause du travail<strong>de</strong> Jim à l’hôpital et les huit petits enfants. Nous étionsdonc très excités. Nous allions passer ces journées dansune station <strong>de</strong> vacances d’hiver dans les Montagnes Poconos.Mais <strong>la</strong>issez-moi sauter jusqu’à l’évènement qui m’aplongée dans l’agitation et une tristesse qui pénétra toutmon être pendant <strong>de</strong>s années, jusqu’à ce que j’aie pu<strong>la</strong>isser Dieu me conduire pas à pas vers <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> joie.J’étais sur le sommet d’une colline, bavardant avecmes amies, lorsque j’ai remarqué une commotion au bas<strong>de</strong> <strong>la</strong> pente. Jim venait <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre en traîneau, et jene l’avais pas suivi, donc je ne savais pas ce qui s’étaitpassé. Je vis alors qu’on me faisait signe <strong>de</strong> venir vite,parce que Jim avait eu un acci<strong>de</strong>nt et il était blessé. J’aicouru jusqu’en bas, glissant et tombant plusieurs fois, eten arrivant il y avait une foule autour <strong>de</strong> lui. Ils m’ont faitp<strong>la</strong>ce, et je me suis agenouillée à ses côtés. Il n’était qu’à<strong>de</strong>mi-conscient, et perdait beaucoup <strong>de</strong> sang. Je saute lesdétails : Jim est mort.J’étais désemparée. Jim était mon meilleur ami, moncompagnon, le père <strong>de</strong> mes enfants, l’artisan <strong>de</strong> mesrêves. Je ne pouvais pas m’imaginer <strong>la</strong> vie sans lui. Jen’oublierais jamais, en retournant chez nous, comme j’ai90


L A q u ê t e d e l a p a i xétreint chacun <strong>de</strong> mes enfants, auxquels on avait déjàapprit <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> leur père. Le plus âgé, Jim, avait douzeans, et le plus jeune, Dan, avait quatorze mois. Les aînésétaient pâles et tristes ; ils s’accrochaient l’un à l’autre.Les plus jeunes ne savaient pas exactement ce qui se passait.<strong>La</strong> maison était pleine <strong>de</strong> gens, <strong>de</strong> bruit, et <strong>de</strong> beaucoup<strong>de</strong> friandises. (C’est intéressant combien <strong>de</strong> gensapportent <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture afin <strong>de</strong> consoler une famille en<strong>de</strong>uil.) Dieu était compatissant, et Il nous avait entourés<strong>de</strong> famille et <strong>de</strong> bons amis ; j’étais reconnaissante <strong>de</strong> toutecette amitié, mais trop blessée pour pouvoir les remercier.J’étais blessée et meurtrie, tout comme Jim, et personnene pouvait panser mes blessures qui continuèrent à suppurerpendant <strong>de</strong>s années.J’ai pu continuer à m’occuper <strong>de</strong>s enfants, parce queje les aimais tellement et je ne vou<strong>la</strong>is jamais déshonorer<strong>la</strong> mémoire <strong>de</strong> Jim en négligeant ma tâche <strong>de</strong> les élevercomme il faut. J’en avais <strong>de</strong>ux qui portaient toujours <strong>de</strong>scouches. Puisque les enfants veulent toujours que toutrevient à <strong>la</strong> normale aussi vite que possible, les autresenfants retournèrent aux jeux <strong>de</strong> football dans le salon et<strong>la</strong> fabrication d’une maison avec mes coussins du canapé,revendiquant mon temps et ma patience. Quant au temps,j’en avait assez ; au faite, le temps traînait lour<strong>de</strong>ment,bien qu’il me semble ne jamais finir avec tout ce quej’avais à faire. Chaque jour me semb<strong>la</strong>it interminable,je pouvait à peine attendre l’heure <strong>de</strong> me coucher afind’oublier pendant quelques moments que Jim était mort.J’étais à bout <strong>de</strong> patience.Des personnes me côtoyaient constamment, mais je mesentais isolée et seule. Ce n’était que plus tard, quand <strong>la</strong><strong>paix</strong> m’est revenue, que j’ai découvert <strong>la</strong> différence entrel’isolement, et <strong>la</strong> solitu<strong>de</strong>. J’ai encore peur <strong>de</strong> me sentirseule, mais j’aime les temps <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> avec Dieu.91


L A q u ê t e d e l a p a i xQuelque temps après <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son mari, Molly s’occupa d’unproblème que Jim prenait beaucoup à cœur : l’avortement. Entant que mé<strong>de</strong>cin catholique qui estimait que toute vie étaitsacrée, Jim opposa ar<strong>de</strong>mment Roe v. Wa<strong>de</strong>, et Molly pensait<strong>de</strong> même, bien qu’elle ne l’eut jamais dit publiquement.Je n’avais jamais parlé en public, et j’en avais très peur,mais je me suis dit, « tu as survécu le pire – <strong>la</strong> mort <strong>de</strong>Jim. Parler en public, ce n’est sûrement pas si terrible ? »J’ai commencé à adresser ce problème dans les écolescatholiques locales, et après quelques années, je donnaisun bon nombre <strong>de</strong> ces présentations. J’arrangeais monprogramme, <strong>de</strong> façon à être à <strong>la</strong> maison quand les enfantsrentraient <strong>de</strong> l’école l’après-midi.Après un certain temps, j’ai réalisé que je n’al<strong>la</strong>is pasjusqu’au fond du problème. Il fal<strong>la</strong>it d’abord parler <strong>de</strong> <strong>la</strong>cause première <strong>de</strong> l’avortement, et ce<strong>la</strong> avait à faire avecles grossesses non préméditées, qui touchait au problème<strong>de</strong>s rapports sexuels sans len<strong>de</strong>main. Alors je commençaisà parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> responsabilité sexuelle, que j’appelle<strong>la</strong> chasteté. Ce fut le commencement d’une réapparition<strong>de</strong> conférences sur l’abstinence, et les invitations à parleraffluaient. On m’a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> parler dans tant d’écoleset d’autres endroits, que je ne savais plus où me tourner.Mes amis vou<strong>la</strong>ient me réfréner, mais je sentais queDieu m’avait appelée à cette tâche, et je ne vou<strong>la</strong>is pasl’abandonner. Mais c’était <strong>de</strong> trop et il fal<strong>la</strong>it lâcherquelque chose. C’est alors que je <strong>de</strong>vins consciente qu’ilme fal<strong>la</strong>it tout cé<strong>de</strong>r à Dieu, m’abandonner à Lui, et jen’en avais pas l’habitu<strong>de</strong>.Je vou<strong>la</strong>is toujours être maîtresse <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation, j’avaishuit enfants et j’avais du mal à tout faire, j’achetais <strong>la</strong> nourriture,je faisais <strong>la</strong> cuisine, le linge, je les aidais avec leurs<strong>de</strong>voirs, j’assistais à tous les jeux et matchs, je présidais92


L A q u ê t e d e l a p a i xà <strong>la</strong> maison, et à l’école. <strong>La</strong> parole « cé<strong>de</strong>r » n’était pasdans mon vocabu<strong>la</strong>ire. Ce que je ne réalisais pas est que« cé<strong>de</strong>r à Dieu » veut simplement dire « <strong>la</strong>isser Dieu agiret contrôler ». Il fal<strong>la</strong>it que je cè<strong>de</strong> tout : mon contrôle,mon agitation, ma solitu<strong>de</strong>, tout ce qui m’accab<strong>la</strong>it –même mes enfants – à Dieu. Et, dans chaque domaine<strong>de</strong> ma vie, là où je pouvais le faire, j’éprouvais presqueinstantanément <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Pour <strong>la</strong> première fois <strong>de</strong>puis ma première communion,j’ai reçus une nouvelle prise <strong>de</strong> conscience du Saint-Esprit. J’avais grandi en priant Dieu et en voyant Jésusdans mon imagination, mais le Saint-Esprit n’était pourmoi que quelqu’un qui est entré et sorti lors <strong>de</strong> ma communion.En m’abandonnant à Dieu (et croyez-moi, ce<strong>la</strong>exige un effort journalier), j’ai commencé à comprendreque <strong>la</strong> Pentecôte, <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> l’Esprit en nos vies, estun évènement perpétuel.Molly a parlé à <strong>de</strong>s millions d’adolescents – « mes personnesfavorites dans le mon<strong>de</strong> entier » – et à <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> parents.Récemment, elle s’adressa à six mille prêtres à Rome, et àune réunion <strong>de</strong> cinquante cardinaux et évêques en Californie.Mon programme peut être accab<strong>la</strong>nt, mais il ne m’accableplus. Ma <strong>paix</strong> est profon<strong>de</strong>. Une sérénité, qui dure aussilongtemps que je renouvelle mon abandon à Dieu.J’accepte les engagements que je peux, quand je les voiscomme étant ce que Dieu désire et je dis non aux autres.Ai-je toujours raison ? Je n’en suis pas sûre. Mais j’aiconfiance que Dieu ne nous enlève pas le don <strong>de</strong> Sa <strong>paix</strong>,si nous continuons à Lui livrer notre vie, même si nouséchouons, ici et là...Je vois maintenant, que c’est seulement dans l’abandonque <strong>la</strong> <strong>paix</strong> véritable nous vient. <strong>La</strong> capitu<strong>la</strong>tion en temps93


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong> guerre signifie <strong>la</strong> perte, <strong>la</strong> débâcle. L’abandon à Dieu,c’est le gain, <strong>la</strong> victoire, c’est cé<strong>de</strong>r notre vie à Lui. Je commencechaque jour à <strong>la</strong> messe, en <strong>de</strong>mandant à Dieu <strong>de</strong>m’ai<strong>de</strong>r chaque jour à agir à Sa p<strong>la</strong>ce avec toute personneque je rencontre, et encore plus important, <strong>de</strong> Le voir enchacun. C’est alors que je brandis mon drapeau b<strong>la</strong>nc <strong>de</strong>capitu<strong>la</strong>tion, que Dieu seul peut voir, et je l’agite bravement,disant à Dieu qu’une fois encore je m’abandonneà Sa volonté. C’est un exercice journalier qui affermitma vie spirituelle, et croyez-moi, Il me donne toujoursSa joie et Sa <strong>paix</strong>.D’ innombrables personnes continuent bravement, même sielles n’en peuvent plus, simplement parce qu’elles ne <strong>la</strong>issentpas tout tomber <strong>de</strong>vant Dieu. Elles veulent absolumentdiriger leurs propres vies, coûte que coûte. Ces personnes sesurmènent et ont besoin <strong>de</strong> vacances pour récupérer. Ellesessayent d’équilibrer leur emploi du temps, <strong>de</strong> discernerleurs priorités. Elles prient et travaillent dur, elles veulentêtre humbles et aimantes chez elles et patientes au travail.En fin <strong>de</strong> compte, elles n’ont toujours pas <strong>de</strong> véritable <strong>paix</strong>.Récemment on m’a <strong>de</strong>mandé, comment je restais en <strong>paix</strong><strong>de</strong> jour en jour. « Ne <strong>de</strong>venez-vous pas fou, en pensant àtoutes les âmes confiée à vos soins ? » C’est toujours un défipour le pasteur, et quand je pense aux 3.000 paroissiens, jeme sens bien inadéquat. Heureusement, j’ai le soutien d’unedizaine <strong>de</strong> collègues pour gui<strong>de</strong>r l’assemblée <strong>de</strong> mes fidèles,et il y a aussi ma femme, avec qui je suis marié <strong>de</strong>puis plus<strong>de</strong> 45 ans. Quand même, il y a <strong>de</strong>s jours où l’anxiété obscurcitl’horizon. Quelquefois, du point <strong>de</strong> vue humain, unesituation semble désespérée.94


L A q u ê t e d e l a p a i xC’est justement dans <strong>de</strong> tels moments, lorsque nous noussentons au point <strong>de</strong> perdre notre équilibre, que Dieu nousdonne en notre cœur l’assurance et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> – si nous noustournons vers Lui. Une fois que nous nous résignons à ne pasessayer <strong>de</strong> résoudre nos problèmes <strong>de</strong> notre propre façon, lemoindre obstacle sera enlevé. Ceci nous est promis dans lespsaumes : « Remets ton sort à l’Eternel, et il te soutiendra. Ilne <strong>la</strong>issera jamais trébucher le juste » (Psaumes 55.23) Pourl’esprit mo<strong>de</strong>rne, ce<strong>la</strong> semble trop simple, trop beau pourêtre vrai. Mais pour les croyants, c’est une offran<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieuqui peut tout arranger .On dit que Christophe Blumhardt, « père du socialismereligieux » au dix-neuvième siècle et pasteur d’une gran<strong>de</strong>Eglise, se couchait en <strong>paix</strong> tous les soirs tandis que sa femmerestait éveillée à remâcher ses soucis. Un peu fâchée <strong>de</strong> <strong>la</strong>facilité avec <strong>la</strong>quelle il pouvait prier puis s’endormir, Emilielui <strong>de</strong>manda son secret. « Est-ce que Dieu est si impuissantque mes soucis doivent venir en ai<strong>de</strong> à mes paroissiens ?répondit-il. Il vient un moment, chaque jour, où nous <strong>de</strong>vonstout <strong>la</strong>isser tomber <strong>de</strong> ce qui nous pèse, et le <strong>la</strong>isser entreles mains <strong>de</strong> Dieu. »Même en s’efforçant <strong>de</strong> notre mieux, notre force est minuscule,et nos solutions inégales. L’abandon à Dieu, signifiereconnaître <strong>la</strong> puissance incomparable <strong>de</strong> Dieu, et <strong>de</strong> Luifaire p<strong>la</strong>ce pour conduire notre vie.Ce<strong>la</strong> nous ai<strong>de</strong>, parfois, <strong>de</strong> faire un pas en arrière, et <strong>de</strong>prendre une vue d’ensemble. Le royaume <strong>de</strong> Dieu n’estpas seulement au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> nos efforts. Il est même au-<strong>de</strong>là<strong>de</strong> notre vision. Nous accomplissons dans notre vie seulementune fraction <strong>de</strong> l’entreprise magnifique, qui est le95


L A q u ê t e d e l a p a i xtravail <strong>de</strong> Dieu. Rien <strong>de</strong> ce que nous faisons n’est achevé– autre façon <strong>de</strong> dire que le royaume est toujours au-<strong>de</strong>là<strong>de</strong> nous. Aucune <strong>de</strong> nos affirmations ne dit tout ce quidoit être dit ; aucune prière n’exprime notre foi entière.Aucune confession n’apporte <strong>la</strong> perfection ; tous les soinspastoraux possibles n’apportent pas le bien-être. Aucunprogramme ne peut accomplir <strong>la</strong> mission <strong>de</strong> l’Eglise. Nosbuts et nos objectifs ne peuvent jamais comprendre leTout.Que faisons-nous ? Nous p<strong>la</strong>ntons les graines, qui, unjour vont pousser. Nous arrosons les graines en terre,sachant qu’elles contiennent <strong>la</strong> promesse future. Nousposons <strong>la</strong> fondation qui nécessitera <strong>la</strong> construction dubâtiment...Nous ne pouvons pas tout faire : le reconnaître nousdonne un sens <strong>de</strong> libération. Ce<strong>la</strong> nous permet <strong>de</strong> fairequelque chose <strong>de</strong> menu, et <strong>de</strong> le faire bien. Ce peut êtreincomplet, mais c’est déjà un commencement, un pas enavant, une occasion pour <strong>la</strong> grâce du Seigneur d’entrer et<strong>de</strong> continuer. On n’en verra peut-être jamais le résultatfinal, mais c’est justement <strong>la</strong> différence entre l’architecteet l’artisan.Nous sommes les ouvriers, non pas les architectes ;les bergers et les moutons, non pas <strong>de</strong>s sauveurs commele Messie. Nous sommes <strong>de</strong>s prophètes d’un avenir quin’est pas le nôtre.Attribué à Oscar Romero96


•<strong>La</strong> prièreL’effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière, c’est l’union avec Dieu ; et si quelqu’unest avec Dieu, il est séparé <strong>de</strong> l’ennemi. Par le biais <strong>de</strong><strong>la</strong> prière, nous gardons <strong>la</strong> chasteté, nous contrôlons notrecolère et nous nous libérons <strong>de</strong> notre vanité. <strong>La</strong> prière nousai<strong>de</strong> à oublier les injures, surmonter l’envie, faire échouerl’injustice et réparer les torts.Par <strong>la</strong> prière, nous obtenons le bien-être physique, unfoyer en <strong>paix</strong> et une société soli<strong>de</strong> et bien ordonnée. <strong>La</strong> prièredéfend le voyageur, protège celui qui dort, et encourageles veilleurs. Elle vous rafraîchit dans votre fatigue et vousréconforte dans votre tristesse.<strong>La</strong> prière est le délice <strong>de</strong>s joyeux, et <strong>la</strong> conso<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>saffligés. C’est l’intimité <strong>de</strong> Dieu et <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>l’invisible. <strong>La</strong> prière est <strong>la</strong> joie dans le présent, et <strong>la</strong> substance<strong>de</strong>s choses à venir.Grégoire <strong>de</strong> NysseIl vient <strong>de</strong>s temps où rien que <strong>la</strong> prière ne peut nous donner<strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Nous pouvons rechercher <strong>la</strong> simplicité et lesilence – un détachement <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong> l’agitation autour<strong>de</strong> nous ou en nous-mêmes – mais on reste quand mêmeavec un vi<strong>de</strong> que Dieu seul puisse remplir. Et s’Il ne pénètre


L A q u ê t e d e l a p a i xpas dans nos cœurs sans avoir été invité, il nous faut lui<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d’y entrer.Dans le Psaume 130, un <strong>de</strong> mes psaumes favoris, le premierverset, « Du fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> détresse je t’appelle, Eternel »,nous donne un aperçu <strong>de</strong> comment nous <strong>de</strong>vons prier quandnous sommes dans <strong>de</strong> besoin. Au fond il reflète l’esprit danslequel nous <strong>de</strong>vrions toujours nous tourner vers Dieu : noussommes toujours en détresse, nous avons toujours besoin <strong>de</strong><strong>de</strong> son ai<strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> direction. Il est toujours là, au-<strong>de</strong>ssus<strong>de</strong> nous, ferme et sûr et fort.Le philosophe juif Martin Buber dit que chaque fois quenous prions, nous <strong>de</strong>vrions appeler au secours et nous imaginerque nous sommes accrochés par les cheveux à une fa<strong>la</strong>iseavec une tempête qui rage autour <strong>de</strong> nous avec une telleviolence que nous savons que nous n’avons que quelquessecon<strong>de</strong>s à vivre, à moin d’être sauvés. Buber continue ainsi :« Et, en vérité, il n’y a aucun conseil, aucun refuge, et aucune<strong>paix</strong> pour nous, sinon <strong>de</strong> nous lever les yeux et le cœur versDieu et <strong>de</strong> l’appeler au secours. On <strong>de</strong>vrait faire ceci continuellement,car l’homme est en grand danger dans le mon<strong>de</strong>. »Cette image <strong>de</strong> Buber est dramatique, mais elle n’est pasexagérée. Dans une civilisation comme <strong>la</strong> nôtre, où le braslong <strong>de</strong>s médias a une si vaste influence que les nouvelles<strong>de</strong> scandales ou catastrophes peuvent arrêter net <strong>de</strong>s millions<strong>de</strong> personnes, l’individu est plus que jamais enclin àsuivre <strong>la</strong> foule. Nietzsche s’est rendu compte <strong>de</strong> ce<strong>la</strong> il y acent ans, lorsqu’il réfléchissait sur <strong>la</strong> vérité du vieux proverbe,« Gemeinschaft macht gemein » – « <strong>la</strong> communauté rendcommun (vulgaire) » en nous prévenant <strong>de</strong>s dangers d’unesociété où les valeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule sont tellement fortes queles consciences les plus sensibles risquent <strong>de</strong> s’engourdir.98


L A q u ê t e d e l a p a i xSans une vie <strong>de</strong> prière active, nous perdons <strong>la</strong> fermeté<strong>de</strong> caractère, et nous succombons à ce que les sociologuesappellent l’instinct grégaire : nous sommes alors en proie à<strong>la</strong> peur <strong>de</strong>s autres, à l’ambition, au désir <strong>de</strong> vouloir p<strong>la</strong>ireaux autres. Sans <strong>la</strong> prière, le va-et-vient constant <strong>de</strong>s opinionsdiverses autour <strong>de</strong> nous va inon<strong>de</strong>r notre vie intime, etfinalement <strong>la</strong> noyer. Nous pensons être notre propre maître,mais en fait nous ne pouvons à peine penser, encore moinsprier indépendamment. Ayant perdu sa re<strong>la</strong>tion avec Dieu,notre vie consiste seulement (pour citer Nietzsche encore unefois), à nous conformer à toutes les influences et exigences<strong>de</strong> <strong>la</strong> société.<strong>La</strong> prière est <strong>la</strong> meilleure armure protectrice autour <strong>de</strong> <strong>la</strong>f<strong>la</strong>mme tranquille du cœur face à ces assauts. C’est mêmeplus : c’est une discipline positive qui nous ramène à notrep<strong>la</strong>ce – près <strong>de</strong> Dieu – si nous nous sommes égarés. Ce<strong>la</strong>nous dirige et attire notre attention sur <strong>la</strong> source <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Personnellement, j’ai trouvé cette discipline cruciale afin <strong>de</strong>maintenir un sens <strong>de</strong> <strong>paix</strong> et d’ordre dans ma vie. Plus quetoute autre chose, il semble que <strong>la</strong> prière (ou son absence)puisse déci<strong>de</strong>r le succès <strong>de</strong> <strong>la</strong> journée. Comme Bonhoefferremarque dans Résistance et soumission: lettres et notes <strong>de</strong> captivité,le temps que nous perdons, les tentations auxquellesnous cédons, <strong>la</strong> paresse ou <strong>la</strong> léthargie dans le travail – engénéral, le manque <strong>de</strong> discipline dans nos pensées, dans nosactions, dans nos re<strong>la</strong>tions avec autrui – ont souvent leurracine dans notre négligence <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière.Il n’est pas nécessaire que <strong>la</strong> prière soit formelle. Pourma femme et moi, c’est <strong>la</strong> façon naturelle <strong>de</strong> commencer <strong>la</strong>journée et <strong>de</strong> <strong>la</strong> terminer ; nous prions chaque matin, en nouslevant, et chaque soir, en nous couchant. D’autres peuvent99


L A q u ê t e d e l a p a i xprier plus souvent, et d’autres, moins souvent. Les uns prientà genoux ; les autres emploient un livre <strong>de</strong> prière. Les unsparlent, les autres ne se servent pas <strong>de</strong> paroles. Pasteur Blumhardt,déjà mentionné dans ce livre, ouvrait sa fenêtre chaquesoir pour dire bonne nuit à Dieu. Du moment que <strong>la</strong> prière estauthentique, provienne du cœur, et non pas simplement unehabitu<strong>de</strong>, ce<strong>la</strong> n’a pas d’importance <strong>de</strong> quelle manière nousprions. L’important c’est <strong>de</strong> lui faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce quelque part.Dans le tumulte <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie extérieure, et du désarroi intérieur,il est toujours possible <strong>de</strong> se tourner vers Dieu et<strong>de</strong> le servir. Tout comme le centre <strong>de</strong> l’ouragan est calme,et qu’au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s nuages le ciel est c<strong>la</strong>ir, <strong>de</strong> même,est-il possible <strong>de</strong> se tracer une c<strong>la</strong>irière dans <strong>la</strong> jungle <strong>de</strong>notre volonté humaine, pour un ren<strong>de</strong>z-vous avec Dieu.Dieu arrivera sûrement, bien que l’on ne peut prévoir ni<strong>la</strong> forme qu’Il prendra ni les circonstances – peut-êtredans un nuage <strong>de</strong> gloire, ou comme un mendiant, dans<strong>la</strong> pureté du désert ou dans les conditions sordi<strong>de</strong>s <strong>de</strong>squartiers Soho <strong>de</strong> Londres ou Times Square à New York.Malcolm MuggeridgeA côté <strong>de</strong>s pensées <strong>de</strong> Muggeridge, nous avons le comman<strong>de</strong>mentbiblique <strong>de</strong> « prier sans cesse ». Pour beaucoup <strong>de</strong>ceux qui recherchent Dieu, c’est assez simple. Molly Kelly adit: « Avant, je priais Dieu à certains moments <strong>de</strong> <strong>la</strong> journée– le matin, ou avant <strong>de</strong> me coucher. Maintenant, je saisque c’est une conversation constante avec Dieu. Je prie enmarchant dans l’aéroport, ou au supermarché. »Pour les autres, cette façon <strong>de</strong> penser peut être un obstacle.Comment peut-on prier toute <strong>la</strong> journée ? Que signifie : sans100


L A q u ê t e d e l a p a i xcesse ? James Alexan<strong>de</strong>r, un frère âgé du Bru<strong>de</strong>rhof, a réfléchitlongtemps sur ce sujet :Bien que j’aie prié <strong>de</strong>puis mon enfance, ce fut seulementquand j’ai commencé à voir <strong>la</strong> prière comme une façon<strong>de</strong> vivre – attitu<strong>de</strong> constante, plutôt qu’une action répétée– que j’ai compris le sens <strong>de</strong> cette phrase « prier sanscesse » <strong>La</strong> Prière <strong>de</strong> Jésus, comme elle est expliquée dansRécits d’un pèlerin russe – « Seigneur Jésus Christ, aie pitié<strong>de</strong> moi, pécheur » – m’a <strong>de</strong> même aidé. <strong>La</strong> Bible nous ditqu’une chose que nous pouvons offrir à Dieu, c’est <strong>la</strong>stabilité d’une telle prière. Mais ce n’est pas simplementune collection <strong>de</strong> paroles. C’est une attitu<strong>de</strong> envers <strong>la</strong> vie.Gerard Manley Hopkins, poète du 18 e siècle, a dit, à peuprès <strong>la</strong> même chose :Ce n’est pas seulement <strong>la</strong> prière qui rend gloire à Dieu,mais le travail. Frapper l’enclume, scier le bois, b<strong>la</strong>nchirun mur à <strong>la</strong> chaux, conduire les chevaux, ba<strong>la</strong>yer, nettoyer– tout ceci honore Dieu, si par sa grâce vous le faitesen tant qu’un <strong>de</strong>voir. Prendre <strong>la</strong> Sainte Céne dignementhonore Dieu, mais prendre sa nourriture avec reconnaissanceet modération honore Dieu aussi. Lever les mainsen prière honore Dieu, mais un homme avec une fourche,une femme avec un seau d’ordures, Lui rend gloire, aussi.Il est si grand, que tout lui rend gloire, si nous le désironsainsi. Vivez, donc, mes frères !Nous aurons tous <strong>de</strong>s façons différentes <strong>de</strong> prier. Comme noscirconstances changent – par les ma<strong>la</strong>dies, <strong>la</strong> vieillesse, ou<strong>de</strong>s crise, par exemple – notre vie <strong>de</strong> prière changera aussi.Jeune homme, Doug Moody, membre <strong>de</strong> mon Eglisecommunauté,n’avait jamais trouvé beaucoup <strong>de</strong> sens dans101


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>la</strong> prière. Troublé par l’hypocrisie qu’il percevait dans l’église<strong>de</strong> sa jeunesse, Doug se sentait <strong>de</strong> plus en plus en désaccordavec elle, surtout vis-à-vis <strong>la</strong> question du service militaire,qu’il opposait en tant qu’objecteur <strong>de</strong> conscience. A <strong>la</strong> suitedu bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> Pearl Harbor, ses collègues et professeursà l’université <strong>de</strong> North Carolina louèrent son refus <strong>de</strong>s’engager, mais non son église. Le juge qui l’a jugé et condamnécomme criminel pour avoir contourné <strong>la</strong> conscription,était un membre <strong>de</strong> sa propre congrégation.Je suis resté dans cette ancienne prison du compté, avec<strong>de</strong>s morpions, <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture exécrable et une douchequi ne marchait pas, et sans vêtements <strong>de</strong> rechange. Heureusement,ma mère a pu m’apporter du savon et <strong>de</strong>ssous-vêtements <strong>de</strong> rechange. C’était <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>la</strong> plusdifficile <strong>de</strong> mon emprisonnement, allégé seulement par lerécit quotidien d’un pauvre Allemand désespéré, en routeà un camp d’internement. Un voisin l’avait faussementaccusé d’espionnage.En prison j’ai lu dans Fellowship, le journal du Mouvementinternational <strong>de</strong> <strong>la</strong> réconciliation (MIR), que le coupleMennonite qui m’avait inspiré à ne pas m’enrôler dansle militaire, avait changé leur position. J’étais furieux.Mais mon emprisonnement m’a apporté une bénédictioninsolite : lentement, au travers du peu <strong>de</strong> souffrance quej’ai enduré – l’ennui et <strong>la</strong> saleté, et notre traitement déhumanisant– j’ai commencé à m’intéresser au prisonnierindigent dans le lit à côté du mien, et <strong>la</strong> joie qui provientdu service aux autres s’est éveillée en moi.J’ai commencé à comprendre ce que Thomas Kellyvou<strong>la</strong>it dire par vivre dans le « présent eternel », car tousles prisonniers par<strong>la</strong>ient constamment du temps qui leurrestait avant leur liberté, vivant tout le temps dans l’avenir.102


L A q u ê t e d e l a p a i xCommencer à vivre pour le présent – non pas pour ma liberté,ni même pour le prochain repas, ou film, ou occasion<strong>de</strong> dormir – m’a permis d’être en <strong>paix</strong> même en prison.Des années plus tard, pendant une pério<strong>de</strong> difficile <strong>de</strong> sa viepersonnelle, Doug trouva un sens nouveau à <strong>la</strong> prière. « Aulieu <strong>de</strong>s façons courantes d’échapper au découragement, ouà <strong>la</strong> dépression, <strong>la</strong> prière – dans le sens tout simple <strong>de</strong> metourner vers Dieu et mon voisin avec amour – est <strong>de</strong>venu <strong>la</strong>base d’une <strong>paix</strong> durable et <strong>de</strong> ma raison <strong>de</strong> vivre. » Maintenant,à mesure qu’il vieillit, Doug dit que sa prière personnellea pris une importance qu’elle n’avait jamais eue auparavant.<strong>La</strong> prière à intervalles régulièrs avec ma femme, ou seul– le matin, à midi, le soir, et lorsque je reste éveillé <strong>la</strong>nuit – est <strong>de</strong>venue une ligne <strong>de</strong> sauvetage, ai<strong>de</strong> uniquepour confronter les échecs inévitables, les tentations, lesdécouragements ou pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> dépressions que chacun<strong>de</strong> nous éprouve un jour ou l’autre.Il ne s’agit pas toujours <strong>de</strong> paroles. Il s’agit, peut-êtresimplement <strong>de</strong> se tourner vers Dieu pendant <strong>la</strong> journée,lever les yeux, avoir un moment <strong>de</strong> silence en se souvenant<strong>de</strong> quelqu’un qui est accablé ou qui souffre. Oupeut-être c’est un moment pour considérer certainsproblèmes et questions. Ou bien encore, il peut s’agir <strong>de</strong><strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté, afin <strong>de</strong> pouvoir reconnaître mesfautes et prendre conscience <strong>de</strong>s temps que j’ai peut-êtreblessé mon prochain. <strong>La</strong> prière m’ai<strong>de</strong> à renforcer monengagement envers Jésus-Christ et envers mes frères etsœurs. En tout ceci, on retrouve <strong>la</strong> <strong>paix</strong> – non pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong>du mon<strong>de</strong>, mais <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Jésus.Karl Barth a écrit que quand on joint les mains en prière,un soulèvement contre le désarroi du mon<strong>de</strong> se déploie. Si103


L A q u ê t e d e l a p a i xceci est vrai, et je le crois, alors nos prières ne peuvent pasexister dans un sphère à part, et elles ne peuvent pas êtredirigées par nos désirs et nos intentions. De même que <strong>la</strong> foisans actes signifie une certaine mort spirituelle, <strong>de</strong> même <strong>la</strong>prière sans l’action est une hypocrisie. Même sans les actes,nos prières doivent être plus que <strong>de</strong>s appels égocentriquespour le bonheur personnel, si elles vont avoir un effet sur lemon<strong>de</strong> extérieur.Doug fait allusion à l’importance d’incorporer les autresdans notre prière. Parmi les Premiers Chrétiens et au travers<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’Eglise persécutée, et <strong>de</strong> ses martyres, nousretrouvons cette pensée, et même une pensée encore plusradicale – <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong> prier, comme Jésus l’a ordonné, pourceux qui nous persécutent. Il nous faut être prêts à faire <strong>de</strong>même pour ceux qui nous font du mal, que ce soit par <strong>la</strong>médisance, <strong>la</strong> calomnie, ou quelque autre méfait.Si nous professons aimer nos ennemis et nous manquons<strong>de</strong> prier pour eux, nous nous dupons. Le fondateur <strong>de</strong> Sojourners,Jim Wallis écrivit :Tant que nous ne prions pas pour nos ennemis, nouscontinuons à ne voir que notre propre point <strong>de</strong> vue – notrepropre vertu – et à ignorer leur point <strong>de</strong> vue. <strong>La</strong> prièredétruit <strong>la</strong> différence entre nous et eux. Faire violence auxautres, c’est les rendre nos ennemis. <strong>La</strong> prière, par contre,transforme les ennemis en amis.En invitant nos ennemis dans notre cœur par <strong>la</strong> prière,il <strong>de</strong>vient difficile alors <strong>de</strong> maintenir l’hostilité nécessaireà <strong>la</strong> violence. En les rapprochant <strong>de</strong> nous, <strong>la</strong> prière sertmême à protéger nos ennemis. Ainsi, <strong>la</strong> prière sape <strong>la</strong>propagan<strong>de</strong> et <strong>la</strong> politique qui nous influencent à haïr et àcraindre notre ennemi. En adoucissant notre cœur envers104


L A q u ê t e d e l a p a i xnos adversaires, <strong>la</strong> prière peut même <strong>de</strong>venir traîtresse. <strong>La</strong>fervente prière pour nos ennemis est un grand obstaclepour <strong>la</strong> guerre et pour les sentiments qui conduisent à<strong>la</strong> guerre.En temps <strong>de</strong> guerre ou <strong>de</strong> crises nationales, on entend beaucoup<strong>de</strong> prières, mais elles sont rarement offertes dans cetesprit, du moins, pas publiquement. Je me souviens d’uneoccasion pendant <strong>la</strong> première guerre du Golf, juste aprèsl’attaque <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> envergure contre Irak au début <strong>de</strong> l’année1991. Le prési<strong>de</strong>nt Bush, adressa <strong>la</strong> nation à <strong>la</strong> télévision,implorant les spectateurs <strong>de</strong> <strong>de</strong><strong>la</strong>isser toute activité, afin<strong>de</strong> prier pour « nos gars » au Golf. Il finit son oraison avecces paroles ferventes, « Que Dieu bénisse les Etats Unisd’Amérique ».<strong>La</strong> plupart d’entre nous avions probablement fait notre<strong>de</strong>voir patriotique, sans autre réflexion. Pourtant, commeThich Nhat Hanh a souligné, il y avait probablement le mêmenombre <strong>de</strong> Musulmans Irakiens qui se prosternaient <strong>de</strong>vantAl<strong>la</strong>h à ce moment-là, et qui priaient pour leurs maris et leursfils. Comment Dieu pourrait-il savoir quelle nation soutenir ?Les gens prient Dieu parce qu’ils veulent que Dieu pourvoieà leurs besoins. S’ils veulent faire un pique-nique,ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt un jour ensoleillé. Au même moment, lesfermiers, qui ont besoin <strong>de</strong> pluie, prient pour le contraire.Si le temps est c<strong>la</strong>ir, les gens diront : « Dieu est avec nous ;il a répondu à notre prière. » Mais s’il pleut, les fermiersvont dire que Dieu a répondu à leur prière. C’est ainsique nous prions généralement.Dans le Sermon sur <strong>la</strong> Montagne, Jésus nous enseigne :« Heureux ceux qui répan<strong>de</strong>nt autour d’eux <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, carDieu les reconnaîtra pour ses fils. » Ceux qui travaillent105


L A q u ê t e d e l a p a i xpour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> doivent avoir un cœur en <strong>paix</strong>. Si on a uncœur en <strong>paix</strong>, on est un enfant <strong>de</strong> Dieu. Mais un grandnombre <strong>de</strong> ceux qui travaillent pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ne possè<strong>de</strong>ntpas un cœur en <strong>paix</strong>. Ils ont toujours <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère, <strong>de</strong> <strong>la</strong>frustration, et leur travail n’est pas vraiment paisible...En vue <strong>de</strong> préserver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, nos cœurs doivent être en<strong>paix</strong> avec le mon<strong>de</strong>, avec nos frères et sœurs. Si nous essayons<strong>de</strong> surmonter le mal avec le mal, nous ne travaillonspas pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Si vous dîtes : « Saddam Husseinest perfi<strong>de</strong>. Il nous faut l’empêcher <strong>de</strong> continuer à faire lemal », et si, alors, vous vous servez <strong>de</strong>s mêmes moyensque lui, vous êtes pareils à lui. Essayer <strong>de</strong> surmonter lemal avec le mal n’est pas le moyen <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Si vous priez seulement pour votre pique-nique et nonpas pour les fermiers qui ont besoin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluie, vousfaîtes le contraire <strong>de</strong> ce que Jésus a enseigné. Jésus a dit :« Mais moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pourceux qui vous persécutent. » Si nous examinons notrecolère, nous voyons que <strong>la</strong> personne soi-disant ennemiesouffre aussi. Dès que nous nous rendons compte <strong>de</strong>ce<strong>la</strong>, nous pouvons l’accepter et même avoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> compassionpour cette personne. Jésus appelle ceci « aimerson ennemi ». Si nous sommes capables d’aimer notreennemi, il n’est plus notre ennemi. <strong>La</strong> pensée « ennemi »fait p<strong>la</strong>ce à l’idée <strong>de</strong> quelqu’un qui souffre beaucoup etenvers lequel nous <strong>de</strong>vons avoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> compassion. Aimernotre prochain, c’est quelquefois plus facile que nous nele pensions, mais il nous faut le pratiquer. Si nous lisons<strong>la</strong> Bible sans <strong>la</strong> mettre en pratique, ce<strong>la</strong> ne sert à rien.Thich Nhat Hanh106


•<strong>La</strong> confianceAyez confiance en votre mé<strong>de</strong>cin, et prenez son remè<strong>de</strong> ensilence et tranquillité :Car sa main, bien qu’elle soit lour<strong>de</strong>, est guidée par <strong>la</strong> maintendre <strong>de</strong> l’invisible,Et <strong>la</strong> coupe qu’il vous donne, tandis qu’elle brûle vos lèvres,a été façonnée avec l’argile que le potier a humectée avecses <strong>la</strong>rmes sacrées.Kahlil GibranDepuis notre enfance on nous enseigne qu’il est dangereuxd’avoir confiance, et il y a une certaine véritéen ce<strong>la</strong>. Avoir confiance, ce<strong>la</strong> implique prendre <strong>de</strong>s risques.<strong>La</strong> confiance signifie que l’on donne aux autres le bénéficedu doute. Ce<strong>la</strong> exige que nous nous rendions volontairementvulnérables. Ce<strong>la</strong> veut dire que nous savons que notre sécuritérési<strong>de</strong> dans un pouvoir plus élevé, et que notre <strong>paix</strong> nedépend pas <strong>de</strong> notre habileté à tenir tout en main. <strong>La</strong> confiance,c’est se confier à Dieu sans réserve.Contrairement à l’opinion popu<strong>la</strong>ire, <strong>la</strong> confiance n’est pas<strong>la</strong> même chose que <strong>la</strong> naïveté d’un caractère faible. <strong>La</strong> confiancene nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pas <strong>de</strong> continuer à vivre, content et


L A q u ê t e d e l a p a i xsans trouble, en prétendant que tout va bien et prendre <strong>la</strong> vieau pied <strong>de</strong> <strong>la</strong> lettre. Aujourd’hui, une telle « confiance » seraitsuicidaire. Pourtant les alternatives – l’anxiété, <strong>la</strong> méfiance,et le soupçon – sont aussi <strong>de</strong>structeurs. L’écrivain MennoniteDaniel Hess remarque :Il importe peu que bon nombre d’ouvriers soient couvertspar l’assurance ma<strong>la</strong>die, que <strong>la</strong> semaine <strong>de</strong> quaranteheures leur <strong>la</strong>isse un certain temps pour le loisir, que lesa<strong>la</strong>ire donne à certains quelque richesse, et que <strong>la</strong> scienceait réussi à garantir que nos outils ne présententaucun danger et à prédire ce qu’il y a <strong>de</strong> vo<strong>la</strong>tile dans <strong>la</strong>nature. Malgré tout, nous sommes anxieux.Les gens ont <strong>de</strong>s estomacs noués et <strong>de</strong>s paumes moitespar peur <strong>de</strong> ce qui pourrait se produire, <strong>la</strong> panique causéepar <strong>la</strong> dépendance <strong>de</strong>s drogues, <strong>la</strong> dépression due au déséquilibrechimique, trop <strong>de</strong> chefs, trop d’engagements,trop <strong>de</strong> désirs non réalisés.Beaucoup s’inquiètent <strong>de</strong> leurs re<strong>la</strong>tions, stressés par<strong>la</strong> friction, et abbatus par <strong>la</strong> trahison. Ils souffrent d’unepeur bien réelle <strong>de</strong>s poursuites juridiques, <strong>de</strong> <strong>la</strong> compétitioninjuste, <strong>de</strong>s mesures <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong>s effectifs et <strong>de</strong>sacquisitions hostiles.Jésus lui-même nous conseille d’être doux et innocentscomme les colombes, mais aussi, rusés que <strong>de</strong>s serpents.Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>, cependant, il nous rappelle – en guise d’unequestion d’une simplicité désarmante – que notre manque<strong>de</strong> confiance en lui et en Dieu est tout à fait inutile : « Quid’entre vous parvient à prolonger un peu <strong>la</strong> durée <strong>de</strong> sa viepar le souci qu’il se fait ? »Malheureusement, les trahisons, le commérage, <strong>la</strong> médisance,qui font partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, empêchent <strong>de</strong> nombreuses108


L A q u ê t e d e l a p a i xpersonnes même d’oser avoir confiance. C<strong>la</strong>re Stober, unefemme d’affaires qui est <strong>de</strong>venue membre <strong>de</strong> notre communauté,écrit :<strong>La</strong> méfiance est un obstacle sérieux à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> l’âme. Ilse peut que nous essayions <strong>de</strong> défendre ceux que nousaimons par notre pru<strong>de</strong>nce, mais en fin <strong>de</strong> compte nousédifions <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong> <strong>la</strong> méfiance. Si quelqu’un profite <strong>de</strong>nous, ou agit injustement, nous présumons aussitôt lepire – et ceci, non seulement dans cette situation, maisà partir <strong>de</strong> ce moment. Nous voyons <strong>la</strong> cousine <strong>de</strong> <strong>la</strong>confiance, <strong>la</strong> vulnérabilité, comme un signe <strong>de</strong> faiblesse,quelque chose <strong>de</strong> stupi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> trop naïf.Si nous refusons d’avoir confiance en les autres, nouscroyons, peut-être que nous nous protégeons, mais c’estle contraire. L’amour est <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> protection, <strong>la</strong>sécurité véritable. Si nous sommes méfiants, nous nepouvons pas vraiment aimer, ni être aimés. Nous nousséparons <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong>s autres.Au Bru<strong>de</strong>rhof, comme en tout groupe <strong>de</strong> personnes trèsunies, <strong>la</strong> proximité <strong>de</strong> nos appartements, le fait <strong>de</strong> se voirchaque jour, ouvre <strong>la</strong> voie aux spécu<strong>la</strong>tion ou au comméragemalveil<strong>la</strong>nt. Cependant, dès le début <strong>de</strong> notre vie en communauté,nous avons trouvé que notre engagement partageaità parler franchement peut maintenir une confiance et une<strong>paix</strong> authentiques.L’amour est <strong>la</strong> seule loi. L’amour c’est <strong>la</strong> joie que nousavons en notre prochain. Pourquoi, alors, se fâcheravec lui ? Les paroles d’amour montrent notre joie en <strong>la</strong>présence <strong>de</strong> nos frères et sœurs. Il est hors <strong>de</strong> question<strong>de</strong> parler d’une autre personne dans un esprit d’irritationou <strong>de</strong> vexation. On ne doit jamais parler, ouvertement109


L A q u ê t e d e l a p a i xou en insinuant, contre un frère ou une sœur, ou contreleurs traits caractéristiques – en aucune circonstance<strong>de</strong>rrière leur dos; <strong>la</strong> conversation en famille n’est pasune exception.Sans cette règle <strong>de</strong> silence, il ne peut y avoir <strong>de</strong> loyauté,ou <strong>de</strong> communauté. Parler directement est le seul moyen ;c’est le service spontané, fraternel, que nous <strong>de</strong>vons rendreà toute autre personne, dont les côtés faibles provoquentune réaction négative en nous. Une parole franche,adressée directement, approfondit l’amitié, et ne causepas <strong>de</strong> ressentiment. Seulement lorsque <strong>de</strong>ux personnesn’arrivent pas à se réconcilier, est-il nécessaire d’appelerune troisième personne en qui toutes les <strong>de</strong>ux ont confiance.De cette manière elles sont conduites vers une solutionqui les unit au niveau le plus haut et le plus profond(Matthieu 18.16-17).Eberhard ArnoldEllen Kei<strong>de</strong>rling est <strong>de</strong>venue membre notre communauté,il y a quelques décennies, mais elle se souvient bien <strong>de</strong> sajoie, en lisant ceci pour <strong>la</strong> première fois – et en sachant quec’était vraiment pratiqué :Lorsque je venais d’arriver à <strong>la</strong> communauté et j’ai découvertqu’il n’y aurait jamais <strong>de</strong> commérage, c’était commesi un poids énorme me glissait <strong>de</strong>s épaules. D’où je venais,le commérage était courant. Comme tout le mon<strong>de</strong>,je me souciais <strong>de</strong> ce qu’on pensait et disait <strong>de</strong> moi, maisje n’avais pas considéré ce<strong>la</strong> sérieusement et ne réalisaispas le far<strong>de</strong>au que ces soucis causaient ; et combiennotre vie en était affectée. Et, maintenant, savoir que siquelqu’un avait quelque chose contre moi, il viendrait mele dire – c’était comme un renouvellement pour moi. J’aimanqué <strong>de</strong> parler directement bien <strong>de</strong>s fois <strong>de</strong>puis, mais110


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>la</strong> confiance reste. C’est une position ferme, à <strong>la</strong>quelleon revient.Trop souvent, notre tranquillité vis-à-vis nos prochains estebranlée parce que nous n’avons pas cette confiance. Pourune raison ou une autre, justifiée ou non, nous n’osons pascroire que nous serons aimés tels que nous sommes, avectoutes nos faiblesses et fautes. Mais ceci est exactement ceque nous <strong>de</strong>vons faire. Plutôt que <strong>de</strong> gaspiller notre vie dans<strong>la</strong> crainte et <strong>la</strong> méfiance, nous <strong>de</strong>vrions gar<strong>de</strong>r notre confianceen autrui – même si l’on nous trahit.<strong>La</strong> confiance en Dieu est tout aussi vitale. C.S. Lewis, Dansson livre Le grand divorce a décrit une femme qui était tellementrongée par son anxiété, qu’en al<strong>la</strong>nt au ciel tout cequi restait d’elle était un petit monceau tremb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> soucis.Aussi drôle que soit cette image, c’est une bonne <strong>de</strong>scription<strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> gens. Si seulement ils pouvaientprendre conscience <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> Dieu et réaliser qu’illes tient dans ses mains, quoiqu’ils aient confiance en Luiou non ! Dieu connait les secrets les plus profonds <strong>de</strong> notrecœur et Il nous aime quand même. Il sait tout ce dont nousavons besoin, avant que nous ne le <strong>de</strong>mandions. Pour notrepart, il nous faut seulement venir à lui tels que nous sommes– <strong>de</strong>s enfants – et le <strong>la</strong>isser nous ai<strong>de</strong>r.Pour certains (les mamans avec leurs bébés ou jeunes enfants,par exemple) il est difficile d’avoir une telle confiance.Elles ont peur <strong>de</strong> toutes les choses terribles qu’elles lisent auxjournaux ou enten<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> radio chaque jour : les guerres,les désastres, les actes <strong>de</strong> terrorisme, les crimes violents.Parfois elles se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt même si c’est raisonnable <strong>de</strong>mettre <strong>de</strong>s enfants au mon<strong>de</strong>. Ce n’est pas un nouveau peur.111


