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MEME PAS PEUR Numéro 5

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Même pas peur<br />

janvier-février 2016/ N°5 /3 €<br />

N° 5 2016 - Belgique 3 € - www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com et www.editionsdubasson.com - http://memepaspeur1.e-monsite.com<br />

le dossier « un an après, et après ? »<br />

et aussi : cop à cabana, marina paris, droit au droit<br />

de grève, juifs révolutionnaires et autres cacas nerveux...


2 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

un an après, et après ?<br />

L’éditorial<br />

Jean-Philippe Querton<br />

Même pas peur ? T'es con 1 ou quoi ?<br />

Ce numéro devait parler de la peur.<br />

A-t-elle gagné du terrain depuis que<br />

deux enfoirés ont envoyé les gens de<br />

Charlie au paradis ou, au contraire, la<br />

censure s’estompe-t-elle, laissant plus<br />

d’espace(s) d’expression à ceux qui combattent<br />

le prêt-à-penser ? 1<br />

À ceux, et ils sont nombreux, qui nous<br />

ont demandés – parfois en souriant,<br />

parfois menaçants –, si nous étions<br />

naïfs, inconscients, décérébrés, stupides,<br />

voire pro-djihadistes, nous avons<br />

répondu que lorsque la peur aura gagné,<br />

nous aurons tout perdu : notre liberté<br />

d’expression, notre droit à penser, notre<br />

1 Âmes sensibles, attention, le mot « con » revient<br />

à plusieurs reprises dans ce texte…<br />

vie sociale, culturelle, artistique, notre<br />

envie de découvrir et partager le monde<br />

(pas uniquement en touriste conquérant),<br />

notre désir de nous ouvrir aux<br />

autres cultures… parce que nous nous<br />

bunkériserons dans nos maisons et dans<br />

nos réflexions, seuls devant des chaînes<br />

d’infos en continu qui nous tiennent en<br />

haleine devant des événements qui n’en<br />

sont pas, des médias qui sèment la peur,<br />

le repli, l’autisme. Et le coup de sonnette<br />

de l’ami(e) qui vient prendre de nos<br />

nouvelles deviendra l’expression d’une<br />

menace.<br />

C’est ce que veulent nos ennemis et<br />

nos ennemis ne sont pas tous barbus,<br />

ils peuvent prendre un visage bleumarine,<br />

loin de la caricature du facho<br />

qui gueule au coin du bar. Nos ennemis<br />

sont aussi ceux que la menace arrange,<br />

ceux qui pensent qu’un rassemblement<br />

de plus de trois personnes est une<br />

menace contre l’ordre public, et donc<br />

suspect, ceux qui en profitent pour nous<br />

expliquer que les pauvres sont responsables<br />

de la crise et qu’ils doivent se<br />

serrer la ceinture – taxer les riches et les<br />

multinationales, tu rigoles ou kwa, c’est<br />

la fin de l’économie de marché et donc<br />

la fin du monde !<br />

Plus que jamais, soyons<br />

outranciers !<br />

Qu’est-ce qui est plus violent qu’un<br />

État qui exclut du droit à la subsistance<br />

des milliers de citoyens ?<br />

Qu’est-ce qui est plus odieux que la<br />

volonté affichée de fermer ses frontières<br />

à des demandeurs d’asile qui fuient un<br />

pays où ils ne sont plus en sécurité ?<br />

Qu’est-ce qui est plus scandaleux<br />

qu’un gouvernement qui profite que<br />

les médias parlent exclusivement du<br />

niveau d’alerte pour tenter de faire passer<br />

des lois interdisant le droit de grève<br />

ou – pire encore –, la suppression partielle<br />

des indemnités de maladie pour<br />

les travailleurs en incapacité de longue<br />

durée ?<br />

Qu’est-ce qui donne plus envie de gerber<br />

que les bombardements - avec des<br />

vraies bombes, officielles, larguées par<br />

des militaires rémunérés par l’État, des<br />

bombes financées par l’impôt du contribuable,<br />

et donc légitimes – massacrant<br />

une population dont le seul tort est<br />

d’habiter dans des régions soumises à<br />

la loi de l’État islamiste ?<br />

Laissons la désolation aux cons !<br />

Oui, c’est absolument dégueulasse de<br />

s’attaquer à des gens qui s’éclatent ( ?)<br />

dans un concert de rock ou qui boivent<br />

des canons (?) à la terrasse d’un bistrot !<br />

Dégueulasse aussi de se faire exploser<br />

et de laisser des déchets partout,<br />

images insoutenables d’un fanatisme<br />

qui comme tous les fanatismes confine<br />

à l’incommensurable idiotie humaine,<br />

celle qui motive les hooligans, les frontistes,<br />

les intégristes de tout poil et de<br />

toute plume, les fondamentalistes, les<br />

coincés du cul et du bulbe…<br />

Dégueulasse, ce sang impur de kamikaze<br />

qui abreuve les caniveaux de la<br />

capitale française, ville-symbole des<br />

Droits de l’homme.<br />

Et si le système était victime<br />

d’une violence qu’il a générée ?<br />

On ne peut pas ne pas se poser la question<br />

de savoir si l’incapacité ou l’absence<br />

de volonté politique d’intégration des<br />

populations musulmanes chez nous,<br />

n’est pas en partie (ou totalement ?) responsable<br />

de la radicalisation de certains<br />

individus. Autrement dit, quand on est<br />

traité comme de la merde, on cherche à<br />

comprendre, à se défendre, on est tenté<br />

par des explications simples, réductrices.<br />

Et les religions sont faites pour<br />

les faibles, pour ceux qui cherchent<br />

des repères, elles n’invitent pas à (se)<br />

remettre en question, elles sont dogmatiques,<br />

porteuses de l’illusion d’un<br />

monde meilleur, ailleurs…<br />

On ne se laissera pas abattre !<br />

Comme d’habitude, nous ne sommes<br />

pas certains d’avoir raison… Nous voulons<br />

contribuer au débat à la lumière<br />

de notre manière de penser qui se veut<br />

alternative, ouverte à tous les possibles,<br />

humaine et profondément tolérante…<br />

sauf à l’égard des cons !


JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 3<br />

J’ai coupé l’image et le son<br />

Styvie Bourgeois<br />

J’ai coupé l’image et le son. Le geste est<br />

simple, je ne suis pas une grande consommatrice<br />

de médias. C’est un choix tout à<br />

fait conscient, il me permet de préserver<br />

une part d’insouciance.<br />

J’ai coupé l’image et le son, mais je ne<br />

suis pas seule au monde et malgré tout,<br />

j’entends des choses. Le problème, c’est<br />

que les sujets m’effleurent et que je ne les<br />

maîtrise pas. Les tenants et aboutissants<br />

m’échappent et j’aimerais parfois qu’on<br />

m’éclaire. Parfois…<br />

J’ai coupé l’image et le son, le week-end<br />

qui a suivi les nouveaux attentats terroristes<br />

qui ont frappé Paris, pourtant, je<br />

n’ai pas été épargnée par le brouhaha<br />

médiatique. Il faut dire qu’ils sont nombreux<br />

à relayer l’information (et à la commenter)<br />

tout autour de nous. Et, depuis<br />

mon petit bled tranquille, j’entends que<br />

les politiques vont prendre des mesures,<br />

j’entends le sentiment patriotique élevé<br />

en étendard, j’entends l’appel à la vengeance,<br />

j’entends les appels à la solidarité,<br />

j’entends les sentiments compassionnels,<br />

j’entends même que les Belges seraient<br />

responsables…<br />

Glissement progressif du plaisir dictatorial<br />

Le discours semble raisonnable<br />

Mais non. NON ! Un état qui réduit<br />

les libertés et interdit les manifestations<br />

culturelles, ne serait-ce pas une dictature<br />

? Un pouvoir qui ne donne aucune<br />

explication ou des justifications oiseuses<br />

sur ses manœuvres sécuritaires et liberticides,<br />

n'est-ce pas un pouvoir dictatorial<br />

? Où est donc la frontière entre la<br />

soi-disant démocratie et la dictature ?<br />

Et demain, deviendrons-nous tous des<br />

Victor Jara ?<br />

Le secret est-il une justification<br />

acceptable ?<br />

Je ne vois pas en quoi relever le niveau<br />

de la menace peut faciliter le travail<br />

des enquêteurs et, d'autre part, peut<br />

empêche un fou furieux de tuer à tour<br />

de bras-lachnikov. à moins qu'il soit<br />

aussi intelligent que fou et attende<br />

quelques jours que le niveau baisse<br />

pour pouvoir se faire péter dans un<br />

stade de foot plein (après avoir acheté<br />

son billet bien sûr).<br />

La seule raison logique de pousser<br />

le curseur de la menace est donc clairement<br />

de faire peur à la population,<br />

d'ogéèmiser nos cerveaux en y greffant<br />

pour longtemps des gènes de réflexes<br />

sécuritaristes et anxionomanes. Et pour<br />

longtemps, car, comme il est plus facile<br />

de monter le curseur de la menace que<br />

de le descendre, provoquer la peur se<br />

Etienne Vanden Dooren<br />

fait instantanément alors qu'il est quasi<br />

impossible de l'effacer de nos cerveaux.<br />

Le résultat ? Nous sommes entrés de<br />

plain-pied dans une féroce dérive totalitaire.<br />

Nous subissons un processus<br />

dictatorialophile.<br />

La démocratie se fait hara-kiri<br />

Nous ne vivons évidemment pas dans<br />

une dictature mais nous sommes sur la<br />

voie royale qui y mène. La tentation va<br />

être trop grande pour les férus du fric,<br />

les accros du pouvoir d'agiter à l'avenir<br />

le spectre de la menace pour que tout<br />

qui veut l'ouvrir la ferme. Moi, perso, je<br />

les emmerde.<br />

Pourtant, je m’évertue encore à couper<br />

l’image et le son, car j’attends de voir ou<br />

d’entendre une analyse objective de ce<br />

qui se passe pour ne plus me laisser envahir<br />

par les rumeurs, les scandales et tout<br />

ce qui fait les choux gras de la presse.<br />

Est-ce parce que j’ai coupé l’image et le<br />

son que j’ai le sentiment que soudain, on<br />

ne parle plus d’autre chose ? Où sont passés<br />

les sujets qui, il y a encore quelques<br />

jours voire quelques semaines, étaient<br />

sur toutes les lèvres ?<br />

Parle-t-on encore des migrants et du sort<br />

qui leur est réservé ? Parle-t-on encore de<br />

toutes les personnes qui, depuis des mois,<br />

subissent la politique d’austérité ? Parle-ton<br />

encore du black-out et du danger des<br />

centrales nucléaires vieillissantes ?<br />

Une histoire en étouffe une autre ? Du<br />

spectaculaire pour détourner l’attention ?<br />

J’ai coupé l’image et le son, mais je<br />

me pose quand même beaucoup de<br />

questions.<br />

Qui me répondra ?<br />

" Quand je fuirai l'heil Belgique,<br />

quel pays va accepter de m'accueillir,<br />

moi qui débarquerai d'un pays qui<br />

reçoit si mal les réfugiés ?" (EV)