L A q u ê t e d e l a p a i xJe naquis pendant le bombar<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> l’Angleterre pendant<strong>la</strong> Deuxième Guerre Mondiale, et les avions survolèrenttoutes les nuits. Deux fois, <strong>de</strong>s bombes tombèrent dans levoisinage, une fois sur notre terrain, et une fois sur le vil<strong>la</strong>gevoisin. Mes parents avaient encore plus peur, cependant,d’une invasion Nazie. Car pour eux (comme réfugiés qui sesont prononcés contre Hitler), et pour nous enfants, ceci auraitpu signifier <strong>la</strong> mort ; ma mère en avait très peur chaquefois qu’elle y pensait. Des années plus tard, repensant àcette pério<strong>de</strong>, mon père écrit à un couple qu’il conseil<strong>la</strong>it :Bien que ce ne soient plus les bombes qui nous effraient,nous vivons dans un temps <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> souffrance et <strong>de</strong>mort. Il est tout à fait possible que beaucoup d’entre nous– y compris <strong>de</strong>s parents <strong>de</strong> petits enfants comme vous –puissent <strong>de</strong>voir souffrir et mourir un jour pour notre foi.Je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du fond <strong>de</strong> mon cœur <strong>de</strong> faire confianceà Dieu, totalement. Il existe maints passages effrayantsdans <strong>la</strong> Bible, surtout dans l’Apocalypse <strong>de</strong> Saint Jean.Mais même là, il est dit que Dieu essuiera, Lui-même, les<strong>la</strong>rmes <strong>de</strong> tous ceux qui ont souffert. Il nous faut réellementcroire que Jésus n’est pas venu pour nous juger,sinon pour apporter le salut. « Dieu a tellement aimé lemon<strong>de</strong>... » Accroche-toi à ce verset. Il nous rappelle ledésir ar<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Dieu <strong>de</strong> sauver l’humanité. A <strong>la</strong> fin, nousserons un avec Dieu. Il nous faut croire ceci, pour nousmêmeset pour nos enfants, aussi.Parfois, ceux qui ont le plus peur, humainement, reçoiventun sens profond <strong>de</strong> calme intérieur. Quelqu’un qui souffred’une ma<strong>la</strong>die mortelle, un condamné à mort, une personnemourante victime d’un acci<strong>de</strong>nt – on ne s’attend pas, peutêtre,qu’ils aient <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans le cœur. Cependant, lorsque112


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>la</strong> mort ménace quelqu’un, les soucis superficiels, qui seraientaptes à le distraire dans une situation moins menaçante, disparaissent,et il doit faire face à l’Eternité. Il se trouve auxprises avec ce choix : ou bien, se cogner <strong>la</strong> tête contre le mur,pour ainsi dire, afin d’essayer d’échapper l’inévitable, ou biens’abandonner avec confiance aux mains <strong>de</strong> Dieu.George Burleson, membre du Bru<strong>de</strong>rhof et ami proche, quilutte contre un cancer lent, mais progressif <strong>de</strong>puis quatreans, m’a récemment écrit :Depuis que j’ai un cancer et en réalisant l’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>mon avenir, j’apprends combien il est important d’avoirune confiance totale en Dieu, en son amour, et en sabonté. C’est seulement lorsque je suis capable <strong>de</strong> cecique mon anxiété disparaît. <strong>La</strong> mort vient à tout le mon<strong>de</strong>– nous sommes tous dans <strong>la</strong> même situation vis-à-vis<strong>la</strong> mort – donc, on perd son temps en y pensant sanscesse. Notre vie est dans les mains <strong>de</strong> Dieu. C’est ce<strong>la</strong>qui importe, et en l’acceptant nous trouverons <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Mumia Abu-Jamal, un autre ami, a dû faire face à <strong>la</strong> mortdans toutes autres circonstances. Journaliste radical et ancienB<strong>la</strong>ck Panther, il fut accusé du meurtre d’un gendarmeet condamné à mort dans un procès qui était manifestementraciste. Mumia n’est pas un chrétien, et il ne voudrait jamaisêtre rangé parmi les gens pacifiques – il n’accepterait pas,non plus, le vocabu<strong>la</strong>ire utilisé dans ce livre pour décrire<strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Cependant, il rayonne du calme <strong>de</strong> quelqu’un dontl’espérance rési<strong>de</strong> en une confiance absolue dans le pouvoir<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. Finalement, il a <strong>la</strong> foi que <strong>la</strong> justice va prévaloir.« Si vous vous êtes engagé à agir conformément au bien età <strong>la</strong> justice, dit-il, ces pouvoirs ne vous trahiront jamais. »113


L A q u ê t e d e l a p a i xL’écrivain Dale Aukerman témoigne aussi à <strong>la</strong> puissance<strong>de</strong> <strong>la</strong> confiance comme instrument <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Tout commeGeorge, sa <strong>paix</strong> ne provient pas <strong>de</strong> sa faible résignation enversune mort imminente ; comme eux, son amour <strong>de</strong> <strong>la</strong> viene diminue pas, et il ne succombera pas sans lutter. Pourtant<strong>la</strong> proximité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort ne le déséquilibre pas et ne lui faitpas perdre son sang-froid. Sa confiance en une Puissancesupérieure lui donne <strong>la</strong> force <strong>de</strong> retrouver son équilibre.Le 5 Novembre, 1996, j’ai appris qu’une tumeur <strong>de</strong> 75mmétait logée dans mon poumon gauche. Les examens ontrévélé plus tard que le cancer avait gagné le foie, <strong>la</strong> hanchedroite, et <strong>de</strong>ux parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonne vertébrale. J’ai apprisque je n’avais que <strong>de</strong>ux à six mois à vivire, une perspective<strong>de</strong> quatre mois en moyenne. C’est surprenant combien ondoit se réorienter quand on découvre que l’on a seulementun mois ou <strong>de</strong>ux à vivre. Chaque jour et chaque rapportproche <strong>de</strong>viennent doublement précieux. Tous les matins,je réfléchissais quel jour <strong>de</strong> <strong>la</strong> semaine nous étions– encoreune journée que Dieu m’accor<strong>de</strong>. Je contemp<strong>la</strong>is mafamille, mon chez moi, <strong>la</strong> création <strong>de</strong> Dieu, avec une nouvelleintensité, sachant que mes jours al<strong>la</strong>it bientôt prendrefin. Lors d’un culte religieux où j’ai été oint d’huile, peu <strong>de</strong>temps après mon diagnostic, j’ai confessé que je n’avaispas prêté assez d’attention à Dieu. grâce à mon cancer,je suis <strong>de</strong>venu plus conscient, et plus attentif envers Dieu.Lorsque ma sœur Jane est morte d’un cancer mortelà l’âge <strong>de</strong> quatorze ans, ma mère l’a accepté comme <strong>la</strong>volonté <strong>de</strong> Dieu : Dieu a choisi <strong>de</strong> <strong>la</strong> prendre à Lui, etqui sommes-nous – rien que <strong>de</strong>s êtres humains – pourle contredire ? Pour certaines personnes, cette façon <strong>de</strong>penser peut être une conso<strong>la</strong>tion. Quant à moi, je le voisun peu différemment. Je ne crois pas que c’est Dieu qui114


L A q u ê t e d e l a p a i xnous envoie un cancer ou une ma<strong>la</strong>die. Quand un conducteur<strong>de</strong> taxi ivre a un acci<strong>de</strong>nt, et plusieurs personnessont tuées, je ne pense pas que Dieu le veuille...Mais Dieu est avec nous comme Celui qui est contre<strong>la</strong> mort. De bien plus <strong>de</strong> façons que nous ne puissionscomprendre, Dieu diminue le pouvoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort. En tantque jeune garçon, j’ai failli être écrasé sous un camion<strong>de</strong> ferme. Quelques années plus tard, j’ai failli mourird’un empoisonnement à l’arsenic. J’ai échappé belle auvo<strong>la</strong>nt plusieurs fois...Suivant six cycles <strong>de</strong> chimiothérapie, et <strong>de</strong> supplémentsnutritifs, et beaucoup <strong>de</strong> prière <strong>de</strong> mes nombreux amis,j’ai été encore une fois examinée, et ceci montra que <strong>la</strong>tumeur dans mon poumon était réduite à plus d’un quart<strong>de</strong> sa taille originelle. Deux <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins en ont parlécomme d’un miracle. D’une façon remarquable, et contrairementaux probabilités médicales, Dieu a supprimé<strong>la</strong> mort et m’a donné une vie plus longue.Dans <strong>la</strong> Lettre aux Ephésiens 1.19-20, Paul écrit : « ...et quelle est l’infinie gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> sa puissance, qui semanifeste avec efficacité par le pouvoir <strong>de</strong> sa force enversnous qui croyons. Cette puissance, il l’a déployéeen Christ quand il l’a ressuscité et l’a fait asseoir à sadroite dans les lieux célestes... » Nous lisons que Dieu amis toutes choses sous les pieds du Christ – c’est-à-dire,Dieu l’a p<strong>la</strong>cé victorieux au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toute puissance,et <strong>de</strong> toute autre domination rebelle. C’est une imagebiblique <strong>de</strong> <strong>la</strong> conquête triomphante. Celui qui est mortet ressuscité est le vainqueur du cancer, <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>dies ducœur, du SIDA, <strong>de</strong> l’Alzheimer, <strong>de</strong> <strong>la</strong> schizophrénie, <strong>de</strong>l’abus <strong>de</strong>s enfants. Il est le vainqueur <strong>de</strong> l’exploitation <strong>de</strong>spauvres, <strong>de</strong> l’exploitation aveugle <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne terre <strong>de</strong>Dieu, <strong>de</strong> <strong>la</strong> folie <strong>de</strong>s dépenses militaires et <strong>de</strong> l’armementnucléaire.115


L A q u ê t e d e l a p a i xMais alors, <strong>de</strong>mandons-nous : si le Christ a déjà <strong>la</strong> victoiresur toutes ces choses, pourquoi sont-elles encore enévi<strong>de</strong>nce ? Comment se fait-il qu’elles dominent partout ?En guerre, il y a une bataille décisive qui détermine lequelsera le vainqueur. Grâce à cette bataille, l’un <strong>de</strong>s campsest sûr <strong>de</strong> remporter un triomphe total, même si l’autrecamp a encore <strong>de</strong>s troupes sur le champ <strong>de</strong> bataille etque <strong>la</strong> lutte continue. Il n’est qu’une question <strong>de</strong> tempsavant que ce camp ne soit vaincu.Atteindre l’éternité après <strong>la</strong> mort n’est pas notre but.Notre plus grand espoir, selon le Nouveau Testament, estque le royaume glorieux <strong>de</strong> Dieu vienne, et que le Seigneurinvisible apparaisse dans sa splen<strong>de</strong>ur afin <strong>de</strong> récréer toutce que Dieu a créé, et que tout ce qui est mal et <strong>de</strong>structifsoit éliminé. Ainsi, l’histoire s’avérera vraie et juste. c’est àdire que l’histoire finiera bien. L’histoire humaine réalisera<strong>la</strong> fin prévue par Dieu. A un certain moment Dieu prendra<strong>de</strong> nouveau contrôle total <strong>de</strong>s évènements humains, etintroduira le miracle inimaginable du Nouveau royaume.Tout d‘abord, notre espérance est l’accomplissement <strong>de</strong>tout ce que Dieu a promis ; notre espérance d’y prendrepart n’est qu’au <strong>de</strong>uxième p<strong>la</strong>n.Pendant toute ma vie d’adulte, j’ai œuvré activementpour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et ces <strong>de</strong>rniers mois, j’ai gran<strong>de</strong>ment appreciéquelques versets à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, particulièrementdans l’Evangile <strong>de</strong> Jean, où le Seigneur ressuscité,lorsqu’il est apparu aux disciples dans <strong>la</strong> chambre haute,leur a dit : « <strong>La</strong> <strong>paix</strong> soit avec vous ! » Un autre verset dans<strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> Paul aux Philippiens auquel j’ai pensé, alorsque j’ai dû passer un IRM, est : « Et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu, quidépasse tout ce que l’on peut comprendre, gar<strong>de</strong>ra votrecœur et vos pensées en Jésus-Christ » (Philippiens 5.7).Esaïe nous dit : « ...tu assures une <strong>paix</strong> profon<strong>de</strong> parcequ’il se confie en toi » (Esaïe 26.3). Cette <strong>paix</strong> parfaite,116


L A q u ê t e d e l a p a i xdu point <strong>de</strong> vue biblique, est plus que <strong>la</strong> tranquillité <strong>de</strong>l’âme et <strong>de</strong> l’esprit. C’est <strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions,qui <strong>de</strong>meure ferme contre tout ce qui essaie <strong>de</strong> nousfragmenter et <strong>de</strong> nous détruire. C’est un don qui peut noussoutenir, même lorsque nous traversons les ténèbres.117


•Le pardonUn rabbin a <strong>de</strong>mandé à ses disciples : A quel moment àl’aube pouvez-vous différencier <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong> l’obscurité ?Un <strong>de</strong>s étudiants a répondu : quand je puis discerner unechèvre d’un âne. Non, a répondu le rabbin. Un autre proposa: quand je puis discerner un palmier d’un figuier. Non,répondit <strong>de</strong> nouveau le rabbin. Eh bien, quelle est donc <strong>la</strong>réponse ? insistèrent les élèves. Lorsque vous pouvez enfinregar<strong>de</strong>r le visage <strong>de</strong> chaque homme et <strong>de</strong> chaque femme,et voir là votre frère et votre sœur, dit le rabbin. Seulementalors avez-vous vu <strong>la</strong> lumière. Le reste est encore l’obscurité.Conte Hassidique<strong>La</strong> nature humaine étant ce qu’elle est, c’est une vraie grâce<strong>de</strong> percevoir un frère ou une sœur dans chaque personne.Même nos re<strong>la</strong>tions avec nos plus proches sont parfois troubléespar <strong>de</strong> petits griefs. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> véritable entre nous nécessiteun effort. Parfois, nous <strong>de</strong>vons être prêts à cé<strong>de</strong>r ; quelquefois,il faut <strong>de</strong> <strong>la</strong> franchise. Aujourd’hui, nous avons besoind’humilité, afin <strong>de</strong> rester silencieux ; <strong>de</strong>main, du courage afin<strong>de</strong> parler ouvertement. Cependant, ce qui <strong>de</strong>meure constantest que, si nous voulons rester en <strong>paix</strong> avec les autres, il nousfaut pouvoir pardonner, encore et encore.


L A q u ê t e d e l a p a i xNous avons tous, à un moment où à l’autre, été offensés,et nous avons tous, à un moment où à l’autre, offenséquelqu’un d’autre. donc, <strong>de</strong> même que nous <strong>de</strong>vons touspardonner, chacun <strong>de</strong> nous a besoin d’être pardonné. Sansle pardon, nous ne trouverons pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Le pardon, qu’est-ce que c’est ? Dans mon livre Pourquoipardonner ?, qui est entièrement dévoué à ce sujet, j’ai indiquéqu’il existe un pardon que Dieu nous offre, et un pardonmutuel entre nous, les êtres humains. Ces <strong>de</strong>ux pardons sontdistincts, mais étroitement liés. Afin d’éprouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> queDieu nous donne au travers du pardon, il semble que nous<strong>de</strong>vons être les premiers à être prêts à pardonner aux autres.Je cite mon père :Dieu nous ordonne <strong>de</strong> pardonner à notre prochain afinque nous puissions, nous-mêmes, être pardonnés, etceci est important dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> chacun. C’est surtoutimportant au moment <strong>de</strong> mourir. Ceux qui ont <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong>d’avoir été pardonnés pour leurs péchés, et d’avoirpardonné ceux qui les ont offensés, seront épargnés <strong>de</strong>l’angoisse à leur <strong>de</strong>rnière heure.Pardonner, n’a rien à faire avec <strong>la</strong> justice, ou à excuser lemal ; en fait ce<strong>la</strong> peut signifier pardonner à quelqu’un quelquechose d’inexcusable. Quand nous excusons quelqu’un, nousécartons sa faute. Quand nous pardonnons, nous avons,peut-être, une bonne excuse pour gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>la</strong> rancune, maisnous refusons <strong>de</strong> chercher à nous venger. Notre pardon n’estpeut-être pas toujours accepté, mais le fait <strong>de</strong> tendre <strong>la</strong> mainen réconciliation nous épargne <strong>la</strong> colère et l’indignation.Même si nous restons blessés, une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> pardon nousgar<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> provoquer <strong>la</strong> personne qui nous a causé du mal.119


L A q u ê t e d e l a p a i xEt ceci peut même renforcer notre résolution <strong>de</strong> pardonner<strong>la</strong> prochaine fois. Dorothy Day écrit :Dieu prend le parti <strong>de</strong> ceux qui sont indignes ; nous lesavons par l’histoire <strong>de</strong> Jésus du fils prodigue... Les lecteurspréten<strong>de</strong>nt, peut-être, que le fils prodigue est revenupénitent chez son père. Mais qui sait, il se peut qu’il soitsorti et ait gaspillé tout son argent le samedi soir suivant,ou a refusé d’ai<strong>de</strong>r dans le travail à <strong>la</strong> ferme, et ainsisté <strong>de</strong> finir son éducation, et ainsi s’est exposé à <strong>la</strong>juste colère <strong>de</strong> son frère... Jésus a une autre réponse : <strong>de</strong>pardonner son frère soixante-dix fois sept. Il y a toujours<strong>de</strong>s réponses, bien qu’elles ne nous apaisent pas toujours.Ironiquement, ce sont ceux qui souffrent le plus dans leurvie qui sont bien plus prêts à pardonner. Bill Pelke est un anciencombattant <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre du Vietnam <strong>de</strong> l’état d’Indianaque j’ai rencontré pendant un événement contre <strong>la</strong> peine<strong>de</strong> mort. Sa grand’mère avait été brutalement assassinée,pourtant il a trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en recherchant <strong>la</strong> réconciliationavec l’adolescente qui l’a tuée.<strong>La</strong> grand’mère <strong>de</strong> Bill, d’un caractère démonstratif, donnait<strong>de</strong>s leçons bibliques aux enfants <strong>de</strong> son quartier. Unaprès-midi au mois <strong>de</strong> mai 1985, alors qu’elle ouvrait <strong>la</strong>porte à quatre adolescentes qui habitaient le voisinage, ellefut attaquée et assommée. Quelques minutes plus tard, aprèsavoir saccagé l’appartement, les jeunes filles se sont enfuiesavec sa vieille automobile, <strong>la</strong> <strong>la</strong>issant baigner dans le sang<strong>de</strong> ses multiples blessures. Bill se souvient :Les jeunes filles ont été arrêtées alors qu’elles se ba<strong>la</strong>daienten voiture avec <strong>de</strong>s amis dans cette même auto.Après, il y a eu un procès. Quinze mois plus tard, elles120


L A q u ê t e d e l a p a i xont été condamnées ; l’une d’elles, à trente-cinq années,<strong>de</strong>ux d’entre elles à soixante années, et <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière, Pau<strong>la</strong>Cooper à <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> mort. J’étais satisfait que l’une d’ellessoit mise à mort : Je sentais qu’autrement, <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> justiceaurait donné l’impression que ma grand’mère n’avaitpas <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> importance, tandis que je savais qu’elleétait une personne très importante.Environ quatre mois après que <strong>la</strong> peine a été prononcée,je me suis disputé avec une amie avec qui je sortais; j’essayais <strong>de</strong> me réconcilier avec elle, et j’étais trèsdéprimé. Je n’arrivais pas à trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Puis un jour, pendant mon travail, alors que je conduisaisune grue (je travail<strong>la</strong>is pour Bethlehem Steel),je réfléchissais comment tout ce<strong>la</strong> s’était passé, surtoutà propos <strong>de</strong> ma grand’mère, et j’ai commencé à prier :« Pourquoi, mon Dieu ? Pourquoi ? » Soudain, j’ai penséà Pau<strong>la</strong> – <strong>la</strong> plus jeune fille dans le pays a être condamnéeà <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> mort – et je l’imaginais dire : « Qu’aijefait ? Qu’ai-je fait ? » Je me suis souvenu du jour oùPau<strong>la</strong> a été condamnée à mort ; je me suis rappelé <strong>de</strong> songrand-père qui gémissait : « Ils veulent tuer mon bébé. »On l’escorta hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> salle. Des <strong>la</strong>rmes cou<strong>la</strong>ient le long<strong>de</strong> ses joues...J’ai alors pensé à ma grand’mère, sa foi, et à ce quedit <strong>la</strong> Bible, sur le pardon. Je me suis souvenu <strong>de</strong> troisversets : le premier qui dit que si tu veux que Dieu te pardonne,tu dois premièrement pardonner à ton prochain ;le <strong>de</strong>uxième, où Jésus dit à Pierre <strong>de</strong> pardonner « soixante-dixsept fois sept » ; finalement, le verset où Jésusdit, au moment <strong>de</strong> sa crucifixion : « Père, pardonne-leur,car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23.34). Pau<strong>la</strong> nesavait pas ce qu’elle faisait. Quand une jeune fille frappequelqu’un à coups <strong>de</strong> couteaux, trente-trois fois, elle n’aplus toute sa raison.121


L A q u ê t e d e l a p a i xTout à coup, j’ai su que je <strong>de</strong>vais lui pardonner. A cemoment-là, j’ai prié Dieu <strong>de</strong> me donner <strong>de</strong> <strong>la</strong> compassion,<strong>de</strong> me permettre <strong>de</strong> l’aimer. Cette prière a changé ma vie.Je ne vou<strong>la</strong>is plus qu’elle meure sur <strong>la</strong> chaise électrique.Qu’est-ce qu’une exécution résoudrait pour moi, ou quique ce soit ?En commençant mon travail j’avais été une personnebattue ; quarante-cinq minutes après j’étais un hommetransformé.Bill a visité Pau<strong>la</strong> plus d’une fois <strong>de</strong>puis le procès, et il aessayé <strong>de</strong> lui transmettre <strong>la</strong> foi <strong>de</strong> sa grand’mère – non pasavec <strong>de</strong>s sermons, mais simplement en lui montrant <strong>de</strong> <strong>la</strong>compassion. Il n’est plus hanté par l’image <strong>de</strong> sa grand’mèrebien-aimée, gisant sur le sol ensang<strong>la</strong>ntée, dans <strong>la</strong> salle àmanger où <strong>la</strong> famille s’était souvent réunie, lors <strong>de</strong> nombreusesoccasions joyeuses. Naturellement, il ressent encoreun grand chagrin ; pourtant, cette peine est alimentée par <strong>la</strong>détermination d’épargner aux autres l’agonie <strong>de</strong> l’amertumequ’il arrivait à surmonter. « Tant que j’ai continué à haïr cesjeunes filles, elles contrô<strong>la</strong>ient ma vie. Une fois que j’ai choisi<strong>de</strong> leur pardonner, j’ai été libéré. »Activiste engagé dans un mouvement grandissant, Mouvement<strong>de</strong> <strong>la</strong> justice réparatrice, Bill parcourt le pays avecl’organisation Journey of Hope: From Violence to Healing(voyage d’espoir – <strong>de</strong> <strong>la</strong> violence à <strong>la</strong> guérison. Il est aussimembre <strong>de</strong> Mur<strong>de</strong>r Victims’ Families for Reconciliation, unmouvement qui a pour objectif <strong>la</strong> réconciliation avec lesmembres <strong>de</strong>s familles <strong>de</strong> ceux qui ont été victimes <strong>de</strong> meurtres.« Le pardon, dit-il, est le seul chemin qui mène <strong>de</strong> <strong>la</strong>violence justqu’à <strong>la</strong> guérison. Il nous épargne <strong>la</strong> corrosion122


L A q u ê t e d e l a p a i xcausée par <strong>la</strong> haine, et nous rend <strong>la</strong> liberté d’être en <strong>paix</strong>avec nous-même.<strong>La</strong> plupart d’entre nous ne <strong>de</strong>vons pas abor<strong>de</strong>r une situationtelle qu’un meurtre ; et beaucoup <strong>de</strong> choses qui nous obsè<strong>de</strong>ntsont risibles en comparaison. Cependant, nous avons peutêtredu mal à pardonner. Surtout si notre ressentiment date <strong>de</strong>longtemps, ce<strong>la</strong> prendra beaucoup <strong>de</strong> temps et d’effort pourle déraciner. Que le mal soit réel ou imaginé, il nous rongeral’âme aussi longtemps que nous le nourrissons.Non pas que nous <strong>de</strong>vons simplement tout supporter. Aucontraire, les personnes qui enfoncent leurs griefs en leursubconscient pour les oublier, ne font que <strong>de</strong> se paralyser.Avant <strong>de</strong> pardonner une injure, ou quelque autre grief, nous<strong>de</strong>vons pouvoir le nommer. Parfois, ce n’est pas possible (oumême utile) <strong>de</strong> confronter <strong>la</strong> personne que nous nous efforçons<strong>de</strong> pardonner ; dans ce cas, <strong>la</strong> meilleure solution, c’est<strong>de</strong> parler <strong>de</strong> notre peine à une autre personne en qui nousavons confiance. Ayant fait ceci, il nous faut alors l’oublier.Autrement, nous risquons <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r notre ressentiment enattendant à jamais qu’on nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon. Et nousresterons séparés <strong>de</strong> Dieu.Tant que nous avons du ressentiment, le chemin versDieu nous est barré. Je suis sûr que beaucoup <strong>de</strong> prièresne sont pas exaucées parce que <strong>la</strong> personne qui prie aquelque chose contre une autre personne, même si ellen’en est pas consciente. Si nous désirons avoir <strong>la</strong> <strong>paix</strong><strong>de</strong> Dieu en notre cœur, il nous faut d’abord apprendre àpardonner.J. Heinrich Arnold123


L A q u ê t e d e l a p a i xNaturellement, nous <strong>de</strong>vons chercher à être pardonnés aussi.Après tout, chacun <strong>de</strong> nous est un pécheur <strong>de</strong>vant Dieu,même si notre « vertu » nous empêche <strong>de</strong> nous percevoirsous cet angle. Une légen<strong>de</strong> à propos du Frère Angelo, unmoine <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> Saint François, illustre parfaitement ceproblème.A <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> Noël, Frère Angelo nettoie sa simple chaumièreet se met à <strong>la</strong> décorer pour <strong>la</strong> messe. Il dit ses prières,ba<strong>la</strong>ie le foyer, suspend <strong>la</strong> bouilloire sur le feu, et s’assiedlà pour attendre Frère François qui <strong>de</strong>vait arriver plus tarddans <strong>la</strong> soirée. A ce moment-là trois bandits apparaissent à<strong>la</strong> porte, quémandant <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture. Apeuré et irrité, FrèreAngelo les renvoie, sans rien leur donner, les grondant et lesmenaçant en leur disant que les voleurs seront consignésaux enfers.Quand François arrive, il voit qu’il y a quelque chose quine va pas. Frère Angelo lui raconte alors ce qui s’est passé,et François l’envoie sur <strong>la</strong> montagne avec une carafe <strong>de</strong> vinet du pain, afin qu’il retrouve les bandits et leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>pardon. Frère Angelo est indigné. Contrairement à François, ilne peut pas considérer ces hommes comme <strong>de</strong>s frères – maisseulement comme <strong>de</strong>s brigands. Il se prépare quand même àobéir, et le soir même (ayant suivi leurs pas dans <strong>la</strong> neige) illes trouve – et il répare ses torts. <strong>La</strong> légen<strong>de</strong> continue : peuaprès, ces hommes ont quitté leur grotte et se sont joints à<strong>la</strong> communauté <strong>de</strong> François.124


•<strong>La</strong> reconnaissanceVivez <strong>de</strong> façon à ce que <strong>la</strong> peur <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort n’entre jamaisen votre cœur. En vous levant tous les matins, remerciezDieu pour <strong>la</strong> lumière du jour. Ren<strong>de</strong>z grâce pour votre vieet votre santé. Ren<strong>de</strong>z grâce pour <strong>la</strong> nourriture et <strong>la</strong> joie <strong>de</strong>vivre. Et si, peut-être, vous ne voyez aucune raison <strong>de</strong> lefaire, soyez sûr que ce soit <strong>de</strong> votre faute.Attribué au Chef TecumsehLe mystique Maître Eckhart a une fois suggéré que mêmesi notre seule prière était « merci », ce<strong>la</strong> suffirait. Si nousacceptons ce conseil superficiellement, ce serait assez facile<strong>de</strong> le suivre. Cependant, rendre grâce à Dieu du fond du cœurpour tout ce qu’il nous donne, et vivre chaque jour dans unesprit <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>, voilà qui est un travail <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> vie.Que veut dire : être reconnaissant ? Henri Nouwen écrit :Etre reconnaissant pour tout le bien que nous recevonsdans notre vie, c’est facile, mais être reconnaissant pourtoute notre vie – le bien, tout autant que le mal, les moments<strong>de</strong> joie comme les moments <strong>de</strong> tristesse, les succèscomme les échecs, les récompenses comme les rejets– ce<strong>la</strong> exige un dur effort spirituel. Cependant, nousne sommes vraiment reconnaissants que quand nous


L A q u ê t e d e l a p a i xpouvons dire merci pour tout ce qui nous a conduit aumoment présent. Tant que nous continuons à diviser notrevie entre les évènements et les personnes dont nousvoulons nous rappeler, et ceux que nous préférons oublier,nous ne pouvons pas dire que <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> notreêtre soit un don <strong>de</strong> Dieu dont nous sommes reconnaissants.N’ayons donc pas peur d’examiner tout ce qui nousa conduit au moment présent, et d’avoir confiance quebientôt nous y verrons <strong>la</strong> main d’un Dieu aimant.C’est tout aussi important <strong>de</strong> remercier pour les peines quepour les joies. Tant que nous reculons <strong>de</strong>vant tout ce quenous craignons, ou tout ce qui nous agace, nous ne seronsjamais en <strong>paix</strong>. Ceci ne veut pas dire que nous <strong>de</strong>vons toutaccepter en silence. Jésus, lui-même, nous dit <strong>de</strong> prier ainsi :« ... ne nous livre pas à <strong>la</strong> tentation. » Mais, puisqu’il y a tant<strong>de</strong> choses dans <strong>la</strong> vie que nous ne pouvons pas contrôler, ilnous faut voir les épreuves, non comme <strong>de</strong>s obstacles, maiscomme <strong>de</strong>s occasions pour grandir.<strong>La</strong> philosophe Simone Weil a une fois écrit : « Dieu répandsa grâce continuellement sur tous les êtres <strong>de</strong> l’univers, maisnous consentons à <strong>la</strong> recevoir dans une mesure variable. S’ils’agit <strong>de</strong> ce qui est purement spirituel, Dieu exauce toutes<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s. Ceux qui ont moins, ont moins <strong>de</strong>mandé. » C’estune pensée fascinante.Et puis, si nous croyons fermement à ces paroles, « QueTa volonté soit faîte », nous serons heureux <strong>de</strong> recevoir ceque Dieu choisit <strong>de</strong> nous donner. Même les Israélites durentsouvent être punis. Ils n’ont pas seulement reçu <strong>la</strong> manne,du ciel. Quant aux bonnes choses – <strong>la</strong> famille, <strong>la</strong> nourriture,126


L A q u ê t e d e l a p a i xles amis, l’amour, le travail – en toute franchise, il nous fautadmettre que nous les considérons souvent comme acquis,comme nos droits plutôt que comme <strong>de</strong>s dons.Carroll King, membre <strong>de</strong> notre Eglise, remarque que c’estjustement lorsque les troubles et les problèmes sont trèsgraves, que <strong>la</strong> gratitu<strong>de</strong> peut changer totalement notre perspective.Une fois, alors que j’étais bien déprimé, l’idée m’est venueque si je pouvait trouver même une seule chose dontj’étais vraiment reconnaissant, ce serait le premier paspour m’en sortir. Il y a toujours quelque chose qui nousrend heureux... Dans ma vie j’ai souvent dû lutter pourune libération <strong>de</strong> <strong>la</strong> peur et l’anxiété. En abandonnanttous nos problèmes aux mains <strong>de</strong> Dieu nous trouvons<strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et non seulement en acceptant <strong>la</strong> solution qu’Ilnous présente comme <strong>la</strong> meilleure, mais en étant vraimentreconnaissant, quoi qu’il nous arrive.Les lignes suivantes du prêtre Jésuite Alfred Delp montrent<strong>la</strong> même attitu<strong>de</strong>. Elles furent écrites en 1944, <strong>de</strong> <strong>la</strong> prisonoù Delp attendait son exécution pour s’être prononcé contreHitler.En apparence, rien n’a jamais été pire. C’est bien le premierNouvel An que je n’aie même pas une croûte <strong>de</strong> pain.Je ne possè<strong>de</strong> absolument rien. Le seul geste <strong>de</strong> bonnevolonté en ma faveur, c’est que les geôliers ont accepté<strong>de</strong> <strong>de</strong>sserrer mes menottes, <strong>de</strong> façon à me permettre <strong>de</strong>libérer ma main gauche. Les menottes pen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> monpoignet droit, et je puis ainsi écrire. Mais, il me faut tenirmon oreille collée à <strong>la</strong> porte – que Dieu me protège si onme trouve au travail !127


L A q u ê t e d e l a p a i xEn vérité je me trouve à l’ombre <strong>de</strong> l’échafaud. A moins<strong>de</strong> pouvoir réfuter chaque point <strong>de</strong> mes accusations, jeserai sûrement pendu.Cependant, bien <strong>de</strong> choses ont été consumée et sont<strong>de</strong>venues plus malléable par le feu sur l’autel <strong>de</strong> messouffrances. C’est une bénédiction <strong>de</strong> Dieu, et un <strong>de</strong>ssignes <strong>de</strong> sa grâce intérieure, que j’ai été si merveilleusementaidé à rester fidèle à mes vœux. Je suis confiant queDieu m’enverra son secours, extérieurement, dès que jeserai prêt à <strong>la</strong> prochaine tâche qu’il désire me confier.Cette activité extérieure et cette lumière intérieure intensifiéefera naître une nouvelle passion pour témoignerdu Dieu vivant, car j’ai vraiment appris à Le connaîtrependant ces journées d’épreuves, et à sentir sa présencesalutaire. <strong>La</strong> pensée : « Dieu Seul suffit » est véritablementet absolument vraie.Dietrich Bonhoeffer montre <strong>la</strong> même assurance remarquabledans une lettre, écrite <strong>de</strong> <strong>la</strong> prison à sa fiancée, Maria We<strong>de</strong>meyer,<strong>la</strong> veille <strong>de</strong> son exécution : « Tu ne dois pas penser queje suis malheureux. Qu’est-ce que le malheur et le bonheur ?Ce<strong>la</strong> dépend si peu <strong>de</strong>s circonstances ; ce<strong>la</strong> dépend, plutôt <strong>de</strong>ce qui se passe dans notre cœur. Je suis chaque jour reconnaissant<strong>de</strong> t’avoir, et ce<strong>la</strong> me rend heureux. »A mon expérience, <strong>la</strong> source <strong>la</strong> plus commune <strong>de</strong>l’ingratitu<strong>de</strong> n’est pas le besoin, mais plutôt une faussecompréhension <strong>de</strong> ce qu’est le bonheur. Tous <strong>de</strong>ux, Delp etBonhoeffer disent que <strong>la</strong> présence ou l’absence <strong>de</strong> difficultéset <strong>de</strong> misère n’a probablement rien à faire avec notre étatd’âme ou d’esprit. « Dieu, Seul, suffit. » Si seulement cettepensée inciterait en nous, comme elle le <strong>de</strong>vrait, cette reconnaissanceinfinie !128


L A q u ê t e d e l a p a i xRien ne peut nous satisfaire lorsque nos espéranceségoïstes nous ren<strong>de</strong>nt mécontent <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>stin ; <strong>de</strong> làle dicton : « L’herbe est toujours plus verte ailleurs. » Tantque notre vision est limitée à nos propres besoins, nousne pourrons ni voir le besoin <strong>de</strong> notre prochain, ni ce dontnous <strong>de</strong>vrions être reconnaissants. Mon père a une foisécrit a un ami qui sombrait dans <strong>la</strong> tristesse : « Tu trouverastoujours <strong>de</strong>s raisons pour grommeler. Si tu désires <strong>la</strong><strong>paix</strong>, tu <strong>de</strong>vras les <strong>la</strong>isser tomber. Je te supplie : arrête <strong>de</strong>concentrer sur ton désir d’être aimé. C’est en oppositionau christianisme.William Marvin est un prêtre anglican en A<strong>la</strong>bama aveclequel j’ai correspondu <strong>de</strong>puis un an, alors qu’il vou<strong>la</strong>itnous assister avec l’envoi d’ai<strong>de</strong> à Cuba. William a connusuffisament <strong>de</strong> souffrances, mais je ne l’ai jamais entenduse p<strong>la</strong>indre. Malgré une série d’épreuves « à <strong>la</strong> Job » – unema<strong>la</strong>die grave, <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> son plus jeune fils, <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> sontravail, et un divorce – il peut encore dire : « Eh bien, je n’aipas encore eu <strong>de</strong> furoncles comme Job... » C’est <strong>de</strong> cette attitu<strong>de</strong>,je pense, qu’il retient son sens <strong>de</strong> <strong>paix</strong>.Quelques jours après avoir subi une opération <strong>de</strong>l’appendicite qui était gangréneuse j’étais proche <strong>de</strong> <strong>la</strong>mort. C’était en décembre, 1960. J’avais trente-cinq ans.Tôt le matin, j’ai eu <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> que j’al<strong>la</strong>is mourir, et j’aiété saisi <strong>de</strong> panique. J’avais une femme, trois fils, et <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ttes, et je sentais que ma mort serait l’échec ultime, les<strong>la</strong>issant tous dans <strong>la</strong> misère. Puis j’ai entendu une voix,distincte et sévère, dans mon oreille : « Eh bien ! Tu n’espas important, même pour toi-même ! Dieu Seul l’est ! »129


L A q u ê t e d e l a p a i xJ’ai souvent réfléchi à <strong>la</strong> façon dont Dieu nous parle.A mon expérience Dieu parle généralement tout bas, etn’emploie pas beaucoup <strong>de</strong> paroles. L’évènement dont jeparle est le seul où Il m’a parlé si brusquement. C’étaitcomme une douche froi<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> figure. Je me suis remislentement, mais complètement.Il y eut d’autres évènements critiques dans ma vie. Mamère est mort subitement alors que j’avais seulement huitans. Environ un an après, mon père s’est remarié avec unefemme beaucoup plus jeune que lui. Nous n’étions pasheureux à <strong>la</strong> maison. Mon père était directeur d’une école ;il était connu pour sa discipline sévère et ses hautes normesacadémiques. Il agissait <strong>de</strong> même chez nous. Je n’étaispas physiquement maltraité, bien que ma belle-mère m’aitgiflé une ou <strong>de</strong>ux fois. Le sarcasme et <strong>la</strong> moquerie étaientses armes favorites. <strong>La</strong> règle permanente était : « ce queMaman veut a force <strong>de</strong> loi ! » Ado, je me rebel<strong>la</strong>is en travail<strong>la</strong>ntjuste assez pour pouvoir réussir aux examens. Decette façon, je pouvais les défier tous les <strong>de</strong>ux, puisque <strong>la</strong>réussite était si importante pour eux. Dès que j’ai eu moncertificat d’école en main, ils m’ont mis à <strong>la</strong> porte. J’ai alorsvécu chez un oncle et une tante, jusqu’à ma conscriptiondans l’armée. Mes années dans le service militaire étaientintenses. J’ai vu <strong>de</strong>s batailles, et j’ai vu <strong>de</strong>s hommes mourir.J’ai été blessé. Après l’armée, c’était l’université, bien queje ne sache pas quoi faire dans ma vie.Je me suis marié, j’ai eu <strong>de</strong>ux fils peu après, une maisonen banlieue, <strong>de</strong>s paiements hypothécaires une auto,et un emploi <strong>de</strong> facteur. Après trois ou quatre ans je suis<strong>de</strong>venu très mécontent. Après avoir beaucoup réfléchi, etrecherché <strong>de</strong>s conseils, je me suis décidé <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir prêtreépiscopal. Après <strong>de</strong>ux mois au séminaire nous avons faitune retraite. J’étais accablé. Je suis allé trouver le maîtreresponsable, moine <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sainte Croix, et je lui130


L A q u ê t e d e l a p a i xai dit que j’avais fait une erreur ; je n’en étais pas digne.Voici sa réponse : « Naturellement ! Aucun <strong>de</strong> nous n’estdigne. Mais Dieu n’a que nous pour faire son boulot. »Suivant <strong>la</strong> remise <strong>de</strong>s diplômes et son ordination, Williamservit dans plusieurs paroisses, mais il vit bientôt que safaçon <strong>de</strong> voir était bien différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> ses supérieurs.Il fut alors <strong>de</strong>stitué <strong>de</strong> ses fonctions. Il ne trouvait plus <strong>de</strong>postes vacants ; après tout, il avait parlé contre <strong>la</strong> direction<strong>de</strong> l’Eglise épiscopale. Finalement, il trouva une positiondans <strong>la</strong> paroisse anglicane, où il est maintenant.Lors <strong>de</strong>s années suivantes, <strong>la</strong> tragédie le frappa à plusieursreprises. D’abord, le fils ca<strong>de</strong>t <strong>de</strong> William fut tué dans unacci<strong>de</strong>nt d’auto ; puis sa femme fut impliquée avec un autre,et quitta <strong>la</strong> maison, le divorce suivit ; son second fils succombaà l’alcool, et mourut à trente-cinq ans d’une attaquesérieuse. Il y eut quelques compensations, il est vrai : sonfils aîné <strong>de</strong>vint un avocat agréé ; sa fille reçut un doctorat, etfut acceptée à <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> Notre Dame. William, lui-mêmea trouvé une famille parmi les membres généreux <strong>de</strong> sa paroisse.Cependant sa vie a été bien difficile.Ai-je trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ? Je pense que oui. J’ai rempli mes obligationsà mes enfants ; je prends soin <strong>de</strong> mes paroissiens,et j’ai décidé <strong>de</strong> le faire aussi longtemps que Dieu le veuille.Je commence chaque jour en récitant le Venite, avec lequatrième verset : « Les quatre coins <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre sont enses mains. » Le soir, je récite le Nunc dimittis, <strong>de</strong> mêmeque les paroles <strong>de</strong> Jésus sur <strong>la</strong> Croix : « Père, je remetsmon esprit entre tes mains » (Luc 23.46). <strong>La</strong> prière <strong>de</strong>Jésus, note dominante du mysticisme orthodoxe grec, estsouvent sur mes lèvres : « Seigneur Jésus Christ, Fils du131


L A q u ê t e d e l a p a i xDieu vivant, aie pitié <strong>de</strong> moi, pécheur. » Chaque fois queje récite cette prière, ou une <strong>de</strong> mes propres pensées, jeme rends compte, <strong>de</strong> nouveau, que <strong>la</strong> miséricor<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieun’est rien <strong>de</strong> moins que son amour. Et je suis rassuré –reconnaissant <strong>de</strong> savoir que je suis pardonné et accepté.Il y a encore une chose que je dois faire. Je dois mourir.D’ici là, bien que je fasse <strong>de</strong>s projets à l’avance, j’essaie <strong>de</strong>vivre chaque jour comme si c’était le <strong>de</strong>rnier jour <strong>de</strong> ma vie.Ce n’est pas trop <strong>de</strong> croire que je suis dans <strong>la</strong> main<strong>de</strong> Dieu <strong>de</strong>puis le jour <strong>de</strong> ma naissance. Mes fils ne sontpas morts et ma femme n’a pas abandonné ses vœux<strong>de</strong> mariage afin que je sois châtié et rendu meilleur. Ceschoses sont arrivées, parce que le mon<strong>de</strong> est imparfait. Ily a vingt-et-un ans – après que j’ai été renvoyé <strong>de</strong> l’Eglise,et que mon plus jeune fils est mort, et que ma femme seremettait d’une crise cardiaque (et vou<strong>la</strong>it me quitter), etque je ne travail<strong>la</strong>is que dix heures par semaine – un amim’a suggéré que je <strong>de</strong>vais me sentir comme Job. Je lui aidit, alors : « Eh bien, je n’ai pas souffert <strong>de</strong> furoncles. »C’est toujours le cas, aujourd’hui.Aujourd’hui, je suis allé voir une personne que je visitetous les vendredis ; c’est un mé<strong>de</strong>cin en retraite, qui estmourant. Il a déjà perdu trois filles au cancer. Sa femmea été opérée d’un cancer quelques années auparavant.Le dimanche, nous célébrons <strong>la</strong> Sainte Cène ensemble. Iln’est pas le seul paroissien qui ait reçu <strong>la</strong> grâce spécialed’un far<strong>de</strong>au à porter. Presque tout le mon<strong>de</strong> doit unefois ou l’autre souffrir. J’en cite une autre, une jeune mèrequi a souffert <strong>de</strong> brûlures sur quarante pour cent <strong>de</strong> soncorps. Son mari l’a abandonnée, et elle élève, seule, troisjeunes enfants, et elle le fait très bien. Que Dieu m’aitpermis <strong>de</strong> connaître <strong>de</strong> telles personnes, et <strong>de</strong> partagerma vie avec eux, fut pour moi une vraie récompense. Ce<strong>la</strong>m’a valu <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu « qui dépasse tout ce que l’onpeut comprendre » (Philippiens 4.7).132


•L’honnêtetéVous pensiez être indifférent à <strong>la</strong> louange du succès dontvous ne vous vantiez pas, ou, que si vous étiez tenté <strong>de</strong>vous sentir f<strong>la</strong>tté, vous sauriez bien, que <strong>la</strong> louange excè<strong>de</strong><strong>de</strong> beaucoup ce que les évènements justifient. Vous voussentiez indifférent – jusqu’au moment où votre jalousie aéc<strong>la</strong>té, en face <strong>de</strong>s essais naïfs <strong>de</strong> quelqu’un d’autre « pourse rendre important », et exposait ainsi votre orgueil.Pour ce qui est <strong>de</strong> <strong>la</strong> dureté <strong>de</strong> cœur et <strong>de</strong> sa petitesse,<strong>la</strong>issez-moi lire avec <strong>de</strong>s yeux bien ouverts le livre <strong>de</strong> mesjours – et en profiter.Dag HammarskjöldSi quelqu’un me <strong>de</strong>mandait <strong>de</strong> choisir <strong>la</strong> condition <strong>la</strong> plusfondamentale <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du cœur, je choisirai probablementl’honnêteté. Qu’il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> franchise en son sensgénéral, ou <strong>la</strong> conscience <strong>de</strong> sa propre condition, ou <strong>de</strong> pouvoirappeler un chat un chat, ou l’inclination d’admettrel’échec, l’honnêteté est le principe <strong>de</strong> base <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Bienque nous redoublions nos efforts pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> jusqu’à notre<strong>de</strong>rnier soupir, nous ne <strong>la</strong> possè<strong>de</strong>rons jamais, tant que nousne nous soumettons pas à <strong>la</strong> lumière pure <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité. <strong>La</strong>


L A q u ê t e d e l a p a i xmalhonnêteté est l’un <strong>de</strong>s plus grands obstacles sur le sentier<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, car elle nous fait perdre pied en notre recherche.Quant à se conformer extérieurement tandis que l’oncontinue à vivre intérieurement son propre train <strong>de</strong> vie,je ne pense pas que ce soit une bonne chose. LorsqueDieu vous tire dans une direction, et le diable dans uneautre, chacun ayant les pieds bien p<strong>la</strong>ntés – sans parler<strong>de</strong> <strong>la</strong> conscience qui nous scie <strong>de</strong> biais – n’importe quelbois va fondre.Henry David Thoreau<strong>La</strong> première étape vers Dieu, ce qui est aussi une étape vers<strong>la</strong> <strong>paix</strong>, c’est <strong>de</strong> reconnaître notre véritable condition. Si nousespérons retrouver Dieu, nous <strong>de</strong>vons tout d’abord admettreque nous sommes loin <strong>de</strong> lui. Afin d’y arrriver, ThomasMerton dit, nous <strong>de</strong>vons « <strong>de</strong>venir conscients...que <strong>la</strong> personneque nous croyons être ici-bas est, tout au mieux, unimposteur et un étranger. Nous avons à mettre constammenten question ses motifs et pénétrer ses déguisements. » Autrementnos efforts <strong>de</strong> nous connaitre échoueront.<strong>La</strong> connaissance <strong>de</strong> soi n’est que le premier pas. Elle nesuffit pas à nous garantir <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et peut même nous égareren nous entraînant dans <strong>la</strong> spirale fatale <strong>de</strong> notre propreégoïsme. Mon grand-père écrit :L’égocentrisme est un esprit menteur – <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die mortelle.Celui qui est égocentrique est mortellement ma<strong>la</strong><strong>de</strong>et doit être racheté.Ceux qui sont axés sur eux-mêmes n’apprennent jamaisque le christianisme est, <strong>de</strong> nature, objectif, unecause dans <strong>la</strong>quelle nous pouvons nous oublier complètement– nous et nos petits egos.134


L A q u ê t e d e l a p a i xL’égocentrisme nous conduit à une attitu<strong>de</strong> hypocriteet prétentieux, jusqu’à ce que nous nous prenons pour<strong>de</strong>s saints... Les gens les plus en danger sont ces saintsartificiels, qui prennent tellement <strong>de</strong> peine à être parfaits.Leurs efforts sont à <strong>la</strong> racine <strong>de</strong> leur hypocrisie...Lorsque nous regardons Dieu <strong>de</strong> notre propre point <strong>de</strong>vue, l’obligeant à établir un rapport avec nous, nous voyons,forcément, le mon<strong>de</strong> à travers une loupe trompeuse.Je ne suis pas <strong>la</strong> vérité, et du fait que je ne suis pas <strong>la</strong>vérité je n’ai pas le droit <strong>de</strong> me mettre au centre <strong>de</strong> mesréflexions. Ce serait faire <strong>de</strong> moi-même une idole. C’estDieu qui doit <strong>de</strong>meurer au centre <strong>de</strong> ma vie.Nous <strong>de</strong>vons réaliser que <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> Dieu existe entièrementen <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> nous-mêmes. Ce n’est pas seulementque nous sommes sans importance, mais noussommes superflus. Si nous sommes honnêtes, nous admettronsêtre <strong>de</strong>s obstacles, <strong>de</strong>s adversaires <strong>de</strong> Dieu. <strong>La</strong>ré<strong>de</strong>mption ne commence que lorsque nous le reconnaissons.Réaliser qui nous sommes, signifie faire face aux problèmesque l’on a évités jusque là. Mais ce<strong>la</strong> veut dire aussi quenous <strong>de</strong>vons tourner vers Dieu. Malheureusement, <strong>la</strong> plupartd’entre nous ne faisons ni l’un ni l’autre, car nous craignons<strong>de</strong>voir changer <strong>de</strong> comportement. Nous hésitons à abandonnerle confort qui vient avec l’auto-satisfaction. Si seulementnous savions combien plus gran<strong>de</strong> et plus fécon<strong>de</strong> soit <strong>la</strong><strong>paix</strong> que nous éprouvons quand notre conscience est pleinementéveillée !Jeannette Warren, membre <strong>de</strong> notre communauté, nous arécemment raconté comment, alors qu’elle était jeune, ellerecherchait <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années – au sein <strong>de</strong> toutessortes <strong>de</strong> mouvements, politiques et autres, coopératives,135


L A q u ê t e d e l a p a i xcommunautés – tout en négligeant <strong>la</strong> tâche essentielle <strong>de</strong>remédier, tout d’abord, au manque <strong>de</strong> <strong>paix</strong> dans son proprecœur. Comme beaucoup d’autres, sa recherche <strong>de</strong>vint seulementfructueuse au moment où elle commença à se regar<strong>de</strong>relle-même en toute humilité et franchise.<strong>La</strong> sincérité est tout aussi importante que <strong>de</strong> se connaîtresoi-même dans <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du cœur. Sans elle,nous <strong>de</strong>venons hypocrites, en adaptant constamment notrepropre image afin <strong>de</strong> manipuler <strong>la</strong> façon dont les autres nousvoient. Dans l’Evangile <strong>de</strong> Matthieu, Jésus nous prévientprécisément <strong>de</strong> ce danger. Il nous dit que nous ne <strong>de</strong>vonspas vouloir paraître pieux aux yeux <strong>de</strong>s autres : « Malheurà vous, spécialistes <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi et pharisiens hypocrites, parceque vous nettoyez l’extérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> coupe et du p<strong>la</strong>t, alorsqu’à l’intérieur ils sont pleins du produit <strong>de</strong> vos vols et <strong>de</strong>vos excès. Pharisien aveugle ! Nettoie d’abord l’intérieur <strong>de</strong><strong>la</strong> coupe et du p<strong>la</strong>t, afin que l’extérieur aussi <strong>de</strong>vienne pur »(23.25-26). Il continue, encore plus sévèrement : « Malheurà vous, spécialistes <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi et pharisiens hypocrites, parceque vous ressemblez à <strong>de</strong>s tombeaux b<strong>la</strong>nchis qui paraissentbeaux <strong>de</strong> l’extérieur et qui, à l’intérieur, sont pleinsd’ossements <strong>de</strong> morts et <strong>de</strong> toutes sortes d’impuretés. Vous<strong>de</strong> même, <strong>de</strong> l’extérieur, vous paraissez justes aux hommes,mais à l’intérieur vous êtes pleins d’hypocrisie et d’injustice »(vv. 27-28). En se rapportant à ces versets, mon père écrit :N’utilisons jamais <strong>de</strong> paroles pieuses, si elles ne noussignifient rien. Ainsi, parler avec enthousiasme <strong>de</strong> <strong>la</strong>voie du disciple, tout en résistant à ses exigences, nuiraà notre vie intime. Soyons sincère, disons ce que nouspensons, que ce soit loin du compte ou non, plutôt que136


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong> nous servir <strong>de</strong> paroles vaines. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> véritable exigel’honnêteté parfaite. Nous ne pouvons pas vivre en <strong>paix</strong>avec nos semb<strong>la</strong>bles à moins que <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong>meure dansnotre cœur et et que notre amour soit sincère.Le manque <strong>de</strong> sincérité peut <strong>de</strong>venir une habitu<strong>de</strong>. Si nousnous y habituons, l’hypocrisie suivra <strong>de</strong> près. Si c’est lecas, il faudra faire un effort sérieux pour se débarrasser <strong>de</strong>smensonges dissimulés, et <strong>de</strong> re<strong>de</strong>venir honnête, avec nousmêmeset avec ceux que nous avions trompé. Zoroastre,l’ancien poète-prophète <strong>de</strong> <strong>la</strong> Perse, compare cette situationà une bataille :A <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>,Je veux crier :<strong>La</strong> vérité est-elle vraiment pour le mieux,Quand il y a tellement <strong>de</strong> mensonge ;Ne <strong>de</strong>vrais-je pas m’unirA leurs hurlements diaboliques ?Mon Dieu, ne m’abandonne pas ;Fortifie-moi dans cette épreuve,Et donne-moi <strong>de</strong> <strong>la</strong> force.Recule, pensée rebelle :L’épée monte à ta gorge !Seuls, ceux qui connaissent<strong>La</strong> source d’où jaillit <strong>la</strong> viePeuvent tirer l’eau du puit éternel.Voilà le seul rafraichissementQui réconforte.Si Zoroastre paraît excessif à représenter l’agonie <strong>de</strong> cettelutte, c’est peut-être seulement parce qu’il est si éloquent.<strong>La</strong> bataille entre <strong>la</strong> vérité et <strong>la</strong> duperie n’est pas seulement137


L A q u ê t e d e l a p a i xentre <strong>de</strong>ux opposés abstraits ; c’est une guerre entre Dieu etSatan que <strong>la</strong> Bible appelle le « père <strong>de</strong>s mensonges ». Si jeréexamine <strong>de</strong>s conversations que j’ai eues avec <strong>de</strong>s personnesqui éprouvaient <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> crises, je dois avouer quece combat est toujours difficile, surtout lorsque quelqu’una été induit à croire que l’honnêteté est un prix trop élevé àpayer pour atteindre <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Tout d’abord, cette personnene ressentira peut-être pas qu’il soit nécessaire <strong>de</strong> livrerbataille, tant aveuglée qu’elle soit d’avoir vécu un mensonge.Dans Les frères Karamazov, Dostoïevski nous crée une personne<strong>de</strong> ce genre : Fyodor Pavlovitch, un jeune homme qui<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’un air moqueur à Père Zossima ce qu’il doit faireafin d’obtenir <strong>la</strong> vie éternelle. Le prêtre répond ainsi :Il y a longtemps que vous-même savez ce qu’il faut faire,vous ne manquez pas <strong>de</strong> sens : ne vous adonnez pas à<strong>la</strong> boisson et à l’intempérance <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage, ne vous adonnezpas à <strong>la</strong> sensualité, surtout à l’amour <strong>de</strong> l’argent, etfermez vos débits <strong>de</strong> boisson, au moins <strong>de</strong>ux ou trois, sivous ne pouvez pas les fermer tous. Mais surtout, avanttout, ne mentez pas. Non, ce n’est pas à propos <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot.Surtout ne vous mentez pas à vous-même. Celuiqui se ment à soi-même et écoute son propre mensongeva jusqu’à ne plus distinguer <strong>la</strong> vérité ni en soi ni autour<strong>de</strong> soi ; il perd donc le respect <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong>s autres. Nerespectant personne, il cesse d’aimer, et pour s’occuperet se distraire, en l’absence d’amour, il s’adonne auxpassions et aux grossières jouissances ; il va jusqu’à <strong>la</strong>bestialité dans ses vices, et tout ce<strong>la</strong> provient du mensongecontinuel à soi-même et aux autres. Celui qui sement à soi-même peut être le premier à s’offenser. Onéprouve parfois du p<strong>la</strong>isir à s’offenser, n’est-ce pas ? Unindividu sait que personne ne l’a offensé, mais qu’il s’est138


L A q u ê t e d e l a p a i xlui-même forgé une offense, noircissant à p<strong>la</strong>isir le tableau,qu’il s’est attaché à un mot et a fait d’un monticuleune montagne, – il le sait, pourtant il est le premier às’offenser, jusqu’à en éprouver une gran<strong>de</strong> satisfaction ;par là même il parvient à <strong>la</strong> véritable haine.Shakespeare dit presque <strong>la</strong> même chose :Ceci par-<strong>de</strong>ssus tout : Sois vrai à toi-mêmeEt comme tout se poursuivra comme <strong>la</strong> nuit au jour,Tu ne pourras, alors, être faux à aucun homme.<strong>La</strong> nature humaine étant ce qu’elle est, ce conseil cité en <strong>de</strong>horsdu contexte est plus facile à transmettre qu’à pratiquer.Même <strong>la</strong> personne <strong>la</strong> plus comp<strong>la</strong>isante ne niera pas qu’ellea menti avant, et bien <strong>de</strong>s fois en plus. En fait, <strong>la</strong> majorité<strong>de</strong>s gens capitulent <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> malhonnêteté déjà lorsqu’ilssont encore très jeunes, et à moins qu’on ne leur enseignesans cesse et fermement à dire <strong>la</strong> vérité, mentir <strong>de</strong>vient alorsune habitu<strong>de</strong> qui est <strong>de</strong> plus en plus difficile <strong>de</strong> surmonter.On peut <strong>la</strong>isser passer l’acte enfantin <strong>de</strong> « chiper » un biscuitcomme chose normale, mais l’enfant <strong>de</strong> cinq ans quiapprend à s’en sortir ainsi n’aura peut-être aucun scrupuleà faire du vol à l’éta<strong>la</strong>ge, frau<strong>de</strong>r le système <strong>de</strong>s impôts outromper sa femme lorsqu’il sera adulte. Comme les membres<strong>de</strong> toute église ou synagogue en témoignent, les personnesreligieuses sont tout aussi bien aptes à mentir que les autresdans le mon<strong>de</strong> <strong>la</strong>ïque.Cependant, si nous désirons trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en notre proprecœur, il existe toujours une solution : avouer nos fautesà une autre personne. En tant que rite spécifique ou pratique,<strong>la</strong> confession est bien trop complexe pour en parler139


L A q u ê t e d e l a p a i xici. Avouer tout simplement nos péchés afin <strong>de</strong> retrouver <strong>la</strong>liberté et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> n’est cependant pas compliqué. Une foisque nous avons reconnu le désaccord entre notre véritablesoi, avec tous nos défauts, et le côté que nous présentons auxautres, nous serons toujours péniblement conscients d’unetension intérieure jusqu’à ce que nous arrivons à réconcilierles <strong>de</strong>ux. Même si nous nous amendons et tournons le dos ànos erreurs passées, il ne nous est pas possible d’éprouverune <strong>paix</strong> d’esprit totale si nous ne sommes pas en mesure<strong>de</strong> partager notre far<strong>de</strong>au secret avec autrui. Voilà pourquoile Psalmiste dit : « Il n’y a plus rien d’intact dans mon corpsà cause <strong>de</strong> ta colère, il n’y a plus rien <strong>de</strong> sain dans mes osà cause <strong>de</strong> mon péché » (Psaumes 38.4).Mettre son âme à nu, même (ou peut-être surtout) <strong>de</strong>vantune personne que nous aimons, et en qui nous avons confiance,c’est toujours douloureux. Mais comme nous le verronsplus loin en ce livre, on ne peut pas l’éviter. Si nous désironstrouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en Jésus Christ, il nous faut être prêts à accepterl’angoisse <strong>de</strong> sa Croix. Bien que nous ne choisissionsjamais <strong>de</strong> souffrir <strong>de</strong> cette angoisse, si notre soif <strong>de</strong> Dieu estprofon<strong>de</strong>, nous <strong>la</strong> supporterons volontiers, et ainsi, nouspermettrons à Dieu <strong>de</strong> nous renouveler.Accepte moi, Seigneur ; accepte-moi pour ce peu <strong>de</strong>temps.Que ces journées passées, rendues orphelins, soient oubliées.Seulement, étends ce court moment sur tes genoux, letenant sous ta lumière.Je me suis égaré dans <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong>s voix qui m’attiraient,mais qui ne me conduisaient nulle part.140


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>La</strong>isse-moi maintenant m’asseoir en <strong>paix</strong> pour écoutertes paroles dans l’âme <strong>de</strong> mon silence.Ne détourne pas ton visage <strong>de</strong>s secrets obscurs <strong>de</strong> moncœur,mais illumine-les du feu <strong>de</strong> ton amour,afin qu’ils disparaissent.Rabindranath TagoreOn peut perdre <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en un instant – volontairement, ouparce qu’on est têtu, hypocrite, orgueilleux, ou parce qu’oncherche un moyen trop facile d’en sortir. Cependant, il n’estjamais trop tard pour commencer <strong>la</strong> quête, même si <strong>la</strong> <strong>paix</strong>nous ait échappé <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années. Aussitôt que nouspouvons nous examiner tels que nous sommes – qui suisje,non pas aux yeux <strong>de</strong>s autres, mais <strong>de</strong>vant Dieu ? – nousn’aurons plus <strong>de</strong> difficulté à recentrer notre regard sur notrebesoin <strong>de</strong> Jésus. Dans son authenticité <strong>de</strong>meure toujours <strong>la</strong><strong>paix</strong>.141


•L’humilitéJésus Christ mourut, afin d’échapper au pouvoir, tandis queles hommes vivent pour l’exercer. Le pouvoir est le plusgrand <strong>de</strong> tous les pièges. Comme le pouvoir, dans toutesses manifestations, est terrible – <strong>la</strong> voix élevée pour comman<strong>de</strong>r,<strong>la</strong> main étendue pour prendre, les yeux brû<strong>la</strong>nts <strong>de</strong>désir. Il vaut mieux se débarrasser <strong>de</strong> l’argent, et le donneraux pauvres ; il vaut mieux dissoudre les organisations ; lescorps <strong>de</strong>vraient plutôt dormir séparément. Il n’y a pas <strong>de</strong><strong>paix</strong> du tout, à moins <strong>de</strong> lever les yeux au-<strong>de</strong>là du temps,vers l’éternité – comme on contemple l’horizon du sommetd’une montagne.Malcolm MuggeridgeDe tous les tremplins vers <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans ce livre, l’humilitéest, peut-être, <strong>la</strong> plus difficile à reconnaître. L’humilitén’est pas seulement l’indulgence ou <strong>la</strong> douceur. Elle exigequ’on soit vulnérable, qu’on supporte <strong>de</strong>s blessures. C’est êtreprêt à passer inaperçu, à être le <strong>de</strong>rnier, à recevoir le moins.L’humilité ne nous offre rien <strong>de</strong> cette <strong>paix</strong> que le mon<strong>de</strong> nousdonne – plutôt, elle <strong>la</strong> détruit. Cependant, l’humilité révèlemieux que toute autre chose <strong>la</strong> voie du Christ. Elle incarne,


L A q u ê t e d e l a p a i xà vrai dire, <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> Jésus Christ. Et, ainsi, l’humilité nousconduit à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>la</strong> plus durable.Ce n’est pas une coïnci<strong>de</strong>nce que l’annonce <strong>de</strong>s anges <strong>de</strong><strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> Jésus – « Gloire à Dieu dans les lieux trèshauts, <strong>paix</strong> sur <strong>la</strong> terre et bienveil<strong>la</strong>nce parmi les hommes »(Luc 2.14) – fut faite premièrement aux bergers. Car pour lesgens riches, éduqués et cultivés, le message du Christ leursemble trop opposé à <strong>la</strong> sagesse humaine. Comme le cardinalJohn O’Connor <strong>de</strong> New York écrivit : « Elle va à contresens<strong>de</strong> tout ce que le mon<strong>de</strong> enseigne sur le pouvoir et <strong>la</strong> gloire,<strong>la</strong> richesse, le succès et le prestige. »Ce ne fut pas par hasard que Jésus ait choisi <strong>de</strong> simplespécheurs, non pas <strong>de</strong>s docteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi, pour l’accompagnerdans ses pérégrinations, alors qu’il enseignait en Judée. Ceuxqui ont peu <strong>de</strong> prétentions, sont plus aptes à s’ouvrir à <strong>la</strong>folie <strong>de</strong> l’Evangile et sa <strong>paix</strong>.On pourrait écrire beaucoup sur l’humilité, mais rien neremp<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> simple pratique quotidienne. Ce n’est qu’ennous ouvrant aux autres que nous découvrons <strong>la</strong> bénédictioncachée <strong>de</strong> <strong>la</strong> vulnérabilité, et ce n’est qu’en acceptant <strong>la</strong>défaite que nous apprenons à accueillir <strong>la</strong> <strong>paix</strong> qui vient avec<strong>la</strong> renonciation du moi. Voilà pourquoi le livre apocryphe<strong>de</strong> Ben Sira nous dit : « Tout ce qui t’advient, accepte-leet, dans les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ta pauvre condition, montre-toipatient, car l’or est éprouvé dans le feu, et les élus dans <strong>la</strong>fournaise <strong>de</strong> l’humiliation. Mets en Dieu ta confiance et ilte viendra en ai<strong>de</strong>, suis droit ton chemin et espère en lui.Vous qui craignez le Seigneur, comptez sur sa miséricor<strong>de</strong>,ne vous écartez pas, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> tomber » (2.4-7, <strong>La</strong> Bible<strong>de</strong> Jérusalem).143


L A q u ê t e d e l a p a i xQuant à <strong>de</strong>venir humble, on pourrait en parler longtemps.Dans Le pasteur d’Hermas, une parabole chrétienne du 2 e siècle,chaque personne est comparée à un bloc <strong>de</strong> pierre choisiepar le maçon principal. Si <strong>la</strong> pierre peut être taillée pourfaire un mur, on s’en servira. Mais, si les bords irréguliers<strong>de</strong> l’orgueil et <strong>de</strong> l’égocentrisme se montrent trop difficiles àtailler, elle sera rejetée. Jésus fait une comparaison semb<strong>la</strong>ble,dans ses discours d’adieu, à ses disciples : il parle <strong>de</strong><strong>la</strong> façon dont chacun <strong>de</strong> nous doit être taillé, si nous allonsporter <strong>de</strong>s fruits : « C’est moi qui suis le vrai cep, et monPère est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui neporte pas <strong>de</strong> fruit, il l’enlève; et tout sarment qui porte dufruit, il le taille afin qu’il porte encore plus <strong>de</strong> fruit » (Jean15.1-2). Les <strong>de</strong>ux paraboles sont faciles à comprendre, maissommes-nous assez humbles pour cé<strong>de</strong>r gracieusement auxcoups du maçon ou au couteau du vigneron ? Voilà le défi.Tom et Monica Cornell, <strong>de</strong> bons amis à Marlboro dansl’état <strong>de</strong> New York, et responsables <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme qui appartientau Mouvement ouvrier catholique, me disent que d’aprèsleur expérience, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu – bien qu’elle soit libéralementaccordée – ne peut durer sans être continuellement« émondée ». Tom écrit :Il est difficile <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> son propre « émondage », <strong>la</strong>manière dont Dieu nous taille. Jésus parle d’un fermierqui examinait un figuier n’ayant pas porté <strong>de</strong> fruits <strong>de</strong>puistrois ans. Il vou<strong>la</strong>it l’abattre, mais le jardinier l’a convaincu<strong>de</strong> l’épargner : « Seigneur, <strong>la</strong>isse-le encore cetteannée! Je creuserai tout autour et j’y mettrai du fumier.Peut-être à l’avenir donnera-t-il du fruit ; sinon, tu lecouperas » (Luc 13.6). Voilà ce que Dieu fait avec nous.144


L A q u ê t e d e l a p a i xPour nous rendre fertiles, Il creuse autour <strong>de</strong> nous, noustaille aussi, et parfois, le tas <strong>de</strong> fumier sur nous est bienprofond.« Pourquoi moi, Seigneur ? » j’entends crier quelquefoisles gens, et ça m’arrive aussi, quand on reçoit <strong>de</strong>scoups durs. « Pourquoi moi, Seigneur ? » Sainte Thérèse,<strong>la</strong> gran<strong>de</strong> réformatrice <strong>de</strong>s Carmélites, traversait une foisune rivière, à cheval. Son cheval trébucha, et elle tombadans l’eau. Elle se p<strong>la</strong>ignit à Dieu. « C’est ainsi que jetraite mes amis », une voix se fit entendre. « Ce n’estpas étonnant, alors, que Tu n’en aies pas beaucoup ! »répondit Thérèse.J’ai perdu mon père, alors que je n’avais que quatorzeans. Ce ne m’est pas arrivé d’un seul coup ; il en a falludix ans. Mon père a ruiné sa santé par un travail acharnévisant le soutien <strong>de</strong> sa famille. J’ai su, lorsqu’il est partispour le sanatorium le jour après son cinquante-<strong>de</strong>uxièmeanniversaire, que je ne le verrai plus. Six mois plus tard, lecœur <strong>de</strong> ma mère s’est fendu <strong>de</strong> chagrin, et j’ai été g<strong>la</strong>cé<strong>de</strong> peur. Comment allions-nous vivre ?C’est étrange <strong>de</strong> le penser, et encore plus étrange <strong>de</strong>pouvoir le dire, mais c’était pour le mieux : « ...noussavons que tout contribue au bien <strong>de</strong> ceux qui aimentDieu » (Romains 8.28). Même ceci ?Je peux m’imaginer que si mon père m’avait vu grandiret suivre <strong>la</strong> voie rebelle d’un disciple chrétien, nous aurionsété engagés dans une lutte terrible. Il était chauvinextrême. Ma mère n’aurait pas su que faire entre nous<strong>de</strong>ux. Mais il s’est trouvé que cette lutte a prit p<strong>la</strong>ce avecson fantôme, et elle n’en finit pas.Nous avons continué à vivre, ma mère, ma sœur. A force<strong>de</strong> travailler dur et <strong>de</strong> dépenser peu, j’ai pu faire <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>ssupérieures à Fairfield, une école jésuite. L’expérience <strong>de</strong>travailler dans une usine comme adolescent m’a offert <strong>de</strong>s145


L A q u ê t e d e l a p a i xleçons précieuses. Le travail, à <strong>la</strong> pièce, était répétitif etaccompli dans une position accroupie, ni <strong>de</strong>bout, ni assis; me servant <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mains, et d’un pied, je répétaissoixante heures par semaine un geste qui ne durait que<strong>de</strong>ux secon<strong>de</strong>s, et qu’il fal<strong>la</strong>it faire toujours plus rapi<strong>de</strong>ment.Je n’ai jamais vu le résultat <strong>de</strong> mon travail, dont jen’ai pas pu trouver du sens.<strong>La</strong> vie s’est améliorée lorsque j’ai trouvé ma vocationau sein du Mouvement catholique ouvrier. En lisant <strong>La</strong>longue solitu<strong>de</strong> par Dorothy Day, tout s’est arrangé, mafoi et mon expérience. Là, j’ai été accepté et intégré aucœur intellectuel <strong>de</strong> l’organisation même avant d’obtenirmon diplôme ; nous étions peu nombreux. Après monexamen final, je suis venu à <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> New York, d’oùj’ai été envoyé en mission, pour ainsi dire, sous l’égi<strong>de</strong>du Mouvement catholique ouvrier, d’abord sur un projet<strong>de</strong> réimp<strong>la</strong>ntation agricole au Sud <strong>de</strong>s Etats-Unis, puisaux projets dans le mouvement <strong>de</strong> <strong>paix</strong> dans son ensemble.Je travail<strong>la</strong>is avec A.J. Muste et ses associés dans leCommittee for Nonviolent Action (comité <strong>de</strong> l’action nonviolente, ainsi que dans le War Resisters League (Liguepour <strong>la</strong> résistance à <strong>la</strong> guerre), où figuraient tous les noms<strong>de</strong>s personnages importants du mouvement radical <strong>de</strong> <strong>la</strong>non-violence <strong>de</strong> ce temps. Je vou<strong>la</strong>is faire <strong>la</strong> connaissance<strong>de</strong> ces gens, personnellement, <strong>de</strong> façon à rapporter cescontacts au Mouvement catholique ouvrier. Je vou<strong>la</strong>is êtreun messager, et on m’a reçu ainsi.Avant peu, on m’a considéré comme une personne quis’y connaissait, à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et <strong>la</strong> nonviolence,bien que <strong>la</strong> raison n’en fût jamais c<strong>la</strong>ire. Maisje sentais que <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> Dieu, pour moi, était d’ai<strong>de</strong>rà développer <strong>la</strong> théorie et <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong> <strong>la</strong> non-violenceà l’intérieur du mouvement. Ce travail a eu du succès eta été, personnellement très satisfaisant.146


L A q u ê t e d e l a p a i xL’émondage le plus sévère, c’est <strong>de</strong> voir le travail d’unevie entière détruit. C’est à peu près ce qui m’est arrivélorque j’étais en mi-chemin. Je me suis trouvé commedans une forêt assombrie. Le mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> non-violenceperdait son é<strong>la</strong>n. Même avant son meurtre, les nationalistesnoirs et les séparatistes avaient éclipsé MartinLuther King – leur slogan : par n’importe quels moyens.Des éléments importants parmi ceux qui étaient contre<strong>la</strong> guerre avaient compromis leur pacifisme, et avaientchoisi un « impératif révolutionnaire ». Des activistes appropriaientle terme non-violence, sans aucune référenceaux principes ou à <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong> Gandhi. Après quinzeans <strong>de</strong> travail, j’ai été congédié.Ce<strong>la</strong> avait été un bon emploi. Le Mouvement International<strong>de</strong> <strong>la</strong> Réconciliation (MIR) est <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>organisation œcuménique et interreligieuse du mon<strong>de</strong>.Je recevais un sa<strong>la</strong>ire qui soutenait les besoins <strong>de</strong> mafamille (ce qui est essentiel pour les membres du Mouvementcatholique ouvrier), qui assurait l’entretien d’unemaison mo<strong>de</strong>ste, me permettait d’avoir une voiture,et qui me donnait l’accès à un grand public. Je voyageaisbeaucoup : l’Amérique <strong>La</strong>tine, le Moyen-Orient,et l’Europe ; je faisais <strong>de</strong>s discours, j’écrivais sur <strong>la</strong> nonviolenceet je renforçais les liens du réseau d’activistesnon-violents. Je prévoyais une retraite qui me permettrait<strong>de</strong> travailler indépendamment et établir ma propre horaire; j’envisageais un é<strong>la</strong>rgissement <strong>de</strong> mon champd’influence. Puis, j’ai vécu un effondrement complète :ma poste a été « éliminée ».Trois années se sont ecoulées pendant lesquelles jetravail<strong>la</strong>is indépendamment, accomplissant autant <strong>de</strong>travail important qu’avant (sinon d’avantage), mais je negagnais plus mon pain. Nous avons perdu notre maison.Mon cœur s’était brisé.147


L A q u ê t e d e l a p a i xQuitter le MIR m’a fait beaucoup souffrir. Ce<strong>la</strong> a étéun vrai émondage. Ironiquement, mon travail le plus importantet le plus durable pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> a eu lieu à <strong>la</strong>suite <strong>de</strong> cette séparation, lors <strong>de</strong> mes années dans ledésert. A mon insistance, l’Eglise catholique <strong>de</strong>s Etats-Unis s’engagea à soutenir tous ceux qui étaient troubléspar <strong>la</strong> conscription militaire, et j’ai été permis, avecl’autorisation et l’approbation <strong>de</strong> l’évêque, <strong>de</strong> créer unprogramme <strong>de</strong> formation pour les conseillers contre <strong>la</strong>conscription dans plusieurs diocèses du pays. Au mêmetemps, l’Archevêque Oscar Romero, en tant que prési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> <strong>la</strong> conférence, m’a donné <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong> mobiliser dusoutien pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en El Salvador. Lui-même et <strong>de</strong>uxreligieuses américaines, qui y participaient ont perduleurs vies. Mais, je ne pouvais pas encore subvenir auxbesoins <strong>de</strong> ma famille.On dit que si Dieu ferme une porte, Il en ouvre uneautre – mais pas nécessairement tout <strong>de</strong> suite. Désespéré,j’ai accepté une poste dans une école secondaire dansl’état <strong>de</strong> New Hampshire – mon « exile babylonien » –pendant un an. Ce<strong>la</strong> a été une vraie leçon pour moi. Je n’ytrouvait aucun sens. En plein hiver, j’ai reçu un coup <strong>de</strong>téléphone <strong>de</strong> <strong>la</strong> Conférence Catholique <strong>de</strong>s prêtres américains.« L’Eglise a besoin <strong>de</strong> vous », m’a dit Ed Dougherty,non sans humour. Il m’a <strong>de</strong>mandé d’accepter l’invitationà un rencontre avec cinq prêtres qui rédigeaient un messagepastoral <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, qui serait publié en 1983. Il y avaitun tas <strong>de</strong> consultants du Pentagone et du Département<strong>de</strong> l’Etat prêts à donner leurs conseils au comité, maisseulement trois pacifistes. Pourrais-j’y assister ? Le cielsemb<strong>la</strong>it s’ouvrir momentanément.Puis Le Conseil <strong>de</strong>s Eglises, à Waterbury dans l’état<strong>de</strong> Connecticut, m’a appelé, ensemble avec ma famille,afin d’ai<strong>de</strong>r dans une œuvre charitable. Quel bonheur148


L A q u ê t e d e l a p a i xd’échanger une centaine d’écoliers toxicomanes, contretrois-cents alcooliques, voleurs, assassins, et un grandnombre <strong>de</strong> personnes, dont le crime n’était que d’être troppauvres ! Je leur donnerais ce qu’ils nécessitaient – <strong>de</strong> <strong>la</strong>soupe, et un sourire – et ils m’accepteraient dans leursvies ! Si mon métier respectable n’avait pas été excisé, jeserais <strong>de</strong>venu un « bureaucrate <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> » ; néanmoins,mes cambrioleurs ont garanti mon honnêteté.Maintenant, ma femme Monica et moi travaillons <strong>de</strong>nouveau au Mouvement catholique ouvrier, et je peuxcontinuer à écrire, parler, et voyager. Je suis un hommequi a été humilié, au sens d’avoir été émondé <strong>de</strong> mes illusions.Que c’est naïf et présomptueux <strong>de</strong> penser quepar mes efforts je verrais ici en Amérique une extensiondu travail aux In<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Gandhi ! Pendant <strong>la</strong> guerrefroi<strong>de</strong>, j’avais eu accès aux esprits les plus bril<strong>la</strong>nt surquatre continents dans mouvements <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> radicale.Nous avons dicté le trajet <strong>de</strong>s évènements, et nous avionspresque toujours tort ! En outre, le mouvement Gandhien<strong>de</strong> <strong>la</strong> non-violence que je me croyais faciliter a été déraillépar <strong>de</strong>s gens insensés, oui, admettons-le, <strong>de</strong>s vauriens.Ceci a suscité <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> rancune et colère en moi,sentiments qui ont duré bien <strong>de</strong>s années. Mais j’ai dû me<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si je n’avais pas été en train <strong>de</strong> « prendre touten main ». Je <strong>de</strong>vais alors « lâcher prise et <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser Dieuagir », comme on dit aux drogués dans les programmes<strong>de</strong> réhabilitation. Voici encore les sécateurs.Quand j’étais jeune je vou<strong>la</strong>is faire <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s choses.Puis j’ai rencontré Dorothy Day, et <strong>la</strong> première fois que jel’ai entendu parler, elle a dit quelque chose comme : « nete soucie pas du len<strong>de</strong>main ; fais fi <strong>de</strong> <strong>la</strong> pru<strong>de</strong>nce. » Ellea dit aussi : « De gran<strong>de</strong>s choses atten<strong>de</strong>nt d’être faites,et qui est-ce qui les fera, si ce ne sont pas les jeunes ?Mais comment le feront-ils s’il ne se soucient que <strong>de</strong>149


L A q u ê t e d e l a p a i xleur propre sécurité ? » Au moment qu’elle l’a prononcé,Dorothy était plus jeune que je ne le suis maintenant.Eventuellement, j’aurais pu temperer ses propos, et avecplus d’expérience elle aurait fait aussi, peut-être. Mais, iln’en rest pas moins que nous avons accompli beaucoup,par hasard, ou par <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> Dieu.Nous avons pris part au démantèlement <strong>de</strong>s structuresraciales légales <strong>de</strong> <strong>la</strong> ségrégation aux Etats-Unis avecl’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> non-violence (bien qu’aujourd’hui, quaranteans plus tard, <strong>la</strong> condition <strong>de</strong>s afro-américains les pluspauvres est pire qu’elle n’était alors). Nous avons réintroduit<strong>la</strong> non-violence parmi les Catholiques et lesProtestants (bien que <strong>la</strong> menace <strong>de</strong> guerre est toujoursprésente, et <strong>de</strong>vient encore plus grave). Maintenant unenouvelle génération a soif d’héroïsme. « Il y a <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>schoses à faire... Osez lutter ! »Cette lutte m’a appris que <strong>la</strong> chose <strong>la</strong> plus importante,c’est tout simplement <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses ordinaires avec<strong>de</strong>s personnes ordinaires avec l’esprit d’amour, <strong>de</strong> pénétrerdans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s pauvres, <strong>de</strong> les aimer et <strong>de</strong> leurpermettre <strong>de</strong> nous aimer, d’être guidé par les besoins<strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté et d’obéir sa voix. Sainte Thérèse <strong>de</strong>Lisieux appe<strong>la</strong>it ceci « <strong>la</strong> petite voie ». Voilà ce qui nousdonne <strong>la</strong> vraie <strong>paix</strong>, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du Christ. C’est un fruit duSaint-Esprit, et il pousse sur <strong>la</strong> vigne émondée.Les paroles <strong>de</strong> Tom nous fournissent bien <strong>de</strong> réflexions surl’humilité et <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, <strong>de</strong> même que ces pensées <strong>de</strong> DerekWardle, un Ang<strong>la</strong>is qui rencontra le Bru<strong>de</strong>rhof pendant <strong>la</strong>Secon<strong>de</strong> Guerre Mondiale et se décida à y rester.Derek grandit dans un milieu bourgeois, mais il <strong>de</strong>vintconscient <strong>de</strong> <strong>la</strong> misère lorsqu’il prit un train pour traverserle quartier <strong>de</strong> l’est <strong>de</strong> Londres. Des films comme Sous le150


L A q u ê t e d e l a p a i xregard <strong>de</strong>s étoiles, à propos <strong>de</strong>s mineurs du charbon au pays<strong>de</strong> Galles, et Les raisins <strong>de</strong> <strong>la</strong> colère lui ont aussi ouvert lesyeux, et ont commencé à agiter sa conscience. Plus tard ilprit part aux marches du Premier Mai, aux rassemblements,et <strong>de</strong>vint communiste.De même que beaucoup d’européens <strong>de</strong> son époque, Derekdit qu’il fut aveugle quant aux actions maléfiques <strong>de</strong> Staline.Il voyait <strong>la</strong> Russie comme une utopie socialiste. Et, commeil en est avec tellement <strong>de</strong> jeunes, ses tendances politiquesfurent un résultat d’une étroitesse d’esprit. « Je cataloguaisles gens selon leurs affiliations, et je montrais un manque<strong>de</strong> respect et <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine envers tous ceux qui avaient <strong>de</strong>sopinions différentes <strong>de</strong>s miennes. » Seulement plus tard,a-t-il compris que son arrogance encourageait <strong>la</strong> violenceautant que <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse bourgeoise qu’il protestait dans les rues.Au mois d’aout 1939, juste un mois avant <strong>la</strong> guerre, jesuis allé à Leipzig afin <strong>de</strong> rendre visite à mon correspondant,membre convaincu <strong>de</strong> <strong>la</strong> Jeunesse <strong>de</strong> Hitler, et j’aiappris <strong>la</strong> leçon que même les Nazis étaient <strong>de</strong>s genscomme les autres. Bien que mes parents m’ont rappelé à<strong>la</strong> maison après trois jours, cette expérience a suffi pourbriser mon habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sser les gens comme bons oumauvais, mais plutôt d’essayer <strong>de</strong> les rencontrer en tantqu’individus. Cette leçon m’est restée...J’ai appris combien il est important <strong>de</strong> combattre l’egoen tous ses aspects – <strong>de</strong>puis le souci excessif <strong>de</strong> soi-mêmeet <strong>de</strong> sa propre faiblesse, jusqu’à l’orgueil et l’ambition.Chaque fois que je cè<strong>de</strong> à ces sentiments, je ne puis trouver<strong>la</strong> <strong>paix</strong> ; seulement en étant humblement et totalementabandonné à Dieu puis-je réaliser <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. C’est toujoursun choix, et le même choix se tient <strong>de</strong>vant chaque151


L A q u ê t e d e l a p a i xjeune personne aujourd’hui, bien qu’elles doivent peutêtrepasser par <strong>de</strong>s moments difficiles, comme j’ai dû lefaire, moi-même.Mère Thérèse dit que <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> soi-même nousconduit à nous agenouiller. Ce fut certainement mon cas.Je ne crois plus que je peux changer le mon<strong>de</strong>. Je pense quec’est Dieu qui doit le faire. Je continue à protester contrel’injustice – racisme, capitalisme, nationalisme, quel que soitl‘injustice. Cependant je sens que ce sont les petits gestes etactes d’amour quotidiens qui prouvent notre sincérité, toutautant que les choses plus importantes que nous faisons.Il est facile <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir frustré, en voyant le pouvoir dumal dans le mon<strong>de</strong>, et on peut <strong>de</strong>venir amer. Par contre,nous pouvons aussi être humbles et chercher <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong>transformer notre indignation en quelque chose <strong>de</strong> positif,comme le service à nos prochains, par exemple.152


•L’obéissanceIl vient à nous tel un inconnu – sans nom – comme il y abien longtemps, auprès du <strong>la</strong>c, il était venu à ceux qui nele connaissaient pas. Il nous adresse ces mêmes paroles– « Suivez-moi ! » – et nous donne ces tâches, qu’il veutnous voir accomplir. Il ordonne, et Il se révèle à ceux quilui obéissent, qu’ils soient intelligents ou naïfs, à traversles <strong>la</strong>beurs, les conflits, les souffrances qu’ils <strong>de</strong>vront subiravec lui – et, ainsi, mystère ineffable, ils sauront, par leurpropre expérience qui Il est.Albert SchweitzerBien qu’il était pasteur, mon père était particulièrementdiscret dans son usage <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage religieux. Pourtant,il n’hésitait jamais à nous rappeler, nous les enfants, <strong>de</strong>quelque vérité importante en se servant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bible pourl’illustrer. Quand il nous par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong> compassion, l’histoire<strong>de</strong> Jésus et <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme auprès du puits ne manquait pas <strong>de</strong>lui venir à l’esprit ; s’il par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> conviction ou <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong>,il citait alors <strong>la</strong> parole <strong>de</strong> Saint Jean dans l’Apocalypse, commentDieu vomira <strong>de</strong> sa bouche tous ceux qui sont tiè<strong>de</strong>s.Afin d’illustrer l’importance <strong>de</strong> l’obéissance, il se servait dupassage où Jésus envoie ses disciples chercher un ânon.