4 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

Politique de la peur, devoir d’irrévérence<br />

Sylvie Kwaschin<br />

Les attentats du 13 novembre à Paris ne<br />

doivent pas nous empêcher de réfléchir à<br />

la manipulation politique de la peur. Ils<br />

sont au contraire un incitant fort à ne pas<br />

renvoyer l’origine de la peur uniquement<br />

à l’Autre en dédouanant la récupération<br />

politique et en oblitérant la violence<br />

sourde et permanente de notre société.<br />

Politique de la peur. L’expression a<br />

d’abord été utilisée pour les dictatures<br />

d’Amérique latine, ensuite pour les états-<br />

Unis de G. W. Bush avec sa définition d’un<br />

Axe du Mal comme dans le plus mauvais<br />

des romans de fantasy. Elle ne me serait<br />

pas venue spontanément en pensant à la<br />

Belgique, ce pays réputé pour son sens<br />

du compromis. Mais on prend connaissance<br />

des changements de politique au<br />

compte-goutte, dans les informations<br />

quotidiennes, mesure après mesure, sans<br />

en prendre la mesure.<br />

Et puis, l’accumulation finit par prendre<br />

sens. Déjà avant, bien sûr, la police militaire<br />

au parlement, les flics devant l’ambassade<br />

des États-Unis, la protection des<br />

institutions juives, les centres fermés,<br />

mais, de là à parler de politique de la<br />

peur...<br />

Y’a pas de quoi rire<br />

Depuis plus d’un an, le discours s’est<br />

durci, les mesures s’accumulent. Les<br />

attentats au Musée juif de Bruxelles, le<br />

démantèlement d’une cellule terroriste<br />

à Verviers ont mis l’armée dans la rue<br />

et les flics en armes à l’intérieur de certains<br />

bâtiments. Le bâtiment qui abrite le<br />

SPF Emploi accueille ainsi la police des<br />

chemins de fer, économies obligent. En<br />

février, les commissariats et autres bâtiments<br />

abritant la police furent classés à<br />

un niveau de menace 3. Ce qui implique<br />

des policiers, l’arme - pistolet mitrailleur<br />

? - au creux du bras, installés devant<br />

ou derrière les portillons de pointage<br />

ou dans le hall d’entrée. C’est cool dans<br />

la “maison de la concertation sociale”, là<br />

où représentants des employeurs et des<br />

travailleurs viennent se rencontrer pour<br />

tenter de concilier leurs différends, voire<br />

des conflits parfois très durs. Pour l’efficacité,<br />

j’ai des doutes. Pour le sentiment<br />

de sécurité, c’est simplement flippant.<br />

Pour la démocratie, c’est inquiétant.<br />

Mais, ce serait une erreur, vendredi 13<br />

novembre oblige, de s’arrêter à ces manifestations<br />

ostensibles de la potentielle<br />

violence de l’état qui font écho à la poten-<br />

tielle violence terroriste. Car pendant ce<br />

temps-là, de manière plus perverse, le<br />

discours sur les demandeurs d’asile n’a<br />

eu de cesse de semer l’inquiétude sur les<br />

“vagues” de migrants, l’envahissement<br />

de la Belgique, la soi-disant nécessité de<br />

les exclure d’une sécurité sociale dont ils<br />

ne bénéficient qu’à minima. Pendant ce<br />

temps-là, sentiment d’insécurité sociale<br />

orchestré quant à l’avenir des pensions,<br />

l’avenir de la sécurité sociale, la peur de<br />

la dégradation de l’économie, des “marchés”,<br />

du gendarme européen, la mise en<br />

scène quotidienne du risque de black-out<br />

électrique... Toutes peurs orientées vers la<br />

soumission à un État sécuritaire, intrusif<br />

et serviteur du capitalisme.<br />

Pendant ce temps-là, poursuite de la violence<br />

ordinaire : des mômes sont toujours<br />

en centre fermé, les SDF essaient toujours<br />

de dormir dans les rues, le nombre de<br />

pauvres s’accroît, le surendettement dû<br />

à la précarité aussi. Les jeunes se font<br />

exclure des allocations d’insertion, les<br />

chômeurs du chômage. Les C<strong>PAS</strong> rament<br />

pour recoller la porcelaine brisée et au<br />

passage perdent des morceaux. La politique<br />

réactionnaire de soumission accrue<br />

au travail perd toute vergogne : allongement<br />

du temps de travail, suppression<br />

des possibilités de prendre des pauses<br />

dans sa “carrière”, remise au travail des<br />

malades de longue durée, restauration<br />

du contrôle domiciliaire “surprise” des<br />

chômeurs, possible contrôle de leurs factures<br />

d’eau et d’électricité. Attaques sans<br />

précédent du droit de grève, au mépris<br />

de la Constitution et des Conventions de<br />

l’Organisation internationale du travail<br />

(OIT, Convention 87) et du récent accord<br />

de l’OIT (février et mars 2015) confirmant<br />

ce droit collectif.<br />

Décidément, y a pas de quoi rire, mais<br />

peut-être pas parce qu’on pourrait mourir<br />

demain sous une balle étrangère.<br />

Alors quoi ?, quand on écrit dans un journal<br />

irrévérencieux qui a pris pour titre<br />

Même pas peur ?<br />

Le courage de l’irrévérence<br />

Quand c’est possible, la sortie par le<br />

haut de l’humour. Et le courage du refus<br />

à la place de la peur. Le courage du refus<br />

et de l’irrévérence.<br />

L’irrévérence, c’est compliquer sa<br />

réflexion et refuser tous les simplismes :<br />

ceux qui lisent le monde uniquement en<br />

termes de religion, ceux qui opposent<br />

“ceux qui veulent vraiment travailler”<br />

aux “chômeurs”, aux “malades fainéants”,<br />

aux “irresponsables qui font grève”, qui<br />

opposent “ceux qui sont de chez nous” à<br />

“ceux qui sont d’ailleurs”, étrangers, fous,<br />

prisonniers, sans domicile, sans papiers,<br />

ceux qui disent qu’il n’y a pas d’alternative,<br />

ceux qui réduisent la politique à<br />

l’impuissance guerrière et financière et<br />

laissent circuler à tout va, flux financiers<br />

et armes...<br />

Le monde n’est simple que pour ceux<br />

qui croient détenir la vérité et ceux qui<br />

les manipulent pour détenir le pouvoir.<br />

De ce point de vue, l’arrogance<br />

populiste d’un Bart De Wever 1 est sur<br />

le même versant que l’arrogance meurtrière<br />

d’un djihadiste. Les caricatures<br />

du premier alimentent celles du second.<br />

Les représentations simplistes de l’économie<br />

masquent des choix effectués au<br />

détriment des nonante-neuf pour cent<br />

de l’humanité ; la lecture des conflits aux<br />

prismes de la religion ou des “civilisations”<br />

masque les stratégies impérialistes<br />

ainsi que les classiques enjeux de pouvoir<br />

que sont le contrôle des territoires<br />

et des ressources (pétrole, eau, terres...) ;<br />

la dénonciation de l’hyperviolence extrémiste<br />

passe sous silence la violence<br />

continue, quotidienne du capitalisme<br />

et des politiques antidémocratiques qui<br />

l’accompagnent.<br />

L’irrévérence, c’est d’abord refuser<br />

toute position d’autorité, surtout celle<br />

qui est dans sa propre tête, pour multiplier<br />

les points de vue, accepter d’être<br />

surpris, en question, se demander si et<br />

comment il est possible de faire place à<br />

la différence et au différend. C’est chercher<br />

dans l’analyse, la réflexion, l’action<br />

comment se dégager des discours dominants,<br />

comment retrouver les marges en<br />

n’oubliant jamais que la barbarie est aussi<br />

bien partagée que la connerie, autrement<br />

dit qu’elle est chez nous aussi, que la violence<br />

n’est pas l’apanage de l’autre, mais<br />

qu’elle peut surgir au détour de notre<br />

volonté d’émancipation lorsque nous<br />

sommes sûrs de nous et que la fin justifie<br />

les moyens.<br />

1 Le nom de Bart De Wever est utilisé comme<br />

métonymie (l’élément pour le tout). Il est loin d’être<br />

seul mais le journal ne comptant que vingt pages, il<br />

n’est pas possible de citer tout le monde.