L A q u ê t e d e l a p a i xLorsque Jésus <strong>de</strong>manda aux <strong>de</strong>ux hommes d’aller chercherun ânon, ils n’eurent aucune tâche plus importanteque celle-ci. Quelqu’un aurait pu leur dire, « Vous êtesappelés à faire <strong>de</strong>s choses plus importantes ; n’importequi peut aller chercher un ânon ! » Cependant, il n’y avaitrien <strong>de</strong> plus important pour eux à ce moment-là, qued’aller chercher un ânon pour le Christ. Quant à moi et àtous les autres, je souhaiterais que nous accomplissionschaque tâche que Dieu nous donne, qu’elle soit importanteou non, avec un tel empressement. Il n’y a rien <strong>de</strong>plus important à Jésus Christ que d’obéir.J. Heinrich ArnoldPour <strong>la</strong> plupart d’entre nous, l’obéissance nous importune.Nous nous appelons disciples, mais il nous manque <strong>la</strong> joieet <strong>la</strong> soumission qui <strong>de</strong>vraient en faire partie. Même si <strong>la</strong>tâche à accomplir est simple, l’orgueil nous empêche, peutêtre,<strong>de</strong> nous y mettre, et, ainsi, nous échouons dans notrerecherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Ce<strong>la</strong> n’a rien <strong>de</strong> surprenant, quand on pense à <strong>la</strong> vénérationque notre société confère à l’individu et l’individualisme.Depuis l’enfance, on nous apprend, et nous l’apprenons ànos enfants, qu’il est important <strong>de</strong> suivre ses instincts, <strong>de</strong>montrer <strong>de</strong> l’initiative et <strong>de</strong> développer nos qualités <strong>de</strong> chef.Tout ceci est juste et correct. Mais que dire alors du revers <strong>de</strong><strong>la</strong> médaille – <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> l’obéissance ? Quand allons-nousapprendre que notre propre intérêt n’est pas nécessairementl’intérêt <strong>de</strong> Dieu, et qu’insister à être son propre maître, etaller <strong>de</strong> son propre train, pourrait porter plus <strong>de</strong> mauvaisfruits que <strong>de</strong> bons ?Malheureusement, ceux qui se soumettent aux autreslorsqu’il n’y a aucun avantage apparent (ou lorsqu’il s’agit <strong>de</strong>154


L A q u ê t e d e l a p a i xComme les nouveaux membres <strong>de</strong> beaucoup d’autres communautésreligieuses, <strong>de</strong> même que <strong>la</strong> mienne, les novices<strong>de</strong> l’Ordre <strong>de</strong> Mère Thérèse font le vœu d’obéissance à leurentrée. Cependant, un tel vœu est le <strong>de</strong>voir d’une vie entière,comme Thomas Merton le remarque dans une lettre à unjeune ami :Tu t’efforces probablement <strong>de</strong> déterminer ton i<strong>de</strong>ntitédans ton travail, en l’exprimant par ton travail et tontémoignage. Tu t’en sers, pour ainsi dire, pour te protégercontre <strong>la</strong> nullité, l’annihi<strong>la</strong>tion. Ce<strong>la</strong> n’est pas le bon emploi<strong>de</strong> ton travail. Tout bien qui en provient ne viendrapas <strong>de</strong> toi-même, mais <strong>de</strong> ce que tu as permis à Dieu <strong>de</strong>te mettre à Son service, par obéissance à <strong>la</strong> foi. Pensesurtout à ce<strong>la</strong>, et tu seras, petit à petit, libéré du besoin<strong>de</strong> t’affirmer, et ainsi tu pourras t’ouvrir au pouvoir quiagira en toi sans que tu t’en ren<strong>de</strong>s compte.L’important après tout c’est <strong>de</strong> vivre, et <strong>de</strong> ne pas passerta vie au service d’un mythe ; et nous changeons lesmeilleures choses en mythes. Si tu peux te libérer <strong>de</strong> <strong>la</strong>domination <strong>de</strong>s causes pour servir tout simplement <strong>la</strong>vérité du Christ, tu pourras accomplir plus, et tu ne seraspas si écrasé par ces déceptions inévitables. Car je neprévois que déception, frustration, et confusion.Notre seul vrai espoir, donc, ne rési<strong>de</strong> pas dans ceque nous pensons pouvoir faire, mais en Dieu, qui fait<strong>de</strong> nos efforts quelque chose <strong>de</strong> bon que nous ne voyonspas. Nous y ai<strong>de</strong>rons tant que nous accomplissions Savolonté. Mais n’en serons pas nécessairement conscientspréa<strong>la</strong>blement.Une histoire dans le Second Livre <strong>de</strong>s Rois en parle d’unefaçon mémorable. Lorsque Naaman, un serviteur royal, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>à Elisée <strong>de</strong> le guérir <strong>de</strong> <strong>la</strong> lèpre, le prophète lui dit158


L A q u ê t e d e l a p a i xque nous le mettions en pratique ? » C’est une parole,au contraire, qui est tout près <strong>de</strong> toi, dans ta bouche etdans ton cœur, afin que tu <strong>la</strong> mettes en pratique. (Deutéronome30.11-14)161


L A q u ê t e d e l a p a i xforme pas l’homme, mais tout dépend <strong>de</strong> son attitu<strong>de</strong> et<strong>de</strong> ce qu’il en fait.Ainsi, l’homme n’est nullement un simple produit <strong>de</strong>l’hérédité et <strong>de</strong> l’environnement. Il y a un autre élément :<strong>la</strong> décision. En fin <strong>de</strong> compte, c’est l’homme qui déci<strong>de</strong>lui-même ! Or en fin <strong>de</strong> compte, l’éducation a pour butd’enseigner comment prendre <strong>de</strong>s décisions.Frankl décline par <strong>la</strong> suite que peu d’entre nous ne prenions<strong>de</strong> décisions importantes dans <strong>la</strong> vie avec quelconque <strong>de</strong>gré<strong>de</strong> certitu<strong>de</strong>. En faisant marche arrière, ou en compromettant,il nous manque souvent <strong>la</strong> fermeté <strong>de</strong> nous en tenirà nos propres décisions. Et, ainsi, nous restons toujoursanxieux. Parfois, notre attitu<strong>de</strong> est passive, au jour le jour,en attendant <strong>de</strong> voir ce qui va se passer. D’autres fois, nousnous montrons fatalistes, défaitistes. Un jour, nous sommessans caractère, et nous n’avons aucune opinion du tout ; lelen<strong>de</strong>main, nous sommes tellement opiniâtres, que nous <strong>de</strong>venonsfanatiques. Frankl nous dit qu’en fin <strong>de</strong> compte, tousces symptômes ont leur source en notre crainte <strong>de</strong> prendre<strong>la</strong> responsabilité, et en l’indécision qui en est le fruit.Naturellement, certains choix sont faciles à faire, tandisque d’autres ne peuvent être pris qu’avec un débat intérieuragonisant. Même alors, Dieu peut nous ai<strong>de</strong>r à faire <strong>la</strong>bonne décision si notre esprit est ouvert à sa direction. Je neparle pas ici <strong>de</strong> lueurs rapi<strong>de</strong>s et passagères (en général ilme semble que nous ne recevons que peu <strong>de</strong> réponses, sansprière), mais je pense aux « heures <strong>de</strong> grâce » – les momentsoù Dieu s’approche <strong>de</strong> nous, nous adoucit le cœur, et ouvrenos « oreilles intérieures » à Lui.De tels moments peuvent nous venir seulement une foisou plus d’une fois. Si nous y sommes réceptifs, Dieu nous163


L A q u ê t e d e l a p a i xme forçait à faire un pas que je ne vou<strong>la</strong>is pas prendretout d’abord. Chaque fois que je suivais ma conscience,ce<strong>la</strong> me conduisait à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> intérieure, qui est réelle, etque l’on ne peut décrire.Au revers <strong>de</strong> <strong>la</strong> médaille, <strong>la</strong> vie m’a <strong>de</strong> même montréque si on est conscient d’un appel sans le suivre, quelquechose en nous change et il se peut que <strong>la</strong> prochaine foisnous ne pourrons pas entendre Dieu nous parler. PeutêtreDieu ne nous abandonnera pas dans notre orgueilet entêtement, mais j’en suis certain, qu’un momentarrivera où ce sera trop tard.Après avoir quitté mon emploi, j’ai été sans emploi pendantbien <strong>de</strong>s mois ; je recherchais du travail qui n’était paslié à <strong>la</strong> guerre, mais il n’y en avait pas, du moins dans ceque je savais faire, et c’est terrible d’être oisif. Cependant,je ne peux nier que j’étais sûr d’avoir bien agi, et je ressentaisque ma vie était entre les mains <strong>de</strong> Dieu.Nous connaissons tous <strong>de</strong>s gens qui (contrairement à John)ne peuvent trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en eux-mêmes, parce qu’ils nepeuvent adhérer à une décision. De telles personnes passentleurs vies comme <strong>de</strong>s bateaux à voile sans quille, chavirantà tout coup <strong>de</strong> vent et avançant vers leur but avec <strong>la</strong> plusgran<strong>de</strong> difficulté. Il y en a qui n’y arrivent jamais, et qui passentleur temps à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r : que faire ? Dans les cas lesplus graves, un tel manque <strong>de</strong> décision conduit au déséquilibreémotionnel, et même à l’instabilité mentale.Quant à <strong>la</strong> foi, il est essentiel d’être décisif, afin <strong>de</strong> pouvoirmener une vie saine et productive. Jésus nous offre une <strong>paix</strong>sans fin, mais Il exige d’abord notre promesse <strong>de</strong> loyautétotale. Il se peut que <strong>la</strong> raison du manque <strong>de</strong> <strong>paix</strong> en certainespersonnes soit justement parce qu’ils ne veulent pas166


L A q u ê t e d e l a p a i xêtre ainsi confrontés. J’ai toujours aimé les paroles : « Envérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez pas lecorps du Fils <strong>de</strong> l’homme et si vous ne buvez pas son sang,vous n’avez pas <strong>la</strong> vie en vous-mêmes » (Jean 6.53). Cesparoles ne sont pas une philosophie à être méditée, étudiée,ou analysée. C’est une exigence impru<strong>de</strong>nte, et il nous fautou bien, <strong>la</strong> rejeter, ou l’étreindre. Personne ne peut resterindifférent <strong>de</strong>vant Jésus. Il nous faut nous déci<strong>de</strong>r pour Luiou contre Lui.Bart (ce n’est pas son vrai nom), est un jeune homme <strong>de</strong>notre communauté. A presque vingt-et-un ans, en tête <strong>de</strong> sac<strong>la</strong>sse dans une université prestigieuse sur <strong>la</strong> Côte Est <strong>de</strong>sEtats-Unis, il se réjouissait déjà à <strong>la</strong> remise <strong>de</strong>s diplômes,ayant déjà reçu plusieurs offres d’emploi généreuses. CependantBart n’était pas heureux ; au plus profond <strong>de</strong> soncœur, il commençait à percevoir le vi<strong>de</strong> d’une vie prospère,et, petit à petit, <strong>la</strong> pensée lui vint, <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser tout tomber et<strong>de</strong> retourner à <strong>la</strong> communauté, où il avait grandi ; bien quececi signifiait soumettre ses talents, son temps, et son argent,à une cause commune, et <strong>de</strong> travailler là où on avait besoin<strong>de</strong> lui. Au milieu du <strong>de</strong>rnier semestre, Bart quitta ses étu<strong>de</strong>set écrivit <strong>la</strong> lettre suivante, qu’il m’a permis <strong>de</strong> citer :Depuis quelques jours, j’ai été vraiment tiraillé. D’un côté,je vou<strong>la</strong>is tellement rester à l’université, finir mes étu<strong>de</strong>s,et avoir un emploi, comme <strong>de</strong> travailler pour une causeadmirable, telle que <strong>la</strong> radio. Mais je me sens, <strong>de</strong> même,appelé à servir dans <strong>la</strong> communauté. J’ai essayé <strong>de</strong> justifiermon séjour ici, en m’occupant <strong>de</strong> mes propres affaires,en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté – mais, finalement,je vois que ce<strong>la</strong> ne m’était pas possible.167


L A q u ê t e d e l a p a i xou malheureux en n’importe quelle situation. J’en suissûr, car je suis passé par là. Je me suis senti éperdu etjoyeux dans <strong>de</strong>s situations d’abondance, <strong>de</strong> pauvreté, <strong>de</strong>popu<strong>la</strong>rité et d’anonymat, dans les pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> succèset d’échec. <strong>La</strong> différence ne provenait pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> situationelle-même, mais toujours <strong>de</strong> ma propre dispositiond’esprit et <strong>de</strong> cœur. Lorsque j’étais conscient <strong>de</strong> marcheravec Dieu, je me sentais toujours heureux et en <strong>paix</strong>.Lorsque j’étais empêtré dans mes propres besoins émotionnels,je me sentais toujours agité et troublé.C’est une simple vérité qui me vient à l’esprit maintenant,au temps où je dois prendre une décision quant àmon avenir. Se déci<strong>de</strong>r à faire ceci, ce<strong>la</strong>, ou autre choseles cinq, dix, ou vingt ans à venir n’est pas une gran<strong>de</strong>décision. Se tourner vers Dieu, sans conditions et sanscrainte, voilà ce qui est important. Cependant cette prise<strong>de</strong> conscience m’a finalement libéré.Henri J.M. Nouwen169


•Le repentirL’homme déchu n’est pas qu’une créature imparfaite, qui abesoin <strong>de</strong> s’améliorer ; il est rebelle, et il doit déposer sesarmes. Capituler, se rendre, s’excuser, conscient <strong>de</strong> son erreur,et être prêt à recommencer – voilà <strong>la</strong> seule façon d’en sortir.Ce procédé <strong>de</strong> capitu<strong>la</strong>tion, ce mouvement à toute vitesse enarrière, voilà ce que les chrétiens appellent le repentir.C.S. LewisIl disait : « Repentez-vous, car le royaume <strong>de</strong>s cieux estproche » (Matthieu 3.2, version Louis Segond). Ce versetest peut-être le verset le plus familier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bible, et, pourtant,<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s générations les chrétiens ont évité son impactavec autant <strong>de</strong> zèle qu’ils l’ont récité. C’est quelque chosed’être humble, doux, ou aimable. Mais, d’avoir du remords ?D’admettre ses torts, et d’en pleurer ? Se repentir ? Aussidur, que ce<strong>la</strong> semble, il n’y a pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong> sans le repentir.Tout comme <strong>la</strong> souffrance du Christ sur <strong>la</strong> Croix ne noussignifie rien tant que nous refusons <strong>de</strong> souffrir avec lui, <strong>de</strong>même <strong>la</strong> Résurrection n’a <strong>de</strong> promesses pour nous, que sinous sommes prêts à le suivre au tombeau. Il n’y a pas <strong>de</strong>nouvelle vie, sans <strong>la</strong> mort.


L A q u ê t e d e l a p a i xLe repentir signifie <strong>la</strong> mort à son moi, le vieil Adam. Ce<strong>la</strong>veut dire se détourner <strong>de</strong> <strong>la</strong> corruption d’un mon<strong>de</strong> déchu, etse p<strong>la</strong>cer volontiers et avec joie, sous <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong> Dieu, quiconnaît les plus profonds secrets <strong>de</strong> notre cœur. Lorsqu’unepersonne se repentit, un cœur <strong>de</strong> pierre <strong>de</strong>vient un cœur <strong>de</strong>chair, et les pensées et les émotions sont, toutes, transformées.<strong>La</strong> perspective <strong>de</strong> cette personne change alors complètement.En tant que conseiller, j’ai remarqué qu’une <strong>de</strong>s causesles plus générales <strong>de</strong>s troubles spirituels est l’immoralité.Je ne veux pas dire que <strong>la</strong> volupté est un péché, pire queles autres. L’Apôtre Paul nous dit c<strong>la</strong>irement que l’orgueil,l’autosuffisance, et <strong>la</strong> présomption, par exemple, sont toutaussi opposés à Dieu. En réalité, ces traits <strong>de</strong> caractère sontpeut-être même plus difficiles à surmonter que les autres péchés,car ils ne sont pas aussi évi<strong>de</strong>nts. Cependant, puisquenotre sexualité est <strong>la</strong> sphère <strong>la</strong> plus protégée, <strong>la</strong> plus intime,les péchés sexuels, secrets, sont souvent les plus accab<strong>la</strong>nts.Il y a bien <strong>de</strong>s années, une jeune femme est venue à notrecommunauté. Sue (ce n’est pas son vrai nom) avait grandidans une famille éduquée, et elle ne manquait <strong>de</strong> rien. Mais,elle se sentait misérable. Elle aurait tellement voulu avoir <strong>la</strong><strong>paix</strong> et l’harmonie dans sa vie, mais elle était si accablée, etécœurée d’elle-même, qu’elle était au bout <strong>de</strong> son rouleau.Si quelqu’un m’avait <strong>de</strong>mandé, en 1972, ce que signifiait« <strong>la</strong> <strong>paix</strong> », je lui aurais dit, « <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre au Vietnam.» Grandissant dans les années soixante, je n’avaisaucune idée que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> pouvait avoir une significationplus profon<strong>de</strong>.Etant un <strong>de</strong> quatre enfants d’un père alcoolique, souventviolent, je faisais partie d’une famille dysfonctionnelle171


L A q u ê t e d e l a p a i xtypique, très bourgeoise et plutôt triste. A l’âge <strong>de</strong> neufou dix ans, j’ai commencé à m’amuser avec le sexe. Jeremarquais que si l’un <strong>de</strong>s garçons du voisinage vou<strong>la</strong>itm’avoir, j’avais du pouvoir sur lui, et j’ai commencé àsoigner mon apparence. J’ai conduit beaucoup <strong>de</strong> garçonset d’hommes sur ce sentier, sans avoir d’autres intentions.Je vou<strong>la</strong>is seulement avoir <strong>de</strong> l’influence. Je n’étais pasconsciente <strong>de</strong>s chaînes maléfiques qui me liaient.En 1968, à l’âge <strong>de</strong> 14 ans, j’ai trouvé ma sœur etson mari, morts dans leur appartement. A peine mariée<strong>de</strong>puis trois mois, avec un homme <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>cette belle femme <strong>de</strong> vingt-<strong>de</strong>ux ans avait pris fin. Unequerelle, peut-être ? Ou une dépression ? Etait-ce, qu’ilpartait pour le Vietnam ? Seulement <strong>de</strong>ux cadavres et unfusil restaient pour dire ce qui s’était passé au momentque mon autre sœur et moi avions ouvert <strong>la</strong> porte...Après ce<strong>la</strong>, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Sue tomba en confusion. Ayant expérimentéavec une p<strong>la</strong>nchette Ouija et <strong>de</strong>s séances occultes,elle avait peur du mon<strong>de</strong> surnaturel et elle était hantée parl’âme <strong>de</strong> sa sœur. Mais elle ne pouvait parler à personne <strong>de</strong>son angoisse.Pleine <strong>de</strong> colère et <strong>de</strong> haine, surtout contre mon père,je commençai à me perdre dans les amphétamines, lehaschisch, et <strong>la</strong> marijuana, tout en m’enivrant tous lesweekends avec un homme différent. A dix-sept ans,j’avais presque tout fait, sexuellement... ironiquement,<strong>de</strong>s amies et moi faisions partie du mouvement contre <strong>la</strong>guerre, pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et l’amour, l’anti-guerre en plein é<strong>la</strong>nà cette époque. En effet, il y avait beaucoup d’idéalismeau début <strong>de</strong>s années soixante-dix, mais l’égoïsme <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie sexuelle en beaucoup <strong>de</strong> gens était bien le contraire<strong>de</strong> l’idéal.172


L A q u ê t e d e l a p a i xA dix-neuf ans, je suis venue au Bru<strong>de</strong>rhof. Hantée,accablée, et désespérée, le mal <strong>de</strong> mon passé pesait silourd sur mon âme, que je paraissais plutôt avoir plus<strong>de</strong> trente ans.J’ai lutté pour trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, pendant dix longuesannées. Les frères et sœurs vou<strong>la</strong>ient m’ai<strong>de</strong>r, mais bienque je m’y efforce, je n’arrivai pas à briser ma prisond’impureté.Seulement en voyant le changement d’un autre membrequi avait confessé son péché sexuel, m’est-il venu àl’idée que je pouvais <strong>de</strong>venir libre. J’ai vu alors, qu’il mefal<strong>la</strong>it <strong>la</strong>isser tomber mes gar<strong>de</strong>s une fois pour toutes etme révéler comme <strong>la</strong> personne misérable que j’étais. Ilme fal<strong>la</strong>it trouver une personne dans <strong>la</strong>quelle je puisseconfier mes plus sombres secrets. Il me fal<strong>la</strong>it me repentir,et Dieu me donnerait alors, enfin, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> que j’avais silongtemps recherchée.Dans les jours qui suivaient, ma vie entière m’a passé<strong>de</strong>vant les yeux ; c’était comme si je voyais chaque mouvement,regard, parole et sale pensée dans lesquels jem’étais vautrés, chaque personne que j’avais blessée etinduite sciemment en erreur. Avec douleur, mais aussiavec joie, je suis allée confesser mes péchés les plusgraves, à <strong>la</strong> femme du pasteur. J’ai même dû retournerplus d’une fois avant d’avoir tout dit. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> se répandaiten mon cœur, après chaque purification. Les annéessemb<strong>la</strong>ient glisser <strong>de</strong> moi, et je me sentais <strong>de</strong> nouveaulibre comme une enfant.J’ai maintenant plus <strong>de</strong> quarante ans, je suis mariéeavec <strong>de</strong>s enfants, mais je me sens beaucoup plus jeuneque lorsque j’avais dix-neuf ans. Et si quelqu’un me <strong>de</strong>mandait,aujourd’hui, qu’est-ce que c’est que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ? Jepourrais leur donner une meilleure réponse.173


L A q u ê t e d e l a p a i xNous désirons tous être renouvelés, changés – ce n’estpas le problème. Mais comment ? Voilà <strong>la</strong> question. Commeécrit mon père : « C’est Dieu, Lui-même, qui doit nous changer,et Il le fera peut-être contrairement à toutes nos espérances,y compris nos idées sur notre propre croissanceintérieure ou notre épanouissement. Afin d’être digne <strong>de</strong>l’avenir <strong>de</strong> Dieu, il nous faut être mo<strong>de</strong>lés par lui. »Plutôt que d’accepter ce<strong>la</strong>, on cherche ses propres solutions.William, le prêtre dont j’ai raconté l’histoire, me dit quebien qu’il ait rencontré « toutes les conditions possibles <strong>de</strong>péché » pendant les quarante années <strong>de</strong> son ministère, il n’avu que très peu <strong>de</strong> remords. « Le plus souvent, les coupablesessaient <strong>de</strong> justifier leur conduite, plutôt que <strong>de</strong> se repentir. »<strong>La</strong> plupart <strong>de</strong>s gens ne comprennent pas ce qu’est vraimentle repentir. Ou bien, ils n’aiment pas ce qu’ils comprennent.C’est assez facile <strong>de</strong> régler une situation en s’excusantou <strong>de</strong> fermer un œil ou <strong>de</strong> passer par-<strong>de</strong>ssus d’un problème ;on le fait tous les jours. Mais ceci n’est pas le repentir. Aprèsqu’une âme a été blessée par le péché, seul le remords peutmener à <strong>la</strong> guérison.Au temps <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réformation, le clergé « pardonna » le péchépar <strong>la</strong> vente <strong>de</strong>s indulgences. Aujourd’hui, il y a <strong>de</strong>s psychiatresqui « pardonnent » le péché <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon. On les paie,et ils disent : « Vous n’avez rien fait <strong>de</strong> mal ; vous avez agi toutà fait normalement. Ne vous tracassez pas <strong>la</strong> tête ; vous n’ypouvez rien. » Voilà comment le mon<strong>de</strong> pardonne le péché.Dans l’Evangile <strong>de</strong> Matthieu on trouve un exemple frappantdu vrai repentir : l’histoire <strong>de</strong> Pierre, qui renia Jésus troisfois à <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> <strong>la</strong> crucifixion. Pierre aurait pu défendre sonacte comme étant pardonnable. Après tout, Jésus était dans174


L A q u ê t e d e l a p a i xles mains <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice, et déjà condamné à mort. En réalité,il n’y avait rien que les disciples puissent faire pour changer<strong>la</strong> situation. Pourtant, au lieu <strong>de</strong> s’excuser, Pierre a reconnuque par son mensonge il a trahi Jésus. Ce<strong>la</strong> lui avait fondule cœur et il « sortit et pleura amèrement » (Luc 22.62).<strong>La</strong> repentance n’implique pas se tourmenter, ni remâcherle passé, ni sombrer dans <strong>la</strong> dépression. Mais si le remordsest authentique, ce sera douloureux. Comme <strong>la</strong> charrue, lerepentir déchire le sol, creuse <strong>de</strong>s sillons dans l’âme, déracineles mauvaises herbes, et prépare <strong>la</strong> terre.Voilà, le champ <strong>de</strong> mon cœur rouge et déchiré,Et tu amèneras le jeune blé vert,Le jeune blé vert qui pousse divinement,Le jeune blé vert qui chante à jamais…Et nous marcherons le champ désherbé,Et parlerons <strong>de</strong> ce que rapporte <strong>la</strong> récolte dorée,Le blé qui fait le pain béni,Qui nourrit l’âme <strong>de</strong> l’homme,Le pain béni, <strong>la</strong> nourriture sans prix,Ta miséricor<strong>de</strong> éternelle, ô Christ !John MasefieldNous avons tous péché, et ainsi, nous avons chacun besoind’un tel <strong>la</strong>bourage. D’une façon ou d’une autre, nous avonstous gâché notre vie. En admettant nos fautes, nous admettonsnotre faiblesse, et notre dépendance les uns sur les autres,et <strong>de</strong> Dieu. Encore plus important, nous évitons le dangerd’étouffer <strong>la</strong> voix persistante <strong>de</strong> notre conscience. Nousn’aurons jamais une <strong>paix</strong> durable, en refusant d’admettrenos échecs, mais plutôt en les regardant carrément, et honnêtement.175


L A q u ê t e d e l a p a i xSi le chemin du repentir est douloureux, l’agonie <strong>de</strong> vivreavec un péché secret est bien pire. Comme Martin Buber l’aécrit, notre ar<strong>de</strong>nt désir <strong>de</strong> trouver l’harmonie et <strong>la</strong> communautéavec Dieu nous entraîne vers <strong>la</strong> <strong>paix</strong> tout comme <strong>la</strong>tempête se déchaîne avant le calme ; et si nous le résistons,nous vivrons dans un état <strong>de</strong> tension constante et terrible.« Si on ne se juge pas soi-même, on sera jugé par tous lesévènements, qui <strong>de</strong>viennent un message <strong>de</strong> Dieu. »Gerald (ce n’est pas son vrai nom), membre âgé <strong>de</strong> notrecommunauté, a vainement recherché <strong>la</strong> tranquillité <strong>de</strong>l’esprit, pendant <strong>de</strong>s années. Malgré le remords profond <strong>de</strong>ses péchés passés – ne les ayant jamais confessés entièrement,il ne pouvait trouver le vrai repentir. Bien que travailleursérieux et fiable, Gerald était tourmenté. Derrière <strong>la</strong>faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> son engagement sérieux à <strong>la</strong> communauté et à safamille, il gardait en lui le secret d’une liaison adultère <strong>de</strong> sajeunesse, et d’un enfant, né dans une ville lointaine.A un moment <strong>de</strong> crise, alors qu’il approchait les 40-50ans, Gerald put faire le bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong> sa vie jusque-là, et enfin« le jugement <strong>de</strong> Dieu a atteint mon cœur ». Gerald dit qu’ilsavait bien qu’il ne pouvait pas défaire ce qu’il avait fait <strong>de</strong>mal, cependant, quand il put sentir <strong>la</strong> peine douloureuse<strong>de</strong> ses fautes, il fut plein <strong>de</strong> remords ; il al<strong>la</strong> trouver chaquepersonne qu’il avait trahie, et s’humilia <strong>de</strong>vant elle. Et, enfin,il put éprouver <strong>la</strong> purification ré<strong>de</strong>mptrice du repentir.Aussi dramatique que ce fut pour lui, Gerald dit que cetteexpérience, et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> qu’il ressentit, ne fut pas seulementun événement unique, mais plutôt un procédé qui continueencore aujourd’hui :176


L A q u ê t e d e l a p a i xSouvent, je pensais finalement avoir trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, maisje voyais que ce n’était qu’une sorte <strong>de</strong> tremplin, et qu’ilme fal<strong>la</strong>it aller plus profondément. Ce<strong>la</strong> continuera ainsi,probablement. Peut-être, est-ce dans cette honnête poursuite<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, que nous <strong>la</strong> trouvons.A propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> l’âme, je puis dire ceci : Je suissûr qu’elle provient du jugement <strong>de</strong> Dieu qui me révèletous les jours ma culpabilité. Une repentance continuepour les péchés commis, et ma reconnaissance profon<strong>de</strong>pour le pardon <strong>de</strong> Dieu ; <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière constante à Dieu, afinqu’Il me révèle mes fautes, et mes échecs journaliers, etqu’Il me donne <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté et le courage d’affronter les tâchesprésentes ; le renoncement quotidien <strong>de</strong> tout orgueil,toute ambition, ou tout ce qui provient du soi ; <strong>la</strong> grâce<strong>de</strong> me réjouir en Dieu chaque jour pour ses dons et, plusque tout, pour le miracle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Croix.L’importance <strong>de</strong> <strong>la</strong> repentance se révèle aussi dans l’histoire<strong>de</strong> ma tante, Emy-Margaret, qui a probablement eu <strong>la</strong> lutte<strong>la</strong> plus dure que je connaisse dans sa quête à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> intérieure.Lorsque Emy-Margaret, maintenant âgée <strong>de</strong> plus<strong>de</strong> quatre-vingt-cinq ans, a rencontré l’homme qui <strong>de</strong>vintplus tard son mari, elle a admiré – comme tous ceux quile connaissaient – son intelligence, son enthousiasme, soncharisme. Hans était un vrai homme d’affaires sympathiquequi s’exprimait bien, et en plus, il semb<strong>la</strong>it avoir à cœur lebien-être du Bru<strong>de</strong>rhof, qui était encore alors une très jeunecommunauté, lorsqu’il est arrivé.Ce qui commença par un mariage heureux, <strong>de</strong>vint bientôtun cauchemar. Vu <strong>de</strong> l’extérieur, tout était parfaitement ordonné: ils étaient tous <strong>de</strong>ux membres actifs ; les enfantsvinrent, l’un après l’autre, et <strong>la</strong> famille semb<strong>la</strong>it avoir une177


L A q u ê t e d e l a p a i xvie saine et harmonieuse. Cependant, en privé, Hans commençaà montrer un autre côté. Il possédait une soif irrépressible<strong>de</strong> pouvoir, et il vou<strong>la</strong>it l’atteindre à tous prix.Emi-Margaret fut d’abord troublée par <strong>la</strong> façon manipu<strong>la</strong>trice<strong>de</strong> son mari, mais ce<strong>la</strong> ne dura pas longtemps. Si ellele critiquait elle s’ouvrait à ses remarques sarcastiques, etc’était bien plus facile – plus commo<strong>de</strong> – <strong>de</strong> l’accepter telqu’il était. Ce n’était pas non plus facile : Hans avait <strong>de</strong> <strong>la</strong>méfiance à l’égard <strong>de</strong> pratiquement tous les gens avec qui ilvivait, et il y en avait peu qu’il détestait plus que <strong>la</strong> famille <strong>de</strong>sa femme, qu’il soupçonnait <strong>de</strong> vouloir réduire son influencedans <strong>la</strong> communauté. Ce ne fut pas long avant que Hansn’atteigne son but. Adoré par quelques privilégiés, redoutépar <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s autres, il gouvernait comme un dictateur,et il réduisait au silence – sinon renvoyait – ceux qui osaientle questionner ou le contredire.Des décennies plus tard, Emy-Margaret réalisa que mêmesa propre fidélité envers son mari n’avait pas empêché celuilà<strong>de</strong> s’emparer <strong>de</strong> ce qu’il désirait : elle découvrit qu’il avaiteu une re<strong>la</strong>tion adultère avec sa secrétaire <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années.Elle s’effondra alors. Hans l’avait quittée, ainsi que <strong>la</strong>communauté, au moment où son hypocrisie fut révélée, mais<strong>la</strong> dépendance émotionnelle d’Emy-Margaret sur lui l’avaitaveuglée longtemps au mal qu’ils avaient ainsi causé tous les<strong>de</strong>ux. Des centaines <strong>de</strong> membres avaient souffert sous leurdirection. Ces liens d’esc<strong>la</strong>vage, qui se manifestaient par uneidolâtrie étrangement défensive <strong>de</strong> Hans et <strong>de</strong> tout ce qu’ilreprésentait, continuèrent, même après son acci<strong>de</strong>nt tragiquedans une collision <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux avions au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> France.Cependant, quelque temps après, Emy-Margaret afinalement compris qu’elle avait vécu un mensonge ; tout178


L A q u ê t e d e l a p a i xce dont elle dépendait – le prestige, le pouvoir, et l’attention<strong>de</strong> son entourage qui l’admirait (ou, qui l’enviait) à cause <strong>de</strong>son « rang social » – ne lui avait pas procuré un vrai bonheur– seulement plus <strong>de</strong> déso<strong>la</strong>tion personnelle. Au cours <strong>de</strong>smois suivants, elle passa par une pério<strong>de</strong> douloureuse où elleessaya <strong>de</strong> faire face aux conflits <strong>de</strong> loyauté, émotions, hypocrisieset <strong>de</strong>mi-mensonges dont elle était accablée <strong>de</strong>puis silongtemps. Ce fut un long combat intense, mais elle vou<strong>la</strong>itabsolument voir sa faute et mettre les choses au point. Ellesupplia– et elle reçut – l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté.Vingt-cinq ans se sont écoulés <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> cette lutte,pourtant ce fut pour elle et pour <strong>la</strong> communauté, unevictoire, dont les fruits sont encore apparents. En termesconcrets, ce pourrait paraître futile. Elle perdit Hans sanss’être réconciliée avec lui ; elle irritait ceux <strong>de</strong> ses anciensamis qui prenaient le parti <strong>de</strong> son mari, et elle s’aliénait <strong>de</strong>plusieurs <strong>de</strong> ses enfants.C’est un fait, que ma tante a beaucoup souffert dans sarecherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Cependant, elle m’assure qu’en rompantses liens avec son mari, et grâce à son repentir, ellea éprouvé une plénitu<strong>de</strong> et guérison qu’elle n’avait jamaisconnues auparavant. Comme elle a écrit à son frère Hardy, ily a quelques années : « Une vraie libération, et une véritable<strong>paix</strong> en mon cœur, m’ont été accordées, et restent en moi,bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> mes désirs, et <strong>de</strong> mes prières. »Bonhoeffer écrit que ce qui rend <strong>la</strong> repentance si difficile,c’est qu’elle exige d’abord <strong>la</strong> volonté, d’accepter <strong>de</strong> mourir« une mort douloureuse, et honteuse, <strong>de</strong>vant les yeux d’unfrère ». Puisque cette humiliation est si dure à supporter,on veut toujours l’éviter. Quelquefois, même après avoir179


L A q u ê t e d e l a p a i xreconnu nos péchés, nous essayons <strong>de</strong> passer outre (ou <strong>de</strong>les manipuler) sans nous en être vraiment repentis. Pourtantc’est précisément cette angoisse – cette croix – qui est notresauvetage et notre salut : « le vieil homme meurt, mais c’estDieu qui l’a vaincu. Maintenant nous prenons part à <strong>la</strong> résurrection<strong>de</strong> Jésus Christ et à <strong>la</strong> vie éternelle. Ayant passéd’abord par <strong>la</strong> mort, cette vie sera d’autant plus sublime. »180


•<strong>La</strong> convictionLe fait qu’il y a beaucoup <strong>de</strong> conflits dans le mon<strong>de</strong> ne veutpas dire que nous <strong>de</strong>vrions être désunis. Pourtant, nousentendons encore et encore que puisque nous avons étémis dans ce mon<strong>de</strong> en conflit, il faut nous y adapter. Ce quiest étrange est que cette idée, peu chrétienne, est le plussouvent adoptée par les chrétiens, eux-mêmes.Comment peut-on espérer voir <strong>la</strong> justice prédominerquand presque personne n’ose défendre sans partage unecause juste ? J’ai souvent pensé, récemment, à une histoiredans l’Ancien Testament : Moïse se dressa, jour et nuit, lesbras étendus, en priant Dieu pour <strong>la</strong> victoire. Chaque foisqu’il <strong>la</strong>issait tomber les bras, l’ennemi l’emportait sur lesenfants d’Israël. Existe-t-il actuellement quelques personnesqui ne se fatiguent jamais <strong>de</strong> concentrer toutes leurspensées et toute leur énergie à une seule cause ?Sophie SchollDécapitée par les Nazis en 1943 pour sa participation à<strong>La</strong> Rose B<strong>la</strong>nche, groupe d’étudiants à Munich qui écrivaient,imprimaient, et distribuaient <strong>de</strong>s brochures contre legouvernement, Sophie Scholl n’était pas une jeune <strong>de</strong> vingtet-unans ordinaire, mais plutôt une activiste très spéciale.


L A q u ê t e d e l a p a i xDans le livre The Resistance of the White Rose (<strong>La</strong> Résistance <strong>de</strong><strong>la</strong> Rose B<strong>la</strong>nche), Inge Scholl, <strong>la</strong> sœur <strong>de</strong> Sophie, se souvient<strong>de</strong> l’étrange <strong>paix</strong> qui l’accompagnait, et dit que c’était commesi le Christ était présent avec elle pendant ses heures les plusdifficiles, <strong>la</strong> guidant et lui donnant <strong>de</strong>s forces.Lorsque Sophie rencontra le mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Rose B<strong>la</strong>ncheet découvrit que son frère Hans en était à <strong>la</strong> tête, et un participantactif, elle se fâcha. En même temps, elle sentait quec’était une voix bien seule pour <strong>la</strong> vérité et que si elle ne luidonnait pas son soutien, cette voix serait bientôt noyée par<strong>la</strong> c<strong>la</strong>meur grandissante <strong>de</strong> <strong>la</strong> propagan<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s mensonges.Et bientôt elle mettait toute son énergie dans cette cause.Quelques années auparavant, Hans et Sophie avaient tous<strong>de</strong>ux embrassé avec enthousiasme <strong>la</strong> promesse hitlérienned’une nouvelle Allemagne. Mais, après s’être rendus comptedu nombre <strong>de</strong> consciences et <strong>de</strong> vies qui étaient bafouéespar le désir démoniaque du dictateur, ils furent déterminésà aller à contre-courant. Vers <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1942, il aurait étédifficile <strong>de</strong> trouver un élément d’opposition, plus vigoureux,ou plus en danger.En février 1943, les lea<strong>de</strong>rs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Rose B<strong>la</strong>nche furentcapturés, i<strong>de</strong>ntifiés, et en moins <strong>de</strong> cinq jours, les Scholls etleurs partisans étaient morts. D’autres exécutions suivirenten avril et juillet.Les Scholls firent face à leur mort courageusement, mêmefièrement. Quand Sophie entendit <strong>la</strong> sentence – <strong>la</strong> guillotine– sa réaction fut calme : « Un si beau jour ensoleillé, et jedois partir. Mais qu’importe si par nous <strong>de</strong>s milliers d’autressont touchés et réveillés à l’action ? » Voici, en effet, une<strong>paix</strong>, dont <strong>la</strong> source est une foi inébran<strong>la</strong>ble.182


L A q u ê t e d e l a p a i xDe nos jours, une telle conviction est une chose rare. (Qui<strong>de</strong> nous tient tant à ses croyances qu’il soit prêt à mourirpour elles ?) Mais aussi rare sont le réconfort et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> quiproviennent d’une telle lutte. A moins d’être totalement convaincus<strong>de</strong> <strong>la</strong> justice <strong>de</strong> nos actions, nous ne pourrons jamaisfaire face à <strong>de</strong> telles épreuves avec une pareille endurance.Voici, peut-être, ce qui est le plus important <strong>de</strong> ce que <strong>la</strong>Rose B<strong>la</strong>nche nous enseigne.Pour revenir aux temps anciens <strong>de</strong> Moïse, mentionnéspar Sophie, je me souviens d’un <strong>de</strong> mes passages favoris<strong>de</strong> l’Ancien Testament : l’histoire <strong>de</strong> Shadrak, Méshak etAbed-Nego. Voici trois jeunes hommes sans pareils dansleur loyauté envers Dieu, et dans <strong>la</strong> <strong>paix</strong> qui les a soutenuspendant leur épreuve. L’histoire est bien connue, mais il convienttoutefois <strong>de</strong> <strong>la</strong> répéter, ici :Nebucadnetsar prit <strong>la</strong> parole et leur dit : « Si vous nel’adorez pas, vous serez immédiatement jetés au milieud’une fournaise ar<strong>de</strong>nte. Quel est le dieu qui pourra alorsvous délivrer <strong>de</strong> mon pouvoir ? »Shadrak, Méshak et Abed-Nego répliquèrent au roiNebucadnetsar : «Nous n’avons pas besoin <strong>de</strong> te répondrelà-<strong>de</strong>ssus. Notre Dieu, celui que nous servons, peut nousdélivrer <strong>de</strong> <strong>la</strong> fournaise ar<strong>de</strong>nte, et Il nous délivrera <strong>de</strong> tonpouvoir, roi. Et même s’Il ne le faisait pas, sache, roi, quenous ne servirons pas tes dieux et que nous n’adoreronspas <strong>la</strong> statue en or que tu as dressée.»Nebucadnetsar fut alors rempli <strong>de</strong> colère. Il changea<strong>de</strong> visage vis-à-vis <strong>de</strong> Shadrak, Méshak et Abed-Nego.Reprenant <strong>la</strong> parole, il ordonna <strong>de</strong> chauffer <strong>la</strong> fournaisesept fois plus que d’habitu<strong>de</strong>. Puis il ordonna à quelquessoldats particulièrement forts <strong>de</strong> son armée d’attacher183


L A q u ê t e d e l a p a i xShadrak, Méshak et Abed-Nego et <strong>de</strong> les jeter dans <strong>la</strong>fournaise ar<strong>de</strong>nte. Ces hommes furent alors attachés,habillés <strong>de</strong> leurs caleçons, <strong>de</strong> leurs tuniques, <strong>de</strong> leursmanteaux et <strong>de</strong> leurs autres vêtements, et ils furent jetésau milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> fournaise ar<strong>de</strong>nte. Comme l’ordre du roiétait catégorique et que <strong>la</strong> fournaise était extraordinairementchauffée, <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme tua les hommes qui y avaientjeté Shadrak, Méshak et Abed-Nego. Quant aux troishommes en question, Shadrak, Méshak et Abed-Nego,ils tombèrent ligotés au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> fournaise ar<strong>de</strong>nte.Le roi Nebucadnetsar fut alors effrayé et se leva subitement.Il prit <strong>la</strong> parole et dit à ses conseillers : « N’avonsnouspas jeté trois hommes ligotés au milieu du feu ? » Ilsrépondirent au roi : « Certainement, roi ! » Il reprit : « Ehbien, j’aperçois quatre hommes dépourvus <strong>de</strong> liens quimarchent au milieu du feu, porteurs d’aucune blessure, etle quatrième ressemble à un fils <strong>de</strong>s dieux. » Nebucadnetsars’approcha ensuite <strong>de</strong> l’entrée <strong>de</strong> <strong>la</strong> fournaise ar<strong>de</strong>nteet dit : « Shadrak, Méshak et Abed-Nego, serviteurs duDieu très-haut, sortez et venez ! » Shadrak, Méshak etAbed-Nego sortirent alors du milieu du feu.Les administrateurs, les intendants, les gouverneurset les conseillers du roi se rassemblèrent. Ils virent que lefeu n’avait eu aucun pouvoir sur le corps <strong>de</strong> ces hommes,que les cheveux <strong>de</strong> leur tête n’avaient pas brûlé, que leurshabits n’étaient pas abîmés et qu’ils ne sentaient mêmepas le feu. Nebucadnetsar prit <strong>la</strong> parole et dit : « Bénisoit le Dieu <strong>de</strong> Shadrak, <strong>de</strong> Méshak et d’Abed-Nego! Il aenvoyé son ange et a délivré ses serviteurs qui ont p<strong>la</strong>céleur confiance en lui. Ils n’ont pas hésité à enfreindrel’ordre du roi et à risquer leur vie plutôt que <strong>de</strong> servir etd’adorer un autre dieu que leur Dieu ! »Daniel 3.13-28184


L A q u ê t e d e l a p a i xCombien y a-t-il <strong>de</strong> « serviteurs fidèles » à Dieu, qui soientprêts à défendre leur foi aujourd’hui, et même, à mourir ?Combien <strong>de</strong> nous serons renvoyés du royaume <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>éternelle, avec ces paroles : « Je ne vous ai jamais connu ? »En repensant à ma vie passée, ce sont les hommes, dont <strong>la</strong>conviction leur a coûté <strong>la</strong> vie, qui m’ont le plus influencé. Jen’ai jamais connu <strong>de</strong>s uns personnellement (Dietrich Bonhoeffer,Alfred Delp, et Oscar Romero, pour en citer quelquesuns).Des autres, comme Martin Luther King, je fus privilégié<strong>de</strong> rencontrer brièvement.Mon grand-père, un ar<strong>de</strong>nt opposant du régime d’Hitler,n’a échappé au <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s dissi<strong>de</strong>nts que parsa mort en 1935, due aux complications suivant une amputation.Cependant, d’après ma grand’mère, <strong>la</strong> menaced’emprisonnement n’a fait que <strong>de</strong> l’enhardir. Plusieurs foisil choisit d’aller à Kassel, au conseil municipal nazi, où, unefois que <strong>la</strong> porte fut fermée à clef on lui permit d’adresser sapétition. Miraculeusement, une audition lui fut chaque foisaccordée, puis il fut libéré après.Peu <strong>de</strong> jours avant <strong>de</strong> mourir, le jour d’un anniversaireluthérien <strong>de</strong> pénitence et <strong>de</strong> jeûne, mon grand-père s’écria <strong>de</strong>son lit d’hôpital, afin que tous puissent l’entendre : « Est-ceque Goebbels s’est-il déjà repenti ? et Hitler ? » Nombreuxétaient les Allemands qui furent trainés aux camps <strong>de</strong> concentrationpour moins que ce<strong>la</strong>.Des années plus tard, alors que j’avais quatorze ans, dansune école <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> New York, ce défi <strong>de</strong> mon grand-pèrem’a inspiré à montrer le même courage. Chaque jour, unétudiant différent <strong>de</strong>vait réciter le Pledge of Allegiance (leserment d’allégeance au drapeau <strong>de</strong>s Etats-Unis). Quand185


L A q u ê t e d e l a p a i xce fut mon tour, je me suis levé, et je leur ai dit que je ne leferai pas. Ma loyauté appartient à Dieu, dis-je, non pas àun morceau d’étoffe.On aurait pu entendre une épingle tomber, mon professeuret mes camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse étaient stupéfiés. Ceciétait inconcevable ! (c’était justement pendant le temps <strong>de</strong>McCarthy, et à Washington, les séances du comité <strong>de</strong>s actionsnon-américaines battaient leur plein.) Avant <strong>la</strong> fin <strong>de</strong><strong>la</strong> matinée, je fus signalé au directeur, et mené <strong>de</strong>vant uneréunion <strong>de</strong> <strong>la</strong> faculté pour m’expliquer. Bien que choqués, ilsmontrèrent <strong>de</strong> <strong>la</strong> compréhension une fois que j’eus c<strong>la</strong>rifiéma position et leur eus assuré, que je ne vou<strong>la</strong>is absolumentpas manquer <strong>de</strong> respect, et que j’avais agi par conviction.Chez nous, mes parents furent un peu surpris, bien qu’ilsaient pris mon parti. Quant à mon père, c’était simple : si onne suivait pas sa conscience, on n’aurait jamais <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. Si ce<strong>la</strong>signifiait jouer les trouble-fête, tant pis. C’était quand mêmepréférable plutôt que <strong>de</strong> faire semb<strong>la</strong>nt que tout al<strong>la</strong>it bien.Dans un chapitre antérieur j’ai mentionné plusieurspersonnes que j’ai connues pendant mon adolescence, etl’influence qu’elles avaient eues sur moi. L’une d’elles quiressort le plus c<strong>la</strong>irement en mon esprit est Dwight Blough,un jeune ami d’Iowa, qui plus tard se joignit à nous, et <strong>de</strong>vintle confi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> mon père.Dwight était une personne <strong>de</strong> convictions sincères. Il travail<strong>la</strong>itassidûment, il jouait sérieusement, il luttait dur ;homme simple dans ses actions et ses paroles. Ce qu’ilfaisait, il le faisait <strong>de</strong> tout son cœur, et s’il avait quelquechose à dire, il en venait directement au fait. Il n’avait pas<strong>de</strong> patience pour les phrases pieuses.186


L A q u ê t e d e l a p a i xNorann, <strong>la</strong> veuve <strong>de</strong> Dwight, dit qu’il était un adolescentaméricain typique, « qui vou<strong>la</strong>it tout essayer » – impatient<strong>de</strong> s’inscrire dans l’Armée <strong>de</strong> l’air, ce qu’il fit à l’âge <strong>de</strong> dixhuitans. Pendant sa première année à l’université, Dwightcommença pourtant à désirer autre chose que <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong>conduite <strong>de</strong>vant lui : le diplôme, le mariage et les enfants, unecarrière, et finalement, <strong>la</strong> retraite, en regardant les enfantssuivre les mêmes pas. Dwight sentait que sa vie se tournaitvers Dieu. Etudiant dans sa <strong>de</strong>uxième année d’étu<strong>de</strong>s, il avaitassez étudié l’Evangile pour avoir <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce que <strong>la</strong>plénitu<strong>de</strong> ne peut être réalisée qu’en se mettant au service<strong>de</strong> ses frères et sœurs. Grâce à cette certitu<strong>de</strong>, il se décida<strong>de</strong> changer <strong>de</strong> carrière.Après trois ans, Dwight et Norann furent mariés, découvrirentnotre communauté, vinrent nous rendre visite, et <strong>de</strong>mandèrentà y rester. Dwight enseigna dans notre école, maisce ne fut pas longtemps avant que ses dons comme pasteurfurent reconnus, et affirmés. Non pas qu’il était un saint.Parfois son zèle était trop impulsif, et sa tendance à choisirl’honnêteté plutôt que <strong>la</strong> diplomatie pouvait faire jaillir <strong>de</strong>sétincelles. C’était <strong>de</strong> même avec sa préférence pour l’actionplutôt que <strong>la</strong> réflexion.Je n’oublierai jamais le jour terrible où un <strong>de</strong> nos bâtimentsprincipaux fut incendié, l’hiver <strong>de</strong> 1957, et comment Dwightprit une échelle à toute vitesse et apparut à <strong>la</strong> fenêtre dutroisième étage. <strong>La</strong> fumée et les f<strong>la</strong>mmes l’ont arrêté avantqu’il puisse mettre <strong>la</strong> main sur les choses qu’il vou<strong>la</strong>it sauver,mais il avait vraiment essayé. Nous tous, nous étions restés àterre, et nous lui avons crié <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre avant qu’il ne soittrop tard. Il en était <strong>de</strong> même s’il y avait un acci<strong>de</strong>nt, ou si187


L A q u ê t e d e l a p a i xquelqu’un était sérieusement ma<strong>la</strong><strong>de</strong>. Dwight était généralement<strong>la</strong> première personne sur p<strong>la</strong>ce.Au début <strong>de</strong>s années 1970 le Bru<strong>de</strong>rhof acheta un avionpour faciliter <strong>de</strong>s dép<strong>la</strong>cements entre nos communautés, etl’enthousiasme <strong>de</strong> Dwight s’étendit à l’aviation, aussi.Le 30 décembre, 1974 Dwight mourut dans un acci<strong>de</strong>nt,lorsqu’un avion dont il était le copilote s’écrasa sur unecolline, dans le brouil<strong>la</strong>rd. Norann resta seule avec douzeenfants, dont le plus jeune n’avait que sept semaines. Parmises papiers elle trouva <strong>de</strong>s notes pour le prochain sermon <strong>de</strong>Dwight, sur le thème d’être prêt, d’être convaincu.<strong>La</strong> mort <strong>de</strong> Dwight fut un grand choc pour nous tous. Il estmort subitement, à l’âge <strong>de</strong> quarante ans. Et, qu’en était-il<strong>de</strong> nous autres, étions-nous prêts à mourir ?Quand j’y pense maintenant, <strong>de</strong>s décennies plus tard, ce<strong>la</strong>me semble tout aussi immédiat qu’alors. Qu’est-ce, en effet,que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu, si ce n’est pas d’être prêt à Le rencontrer? Si <strong>la</strong> <strong>paix</strong> provient <strong>de</strong> <strong>la</strong> décision d’être prêt, ce<strong>la</strong> inclutsûrement tout aspect <strong>de</strong> notre vie : d’être prêt à pardonnerl’impardonnable ; <strong>de</strong> se souvenir, là, où on aimerait mieuxoublier ; d’oublier, là, ou on aimerait mieux se rappeler ;d’être prêt à aimer ce que nous avons auparavant détesté ;d’aller où nous aimerions mieux ne pas aller, et d’attendresi on nous a oublié ; <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>vant nous, plutôt qu’enarrière ; <strong>de</strong> tirer un trait sur le passé, et <strong>de</strong> se tourner vers<strong>la</strong> lumière. Ce<strong>la</strong> veut dire être prêt à tout abandonner, et àdonner sa vie pour son frère.Quant à Dwight, <strong>la</strong> réponse est c<strong>la</strong>ire. Sa vie avait étébien remplie. Il avait vécu abondamment. Et, d’une manièreprophétique, il avait écrit qu’il était prêt à aller à Dieu, non188


L A q u ê t e d e l a p a i xseulement dans ses <strong>de</strong>rnières notes, mais aussi dans unelettre pastorale, <strong>de</strong>ux mois avant :Les paroles <strong>de</strong> Jésus, « Ceux qui m’aiment obéissent àmes comman<strong>de</strong>ments », sont tellement importantes, ence moment, où le mon<strong>de</strong> s’empresse dans l’immoralité,le mammonisme, et le péché... Je ressens un tel appelà suivre Jésus par une obéissance plus radicale. Nousdisons souvent que le mon<strong>de</strong> ne saura que nous appartenonsà Jésus que si nous sommes parfaitement unis,et que nous nous aimions les uns les autres. S’il en estainsi, alors notre amour envers Jésus Christ et enversnos frères et sœurs, et envers tout le mon<strong>de</strong>, doit <strong>de</strong>venirbeaucoup plus fort !Et moi, je dois aussi me repentir encore profondémentpour avoir résisté, pour avoir manqué <strong>de</strong> ferveuret d’enthousiasme, d’avoir eu un esprit d’étroitesse etd’égocentrisme...Tout égoïsme, entêtement et orgueil doivent êtreabandonnés et surmontés, afin que nous puissions vivreuniquement pour Jésus, sa cause, sa mission, son avenir,et son royaume sur terre.Jésus nous dit : « Voici mon comman<strong>de</strong>ment: aimezvousles uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y apas <strong>de</strong> plus grand amour que <strong>de</strong> donner votre vie pourvos amis. Vous êtes mes amis si vous faites ce que jevous comman<strong>de</strong> » (Jean 15.12-14). Les premiers chrétiensavaient cet amour les uns pour les autres et envers JésusChrist. Et nous ?Finalement, Dwight a cité les paroles suivantes <strong>de</strong> mongrand-père – un <strong>de</strong> ses passages favoris :Etre prêt est tout ! Ainsi, l’attente <strong>de</strong> <strong>la</strong> venue <strong>de</strong> Dieudoit être une attente active, afin que nous étendions nos189


L A q u ê t e d e l a p a i xmains vers lui, prêts à être crucifiés avec lui ; que nousnous mettions à genoux, rendus humbles par lui ; et quenous abandonnions notre propre pouvoir, afin que lui,seul, aie du pouvoir sur nous. Soyons prêts !190


•Le réalismeAyez <strong>la</strong> patience et le courage <strong>de</strong> recommencer chaque jour,et ayez confiance en l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieu ; sa compassion se renouvellechaque matin. Alors vous comprendrez qu’il s’agitdans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir et <strong>de</strong> développer, et que vous <strong>de</strong>vezanticiper <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s choses. Et bien que vous luttiezcontre <strong>de</strong>s puissances malveil<strong>la</strong>ntes, vous serez victorieux,car Jésus Christ a toujours vaincu le mal. Vous restereztoujours au commencement <strong>de</strong> votre poursuite, car vouschangerez constamment ; cependant, dans <strong>la</strong> foi, vous trouverez<strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> votre désir ar<strong>de</strong>nt.Eberhard ArnoldSans le pardon et <strong>la</strong> possibilité d’un nouveau commencementchaque jour, nous pourrions être tentésd’abandonner <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, <strong>la</strong> considérant commeun exercice futile. <strong>La</strong> conversion peut nous renouveler ; <strong>la</strong>prière, l’humilité, le repentir, et tout le reste peut nous gar<strong>de</strong>rsur <strong>la</strong> bonne voie. Cependant, en fin <strong>de</strong> compte, notre désir<strong>de</strong> trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> doit être tempéré par <strong>la</strong> reconnaissanceque l’humanité ne peut jamais se perfectionner. A moins <strong>de</strong>nous réconcilier avec cette réalité, et <strong>de</strong> nous tourner vers


L A q u ê t e d e l a p a i xJésus Christ, le Seul qui soit sans péché, nous resteronsfrustrés à jamais.Art Wiser, membre <strong>de</strong> notre Eglise-communauté, m’a récemmentécrit :Ai-je trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ? Je ne suis pas en <strong>paix</strong>. Quand j’aitort, et que quelqu’un me le montre, j’en suis bouleversé,et ce<strong>la</strong> me coûte ; je dors mal ; j’en suis a<strong>la</strong>rmé. PourtantJésus a dit : « ...c’est ma <strong>paix</strong> que je vous donne. » Et malgréma culpabilité, et mon obstination, je veux le suivre,et, ainsi j’accepte sa parole avec joie. Le même soir queJésus a dit ceci, Il a été « profondément troublé » ; plustard Il a souffert l’agonie dans le jardin <strong>de</strong> Gethsémani.S’Il a souffert ainsi pour nous, qui suis-je pour le mettreen question ? Je l’accepte et l’affirme ; je le désire ar<strong>de</strong>mmentet je prie Dieu afin <strong>de</strong> le recevoir. Sa <strong>paix</strong> est unepart du combat sans fin pour son royaume.<strong>La</strong> tension, dont parle Art, fait partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Nous avonstous <strong>de</strong>s journées bonnes et mauvaises, selon notre humeur,et c’est stupi<strong>de</strong> d’espérer que nous serons victorieux unefois pour toutes. Pourtant, comme Marlene, autre membre<strong>de</strong> notre église, remarque dans <strong>la</strong> lettre suivante, savoir quec’est Dieu qui contrôle nous donne une sécurité qui ne nousquitte pas. Tel un gouvernail, Il nous montre <strong>la</strong> voie lorsqueles inquiétu<strong>de</strong>s menacent notre stabilité.Si je <strong>de</strong>viens effrénée et me préoccupe exagérément <strong>de</strong>quoi que ce soit, même si c’est quelque chose d’importantqui vise le royaume, je perds mon calme intérieur. Auxmoments où je suis centrée sur moi-même et les chosesne tournent pas comme je veux, ou je <strong>de</strong>viens frustréelorsque mes p<strong>la</strong>ns et mes idées préconçues sont ébranlés192


L A q u ê t e d e l a p a i x– malgré <strong>la</strong> prière – je perds <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans mon cœur. <strong>La</strong><strong>paix</strong> du cœur a sa source en <strong>la</strong> confiance parfaite en Dieu.Chaque fois que nous voulons faire le travail <strong>de</strong> Dieu,c’est un signe que nous avons perdu notre confiance enlui, et que nous avons oublié que c’est lui qui contrôle lesévènements. Peu importe que ce soit quelque chose quitouche à notre vie personnelle ou à notre vie <strong>de</strong> famille,une nouvelle que nous venons <strong>de</strong> recevoir ou quelquechose qui concerne notre travail. Si nous essayons, nousmêmes<strong>de</strong> résoudre tout ce<strong>la</strong>, nous <strong>de</strong>viendrons agités,découragés, anxieux. Nous perdrons notre <strong>paix</strong> en Dieu.<strong>La</strong> lutte que Marlene décrit est connue <strong>de</strong> toute personnequi s’engage à essayer <strong>de</strong> changer le mon<strong>de</strong>, d’une façon oud’une autre, en travail<strong>la</strong>nt pour <strong>la</strong> justice <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ou quelqueidéal qui soit. En un sens, c’est une lutte qui ne porte aucunfruit. L’écrivain suisse Friedrich Durrenmatt a indiqué quenous ne pouvons pas, en tant que simples êtres humains,sauver le mon<strong>de</strong> : « ce serait une tentative aussi désespéréeque celle du pauvre Sisyphe. » En tous cas, continue-t-il, cettetâche n’a été confiée ni à nous, ni aux pouvoirs du mon<strong>de</strong>,ni à un peuple, « ni même au diable, qui est plus puissantque tous les autres. <strong>La</strong> tâche rési<strong>de</strong> dans les mains <strong>de</strong> Dieu,dont seule <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>meure ». D’où le conseil suivant :Face à <strong>la</strong> tension <strong>de</strong>s tâches qui dépassent notre force,nous avons à nous tourner vers <strong>la</strong> source <strong>de</strong> nos forces. Sinous mesurons notre force humaine contre le travail quenous voyons <strong>de</strong>vant nous, nous serons désespérés, et sinous nous mettons à l’œuvre en nous emparant <strong>de</strong> cetteforce humaine, nous serons frustrés...et soit nous sombreronsdans une torpeur, soit nous <strong>de</strong>viendrons exaspérés.Il n’y a pas <strong>de</strong> leçon plus saine que <strong>de</strong> reconnaître193


L A q u ê t e d e l a p a i xnos propres limites, à condition que nous abdiquionsen même temps notre propre force afin <strong>de</strong> nous fier aupouvoir <strong>de</strong> Dieu. <strong>La</strong> roue <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie volera en éc<strong>la</strong>ts, àmoins que les rayons ne soient reliés au Centre ; noussommes en danger à chaque fois que nous n’en prenonspas conscience, quand nous nous précipitons en avantsans prendre le temps <strong>de</strong> réfléchir.Philip BrittsAu temps tumultueux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réformation, même les Anabaptistes– les voix les plus imp<strong>la</strong>cables <strong>de</strong> l’époque à réc<strong>la</strong>mer<strong>de</strong>s changements – en furent conscients. Ces gens intrépi<strong>de</strong>sessayèrent <strong>de</strong> changer le mon<strong>de</strong> entier, en ôtant le masquehypocrite <strong>de</strong> l’Eglise établie, en défiant l’autorité <strong>de</strong> l’Etat,et en renversant les conventions sociales les plus sacrées.Pourtant, malgré leur zèle, leur foi était tout à fait réaliste.Ils ne souffraient pas d’illusion qu’un printemps doux al<strong>la</strong>itba<strong>la</strong>yer le mon<strong>de</strong> ; ils savaient trop bien ce que leur foi leurcoûterait. En même temps, malgré cette certitu<strong>de</strong>, ils étaientpersuadés qu’un jour Dieu serait victorieux. Et ainsi, quandvint <strong>la</strong> persécution, avec chevalet et pieu, cachot et épée, ilsluttèrent sans relâche.Pour nous, qui vivons dans un temps où nos efforts pour <strong>la</strong><strong>paix</strong> ne nous coûtent guère, les Anabaptistes ont beaucoupà nous enseigner. Comme eux, il nous faut enfin réaliser quece n’est pas le succès <strong>de</strong> nos efforts qui est important, mais<strong>de</strong> nous acquitter <strong>de</strong> notre tâche dans une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> foi.Quelques années avant sa mort, mon père a dit à ce propos :Il y a une telle misère dans le mon<strong>de</strong>, plus gran<strong>de</strong> quenous ne puissions comprendre : misère économique et sociale,mais en vérité, c’est une misère intérieure, profon<strong>de</strong>,194


L A q u ê t e d e l a p a i xdéployée dans <strong>la</strong> vie humaine par les puissances sombres<strong>de</strong> l’injustice, le meurtre et l’infidélité. Nous avionsl’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> croire qu’au travers <strong>de</strong> moyens sociaux etpolitiques <strong>de</strong>s changements radicaux pourraient être réalisésau sein <strong>de</strong> notre société – changements qui mettraientfin à cette misère. Cependant, comme nous l’avons vu plusd’une fois, l’Etat se sert d’un tissu d’habiles mensonges ; ledol<strong>la</strong>r triomphe, et l’égoïsme et l’infidélité règnent partout.Nous savons bien que, seuls, nous ne pouvons paschanger le mon<strong>de</strong>. Mais Jésus Christ le fera, et nousvoulons nous donner à Lui. Il exige toute notre personne,et toute notre vie. Il est venu pour sauver le mon<strong>de</strong>, etnous avons <strong>la</strong> foi qu’Il règnera un jour sur <strong>la</strong> terre. Nousvivons pour lui, et nous sommes prêts à mourir pour lui.C’est tout ce qui est exigé <strong>de</strong> nous. Jésus n’attend pas <strong>de</strong>nous <strong>la</strong> perfection, mais Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que nous le servionssincèrement.Servir le Christ ainsi ne veut pas dire se mettre en <strong>la</strong>mbeaux.Si nous contemplons le mon<strong>de</strong> du point <strong>de</strong> vue idéaliste, <strong>la</strong><strong>paix</strong> que nous recherchons sera toujours parfaite et intacte– mais éloignée. Si nous sommes réalistes, nous accepteronsplus volontiers que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dont nous jouissons sur terre ases limites, et nous serons plus objectifs en discernant nospriorités.Prenons <strong>la</strong> prière, par exemple. L’idée que nous sommesplus efficaces, si nous « faisons » quelque chose, si noussommes « actifs » est notre angle mort. Mais, en vérité, lesfruits <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière, du silence, <strong>de</strong> <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion, ou <strong>de</strong><strong>la</strong> méditation, bien que non tangibles, sont tout aussi significatifsque les fruits <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte <strong>la</strong> plus « active ». Dansson livre Blessed are the Meek (bénis soient les humbles),195


L A q u ê t e d e l a p a i xl’évêque sud-africain, Desmond Tutu, nous rappelle que sinous luttons pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, n’oublions jamais que les prièressilencieuses « <strong>de</strong>s nonnes, <strong>de</strong>s contemp<strong>la</strong>tifs, <strong>de</strong>s vieil<strong>la</strong>rds,<strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, dans les hôpitaux » sont « une partie essentielle<strong>de</strong> notre lutte », et sont tout aussi importante que l’action <strong>la</strong>plus visible <strong>de</strong>s jeunes et <strong>de</strong>s personnes aux constitutionsrobustes en première ligne <strong>de</strong> <strong>la</strong> bataille.Benedict Groeschel, un ami intime, mène une vie active<strong>de</strong> prière et d’action – dans le service <strong>de</strong>s pauvres et <strong>de</strong>ssans-logis dans le Bronx, protestant contre l’avortementet conduisant une maisonnée <strong>de</strong> frères franciscains. Prêtreérudit, Père Benedict prêta son serment <strong>de</strong> fidélité à l’âge <strong>de</strong>dix-sept ans. Près <strong>de</strong> quatre-vingt ans maintenant, sa perspective<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie reste terre à terre et c’est bon à voir. Or, bienqu’il travaille sans relâche, il ne semble jamais s’épuiser. Ilest réaliste vis-à-vis ses objectifs et à l’aise avec ses limites.Récemment, il me dit :Je pense que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> provient <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi, l’espérance et <strong>la</strong>charité. Mais ce n’est pas simplement un sentiment. <strong>La</strong><strong>paix</strong> nous ai<strong>de</strong> à continuer notre débat dans <strong>la</strong> vie. Pensezun peu, je viens <strong>de</strong> Jersey City, et <strong>la</strong> lumière au bout dutunnel dans cette cité est <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Hoboken. Nous nesommes pas optimistes. Nous ne sommes pas <strong>de</strong>s gensqui passons leur vie en pensant que tout est merveilleux.Nous savons bien que c’est une vallée <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes. Ainsi,nous n’attendons pas grand-chose <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>. Donc,ce qui trouble les autres ne nous trouble pas tellement.Je trouve toujours une vraie conso<strong>la</strong>tion dans le Livre<strong>de</strong> Job. J’aime ces beaux versets : « Où étais-tu quand j’aifondé <strong>la</strong> terre ? ... Peux-tu serrer les liens <strong>de</strong>s Pléia<strong>de</strong>sou détacher les cordages d’Orion ? ... Conduis-tu <strong>la</strong>196


L A q u ê t e d e l a p a i xGran<strong>de</strong> Ourse avec ses petits?... Connais-tu les règlesdu ciel ? Peux-tu instaurer l’autorité <strong>de</strong> Dieu sur <strong>la</strong> terre ?... Je t’interrogerai et tu me renseigneras » (Job 38).Il y a un certain humour dans ce Livre. Tu sais, commenttout va mal ? Absolument tout ? C’est ainsi :« Comment vas-tu ?–C’est le pire jour <strong>de</strong> ma vie.–Qu’est-ce qui se passe ?–Tout va mal. Mais alors, absolument tout ! Il n’y arien qui n’aille pas mal. »C’est <strong>de</strong> même avec Saint-Paul : « C’est à cause <strong>de</strong> toiqu’on nous met à mort à longueur <strong>de</strong> journée » (Romains8.36). C’est tellement juif. S’il avait été britannique, il auraitdit : « Ce<strong>la</strong> n’a pas été agréable, plutôt désagréable,assez difficile, vous savez. »J’ai <strong>de</strong>s amis juifs. Ils me disent : « Tu viens ici tous lesjours et tu ne me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s jamais, comment ça va ! »–Pardon, comment vas-tu ?–N’en parle pas ! »Benedict a été emprisonné plus d’une fois, à cause <strong>de</strong> son actionpour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, et quand je vou<strong>la</strong>is en savoir plus, il a dit :Eh bien, <strong>la</strong> première fois, ce fut agréable, car ce n’était quependant une partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> journée. J’ai récité mes prières,médité, dormi quelques minutes. <strong>La</strong> prochaine fois que j’aiété emprisonné, c’était très désagréable. J’avais toujoursété gentil avec les agents correctionnels ; quand quelqu’unles maltraite, je dis : « Ne faites pas ce<strong>la</strong>. Ces hommesveulent seulement gagner leur vie. »Mais j’ai vu alors comment ils traitaient les prisonniers.Pour une raison quelconque, un homme qui estd’habitu<strong>de</strong> honnête, traite <strong>de</strong>s prisonniers comme <strong>de</strong>sanimaux dès qu’il <strong>de</strong>vient gardien <strong>de</strong> prison...197


L A q u ê t e d e l a p a i xC’était vraiment horrible. J’ai été fouillé à nu trois fois envingt-quatre heures. Les seules personnes aimables étaientles mé<strong>de</strong>cins et les prisonniers. Ceux-ci ne savaient pasque j’étais prêtre, mais ils m’appe<strong>la</strong>ient « Père » et étaienttrès polis. Quand j’en suis sorti, ils m’ont rendu ma soutane,et je me suis retrouvé dans une gran<strong>de</strong> pièce avecles prisonniers auxquels on rendait <strong>la</strong> liberté. Tu n’auraisjamais pu croire leur <strong>la</strong>ngage, mais ils ne vou<strong>la</strong>ient pasmanquer <strong>de</strong> respect. Ils ne savaient pas mieux.Quand ils me virent avec ma soutane, ils dirent :« Qu’est-ce-que vous faites ici, mon Père ? » Je leur aidit que j’étais là pour avoir fait part d’un piquet <strong>de</strong> grèvecontre l’avortement, et ils furent scandalisés. Mais unvieux monsieur, un vieil homme noir, s’est levé, et a ditaux autres prisonniers : « Non, c’est juste. Il <strong>de</strong>vrait êtreemprisonné !–Tais-toi ! Assieds-toi !–Mais c’est juste !–Pourquoi ?–Parce que Jésus a dit dans l’Evangile, ‘Heureux ceuxqui sont persécutés pour <strong>la</strong> justice, car le royaume <strong>de</strong>scieux leur appartient !’ »Eh bien, voilà qui était comme une gifle en plein visage,avec l’effet <strong>de</strong> m’arrêter à avoir pitié <strong>de</strong> moi-même.Car c’étaient les paroles <strong>de</strong> Dieu... prononcées par unprisonnier !Père Bénédict continua à parler <strong>de</strong> <strong>la</strong> Crucifixion du Christ,et <strong>de</strong> sa signification surtout pour ceux qui veulent <strong>la</strong> <strong>paix</strong>,mais qui ne veulent pas œuvrer à cette fin. Les gens ne sontpas réalistes, dit-il ; ils veulent être payés sans travailler,avoir <strong>la</strong> victoire sans se battre. Il continua, en paraphrasantle cardinal Newman :198


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>La</strong> Crucifixion <strong>de</strong> Jésus attache une valeur significative àtout ce qui existe dans le mon<strong>de</strong> : au bien, au mal, auxrichesses, à <strong>la</strong> pauvreté, à <strong>la</strong> souffrance, à <strong>la</strong> joie, à <strong>la</strong>tristesse, et à <strong>la</strong> douleur. Tous se rassemblent <strong>de</strong>vant <strong>la</strong>Croix. Evi<strong>de</strong>mment, <strong>la</strong> crucifixion est suivie <strong>de</strong> <strong>la</strong> résurrection.Mais, si on parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> sans <strong>la</strong> première– ça ne marche pas.Il y a beaucoup <strong>de</strong> gens qui aimeraient éviter <strong>la</strong> crucifixionet aller directement à <strong>la</strong> résurrection, mais ce n’estpas possible... ils vont tous rebrousser chemin.199


•Le serviceVoici <strong>la</strong> seule joie véritable <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie : tout d’abord, <strong>de</strong> nousépuiser pour une cause excellente, qui mérite, en notre estimation,toute notre force ; puis, d’être une force <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature,au lieu d’une motte <strong>de</strong> terre fébrile et égoïste, qui est pleine<strong>de</strong> griefs en se p<strong>la</strong>ignant que le mon<strong>de</strong> ne se consacre pasà nous rendre heureux.Je suis <strong>de</strong> l’avis que ma vie appartient aux autres, etmon privilège est <strong>de</strong> faire tout ce que je peux pour eux,aussi longtemps que dure ma vie. Je veux être complètementusé quand je mourrai, car le plus dur je travaille,plus je vis...Pour moi, <strong>la</strong> vie n’est pas une simple bougie <strong>de</strong> courtedurée. C’est plutôt un f<strong>la</strong>mbeau splendi<strong>de</strong> que j’ai en mainpour un moment, et je veux qu’il brille d’un éc<strong>la</strong>t aussi vifque possible, avant <strong>de</strong> le passer aux générations futures.George Bernard ShawL’origine <strong>la</strong> plus commune <strong>de</strong> notre manque <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, c’estprobablement l’égoïsme, soit en nous-mêmes, soit dansnotre rapport avec les autres, ou avec le mon<strong>de</strong> en général.C’est peut-être aussi <strong>la</strong> plus difficile à déraciner. Desproblèmes comme l’arrogance, <strong>la</strong> méfiance, <strong>la</strong> colère, ou le


L A q u ê t e d e l a p a i xressentiment, peuvent être abordés assez simplement ; onpeut généralement prendre <strong>de</strong>s mesures spécifiques pourtrouver leur cause et les surmonter. Mais l’égoïsme est souventtout simplement présent, anonyme et inaperçu, pourtanttellement puissant et fermement enraciné en nous qu’il façonnel’ensemble <strong>de</strong> notre perspective.Parfois l’égoïsme prend <strong>la</strong> forme d’un péché évi<strong>de</strong>nt,comme le désir ou <strong>la</strong> gourmandise. Quelquefois, commedans le cas d’une recherche égocentrique d’épanouissementpersonnel ou <strong>de</strong> sainteté, il prend une forme si inoffensiveque nous sommes inconscients <strong>de</strong> son danger. Cependant,une fois que l’égoïsme a été reconnu comme tel, il existeun antidote simple et universel contre lui : c’est <strong>de</strong> rendreservice aux autres.Rendre service, selon les paroles <strong>de</strong> Thérèse d’Avi<strong>la</strong> auseizième siècle, c’est l’action d’agir comme Dieu, les unspour les autres : « Dieu n’a ni mains, ni pieds, ni voix exceptéles nôtres ; et c’est avec ceux-là qu’Il agit. » Grandissantdans une gran<strong>de</strong> famille, dans une ferme où tous <strong>de</strong>vaienttravailler dur, je n’ai jamais entendu parler ainsi du service,mais en y repensant, je suis sûre que mes parents en ont eule même respect.Certainement, on nous a enseigné l’importance <strong>de</strong> servir.Depuis mon enfance, je me souviens <strong>de</strong> l’accent que monpère mettait sur le fait que Jésus, le « serviteur souffrant »,s’i<strong>de</strong>ntifiait avec les pauvres et les opprimés ; qu’Il avaitchoisi un âne (non pas un cheval) pour faire son entrée triomphaleà Jérusalem ; qu’Il accueil<strong>la</strong>it les enfants, rendaitvisite aux gens cloués au lit, guérissait les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, et par<strong>la</strong>itavec les simples pécheurs ; et enfin, qu’Il s’abaissait jusqu’à201


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>la</strong>ver les pieds <strong>de</strong> ses disciples. Cependant, le service n’étaitpas prêché comme une vertu. Il était simplement pratiqué.Lorsque le seul emploie que mon père a pu trouver fut <strong>de</strong>travailler comme jardinier dans une colonie <strong>de</strong> lépreux, ce<strong>la</strong>ne l’a pas embarrassé. Ce<strong>la</strong> aurait pu signifier attraper <strong>la</strong>ma<strong>la</strong>die et <strong>de</strong>voir rester là à jamais, mais il ne nous a jamaisdit ce<strong>la</strong>. Il a seulement dit que c’était honorable <strong>de</strong> se mettreau service du plus humble, et <strong>de</strong> le faire avec joie.Quant à ma mère, elle s’empressait toujours d’apporterun bouquet <strong>de</strong> fleurs ou un pot <strong>de</strong> confiture à une voisineâgée ou à une nouvelle maman, souvent sautant un repasafin <strong>de</strong> rester auprès d’une ma<strong>la</strong><strong>de</strong>. Elle se levait <strong>de</strong> bonneheure pour écrire à une personne toute seule ou pour finir<strong>de</strong> tricoter un ca<strong>de</strong>au.Plus tard, je fus impressionné du service rendu dans Lemouvement ouvrier catholique, où les bénévoles préparaient<strong>de</strong>s sandwichs et <strong>de</strong> <strong>la</strong> soupe, ba<strong>la</strong>yaient le p<strong>la</strong>ncher et passaient<strong>de</strong> longues heures à écouter les problèmes <strong>de</strong>s pauvreset <strong>de</strong>s sans-logis, qui n’étaient pas toujours bien reconnaissants.Ruth <strong>La</strong>nd, membre du Bru<strong>de</strong>rhof et mé<strong>de</strong>cin en retraite,nous dit que c’est en effet ce service mo<strong>de</strong>ste qui lui donne<strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> satisfaction :On peut chercher <strong>la</strong> <strong>paix</strong> partout, mais on ne <strong>la</strong> trouverapeut-être pas. Ou bien, on peut s’oublier et continueravec le travail qui est <strong>de</strong>vant nous. Voilà ce qui apporte<strong>la</strong> <strong>paix</strong> – <strong>de</strong> faire ce qu’il faut, chez soi, montrant <strong>de</strong>l’amour à son époux, ou en faisant ce qui nous vient àl’esprit. Si vous le faites pour le royaume <strong>de</strong> Dieu, ce<strong>la</strong>vous donnera <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.202


L A q u ê t e d e l a p a i xUne histoire indienne, que Gandhi raconte, effleure une véritésemb<strong>la</strong>ble : les petites choses que nous faisons pour lesautres sont tout aussi importantes que nos réussites. Unefemme, en peine, vint trouver le guru, lui disant : « Maître,il me semble que je ne puis servir Dieu. » Il lui <strong>de</strong>manda :« N’y a-t-il rien que vous aimiez ? » Elle répondit : « Monpetit neveu. » Alors, il lui dit : « Voilà, votre amour pour cetenfant est votre service envers Dieu. »Parfois, le plus grand service est le moins remarqué. Dansma communauté, beaucoup <strong>de</strong> membres âgés travaillentplusieurs heures par jour dans <strong>la</strong> buan<strong>de</strong>rie à plier les vêtements,dans <strong>la</strong> bibliothèque à c<strong>la</strong>ssifier les livres, ou dansnos ateliers <strong>de</strong> bois et <strong>de</strong> métal. En tous les cas, leur serviceest inestimable, non pas seulement dans ce qui est produit.Le sens du bien-être et <strong>de</strong> <strong>paix</strong> que ceci leur donne, et <strong>la</strong>joie qui brille dans leurs yeux quand ils en parlent, enrichitnotre vie commune d’une façon merveilleuse.Joe Bush, qui a 75 ans et qui souffre <strong>de</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die Parkinson,avait été une fois jardinier très capable. Maintenant sonactivité est limitée à s’assoir à son bureau quelques heurestous les jours, où il progresse lentement sur un projet <strong>de</strong>traduction, tappant avec difficulté une touche après l’autre.D’autres pourraient être frustrés, mais pas Joe.Mon travail, c’est ma joie. Puisqu’on en parle, ce<strong>la</strong> merappelle autre chose à propos du travail. Dans une autreEglise où j’avais l’habitu<strong>de</strong> d’aller, le curé par<strong>la</strong>it toujours<strong>de</strong>s récompenses que nous allions avoir en travail<strong>la</strong>nt duret en étant fidèles – comme si chacun <strong>de</strong> nous avait unbi<strong>la</strong>n <strong>de</strong> crédit au paradis. Ce n’est pas mon idée.Plutôt, j’ai une gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>tte... Je mourrai pécheur, bienque j’aie essayé <strong>de</strong> me repentir <strong>de</strong>puis bien longtemps.203


L A q u ê t e d e l a p a i xMais ce<strong>la</strong> ne me trouble pas. Il y a beaucoup à faire, et jeveux continuer : quant au reste, je le <strong>la</strong>isse à Dieu, ayantconfiance en lui et me réjouissant au jour où son royaumeviendra sur cette terre si belle et merveilleuse qu’Il a créé.Audrey, l’épouse <strong>de</strong> Joe, a trouvé <strong>la</strong> même <strong>paix</strong> en servantles autres :Joe et moi, nous approchons <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> notre vie mortelle,mais toute l’éternité est <strong>de</strong>vant nous, et c’est une penséepassionnante. Or, si nous disons « Merci, je peux le faire »à ceux qui nous ai<strong>de</strong>nt – aussi aveugles et boiteux quenous soyons – ce n’est pas que nous soyons ingrats. C’estplutôt que <strong>la</strong> vie est plus intéressante tant que nous puissionsnous débrouiller nous-même. Une gran<strong>de</strong> bougiene s’éteint pas si elle a encore quelques centimètres ;elle continue à brûler, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’unepetite f<strong>la</strong>que <strong>de</strong> cire. Il nous reste encore beaucoup à faire.Même quand nous ne pourrons plus rien faire d’utile,nous pourrons toujours prier pour ceux qui le peuvent.Et nous pouvons nous consoler avec <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière ligne dusonnet « A propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cécité », <strong>de</strong> Milton, qu’il écrività <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> sa vie alors qu’il ne voyait plus : « Ceux quine peuvent faire autre chose qu’attendre servent aussi. »Tous les <strong>de</strong>ux, Joe et Audrey disent que leurs tâches sontutiles, parce qu’ils servent un but. Un travail n’est jamaissimplement un travail. Sans but, le travail peut perdre sonsens, et créer autant <strong>de</strong> misère et désespoir que le chômageou l’inaction imposée. D’après Victor Frankl, ceci est vrai<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie en général :J’ai remarqué à plusieurs reprises qu’une prière pour continuerà vivre, à survivre les conditions les plus difficiles,ne peut être faite que si cette survie a un sens positif,204


L A q u ê t e d e l a p a i xun sens précis et personnel – un sens qui ne peut êtreréalisé que par cette personne seule et qui lui apporte<strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans le cœur. Car nous ne <strong>de</strong>vons jamais oublierque chaque personne est unique en cet univers.Je me souviens <strong>de</strong> mon dilemme dans un camp <strong>de</strong> concentrationquand j’étais avec un homme et une femmequi étaient sur le point <strong>de</strong> se suici<strong>de</strong>r. Ils m’avaient dittous les <strong>de</strong>ux qu’ils n’attendaient plus rien <strong>de</strong> leurs vies.Je leur ai alors <strong>de</strong>mandé : Est-ce vraiment <strong>la</strong> question –qu’attendons-nous <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie ? N’est-ce pas plutôt qu’estceque <strong>la</strong> vie attend <strong>de</strong> nous ? Je suggérais que <strong>la</strong> vie attendaitsûrement quelque chose d’eux. Du fait, <strong>la</strong> femmeavait un enfant à l’étranger qui l’attendait, et l’hommeavait commencé à écrire et publier une série <strong>de</strong> livresqu’il n’avait pas encore terminés.J’avais dit qu’un homme ne <strong>de</strong>vrait pas s’attendrequelque chose <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, mais plutôt que <strong>la</strong> vie s’attendquelque chose <strong>de</strong> lui. En d’autres termes : en <strong>de</strong>rnier recours,nous ne <strong>de</strong>vons pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r « Quel est le sens<strong>de</strong> ma vie ? » C’est, par contre, nous-mêmes qui sommesinterrogés. <strong>La</strong> vie nous présente ses problèmes, et c’est ànous, les humains, <strong>de</strong> répondre à ces questions, en étantresponsables ; nous ne pouvons pas répondre à <strong>la</strong> viequ’en répondant pour notre vie.<strong>La</strong> vie est une tâche. Celui qui est religieux ne diffère<strong>de</strong> celui qui est apparemment non-religieux qu’en voyantsa vie non seulement comme une tâche, mais comme unemission. Ceci signifie qu’il est aussi conscient du Maître,qui est <strong>la</strong> source <strong>de</strong> sa mission. Depuis <strong>de</strong>s milliersd’années cette source s’appelle Dieu.Vue ainsi, <strong>la</strong> vie nous fournit un but merveilleux : <strong>de</strong> remplir<strong>de</strong> notre mieux le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> servir notre prochain, afin quenous soyons préparés à rencontrer Dieu lorsque surviendra205


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>la</strong> mort. J’ai été au chevet <strong>de</strong> maintes personnes mourantes,et c’est c<strong>la</strong>ir que quelques-unes meurent en <strong>paix</strong>, et d’autresen tourment. <strong>La</strong> différence semble être <strong>la</strong> façon dont ilsont passé leurs vies. Ont-ils donné leur vie en servant leurprochain, ou ont-ils vécu égoïstement ? A <strong>la</strong> fin, <strong>la</strong> seulechose qui compte, c’est notre rapport avec notre prochain,et avec Dieu.De vivre égoïstement, c’est d’être continuellement conscients<strong>de</strong> ce que nous <strong>de</strong>vons abandonner, même si nousfaisons quelques sacrifices ici et là. En fin <strong>de</strong> compte, nousne voyons que ce qui nous touche nous-mêmes. C’est unemanière <strong>de</strong> vivre qui ne nous donne que peu <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. Leservice aux autres nous sauve <strong>de</strong> cette situation difficile, carce<strong>la</strong> nous rappelle notre raison <strong>de</strong> vivre, et nous ai<strong>de</strong> à nousoublier nous-mêmes. Ce<strong>la</strong> nous donne aussi une nouvelleperspective – qui nous permet <strong>de</strong> voir notre vie en rapportavec le reste <strong>de</strong> l’univers.Le service véritable est toujours l’amour envers sonprochain. C’est facile d’oublier ceci, même dans une communautéreligieuse comme <strong>la</strong> nôtre, où le service est aucœur <strong>de</strong> notre engagement. Si nous permettons que le travailprenne <strong>la</strong> première p<strong>la</strong>ce, nous perdrons <strong>de</strong> vue l’amour quilui donne sa profon<strong>de</strong> raison d’être ; il peut <strong>de</strong>venir alors un<strong>de</strong>voir mécanique. Avec <strong>de</strong> l’amour, le travail le plus banalprend <strong>de</strong> l’importance. Sans amour, <strong>la</strong> tâche <strong>la</strong> plus noble<strong>de</strong>vient une corvée.Il y a quelques temps, j’ai rendu visite au Vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s Pruniers,<strong>la</strong> communauté bouddhiste <strong>de</strong> Thich Nhat Hanh enFrance. Une chose qui m’a frappé est <strong>la</strong> façon dont les rési<strong>de</strong>ntssont conscients du travail comme moyen <strong>de</strong> service.206


L A q u ê t e d e l a p a i xIl y a toujours beaucoup à faire au Vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s Pruniers,<strong>de</strong>s nouvelles maisons à construire, <strong>de</strong> <strong>la</strong> rénovation <strong>de</strong>svieux bâtiments, et plusieurs grands vergers à entretenir.Cependant, le travail pour lui-même est mal vu. Plutôt que<strong>de</strong> mettre l’accent habituel <strong>de</strong> l’Ouest sur ce qui doit être accompliau cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> journée, les gens du vil<strong>la</strong>ge s’adonnentà l’idéal <strong>de</strong> « vivre dans le présent ». Ils cherchent à considérerchaque situation, chaque action, chaque rencontreavec un autre être humain, comme une nouvelle occasion<strong>de</strong> <strong>de</strong>venir « plus vivant, plus sensible à <strong>la</strong> vie. » Karl Riedl,un rési<strong>de</strong>nt, m’a expliqué :L’art <strong>de</strong> travailler en pratiquant <strong>la</strong> pleine conscience nousai<strong>de</strong> à reconsidérer tout ce que signifie être efficace. Ce<strong>la</strong>nous ai<strong>de</strong> à mettre en question notre obsession <strong>de</strong>s objectifsà atteindre, et l’idée que tout doit être accompliexactement d’une certaine manière. Ce<strong>la</strong> nous permet<strong>de</strong> dévoiler l’image que nous avons <strong>de</strong> nous-mêmes,l’idée que nous pouvons faire telles choses bien, maispas d’autres, et <strong>de</strong> découvrir et retrouver <strong>la</strong> joie qui doitinspirer tout ce que nous faisons – qu’il s’agit <strong>de</strong> travaillerdans <strong>la</strong> serre, ou <strong>de</strong> fendre le bois, ou <strong>de</strong> nettoyer lestoilettes, ou d’écrire, ou d’étendre le linge. Trop souvent,nous ne sommes pas assez attentifs, et nous <strong>la</strong>issons nospetites affaires détruire l’harmonie et le bonheur.Un verset du livre <strong>de</strong> chant <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté met en lumièrecette attitu<strong>de</strong>, et nous montre ses priorités, du moins en cequi concerne le service.Je m’engage à donner <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie à une personne le matinEt <strong>de</strong> consoler une autre personne l’après-midi.Je m’engage à vivre avec simplicité et bon sens,207


L A q u ê t e d e l a p a i xSatisfait avec peu <strong>de</strong> biens.Je m’engage à gar<strong>de</strong>r mon corps en bonne santé.Je m’engage à <strong>la</strong>isser tomber tout souci et inquiétu<strong>de</strong>Afin d’être léger et libre.Les sceptiques pourraient dénigrer cette conception du travailcomme ambitieuse ou exagérée. Mais ils feraient bien<strong>de</strong> se rappeler – et nous aussi – que par-<strong>de</strong>ssus tout c’estle service qui donne une expression concrète à l’Evangile.Servir, voilà l’essence <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> Jésus – Jésus, quinous promet que si nous suivons ses pas, Il nous donnera <strong>la</strong><strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut comprendre.Le Christ ne sauve pas tous ceux qui lui disent : « Seigneur,Seigneur. » Mais Il sauve tous ceux qui, d’un cœurpur, donnent un morceau <strong>de</strong> pain à un homme affamé,sans penser le moindrement à Lui. Et ceux-ci, quand Illes remercie, répon<strong>de</strong>nt : Seigneur, quand t’avons-nousdonné à manger ? ... Un athée et un « infidèle » capables<strong>de</strong> pure compassion sont aussi près <strong>de</strong> Dieu qu’un Chrétienet, par conséquent, Le connaissent donc aussi bien,quoiqu’ils l’expriment d’une façon différente, ou n’enparlent même pas. Car « Dieu est amour ».Simone Weil208


V<strong>La</strong> vie abondante« Nous contemplons <strong>la</strong> vie etnous ne pouvons pasDémêler le chant éternel :Les anneaux et les nœuds <strong>de</strong>joie et <strong>de</strong> douleur,Tous enclenchés et en<strong>la</strong>cés. »Le Ramayana


•<strong>La</strong> vie abondanteNous ne parviendrons jamais à un état <strong>de</strong> <strong>paix</strong> parfait,ni y arriver une fois pour toutes. Nous pouvons suivreles dalles qui traversent <strong>la</strong> rivière aussi pru<strong>de</strong>mment et aussiconsciencieusement que possible, mais une fois <strong>de</strong> l’autrecôté nous sommes toujours les mêmes.Tout <strong>de</strong> même, nous ne pouvons pas nier que, une fois quenous avons fait l’expérience <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, nous avons le cœurouvert à une toute autre dimension <strong>de</strong> vie. Dans un sens,cette nouvelle dimension est bien plus qu’une question <strong>de</strong><strong>paix</strong>. C’est <strong>la</strong> nouvelle existence que Dieu nous a promiseen disant : « je suis venu afin que les brebis aient <strong>la</strong> vie etqu’elles l’aient en abondance » (Jean 10.10).Plusieurs <strong>de</strong>s personnes qui ont contribué à ce livre m’ontdit que c’est ce verset plus que tout autre qui les a incités àse mettre en chemin. <strong>La</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> en soi, ont-ilsdit, était un exercice trop égoïste : « Maintenant j’ai trouvé<strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Et après ? »Pour ce qui est <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie « abondante », ils ont dit quec’était <strong>la</strong> meilleure <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> ce qu’ils recherchaient, etpas seulement pour eux-mêmes – une vie <strong>de</strong> liberté et <strong>de</strong>joie, d’engagement, compassion, justice et unité. Ce n’est


L A q u ê t e d e l a p a i xpas une vie sans <strong>la</strong>rmes et souffrance, mais une vie dans<strong>la</strong>quelle ils trouvent leur p<strong>la</strong>ce face à l’arrière-p<strong>la</strong>n énormedu royaume <strong>de</strong> Dieu où une <strong>paix</strong> parfaite règnera.Josef Ben-Eliezer, 1 Européen d’origine juive, est venu ànotre communauté voilà bien <strong>de</strong>s années à <strong>la</strong> recherched’une telle vie, bien qu’athée à ce temps, il ne l’aurait pasdécrite ainsi :Ce qui m’a motivé dans ma recherche, c’était <strong>la</strong> haine etl’effusion <strong>de</strong> sang que j’ai vu dans mon enfance et majeunesse, surtout pendant <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième guerre mondiale,lorsque ma famille a fui l’Allemagne pour se rendre en Pologne,puis en Sibérie et finalement en Israël. J’ai ressentique <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ne pouvait être trouvée que dans le contexted’une réponse au besoin universel <strong>de</strong> fraternité, et c’estce qui m’a conduit à <strong>la</strong> rechercher.J’avais participé au mouvement <strong>de</strong> libération en Israël,et à tous les conflits que ceci nécessitait, mais je m’enétais détourné après avoir vu, qu’en ayant plus <strong>de</strong> pouvoir,ce mouvement <strong>de</strong>vint oppressif. Alors, j’ai recherchéune réponse dans <strong>la</strong> révolution mondiale. J’ai étudié Marx,Lénine, et Trotski, et plus tard à Paris, j’ai participé aumouvement communiste. Mais une question continuaità me troubler : qu’est-ce qui garantit, si <strong>la</strong> révolution estvictorieuse, que ceux qui sont à <strong>la</strong> tête ne finiront paspar opprimer eux-mêmes les masses, comme ce qui s’estpassé en Russie et autre part ?En venant au Bru<strong>de</strong>rhof, et en étudiant les PremiersChrétiens, qui avaient inspiré <strong>la</strong> vie en communauté,j’étais frappé par quelque chose <strong>de</strong> nouveau. J’ai comprisque l’Eglise primitive avait été un mouvement vraimentrévolutionnaire, qui proc<strong>la</strong>mait un nouvel ordre, et une1Pour le récit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> Josef Ben-Eliezer, voir Ma quête, <strong>Plough</strong> 2010.211


L A q u ê t e d e l a p a i xnouvelle vie. Et bien que Jésus soit au centre <strong>de</strong> leur vie,ce n’était pas le Jésus du christianisme c<strong>la</strong>ssique, mais leFils <strong>de</strong> Dieu authentique, ayant le pouvoir <strong>de</strong> surmonterles divisions entre les personnes et entre les nations...J’ai trouvé une unité <strong>de</strong> cœur, que j’avais longtempscherché. Je crois que chacun désire cette unité. Naturellement,il doit y avoir d’abord un changement <strong>de</strong> cœur.Voilà pourquoi Jésus nous dit <strong>de</strong> nous repentir, <strong>de</strong> mettrenotre vie sens <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous. Je suis passé par là, et jel’éprouve encore. Mais Jésus ne nous a pas enseigné <strong>de</strong>rechercher <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du cœur pour nous-mêmes. Il a dit :« Cherchez d’abord le royaume <strong>de</strong> Dieu. »Dans son livre Inner <strong>La</strong>nd (Le pays intérieur) mon grand-pèreparle <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon ; il dit que,bien que beaucoup <strong>de</strong> gens pensent qu’ils trouveront <strong>la</strong> <strong>paix</strong>en recherchant leur propre bonheur, c’est faux. Il écrit que<strong>la</strong> <strong>paix</strong> n’est pas <strong>la</strong> même chose que <strong>la</strong> satisfaction émotionnelle; elle est aussi plus que le bonheur individuel. « Ce futquelque chose d’un caractère tout à fait différent qui m’incitaà suivre <strong>la</strong> voie du disciple ; à savoir, l’appel qui révèle <strong>la</strong>volonté <strong>de</strong> Dieu en suivant le Christ, l’appel qui provient <strong>de</strong>son règne futur et qui met <strong>la</strong> justice et l’honneur au-<strong>de</strong>ssusdu confort personnel... »<strong>La</strong> véritable <strong>paix</strong>, continue-t-il, signifie donc plus qu’unesatisfaction dans l’âme. Certainement l’unité avec le Christ etavec les autres exige qu’on soit en <strong>paix</strong> avec soi-même. Maisil est nécessaire d’aller plus loin. Ce<strong>la</strong> veut dire être libéré <strong>de</strong>divisions, car c’est « un fruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté divine vers l’unitépar <strong>la</strong>quelle toutes conditions et re<strong>la</strong>tions, toutes choses ettoutes actions se trouvent sous <strong>la</strong> lumière ré<strong>de</strong>mptrice duroyaume <strong>de</strong> Dieu ».212


L A q u ê t e d e l a p a i xJane Clement, écrivain et membre <strong>de</strong> notre communauté<strong>de</strong>puis longtemps, nous dit qu’elle avait recherché <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ducœur <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> nombreuses années, mais qu’elle ne l’a trouvéequ’après avoir complètement abandonné <strong>la</strong> recherche etavoir centré sa vie sur quelque chose <strong>de</strong> plus grand qu’elle.Dans le processus constant <strong>de</strong> se détourner <strong>de</strong> soi-même,on doit dépendre uniquement <strong>de</strong> Dieu. Nous recherchonsl’avancement du royaume, non pas <strong>de</strong> nous-mêmes. Notrebut n’est pas <strong>la</strong> discipline personnelle mais <strong>la</strong> fonctionharmonieuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté qui nous entoure. Pourmoi, ce fut une véritable libération <strong>de</strong> voir mon insignifiance,car cette seule réalisation m’a apporté <strong>la</strong> tranquillitéet l’entente intérieure que j’avais recherchées avant, dansune autoréflexion constante.Peu d’entre nous réalisons une telle libération. Nous sommesplutôt résignés au manque d’unité et <strong>de</strong> <strong>paix</strong> ; les choses sontsimplement ainsi et nous oublions les richesses que Dieuveut nous donner. Seulement à <strong>de</strong> rares occasions pouvonsnousentrevoir <strong>la</strong> puissance et <strong>la</strong> majesté <strong>de</strong> Dieu. <strong>La</strong> plupartdu temps, les distractions quotidiennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et notrepropre stupidité nous empêchent <strong>de</strong> voir plus loin. Si nousrecherchons <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, c’est plutôt par <strong>de</strong>s moyens égoïstes.En décrivant <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dans sa vie personnelle,Thomas Merton suggère que cette <strong>paix</strong> doit aller <strong>de</strong>pair avec ce qu’il appelle « l’ouverture <strong>de</strong> l’amour ».Lorsque je suis venu à ce monastère, où je me trouvemaintenant, c’était en me rebel<strong>la</strong>nt contre <strong>la</strong> futilité d’unevie tellement active, si pleine <strong>de</strong> mouvement et <strong>de</strong> parolesinutiles et <strong>de</strong> stimu<strong>la</strong>tion exagérée et superficielle queje ne pouvais plus me rappeler qui je suis. Mais le fait213