Les non négociables<br />

de Charles Michel<br />

Sokolov<br />

« Des ennemis sans foi [sic], ni loi, qui se<br />

dissimulent et frappent avec lâcheté, veulent<br />

nous imposer un monde totalitaire.<br />

La liberté de croire ou de ne pas croire.<br />

La liberté de s’exprimer, de débattre, la<br />

liberté de caricaturer et de critiquer.<br />

La liberté de travailler, la liberté de sortir, la<br />

liberté d’aimer...<br />

En un mot, la liberté de vivre. Pour nous,<br />

cela n’est pas négociable.<br />

Il n’y a pas d’accommodements possibles. »<br />

(Charles Michel, Premier ministre,<br />

Discours à La Chambre, 19 novembre 2015).<br />

JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 5<br />

Vous voilà prévenus : la liberté de travailler<br />

ne souffre aucun accommodement<br />

et n’est pas négociable. Tremblez,<br />

grévistes aux piquets, tremblez...<br />

Quant au “droit au travail”, “à des<br />

conditions de travail et à une rémunération<br />

équitables”, “le droit d’information,<br />

de consultation et de négociation<br />

collective”, “le droit à la sécurité<br />

sociale, à la protection de la santé, à<br />

l’aide sociale, médicale et juridique”, “le<br />

droit à un logement décent”, “le droit à<br />

la protection d’un environnement sain”,<br />

“le droit à l’épanouissement culturel<br />

et social” (extraits de l’article 23 de la<br />

Constitution)...<br />

... on ne sait pas...<br />

À BAS LA LIBERTÉ !<br />

Saynète politicomique<br />

Éric Dejaeger<br />

Personnages : Charles Michel – Jan Jambon<br />

– Theo Francken – Marie Christine<br />

Marghem – Maggie De Block.<br />

La saynète se déroule dans une cave sombre et<br />

sommairement aménagée du 16 rue de la Loi.<br />

Au lever de rideau, les cinq personnages sont<br />

assis sur des bacs de bière vides autour d’une<br />

table minable. Derrière Maggie De Block, on<br />

distingue un bac écrasé.<br />

Charles Michel – Chers collègues, je<br />

vous ai réunis ce matin dans cette cave<br />

pour un conseil des ministres aussi restreint<br />

que top-secret car hier soir, sous la<br />

douche, il m’est venu une idée que je qualifierais<br />

de géniale !<br />

Jan Jambon – Ahahah ! Eindelijk ! Zeg<br />

eens, Michke !<br />

Charles Michel – Attends avant de rire<br />

plein ta dikke pens, Janneke ! Voilà : je<br />

pense qu’il serait très intéressant de supprimer<br />

les articles 14, 15 et 16 de notre<br />

constitution...<br />

Jan Jambon – C’est kwâ, ça, Michke ?<br />

Charles Michel – La constitution ?<br />

Jan Jambon – Nee ! Les articles que tu as<br />

dits.<br />

Charles Michel – C’est tout ce qui<br />

concerne la liberté des cultes. On supprime<br />

les religions, on supprime plein de<br />

problèmes. Theotje ! Veux-tu bien cesser<br />

avec ton smartphone !<br />

Theo Francken – T’inquiète, Michke ! J’essèmesse<br />

à Bartje. Faut toujours qu’i sache<br />

tout, çui-là ! Mais ton idée est bonne : on<br />

pourra utiliser les églises et tout le bazar<br />

pour les réfugiés. Verdorie ! On est trop<br />

profond, le réseau va pas bien...<br />

Charles Michel – Trop profond...<br />

Euh, d’accord, Theotje. Alors, qu’en<br />

pensez-vous ?<br />

Jan Jambon – Weï, Michke, intéressant.<br />

Mais faudrait aussi supprimer la liberté<br />

de la presse. Y a pas ça aussi dans la<br />

constitution ?<br />

Charles Michel – Si, article 18.<br />

Jan Jambon – Alleï, le 18 à la trappeke,<br />

Michke ! Qu’est-ce qu’ils m’enquiquinent,<br />

ces journalistes !<br />

Charles Michel – Tu as raison, Janneke.<br />

Jan Jambon – Ça je sais ! Et les manifestations<br />

? Tous ces casseurs tout le temps<br />

dans les straten ! Et ça nous coûte, une<br />

fois !<br />

Charles Michel – D’accord, j’ajoute l’article<br />

19 à ma liste.<br />

Marie Christine Marghem – Tant qu’on<br />

y est, on ne pourrait pas aussi supprimer<br />

la liberté d’expression ? Il y a tellement<br />

de gens qui disent du mal de moi avec la<br />

gestion des centrales...<br />

Maggie De Block – Ah non, Marieke ! Pas<br />

ça ! Les gens, i’ me voient d’un bon œil !<br />

Theo Francken – Weï, Mag, pour te voir,<br />

i’ te voient, ça c’est certain : on peut pas te<br />

rater ! Et fais gaffe à pas encore casser ton<br />

bac, c’est le dernier.<br />

Maggie De Block – Hou je smoel,<br />

snotaap!<br />

Jan Jambon – Tracasse-toi pas, Mag,<br />

on te fera des faux sondages, c’est pas<br />

compliqué.<br />

Charles Michel – Allons, allons, du<br />

calme ! La liberté d’expression, c’est dans<br />

l’article 14 qui fait partie du paquet. Je<br />

résume : suppression des articles 14, 15,<br />

16, 18 et 19 de la constitution. Tout le<br />

monde est d’accord ?<br />

Theo Franken – Minûûût papiljonskes !<br />

Y a Bartje qui demande pourquoi qu’on<br />

supprime pas toute la constitution d’une<br />

fois. Comme ça, on fait tout c’qu’on veut<br />

comme on veut quand on veut.<br />

Jan Jambon – Weï ! Et du même coup,<br />

barst avec la famille royale ! Plus de<br />

donations ! On confisque leurs richesses<br />

et on les distribue aux Vlamingen ! Hein,<br />

Michke !<br />

Charles Michel – Aux Flamands... Ça,<br />

on verra le moment venu, Janneke.<br />

Alors, tous d’accord pour supprimer la<br />

constitution ?<br />

Tous en chœur – WEÏ !!!<br />

Charles Michel – Parfait ! On y verra bien<br />

plus clair sans elle ! Bon, c’est pas tout ça,<br />

vriendjes ! Les paroles c’est bien mais les<br />

actes c’est mieux ! Et là, on a un fameux<br />

pain sur la planche ! Allez, au boulot,<br />

gottferdom !<br />

Ils se lèvent comme un seul homme, se rangent<br />

deux par deux derrière Charles Michel, les<br />

femmes fermant la marche, et sortent au pas<br />

cadencé.<br />

RIDEAU


6 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

couille molle a des choses à dire<br />

Couille molle bombe le torse<br />

Mon pote Couille Molle 1 a eu une<br />

sacrée peur ce fameux vendredi 13<br />

novembre. Pensez à son émotion<br />

quand il a lu sur le journal l’annonce<br />

de Marc Wilmots : « Vincent Kompany<br />

nous a quittés ». Tout de suite,<br />

il a imaginé le pire. Heureusement,<br />

le coach des Diables l’a vite rassuré.<br />

Le capitaine de l’équipe nationale a<br />

seulement quitté la sélection pour les<br />

deux prochains matchs amicaux de la<br />

Belgique, en raison d’une contracture<br />

au mollet. Pour éviter tout risque, il a<br />

préféré se soigner à Manchester. Ouf !<br />

Couille Molle respire.<br />

La menace terroriste ? Ce n’est pas ça<br />

qui l’empêchera de dormir.<br />

- Tout le monde s’inquiète parce que le<br />

niveau d’alerte passe à quatre sur une<br />

échelle de quatre. Eh bien, moi je dis,<br />

une échelle de quatre, ce n’est pas une<br />

échelle, c’est tout juste un escabeau. Tu<br />

1 NDLR : Le nom et le prénom ont été changés<br />

pour préserver l’anonymat de l’intéressé.<br />

as peur de monter sur un escabeau,<br />

toi ? Quatre niveaux, c’est moitié moins<br />

que l’échelle de Richter. Pourtant, on<br />

n’a pas trop peur des tremblements de<br />

terre, hein. Alors, pourquoi avoir peur<br />

du terrorisme ? J’ai pas raison ?<br />

- En plus qu’avec tout ça, le match<br />

Belgique-Espagne a été annulé. C’est<br />

dommage, mais il faut positiver : du<br />

coup, on est certain de rester leader<br />

du classement au moins jusqu’en mars<br />

2016, fieu. C’est pas une bonne nouvelle<br />

ça ?<br />

- Il ne faut pas se laisser impressionner,<br />

fieu. Comme Johnny Hallyday, je<br />

pense qu’il faut montrer à tous ces criminels<br />

qu’on ne les craint pas et qu’ils<br />

ne nous empêcheront pas de vivre. Si<br />

j’étais chanteur, je continuerais à chanter,<br />

comme lui. Comme je ne suis pas<br />

chanteur, je continue à aller au bureau<br />

comme d’habitude. Sinon, tu penses<br />

bien que je prendrais une arme et que<br />

j’irais combattre avec Johnny Hallyday,<br />

hein.<br />

André Clette<br />

- Ce ne sont pas ces barbares qui<br />

m’empêcheront de boire mon verre en<br />

terrasse. À leur nez et à leur barbe, fieu.<br />

Non, c’est plutôt le froid qui me fait<br />

hésiter. De toute façon, à la terrasse du<br />

Café des Sports de G*-lez-P* 2 , on n’est<br />

jamais très nombreux. Ça m’étonnerait<br />

qu’ils viennent mitrailler. Alors, ce n’est<br />

pas non plus la peine de risquer un<br />

rhume.<br />

- Attention, je ne suis pas inconscient,<br />

hein. Je comprends que les gens soient<br />

inquiets…Tous ces migrants, par exemple.<br />

C’est un peu comme les OGM. On<br />

ne sait pas ce qu’il y dedans, on ne sait<br />

pas si c’est dangereux. Mais s’il y a des<br />

croisements avec les espèces autochtones,<br />

c’est un risque pour la diversité. Tu comprends,<br />

fieu ? Donc, moi je suis pour le<br />

principe de précaution…<br />

- On dit partout que l’ennemi s’attaque<br />

à nos libertés. Eh bien, moi je dis : il n’y<br />

a qu’à supprimer les libertés, et l’ennemi<br />

2 Le nom a été masqué par mesure de sécurité.<br />

sera Gros-Jean comme devant. Il faut<br />

leur montrer qu’on est plus malins<br />

qu’eux. De toute façon, les libertés,<br />

hein, ça sert surtout aux gauchistes,<br />

aux pédés et aux grévistes. Quand on<br />

mène une vie normale, on n’a pas tellement<br />

besoin de ça.<br />

- N’empêche, comme dit Monsieur<br />

Proetmacher, notre chef comptable :<br />

« Je n’aimerais pas être à la place de mes<br />

enfants. Dans ce monde angoissant qui<br />

change trop et trop vite, il est bien ardu de<br />

les aider à tracer leur chemin. » Il parle<br />

bien, hein, Monsieur Proetmacher. Et<br />

il a raison. Je n’aimerais pas être à la<br />

place de mon gamin. Moi-même, je me<br />

suis égaré l’autre jour en allant chez<br />

des amis. C’est à cause de ces rondspoints<br />

qu’ils mettent partout. On ne<br />

reconnait plus rien. Alors, des enfants,<br />

forcément, comment tu veux qu’ils s’y<br />

retrouvent…<br />

« Je suis Charlie »<br />

de l’aube au crépuscule :<br />

ça fait marcher le commerce<br />

Veuve Clicquot<br />

Les morts de Charlie ne sont pas<br />

morts pour rien. Le secteur des biens de<br />

consommation en aura largement profité.<br />

Moins d’une demi-heure après l’attentat<br />

à Charlie-Hebdo, Joachim Roncin créait<br />

le logo Je suis Charlie, indiquant clairement<br />

: «Le message et l’image sont libres<br />

de toute utilisation, en revanche je regretterais<br />

toute utilisation mercantile». Pour<br />

ce qui est de la diffusion et de la libre<br />

utilisation, le créateur du logo n’a pas dû<br />

être déçu. En revanche, la seconde partie<br />

de son message n’a pas été exaucée.<br />

l’image de Breda 1 , dans le cadre de l’exposition<br />

Planet Hype consacrée aux délires<br />

médiatiques qui submergent la culture<br />

branchouille contemporaine,<br />

Sous le titre Je suis Charlie, de hele dag,<br />

son installation intègre les images de<br />

6480 objets, organisés selon le déroulement<br />

d’une journée.<br />

Vous pouvez, dès le matin prendre<br />

votre douche derrière un rideau Je suis<br />

Charlie, enfiler un peignoir de bain Je suis<br />

Charlie, siroter votre café dans un mug Je<br />

Frank Schallmaier, rédacteur photo au<br />

quotidien néerlandais De Volkskrant, a<br />

trouvé sur Internet quelque 20 762 objets<br />

imprimés Je suis Charlie, depuis le pyjama<br />

jusqu’à la housse de couette, en passant<br />

par la cravate, le calendrier et la boîte à<br />

tartines.<br />

Il a entrepris une collection qu’il expose<br />

en ce moment au MOTI, le musée de<br />

suis Charlie, enfiler un slip et un t-shirt Je<br />

suis Charlie, promener le chien avec une<br />

laisse Je suis Charlie, mettre votre enfant<br />

dans une barboteuse Je suis Charlie… et<br />

continuer comme ça toute la journée. De<br />

cette manière, tout le monde saura que<br />

vous êtes un fervent militant de la liberté<br />

d’expression, ou alors un fameux con,<br />

voire les deux à la fois.<br />

Je prie pour Paris en faisant<br />

mes achats.<br />

Sur la planète hype, un clou chasse<br />

l’autre. Chaque nouvel attentat ringardise<br />

le précédent. Après Je suis Charlie,<br />

le merchandising s’est déjà emparé de<br />

Je suis Paris, ou pire, Pray for Paris. C’est<br />

trop super branché, ça trende à mort sur<br />

les réseaux sociaux. Frank Schallmaier a<br />

déjà commencé une collection…<br />

Les djihadistes ne nous enlèveront<br />

pas ce que nous avons de plus cher : nos<br />

petites affaires puantes.<br />

John Ellyton<br />

1 Jusqu’au 13 mars 2016, au Museum Of The Image,<br />

Breda.