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong>meure que ma fuite du mon<strong>de</strong> n’est pas un reprocheenvers vous qui y restez, et je n’ai aucun droit à répudierle mon<strong>de</strong> d’une manière purement négative, car si je lefaisais ma fuite ne me conduirait pas à <strong>la</strong> vérité et à Dieu,mais plutôt à une illusion personnelle, bien qu’elle soit,sans doute, pieuse...<strong>La</strong> vie contemp<strong>la</strong>tive, c’est <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, cependant,non pas à l’exclusion abstraite <strong>de</strong> toute réalitéextérieure, non pas en refermant nos sens au mon<strong>de</strong>d’une façon négative et stérile, mais en restant ouvert etréceptif à l’amour.Mary Wiser, membre <strong>de</strong> notre communauté, s’est mise à <strong>la</strong>recherche du sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, alors qu’elle était encore enfant.Elle vit bientôt que ce<strong>la</strong> impliquait plus que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du cœuret l’acquisition du bonheur personnel :Un fil conducteur à travers ma vie m’a toujours entraînévers <strong>la</strong> recherche du royaume <strong>de</strong> Dieu. Depuis mon enfancej’ai aimé cette terre, j’ai toujours été (et je le suisencore) très attachée à ceux que j’aime ; pourtant, je nepuis me souvenir d’un temps où je ne savais pas qu’ilexistait un autre pays, un pays qui est plus beau, plusvibrant et vivace que le nôtre, et que j’y appartenais.Très tôt, j’ai été consciente <strong>de</strong>s paroles <strong>de</strong> Jésus, « Recherchezd’abord le royaume et <strong>la</strong> justice <strong>de</strong> Dieu » et « Siquelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, samère… » Je ressentais que Jésus m’appe<strong>la</strong>it. Mais j’étaisaussi consciente <strong>de</strong> <strong>la</strong> conviction <strong>de</strong> mes parents que <strong>la</strong>manifestation <strong>la</strong> plus haute d’amour et <strong>de</strong> bonheur estcelle <strong>de</strong> l’amour pour <strong>la</strong> famille. Je voyais les gens d’uncertain âge à l’église, à moitié endormis, qui chantaient :« Foi <strong>de</strong> nos pères... que nous mourrions pour Toi, commeils l’ont fait. » Savaient-ils ce qu’ils disaient ? Je suis214


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong>venue membre <strong>de</strong> l’église à douze ans, et j’étais étonnéeet perplexe que personne n’y prêtait pas beaucoupd’importance. Les réunions <strong>de</strong>s Méthodistes m’attiraientet me repoussaient en même temps.Quant à <strong>la</strong> guerre ? Je suis née en 1918, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong>guerre, dans un quartier plutôt tranquille <strong>de</strong> New York.Pourtant mes premiers souvenirs furent d’écouter les ancienscombattants raconter leurs expériences en France.Un jour, mon compagnon et moi, nous avons trouvé chezsa grand’mère <strong>de</strong>s photos <strong>de</strong> combats dans les tranchées.Je ne pouvais pas le croire ! Des gens ordinaires que nousconnaissions ont réellement tué d’autres personnes !Notre église avait toute une série <strong>de</strong> programmes sur <strong>la</strong><strong>paix</strong> qui nous ont inspiré. A l’école secondaire, j’ai fait unerecherche sur les causes <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. Ce<strong>la</strong> n’intéressaitpersonne.Mon père aurait voulu que je continue mes étu<strong>de</strong>s dansune université très réputée, afin d’avoir un emploi stableet <strong>de</strong> m’embourgeoiser. Mais, en terminant mes étu<strong>de</strong>s,mes pensées s’éloignaient bien loin <strong>de</strong> ma petite ville, <strong>de</strong>mon milieu républicain : j’avais soif <strong>de</strong> vie. « …moi, jesuis venu afin que les brebis aient <strong>la</strong> vie et qu’elles l’aienten abondance » (Jean 10.10). Ces paroles résonnaient enmon cœur.Mary reçut une bourse pour aller à l’université <strong>de</strong> Cornell,et elle découvrit l’horizon immense d’un mon<strong>de</strong> influencépar l’humanisme sécu<strong>la</strong>ire, <strong>la</strong> politique progressive, et <strong>la</strong>société <strong>de</strong> mœurs sexuelles libérales. Elle y trouva <strong>de</strong> mêmeun cercle d’amis qui étaient du même avis à propos du racismeet <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.Nous étions assez radicaux pour cette époque. C’était letemps <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre civile en Espagne, et Hitler commençait215


L A q u ê t e d e l a p a i xà se faire connaître. Il nous fal<strong>la</strong>it repenser notre pacifisme.Notre groupe se rétrécit.Au premier semestre <strong>de</strong> cette année-là, j’ai passépar une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> dépression pour <strong>la</strong> première fois. Jem’étais peu à peu séparée <strong>de</strong> ma croyance en Jésus, etbien que je reste fidèle à l’Evangile sociale, j’avais perduma <strong>paix</strong> d’enfant. Je ne pouvais plus <strong>la</strong> retrouver.Après une pério<strong>de</strong> d’enseignement dans une école prèsd’Ithaca, dans l’état <strong>de</strong> New York, Mary rencontra Art, pacifistesérieux et actif contre <strong>la</strong> guerre. Elle se maria avec lui,« bien que je n’aie jamais entendu parler d’objecteurs <strong>de</strong>conscience avant <strong>de</strong> venir à l’université ». Après leur mariage,elle fut surprise <strong>de</strong> découvrir qu’il ne croyait pas enDieu ; pourtant elle avait confiance dans son intégrité et sarévérence pour le Sermon sur <strong>la</strong> montagne.Les années qui ont suivi, 1941-1945, éprouvèrent nosâmes, <strong>de</strong> même que toute notre génération. En cette« <strong>de</strong>rnière bonne guerre », il y avait un grand mépris <strong>de</strong>sobjecteurs <strong>de</strong> conscience comme mon mari, qui refusaientd’ai<strong>de</strong>r à arrêter Hitler. Nous avons aussi souffert avecnos amis qui al<strong>la</strong>ient à <strong>la</strong> guerre, toujours conscients<strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance terrible <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> personnes dansces pays dévastés <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> l’océan. Le drapeauaméricain a été déployé à côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaire dans monancienne église méthodiste, et je n’y mettais plus pied.Comme <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s objecteurs <strong>de</strong> conscience, Art futinterné pendant <strong>la</strong> guerre. Il fut envoyé dans un camp <strong>de</strong>services publics au Dakota du Nord. Mary voulut le rejoindre,et elle trouva du travail dans une petite école. Le sentimentantiallemand battait son plein, et les pacifistes n’étaient pasles bienvenus.216


L A q u ê t e d e l a p a i xUne nuit les parents <strong>de</strong> mes étudiants se sont ligués contremoi à l’école, où j’habitais aussi. Heureusement, ilsse calmèrent bientôt, et conclurent qu’ils étaient fâchésplutôt avec mon mari « lâche », incarcéré dans le campvoisin...Vers <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, Art sentit qu’il <strong>de</strong>vait protester<strong>la</strong> guerre dans son ensemble, avec <strong>la</strong>quelle il ne vou<strong>la</strong>itavoir aucune part. Or, il a quitté le camp. Il fut immédiatementarrêté et emprisonné pour plusieurs mois.Il y avait plusieurs autres couples qui partageaient cessentiments, et qui recherchaient une vie d’intégrité simple,une façon <strong>de</strong> vivre qui pourrait éliminer les causes <strong>de</strong><strong>la</strong> guerre. Nous nous sommes décidés à examiner <strong>la</strong> vieen communauté <strong>de</strong> biens. Plus tard nous sommes <strong>de</strong>venusmembres à une communauté dans l’état <strong>de</strong> Géorgie. Mais,notre vie en commun nous a forcés à constater péniblementque notre capacité <strong>de</strong> lutter contre le mal nousdépassait, tant que nos idées <strong>de</strong> foi divergeaient. C’étaitle temps pour nous <strong>de</strong> passer au crible.Art et moi avions souvent expérimenté « l’Esprit duroyaume <strong>de</strong> Dieu » dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s amis et dans <strong>de</strong>scauses honorables, quoiqu’ils soient chrétiens ou non,et nous avons trouvé beaucoup <strong>de</strong> bonnes qualités dans<strong>de</strong>s personnes soi-disant « bonnes ». Mais nous restionstoujours aveugles au Roi du royaume, le seul pouvoir quipuisse faire face au mal qui <strong>de</strong>meure dans <strong>la</strong> société etdans chaque être humain. Finalement, j’ai compris quej’avais toujours essayé <strong>de</strong> comprendre Jésus intellectuellement.Jamais je ne m’étais arrêtée pour me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rqui Il était. Mais, une fois que je l’ai fait, j’étais étonnéed’apercevoir comme j’arrivais vite à <strong>la</strong> foi.Plus tard, j’ai raconté mon expérience à un ami proche.Je n’oublierai jamais sa réponse : « c’est exactement cequi m’est arrivé, mais moi, je me sentais au même temps,217


L A q u ê t e d e l a p a i xjugé. » J’étais bouleversée par son humilité. Et, j’ai su alorsque ce dont j’avais besoin – et que je désirais – c’étaitd’être <strong>de</strong> même jugée.En rétrospective, Mary se rend compte plus que jamais <strong>de</strong>l’importance du repentir :Je vois enfin que je me suis opposée au royaume <strong>de</strong> Dieupar mon image <strong>de</strong> moi-même et mon ambition d’êtreutilisée par Dieu. Je m’emparais du bien que Dieu m’avaitdonné sans vouloir exposer mon cœur rebelle. <strong>La</strong> lumièrea dû pénétrer les crevasses <strong>de</strong> mon cœur avant <strong>de</strong> pouvoiratteindre ce mal, et j’en suis honteuse ; ce<strong>la</strong> a durélongtemps. Mais avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s frères et sœurs j’ai luttéjusqu’à ce que l’extérieur et l’intérieur soient semb<strong>la</strong>bles,et c’était une libération sublime pour moi.Je ne pense pas que mes valeurs aient beaucoupchangées, mais elles se sont approfondies – <strong>de</strong> l’idéalisme,c’est-à-dire, <strong>la</strong> fraternité, vers une vie authentique vécueavec <strong>de</strong>s frères et sœurs qui sont engagés à jamais lesuns aux autres. <strong>La</strong> <strong>de</strong>rnière prière <strong>de</strong> Jésus, « Père saint,gar<strong>de</strong>-les en ton nom, ce nom que tu m’as donné, afinqu’ils soient un comme nous » (Jean 17.11). Voilà monancre et ma joie. <strong>La</strong> prière <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus unmiracle pour moi, et une responsabilité, surtout maintenantque je ne peux plus être si active.Oui, je connais <strong>la</strong> <strong>paix</strong> que Jésus nous donne. Cependantce n’est pas une sérénité continue. Il y a encore<strong>de</strong>s luttes. Pour moi, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> signifie le combat <strong>de</strong>l’Esprit d’être victorieux sur toute <strong>la</strong> terre, surtout dans leroyaume <strong>de</strong> l’invisible, avec l’arme <strong>de</strong> l’amour, en vue <strong>de</strong>mettre tout ce qui existe sous l’empire <strong>de</strong> Dieu. Eprouvercette <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> tenir en haute estime comme une perle <strong>de</strong>grand prix, voilà ce qui donne du sens à ma vie.218


L A q u ê t e d e l a p a i xQuand je considère que <strong>la</strong> lutte pour le royaume estuniverselle, je suis très impressionnée, surtout en pensantà <strong>la</strong> venue du Fils <strong>de</strong> Dieu, Jésus, sur cette terre ; et commentIl prend notre part dans nos combats insignifiants.Je suis sûre que nos histoires individuelles font égalementpartie <strong>de</strong> ce combat, car elles viennent <strong>de</strong> Dieu. Ettremb<strong>la</strong>nte, je lève mes yeux vers cette éternité qui est<strong>la</strong> continuation <strong>de</strong> l’histoire merveilleuse <strong>de</strong> Dieu. D’unefaçon ou d’une autre, je pense qu’elle va continuer à semanifester.Ces pensées <strong>de</strong> Mary nous emmènent au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> <strong>la</strong> recherche<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> intérieure, vers une vérité paradoxale :seul celui qui sacrifie sa vie <strong>la</strong> recevra <strong>de</strong> nouveau ; celuiqui donne sa vie si complètement au royaume que même sarecherche pour le bonheur personnel perd <strong>de</strong> l’importancesera récompensé au centuple.Notre vie <strong>de</strong>viendra non pas plus étroite, mais plus expansive; non pas plus limitée, mais sans aucune limite ; nonpas plus organisée, mais plus souple ; non pas pédante,mais hardie ; non pas plus sobre, mais plus enthousiaste ;non pas plus timi<strong>de</strong>, mais plus audacieuse ; non pas trophumaine, mais plus inspirée par Dieu ; non pas triste,mais plus heureuse ; non pas moins capable, mais pluscréatrice. Tout ce<strong>la</strong> grâce à Jésus et à son Esprit <strong>de</strong> liberté.Eberhard Arnold219


•<strong>La</strong> sécuritéJe ne crois pas que Dieu veuille que nous faisions semb<strong>la</strong>ntque notre crainte n’existe pas, <strong>la</strong> nier ou <strong>la</strong> réduire à néant.<strong>La</strong> crainte nous rappelle que nous sommes <strong>de</strong>s créatures– fragiles, vulnérables, totalement dépendantes <strong>de</strong> Dieu.Cependant <strong>la</strong> crainte ne <strong>de</strong>vrait pas nous dominer, ni nouscontrôler et nous définir. Plutôt, elle <strong>de</strong>vrait se soumettre à<strong>la</strong> foi et à l’amour. Autrement, <strong>la</strong> crainte peut nous rendreincrédules, serviles, et inhumains.Je connais cette lutte : contrôler ma peur, rejeter son règne,reconnaitre qu’elle ne voit que les apparences, tandis que <strong>la</strong>foi et l’amour voient <strong>la</strong> substance, <strong>la</strong> réalité, l’influence <strong>de</strong>Dieu, pour ainsi dire : « Rassurez-vous…c’est moi, n’ayezpas peur. »Philip BerriganDeux fois, dans ma vie, j’ai eu le privilège d’avoir rencontréMère Thérèse, et chaque fois, je fus touché parsa calme confiance. Mère Thérèse sera reconnue à juste titrepour son travail à Calcutta auprès <strong>de</strong>s démunis et mourants.Mais quiconque qui ait passé du temps en service aux pauvressait bien que, seules, les bonnes actions ne nous apportentpas <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong>. En fait, beaucoup <strong>de</strong> personnes


L A q u ê t e d e l a p a i xqui se vouent ainsi à ai<strong>de</strong>r les autres finissent par en êtrefrustrés et fatigués. Le calme <strong>de</strong> mère Thérèse reposait surquelque chose <strong>de</strong> plus profond que son travail : un certainsens <strong>de</strong> sécurité en sa vocation, et <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>cedans le mon<strong>de</strong>.<strong>La</strong> sécurité peut avoir <strong>de</strong>s sources diverses : <strong>la</strong> confiance,l’absence <strong>de</strong> crainte, l’absence <strong>de</strong> soucis et doute <strong>de</strong> soimême.Ce<strong>la</strong> implique aussi une connaissance <strong>de</strong> nos objectifs,notre i<strong>de</strong>ntité et notre raison d’être. Mère Thérèsepossédait ce sens profond <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée. Pour nous servir<strong>de</strong> sa propre analogie, elle se voyait comme étant un crayonentre les mains <strong>de</strong> Dieu. Ceci lui a donné <strong>de</strong> <strong>la</strong> force et ducourage, malgré <strong>la</strong> critique et les calomnies qui lui venaientconstamment.Les gens <strong>de</strong> nos jours manquent d’i<strong>de</strong>ntité ; comme Kierkegaardl’a remarqué au 19e siècle, ils ont peur, non seulementd’avoir une opinion contraire, mais d’avoir une opiniondu tout. Est-ce étonnant alors, si tellement peu <strong>de</strong> gens puissenttrouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ? Ce n’est pas que je veuille suggérer quenous nous efforcions à imiter le zèle et l’engagement d’uneMère Thérèse. Nous avons tous <strong>de</strong>s vocations différentes,et souvent le chemin vers <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est long et difficile, plein<strong>de</strong> tournants imprévus. Pourtant, <strong>la</strong> stabilité du cœur <strong>de</strong>celui qui se sent confiant <strong>de</strong>vant Dieu ne doit pas être sousestimée.Une telle personne possè<strong>de</strong> une sécurité stable, etc’est le fruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Freda Dyroff, membre du Bru<strong>de</strong>rhof, a quitté l’Angleterre,son pays natal, pour rejoindre notre communauté en Allemagnedans les années trente. Extérieurement, il n’yavait que peu d’attrayant. S’y joindre signifiait accepter221


L A q u ê t e d e l a p a i xune pauvreté extrême, apprendre une autre <strong>la</strong>ngue, porterd’autres coutumes, habiter un pays qui al<strong>la</strong>it combattre lesien. Cependant, Freda était confiante d’avoir choisi le bonchemin :Rien <strong>de</strong> matériel ne m’attirait – c’était certainement unappel qui conduirait aux conflits, mais qui promettait <strong>la</strong><strong>paix</strong>. <strong>La</strong> communauté était extrêmement pauvre, et <strong>la</strong>vie, ru<strong>de</strong> et dure. Mais ce<strong>la</strong> ne m’a pas dissuadée. Ici, ily avait <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes vivant en harmonie,dans un mon<strong>de</strong> qui se détériorait. Leur vie présentait unesolution : ils avaient aboli <strong>la</strong> distinction entre les c<strong>la</strong>sseset l’inégalité sociale en abandonnant <strong>la</strong> propriété privée,et en mettant tout en commun. Personne ne possédaitquoi que ce soit, car tous partageaient ce qu’ils avaient.Et ce n’était pas seulement une vision, quelque chosequ’on peut lire, comme dans le Livre <strong>de</strong>s Actes <strong>de</strong>s Apôtres.C’était <strong>la</strong> réalité.Je suis <strong>de</strong>venue membre à part entière <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté,et finalement alors, j’ai ressenti <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu quej’avais <strong>de</strong>puis si longtemps recherchée ; en enseignant,en travail<strong>la</strong>nt dans les bas-quartiers <strong>de</strong> Londres, cette<strong>paix</strong> m’était venue. Naturellement, j’ai dû abandonnermaintes choses pour <strong>la</strong> gagner : ma maison, ma familleet mes amis ; mon pays, <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue ang<strong>la</strong>ise, les confortsd’une vie bourgeoise, et ainsi <strong>de</strong> suite.Personne ne pouvait comprendre pourquoi je faisaisce<strong>la</strong>, et j’étais étonnée et blessée par l’inimitié, et même<strong>la</strong> haine, <strong>de</strong>s personnes les plus proches. Plus tard, j’aicompris qu’il fal<strong>la</strong>it abandonner bien plus : mon individualisme(bien que jamais ma conscience), mon amourpropreet beaucoup <strong>de</strong> mes idées opiniâtres.En retour j’ai senti un amour profond, et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> dontparle Jésus, qui est bien l’assurance <strong>de</strong> ce que Dieu sera222


L A q u ê t e d e l a p a i xtoujours auprès <strong>de</strong> moi, y compris à ma mort. J’ai souventété ébranlée par les évènements – les horreurs <strong>de</strong><strong>la</strong> secon<strong>de</strong> guerre mondiale, <strong>la</strong> traversée hasar<strong>de</strong>use <strong>de</strong>l’At<strong>la</strong>ntique pour aller en Amérique du Sud à l’apogée <strong>de</strong><strong>la</strong> Bataille <strong>de</strong> l’At<strong>la</strong>ntique, pendant <strong>la</strong>quelle mon premierenfant est né. C’étaient <strong>de</strong>s moments d’un danger extrême,et souvent <strong>la</strong> peur m’étreignait le cœur. Pourtant,intérieurement je ressentais toujours un calme étrange,<strong>la</strong> confiance en Dieu. En qui d’autre aurais-je pu me confier? J’étais en <strong>paix</strong>, car je savais ceci : même s’il y avaitdu danger, <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> Dieu serait faite. Nous étionstous entre ses mains.Ces situations n’étaient pas « fortuites ». <strong>La</strong> vie n’est jamaisfortuite ; <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ne nous tombe pas entre les mains.C’est toujours une lutte, et il nous faut toujours choisir.Quand je pense à ma jeunesse : ce<strong>la</strong> m’a pris <strong>de</strong>s annéesavant <strong>de</strong> trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. J’hésitais entre le serviceenvers Dieu ou envers l’argent, et mes vacil<strong>la</strong>tions nem’apportaient aucun repos. Je m’imagine bien que tousles jeunes gens passent par <strong>de</strong> telles expériences troub<strong>la</strong>ntes<strong>de</strong> désirs et <strong>de</strong> frustrations, voire même <strong>de</strong> grandstourments. Mais je sais ce qui m’a aidé, et je puis conseilleraux autres <strong>de</strong> faire ceci : cherchez et recherchez,jusqu’à ce que vous ayez trouvé ; n’y renoncez jamais.Priez, aussi, même si vous pensez que vous n’avez pas<strong>la</strong> foi, car Dieu entend aussi les <strong>la</strong>mentations <strong>de</strong> celui quine « croit » pas. Dieu vous ai<strong>de</strong>ra. N’abandonnez pas <strong>la</strong>lutte, et surtout, évitez les tentations qui vous détournent<strong>de</strong> ce que vous savez être votre plus profond désir. Et,si vous tombez, relevez-vous et reprenez <strong>la</strong> bonne voie.Comme <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong> ce qui se passe dans <strong>la</strong> vie, <strong>la</strong> sécuritén’est pas constante. C’est un fruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> – ceci est certain– mais ce n’est pas une garantie d’absence <strong>de</strong> lutte ou223


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong> peur. Plutôt, c’est <strong>la</strong> confiance que ces choses vont êtresurmontées. Mon grand-père écrit :Le mon<strong>de</strong> nous a<strong>la</strong>rme, et nos humeurs nous troublent.Mais <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Jésus, qui les neutralise, n’est pas unedisposition <strong>de</strong> l’esprit. C’est plus que ce<strong>la</strong>, plus que <strong>de</strong>se sentir content et confortable. Le mon<strong>de</strong> aussi connaît<strong>la</strong> « <strong>paix</strong> » <strong>de</strong> <strong>la</strong> tranquillité et <strong>de</strong> l’acceptation, dans <strong>la</strong>mesure qu’il recherche sérieusement ce qui est véritablementnoble. Mais il lui manque cette conscience d’âmed’avoir trouvé sa <strong>de</strong>stinée innée et sa vie réelle en Dieu.Cette prise <strong>de</strong> conscience, c’est <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> profon<strong>de</strong> quenotre Sauveur Crucifié est uniquement <strong>la</strong> source et ledéfenseur <strong>de</strong> notre <strong>paix</strong>, parce qu’Il a éliminé le péchéqui ne permet aucune <strong>paix</strong>.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> se renouvelle constamment, comme une rivièrequi coule toujours en avant n’est jamais stagnante et nese tarit jamais. C’est l’expérience constante du Christ ennous, Celui qui veut <strong>de</strong>meurer en nous, afin que nous<strong>de</strong>meurions en lui.Les humeurs et les sentiments vont et viennent, encouragements<strong>de</strong> l’amour qui nous poussent à nous <strong>la</strong>issergui<strong>de</strong>r par <strong>la</strong> main du Christ. Petit à petit, le caractère serenforce et, à <strong>la</strong> fin, les vacil<strong>la</strong>tions du système nerveuxpeuvent être aussi oppressives que <strong>la</strong> pire <strong>de</strong>s tempêtes,pourtant, elles ne dérangent plus notre vie intérieure.Quand un vent fort souffle contre le courant d’une rivière,il agite <strong>la</strong> surface, et produit <strong>de</strong>s ondu<strong>la</strong>tions, commesi l’eau était attirée en amont. Pourtant, le courant ne peutpas changer son cours. Au fond <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière il continueà couler malgré <strong>la</strong> force du vent. Que les gens fassent,donc, ce qu’ils veulent. Si <strong>la</strong> <strong>paix</strong> règne en nos âmes, noussommes sûrs <strong>de</strong> notre voie, et rien ne peut nous ébranler.224


L A q u ê t e d e l a p a i xDans mon livre Be not Afraid (N’aie pas peur), j’adresse unesituation qui semble poser le plus grand défi à <strong>la</strong> confiancehumaine : notre peur universelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort. Je ne m’étendraipas ici, sauf pour dire que cette menace pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> peutêtre surmontée par l’assurance qui provient <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi – et parl’amour qui, selon l’Apôtre, bannit toute crainte.Si une personne avait lieu <strong>de</strong> craindre <strong>la</strong> mort, ce fut MartinLuther King, Jr. Extrêmement charismatique et imperturbablementfranc, il risqua sa vie pour <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> l’égalité racialebien <strong>de</strong>s fois. A <strong>la</strong> fin, comme nous le savons, il a dûpayer le prix ultime. Comme n’importe qui d’autre, King asûrement craint <strong>la</strong> mort, cependant le peu <strong>de</strong> fois que je l’airencontré ou entendu il rayonnait <strong>de</strong> calme et <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. Voilàun homme qui n’avait aucun doute quant à sa mission, etaucune peur quant au prix à payer afin <strong>de</strong> <strong>la</strong> réaliser.« Personne n’est libre qui craigne <strong>la</strong> mort, avait-il dit à <strong>la</strong>foule, lors d’un rassemblement en 1963. Mais aussitôt quevous avez conquis <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, vous êtes libre ». Sesamis l’ont poussé à prendre moins <strong>de</strong> risques, mais il n’envou<strong>la</strong>it rien : « Je ne peux pas me soucier <strong>de</strong> ma propre sécurité,leur a-t-il dit. Je ne peux vivre dans <strong>la</strong> peur. Il me faut agir.S’il y a une peur que j’ai surmonté, c’est <strong>la</strong> peur <strong>de</strong> mourir...Je vous assure que si l’on ne découvre pas une cause pour<strong>la</strong>quelle on peut donner sa vie, on n’est pas en état <strong>de</strong> vivre ! »Magdalena Boller, membre <strong>de</strong> ma communauté qui perditsa mère soudainement, alors qu’elle était encore très jeune,ressentit cette liberté <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte, dans <strong>de</strong>s circonstancesbien différentes. Se souvenant <strong>de</strong> ceci, elle nous rappelle unechose importante : une fois que le cœur est rempli <strong>de</strong> <strong>paix</strong>,on peut passer cette <strong>paix</strong> aux autres.225


L A q u ê t e d e l a p a i xDans ma vie, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> m’est venue d’une façon étrangeet merveilleuse, débordant <strong>de</strong> ma mère à son heure <strong>de</strong>souffrance.Mon frère ca<strong>de</strong>t Felix était sérieusement ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, alorsqu’il n’avait que neuf mois, et est mort subitement. Nousvivions dans une région isolée en Amérique du Sud, etl’ai<strong>de</strong> médicale y était limitée et primitive. En ce temps,ma mère a écrit dans son journal :Le pouls <strong>de</strong> Félix était très faible. Monika, notre infirmière,lui donne une piqûre <strong>de</strong> camphre, et je sensle pouls battre une fois <strong>de</strong> plus... Mais soudain sesyeux sont grand-ouverts, <strong>la</strong>rges et bleu ciel... Maisalors ces yeux <strong>de</strong>viennent vitreux. Je suis <strong>la</strong> seulequi le remarque. « Monika, il se meurt ! » M’écriaisje.Nous joignons les mains. Les paroles <strong>de</strong> notreprière montent aux cieux en supplication fervente :« Seigneur rends-lui <strong>la</strong> vie, si c’est ta volonté. » Oh,je le sais déjà ; il est libéré. « Jésus, viens ! » Cesparoles sont arrachées <strong>de</strong> nos cœurs. Oui, Jésusest venu. Il est venu pour prendre l’enfant à Lui.Pourtant le petit cœur bat encore faiblement. Uneautre piqûre, puis <strong>la</strong> respiration artificielle, jusqu’aumoment où nous savons trop bien que c’est troptard.Donne-moi mon enfant dans mes bras ! Monikame le donne. Mon petit gît sur mes genoux,et doucement, tranquillement, sa toute petite âmepasse à l’éternité. Ou, est-ce plutôt l’éternité quivient à nous ? A mon côté, Léo le sait aussi. Il y aune telle <strong>paix</strong> autour <strong>de</strong> nous et en nous. Le calme,le calme éternel. Notre enfant retourne aux angesd’où il est venu. Soyez silencieux. Ne parlez pasmaintenant. Mon enfant, avec quelle douleur t’ai-je226


L A q u ê t e d e l a p a i xmis au mon<strong>de</strong> ? Est-ce <strong>la</strong> joie ou <strong>la</strong> douleur qui emplitmon cœur ? Je ne le sais. Je sais seulement queje redonne mon enfant à Dieu, qui me l’avait donné.Et, maintenant, bien lentement, le petit corps <strong>de</strong>mon enfant s’est refroidi sur mes genoux.C’était le dimanche matin. Les autres enfants et moi, nousvenions <strong>de</strong> retourner d’une promena<strong>de</strong>, et un voisin meprit à l’écart pour me dire que mon petit frère était mort.Cette nouvelle me porta un coup terrible, et j’ai couru,affolée, à sa chambre. Ma mère était là. Elle m’a regardéavec un tel amour à travers ses <strong>la</strong>rmes, et elle m’a prisdans ses bras : « Félix est allé à Jésus, » m’a-t-elle dit. Sa<strong>paix</strong>, et son acceptation m’ont comblé <strong>de</strong> reconnaissance.Neuf ans plus tard ma mère mourut soudainement, etsa mort fut spécialement douloureuse pour moi. J’avaisseulement dix-sept ans. Ayant quitté <strong>la</strong> maison, j’avaisété séparée <strong>de</strong> ma famille <strong>de</strong>puis presqu’un an, à part uneou <strong>de</strong>ux visites <strong>de</strong> courte durée. Maman était le cœur <strong>de</strong>notre famille, et nous avions toutes <strong>de</strong>ux été très prochesl’une <strong>de</strong> l’autre. Maintenant elle n’était plus là, et j’avaismanqué <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière année <strong>de</strong> sa vie. Je ne pouvais pasaccepter <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> sa mort. Comment était-ce possible?Dans mon désespoir, l’image <strong>de</strong> ma mère toute en<strong>la</strong>rmes, mais radieuse, ne me quittait pas. Je <strong>la</strong> voyais,<strong>de</strong>bout, au chevet <strong>de</strong> mon petit frère, il y a si longtemps.Et, comme j’y pensais, <strong>la</strong> même <strong>paix</strong> rassurante qu’ellem’avait montrée lors <strong>de</strong> son chagrin, a glissé en moncœur, comme si c’était son don d’adieu.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> que Magdalena ressentit nous semble être une choserare, et en un sens, ceci est vrai. Pourtant, Jésus nous promet<strong>la</strong> même chose, à chacun <strong>de</strong> nous. « C’est <strong>la</strong> <strong>paix</strong> que227


L A q u ê t e d e l a p a i xje vous <strong>la</strong>isse, c’est ma <strong>paix</strong> que je vous donne. » Peut-êtrecette <strong>paix</strong> est peu commune parce que nous qui voulons bienl’accepter sommes peu nombreux. Tolstoï écrit :Les gens me questionnent à propos <strong>de</strong> mon manque <strong>de</strong>peur, qu’ils supposent ressort <strong>de</strong> mon point <strong>de</strong> vue plutôtmystique sur <strong>la</strong> vie et <strong>la</strong> mort. Cependant ce n’est pasle cas. J’aime mon jardin, j’aime lire, j’aime caresser unenfant. En mourant je perds tout ceci, et ainsi, je ne désirepas mourir, et je crains <strong>la</strong> mort.Il se peut que ma vie entière consiste à <strong>la</strong> satisfaction<strong>de</strong> tels désirs temporaires. Et ainsi, je ne puis m’empêcher<strong>de</strong> craindre ce qui mettra fin à ces désirs. Mais, autantje les remp<strong>la</strong>ce dans mon cœur par le désir <strong>de</strong> faire <strong>la</strong>volonté <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> m’abandonner à lui, autant je necrains pas <strong>la</strong> mort – et autant <strong>la</strong> mort n’existe pas pourmoi. Et, si mes désirs sont complètement transformés, ilne reste alors que <strong>la</strong> vie, il n’y a plus <strong>de</strong> mort.Remp<strong>la</strong>cer ce qui est terrestre et temporaire par cequi est éternel, ça c’est <strong>la</strong> voie <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, et nous <strong>de</strong>vonsy passer. Quant à l’état <strong>de</strong> l’âme – chacun doit bien leconnaître.228


•<strong>La</strong> plénitu<strong>de</strong>Comment ne pas perdre son âme quand absolument tout,et tout le mon<strong>de</strong>, nous tire dans <strong>de</strong>s directions opposées ?Comment peut-on se maintenir, si on est continuellementtiraillé <strong>de</strong> tous les côtés ?Jésus nous dit que « pas un seul cheveu <strong>de</strong> votre têtene sera perdu. Par votre persévérance vous sauverez votreâme » (Luc 21.18-19). Nous ne pouvons survivre que sinous avons confiance en ceci : Dieu nous connaît mieuxque nous nous connaissons nous-mêmes. Nous ne pouvonsnous maintenir que si nous savons que c’est Dieu qui nousmaintient. Nous ne pouvons être vainqueurs que si nous restonsfidèles à cette vérité : tout en nous, oui, même chaquecheveu, est tout-à-fait sauf au sein <strong>de</strong> notre Seigneur. End’autres termes, si nous continuons à vivre une vie spirituelle,nous n’avons rien à craindre.Henri J.M. NouwenAussi unique qu’apparaisse <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong>chaque personne, un fil commun nous réunit. Dans unecertaine mesure, chacun est en route vers <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong>. Il yen a qui parlent <strong>de</strong> rechercher <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du cœur ; d’autres, <strong>la</strong><strong>paix</strong> <strong>de</strong> l’âme. Les uns sont à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> fraternité ;


L A q u ê t e d e l a p a i xd’autres, <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté. Les uns recherchent <strong>la</strong> sérénité<strong>de</strong> l’âme, d’autres, l’harmonie globale. Au fond, ces désirssont motivés par <strong>la</strong> réalisation que <strong>la</strong> vie est fragmentée, ceque l’on a envie <strong>de</strong> surmonter.Charles Head<strong>la</strong>nd, membre du Bru<strong>de</strong>rhof, qui mourut récemmentdans ses quatre-vingts ans, m’a dit que ce fut lecloisonnement dans sa vie qui l’avait conduit à rechercher<strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Comme comptable dans une gran<strong>de</strong> compagnie, i<strong>la</strong>vait un groupe d’amis ; comme activiste pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, unautre groupe ; comme membre <strong>de</strong> son église, un autre ; puisenfin, sa famille. Rien <strong>de</strong> commun entre eux, et chaque jour,il fal<strong>la</strong>it faire <strong>de</strong> son mieux pour rester fidèle à tous.John Hin<strong>de</strong>, un <strong>de</strong> mes collègues qui est aussi pasteur, medit que lui aussi se sentait gêné en <strong>de</strong>venant pacifiste, justeavant <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerre Mondiale. Comme participant actifdans le mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, pendant les soirs et les fins<strong>de</strong> semaine il faisait ce qu’il pouvait contre le conflit armé.Le jour, par contre, il travail<strong>la</strong>it comme courrier à <strong>la</strong> banqueLloyd <strong>de</strong> Londres, et sentait qu’il contribuait ainsi au cloisonnement<strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses et au conflit social qui est une <strong>de</strong>scauses <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre.<strong>La</strong> vie est pleine <strong>de</strong> divisions : entre le foyer et l’emploi,<strong>la</strong> vie privée et <strong>la</strong> vie publique, le travail et le loisir, <strong>la</strong> politique,le professionnel, et le personnel. En soi, il n’y a rien<strong>de</strong> mal à ce<strong>la</strong>. Mais le problème commence lorsque ces activitéscréent <strong>de</strong>s contradictions et <strong>de</strong>s conflits. Sous peu, lemanque <strong>de</strong> cohérence <strong>de</strong>vient compromis, et à <strong>la</strong> suite, même<strong>de</strong> l’hypocrisie. Barbara Greenyer, nous en donne un exemplefrappant :230


L A q u ê t e d e l a p a i xA <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s années trente, avec l’intention <strong>de</strong> créer unemeilleure communication et plus <strong>de</strong> compréhension entrenous tous, notre groupe qui œuvrait pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> avaitinvité <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeunesse hitlérienne d’une égliseen Allemagne à venir passer du temps dans nosfamilles en Angleterre. Seule une jeune fille est venue(je maintiens toujours contact avec elle). Peu <strong>de</strong> tempsaprès son retour chez elle, <strong>la</strong> guerre a éc<strong>la</strong>té et je mesouviens <strong>de</strong> mon choc en réalisant qu’elle est <strong>de</strong>venuealors notre « ennemie ».Pour protester contre tout ce meurtre, mon mari, Kenneth,et moi nous sommes décidés à ne rien avoir à faireavec l’effort <strong>de</strong> guerre. Nous avons refusé d’accepter lesmasques contre les gaz asphyxiants, ou <strong>de</strong> construireun abri An<strong>de</strong>rson ; il nous semb<strong>la</strong>it que le département<strong>de</strong> <strong>la</strong> Défense vou<strong>la</strong>it donner au public un faux sens <strong>de</strong>sécurité. Puis, Kenneth reçut une lettre d’un <strong>de</strong>s anciens<strong>de</strong> notre église méthodiste interdisant au groupe <strong>de</strong> seréunir dans les locaux <strong>de</strong> l’église, et en lui disant ce qu’illui aurait fait si Kenneth avait été son propre fils. C’étaitune lettre pleine <strong>de</strong> fureur. Je vou<strong>la</strong>is trouver cet hommeet le reprendre, mais Kenneth m’a rappelé que le fils <strong>de</strong>cet homme était au front, et que nous <strong>de</strong>vions avoir <strong>de</strong><strong>la</strong> compassion.Nous avons donc respecté <strong>la</strong> lettre, mais il restait <strong>la</strong>question <strong>de</strong> notre rapport avec l’église. Pouvions-nousparticiper aux réunions les Dimanches quand l’églisesoutenait <strong>la</strong> guerre ? Nous sentions que ce n’était pluspossible, et nous l’avons expliqué au curé dans une lettre.Il a p<strong>la</strong>idé avec nous à changer d’avis, mais nous sommesrestés fermes. C’était dur pour nous, car l’église avaittoujours été au centre <strong>de</strong> notre vie. Nous avions aidé tousles <strong>de</strong>ux à l’école <strong>de</strong> Dimanche...231


L A q u ê t e d e l a p a i xDaniel Berrigan a écrit quelque chose sur « <strong>la</strong> consciencefragmentée » qui est à <strong>la</strong> source d’un tel dilemme. En temps <strong>de</strong><strong>paix</strong>, les prêtres et les curés prêchent les dix comman<strong>de</strong>ments,« Tu ne tueras pas... » En temps <strong>de</strong> guerre, ils bénissent lesbombardiers. Ceux qui sont contre <strong>la</strong> guerre sont en faveur <strong>de</strong>l’avortement, et les militaristes sont contre l’avortement ; lesactivistes contre l’avortement soutiennent <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> mort,et ainsi <strong>de</strong> suite. « Chacun désire combattre quelque malparticulier, pensant qu’ainsi ils bâtiront un meilleur mon<strong>de</strong>.Ils oublient qu’on ne peut pas être en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombe enmême temps qu’en faveur <strong>de</strong>s enfants... »Le rabbin Kenneth I. Cohen a dit plus ou moins <strong>la</strong> mêmechose. Dans un <strong>de</strong> ses écrits, il rappelle l’hypocrisie terribledu Nazisme, où les maris et les pères, qui étaient aussi<strong>de</strong>s assassins professionnels, « tuaient les Juifs le matin, etécoutaient du Mozart l’après-midi ». C’est un exemple trèsextrême, mais il met en lumière ce qui se peut se passer lorsqueles problèmes ne sont pas résolus : ils menacent nonseulement <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, mais <strong>la</strong> vie elle-même.Les réponses du Christ à cette question sont simples, maisd’une c<strong>la</strong>rté à couper le souffle : Il nous dit que l’extérieurdoit ressembler à l’intérieur (et vice versa) ; que nous <strong>de</strong>vonstout perdre afin <strong>de</strong> le retrouver ; que nous <strong>de</strong>vons rendrenos vies afin qu’elles soient sauvées. Il exige une intégritécontinue dans tous les aspects <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, un combat constanten faveur <strong>de</strong> tout ce qui soutient <strong>la</strong> vie et défend le bien, etcontre tout ce qui mène à <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction et <strong>la</strong> mort.Est-ce que <strong>la</strong> « plénitu<strong>de</strong> » doit forcément être une conditionnécessaire à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu, ou est-ce plutôt un résultatqui s’en suit ? Est-ce une étape ou un fruit <strong>de</strong> ce<strong>la</strong> ? Pour232


L A q u ê t e d e l a p a i xmoi, elle provient <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ; elle est un signe <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie abondante que le Christ nous offre plutôt qu’unsentier qui y mène.Charles Moore, ancien éducateur au séminaire, désiraittrouver <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> dans sa vie, mais n’y parvenait pas.Finalement, il conclut qu’aussi longtemps qu’il était luimêmeau centre <strong>de</strong> sa recherche personnelle il n’aurait jamaistrouvé une résolution satisfaisante. C’est seulement en<strong>la</strong>issant Jésus Christ être le point <strong>de</strong> mire que chaque chosetrouverait sa p<strong>la</strong>ce.Lorsque je réfléchis sur ma vie au cours <strong>de</strong>s dix <strong>de</strong>rnièresannées, je me rends compte que je vivais <strong>la</strong> mort lented’une dégradation progressive. L’énergie explosive <strong>de</strong> majeunesse se dissipait rapi<strong>de</strong>ment, non pas à cause d’unevie impru<strong>de</strong>nte, mais comme le résultat <strong>de</strong> ma tentativeobsessive d’ordonner ma vie. Je suis tombé dans unedéconfiture <strong>de</strong> mon propre choix. Je m’efforçais d’êtrecharitable, <strong>de</strong> satisfaire Dieu et agir correctement. Il yavait tellement <strong>de</strong> causes positives à défendre, tellementà apprendre, tellement <strong>de</strong> gens à connaître, tellement <strong>de</strong>rapports à entretenir, tellement d’obligations à rempliret tellement d’occasions à examiner. Cependant, en meplongeant dans ce tourbillon <strong>de</strong> possibilités, je <strong>de</strong>venais,<strong>de</strong> plus en plus, cloisonné. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> du cœur m’échappait ;je n’avais plus <strong>de</strong> <strong>paix</strong>.C’est plus facile, maintenant, <strong>de</strong> voir comment toutceci s’est passé. Dans mon for intérieur je n’arrivais pasà intégrer les fils disparates d’une existence surchargée.Individuellement et séparément, il était impossible <strong>de</strong>joindre ces fils et leur donner du sens.D’un côté, il y avait mon travail en tant que professeur<strong>de</strong> philosophie et <strong>de</strong> théologie et <strong>de</strong> l’autre côté mes233


L A q u ê t e d e l a p a i xétu<strong>de</strong>s avancées. Les <strong>de</strong>ux exigeaient mon temps et maloyauté ; n’étant pas joints que d’une façon abstraite,ces <strong>de</strong>ux activités étaient, en fait, totalement opposées.Il y avait <strong>de</strong> même mes re<strong>la</strong>tions professionnelles avecmes collègues qui étaient « unis » avec moi par notre foicommune qui opérait, néanmoins, dans un cadre et ununivers <strong>de</strong> discours éloigné du mien. <strong>La</strong> foi et <strong>la</strong> pratiquese trouvaient souvent en désaccord. J’ai pensé pouvoircombler cette <strong>la</strong>cune, et en effet c’était possible pourquelque temps. Cependant, à mesure que les exigences<strong>de</strong> <strong>la</strong> vie augmentaient, ma force diminuait. D’ailleurs,j’avais d’autres problèmes et intérêts en <strong>de</strong>hors du milieuuniversitaire. Il y avait ma vie personnelle – ma femmeLeslie, mes amis et les siens, ma famille et <strong>la</strong> sienne – avectant <strong>de</strong> dimensions qui ne semb<strong>la</strong>ient jamais se toucher.Parfois elles se rapprochaient, mais ne se réunissaientjamais.L’Eglise que nous fréquentions était séparée <strong>de</strong> <strong>la</strong> petitecommunauté intentionnelle dont nous faisions partie,Leslie et moi, et du ministère missionnaire avec lequelnous travaillions dans notre voisinage bien pauvre. Il yavait <strong>de</strong>s évènements organisés par les groupes activistes,dont je faisais partie, <strong>de</strong>s activités <strong>de</strong>s institutions où jetravail<strong>la</strong>is et étudiais, et <strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong> famille, où j’aidû assister. Je vou<strong>la</strong>is toutes ces choses et je les obtenais.Mais il n’y avait aucune cohérence, j’étais tiré en maintesdirections, intérieurement et extérieurement.Malgré mes efforts à tout réunir, je n’ai pas réussi àm’en sortir. Incapable d’éliminer un <strong>de</strong> ces soi-disant<strong>de</strong>voirs, et pourtant accablé par l’effort <strong>de</strong> tout contrôlerau même temps, j’ai essayé toutes sortes <strong>de</strong> mécanismesd’adaptation complexe, afin <strong>de</strong> trouver une solution. J’aieu <strong>de</strong>s consultations confi<strong>de</strong>ntielles avec un ami proche ;ma femme et moi nous sommes permis <strong>de</strong>s moments234


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong> divertissements et amusements ; je changeais et réajustaisles horaires <strong>de</strong> mes charges d’enseignement ; jeme dégageais <strong>de</strong>s contacts et re<strong>la</strong>tions qui prenaient trop<strong>de</strong> temps, et ainsi <strong>de</strong> suite. Mais rien <strong>de</strong> tout ce<strong>la</strong> ne m’aaidé. Malgré toutes mes bonnes intentions et ma bonnevolonté, je restais frénétique et énervé, et ma vie étaittoujours désorientée.C’était même déroutant pour moi. Je croyais que suivreJésus vou<strong>la</strong>it dire se dépenser, être épuisé pour Dieu etSon royaume. Pourquoi, alors, n’avais-je pas cette <strong>paix</strong>promise, cette <strong>paix</strong> qui dépasse <strong>la</strong> compréhension ?Pourquoi me semb<strong>la</strong>it-il que ma vie se déchirait en millemorceaux ? Pourquoi étais-je si frustré et harcelé, avecmes nerfs à vif ? Notre société est égoïste, individuelle,matérialiste, et compulsive ; elle n’a que peu <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cepour <strong>la</strong> communauté. Mes propres besoins, désirs, dons,faiblesses et potentiel sont les forces qui me dirigent ; etma vie est une forteresse protégée et gardée, qui n’estaccessible qu’à quelques amis privilégiés.Maintenant, en évoquant ceci, il me semble étrangecombien ma vie était pleine, et pourtant incomplète.J’avais virtuellement tout ce que je désirais : un emploiintéressant, <strong>de</strong> l’exercice intellectuel, <strong>de</strong>s actions altruistes,<strong>de</strong> chers amis, le succès matériel, et <strong>la</strong> libertéd’ajuster mon p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> travail, tant que je le désirais. Maisje n’étais pas en <strong>paix</strong>. Ma vie n’était pas limitée, et je nem’engageai à rien.Néanmoins, en y repensant, je vois que je marchaistout droit vers cette gran<strong>de</strong> déception : c’est ta vie, fais-ence que tu veux. J’avais fait <strong>de</strong> ma vie le centre <strong>de</strong> l’univers,même en guise <strong>de</strong> servir Dieu. Malgré mon engagementet mon effort spirituel <strong>de</strong> servir Dieu, j’étais au prise <strong>de</strong> <strong>la</strong>folie <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie bourgeoise qui tournoyait – non seulementultimement, mais <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon <strong>la</strong> plus mondaine – autour235


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>de</strong> mes propres désirs. Je n’arrivais absolument pas à voirque ce genre <strong>de</strong> vie était irréel, hypocrite, et impropre au<strong>de</strong>ssein pour lequel Dieu nous a créés.Qu’importaient tous les moyens par lesquels j’essayais<strong>de</strong> compenser ce manque <strong>de</strong> synthèse en ma vie, ce n’étaitque lorsque j’ai cessé <strong>de</strong> vivre selon les règles du mon<strong>de</strong>(visées sur <strong>la</strong> réalisation personnelle et l’indépendance)que j’ai commencé à découvrir une certaine cohérence.J’ai vu alors que je <strong>de</strong>vais faire un choix : je pouvais continuerà vivre ainsi, en négociant avec une multiplicitéd’exigences et <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> mon propre choix ; ou, jepouvais recommencer sur une nouvelle base, différente,où <strong>la</strong> communauté (non pas le soi), le service mutuel(non pas <strong>la</strong> réalisation personnelle), et le royaume <strong>de</strong>Dieu (non pas le mien) serait le point <strong>de</strong> mire.Lorsque Charles et Leslie entendirent parler <strong>de</strong> notre communauté,ils ont voulu visiter, et quelques années plus tardils ont décidé <strong>de</strong> venir pour <strong>de</strong> bon. Non pas qu’ils étaient<strong>de</strong> l’avis que cette vie soit <strong>la</strong> vocation <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>, oumême que « communauté », comme telle, soit le chemin vers<strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Mais ils disent, tous les <strong>de</strong>ux, que <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> qu’ilsressentent aujourd’hui est inséparable <strong>de</strong> l’intégration renduepossible en une vie <strong>de</strong> partage. « Dans <strong>la</strong> communauté,ce qui est personnel ou en commun, ce qui se rapporte à <strong>la</strong>famille ou au travail, ce qui est pratique ou spirituel, ne faitpas concurrence, mais est maintenu en accord intégral grâceà l’engagement mutuel. » Charles continue :Je ne pense pas que cette question <strong>de</strong> <strong>paix</strong> personnelle puissedisparaître complètement. Je continue à avoir du malà accepter le fait que je sois loin <strong>de</strong> ce que Dieu attend <strong>de</strong>moi. Bien que je m’accroche avec confiance à <strong>la</strong> Croix qui236


L A q u ê t e d e l a p a i xcomble le gouffre, je continue à lutter contre l’imperfectionet le péché. Mais l’intention <strong>de</strong> mon cœur, et le cours <strong>de</strong>mes actions ne se contredisent plus : <strong>la</strong> dimension intérieure<strong>de</strong> ma vie s’accor<strong>de</strong> désormais avec <strong>la</strong> dimensionextérieure, et les <strong>de</strong>ux dimensions sont liées, non pas parforce, mais par un sens profond <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu.Aujourd’hui, ayant détrôné mon « moi », je suis plusprêt à abandonner mes projets et mes buts personnels.Dieu règne dans ma vie et <strong>la</strong> régit d’une nouvelle façon.Il m’a donné une plénitu<strong>de</strong> et une <strong>paix</strong> que je n’avaisjamais connues.Dieu nous a créés pour <strong>la</strong> communauté, et pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>générative qui en ressort et qui nous soutient. <strong>La</strong> communautén’est pas une panacée, mais elle nous offre un moyen<strong>de</strong> vivre, où tout converge. Les divisions n’existent plus.Je suis en <strong>paix</strong> avec moi-même, avec les autres, et avecDieu. Si je perds cette <strong>paix</strong>, j’ai un point <strong>de</strong> départ auquelje peux retourner, avec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> mon prochain si besoinest. Ainsi, au lieu <strong>de</strong> chercher <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> par mes propresefforts, je puis m’oublier et me <strong>la</strong>ncer dans quelque chose<strong>de</strong> plus important ; quelque chose qui renoue les aspectsdivers <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie plutôt que <strong>de</strong> <strong>la</strong> fragmenter.Ma <strong>paix</strong> est bien plus qu’une bénédiction personnelle,car elle ne m’appartient pas. Elle appartient à une entitéplus importante, à un corps dont les membres ne sontpas <strong>de</strong>s êtres impersonnels, mais <strong>de</strong>s frères et <strong>de</strong>s sœurs.C’est le don précieux <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu. Et ce qui estétonnant est que cette <strong>paix</strong> est venue en ma vie, non pasen vertu <strong>de</strong> mes efforts, mais parce que mes yeux ont étéouverts, afin <strong>de</strong> dévoiler le « mythe » du perfectionnement<strong>de</strong> l’ego et <strong>de</strong> m’orienter vers <strong>la</strong> réalité d’une vieplus abondante. Par cette expérience nous connaîtrons <strong>la</strong>grâce <strong>de</strong> Dieu. Cependant, c’est aussi un choix.237


•<strong>La</strong> JoieIl n’y a rien que je puisse vous donner, que vous n’ayezdéjà ; mais il y a beaucoup que je ne puis pas vous donner,que vous pouvez prendre. Aucun paradis ne peut nous appartenirsi nos cœurs ne trouvent pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, ici et maintenant.Assaillez les cieux ! Il n’y a pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong> dans l’avenir quine <strong>de</strong>meure occultée dans l’instant présent. <strong>La</strong> mé<strong>la</strong>ncoliedu mon<strong>de</strong> n’est qu’une ombre ; pas très loin d’elle, pourtant,<strong>la</strong> joie est à votre portée. Choisissez <strong>la</strong> joie !Il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire dans l’obscurité, si seulementnous pouvions les discerner ; et, il suffit d’y porter notreregard. Je vous prie <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r. <strong>La</strong> vie est tellement généreuse,mais nous qui jugeons ses dons selon leurs coquil<strong>la</strong>ges,les rejetons comme étant <strong>la</strong>ids, ou lourds, ou durs. Retirez lecoquil<strong>la</strong>ge, et vous trouverez là une splen<strong>de</strong>ur vivante, tisséepuissamment d’amour et <strong>de</strong> sagesse. Accueillez-<strong>la</strong>, saisissez<strong>la</strong>,et vous toucherez <strong>la</strong> main <strong>de</strong> l’ange qui vous l’apporte.Là où nous vivons <strong>de</strong>s épreuves, <strong>de</strong> <strong>la</strong> peine ou du <strong>de</strong>voir,croyez-moi, nous trouverons aussi <strong>la</strong> main <strong>de</strong> cet ange. C’estun don et c’est le miracle d’une présence, qui nous surpasse.Il en est <strong>de</strong> même avec nos joies : n’en soyez pas satisfaitsen tant que joies. Celles-ci, aussi, dissimulent <strong>de</strong>s dons quisont encore plus divins.


L A q u ê t e d e l a p a i xEt, ainsi, à ce moment, je vous salue. Pas tout à fait commele mon<strong>de</strong> vous envoie <strong>de</strong>s salutations, mais avec un profondrespect, et avec <strong>la</strong> prière que pour vous, maintenant et pourtoujours, l’aube apparaisse, et les ombres disparaissent.Fra GiovanniOn estime que <strong>la</strong> critique <strong>la</strong> plus sérieuse <strong>de</strong> Friedrich Nietzscheenvers le christianisme est : « le problème avec leschrétiens, c’est qu’ils n’ont pas <strong>de</strong> joie. » Oui, nous savonsce qu’est le bonheur ; ce qui nous rend heureux ou mêmeextatique. Mais <strong>la</strong> joie ? D’après Molly Kelly, dont je vous airaconté l’histoire auparavant dans ce livre, il y a une gran<strong>de</strong>différence.Nous avons tous <strong>de</strong>s moments heureux au cours <strong>de</strong> nosvies, mais le bonheur n’est pas <strong>la</strong> joie. <strong>La</strong> joie nous vientseulement si nous avons <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Le bonheur n’est souventque superficiel et fugitif ; <strong>la</strong> joie pénètre en notre âme etelle est durable. Le bonheur est une bonne chose ; <strong>la</strong> joiepeut accompagner <strong>la</strong> souffrance. Le bonheur est souventrelié au profit, ou, à un avantage quelconque ; <strong>la</strong> joie vientsouvent avec le renoncement, l’abnégation <strong>de</strong> soi.Donc, <strong>la</strong> joie est évi<strong>de</strong>mment le plus grand <strong>de</strong> ces dons.Pourtant, comme Fra Giovanni le dit, il est souvent précédépar les dons dissimulés <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur.Puisque nous ne pouvons les accepter, les rejetant commetrop durs et <strong>la</strong>ids, nous ne pouvons pas vraiment connaître<strong>la</strong> joie.Peu <strong>de</strong> temps avant sa mort aux mains <strong>de</strong> ses bourreauxnazis, Ewald von Kleist sous-entendait dans ses écritsque beaucoup <strong>de</strong> chrétiens, même quand ils acceptent <strong>la</strong>239


L A q u ê t e d e l a p a i xsouffrance, ne peuvent pas y trouver <strong>la</strong> joie, parce qu’ils setrompent <strong>de</strong> sa nature et <strong>de</strong> sa signification. Il conclut :Il <strong>de</strong>vient plus c<strong>la</strong>ir pour moi que nous, les êtres humains(surtout nous, <strong>de</strong> <strong>la</strong> race b<strong>la</strong>nche, les Européens),avons p<strong>la</strong>cé <strong>de</strong> fausses valeurs sur tout ce qui existe,parce que nous nous sommes aliénés <strong>de</strong> Dieu. Le mon<strong>de</strong>d’aujourd’hui n’attache plus <strong>la</strong> même valeur à <strong>la</strong> vérité.On poursuit <strong>de</strong>s buts éphémères, on ne sait pas ce qu’estle vrai bonheur, ni où le trouver ; on ne sait plus ce donton doit être reconnaissant.Miriam Potts, membre <strong>de</strong> mon Eglise, nous dit que, pourelle, <strong>la</strong> joie, <strong>la</strong> reconnaissance, et <strong>la</strong> <strong>paix</strong> sont inextricablementliées :J’hésite un peu si quelqu’un me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> : « As-tu <strong>la</strong> <strong>paix</strong>dans ton cœur ? Es-tu en <strong>paix</strong> avec Dieu ? » Voilà unequestion à <strong>la</strong>quelle je n’ose à peine répondre. Commentpuis-je le savoir ? Parfois je ne sais même pas si j’ai <strong>la</strong> foi.Mais si quelqu’un me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, « As-tu <strong>de</strong> <strong>la</strong> joie ?Es-tu heureuse ? », alors, je puis répondre aussitôt, <strong>de</strong>tout mon cœur : « oui ! » J’aime mon travail. Je suis heureusequand je peux faire quelque chose pour quelqu’und’autre, comme d’emballer <strong>de</strong>s livres pour les prisonniers.Je suis <strong>la</strong> plus heureuse quand je suis très occupée,jusqu’à ce que je tombe <strong>de</strong> fatigue le soir.Si je ne me sens pas heureuse, il me suffit <strong>de</strong> comptermes bénédictions, <strong>de</strong> penser à tout ce dont je suis reconnaissanteet je suis heureuse <strong>de</strong> nouveau. Mais commentl’être, si je n’ai pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong> ? Peut-être est-ce <strong>la</strong> mêmechose...Quant à Ann (ce n’est pas son vrai nom), sa recherche <strong>de</strong><strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>de</strong> contentement a continué bien longtemps. A240


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>la</strong> fin, elle s’est arrêtée <strong>de</strong> veiller à ses propres intérêts et aabandonné sa vie entre les mains <strong>de</strong> Dieu.Quand je pense à <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, l’amour, <strong>la</strong> joie, et à toutes ceschoses que j’ai recherchées dans ma vie, ce<strong>la</strong> me rappelleune question que mes amis m’ont posée, alors queje venais d’arriver au Bru<strong>de</strong>rhof : pourquoi est-ce qu’unefemme, ayant un mari qui l’aime, <strong>la</strong> santé, quatre beauxenfants, <strong>la</strong> sécurité financière, et une belle <strong>de</strong>meure – désireraittout abandonner et partager sa vie avec d’autrespersonnes ?Pour répondre à cette question avec franchise, jedois premièrement expliquer que ce qu’ils voyaient <strong>de</strong>l’extérieur était bien loin <strong>de</strong> ce qu’ils auraient vu s’ilsavaient pu regar<strong>de</strong>r à l’intérieur <strong>de</strong> mon cœur.Mon mari et moi, étions tous <strong>de</strong>ux très engagés dansnotre Eglise et parmi nos amis <strong>de</strong> <strong>la</strong> congrégation. Nousservions les autres, nous partagions tout avec eux, et nousnous sentions heureux ensemble. Notre reconnaissanceenvers cette confrérie, et notre désir dans cette directionnous a conduits à chercher un engagement plus sérieux,et bientôt nous avons vu que, seul, le christianisme dudimanche, ne suffisait pas – non plus l’étu<strong>de</strong> biblique lemercredi soir. Je me <strong>de</strong>mandai : « Est-ce vraiment suffisant? » J’avais tout ce qu’une femme puisse désirer, oubien que je pouvais atteindre. Cependant, une partie <strong>de</strong> mois’écriait : « Je ne veux pas tout ceci, Il y a sûrement plusdans <strong>la</strong> vie qu’un gentil mari et <strong>de</strong>s enfants, un bon chezsoi,<strong>la</strong> sécurité financière. » Je suis <strong>de</strong>venue désespérée eteffrayée. Pourquoi est-ce que j’étais si malheureuse ?J’avais grandi dans une famille où tout semb<strong>la</strong>it bien, vu<strong>de</strong> l’extérieur. Ma mère et mon père travail<strong>la</strong>ient dur, Papadans une usine et Maman comme ménagère. Nous étionsune <strong>de</strong> ces familles bien catholique, qui ne manquaient241


L A q u ê t e d e l a p a i xjamais <strong>la</strong> messe le dimanche, ne mangeaient jamais <strong>de</strong>vian<strong>de</strong> le vendredi, et nous nous confessions une fois parmois. Dans notre paroisse, on était strict : on ne vou<strong>la</strong>itpas tomber dans un « péché mortel » et périr en enfer.J’ai appris à avoir peur – peur <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s bêtises, peur<strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> ce qu’Il pourrait me faire.Les autres gens nous admiraient, et personne ne voyaitl’enfer que nous vivions. Papa était un homme <strong>de</strong> famille,décent et bon travailleur, et ma mère nous aimait. Quandj’y pense, maintenant, j’en serai toujours reconnaissante.Beaucoup d’enfants grandissent sans parents, il est vrai.Pourtant, bien <strong>de</strong>s enfants, qui ont <strong>de</strong>ux parents et suffisamment<strong>de</strong> nourriture, souffrent autant. Leur mal estsimplement caché – on n’en parle pas – <strong>de</strong>rrière une faça<strong>de</strong>normale, et personne ne sait ce qui se passe vraiment.Personne n’a su, par exemple, que j’ai été abusée sexuellementpar mon frère ainé pendant trois ans, <strong>de</strong>puisque j’avais six ans et jusqu’à ce qu’il ait trouvé une copine.Personne ne savait comment ma jeune sœur instablea été battue par mon père, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> famille rassemblée,avec une ceinture <strong>de</strong> cuir simplement parce qu’il ne pouvaitpas <strong>la</strong> tolérer, et sa colère l’a emportée. Personne nesavait qu’une petite chose comme renversant acci<strong>de</strong>ntellementle <strong>la</strong>it pendant le dîner suffisait à enrager Papa,ce qui durait parfois pendant <strong>de</strong>ux heures.Nous avions peur <strong>de</strong> faire une erreur et rendre Papafurieux. Après tout, il buvait six canettes <strong>de</strong> bière et mêmeplus, chaque soir en retournant <strong>de</strong> son travail, et encoreplus <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> semaine. Quand il se mettait en colère aprèsavoir bu, ce qui se passait plusieurs fois par semaine, ily avait peu que nous pouvions faire, alors, ni nous, nimaman qui souffrait tout silencieusement. Toute <strong>la</strong> soirée,il continuait <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncer ses tira<strong>de</strong>s, traitant ma mère <strong>de</strong>toutes sortes d’obscénités, et frappant du poing <strong>la</strong> table.242


L A q u ê t e d e l a p a i xTard dans <strong>la</strong> nuit, nous l’entendions encore hurlerparce que ma mère ne vou<strong>la</strong>it pas d’« intimité ». Nous,les enfants, nous nous bouchions les oreilles avec nosoreillers, nous nous enfuyions <strong>de</strong> chez nous pour allerchercher un ami, ou mettions <strong>la</strong> télé à plein volume.Nous étions apeurés, déroutés, confus, et ne savionsque faire.Ce que je faisais, afin d’échapper à cette douleur, a été<strong>de</strong> chanter. Je chantais sans cesse ; et ceci aggravait mesfrères et sœurs. « Alors, au moins je ne me bats pas »,disais-je. Je ne le savais pas alors bien sûr mais meschansons étaient l’exutoire à mon angoisse. Je ne mesentais pas aimée, et j’aurais tellement aimé le contraire.Je pensai que si seulement j’étais sage et me comportaiscorrectement, les autres seraient heureux. Si seulementil y avait <strong>la</strong> <strong>paix</strong> chez nous, je serais heureuse. En grandissant,je sentais que je ne pouvais rien faire <strong>de</strong> bien,et que je ne va<strong>la</strong>is pas grand-chose <strong>de</strong> toute façon. Cecis’empira, lors <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> mon adolescence et je mesuis impliquée dans toutes sortes <strong>de</strong> perversités. Le pire,c’était que tout ce<strong>la</strong> restait caché, <strong>la</strong> misère <strong>de</strong> mon enfance,les péchés <strong>de</strong> l’adolescence...A l’extérieur j’étais une jeune fille « normale », « décente», même « religieuse ». Cependant, à l’intérieur,j’étais tourmentée et malheureuse. Ma vie était un vraimensonge. Quand je me suis mariée, j’espérais que mesproblèmes s’arrangeraient, mais ils ont continué. Toutcomme mon enfance et ma jeunesse, mon mariage semb<strong>la</strong>itbeau <strong>de</strong> loin, mais en vérité, ça al<strong>la</strong>it mal.Alors que j’étais encore petite, je savais que j’avaisbesoin <strong>de</strong> Dieu, et mon désespoir me forçait à prier. Nonpas que je pensais que Dieu m’ai<strong>de</strong>rait. Je ne croyais pasque Dieu puisse m’aimer. J’étais mauvaise et convaincueque Dieu ne pouvait aimer quelqu’un comme moi. Plus243


L A q u ê t e d e l a p a i xje désirais être aimée, plus je m’endurcissais, et <strong>de</strong>venaisincapable d’accepter l’amour.Maintenant, femme mariée avec une famille grandissante,je n’avais toujours pas trouvé <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. J’avaisvécu avec mes doutes et ma haine <strong>de</strong> moi-même pendantlongtemps, et je commençais à transférer ces sentimentsà tous les autres. Je détestais le mon<strong>de</strong> entier. Irritée, jeme sentais rejetée, sans valeur. J’étais une vraie loquehumaine.Plus que tout, j’avais besoin <strong>de</strong> me libérer <strong>de</strong> <strong>la</strong> douleur<strong>de</strong> mon passé, mais je m’y prenais mal. En vérité, je recherchaiune seule chose, avec une passion désespérée :je vou<strong>la</strong>is être aimée. Je cherchais l’amour chez mon mari,Bob, et je sentais qu’il n’a pas réussi à me le donner ; jene le trouvais pas, non plus, chez mes amis. J’ai cru queje le recherchais aussi en Dieu ; je me suis rendue à uncentre <strong>de</strong> prière chrétien, espérant recevoir <strong>de</strong>s conseilset afin <strong>de</strong> prier pour <strong>la</strong> guérison. « Jésus vous aime, et Ilvous pardonne, » m’ont-ils dit. Mais ceci restait abstraitpour moi. Je ne pouvais pas ressentir son amour. Il sepeut que j’aie été aidée quelque peu, mais ce<strong>la</strong> ne m’apas donné <strong>de</strong> <strong>paix</strong> durable dans mon cœur. Cependant,je ne vou<strong>la</strong>is pas jeter l’éponge.Il y a quelques années, nous nous sommes décidés àjoindre le Bru<strong>de</strong>rhof. Nous sentions que Dieu nous appe<strong>la</strong>ità vivre en communauté ; répondre à cet appel nousa procuré une libération et une gran<strong>de</strong> joie. Nous avonsvendu notre maison et payé nos <strong>de</strong>ttes ; puis nous avonsdéménagé. Après environ dix-huit mois au Bru<strong>de</strong>rhof,nous <strong>de</strong>mandions <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir membres à part entière.Lors une sorte <strong>de</strong> retraite préparatoire, nous avonsessayé d’ouvrir nos cœurs à Dieu et aux frères et sœursdans <strong>la</strong> communauté, et <strong>de</strong> réfléchir sérieusement sur <strong>la</strong>suite <strong>de</strong>s évènements <strong>de</strong> nos vies jusque-là. Ce procédé244


L A q u ê t e d e l a p a i xa été, en vérité, ré<strong>de</strong>mpteur, mais <strong>de</strong> même, très douloureux,car il nous a conduit à réaliser que notre mariageétait en péril. Nous avons compris que nous <strong>de</strong>vions confronterfranchement <strong>la</strong> situation et faire face une fois pourtoute aux exigences <strong>de</strong> Dieu. Nous avons alors <strong>de</strong>mandé<strong>de</strong> quitter <strong>la</strong> communauté ; nous sentions avoir besoin<strong>de</strong> temps et d’espace, en tant que couple et parents, pourréfléchir sur ce qu’était notre désir au plus profond <strong>de</strong>notre cœur. <strong>La</strong> communauté nous a soutenus avec amourdans cette décision, et nous a aidés à nous installer dansun logement particulier et à trouver du travail pour Bob.C’est lors <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> difficile que j’ai trouvé <strong>la</strong><strong>paix</strong> – Jésus. Mais il m’a fallu d’abord avoir l’humilité <strong>de</strong>reconnaître combien j’étais égocentrique, désirant monbonheur personnel, et, en plus, combien j’avais <strong>de</strong> haineenvers mon mari, imaginant qu’il n’a pas réussi à me donnerce qu’il me fal<strong>la</strong>it – l’amour que je désirais tellement.En effet, Bob m’avait fait défaut plus d’une fois, maisj’ai finalement compris que je n’étais qu’une sangsueémotionnelle, pour ainsi dire. Depuis <strong>de</strong>s années, j’avaissapé le peu d’amour qu’il avait, et c’était <strong>de</strong> ma faute. J’aipu, enfin, admettre que mon amour-propre était <strong>la</strong> vraiecause <strong>de</strong> ma misère.J’ai prié Dieu <strong>de</strong> m’ai<strong>de</strong>r, et j’étais cette fois sûre qu’Ille ferait. Soudain, j’ai ressenti du remords pour avoir sisouvent offensé mon prochain, au lieu d’avoir pitié <strong>de</strong>moi-même. Pour <strong>la</strong> première fois <strong>de</strong> ma vie, j’ai ressenti ledésir <strong>de</strong> pardonner à ceux qui m’avaient blessée, surtoutà mon père. J’ai ressenti du remords envers Dieu, aussi,et en retour j’ai reçu son amour, et son pardon.Lors <strong>de</strong> ces jours, un passage <strong>de</strong> l’Evangile <strong>de</strong> Marcm’est venu à l’esprit, et est <strong>de</strong>venu réel pour moi – ceslignes à propos <strong>de</strong> ceux qui nécessitent un mé<strong>de</strong>cin : « Cene sont pas les bien portants qui ont besoin <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cin,245


L A q u ê t e d e l a p a i xmais les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. Je ne suis pas venu appeler <strong>de</strong>s justes,mais <strong>de</strong>s pécheurs… » (Marc 2.17).Quel sou<strong>la</strong>gement m’a envahi ! J’avais été aveuglependant <strong>de</strong>s années, et maintenant, tout à coup je commençaisà voir ce qu’était le bonheur. Cette révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>l’amour <strong>de</strong> Dieu envers moi, un pécheur, a été écrasante.Ceci est <strong>de</strong>venu <strong>la</strong> pierre angu<strong>la</strong>ire <strong>de</strong> ma nouvelle foi etm’a donné une joie nouvelle dans mon cœur.A mesure que Bob et Ann se mirent à réfléchir ensemble, ils sevoyaient sous un nouveau jour. Ils purent se pardonner mutuellementpour tout ce qui avait rendu leur mariage misérable,et puis, oublier le passé. Bientôt, ils retournèrent à <strong>la</strong> communautéet furent reçus comme frère et sœur. Ann continue :Et <strong>la</strong> vie, comment continue-t-elle ? Si on trouve <strong>la</strong> <strong>paix</strong>,est-ce qu’on l’a pour toujours ? Je ne suis pas toujoursen <strong>paix</strong>. Je ne suis pas toujours restée fidèle à l’amour<strong>de</strong> Dieu. Je lutte encore quelquefois contre l’anxiété, ouje tombe dans les anciens soucis, et les anciennes peurs.Je lutte toujours pour une franchise authentique, et nonpas simplement vouloir p<strong>la</strong>ire aux gens et gagner leurapprobation. Mais quand tout m’écrase, je <strong>la</strong>nce ce défi :« Jésus est vainqueur, dans mon cœur, dans mon corps,dans mon âme ! »Je serai toujours une pécheresse. C’est ainsi, que je suisvenue tout d’abord à Dieu, non pas comme une personnevertueuse. Mais il n’est pas bon <strong>de</strong> perdre du temps et <strong>de</strong>l’énergie à y penser. Il y a assez à faire dans <strong>la</strong> lutte pourle royaume <strong>de</strong> Dieu. Plus je me donne à cette tâche, servirles autres et m’oublier moi-même, plus je suis heureuse.Ceux qui cherchent à faire du bien aux autres, peu importele service, réalisent un épanouissement. Parfois, jetrouve le bonheur en gardant un bébé, ou en nettoyant ;246


L A q u ê t e d e l a p a i xun autre jour, en préparant un repas pour quelqu’un,ou en <strong>la</strong>vant leur linge. Je suis reconnaissante d’avoirquelquefois <strong>la</strong> chance <strong>de</strong> soigner une personne âgée.Certes, j’ai encore <strong>de</strong>s cicatrices, mais on m’acceptecomme je suis. Au services <strong>de</strong> mes semb<strong>la</strong>bles, j’ai reçuun don que je n’avais jamais trouvé lors <strong>de</strong> ma rechercheégocentrique : une joie pure.247


•L’ActionLe temps, en soi, est neutre ; on peut s’en servir pour détruire,ou construire. De plus en plus, je trouve que lespersonnes <strong>de</strong> mauvaise volonté ont employé leur tempsplus efficacement que les personnes <strong>de</strong> bonne volonté. Ilnous faudra nous repentir, en cette génération, non seulementpour les paroles et les actions odieuses <strong>de</strong> mauvaisesgens, mais surtout pour le silence odieux <strong>de</strong>s personnes <strong>de</strong>bonne volonté. Le progrès humain ne roule jamais sur lesroues <strong>de</strong> l’inévitabilité ; il vient seulement au travers <strong>de</strong>sefforts infatigables <strong>de</strong>s personnes qui ont <strong>la</strong> bonne volonté<strong>de</strong> travailler avec Dieu, et, sans ce travail assidu, le tempslui-même <strong>de</strong>vient complice <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> stagnation.Martin Luther KingSi le lecteur a compris quelque chose, jusqu’ici, c’est que<strong>la</strong> <strong>paix</strong> ne signifie pas l’inactivité. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> peut inclure lecalme ou le repos. <strong>La</strong> parole <strong>de</strong> Saint Augustin, si souvent répétée– « Mon cœur n’a pas <strong>de</strong> repos, à moins qu’il ne reposeen Toi » – contient une vérité profon<strong>de</strong>. Cependant, qu’est-ceque le repos en Dieu ? Est-ce <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>isance, <strong>la</strong> passivité ?Le don <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est une réponse à un désir non réalisé; ce don met une fin à l’usure <strong>de</strong>structive du doute et


L A q u ê t e d e l a p a i xdu péché. C’est <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> et <strong>la</strong> guérison. Mais bien qu’enétant tout ceci, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est aussi un appel à l’action et à unevie nouvelle. <strong>La</strong> prière et <strong>la</strong> méditation peuvent nous ai<strong>de</strong>rà l’atteindre, mais ceci ne suffit pas. Car <strong>la</strong> <strong>paix</strong> entraîneavec elle <strong>de</strong> nouvelles obligations, une nouvelle énergie, etune nouvelle créativité. Comme une graine dans <strong>la</strong> terre,elle germe silencieusement et invisiblement, puis alors, elledébor<strong>de</strong> <strong>de</strong> vitalité, se déploie, fleurit, et finalement, fructifie.Dans son livre Inner <strong>La</strong>nd (Le pays intérieur), mon grandpèreécrit que <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s temps n’est pas <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l’activité :« Le portail <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ville sur <strong>la</strong> Colline n’est pas fermé, maisil reste ouvert. » Dans ce même sens, nous qui avons reçule don <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ne <strong>de</strong>vons pas le gar<strong>de</strong>r pour nous seuls,évitant d’entendre le bruit autour <strong>de</strong> nous et ignorant <strong>la</strong> situation<strong>de</strong>s autres qui n’ont pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Il est bien bon d’être parvenu à avoir <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> tranquillitéau cours <strong>de</strong> cette vie ; cependant ces personnesont alors souvent <strong>la</strong> tendance si humaine à ignorer ceque Jésus désire vraiment : une fois que notre âme, tropchargée, est renouvelée, elle doit alors <strong>de</strong>venir une source<strong>de</strong> force et d’énergie. Si nous nous enfonçons mollementdans un silence stupéfait, nous nous rendons inutile à <strong>la</strong>vie à <strong>la</strong>quelle Jésus nous appelle.Du point <strong>de</strong> vue du Bouddhisme engagé, avec une importanceparticulière donnée à <strong>la</strong> méditation et l’engagement <strong>de</strong> compassionenvers les autres, Thich Nhat Hanh se souvient <strong>de</strong> <strong>la</strong>guerre au Vietnam, et du dilemme que ceci lui a posé. Le fruit<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> : était-ce <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion, ou était-ce l’action ?Tant <strong>de</strong> nos vil<strong>la</strong>ges étaient bombardés. Il fal<strong>la</strong>it que nousnous décidions quoi faire, moi et mes frères et sœurs.249


L A q u ê t e d e l a p a i xDevrions-nous continuer à prier et méditer au sein <strong>de</strong> nosmonastères, ou <strong>de</strong>vrions-nous plutôt quitter nos salles<strong>de</strong> méditation afin d’ai<strong>de</strong>r nos concitoyens souffrant sousles bombar<strong>de</strong>ments ? Après avoir profondément réfléchi,nous avons décidé <strong>de</strong> faire les <strong>de</strong>ux – d’aller à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>sautres, mais tout en continuant dans un esprit <strong>de</strong> méditationengagée. Une fois qu’on voit, c’est le temps d’agir.Autrement, à quoi est-ce que ça sert <strong>de</strong> voir ?Si nous cherchons à vivre en <strong>paix</strong> avec nos semb<strong>la</strong>bles, certainesresponsabilités inéluctables nous incombent, et nous<strong>de</strong>vons nous en emparer comme Thich Nhat Hanh et sesmoines l’ont fait. Nous ne pouvons pas choisir <strong>de</strong> vivre enharmonie avec Dieu seulement, ni seulement avec nousmêmes,à l’exclusion <strong>de</strong>s autres.Après que ma mère s’est jointe au Bru<strong>de</strong>rhof au début <strong>de</strong><strong>la</strong> vingtaine, elle lutta pendant <strong>de</strong>s mois, afin <strong>de</strong> discernerce que signifiait vraiment <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Elle désirait se dévouerentièrement à Dieu, cependant, en même temps, une questionque sa famille et ses amies lui avait posée <strong>la</strong> troub<strong>la</strong>it :Comment pourrait-elle œuvrer pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du mon<strong>de</strong> si ellen’y était plus ?Dans une lettre à sa mère, elle admit qu’elle n’avait pas <strong>de</strong>réponse infaillible, mais qu’elle était tout à fait sûre d’unechose : afin <strong>de</strong> vivre pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, elle était obligée à quitter<strong>la</strong> discor<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie bourgeoise, et prendre une autre ligne<strong>de</strong> conduite. Ceci ne vou<strong>la</strong>it pas dire, nécessairement, unevie d’inactivité pieuse :Notre communauté ne recherche pas <strong>la</strong> <strong>paix</strong> d’une vied’ermite ; elle ne rejette pas, non plus, le mon<strong>de</strong> et seshabitants, <strong>de</strong> façon à pouvoir tranquillement poursuivre ses250


L A q u ê t e d e l a p a i xpropres <strong>de</strong>sseins. Non ! Nous nous intéressons activementaux évènements courants, nationaux et internationaux, <strong>de</strong>façon à être conduits ensemble vers l’action et à prendreune position nette... Nous n’avons pas peur d’exprimer nosconvictions, franchement et avec force, et <strong>de</strong> les mettre enpratique à <strong>la</strong> vue <strong>de</strong> tous. Voilà ce qui compte. Il ne s’agitpas <strong>de</strong> nous entourer <strong>de</strong>s murs d’un monastère pour suivreen <strong>paix</strong> le chemin que nous avons choisi.« <strong>La</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> tranquillité » étaient exactement l’opposé<strong>de</strong> ce que ma mère recherchait et c’est le cas pour bien <strong>de</strong>sgens qui ont rejeté <strong>la</strong> course folle et futile <strong>de</strong> <strong>la</strong> bourgeoisie.<strong>La</strong> quête <strong>de</strong> <strong>paix</strong> est suscitée par un désir <strong>de</strong> trouver une viequi est plus profon<strong>de</strong> et épanouie, pas une vie plus vi<strong>de</strong>. Lesvétérans et hommes d’affaires, les femmes au foyer et lesprêtres, ceux qui abandonnent l’école et les professionnels<strong>de</strong> l’éducation : tous m’ont dit que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> n’est pas qu’unequestion <strong>de</strong> dire non à <strong>la</strong> violence, <strong>la</strong> convoitise, <strong>la</strong> cupiditéou l’hypocrisie. Ce<strong>la</strong> signifie dire oui à quelque chose quiremp<strong>la</strong>ce tout ce<strong>la</strong>.Dans un chapitre antérieur, j’ai parlé <strong>de</strong> John Winter, quiavait travaillé dans un <strong>la</strong>boratoire, mais avait quitté son emploiquand il découvrit que sa compagnie était impliquéedans <strong>de</strong>s essais <strong>de</strong> munitions. Il dit :J’étais contre <strong>la</strong> violence, je recherchais <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, mais j’aibientôt compris que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est bien plus que l’absence<strong>de</strong> guerre. J’étais fatigué <strong>de</strong> toujours expliquer que je nepouvais pas m’engager dans l’armée. Que <strong>de</strong>vrais-je faire ?Je cherchais une alternative à <strong>la</strong> guerre, pas seulement<strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre. Je vou<strong>la</strong>is me mettre sur une voiedifférente. Je vou<strong>la</strong>is vivre pour un objectif positif, passeulement lutter contre le statu quo.251


L A q u ê t e d e l a p a i xGertrud Dalgas, maîtresse d’école qui se joignit à mes grandsparents et leur petite communauté en 1921, peu <strong>de</strong> moisaprès <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté, était du même avis.A cette époque, elle écrivit cet article, dans un magazine :Notre vision est <strong>de</strong> réaliser un royaume <strong>de</strong> <strong>paix</strong> et <strong>de</strong> nonviolence,un royaume <strong>de</strong> liberté, qui a son fond en Dieu.<strong>La</strong> critique et <strong>la</strong> rejection <strong>de</strong>s conditions actuelles exigent<strong>de</strong> nous une contre-mesure positive, un exemple. Précisémentparce que nous critiquons le capitalisme, <strong>la</strong> haineentre les c<strong>la</strong>sses, le meurtre, <strong>la</strong> guerre, et l’hypocrisie dans<strong>la</strong> société, nous nous sentons obligés d’oser vivre d’unefaçon totalement différente. Nous ne sommes que peu <strong>de</strong>gens, provenant <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>sses et professions variées. Cependant,nous ne refusons pas simplement <strong>de</strong> porter <strong>de</strong>sarmes ou <strong>de</strong> rejeter les valeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> société comme telles,d’une façon négative. Nous érigeons <strong>la</strong> communauté,en opposition aux exigences <strong>de</strong> l’Etat, <strong>de</strong> l’Eglise, <strong>de</strong> <strong>la</strong>propriété privée, et tout privilège économique ou social.Ni Gertrud, ni John, ni personne <strong>de</strong> ceux que j’ai cités, nevoudraient prétendre que <strong>la</strong> réponse aux problèmes dansle mon<strong>de</strong> soit <strong>la</strong> communauté en elle-même, surtout pas leBru<strong>de</strong>rhof. Mais ils seraient certainement <strong>de</strong> l’avis que si <strong>la</strong><strong>paix</strong> signifie l’action et l’engagement, ce<strong>la</strong> exige un combat.Ainsi pense Dick Thomson, diplômé <strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> Cornell,que je connais <strong>de</strong>puis quarante ans. Il écrit :En tant que jeune homme âgé <strong>de</strong> vingt ans, je savais bienque <strong>la</strong> <strong>paix</strong> serait difficile à trouver dans ce mon<strong>de</strong>. J’aigrandi pendant <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> guerre mondiale ; les journauxétaient pleins <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières nouvelles <strong>de</strong> guerre et<strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>, culminant avec l’explosion <strong>de</strong> <strong>la</strong> bombeatomique sur le Japon. Je me souviens bien <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte252


L A q u ê t e d e l a p a i xentre le syndicat <strong>de</strong> mineurs <strong>de</strong> John L. Lewis et les grandsdirigeants. Ma mère a voté en faveur <strong>de</strong>s Démocrates,tandis que mon père a voté en faveur <strong>de</strong>s Républicains,mais ni l’un ni l’autre ne par<strong>la</strong>it <strong>de</strong> Dieu. Je n’étais pasattiré par <strong>la</strong> religion, qui ne m’offrait pas, en tout cas, <strong>de</strong>l’espérance.Si j’avais un dieu, c’était <strong>la</strong> science et le cerveau humain,et j’ai été encouragé à penser que le mien était bien éveillé.Cependant, combien peu étais-je conscient du manque<strong>de</strong> <strong>paix</strong> dans le mon<strong>de</strong> – ou en moi, d’ailleurs – n’ayantjamais souffert <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, <strong>la</strong> misère, l’oppression, <strong>la</strong>ma<strong>la</strong>die sérieuse, ou quelque autre défi moral qui soit, queje n’arriverais pas à maîtriser. Cependant, en vieillissantj’ai été poursuivi par un sens <strong>de</strong> culpabilité face aux vicesque je ne pouvais pas surmonter, et par un sentiment <strong>de</strong>discor<strong>de</strong> intérieure qui est <strong>de</strong>venu d’autant plus intenseque j’essayais <strong>de</strong> le résoudre.Jésus nous dit : « Je vous <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, je vous donnema <strong>paix</strong>. Je ne vous <strong>la</strong> donne pas comme le mon<strong>de</strong> donne »(Jean 14.27). Il ajoute pourtant : « Ne croyez pas que jesois venu apporter <strong>la</strong> <strong>paix</strong> sur <strong>la</strong> terre! Je ne suis pas venuapporter <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, mais l’épée » (Matthieu 10.34).Au Bru<strong>de</strong>rhof j’ai rencontré <strong>de</strong>s gens ordinaires quiétaient convaincus qu’ils s’étaient engagés dans <strong>la</strong> batailleprincipale qui mène à <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> joie. Ils savaient pourquoi (et pour qui) ils combattaient. Ils étaient prêts àconfronter n’importe quelle souffrance ou misère paramour pour leur Seigneur.Voilà une <strong>paix</strong> qui m’a frappé droit au cœur : non pasune <strong>paix</strong> qui vient en se retranchant dans le silence ou <strong>la</strong>passivité mortelle. C’est justement le contraire : c’est <strong>la</strong><strong>paix</strong> du pardon et d’un nouveau départ, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du courage,et d’une opposition franche au mal sous quelqueforme qui soit, accompagnée <strong>de</strong> l’amour du prochain.253


L A q u ê t e d e l a p a i xLorsque je <strong>de</strong>mandais d’où venaient cette <strong>paix</strong> et cettejoie, que je n’avais jamais connues auparavant, on m’adit : « <strong>de</strong> Jésus Christ. » Sans l’avoir vu moi-même, je nel’aurais pas cru, mais ceci était <strong>la</strong> réalité. Et c’est alorsque j’ai réalisé qu’enfin j’avais trouvé <strong>la</strong> bataille à <strong>la</strong>quelleje <strong>de</strong>vais consacrer ma vie.Je sais que cette expérience n’est pas unique au Bru<strong>de</strong>rhof,et que le royaume <strong>de</strong> Dieu n’est pas limité à ceuxqui s’appellent chrétiens. L’idée <strong>de</strong> trouver <strong>la</strong> <strong>paix</strong> « au<strong>de</strong>dansdu conflit » se trouve dans les écrits <strong>de</strong>s premiersQuakers – George Fox, Isaac Pennington – et beaucoupd’autres <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>, qui ont éprouvé <strong>la</strong> renaissance<strong>de</strong> leur foi au milieu <strong>de</strong>s cendres mortes d’une religiositéformelle. C’est même là, parmi les prisonniers politiques,ou <strong>de</strong> conscience que je connais. Ces hommes et cesfemmes parlent un <strong>la</strong>ngage différent, et mènent une vieplus radicale que le Bru<strong>de</strong>rhof, mais ils se rapprochent encœur et en esprit <strong>de</strong> ce que j’ai essayé <strong>de</strong> décrire, mêmesi les journaux les ont traités injustement <strong>de</strong> radicauxinsensés à cause <strong>de</strong> leur position impopu<strong>la</strong>ire à l’égard<strong>de</strong>s races et <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice sociale. On sent que, malgré lesépreuves qu’ils ont souffertes, ils possè<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> joie et <strong>la</strong><strong>paix</strong>. Ils sont passionnés, mais non pas violents ou irrationnels.Et ils savent pourquoi ils luttent : afin <strong>de</strong> révéler<strong>la</strong> vérité telle qu’ils l’ont reconnue, et <strong>de</strong> s’y tenir.En plus, quand je suis venu au Bru<strong>de</strong>rhof, jeune hommeincertain, c’est cette <strong>paix</strong> même qui m’a ému ; elle rayonnait<strong>de</strong> ces personnes qui savaient dans quel combat ellesétaient engagées, quelle guerre elles livraient.<strong>La</strong> <strong>paix</strong>, l’amour ou <strong>la</strong> joie que Dieu nous donne Luiappartiennent toujours. Nous ne pouvons pas les prendre; elles ne nous appartiennent pas. Elles nous sontdisponibles tant que Dieu veut nous les donner. Si nousperdons ces dons ou notre é<strong>la</strong>n dans <strong>la</strong> lutte, quelle qu’en254


L A q u ê t e d e l a p a i xsoit <strong>la</strong> raison, Dieu les tient toujours entre ses mains, etnous pouvons toujours les retrouver.Nous ne pouvons pas nous servir du don <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> :il se sert <strong>de</strong> nous ! Au point où notre propre volonté s’enempare, nous le perdons. Mais justement c’est là notrerichesse : nous savons où le retrouver.L’auteur Amy Carmichael se sert <strong>de</strong> l’image d’un champ <strong>de</strong>bataille pour décrire <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Elle dit que le soldat qui reste aulit pendant <strong>la</strong> bataille ne possè<strong>de</strong>ra pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, sinon celuiqui y perd sa vie. Il est fort probable que ceux qui combattentauprès du général seront blessés, mais c’est eux qui auront<strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>.On parle beaucoup <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ; tout le mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> désire. Personnen’est contre. Mais qui est-ce qui est prêt à s’engagerafin qu’elle <strong>de</strong>vienne une réalité concrète ? Pour chaque personne,l’appel à l’action prend une forme différente. Pourl’une, l’appel peut conduire à un engagement dans quelqueactivité, pour une autre, à vivre en communauté et pour uneautre, à quelque œuvre complètement différente. Ce<strong>la</strong> peutsignifier tout simplement d’être une voix <strong>de</strong> réconciliationau lieu <strong>de</strong> travail, ou d’essayer d’avoir plus <strong>de</strong> tolérance etd’amour chez soi.Une gran<strong>de</strong> action paraît plus noble qu’un acte mondain etinaperçu, mais elle peut aussi nous distraire <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs quenous <strong>de</strong>vons accomplir au moment-même. Elle peut meneraussi à une dureté <strong>de</strong> cœur envers ceux qui ont le plus besoin<strong>de</strong> nous. Jean Vanier nous avertit : « Quelquefois il est plusfacile d’entendre les cris lointains <strong>de</strong>s pauvres et opprimés queles cris <strong>de</strong>s frères et sœurs dans notre propre communauté. Iln’y a aucune noblesse à intervenir auprès <strong>de</strong> celui qui nouscôtoie jour après jour, et qui nous énerve. »255


L A q u ê t e d e l a p a i xOù que nous soyons, et quoique nous faisions, il y auratoujours <strong>de</strong>s sacrifices à faire, <strong>de</strong>s engagements à remplir sinous désirons que notre <strong>paix</strong> soit fructueuse. Car, contrairementà cette fausse <strong>paix</strong> qui mé<strong>la</strong>nge tout et ne nous engageà rien, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> <strong>de</strong> Dieu, comme un vent tonifiant, déb<strong>la</strong>ie lechemin <strong>de</strong> tout obstacle.Si nous ne recherchons qu’une rencontre avec Jésus quinous édifie personnellement, nous ne comprenons pas<strong>la</strong> signification <strong>de</strong> Sa gran<strong>de</strong> cause. Voilà pourquoi noussommes exhortés à rechercher d’abord le royaume <strong>de</strong>Dieu et sa justice, afin d’être dignes, non seulement <strong>de</strong>recevoir une bénédiction personnelle, mais <strong>de</strong> combattrepour Son royaume.Vivons donc plus intensément dans l’attente du Seigneur! Si nous ne l’attendons pas dans toutes les sphères<strong>de</strong> notre vie, nous ne l’attendons pas du tout. Je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>chaque jour : ai-je assez espéré, assez lutté, assezaimé ? Notre espérance du royaume doit nous conduireaux actes.J. Heinrich Arnold256


•<strong>La</strong> JusticeLe motif, c’est l’amour <strong>de</strong>s frères, et nous sommes appelés àaimer notre frère. Si <strong>la</strong> religion a tellement négligé le besoin<strong>de</strong>s pauvres et <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> masse <strong>de</strong>s ouvriers, et leur apermis <strong>de</strong> vivre dans une <strong>de</strong>stitution horrible, tout en lesréconfortant avec <strong>la</strong> promesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie après <strong>la</strong> mort, dans<strong>la</strong>quelle il n’y aura plus <strong>de</strong> <strong>la</strong>rmes, eh bien alors, cette religionest suspecte. Qui est-ce qui croirait un tel conso<strong>la</strong>teur<strong>de</strong> Job ? D’un autre côté, si ceux qui se disent être religieuxvivaient avec les pauvres, travail<strong>la</strong>ient pour améliorer leursort et risquaient leurs vies comme les révolutionnaires lefont, et comme les organisateurs <strong>de</strong>s syndicats l’ont fait dansle passé, alors les promesses <strong>de</strong> <strong>la</strong> gloire à venir, sonneraientvraies. <strong>La</strong> Croix est suivie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Résurrection.Dorothy DayDe tous les slogans qu’on entend aux démonstrations etrassemblements <strong>de</strong> notre temps, un <strong>de</strong>s plus simpleset <strong>de</strong>s plus forts, c’est « Pas <strong>de</strong> justice, pas <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. » S’il estimportant <strong>de</strong> parler ou d’écrire à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, alorsprier et travailler pour <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, d’une manière pratique, estencore plus important. Mais, en fin <strong>de</strong> compte, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> n’estvéritable que si elle est suivie <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice.