Le Scoop de WATRIN<br />

JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 7<br />

Comment avoir peur (et se faire peur)<br />

des réfugiés sans bouger de<br />

son fauteuil ?<br />

Dominique Watrin<br />

C’est aujourd’hui visible comme le nez<br />

au milieu du visage, ou comme l’œil au<br />

milieu du front pour les riverains de la<br />

centrale de Tihange, les réfugiés nous<br />

envahissent. Ils progressent en colonnes<br />

de milliers de personnes, pour passer<br />

inaperçus dans la foule, et à pied sur des<br />

chemins de traverse à la limite du praticable,<br />

alors que l’avion est beaucoup plus<br />

sûr et plus rapide, à quoi réfléchissentils<br />

? Et, comme ça, mine de rien, vêtus<br />

de fripes très mal repassées pour mieux<br />

apitoyer les gardes-frontières extérieurs<br />

et les femmes d’intérieur, trimballant<br />

parfois des enfants exténués (que fontils<br />

là, alors qu’ils devraient être à l’école<br />

ou dans leur lit, on se le demande ?), ils<br />

s’insinuent chez nous.<br />

Pour celles et ceux que ces envahisseurs<br />

effrayent, pas de problème. Tous<br />

sont en éveil, prêts à filer à la frontière<br />

les bombarder de couques de Dinant, de<br />

fromages de Herve et de tartes al djote<br />

s’il le faut, pour les arrêter ; bref, ils sont<br />

vigilants. Malheureusement, il subsiste<br />

çà et là quelques incorrigibles naïfs qui<br />

clament, sans avoir l’air de déconner, que<br />

ces gens sont en détresse et qu’il faut les<br />

accueillir (ben voyons, est-ce que nous,<br />

on reste dans le pays des étrangers quand<br />

on y va en vacances ?). Pour achever de<br />

convaincre ces derniers candides d’avoir<br />

peur des réfugiés, voici quatre arguments<br />

imparables que vous pouvez leur<br />

répercuter, merci d’avance pour eux et<br />

pour la patrie !<br />

Premier argument :<br />

la menace anti-querelle<br />

D’abord, expliquez à ces pacifistes que,<br />

si les réfugiés s’installent dans notre Belgique,<br />

ceux-ci devront tôt ou tard décider<br />

s’ils sont Flamands ou Wallons. Et, avec<br />

leur volonté sournoise de déstabiliser le<br />

pays des autres, ces sans-gêne se répartiront<br />

à coup sûr inéquitablement sur<br />

notre territoire : les réfugiés courageux<br />

iront rejoindre les courageux Flamands<br />

et les fainéants grossiront les rangs des<br />

bons-à-rien wallons (même si, d’accord,<br />

il y a des exceptions, je le sais puisque<br />

j’en fais partie). De plus, dégât collatéral<br />

inévitable, en été, Blankenberge ne<br />

sera plus wallonne et Rochefort ne sera<br />

plus flamande : elles seront réfugiées.<br />

Pour que Flamands et Wallons puissent<br />

continuer à se quereller dans l’intimité<br />

sans que ces mêle-tout ne viennent perturber<br />

cette coutume nationale, brandissons<br />

le vrai danger : avec ces gens-là, on<br />

risque des attentats au cuistax-suicide à<br />

la côte et des accostages de kayaks surchargés<br />

de migrants, acheminés par des<br />

passeurs sans scrupule sur la Lesse, le<br />

chaos total ! Et posons bruyamment la<br />

question : à quand un double examen de<br />

« Vlaamse Leeuw » et de « Petite Gayole »<br />

obligatoire à la frontière pour refouler ces<br />

réfugiés de chez nous, en toute neutralité<br />

administrative ?<br />

Deuxième argument :<br />

la menace anti-sans-abri<br />

Nos concitoyens les plus sensibles à<br />

la misère des autres-qui-sont-tout-près<br />

le clament haut et (très) fort : halte au<br />

gaspillage de l’aide à ces réfugiés qui<br />

arrivent, alors qu’on peut aider nos sansabri<br />

à nous qui étaient pauvres prem’s !<br />

Mais, soyons lucides, la menace est beaucoup<br />

plus grave encore. Si ces réfugiés<br />

débarquent chez nous et deviennent des<br />

sans-abri pendant qu’on aide nos sansabri,<br />

comment pourra-t-on, dans quelque<br />

temps, faire la distinction entre, d’une<br />

part, nos sans-abri à aider et, d’autre part,<br />

les sans-abri réfugiés à ne pas aider tant<br />

qu’on n’a pas fini d’aider nos sans-abri à<br />

nous qu’on doit aider avant eux ? Il faut<br />

que ça se sache pour qu’on en frémisse<br />

ensemble !<br />

Troisième argument :<br />

la menace anti-moche<br />

La haine, c’est comme les salades et les<br />

boutons d’acné : ça se cultive, sinon, ça<br />

ne pousse pas. Les questions évidentes<br />

se bousculent donc. Quels étrangers vat-on<br />

rejeter si les étrangers ne sont plus<br />

des étrangers et, pompon de la pomponnette,<br />

s’incrustent chez nous ? Ces réfugiés<br />

risquent même plus tard d’épouser<br />

nos femmes et nos hommes célibataires,<br />

y compris les moches (ce qui est plutôt<br />

louche, convenons-en). Comment ces derniers<br />

accepteront-ils encore ensuite qu’on<br />

leur dise qu’ils sont moches si ces intrus<br />

leur affirment qu’ils sont beaux ? Craignons<br />

tous, dès à présent, le risque d’arrogance<br />

des moches à cause des réfugiés !<br />

Enfin, quatrième argument :<br />

la menace anti-boudin<br />

Il paraît que des gens le tiennent de<br />

source sûre : les réfugiés ne sont pas de<br />

vrais musulmans. Leur pseudo haro sur<br />

le jambon, c’est de la poudre aux yeux, ou<br />

plutôt aux papilles. En fait, cachés derrière<br />

ce paravent religieux, ces arrivants<br />

viennent exprès pour… manger notre<br />

boudin de Noël. Et celui qu’ils risquent<br />

de préférer, c’est celui avec les raisins<br />

dedans, justement le favori de nos compatriotes<br />

en période de fête. Avertissez,<br />

dès lors, tous les pacifistes qu’à défaut de<br />

pouvoir mener à bien ce noir dessein (plus<br />

noir encore que notre boudin), ces envahisseurs<br />

n’hésiteront certainement pas à<br />

transformer en boudin tout être vivant<br />

passant à leur portée : enfants (y compris<br />

les nouveau-nés, même si ça produit une<br />

plus petite quantité de boudin), jeunes<br />

filles (surtout si ce sont déjà des boudins<br />

d’avance), belles-mères (pour du boudin<br />

avarié dès sa fabrication) ou, pire encore,<br />

le chien ou le chat préféré de la famille.<br />

Du boudin de Gribouille ou de Poupette,<br />

l’atrocité de trop qui fera certainement se<br />

réveiller comme un seul homme tous les<br />

pacifistes endormis de la nation !<br />

Bonne peur à tous !<br />

Le monde appartient à ceux<br />

qui se lèvent tôt. L’ennui, c’est<br />

qu’après ça, les autres se lèvent<br />

aussi. Et c’est foutu.<br />

André Clette


8 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

Qui a peur du Grand Méchant Monde ? Florian Houdart<br />

L’histoire de René n’est pas terrible : le<br />

vieil homme ne sort plus de chez lui et ne<br />

voit personne, à deux exceptions près : sa<br />

femme Josiane qui lui fait à manger et ne<br />

parle pas beaucoup et Léon, un gars de sa<br />

génération qui esquisse de grands gestes<br />

avec sa canne quand il fait la conversation<br />

à René.<br />

Parfois, René va pêcher avec Léon mais<br />

ça devient de plus en plus rare. En effet,<br />

il a peur de laisser Josiane toute seule<br />

depuis qu’il a vu un reportage-choc<br />

qui détaille les nouvelles techniques de<br />

cambriolage.<br />

La réaction de René fut immédiate : il a<br />

rassemblé ses dernières économies et s’est<br />

payé l’artillerie lourde pour faire sécuriser<br />

son plain-pied en zone résidentielle.<br />

René a aussi une autre crainte : il redoute<br />

que Josiane profite de son absence pour<br />

se rendre en ville, ce qu’il lui a interdit<br />

de faire sans être accompagnée. Il se sent<br />

mal à l’aise rien que d’y penser. Et pour<br />

cause : le vieil homme est persuadé que<br />

les salafistes sont de plus en plus présents<br />

dans sa petite ville. Puis, il y a<br />

un autre danger en ville : les jeunes !<br />

René les croise parfois, quand<br />

ils traînent par petits groupes,<br />

autour des bancs publics avec<br />

leur casquette, leur capuche<br />

et leur musique à faire trembler<br />

son pacemaker. De quoi<br />

vivent-ils tous ces gens qui<br />

errent aux heures où les<br />

autres travaillent ?<br />

Vous pensez peut-être<br />

que René est un gros con<br />

et que sa femme Josiane est<br />

vraiment à plaindre. Je ne<br />

me prononcerai pas sur cette<br />

question. Par contre, une<br />

chose est certaine :<br />

l’homme est atteint<br />

du syndrome du<br />

« monde méchant »<br />

ou Mean World<br />

Syndrom.<br />

Ce syndrome a été mis<br />

en évidence par George Gebner,<br />

un professeur qui a enseigné les<br />

télécommunications à l’Université de<br />

Pennsylvanie. Le syndrome du monde<br />

méchant n’est pas une maladie mentale<br />

– vous imaginez un peu le nombre de<br />

patients ? Il constitue en fait une réponse<br />

instinctive du cerveau à ce qui est considéré<br />

comme une menace sérieuse. Cette<br />

réaction est le fruit d’une surcharge de<br />

stimuli négatifs envoyés par certains<br />

médias. Les scientifiques parlent d’heuristique<br />

de disponibilité pour définir ce<br />

mode de raisonnement qui se base surtout<br />

sur les informations immédiatement<br />

accessibles. Cela peut être pratique de ne<br />

pas commencer à se faire une dissertation<br />

intérieure lorsque l’on se retrouve pris<br />

dans un immeuble en flammes et qu’il<br />

faut agir vite. Mais n’est-ce pas malsain<br />

de vivre dans un tel climat d’urgence en<br />

permanence ?<br />

Essayons de comprendre concrètement<br />

comment le syndrome du monde<br />

méchant fonctionne. Nous avons vu plus<br />

haut que René avait peur des musulmans.<br />

Mais sur quoi se fonde en grande<br />

partie le raisonnement de cet homme qui<br />

n’a que peu de contacts avec le monde<br />

extérieur ? Assurément sur les représentations<br />

qu’il a assimilées. Celles-ci sont<br />

principalement de nature médiatique.<br />

Ainsi, René se représente les salafistes<br />

comme l’ensemble des « barbus en djellabas<br />

» et il en vient, erronément, à suspecter<br />

tous les musulmans.<br />

Autrement dit, le syndrome du<br />

monde méchant se développe lorsqu’on<br />

laisse certains types de programmes<br />

faire appel, de manière répétée, à notre<br />

instinct de survie. Vous n’en êtes pas<br />

convaincus ? Lisez donc l’exemple frappant<br />

qui va suivre, portant sur le JT de<br />

TF1.<br />

Toutes les soirées de René suivent le<br />

même schéma et à 20 heures, il est devant<br />

le JT de TF1.Le générique palpitant commence<br />

avec ses sonorités angoissantes.<br />

Peu de gens le savent, mais il s’agit en fait<br />

d’une adaptation de la petite mélodie que<br />

l’on entend dans le thème principal des<br />

Dents de la mer, composé par John Williams.<br />

Vous pouvez facilement le vérifier<br />

sans être mélomane car les notes sont<br />

identiques. Rien de tel pour faire monter<br />

le stress et l’adrénaline !<br />

Ensuite, le spectacle commence vraiment.<br />

Il est introduit par une série<br />

d’images troubles, dominées par des<br />

teintes sombres et commentées sur un<br />

rythme haletant. Le moindre événement<br />

devient un prétexte à la dramatisation.<br />

Il pleut sur Paris depuis trois jours ? En<br />

période creuse, un journaliste sera dépêché<br />

sur les terrasses de Montmartre où<br />

il constatera tout le mal que ces vilaines<br />

gouttes d’eau font à l’économie...<br />

Après cette petite heure de menaces,<br />

juste entrecoupée d’une ou deux informations<br />

apaisantes évoquant le terroir, le<br />

folklore et la tradition, c’est-à-dire le passé<br />

et le conservatisme, René sera rendu à un<br />

monde nettement plus heureux : celui<br />

de la pub, dans lequel les produits<br />

comblent tous les besoins d’individus<br />

souriants. Je vous laisse tirer les<br />

conclusions qui s’imposent...<br />

Tout comme je vous laisse deviner<br />

comment le syndrome du<br />

monde méchant peut expliquer<br />

les scores très élevés du Front<br />

National dans certains bleds<br />

français totalement isolés et<br />

dont les ressortissants sont<br />

pourtant rarement confrontés<br />

à des personnes issues de<br />

l’immigration.<br />

Quant à moi, je vais plutôt tâcher<br />

d’oublier cette<br />

pluie perfide<br />

qui veut empêcher<br />

la reprise<br />

de la croissance<br />

pour conclure sur<br />

une bonne nouvelle :<br />

le syndrome du<br />

monde méchant<br />

se soigne très<br />

facilement !<br />

Par exemple, en suivant le conseil de<br />

l’écrivain Patrick Lowie, publié sur sa<br />

page Facebook après les attentats de<br />

Paris : Cessez de vivre dans les faits divers,<br />

cessez d’en faire un discours politique, coupez<br />

les infos, arrêtez vos antidépresseurs et<br />

autres addictions et achetez des livres. Faites<br />

vivre ceux et celles qui ont une autre vision<br />

du monde.<br />

De la crainte de<br />

toutes les religions<br />

Olivier Doiseau<br />

Ce qui me fait peur, en ces temps imbéciles<br />

où les obscurantistes tentent d’imposer<br />

leurs lois, ce n’est pas tant les balles<br />

qui sifflent que l’insondable bêtise des<br />

religions (de toutes les religions !), des<br />

abrutis qui les observent et des intellectuels<br />

hypocrites qui les couvrent. Quelle<br />

nausée m’étreint, quand il faut entendre<br />

répéter à l’écœurement qu’il ne s’agirait<br />

pas d’un problème confessionnel, mais<br />

géopolitique, économique, historique ou<br />

lié à ma belle-sœur !? Quand dira-t-on<br />

enfin l’évidence criante qu’il s’agit simplement<br />

et bel et bien de la conséquence<br />

logique de la bêtise véhiculée par le fait<br />

religieux lui-même ? Que la croyance<br />

dans toutes ces superstitions, chrétiennes,<br />

bouddhistes, musulmanes, animistes<br />

et autres élucubrations antiques<br />

oblitère le jugement critique, la distance<br />

nécessaire à l’analyse, le bon sens ? Que<br />

la croyance dans des dogmes idiots broie<br />

l’esprit rationnel ? Que toutes les religions<br />

portent intrinsèquement l’idée d’être la<br />

seule qui a raison, la méfiance de l’autre,<br />

son rejet plus ou moins poli, traduits par<br />

des déguisements ridicules et des pratiques<br />

moyenâgeuses destinées avant<br />

tout à se démarquer des autres ? Que leur<br />

histoire à toutes est parsemée d’inégalités,<br />

de haines, de guerres et de crimes ? Que<br />

le lavage de cerveau qu’elles imposent dès<br />

l’enfance prédispose ensuite peu ou prou<br />

à l’obéissance sans questionnement ? Que<br />

son imprégnation dans la culture et le<br />

quotidien marque les humains profondément<br />

? Qu’il porte ensuite certains qui<br />

croient s’en être débarrassés à en embrasser<br />

d’autres religiosités stupides, pour ne<br />

citer que celle de l’argent, du scientisme,<br />

du nationalisme ou des pauvres délires<br />

chamaniques ? Que les « modérés » de<br />

toutes confessions ressemblent à s’y<br />

méprendre aux soi-disant extrémistes,<br />

l’intolérance feutrée en plus et le fusil en<br />

moins?<br />

Quand pourra-t-on enfin pouvoir crier<br />

haut et fort que l’on déteste les religions<br />

et leurs pratiquants sans être traité de<br />

raciste, via cette escroquerie intellectuelle<br />

qui veut faire croire que tous les<br />

Arabes seraient musulmans, tous les<br />

Russes orthodoxes, tous les Israéliens<br />

juifs ou tous les Espagnols chrétiens ?<br />

Oui, croyants, je vous trouve tous limités,<br />

et surtout vos érudits ! Oui, je pense<br />

que vous devez vous débarrasser au plus<br />

vite de ces bêtises mystiques qui vous<br />

encombrent le cerveau ! Oui, je trouve<br />

que vos synagogues, temples, églises,<br />

mosquées sont des machines à rendre<br />

idiot ! Oui, j’ai peur de votre bêtise sans<br />

bornes !<br />

Merde, ils m’énervent tellement que<br />

je finirais par croire dans un athéisme<br />

militant, en faire une religion, et devenir<br />

aussi bête qu’eux.


Décalage en règle<br />

JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 9<br />

L'oe i l de l’Observatoire<br />

Bruxellois du Clinamen<br />

comment diable<br />

porter atteinte<br />

au mode de vie à<br />

la belge ?<br />

Dr Lichic<br />

une année de peur<br />

André Clette<br />

Novembre 2014. La Belgique a peur du<br />

noir. On lui annonce un possible blackout.<br />

La nouvelle ministre de l’Énergie,<br />

Marie-Christine Marghem (MR), instille<br />

le doute quant à la sécurité d’approvisionnement<br />

électrique. Pour qu’on n’oublie<br />

pas d’avoir peur, les radios et télés<br />

communiquent quotidiennement l’indice<br />

de consommation en même temps que<br />

la météo. Ça ne sert à rien, mais le message<br />

est clair : sans énergie nucléaire, les<br />

lumières s’éteignent. Quand Electrabel<br />

cultive la peur du noir, c’est cousu de fil<br />

blanc…<br />

Décembre 2014. Le Belge a peur de la<br />

crise. Le spectre d’une spirale déflationniste<br />

plane sur la zone euro. Le Belge a<br />

peur de l’avenir. Dans son discours de<br />

Noël, le bon roi Philippe s’efforce de le<br />

rassurer : « Refusons de nous laisser gagner<br />

par la résignation… Tous ensemble, nous<br />

pouvons surmonter la crise… Ayons le goût<br />

de l’avenir », nous exhorte le Roi. La reine<br />

Fabiola, fraîchement décédée, est appelée<br />

à la rescousse. Elle nous laisse paraît-il<br />

« un grand témoignage d’espoir et d’optimisme<br />

d’une valeur inestimable à une époque<br />

marquée par la peur ». Ça réconforte.<br />

Janvier 2015. « La Belgique a peur… »<br />

chronique Bertrand Henne sur la Première.<br />

En effet, les rues de Bruxelles et<br />

d’Anvers grouillent de militaires. Ça fout<br />

les jetons. « La peur doit changer de camp »<br />

fanfaronne Charles Michel à l’issue d’une<br />

opération antiterroriste. Pas sûr que<br />

ça rassure… Un sondage IPSOS révèle<br />

que 80% des Belges craignent des attentats.<br />

Pour en remettre une couche, Théo<br />

Francken (NVA) se livre à une chasse<br />

aux étrangers où il confond allègrement<br />

« illégaux » et « délinquants ».<br />

Février 2015. La Belgique se fait très<br />

peur contre les Pays-Bas au tournoi des 6<br />

nations, mais ça ne concerne que les amateurs<br />

de rugby.<br />

Entre-temps, la peur du noir s’est étendue<br />

à tout ce qui est vaguement basané.<br />

Pourtant, ce sont les quelque 100 000<br />

sans-papiers vivant en Belgique qui ont<br />

le plus de raisons de se faire du souci.<br />

Quand il montre les dents, le secrétaire<br />

d’État en charge de la migration a l’air de<br />

vouloir les mordre.<br />

À la Foire de Livre de Bruxelles, des<br />

gros bras tentent de faire peur aux éditeurs<br />

du journal MÊME <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong>. Ce<br />

n’est pas bien malin vu que, même si<br />

ceux-ci avaient peur, ils ne le diraient pas,<br />

ça ferait chuter les ventes.<br />

Mars 2015. Pour faire peur à la peur, on<br />

marche. À l’initiative de représentants<br />

de différentes religions monothéistes<br />

et de la laïcité, environ 3 500 personnes<br />

défilent à Bruxelles contre «la stratégie<br />

de la peur». Le ministre de la Justice se<br />

fend d’un discours. Symboliquement,<br />

une dizaine de colombes sont lâchées<br />

par des jeunes de confession musulmane,<br />

juive et catholique. Connaîtront-elles le<br />

même destin que les blanches colombes<br />

lâchées naguère par le Pape et qui se sont<br />

fait agresser par de noirs corbeaux, on<br />

l’ignore. En tout cas, aucun travailleur<br />

n’est pris en otage par cette action. C’est<br />

dimanche.<br />

Attaque au musée Bardo à Tunis : 22<br />

morts, dont 21 touristes étrangers. Les<br />

Belges qui avaient déjà réservé pour les<br />

vacances de Pâques ont peur : seront-ils<br />

remboursés en cas d’annulation ?<br />

Avril 2015. Plus de peur que de mal :<br />

victime d’un coup à l’orteil face au Real<br />

Madrid, Lionel Messi passe des examens.<br />

Il ne souffre d’aucune lésion. Ouf.<br />

Faut-il avoir peur du moustique-tigre<br />

en Belgique ? : Cet insecte qui véhicule la<br />

dengue et le chikungunya semble vouloir<br />

s’installer chez nous. Contracter des<br />

maladies de Noirs ! Les Blancs en ont une<br />

peur bleue.<br />

Farid Bamouhammad, dit Farid Le Fou,<br />

remis en prison le 1 e avril, est remis en<br />

liberté le 10. Les lecteurs de Sud Presse<br />

ont peur.<br />

Mai 2015. Les travailleurs ont peur<br />

du chômage, les chômeurs ont peur de<br />

l’Onem. Désormais autorisés à effectuer<br />

des contrôles-surprises à domicile,<br />

les inspecteurs de l’Onem pourront<br />

demander au chômeur sa quittance<br />

de loyer, ses factures d’eau, de gaz et<br />

d’électricité. « Si vous n’avez rien à cacher,<br />

vous n’avez rien à craindre » disait déjà le<br />

docteur Goebbels, ministre du 3 e Reich.<br />

Un avis rassurant que partage Bart Tommelein<br />

(Open VLD), secrétaire d’État en<br />

charge de la lutte contre la fraude sociale,<br />

encore un bleu qui vire au noir.<br />

Enfin une bonne nouvelle : Mathieu<br />

Cornet, le nouvel attaquant d’Ostende,<br />

n’a pas peur d’être en concurrence avec<br />

l’Ivoirien Gohi Bi Cyriac. Un Blanc qui n’a<br />

pas peur du Noir, ça mérite un gros titre<br />

dans la presse.<br />

Juin 2015. Les Bruxelloises ont peur de<br />

se déplacer, révèle une étude publiée par<br />

Le Soir, qui met en évidence le sentiment<br />

d’insécurité ressenti par les femmes en<br />

milieu urbain.<br />

L’Europe a peur de l’exemple grec.<br />

Alexis Tsipras, premier ministre en place<br />

depuis janvier, appelle à voter non au<br />

référendum sur le plan d’austérité. Les<br />

marchés s’inquiètent. Le Belge a peur de<br />

ce que ça pourrait lui coûter. La démocratie,<br />

c’est bien, mais ce n’est pas parce<br />

qu’on l’a inventée qu’on doit s’en servir.<br />

Juillet 2015. « J’ai peur d’une nouvelle<br />

guerre » confie Fernand Huts. L’un des<br />

plus grands patrons flamands, craint le<br />

pire pour l’Europe. « Tout l’équilibre des<br />

pouvoirs est perturbé, il faut investir dans la<br />

Défense » plaide-t-il.<br />

Les policiers ont peur de participer au<br />

défilé du 21 juillet en raison du risque<br />

d’attentat. Certains syndicats menacent<br />

d’un éventuel arrêt de travail, le jour de<br />

la fête nationale. Jan Jambon tranche.<br />

Les policiers défileront. On n’est pas des<br />

tapettes.<br />

Août 2015. Les Belges qui sont en<br />

vacances ont peur de la canicule, ou des<br />

orages, ou des inondations, ou des trois<br />

à la fois. Ceux qui sont restés ont peur<br />

des migrants. Les demandeurs d’asile<br />

affluent. Les structures d’accueil sont<br />

pleines à craquer. Les C<strong>PAS</strong> appellent à<br />

l’aide. Des associations et des citoyens<br />

attachés au droit des étrangers sont terrifiés<br />

par l’incapacité des pouvoirs publics<br />

à les traiter correctement. “Bisounours”<br />

devient l’insulte favorite des abrutis et<br />

des racistes qui distillent la phobie de<br />

l’invasion. Les torrents de bêtise et de<br />

méchanceté qui suppurent sur le net ont<br />

de quoi épouvanter.<br />

Septembre 2015. Le réchauffement<br />

climatique ne cesse de s’accélérer. Si les<br />

Belges s’en alarment (modérément), on ne<br />

peut toutefois pas reprocher à nos ministres<br />

d’insuffler la peur. Cela fait six ans<br />

qu’ils sont dans l’incapacité de trouver<br />

un accord pour les objectifs de réduction<br />

de CO2 et la répartition des efforts en<br />

matière d’énergies renouvelables.<br />

La ministre Marie-Christine Marghem<br />

(MR) se veut rassurante : « les perspectives<br />

pour 2020 ne sont pas encore positives, mais<br />

les réserves accumulées ces dernières années<br />

en matière d’émissions de CO2 grâce à la<br />

crise économique permettront de compenser ».<br />

Quand Marghem se veut rassurante, ça<br />

donne le frisson.<br />

Octobre 2015. Pour tranquilliser les joggeuses<br />

inquiètes de rencontrer quelqu’un<br />

de basané, Theo Francken annonce que<br />

les ressortissants étrangers souhaitant<br />

obtenir un droit de séjour en Belgique<br />

devront désormais signer un document<br />

d’adhésion aux droits, obligations, valeurs<br />

et libertés européens. En revanche,<br />

toujours aucune obligation de ce genre<br />

pour les gros cons de souche, qui sont<br />

pourtant bien plus menaçants.<br />

Les réacteurs fissurés de Doel 3 et<br />

Tihange 2 recevront le feu vert pour redémarrer.<br />

Doel 1 et 2 seront prolongés. La<br />

peur du noir est décidément plus forte<br />

que la peur de l’accident nucléaire.<br />

Le gouvernement Michel célèbre son<br />

premier anniversaire. Bizarre, ça nous<br />

avait paru plus long. Le plus pénible, c’est<br />

qu’il reste encore quatre ans à tirer. Il y a<br />

de quoi angoisser.<br />

Novembre 2015. Par crainte de troubles,<br />

plusieurs cinémas refusent de programmer<br />

le film Black d’Adil El Arbi et Bilall<br />

Fallah. Le Black in fait aussi peur que le<br />

black-out.<br />

Attaques sanglantes à Paris. Menaces<br />

terroristes niveau 4 sur Bruxelles. Par<br />

chance, une barrière invisible empêche<br />

les djihadistes de franchir le ring.<br />

L’alerte reste au niveau 3 pour le reste du<br />

pays. Dans un discours martial devant<br />

la Chambre, Charles Michel déploie<br />

une liste de 18 mesures sécuritaires et<br />

déclame fièrement les « valeurs universelles<br />

que nous incarnons ». Dans ce type de circonstances,<br />

la récitation des valeurs, c’est<br />

un peu comme la prière. Un rituel obligé.<br />

La police réalise un grand coup de<br />

filet. Lancer spectaculaire, mais pêche<br />

médiocre. On ne sait si les terroristes<br />

sont terrorisés, mais par chance, le gouvernement<br />

dispose d’une jauge invisible<br />

indiquant que le niveau a baissé.<br />

Les joyeux bouchers des récents<br />

attentats de Paris visaient, d’après<br />

les médias, à attenter au « Mode de<br />

Vie à la française ». Stade de Football,<br />

terrasses de café et salles de concert<br />

incarneraient donc cette Dolce<br />

Vita Bleu Blanc Rouge que le monde<br />

envie tant. On pourra objecter qu’il y<br />

manque le métro, l’usine de rillettes,<br />

les défilés d’anorexiques et les banlieues,<br />

mais ne chicanons pas. Pour ma<br />

part, depuis, je m’interroge : comment<br />

diable pourraient faire les djihadistes<br />

pour porter atteinte au « Mode de vie<br />

à la Belge » ?? Quels symboles frapper<br />

fort pour épastrouiller l’opinion ? Au<br />

Nord, la décapitation en direct d’un<br />

pêcheur de crevettes semble devoir<br />

être écartée (trop de risques de « Like »<br />

sur YouTube) ; il faut donc toucher<br />

le plat pays dans sa plaine: faire<br />

exploser des champs de betteraves<br />

sera du plus bel effet. On devine déjà<br />

la poésie débridée des journaleux :<br />

« l’attentat diabétique ». L’impact sera<br />

certes limité à l’âme flamande, et on<br />

se doute que l’empathie mondiale sera<br />

assez restreinte (sauf au Brésil dans<br />

les régions tournées vers la canne à<br />

sucre), mais bon. À Bruxelles et au<br />

sud du pays, la tâche s’avère encore<br />

plus ardue : des coups de canon sur<br />

la Batte à Liège ? (avantage, on trouve<br />

les boulets sur place). Une rafale de<br />

Fall (récupéré de la FN Herstal) sur<br />

un fritkot à Wavre? (non, trois fois<br />

non, les djihadistes y perdraient tout<br />

crédit !?). Un kamikaze sur le lion de<br />

Waterloo ? (plus nul que ça comme<br />

scénario c’est RTL). Une attaque<br />

bactériologique dans une brasserie<br />

artisanale ? (mais il y en a déjà tellement,<br />

de bactéries et de levures, que<br />

franchement, où iraient se loger les<br />

petites nouvelles ?). Une bombe dans<br />

l’élevage de blanc bleu belge d’une<br />

ferme de Porcheresse ? On l’aura compris,<br />

attenter aux symboles d’un état<br />

construit sur les moules, une royauté<br />

ringarde, du chocolat et un bambin<br />

pisseur, et où tout est soi-disant surréaliste,<br />

franchement ça craint. La stratégie<br />

oblique de Daesh trouve ici ses<br />

limites : les Belges veulent bien aller<br />

meurtrir les Français, mais l’inverse,<br />

pardon, trop la honte mon frère ! Il y<br />

a en effet de quoi démotiver les plus<br />

moyenâgeux des fondamentalistes,<br />

parole ! Nous pouvons dormir tranquilles<br />

les amis : quel martyr serait<br />

assez fou pour se sacrifier dans des<br />

endroits aussi nuls que le marché<br />

de Noël de Bruxelles ? Qui voudrait<br />

inscrire son nom au panthéon du<br />

Jihad : « Mort dans la huitième boule<br />

infidèle de l’Atomium » ?<br />

Décembre 2015. À l’heure où nous<br />

écrivons, nous ne savons pas ce que<br />

sera décembre 2015. Une chose est sûre,<br />

le business de la sécurité et de la surveillance<br />

aura connu un boom sans<br />

précédent.<br />

Et la palme de la phrase la plus rabâchée<br />

revient cette année à… : « LE RISQUE<br />

ZÉRO N’EXISTE <strong>PAS</strong> ».<br />

La peur c’est comme la réforme de<br />

l’état en Belgique : d’abord on est<br />

paralysé, puis on fait n’importe quoi,<br />

et enfin on n’est pas très fier de soi<br />

(Lichic)