L A q u ê t e d e l a p a i xDans <strong>la</strong> Lettre <strong>de</strong> Jacques nous lisons : « Mes frères etsœurs, que sert-il à quelqu’un <strong>de</strong> dire qu’il a <strong>la</strong> foi, s’il n’apas les œuvres? Cette foi peut-elle le sauver? Si un frère ouune sœur sont nus et manquent <strong>de</strong> nourriture, et que l’un<strong>de</strong> vous leur dise: «Partez en <strong>paix</strong>, mettez-vous au chaud etrassasiez-vous» sans pourvoir à leurs besoins physiques, àquoi ce<strong>la</strong> sert-il ? » (Jacques 2.14-16). Et Christophe Blumhardtécrit : « Au bout du compte, notre vie spirituelle n’aaucun sens si elle ne produit pas <strong>de</strong>s fruits terrestres quisont tangibles et visibles. »De même que l’inégalité sociale, l’oppression, l’esc<strong>la</strong>vageet <strong>la</strong> guerre vont <strong>de</strong> pair avec <strong>la</strong> dissension et <strong>la</strong> division,ainsi <strong>la</strong> <strong>paix</strong> doit aller <strong>de</strong> pair avec <strong>la</strong> justice, car <strong>la</strong> justiceprospère là où ces choses sont surmontées. Quand on penseà l’état <strong>de</strong> notre p<strong>la</strong>nète aujourd’hui, il n’y a rien <strong>de</strong> surprenantque les gens rejettent <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et <strong>la</strong> justice comme étant<strong>de</strong> <strong>la</strong> folie utopique. Comment est-il possible d’être en <strong>paix</strong>,<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt-ils, quand le tourment et l’angoisse prédominent,et les accumu<strong>la</strong>tions d’armements <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction semoquent <strong>de</strong> l’idée même <strong>de</strong> <strong>la</strong> survie ? Comment peut-il yavoir <strong>de</strong> justice, quand les caprices d’une poignée d’hommespuissants et riches provoquent <strong>de</strong> grands ravages dans <strong>la</strong> vie<strong>de</strong>s millions sur notre terre ? Il y a 60 ans, dans un écrit sur<strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion entre <strong>la</strong> propriété privée et <strong>la</strong> guerre, mon grandpèrea dit : « Il n’y a plus <strong>de</strong> justice. <strong>La</strong> stupidité règne. »Que dirait-il, aujourd’hui ?Quelques-uns insistent que l’esprit <strong>de</strong> <strong>paix</strong> est toujoursen vie, même si, ici et là, il est dissimulé sous le manteau <strong>de</strong>l’hypocrisie. Je n’en suis pas si sûre. A moins que <strong>la</strong> justiceet <strong>la</strong> <strong>paix</strong> que nous prêchons reposent sur <strong>de</strong>s actes, ce ne258


L A q u ê t e d e l a p a i xsont que <strong>de</strong>s phrases vi<strong>de</strong>s. Nous sommes <strong>de</strong>s imposteurs,comme ceux dont Jérémie se p<strong>la</strong>int : « Ils remédient superficiellementau désastre <strong>de</strong> mon peuple: ‘Tout va bien! Toutva bien!’ disent-ils, mais rien ne va » (Jérémie 6.14).Par contre, même si nous ne réussissons pas à <strong>de</strong>meurerfidèles à <strong>la</strong> vision du royaume <strong>de</strong> Dieu ou <strong>de</strong> vivre selon SonEsprit, ce<strong>la</strong> ne change en rien le fait que Dieu est toujoursun Dieu <strong>de</strong> <strong>paix</strong>. Son règne est un règne <strong>de</strong> justice, <strong>de</strong> vérité,et d’amour. Si notre foi est une imposture, ce n’est pas <strong>de</strong> safaute, sinon <strong>la</strong> nôtre. « C’est vraiment dommage que <strong>la</strong> venuedu Christ ait été suivie <strong>de</strong> si près par celle <strong>de</strong>s Chrétiens. »(Annie Dil<strong>la</strong>rd).<strong>La</strong> <strong>paix</strong> du royaume exige un ordre social nouveau et unenouvelle re<strong>la</strong>tion entre les gens. Voilà pourquoi Jésus nousrecomman<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong>r les pauvres et les opprimés, les prisonnierset les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. C’est pourquoi Il nous dit : « Heureuxceux qui procurent <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, car ils seront appelés fils<strong>de</strong> Dieu ! » (Matthieu 5.9). C’est pourquoi, aussi, Il nouscomman<strong>de</strong> d’« allez dans le mon<strong>de</strong> entier » afin d’annoncer<strong>la</strong> bonne nouvelle à toutes personnes et <strong>de</strong> proc<strong>la</strong>mer <strong>la</strong><strong>paix</strong>. Si quelqu’un rejette sa <strong>paix</strong>, Il nous dit <strong>de</strong> secouer <strong>la</strong>poussière <strong>de</strong> nos pieds, et <strong>de</strong> nous en aller. Il faut, donc, quenous soyons conduits vers tous ceux qui désirent <strong>la</strong> <strong>paix</strong>.Il y a quelques mois, je suis allé aux Chiapas, au Mexique,pour rencontrer l’évêque Samuel Ruiz García. Don Samuel,comme on l’appelle, a été proposé pour le prix Nobel surtoutpour son travail chez les paysans indigènes qui habitent lesvil<strong>la</strong>ges montagneux les plus pauvres <strong>de</strong> <strong>la</strong> région.Don Samuel se consacre tout simplement à ce qu’il appelle<strong>la</strong> double tâche <strong>de</strong> <strong>paix</strong> et justice. Au cours <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières259


L A q u ê t e d e l a p a i xannées, cette tâche comprenait <strong>la</strong> défense <strong>de</strong>s Zapatistes,mouvement popu<strong>la</strong>ire organisé au but <strong>de</strong> procurer les droitshumains tels que <strong>la</strong> propriété foncière et l’accès aux soinsmédicaux. Ce n’est pas surprenant que ses activités ontsuscité beaucoup <strong>de</strong> haine, et lui ont occasionné <strong>de</strong>s ennuis,surtout <strong>de</strong> <strong>la</strong> part du gouvernement répressif local. Il aété <strong>la</strong> cible d’au moins <strong>de</strong>ux attentats sur sa vie. Lors d’uneconversation en décembre 1997, Don Samuel m’a dit :<strong>La</strong> <strong>paix</strong> pour l’humanité n’est pas seulement l’absence <strong>de</strong><strong>la</strong> guerre, ou <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> violence. Les Romains disaient :« Si vous voulez <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, préparez-vous à vous battre. »Pour eux, les temps <strong>de</strong> <strong>paix</strong> étaient <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> préparationà <strong>la</strong> guerre. C’est <strong>de</strong> même chez nous, mais d’unefaçon différente. Pour nous, chrétiens, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est baséesur une nouvelle re<strong>la</strong>tion fondamentale entre les humainset Dieu. Voilà pourquoi Jésus Christ a dit qu’Il nous donne<strong>la</strong> <strong>paix</strong> « non pas comme le mon<strong>de</strong> <strong>la</strong> donne ». Il nous adonné une <strong>paix</strong> différente.Dans <strong>la</strong> société mo<strong>de</strong>rne, cette <strong>paix</strong> doit être conçue etconstruite sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice : le royaume <strong>de</strong> Dieu,qui est un royaume <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, justice, vérité, et amour. Voilàpourquoi <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est érigée sur <strong>de</strong>s fondations qui sontprofondément sociales et spirituelles. Voici pourquoi <strong>la</strong><strong>paix</strong> exige <strong>la</strong> création d’un nouvel ordre social, un nouveaurapport fraternel entre les gens – ce qui nécessiteun changement dans <strong>la</strong> structure oppressive <strong>de</strong> <strong>la</strong> sociétéet <strong>de</strong> l’économie.Nous savons que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est un don <strong>de</strong> Dieu. JésusChrist a dit : « Je vous <strong>la</strong>isse <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, je vous donne ma<strong>paix</strong> » (Jean 14.27). Mais <strong>la</strong> <strong>paix</strong> est aussi une tâche ;c’est une œuvre à développer. En ce sens, <strong>la</strong> présence dupauvre par rapport au royaume est une présence sacrée260


L A q u ê t e d e l a p a i xdu Christ. Le Christ est présent au travers du sacrementdu pauvre, parce qu’Il a dit, lui-même, que <strong>la</strong> seule question,et <strong>la</strong> question finale qui nous sera posée, sera celle<strong>de</strong> notre amour envers Jésus Christ. « J’ai eu faim et vousm’avez donné à manger; j’ai eu soif et vous m’avez donnéà boire... Seigneur, quand t’avons-nous fait ceci... Et le roileur répondra: ‘Je vous le dis en vérité, toutes les fois quevous avez fait ce<strong>la</strong> à l’un <strong>de</strong> ces plus petits <strong>de</strong> mes frères,c’est à moi que vous l’avez fait » (Mathieu 25.35-40). Cen’est pas une question <strong>de</strong> doctrine, mais <strong>de</strong> pratique. Onne me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra pas si j’ai fait <strong>de</strong>s erreurs, mais on me<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra si j’ai aimé mon frère, ou non.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> provient du pauvre. Il se trouve au centre duchemin vers <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. C’est le pauvre qui définit l’histoire<strong>de</strong> <strong>la</strong> société humaine. Si un homme est pauvre, c’est lerésultat d’un conflit social. C’est un système qui le rendpauvre. Si dans une société le pauvre est le point <strong>de</strong>référence du bien commun, alors notre société fait son<strong>de</strong>voir. Mais si, au contraire, le pauvre est rabaissé, cettesociété est opposée au royaume.Souvent, nous faisons <strong>la</strong> sour<strong>de</strong> oreille aux personnes tellesque Don Samuel. Les préjugés et <strong>la</strong> crainte nous conduisentà réduire ces voix au silence.Il est vrai, qu’il y a <strong>de</strong>s individus parmi ceux qui luttentpour <strong>la</strong> justice qui ne répan<strong>de</strong>nt pas autour d’eux <strong>la</strong> <strong>paix</strong> ausens chrétien. Il y en a même qui sont partisans <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolutionarmée. Cependant, même s’il y a une différence entrenos buts et moyens, nous <strong>de</strong>vons reconnaître que ce sont<strong>de</strong>s voix <strong>de</strong>s opprimés, et qu’une vraie justice n’existera passur <strong>la</strong> terre si elle n’est pas pour eux aussi. Leur lutte se livredans d’autres tranchées que les nôtres, mais il s’agit d’unelutte pour les mêmes libertés et droits que nous, Européens261


L A q u ê t e d e l a p a i xet Américains b<strong>la</strong>ncs, considérons comme acquis, et c’estune lutte qui leur coûte <strong>la</strong> vie. Aussi longtemps que nous ignoronsceci, nous n’avons aucun droit <strong>de</strong> dénoncer leur lutte.Dans l’Eglise Primitive, les chrétiens ont nourri les affamésà leurs propres frais ; ils ont abrité les sans-logis, et vêtules pauvres, se sacrifiant personnellement. Pour eux, c’étaitimpensable <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, sans parler <strong>de</strong> justice. Et leurscontemporains disaient d’eux : « Voyez comme ils s’aimentles uns les autres. » Aujourd’hui, c’est bien différent. Ainsi,Pierre Maurin écrit :Aujourd’hui les pauvres ne sont plus nourris, vêtus, etabrités aux prix <strong>de</strong> sacrifices personnels, mais aux frais<strong>de</strong>s contribuables. Par conséquent, les païens disent <strong>de</strong>schrétiens, « Voyez comme ils refilent <strong>la</strong> responsabilité ».Christophe Blumhardt a remarqué ce même manque <strong>de</strong> soinparmi les pieux croyants <strong>de</strong> sa génération, et il ne se <strong>la</strong>ssaitjamais <strong>de</strong> le dénoncer. Il s’est rendu compte que <strong>la</strong> racine duproblème était une préoccupation égoïste avec le salut personnel,ainsi qu’une indifférence complète envers son prochain :Il y en a parmi les chrétiens ceux qui se réjouissent déjà,en pensant au moment où ils seront transfigurés, etmonteront au ciel. Mais ce<strong>la</strong> ne se passera pas ainsi. Ilnous incombe <strong>de</strong> reprendre une tâche dans <strong>la</strong>quelle nousserons les premiers à être jugés, non pas les premiers àrecevoir un divan au paradis. Car, c’est seulement ceuxqui sont véritablement les premiers – les premiers à setenir <strong>de</strong>vant le Seigneur en jugement – qui pourront <strong>de</strong>venirses instruments pour <strong>la</strong> justice.Franchement, je crois que bien <strong>de</strong>s bons chrétiens serontsurpris <strong>de</strong> voir qui est au paradis lorsque les anges262


L A q u ê t e d e l a p a i xrassembleront les « élus », <strong>de</strong>s quatre coins <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre. Plusje vieillis, plus je comprends l’énormité <strong>de</strong> l’injustice <strong>de</strong> notresociété, et je suis d’autant plus convaincu <strong>de</strong> ceci : si Jésus estvraiment venu pour ceux qui « ont faim et soif <strong>de</strong> justice »,alors les élus comprennent sûrement aussi les sans-logis, lesprisonniers, les parias, et ceux que nous avons oubliés – lesmisérables <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong>.Nous oublions vite que les valeurs <strong>de</strong> Jésus sont directementopposées aux nôtres. Sa justice renverse <strong>la</strong> justicehumaine. Il a dit que les premiers seront les <strong>de</strong>rniers, et les<strong>de</strong>rniers, les premiers ; que celui qui perd sa vie, sera sauvé,et que celui qui veut sauver sa vie <strong>la</strong> perdra.Que signifie donc, perdre sa vie ? Pour Jésus ce<strong>la</strong> vou<strong>la</strong>itdire abandonner tout privilège, toute défense, et suivre lechemin le plus humble.Avant <strong>de</strong> mourir, Jésus a dit qu’Il serait livré aux autorités: les pieux et l’Etat. Il faudra qu’Il s’abandonne,sans se défendre, à leur pouvoir. Et quand ses discipleslui <strong>de</strong>mandèrent : « Seigneur, veux-tu que nous commandionsau feu <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre du ciel et <strong>de</strong> les exterminer ? »,Jésus leur <strong>de</strong>manda : « Ne savez-vous pas à quel Espritvous appartenez ? » Vous avez oublié l’Esprit ! Vous avezoublié votre vocation <strong>la</strong> plus haute. L’Esprit vous quitteaussitôt que vous prenez <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> force, au lieu <strong>de</strong>l’amour, même si vous appelez le feu du ciel et les éc<strong>la</strong>irscélestes et les miracles divins.Eberhard ArnoldPour nous qui prétendons être disciples du Christ, il n’estpas question <strong>de</strong> se servir <strong>de</strong> <strong>la</strong> violence ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> force commemoyen d’atteindre <strong>la</strong> justice. Cependant, ce<strong>la</strong> ne nous donne263


L A q u ê t e d e l a p a i xaucunement le droit d’arrêter les autres, <strong>de</strong> les persua<strong>de</strong>rd’être du même avis que nous. Nous ne <strong>de</strong>vons pas intervenirauprès du paysan du Tiers-mon<strong>de</strong> qui a tant <strong>de</strong> mal àjoindre les <strong>de</strong>ux bouts, <strong>de</strong> l’anarchiste urbain, le gendarme,ou le soldat, et <strong>de</strong> leur dire : « <strong>La</strong>issez vos armes et prenezle chemin <strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. »<strong>La</strong> foi n’est ni donnée à tous, ni ce qui concerne tout lemon<strong>de</strong> à l‘heure actuelle. Même si c’était le cas, on ne leverrait pas nécessairement. D’après mon expérience, les réponsesaux questions <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie les plus importantes ne noussont pas présentées dans <strong>de</strong>s beaux petits paquets. Parfoisces réponses ne nous viennent pas du tout, et nous <strong>de</strong>vonsles rechercher à tâtons.Dans son livre On Pilgrimage (En pèlerinage), Dorothy Dayréfléchit sur le problème difficile du chrétien qui doit tenir enéquilibre les exigences <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice et celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Ellene nous donne aucune solution simple, mais seulement unebase soli<strong>de</strong> pour cette recherche : l’humilité.Il est certain que <strong>la</strong> liberté que Dieu nous a donnée estun don terrible, et Il nous a <strong>la</strong>issé <strong>la</strong> tâche <strong>de</strong> charrierle marais du péché et <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine, <strong>de</strong> <strong>la</strong> cruauté et dumépris autour <strong>de</strong> nous. C’est un marais que nous avonscréé nous-même.Je sympathise avec l’instinct <strong>de</strong> <strong>la</strong> juste colère qui conduitles gens à s’armer lors d’une révolution, quand jevois <strong>de</strong>s vieil<strong>la</strong>rds oubliés dans les hôpitaux mentaux,quand je vois <strong>de</strong>s hommes endormis sur les trottoirs ouà <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture dans les poubelles ; et lesfamilles dans les taudis, sans chauffage dans ce temps sifroid, et les travailleurs migrants dans leurs bidonvilles...264


L A q u ê t e d e l a p a i xNous ne sommes certainement pas <strong>de</strong>s socialistes marxistes,et nous ne croyons pas à <strong>la</strong> révolution violente.Cependant, nous pensons qu’il vaut mieux se révolter, sebattre, comme Castro l’a fait avec une poignée d’hommes,que <strong>de</strong> ne rien faire... Jusqu’à ce que nous, en tant quedisciples du Christ, renonçons à <strong>la</strong> guerre comme moyend’atteindre <strong>la</strong> justice et <strong>la</strong> vérité, nous n’accomplirons absolumentrien en critiquant ceux qui emploient <strong>la</strong> guerrepour changer l’ordre social.En par<strong>la</strong>nt à l’apogée du Mouvement pour les droits civils,Martin Luther King Jr. adressa le même problème – <strong>la</strong>critique <strong>de</strong> ceux qui se tiennent dans les coulisses, par<strong>la</strong>nt<strong>de</strong> <strong>la</strong> justice, mais faisant continuellement <strong>de</strong>s remarquesdésobligeantes envers tout essai d’y remédier. « Ces <strong>de</strong>rnièresannées, j’ai été profondément déçu <strong>de</strong>s modérés b<strong>la</strong>ncs...quirespectent plus l’ordre public que <strong>la</strong> justice ; qui préfèrentune <strong>paix</strong> négative, c’est à dire l’absence <strong>de</strong> tensions, plutôtqu’une <strong>paix</strong> positive : <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice. »D’autres, surtout les jeunes afro-américains du nord <strong>de</strong>sEtats-Unis, sentaient que King était nettement trop pru<strong>de</strong>ntet ineffectif, et ils méprisaient sa confiance dans <strong>la</strong> force nonviolente<strong>de</strong> Gandhi. King refusa d’embrasser leurs métho<strong>de</strong>smoins pacifiques d’œuvrer en faveur <strong>de</strong>s changements concrets,sans cependant condamner leur tactique catégoriquement: « Si on refuse aux opprimés le droit <strong>de</strong> se révolterpaisiblement, comment pouvons-nous les condamner s’ilsse tournent vers <strong>la</strong> révolution violente ? »Dans le Psaume 85, nous lisons : « …<strong>la</strong> justice et <strong>la</strong> <strong>paix</strong>s’embrassent; <strong>la</strong> fidélité pousse <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, et <strong>la</strong> justice sepenche du haut du ciel. » Si nous avons foi en cette promesse –265


L A q u ê t e d e l a p a i xsi nous croyons que ces paroles vont se réaliser, non seulementdans un avenir glorieux quelconque, mais sur cette terre – alors,il nous faut être prêts à tout risquer. Nous avons à refuserl’injustice sous toutes ses formes : l’exploitation économique,l’inégalité sociale, le préjugé racial et l’oppression politique.Cependant, nous <strong>de</strong>vons aussi refuser toute violence, <strong>de</strong>puisle service militaire et <strong>la</strong> révolution armée jusqu’à <strong>la</strong> brutalité<strong>de</strong> <strong>la</strong> police et l’abus <strong>de</strong>s femmes et <strong>de</strong>s enfants.Pour nous, <strong>la</strong> justice du royaume <strong>de</strong> Dieu se fon<strong>de</strong> surquelque chose <strong>de</strong> bien différent <strong>de</strong> l’équilibre <strong>de</strong>s intérêts ou<strong>de</strong>s droits. Elle est beaucoup plus radicale que l’idée humaniste<strong>de</strong> liberté, égalité, et fraternité ; plus fondamentale quele droit à <strong>la</strong> compétition. C’est une justice née <strong>de</strong> l’amour,qui a son origine dans l’empressement <strong>de</strong> mourir pour sonprochain. A moins d’être prêt à perdre <strong>la</strong> vie pour les frères,toutes les paroles à propos <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> n’ont aucun sens.Certes, nous ne pouvons pas vivre sans péché. Mais <strong>la</strong>façon dont certains parlent <strong>de</strong> l’inévitabilité du mal et notreesc<strong>la</strong>vage mutuel <strong>de</strong> culpabilité nous conduit souventà un consentement paresseux au statu quo. Commentpouvons-nous présumer <strong>de</strong> congédier <strong>la</strong> <strong>paix</strong> du mon<strong>de</strong>à <strong>la</strong>quelle les prophètes ont témoignée, l’élimination <strong>de</strong>gouvernements proc<strong>la</strong>mée dans l’Apocalypse <strong>de</strong> Jean et<strong>la</strong> victoire sur l’ordre social actuel par <strong>la</strong> fraternité et <strong>la</strong>communauté ? Comment éviter le choix, si important,que Jésus a exposé <strong>de</strong>vant nous : Dieu ou Mammon ? Untrop grand nombre d’entre nous se détourne <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté<strong>de</strong> Jésus et s’effondre <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> situation paradoxale <strong>de</strong>l’homme <strong>de</strong>vant Dieu ; nous disons oui et non, non etoui simultanément et à toutes choses. Où est notre envieirrésistible <strong>de</strong> lutter ?266


L A q u ê t e d e l a p a i xOn va s’exc<strong>la</strong>mer : « Sûrement, vous ne comptez paslivrer une campagne générale contre tout mal ! » Mais,c’est justement ce qu’il faut. C’est à cette fin que Jésus estvenu au mon<strong>de</strong>, et Il nous a appelés et nous a envoyésafin <strong>de</strong> continuer cette lutte. Il est venu pour détruire lesœuvres du Diable. Il est <strong>la</strong> lumière parfaite, et en Lui iln’y a pas d’obscurité.Eberhard Arnold267


•L’EspoirPartout où Dieu se trouve, il y a <strong>la</strong> <strong>paix</strong>. Sa présence nouslibère <strong>de</strong> l’impatience, d’un esprit divisé, <strong>de</strong>s impulsionshostiles ; elle nous apporte l’harmonie du cœur, <strong>de</strong> l’esprit,et <strong>de</strong> l’âme. Mais Dieu est vivant, et par conséquent, Ilest action tout autant qu’Il est <strong>paix</strong>. Et sur <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong>l’harmonie qu’Il confère sur nous, Il crée une unité qui estplus <strong>la</strong>rge. C’est l’unité <strong>de</strong> vision et d’action, <strong>de</strong> communauté,fraternité et justice universelle.Eberhard Arnold<strong>La</strong> <strong>paix</strong> est une puissance qui donne <strong>la</strong> vie. Elle guéritce qui est blessé, remplit <strong>de</strong> nouveau ce qui est vi<strong>de</strong>, etlibère ce qui est noué et lié. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> remp<strong>la</strong>ce le désespoiravec l’espérance, <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> avec l’harmonie, <strong>la</strong> haine avecl’amour. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> donne plénitu<strong>de</strong> où il y a désagrégation,cohérence où il y a compromis et hypocrisie. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> pénètretoutes les sphères <strong>de</strong> l’existence, spirituelle aussi bien quematérielle. Si elle n’accomplit pas cette transformation, ellen’est qu’une illusion, pas <strong>la</strong> vraie <strong>paix</strong>.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> vient <strong>de</strong> Dieu, mais elle encercle toute <strong>la</strong> terre. Et,quand son pouvoir règne, elle transforme les personnes etles structures. Son but est cosmique, mais elle commence en


L A q u ê t e d e l a p a i xsilence, quelquefois imperceptiblement, <strong>de</strong> l’intérieur. Là oùrègne <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, il y a l’unité <strong>de</strong> l’individu avec son être véritable,<strong>de</strong> l’homme avec <strong>la</strong> femme, <strong>de</strong> Dieu avec l’être humain.Il y a l’unité entre <strong>la</strong> vigne et ses rameaux ; les temples sontpurifiés ; les corps sont guéris.Ceci ne peut prendre p<strong>la</strong>ce ni tout seul, ni dans le vi<strong>de</strong>.Dans ce livre, nous voyons que <strong>la</strong> <strong>paix</strong> n’a rien à voir avec <strong>la</strong>passivité, ou <strong>la</strong> résignation. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> n’est pas pour les faiblesou les égocentriques, ni pour ceux qui se contentent d’unevie tranquille. <strong>La</strong> <strong>paix</strong> exige que nous vivions honnêtement<strong>de</strong>vant Dieu, et <strong>de</strong>vant les autres, à <strong>la</strong> lumière <strong>de</strong> notre propreconscience. Elle ne nous vient pas sans le far<strong>de</strong>au du <strong>de</strong>voir,car elle exige <strong>de</strong>s actes d’amour.<strong>La</strong> <strong>paix</strong> est une poursuite imp<strong>la</strong>cable, soutenue seulementpar l’espoir et le courage, <strong>la</strong> vision et l’engagement. Ainsi,sa recherche ne peut être une recherche égoïste. Ce ne peutêtre simplement une question <strong>de</strong> trouver une clôture, uneréalisation, ou, comme Aristote l’a exprimé, <strong>de</strong> réaliser sonpotentiel humain. Non ! Rechercher <strong>la</strong> <strong>paix</strong>, signifie rechercherl’harmonie en nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu.Ce<strong>la</strong> signifie travailler envers l’unité, que le Christ envisageaiten sa <strong>de</strong>rnière prière : « Je te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’ils soient tous un.Comme toi, Père, tu es en moi et comme moi je suis en toi,qu’ils soient un en nous pour que le mon<strong>de</strong> croie que c’esttoi qui m’as envoyé » (Jean 17.21, <strong>La</strong> Bible du Semeur).Même lorsque nous sommes en <strong>paix</strong> avec Dieu, et que nousprenons conscience <strong>de</strong> cette unité, <strong>la</strong> différence entre notreêtre mesquin et Sa majesté comme notre Créateur <strong>de</strong>vrait nousdévaster. Cependant nous ne <strong>de</strong>vons pas nous <strong>la</strong>isser défairepar cette prise <strong>de</strong> conscience. Kierkegaard écrit :269


L A q u ê t e d e l a p a i xIl nous faut nous débarrasser <strong>de</strong> notre anxiété et ne plusvivre à l’abri <strong>de</strong> toute responsabilité <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> vérité... Ilnous faut entrer dans <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, où tout ceque nous faisons est en rapport avec l’éternel.Aussi grandiose que ceci paraisse, c’est en réalité très simple.Quand nos yeux sont fixés sur ce qui est éternel, nousserons motivés par l’amour – amour <strong>de</strong> notre voisin, épouxou épouse, notre ennemi, notre ami – et nous essayerons <strong>de</strong>vivre en harmonie avec tous et avec tout ce qui existe, « carcelui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-i<strong>la</strong>imer Dieu qu’il ne voit pas ? » (1 Jean 4.20). Si nous nesommes pas en <strong>paix</strong>, il est probable que c’est parce que nousavons oublié <strong>de</strong> nous aimer les uns les autres. Et, il n’y aaucune excuse pour ce<strong>la</strong>. Je suis certain que personne n’estsi peu doué, qu’il ne puisse aimer. Thérèse <strong>de</strong> Lisieux écrit :C’est l’amour qui m’a donné <strong>la</strong> clef <strong>de</strong> ma vocation. Je mesuis dit que si l’Eglise était un corps constitué par tousses membres, elle ne peut l’être sans le membre le plusessentiel, le plus important <strong>de</strong> tous. J’ai pris conscience<strong>de</strong> ce que l’amour comprend tout, toute vocation, touteschoses, et ainsi, puisque l’amour est éternel, il embrassetous les temps, et tous les lieux.Transportée <strong>de</strong> joie extatique, je me suis écriée : « Enfinj’ai trouvé ma vocation. Ma vocation, c’est l’amour ! J’aitrouvé ma p<strong>la</strong>ce. Je vais être, moi-même, l’amour. Ainsije serai tout et ainsi mes désirs seront exaucés. » Pourquoiest-ce que je parle <strong>de</strong> joie extatique ? Ce n’est pasl’expression qu’il faut. Au lieu <strong>de</strong> ce<strong>la</strong>, je dois parler <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>paix</strong>, ce calme, cette <strong>paix</strong> tranquille que le timonier ressentquand il voit le phare qui le gui<strong>de</strong> au port. Comme ce pharebrille ! Et je sais bien comment me servir <strong>de</strong> ces f<strong>la</strong>mmes.270


L A q u ê t e d e l a p a i x<strong>La</strong> plupart d’entre nous n’avons pas du tout l’enthousiasme<strong>de</strong> Sainte Thérèse. Au contraire, comme Christophe Blumhardtle fait remarquer, <strong>la</strong> <strong>paix</strong> et l’unité manquent dans nos vies :Nous sommes pris dans l’engrenage <strong>de</strong> commérage etmensonges, <strong>de</strong> haine et envie, tout plein <strong>de</strong> poison... Nousluttons l’un contre l’autre, et nous sommes jaloux l’un <strong>de</strong>l’autre, même au nom du Christ. Ce<strong>la</strong> continue <strong>de</strong> jour enjour, d’offenses en offenses, et il n’y a pas <strong>de</strong> réconciliation.Nous sommes si loin d’être vraiment un peuplequi prend l’Evangile à cœur, et qui suit le Sauveur d’unemanière concrète !Mais, il continue : « Mais pourquoi est-ce que nos cœursne peuvent s’ouvrir et s’affranchir, afin que nous puissions<strong>de</strong>venir frères et sœurs ? Pourquoi ne pas avoir cet espoir ? »Rabbin Hugo Gryn, survivant <strong>de</strong> l’Holocauste, a apprisl’importance <strong>de</strong> l’espérance, comme jeune garçon à Auschwitz,où il fut emprisonné dans <strong>la</strong> même baraque queson père :Malgré les conditions in<strong>de</strong>scriptibles, beaucoup <strong>de</strong> Juifs,y compris mon père, ont continué autant que possible àobserver leur religion. Un soir d’hiver, un autre prisonniera fait <strong>la</strong> remarque que ce<strong>la</strong> al<strong>la</strong>it bientôt être <strong>la</strong> premièrenuit <strong>de</strong> hanoukka, <strong>la</strong> fête <strong>de</strong>s lumières. Dans les joursqui ont suivi, mon père a fabriqué une petite menora<strong>de</strong>s bouts <strong>de</strong> ferraille. Comme mèche, il prit <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong>son uniforme. Au lieu d’huile, il <strong>de</strong>manda au gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> luidonner un peu <strong>de</strong> beurre.Ces choses étaient strictement défendues, mais nousavions l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s risques. Ce que j’ai protestéétait le gaspil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s calories précieuses. Ne serait-cepas mieux <strong>de</strong> beurrer une tartine, plutôt que <strong>de</strong> les brûler ?271


L A q u ê t e d e l a p a i x« Hugo, me dit mon père, nous savons tous les <strong>de</strong>uxqu’on peut vivre longtemps sans nourriture. Mais, jet’assure que personne ne peut vivre un seul jour sansespérance. Cette huile allumera <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>de</strong> l’espérance.Ne <strong>la</strong>isse jamais s’éteindre l’espérance. Pas ici, ni ailleurs.Souviens-toi <strong>de</strong> ceci. »L’histoire du Rabbin nous montre une <strong>de</strong> ces vérités, découvertespar bien <strong>de</strong>s personnes avant lui et après lui :ultimement c’est l’espérance qui nous rend <strong>la</strong> vie possible<strong>de</strong> jour en jour.<strong>La</strong> vision apocalyptique nous donne l’espoir que, malgré<strong>de</strong>s apparences du contraire, ultimement, c’est le Bien quiva prévaloir. Dans <strong>la</strong> Révé<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> Jean, nous trouvons<strong>la</strong> justice restaurée par un Dieu qui <strong>de</strong>meure parmi ceuxqui ont souffert le plus dans ce mon<strong>de</strong> cruel, injuste etviolent – un Dieu qui ne rugira, ni para<strong>de</strong>ra comme undictateur suprême, mais, avec douceur, « essuiera toute<strong>la</strong>rme <strong>de</strong> leurs yeux ».Kathleen NorrisSi nous avons <strong>la</strong> foi, rien ne <strong>de</strong>vrait nous empêcher d’agir maintenantsur cette espérance. Nous pouvons suivre l’instruction<strong>de</strong> l’Evangile : « Gar<strong>de</strong> le silence <strong>de</strong>vant l’Eternel et espère enlui » (Psaumes 37.7). Cependant, si nous attendons vraimentdans l’espérance, notre attente sera toujours active.Le <strong>de</strong>rnier jour <strong>de</strong> l’année 1997, aux Chiapas, Mexique, <strong>de</strong>scentaines d’Indiens Tzotzil ont marché en procession commémorativeau vil<strong>la</strong>ge d’Actéal, où quarante-cinq <strong>de</strong> leurscompatriotes – pour <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s femmes et <strong>de</strong>s enfants272


L A q u ê t e d e l a p a i x– ont été brutalement tués neuf jours avant par les milicespro-gouvernementales. Ils habitaient dans une région isolée,où <strong>la</strong> répression politique entraînait une « disparition » aprèsl’autre, et ils savaient que leur marche n’était pas sans danger.Non armés, ils étaient doublement vulnérables à cause <strong>de</strong>leur position : bien que favorisant les objectifs <strong>de</strong>s combattantszapatistes, ils restaient opposés à l’emploi <strong>de</strong> <strong>la</strong> force,et ainsi, ils étaient accusés <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés <strong>de</strong> manque <strong>de</strong>loyauté. Pourtant, <strong>la</strong> procession n’était pas qu’un risquecalculé. C’était un acte <strong>de</strong> résistance, mené dans un esprit<strong>de</strong> détermination et d’espoir.Un panneau sur une croix en bois, à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> <strong>la</strong> foule,portait ces mots : « C’est le temps <strong>de</strong> moissonner et <strong>de</strong> construire.» Beaucoup <strong>de</strong> ces hommes portaient <strong>de</strong>s briques(comme « symbole du far<strong>de</strong>au <strong>de</strong> notre souffrance » avait ditl’un d’eux), dont ils vou<strong>la</strong>ient se servir pour construire unossuaire pour leurs morts. Plusieurs avaient l’intention <strong>de</strong>s’installer <strong>de</strong> nouveau dans le vil<strong>la</strong>ge ; bien qu’ils savaient<strong>de</strong>voir fuir <strong>de</strong> nouveau. Et, tout en portant une statue fêlée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Vierge Marie « au nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong> », ils restaient fidèlesà <strong>la</strong> non-violence.Qui étaient ces hommes courageux, et ces femmes courageuses,qui pouvaient ainsi, regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> mort face à face ?Est-ce que leur <strong>paix</strong> provenait d’une force étrange, du martyre? Un signe <strong>de</strong> folie ? Peut-être se sentaient-ils simplementcomme l’épouse <strong>de</strong> Phil Berrigan, Elisabeth McAlister,qui avait écrit après le <strong>de</strong>rnier emprisonnement <strong>de</strong> son mari :<strong>La</strong> vision <strong>de</strong> Dieu – plus encore, <strong>la</strong> promesse <strong>de</strong> Dieu – d’unesociété humanitaire et juste, est une promesse sur <strong>la</strong>quellenous pouvons soumettre notre vie. Aucun <strong>de</strong> nous ne peut273


L A q u ê t e d e l a p a i xêtre satisfait, avant que cette promesse soit <strong>de</strong>venue uneréalité pour tout le mon<strong>de</strong>, pour tous ici-bas. Et ainsi, onrisque sa vie afin que <strong>la</strong> vision d’Esaïe s’accomplisse dansles jours à venir, lorsque les gens forgeront <strong>de</strong>s pioches<strong>de</strong> leurs épées, et <strong>de</strong> leurs <strong>la</strong>nces ils feront <strong>de</strong>s faucilles ;ainsi, nous endurons tout, et Dieu nous soutient dans cetteendurance. Nous assistons aujourd’hui – ni plus, ni moins– à <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> vision <strong>de</strong> Dieu.Dans un passage <strong>de</strong> son livre Les frères Karamazov, FédorDostoïevski raconte, avec <strong>la</strong> même espérance et foi, <strong>la</strong> conversationentre Père Zossima (quand il est encore un jeunehomme) et un étranger mystérieux :« Le ciel, nous dit l’étranger, est caché en nous tous – levoici maintenant dissimulé en moi, et si je le veux, il mesera révélé <strong>de</strong>main, et pour toujours. »Je l’ai regardé. Il par<strong>la</strong>it avec beaucoup d’émotion, etme fixait d’un air mystérieux, comme s’il me questionnait.« Vous aviez entièrement raison <strong>de</strong> penser que noussommes responsables <strong>de</strong>vant toute personne en touteschoses, hormis nos propres péchés, et c’est admirableque vous avez pu aussitôt le comprendre, avec toute sasignification. Et, en vérité, aussitôt que les hommes aurontcompris ce<strong>la</strong>, le royaume <strong>de</strong>s cieux ne sera plus pour euxun rêve, mais une réalité vivante.— Et quand ceci se passera-t-il ? me suis-je écrié,amèrement. Est-ce qu’il se réalisera un jour ? N’est-cepas simplement un rêve ?— Comment donc ? Vous n’y croyez pas, dit-il. Vousle prêchez, et vous ne le croyez pas vous-même ? Croyezmoi,ce rêve, comme vous l’appelez, se réalisera, sansaucun doute ; il se réalisera, mais pas maintenant, carchaque procédé a sa propre loi. C’est un procédé spirituel274


L A q u ê t e d e l a p a i xet psychologique. Pour transformer le mon<strong>de</strong>, pour lerecréer à nouveau, les hommes doivent prendre psychologiquementun autre sentier. Jusqu’à ce qu’on <strong>de</strong>vienneréellement, en réalité, le frère <strong>de</strong> tous, <strong>la</strong> fraternitén’aura pas lieu. Aucun enseignement scientifique, aucunintérêt commun, ne nous enseignera à partager nos privilègeset biens, en considération du besoin <strong>de</strong> chacun. Onpensera toujours que sa propre part est trop mesquine,et il y aura toujours <strong>de</strong> l’envie, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>intes, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie.Vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z, quand ce<strong>la</strong> se passera. En effet,ce<strong>la</strong> viendra, mais il nous faut d’abord passer par cettepério<strong>de</strong> d’iso<strong>la</strong>tion.— Que voulez-vous dire, par l’iso<strong>la</strong>tion ? lui <strong>de</strong>mandai-je.— Eh bien, l’iso<strong>la</strong>tion qui se trouve partout, surtoutdans notre époque, n’est pas entièrement développéeet n’a pas encore atteint ses limites. Car chacun désireaccomplir le plus dans sa vie pour lui-même, et oublieque <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> sécurité se trouve dans <strong>la</strong> solidaritésociale, plutôt qu’en l’effort individuel isolé. Mais cet individualismeterrible prendra fin, inévitablement, et toutà coup, tous comprendront comme ils se sont séparésles uns <strong>de</strong>s autres en al<strong>la</strong>nt contre <strong>la</strong> nature humaine. Cesera l’esprit <strong>de</strong> l’époque, et les gens s’étonneront qu’ilsaient pu rester aussi longtemps dans l’obscurité, sanspercevoir <strong>la</strong> lumière. Et, alors, le signe du Fils <strong>de</strong> l’Hommesera vu dans les cieux.» Mais jusque-là, il nous faut continuer à brandir <strong>la</strong>bannière. Parfois, même si l’homme doit le faire seul, etsa conduite semble insensée, il faut qu’il donne l’exemple,et ainsi, attirer les âmes <strong>de</strong>s gens hors <strong>de</strong> leur solitu<strong>de</strong>, etles pousser à agir fraternellement, avec amour, afin quel’idée sublime ne meure pas. »275


•A propos <strong>de</strong> l’auteurJohann Christoph Arnold a servi <strong>la</strong> communauté du Bru<strong>de</strong>rhofcomme pasteur principal <strong>de</strong>puis 1983. Avant ce<strong>la</strong>,il était ministre et adjoint à l’ancien du Bru<strong>de</strong>rhof. Il a voyagébeaucoup dans le mon<strong>de</strong>, au service du Bru<strong>de</strong>rhof, et il arencontré <strong>de</strong>s lea<strong>de</strong>rs religieux, tels que le Pape Jean Paul II,le Cardinal Ratzinger, Mère Thérèse, l’évêque Samuel Ruiz,et Thich Nhat Hanh.Christoph est l’auteur <strong>de</strong> plusieurs livres bestseller, dontPourquoi pardonner ?, Le défi <strong>de</strong> <strong>la</strong> pureté, et L’enfance au bord dugouffre. Bien qu’à première vue sa façon d’écrire ne paraissepas différente <strong>de</strong>s autres auteurs religieux, elle n’affiche pasles caractéristiques habituelles. Ceci vient probablement dufait que le message <strong>de</strong> ses livres provient <strong>de</strong> vérités vécues<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s générations au Bru<strong>de</strong>rhof, mouvement communautairebasé sur l’enseignement du Christ dans le Sermonsur <strong>la</strong> Montagne, et sur <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong>s Premiers Chrétiensà Jérusalem. Au fond, ce sont plus que <strong>de</strong> simples livres, carils sont l’expression <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi d’une Eglise entière.Christoph et sa femme, Verena, ont huit enfants et plus <strong>de</strong>trois douzaines <strong>de</strong> petits-enfants. Au travers <strong>de</strong>s années, ilsont conseillé <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> couples mariés, <strong>de</strong> célibataires,


L A q u ê t e d e l a p a i xd’adolescents, et <strong>de</strong> prisonniers. Ils ont aussi pourvu auxsoins pastoraux <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, dans leur phase terminale, età leurs familles.277


•Le Bru<strong>de</strong>rhofMalgré tout le mal qui existe dans notre société, noustenons à témoigner du fait que l’Esprit <strong>de</strong> Dieu est àl’œuvre dans le mon<strong>de</strong> aujourd’hui. Dieu nous appelle encoreà quitter les systèmes qui génèrent l’injustice, <strong>la</strong> violence, <strong>la</strong>peur et l’isolement, et à suivre <strong>la</strong> nouvelle voie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>paix</strong>,<strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong> <strong>la</strong> fraternité. Dieu nous appelle à vivre encommunauté. Dans ce sens, nous — les frères et sœurs <strong>de</strong>nos communautés dites Bru<strong>de</strong>rhof — désirons vous communiquerquelque chose <strong>de</strong> notre réponse à cet appel.Notre vie en communauté est basée sur les enseignementsdu Christ dans le Sermon sur <strong>la</strong> Montagne et dans tout leNouveau Testament, notamment les enseignements concernantl’amour fraternel, l’amour envers les ennemis, le servicemutuel, <strong>la</strong> non-violence et le refus <strong>de</strong> porter les armes, <strong>la</strong>pureté sexuelle et <strong>la</strong> fidélité dans le mariage.Nous n’avons pas <strong>de</strong> propriété privée ; nous partageonstous nos biens comme les premiers chrétiens, comme ledécrit le livre <strong>de</strong>s Actes <strong>de</strong>s Apôtres, chapitres 2 et 4. Chaquemembre consacre ses talents et tous ses efforts aux besoins<strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté. L’argent et les possessions sont mis volontairementen commun, et en échange, chaque membre


eçoit ce dont il a besoin. Nous nous rassemblons tous lesjours pour les repas, les réunions, le chant, <strong>la</strong> prière et pourprendre <strong>de</strong>s décisions.En 1920, Eberhard Arnold, théologien bien connu, conférencieret écrivain, quitta l’abondance, <strong>la</strong> sécurité et une carrièreprofessionnelle importante à Berlin, et vint s’installer avec safemme et ses enfants à Sannerz, petit vil<strong>la</strong>ge en Allemagne,où ils fondèrent une petite communauté, appelée le Bru<strong>de</strong>rhof(foyer <strong>de</strong>s frères), basée sur <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l’Eglise primitive.Malgré les persécutions <strong>de</strong>s nazis, <strong>la</strong> communauté survécut.Elle fut expulsée d’Allemagne en 1937 et le mouvements’établit en Angleterre. Cependant, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> Secon<strong>de</strong> Guerremondiale, une <strong>de</strong>uxième émigration fut nécessaire, cette foiscien Amérique du Sud. Pendant vingt ans, <strong>la</strong> communautésurvécut dans les régions lointaines du Paraguay, le seulpays prêt à recevoir ce groupe multinational. En 1954, unenouvelle branche du mouvement fut fondée aux Etats-Unis.En 1961, les communautés au Paraguay furent ferméeset tous les membres partirent pour l’Europe et les Etats-Unis. Actuellement, il y a <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> communautés auxEtats-Unis, en Europe et dans d’autres pays. Notre nombreest insignifiant, mais nous savons que notre tâche est d’uneimportance primordiale : suivre les enseignements <strong>de</strong> Jésusdans une société qui s’est tournée contre Lui.<strong>La</strong> mission a toujours été un point essentiel <strong>de</strong> notre activité,non pas dans le sens d’essayer <strong>de</strong> « sauver les âmes », ou<strong>de</strong> gagner <strong>de</strong>s membres pour notre mouvement, mais pour


témoigner <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance du message <strong>de</strong> l’Evangile dont lebut est une vie <strong>de</strong> <strong>paix</strong>, d’amour et d’unité.Notre porte est ouverte à toute personne qui veut chercher<strong>la</strong> voie <strong>de</strong> Jésus avec nous. Bien qu’on puisse penser quenous vivons une utopie, ce n’est pas le cas. Nous ne sommespas <strong>de</strong>s saints et nous avons les mêmes problèmes que toutle mon<strong>de</strong>. Ce que nous avons que le mon<strong>de</strong> n’a pas, c’est unengagement pour <strong>la</strong> vie et <strong>la</strong> promesse <strong>de</strong> lutter pour l’âme<strong>de</strong> chaque frère et sœur et <strong>de</strong> nous sacrifier jusqu’à <strong>la</strong> mortsi nécessaire.


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