10 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016


JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 11


12 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

Massimo Bortolini<br />

SPF des Affaires en tout genre<br />

1000 Bruxelles<br />

Madame, Monsieur,<br />

En septembre et octobre derniers, sur les forums de différentes éditions<br />

des journaux du groupe Sudpeste, vous avez, à plusieurs reprises, sous les<br />

pseudonymes «BleuBlancBlues» et «Jaimalamonpays», émis quelques considérations<br />

concernant ce qu’il est désormais convenu d’appeler la crise des<br />

migrants.<br />

Nous saluons votre participation active au débat citoyen qui entoure,<br />

dans les forums des médias et ailleurs, l’arrivée dans notre pays de milliers<br />

de demandeurs d’asile.<br />

Dans vos opinions unanimes et assez répétitives, vous conseillez à ces<br />

immigrés, étrangers, dangers, vermines et salopards (nous reprenons ici<br />

quelques-uns de vos termes) de rentrer au plus vite chez eux ; vous vous<br />

adressez également à ceux qui, idéalistes, vermine gauchiste, bisounours,<br />

bobos (ce sont toujours vos termes), souhaitent la bienvenue à ces personnes,<br />

demandent aux autorités d’organiser un accueil digne et de respecter<br />

la dignité humaine et la loi, vous vous adressez donc à eux par<br />

notamment des t’as qu’à les accueillir chez toi ! , t’as sûrement de la place<br />

dans ton lit (ce sont encore vos termes).<br />

Nous avons pris la peine et le temps de parcourir vos différentes opinions<br />

concernant cette actualité. Et nous croyons pouvoir vous aider à aller plus<br />

loin dans votre souhait de résoudre la question de l’arrivée des demandeurs<br />

d’asile.<br />

De la même manière que vous considérez que ceux qui souhaitent la bienvenue<br />

à ces personnes, fuyant la guerre, la misère, la mort imminente, n’ont<br />

qu’à s’en occuper, nous pensons que vous pouvez également allez au bout<br />

de vos positions. Comme vous l’avez indiqué, à plusieurs reprises, l’État<br />

a déjà bien assez à faire avec ses propres citoyens sans devoir, en plus,<br />

s’occuper de personnes arrivant de l’étranger. C’est dans ce souci d’épargner<br />

les deniers publics que nous nous en remettons donc à vous.<br />

Nous vous proposons ainsi de ramener chez elles, les personnes dont vous<br />

ne voulez pas ici. Nous ne savons pas de quel type de véhicule vous disposez,<br />

aussi, nous ne vous avons destiné que trois personnes à transporter.<br />

Elles sont originaires d’Afghanistan. Si vous le souhaitez, nous vous donnerons<br />

leurs noms.<br />

Comme vous le savez certainement, les autorités sont tenues d’assurer<br />

la reconduction des non-nationaux jusqu’à la frontière de notre pays. Vos<br />

frais seront donc pris en charge jusqu’à celle-ci. Ensuite, il vous reviendra<br />

de financer le retour de ces personnes dans leur pays. Nous vous fournirons<br />

les documents nécessaires à attester que, en aucun cas, vous n’êtes<br />

des passeurs ou autres trafiquants d’êtres humains, mais bien des citoyens<br />

qui ont manifesté leur souhait de voir ces personnes retourner chez elles<br />

et que vous les y aidez. Outre les frais inhérents au voyage proprement<br />

dit, vous êtes tenus d’assurer l’entretien de ces personnes (nourriture,<br />

logement, etc.) depuis la frontière jusqu’à leur domicile ; vous trouverez<br />

leur adresse en annexe.<br />

En vous remerciant une nouvelle fois pour l’aide que vous avez apportée<br />

aux difficultés que notre pays rencontre, nous vous prions chère Madame,<br />

cher Monsieur, d’agréer nos salutations distinguées.<br />

Pour le Ministre,


JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 13<br />

Les contes qu’on nous raconte<br />

L’euro, entre rouleau compresseur et invectives<br />

Sylvie Kwaschin<br />

En 1992, via le Traité de Maastricht,<br />

l’Union européenne créait une Union économique<br />

et monétaire. En 1999, l’euro entrait en<br />

piste comme monnaie pour les échanges financiers<br />

et en 2002 il devenait la monnaie unique<br />

quotidienne des citoyens et des entreprises.<br />

Fut-ce la meilleure ou la pire idée du<br />

siècle ? Entre le rouleau compresseur idéologique<br />

européen et les invectives internes à la<br />

gauche, on ne sait plus à quel saint se vouer,<br />

pour peu que l’on veuille se vouer à quelqu’un<br />

ou quelque chose… Puisqu’on ne peut pas<br />

tout savoir, essayons au moins de clarifier<br />

quelques éléments du problème. Ce sera toujours<br />

un premier pas de fait.<br />

L’euro, un choix politique :<br />

dépolitiser l’économie<br />

La monnaie est une de ces questions<br />

étonnantes qui divisent radicalement<br />

les économistes. Comme pour toute réalité<br />

sociale, c’est une invention humaine,<br />

mais il n’y a d’accord ni sur les circonstances<br />

qui président à sa création, ni sur<br />

les rôles qu’elle joue en économie, ni sur<br />

la nécessité et les moyens de la contrôler<br />

1 . C’est cependant à la monnaie que<br />

fut confié le rôle d’accroitre et d’accélérer<br />

l’intégration européenne.<br />

L’euro fut mis en place comme si la<br />

monnaie était un pur médium technique,<br />

dont la gestion pouvait être confiée à une<br />

Banque centrale européenne, indépendante,<br />

par construction, du politique. Les<br />

1 Les théories vont de “la monnaie ne joue aucun<br />

rôle” à la monnaie sert l’accumulation du capital par<br />

la réalisation de la valeur et l’expropriation de la plusvalue,<br />

en passant par “il faut simplement contrôler,<br />

via la monnaie, le niveau d’inflation. Elle est aussi<br />

toujours une institution sociale. D’une part, elle<br />

repose fondamentalement sur la confiance qui lui<br />

est faite. C’est pour cela que peuvent être créées des<br />

monnaies locales, comme le SEL, le Buzuk, le Nissart,<br />

la Gabare, le Ropie, l’Épi, le Valeureux (liégeois, bien<br />

sûr), le Toreke,... fonctionnant dans une zone locale<br />

de production et d’échanges de biens et de services.<br />

D’autre part, elle permet la socialisation de la richesse<br />

pour la production des biens et services publics.<br />

critères de convergence ne concernaient<br />

que la dette publique cumulée, le déficit<br />

public annuel et le niveau d’inflation sans<br />

considération de l’équilibre des échanges<br />

commerciaux intra-européens, ni du taux<br />

et de la qualité des emplois ou du niveau<br />

de protection sociale. Autrement dit, il ne<br />

fut plus question de politique économique,<br />

mais de gestion de l’économie au moyen<br />

d’indicateurs simples gérés par des techniciens<br />

(appelés technocrates).<br />

Vous vous rendez compte qu’une Union<br />

économique et monétaire (UEM) – la<br />

zone euro de son petit nom – a été créée<br />

sans qu’on ne sache très bien comment<br />

une monnaie fonctionne et à quoi elle<br />

sert ? Vous vous rendez compte que les<br />

pays, dont certains appliquaient depuis<br />

la fin de la guerre peu ou prou des politiques<br />

keynésiennes, avec plus ou moins<br />

de bonheur, ont dans un grand élan<br />

joyeux abandonné leurs monnaies nationales<br />

pour utiliser l’euro ? Et, par la même<br />

occasion, ils ont abandonné un instrument<br />

qu’ils connaissaient et maîtrisaient<br />

relativement, malgré les divergences<br />

théoriques, pour un truc assez inconnu<br />

qui leur échappait complètement, parce<br />

que placé dans les mains d’une Banque<br />

centrale européenne indépendante du<br />

politique ? Et vous vous rendez compte<br />

qu’on nous a vendu la camelote en nous<br />

disant que ce serait plus facile pour les<br />

vacances à l’étranger et pour le grand<br />

marché européen ?<br />

Ce qui fait consensus<br />

La crise financière de 2008 et, plus<br />

récemment, le traitement inique auquel<br />

s’est soumise la Grèce ont relancé les<br />

réflexions et les critiques.<br />

Il y a un relatif consensus, chez les<br />

économistes critiques, pour dire que la<br />

monnaie unique telle quelle a été mise en<br />

place, a fait diverger les économies européennes,<br />

particulièrement a fait décrocher<br />

les économies du sud de l’Europe<br />

(mais la France ne se sent pas très bien non<br />

plus). Les remèdes appliqués – réduction<br />

des déficits publics, réformes structurelles<br />

du marché du travail (diminution<br />

du coût du travail allongement du temps<br />

de travail, facilitation des licenciements) –<br />

non seulement plombent les économies<br />

européennes, mais surtout détruisent<br />

la cohésion des sociétés, accroissent les<br />

inégalités, la pauvreté, ne laissent pas de<br />

marges pour une politique climatique et<br />

environnementale ambitieuse (c’est-àdire<br />

simplement réaliste), etc.<br />

Divergences et invectives<br />

Là où ça diverge méchamment – c’est-àdire<br />

avec méchanceté – c’est sur la question<br />

de ce qu’il convient de prôner comme<br />

alternative. La question du caractère souhaitable<br />

et possible de la sortie de l’euro<br />

pour tel ou tel pays fait florès dans les<br />

rayons des librairies et sur les blogs des<br />

économistes hétérodoxes français. Malheureusement,<br />

les invectives aussi 2 . Et de<br />

se traiter de fachos, de poststaliniens ou<br />

plus simplement d’imbécile sans aucune<br />

rigueur scientifique... Il y en a encore qui<br />

ont la ligne juste, camarade, et qui, forts<br />

de cette possession, se contentent de l’injure<br />

comme seul argumentaire.<br />

Politiques et technocrates peuvent sourire<br />

tranquillement. Ils peuvent continuer,<br />

au nom de l’Union économique<br />

et monétaire et de la nécessité de faire<br />

“converger les économies de la zone<br />

euro” à imposer de strictes politiques<br />

d’austérité, notamment d’interdiction<br />

de croissance des salaires et de mise en<br />

cause des négociations collectives, y compris<br />

pour la Belgique.<br />

Une question simple<br />

La question est, relativement, simple :<br />

est-il possible de réformer l’Union européenne<br />

et l’Union économique et moné-<br />

2 Chez les Allemands aussi, par exemple<br />

entre Wolfang Streeck et Jürgen Habermas.<br />

taire 3 pour lui donner un caractère<br />

démocratique ainsi que de réformer sa<br />

monnaie unique, l’euro, pour lui rendre<br />

un rôle d’instrument de politique économique<br />

? Ou est-ce impossible et faut-il<br />

retrouver au niveau de l’État-nation une<br />

capacité de faire des choix économiques<br />

et d’utiliser la monnaie comme un des<br />

instruments de ces choix ? Autrement dit,<br />

faut-il sortir de l’euro ?<br />

Des réponses complexes<br />

Les réponses sont complexes. Elles<br />

mettent en jeu à la fois des questions<br />

économiques, théoriques et techniques<br />

(quels seraient les effets d’une sortie<br />

organisée de la zone euro pour un pays ?)<br />

et des questions de philosophie politique<br />

: l’État-nation peut-il déboucher sur<br />

autre chose que le nationalisme ? À tous<br />

niveaux, les avis sont partagés. Mais,<br />

peu se partagent sur la base de réflexions<br />

argumentées. La discussion, en France,<br />

est complètement polluée par le fait que<br />

le Front national est “souverainiste” et<br />

partisan de la sortie de l’euro. Dès lors,<br />

les prises de position qui plaident pour<br />

recouvrer une maîtrise nationale de<br />

la monnaie sont créditées du pire. En<br />

Allemagne, le spectre de la guerre entre<br />

nations conduit certains à refuser d’envisager<br />

qu’une sortie de l’euro puisse être<br />

une position de gauche ou même simplement<br />

progressiste. Soyons de bon<br />

compte : en Belgique, on ne s’injurie pas ;<br />

le silence règne.<br />

Se demander si l’appropriation démocratique<br />

de l’économie peut encore se<br />

concrétiser au niveau européen ou s’il<br />

est plus efficace stratégiquement d’agir<br />

au niveau des pays, voire des régions,<br />

dépend d’une analyse des rapports de<br />

force et des alliances possibles. Tant<br />

qu’on sera dans l’invective, ni les objectifs,<br />

ni les stratégies ne seront élaborés et<br />

le capitalisme coulera de beaux jours.<br />

3 Pour mémoire, ce n’est pas la même chose.<br />

Notamment le Royaume-Uni, le Danemark<br />

et la Suède ne font pas partie de l’UEM.


14 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

interview<br />

INTERVIEW-gatoire de « MÊME <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong> » recueillie par Manuel Abramowicz<br />

des juifs révolutionnaires, ça existe (encore) ?<br />

« Ils sont tous riches ». « Ils dirigent<br />

les-médias-l’économie-la-politiquela-culture-les-banques-Hollywood<br />

».<br />

« Les Juifs dominent le monde ». Tremblez,<br />

tremblez antisémites de tous<br />

les pays, il y en a aussi qui se battent<br />

pour abattre l’impérialisme et mettre<br />

fin à la société capitaliste. MPP en a<br />

même rencontré.<br />

Le grand complot « judéo-bolchévique<br />

» serait-il de retour pour mettre<br />

l’Occident chrétien sous la coupe de<br />

l’Internationale juive ? Les pires cauchemars<br />

qui perturbent les cerveaux<br />

malades des antisémites primaires de<br />

tous poils pourraient être violemment<br />

de retour après avoir pris connaissance,<br />

ici dans MPP, de l’existence des<br />

« Juives et Juifs révolutionnaires » (JJR).<br />

Ce groupe anarchiste, féministe et<br />

antisioniste est actif en France. Même<br />

Pas Peur a soumis un de ses membres<br />

à une « interview-gatoire », bien plus<br />

efficace qu’un interrogatoire de police,<br />

mais sans bottin téléphonique.<br />

Déclinez votre identité : date<br />

et ville de naissance ? Quelles<br />

sont vos implantations<br />

actuelles ?<br />

Mont Sinaï, 22 Av 5552. Non, sans<br />

déconner on est né sur internet suite<br />

à des discussions en 2014 et 2015 entre<br />

militantes et militants révolutionnaires<br />

qui ont fait des constats assez proches<br />

sur l’antisémitisme. Pour l’instant on<br />

est implantés en région parisienne, et<br />

on essaie à Toulouse et Lyon.<br />

Combien de membres avezvous<br />

? De sympathisants ?<br />

T’es de la police ? « Je reviendrai et je serai<br />

des millions » (Spartacus).<br />

Vos couleurs sont le noir<br />

et le rouge, vous êtes des<br />

héritiers de la « bande<br />

à Bonnot » ? Des anars ?<br />

Des libertaires ? De<br />

quel courant êtes-vous<br />

issus ?<br />

Actuellement, on est majoritairement<br />

issus des milieux<br />

anars, au départ, on souhaitait<br />

créer un groupe plus large, mais<br />

on ne peut pas vraiment dire que nous<br />

appartenons à un courant particulier<br />

parce que ce n’est pas là-dessus qu’on se<br />

définit. À la limite on pourrait parler de<br />

tous les courants révolutionnaires juifs,<br />

comme le Bund (NDLR : Union générale<br />

des travailleurs juifs de Lituanie,<br />

de Pologne et de Russie, un mouvement<br />

socialiste révolutionnaire fondé à la fin<br />

du XIX e siècle dans l’Empire russe), les<br />

cellules ouvrières juives qui ont existé<br />

dans les syndicats, les groupes d’autodéfense<br />

dans le Yiddishland... Voire toute la<br />

tradition des Juives et des Juifs qui ont<br />

milité dans des groupes révolutionnaires<br />

plus généralistes. Vu le nombre, on ne<br />

manque pas de branches auxquelles se<br />

raccrocher si on veut se donner une légitimité<br />

historique.<br />

Nous sommes encore en plein débat :<br />

certains aimeraient qu’on crée un groupe<br />

libertaire, d’autres souhaiteraient qu’on<br />

élargisse, c’est un questionnement qui<br />

se réglera avec le temps, selon les retours<br />

que nous aurons et les gens qui continueront<br />

à nous rejoindre.<br />

Pourquoi un groupe libertaire<br />

spécifiquement « juif » ? Vous<br />

ne voulez pas militer dans les<br />

organisations déjà existantes :<br />

Fédération anarchiste, CNT,<br />

Alternative libertaire... ? Vous<br />

êtes communautaristes ?<br />

Déjà on n’est pas à proprement parler un<br />

groupe libertaire. Certains d’entre nous<br />

militent dans différentes organisations<br />

anars. D’autres non. Par contre, on considère<br />

qu’il y a une nécessité d’auto-organisation<br />

des opprimés qui découle d’une<br />

oppression spécifique. Pour les prolos,<br />

c’est le syndicalisme, pour les femmes<br />

et les LGBT c’est le féminisme, pour les<br />

Juives et Juifs qui subissent l’antisémitisme,<br />

c’est l’organisation de la minorité<br />

nationale juive.<br />

Notre position spécifique par rapport<br />

à l’antisémitisme nous amène à nous<br />

organiser d’une manière particulière.<br />

Concrètement, l’antisémitisme on le<br />

subit, donc on va plus souvent y être<br />

confronté, contrairement aux groupes<br />

« généralistes ». Notre démarche n’est<br />

pas communautariste : elle s’organise<br />

par rapport à l’expérience commune<br />

d’une oppression, d’une situation de<br />

minorité nationale.<br />

Quelle est votre position sur<br />

l’État d’Israël et le sionisme ?<br />

C’est la question que tout le monde<br />

nous pose et ça nous emmerde. Dès<br />

qu’une personne se définit en tant<br />

que juif, on la fait chier pour qu’elle<br />

se positionne sur Israël. De la même<br />

manière que tout le monde va emmerder<br />

les musulmanes et les musulmans<br />

pour qu’elles et ils se désolidarisent<br />

des takfiristes (NDLR : un des courants<br />

du salafisme, lui-même issu de<br />

l’islam sunnite, adepte d’une pratique<br />

religieuse rigoriste et traditionaliste<br />

anti-moderniste). Dès que t’es membre<br />

d’une minorité, c’est une sommation<br />

à faire du not in a my name, alors que<br />

quand on rencontre un mec issu du<br />

groupe majoritaire, personne ne dit :<br />

« En tant qu’homme blanc, Européen de<br />

culture chrétienne, tu penses quoi de ce que<br />

fait l’armée française en Afrique ? ». C’est<br />

même pire : l’État d’Israël on n’y est<br />

pas, et on n’a aucune influence dessus,<br />

contrairement à la politique française.<br />

Donc on essaie de ne pas tomber dans<br />

ce piège. Notre espace de militance,<br />

c’est la situation ici, où on est pris entre<br />

les antisémites dans la société et les<br />

réacs dans notre minorité.<br />

Cela dit on pense que la terre devrait<br />

appartenir également à ceux qui y<br />

vivent, y travaillent, y passent ou<br />

souhaitent y vivre, qu’il ou soit juifs,<br />

arabes, vietnamiens… Ça nous place<br />

en opposition avec le sionisme, qui<br />

définit Israël sur une base ethnico-religieuse.<br />

En plus, en tant que révolutionnaires,<br />

on s’oppose au nationalisme et<br />

au colonialisme, à commencer - parce<br />

qu’on habite en France - au colonialisme<br />

français. On n’a pas plus de complaisance<br />

pour le colonialisme israélien,<br />

simplement on n’est pas obsédés<br />

par celui-ci, comme le sont certains<br />

courants politiques. Enfin, on pense<br />

que le sionisme n’est pas une réponse<br />

à l’antisémitisme, parce qu’il nous isole<br />

et développe une analyse erronée de<br />

l’antisémitisme.


Même pas peur de jouer<br />

satyrik, le jeu<br />

Même pas peur de l’ouvrir<br />

JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 15<br />

MÉDOR n’est pas prêt de fermer sa gueule<br />

Jean-Philippe Querton<br />

Satyrik, un jeu pour apprendre à rire de tout, à rire des<br />

autres et de soi !<br />

L’enjeu ?<br />

Tester notre capacité à nous remettre en question, percevoir<br />

les faits avec un regard neuf, changer de perspective.<br />

Mais aussi accepter d’être remis en cause et<br />

soi-même contester les idées dominantes, bousculer les<br />

certitudes, se confronter à la réalité. Et douter…<br />

Chaudement recommandé par Même Pas Peur !<br />

SATYRIK,<br />

http://www.satyrik.com/ Éd. Si-Trouille, 15,00 €<br />

Trois ans qu’on attend MÉDOR !<br />

Trois ans durant lesquelles une équipe de 19<br />

personnes a réfléchi à une manière différente de<br />

faire du journalisme.<br />

Et rien n’a été laissé au<br />

hasard : utilisation de<br />

logiciels libres, parce<br />

que « les logiciels mondialisés,<br />

à l’instar des<br />

monocultures, finissent<br />

par lisser les paysages et<br />

appauvrir l’imaginaire »<br />

(sic), distribution du<br />

journal par livreurs<br />

se déplaçant en vélo<br />

électrique, emballage<br />

du produit par une<br />

entreprise de travail<br />

adapté, mode de fonctionnement<br />

coopératif<br />

et financement participatif…<br />

Si tout cela<br />

sonne un peu bobo,<br />

avouons que le résultat<br />

est franchement<br />

enthousiasmant.<br />

Coup de pub !<br />

Le 19 novembre,<br />

alors qu’il est enfin<br />

disponible, le magazine<br />

d’enquêtes et de<br />

récits se voit interdit de diffusion, en cause un<br />

article de David Leloup intitulé Le goût amer des<br />

pilules Mithra. Dans cette enquête fouillée et minutieuse,<br />

le journaliste dénonce un certain nombre<br />

de magouilles financières dont cette entreprise<br />

- argement financées par des deniers publics -, se<br />

serait rendue coupable, notamment lorsque celleci<br />

est entrée en bourse.<br />

Suite à une requête déposée unilatéralement<br />

par les avocats de la société pharmaceutiques,<br />

le président du tribunal de première instance<br />

de Namur interdit provisoirement la diffusion<br />

du trimestriel<br />

qu’entretemps, les abonnés<br />

ont déjà reçu.<br />

L’équipe de MÉDOR<br />

crie à la censure et fait<br />

valoir ses droits.<br />

En Belgique, la censure<br />

est interdite, la liberté<br />

de la presse est inscrite<br />

dans la constitution. Le<br />

1 e décembre, la juge des<br />

référés du tribunal de<br />

1ère instance de Namur<br />

donne raison à Jacques<br />

Englebert, l’avocat du<br />

journal qui affirme : La<br />

juge a distingué l’article<br />

écrit qui n’était pas encore<br />

publié et dit que c’était de<br />

la censure d’interdire sa<br />

publication. Et en ce qui<br />

concerne l’article publié<br />

sur internet, là Mithra<br />

n’apporte pas la preuve<br />

d’une faute du journaliste.<br />

MÉDOR est donc disponible<br />

partout, c’est un journal indispensable,<br />

un journal qui travaille le fond, qui propose des<br />

reportages, des analyses, des articles qui donnent<br />

à penser.<br />

Et ça, c’est bien.<br />

Plus ?: https://medor.coop/fr/magazine/


16 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

le dico des mots qui fâchent<br />

M.AZ<br />

Dans chaque numéro de MPP, un mot commun ou propre est défini, à<br />

la manière MPPérienne. La particularité de ce mot : il fâche le quidam, souvent<br />

lors d’interminables discussions sur le sens qu’il faut lui donner. Pour ce<br />

numéro, nous définirons le mot :<br />

Holocauste<br />

[Nom masculin. Etymologie : du bas latin<br />

« holocaustum », du grec « holokaustos », de<br />

holos, entier, et kaustos, brûlé]<br />

Comment désigner la politique<br />

d’extermination des Juifs européens,<br />

commise par l’Allemagne nazie et ses<br />

complices (mouvements politiques et<br />

administrations publiques collaborationnistes<br />

dans les pays occupés)<br />

durant la Deuxième Guerre mondiale<br />

? Génocide ? Judéocide ? Shoah ?<br />

Holocauste ?<br />

Il y a plus de vingt ans, dans Le Soir,<br />

une de ses lectrices d’Anvers avait<br />

écrit : « Je me bats autant que je peux<br />

contre le terme d’holocauste (...). Il est<br />

vrai que cette formule est si bien acceptée,<br />

que peu de gens songeraient à s’insurger<br />

contre elle ». Le mot « holocauste » a été<br />

massivement médiatisé, en 1979, lors<br />

de la diffusion de la série américaine<br />

du même nom. Depuis, à la radio, à la<br />

télévision ou encore dans des articles,<br />

il est régulièrement utilisé. Comme<br />

le montre le titre en Une du Soir du<br />

22 octobre dernier, suite à la nouvelle<br />

provocation orchestrée par Benyamin<br />

Netanyahou (pour le premier ministre<br />

israélien, le responsable de l’extermination<br />

des juifs fut non pas le petit führer<br />

d’Allemagne mais le Grand mufti de<br />

Jérusalem. Une déclaration qui suscita<br />

à juste titre un scandale).<br />

Mais au fait, pourquoi le mot « holocauste<br />

» peut-il donner lieu à une polémique<br />

? Et même pousser les participants<br />

d’une discussion à se fâcher les<br />

uns avec les autres ? Dans le Judaïsme,<br />

il signifie un sacrifice religieux. Soit<br />

une « offrande rituelle à la divinité, caractérisée<br />

par la destruction [immolation<br />

réelle ou symbolique, holocauste] », notifie<br />

Le Petit Robert. Selon cette croyance, le<br />

peuple sacrifié devait être entièrement<br />

consumé par le feu. Il s’agit purement<br />

et simplement d’une punition divine.<br />

Elle doit frapper ceux qui n’ont pas<br />

respecté la loi de dieu. Du coup, en<br />

quelque sorte, les nazis deviennent,<br />

en 1940, le bras armé chargé d’infliger<br />

la punition céleste. Or, le génocide ne<br />

fut pas un sacrifice. L’extermination<br />

des Juifs - et des Tziganes - fut le résultat<br />

criminel d’une politique étatique<br />

raciste. A ce sujet, toujours dans le<br />

quotidien Le Soir, le Grand rabbin de<br />

Bruxelles, Albert Guigui, avait déclaré<br />

en novembre 1992 : « Aucun lien n’est à<br />

établir entre les malheurs que décrit la Bible<br />

et qui furent la punition des péchés d’Israël<br />

et, d’autre part, l’entreprise nazie d’extermination.<br />

Les malheurs bibliques étaient<br />

naturels. La Shoah ne le fut pas (...). La<br />

Shoah ne fut pas un châtiment. Dieu était<br />

absent à Auschwitz ».<br />

Le mot holocauste reste néanmoins<br />

exploité par des juifs religieux, certes<br />

de la catégorie « ultra-orthodoxe »,<br />

pour culpabiliser le peuple juif trop<br />

laïque à leurs yeux. Les négationnistes<br />

des crimes nazis contre l’Humanité ont<br />

parfaitement, eux aussi, compris l’importance<br />

du terme et le profit idéologique<br />

qu’ils peuvent en tirer. Dans leur<br />

propagande nauséabonde, ils n’emploient<br />

quasi jamais le mot génocide,<br />

lui préférant celui d’holocauste. Ce qui<br />

rend les Juifs, dans les opuscules négationnistes,<br />

même en niant le génocide,<br />

responsables d’un péché, d’une faute<br />

sanctionnée par la Providence. Dans<br />

les thèses falsificatrices et les paroles<br />

de rabbins obtus, les Juifs sont donc<br />

responsables de leur propre mort !<br />

En résumé : sémantiquement, religieusement<br />

et idéologiquement, le<br />

terme holocauste est inapproprié. Sans<br />

aucune hésitation, il faut déclarer la<br />

« guerre aux mots » contre les maux de<br />

l’Histoire. Même si nous devons nous<br />

fâcher.<br />

PS : le terme Shoah fait lui aussi l’objet de<br />

nombreuses fâcheries. Mot hébreu, les juifs<br />

non sionistes (il y en a, malgré ce que les<br />

antisémites contemporains affirment) le<br />

récusent. Pour eux, son utilisation fait partie<br />

d’une récupération nationaliste au profit<br />

de l’État d’Israël qui justifie sa création<br />

uniquement par le génocide et l’antisémitisme<br />

européen.<br />

Moderniser<br />

(le droit de grève)<br />

Sokolov<br />

Quand j’entends le mot “moderniser” ,<br />

je sors ma kalachnikov (version modernisée<br />

du revolver).<br />

Soyez-en sûr : chaque fois qu’il faut<br />

“moderniser”, c’est pour le pire. Sauf en<br />

art, peut-être.<br />

Quand il s’agit de l’organisation de<br />

la société, de l’entreprise, du service<br />

public, moderniser est un synonyme de<br />

se résigner, d’accepter sans moufter ce<br />

qui serait inéluctable.<br />

“Le droit de grève doit être modernisé”.<br />

“Ce qui était acceptable dans les années<br />

‘80 et ‘90 n’est plus accepté aujourd’hui.<br />

L’exercice du droit de grève doit être<br />

adapté aux circonstances d’aujourd’hui.”<br />

“Les travailleurs qui ne veulent pas faire<br />

grève doivent pouvoir travailler, sans<br />

être arrêtés par des piquets de grève.”<br />

(Kris Peeters, ministre de l’Emploi, Le<br />

Soir, 26 octobre 2015).<br />

Accepter. Adapter. S’adapter. Plus rien<br />

à voir avec le “il faut être absolument<br />

moderne” (Rimbaud, Une saison en enfer)<br />

qui a été compris comme “il faut être<br />

radicalement contre l’ordre établi”.<br />

S’adapter aux circonstances, c’est se soumettre<br />

aux conditions de vie, de travail,<br />

d’absence de travail, de salaire, de durée<br />

du travail, etc. que d’autres ont décidé.<br />

Résolument antinomique avec la grève.<br />

L’usage de “moderne” et de “modernisation”<br />

est le plus souvent un exercice<br />

de tromperie. Il renvoie ceux qui ne sont<br />

pas d’accord avec la “modernisation” à<br />

l’archaïsme, comme si le passé ne pouvait<br />

être qu’inadéquat au présent, comme si,<br />

du passé au présent, le mouvement ne<br />

pouvait être que de progrès, comme si<br />

le seul rapport possible au présent était<br />

de soumission à l’existant et comme si<br />

l’existant n’était pas le résultat de l’exercice<br />

de la force et du pouvoir d’une minorité.<br />

Refusez la modernisation et vous<br />

serez un vieux ringard qui refuse le<br />

progrès. Un de ces “résistants au changement”<br />

comme on dit dans les théories de<br />

management.<br />

S’adapter, c’est se comporter comme si<br />

le présent n’avait aucun rapport au futur,<br />

comme si le présent ne devait pas viser<br />

aussi le futur.<br />

Faire grève, c’est exiger collectivement<br />

plus de justice et de démocratie. C’est<br />

exiger la réalisation des droits, humains,<br />

citoyens, sociaux et économiques. C’est<br />

absolument moderne et totalement<br />

urgent. Et, bien sûr, cela dérange ! Il ne<br />

manquerait plus que cela ne dérange personne<br />

! Que même des travailleurs soient<br />

dérangés par la chose montre qu’il est<br />

plus que jamais indispensable de ne pas<br />

museler le droit d’action et d’expression<br />

collectives.<br />

Défendre le droit de grève et le droit de<br />

faire des piquets de grève, c’est absolument<br />

moderne : c’est refuser de restaurer<br />

l’article 310 du Code pénal supprimé en<br />

1921 qui énonçait que les réunions d’ouvriers<br />

“qui se tenaient à proximité des<br />

usines et autour des usines et portaient<br />

atteinte à la liberté du travail” étaient<br />

interdites 1 . Ce qui est la volonté de la proposition<br />

de loi déposée par le MR.<br />

1 Ligue des droits de l’homme, Remise en question<br />

du droit de grève : un danger pour tous les<br />

autres droits fondamentaux, jeudi 29-10-2015,<br />

www.liguedh.be)29-10-2015, www.liguedh.be)<br />

L’austérité nous pousse sur le sentier<br />

du guère tandis que les gros fument<br />

le calumet de l’épais.<br />

(Eric Dejaeger)


JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 17<br />

Le changement climatique, ça fait vraiment<br />

chier Père Duchesne<br />

À la faveur de l’état d’urgence, les manifestations,<br />

marches, défilés et autres<br />

« activités de plein air » ont été interdites<br />

pendant le sommet sur le climat<br />

de Paris. Ça n’a pas empêché des manifestants<br />

d’aller se faire asperger par la<br />

police de gaz neutralisant et incapacitant.<br />

Par chance, si les particules fines de<br />

gaz CS (2-chlorobenzylidène malonitrile ou<br />

ortho-chloro-benzal malonitrile), contenues<br />

dans les aérosols, ont un haut pouvoir<br />

lacrymogène, elles préservent le couche<br />

d’ozone. C’est écrit sur l’emballage.<br />

Mais quelle indécence aussi de se préoccuper<br />

du réchauffement climatique<br />

à pareil moment ! Alors<br />

qu’on ne devrait faire autre<br />

chose qu’observer des minutes<br />

de silence et agiter des<br />

drapeaux tricolores.<br />

A-t-on jamais vu le<br />

réchauffement climatique<br />

massacrer<br />

les gens aux<br />

terrasses de bistrot<br />

? Au contraire,<br />

une bonne canicule<br />

fait la fortune des limonadiers.<br />

De quoi se plaint-on ?<br />

S’il y en a qui ont à se plaindre, ils sont<br />

plutôt loin d’ici, sur les îles du Pacifique,<br />

dans le Grand Nord, au Vietnam, en<br />

Birmanie…<br />

Pour ceux-là, les rapports sont alarmants<br />

: « Depuis la première Conférence<br />

mondiale sur les changements climatiques<br />

en 1995, environ 606.000 personnes ont été<br />

tuées et 4,1 milliards d’autres ont été blessées,<br />

ont perdu leur habitation ou ont eu besoin<br />

d’une assistance d’urgence en conséquence<br />

des catastrophes liées au climat. » (rapport<br />

de l’ONU)<br />

« Entre 2030 et 2050, on s’attend à ce que<br />

le changement climatique entraîne près de<br />

250 000 décès supplémentaires par an, dus à<br />

la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée<br />

et au stress lié à la chaleur. » (source : OMS)<br />

Mourir de la diarrhée ! Une maladie qui<br />

se traite aussi facilement dans les pays<br />

occidentaux. Déjà aujourd’hui, près de<br />

2 millions d’enfants en meurent chaque<br />

année. Si ça augmente encore, on n’est<br />

pas dans la merde.


18 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />

Brèves...<br />

de trottoir<br />

► ► ► Vieux patron<br />

« La position de la FGTB relève du siècle<br />

passé » a déclaré Jean-François Heris,<br />

l’ancien patron de l’Union Wallonne<br />

des Entreprises. Pas faux, mais comme<br />

celle du patronat relève du siècle précédent,<br />

ce n’est pas non plus la peine de<br />

prendre trop d’avance. (A. C.)<br />

► ► ► Salutaire<br />

Le niveau 4 de l’alerte a du bon : Patrick<br />

Sébastien annule sa tournée en Belgique.<br />

On s’en sortira un peu moins<br />

con. (Jpé)<br />

► ► ► Santé !<br />

L’emblème de la résistance, c’est d’aller<br />

boire des coups en terrasse ! Attendez,<br />

ça fait 50 000 morts par an, l’alcoolisme<br />

! Pour l’instant, c’est beaucoup<br />

plus dangereux que le djihadisme.<br />

(Didier Porte)<br />

il a voté !<br />

E. V.<br />

Oui, il existe ! Nous l’avons rencontré, LE<br />

français qui a voté pour le Front National.<br />

Il veut rester anonyme. Nous l’appellerons<br />

Raymond (pardon d’avance à tous les<br />

autres Raymond)<br />

Bonjour Raymond !<br />

Je ne m’appelle pas Raymond, c’est<br />

Léon !<br />

Bien sûr mais, comme vous l’avez<br />

demandé pour préserver votre anonymat,<br />

nous vous appellerons Raymond.<br />

D’ailleurs, pourquoi vouloir<br />

garder l’anonymat ?<br />

J’ai peur. Pas des étrangers hein ! Mais<br />

j’ai l’impression d’avoir donné 30% au<br />

FN à moi tout seul. Apparemment,<br />

aucun autre français n’a voté FN sauf<br />

à la télé. Mais autour de moi, personne.<br />

C’est-y pas malheureux !<br />

Et pourquoi avoir voté FN ?<br />

Parce que j’ai des couilles tiens ! Puis,<br />

on a dit partout que tous les beaufs<br />

allaient le faire. Même mon beauf me<br />

l’a dit. Alors j’l’ai fait. J’suis pas homme<br />

à me laisser faire, tu piges gamin ?<br />

Heu... Et si c’était à refaire ?<br />

Je le referais. Surtout si je trouve enfin<br />

du boulot grâce au maréchal Lepen.<br />

Surtout si on a enfin un président<br />

blonde à forte poitrine. Surtout si « La<br />

Grande Librairie » est enfin remplacée<br />

par « l’amour est DTC ». Surtout si on<br />

retrouve enfin l’identité française avec<br />

la bière à la cantine des écoles, le blond<br />

comme couleur de cheveux imposée,<br />

le vin dans la soupe, le croissant<br />

au beur... et la baguette pour les faire<br />

marcher au pas, ces bougnoules, le<br />

tout adapté avec délicatesse à la sauce<br />

social-démocrate de l’Allemagne des<br />

années trente, nom de dieu !<br />

...<br />

Autre chose ?<br />

Non. Merci Léon.<br />

Raymond, gamin, Raymond...


JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 19<br />

L’association « Même pas peur » a été initiée par Cactus Inébranlable Éditions (www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com) et Les Éditions du Basson (www.editionsdubasson.com)<br />

Comité de rédaction Manuel Abramowicz, Styvie Bourgeois, Thomas Burion, André Clette, Sylvie Kwaschin, Jean-Philippe Querton, Théo Poelaert, Jacques Sondron, Etienne Vanden Dooren Contact presse Manuel Abramowicz<br />

Mise en page E.V. Contributeurs dessins Thomas Burion, Bruno Carbonnelle, Yvan Carreyn, André Clette, Cloutz (Ghislain Cloutier), Serge Delescaille, Slobodan Diantalvic, Philippe Decressac, Alain Dauchot,<br />

John Ellyton, Jacques Flamme, GF, Kanar, Livingstone, Mickomix (Mickaël Serré), Samuel, Jacques Sondron, Sticki, Yakana Contributeurs textes Manuel Abramowicz, Massimo Bortolini, Styvie Bourgeois, André Clette,<br />

Veuve Clicquot, Éric Dejaeger, Olivier Doiseau, Père Duchesne, Florian Houdart, Sylvie Kwaschin, Dr Lichic, Maz, Jean-Philippe Querton, Sokolov, Etienne Vanden Dooren, Dominique Watrin.<br />

Un grand merci à tous les contributeurs à qui nous n’avons pas pu offrir un espace dans ce numéro 5 de Même pas peur !<br />

Le site : http://memepaspeur1.e-monsite.com (et la page FB) N° de compte BE28 0017 5410 1520


20 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />

la Bonne ment<br />

S’abonner à MÊME <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong> Pour la Belgique : Verser 20 € (pour les 5 prochains numéros) sur le compte IBAN BE28<br />

0017 5410 1520 au nom de Même Pas Peur en précisant dans la communication l’adresse postale d’envoi du journal ET à partir de<br />

quel numéro vous souhaitez vous abonner.<br />

S’abonner à MÊME <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong> Pour la France : Envoyer un chèque de 25 € (pour les 5 prochains numéros) à l’ordre de<br />

Jean-Philippe Querton à Cactus Inébranlable, 38, rue des Croisons à 7750 Amougies - Belgique, en précisant dans la communication<br />

l’adresse postale d’envoi du journal ET à partir de quel numéro vous souhaitez vous abonner.<br />

Pour les autres pays : Nous contacter : memepaspeur.lejournal@gmail.com

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