MEME PAS PEUR Numéro 5
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14 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016<br />
interview<br />
INTERVIEW-gatoire de « MÊME <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong> » recueillie par Manuel Abramowicz<br />
des juifs révolutionnaires, ça existe (encore) ?<br />
« Ils sont tous riches ». « Ils dirigent<br />
les-médias-l’économie-la-politiquela-culture-les-banques-Hollywood<br />
».<br />
« Les Juifs dominent le monde ». Tremblez,<br />
tremblez antisémites de tous<br />
les pays, il y en a aussi qui se battent<br />
pour abattre l’impérialisme et mettre<br />
fin à la société capitaliste. MPP en a<br />
même rencontré.<br />
Le grand complot « judéo-bolchévique<br />
» serait-il de retour pour mettre<br />
l’Occident chrétien sous la coupe de<br />
l’Internationale juive ? Les pires cauchemars<br />
qui perturbent les cerveaux<br />
malades des antisémites primaires de<br />
tous poils pourraient être violemment<br />
de retour après avoir pris connaissance,<br />
ici dans MPP, de l’existence des<br />
« Juives et Juifs révolutionnaires » (JJR).<br />
Ce groupe anarchiste, féministe et<br />
antisioniste est actif en France. Même<br />
Pas Peur a soumis un de ses membres<br />
à une « interview-gatoire », bien plus<br />
efficace qu’un interrogatoire de police,<br />
mais sans bottin téléphonique.<br />
Déclinez votre identité : date<br />
et ville de naissance ? Quelles<br />
sont vos implantations<br />
actuelles ?<br />
Mont Sinaï, 22 Av 5552. Non, sans<br />
déconner on est né sur internet suite<br />
à des discussions en 2014 et 2015 entre<br />
militantes et militants révolutionnaires<br />
qui ont fait des constats assez proches<br />
sur l’antisémitisme. Pour l’instant on<br />
est implantés en région parisienne, et<br />
on essaie à Toulouse et Lyon.<br />
Combien de membres avezvous<br />
? De sympathisants ?<br />
T’es de la police ? « Je reviendrai et je serai<br />
des millions » (Spartacus).<br />
Vos couleurs sont le noir<br />
et le rouge, vous êtes des<br />
héritiers de la « bande<br />
à Bonnot » ? Des anars ?<br />
Des libertaires ? De<br />
quel courant êtes-vous<br />
issus ?<br />
Actuellement, on est majoritairement<br />
issus des milieux<br />
anars, au départ, on souhaitait<br />
créer un groupe plus large, mais<br />
on ne peut pas vraiment dire que nous<br />
appartenons à un courant particulier<br />
parce que ce n’est pas là-dessus qu’on se<br />
définit. À la limite on pourrait parler de<br />
tous les courants révolutionnaires juifs,<br />
comme le Bund (NDLR : Union générale<br />
des travailleurs juifs de Lituanie,<br />
de Pologne et de Russie, un mouvement<br />
socialiste révolutionnaire fondé à la fin<br />
du XIX e siècle dans l’Empire russe), les<br />
cellules ouvrières juives qui ont existé<br />
dans les syndicats, les groupes d’autodéfense<br />
dans le Yiddishland... Voire toute la<br />
tradition des Juives et des Juifs qui ont<br />
milité dans des groupes révolutionnaires<br />
plus généralistes. Vu le nombre, on ne<br />
manque pas de branches auxquelles se<br />
raccrocher si on veut se donner une légitimité<br />
historique.<br />
Nous sommes encore en plein débat :<br />
certains aimeraient qu’on crée un groupe<br />
libertaire, d’autres souhaiteraient qu’on<br />
élargisse, c’est un questionnement qui<br />
se réglera avec le temps, selon les retours<br />
que nous aurons et les gens qui continueront<br />
à nous rejoindre.<br />
Pourquoi un groupe libertaire<br />
spécifiquement « juif » ? Vous<br />
ne voulez pas militer dans les<br />
organisations déjà existantes :<br />
Fédération anarchiste, CNT,<br />
Alternative libertaire... ? Vous<br />
êtes communautaristes ?<br />
Déjà on n’est pas à proprement parler un<br />
groupe libertaire. Certains d’entre nous<br />
militent dans différentes organisations<br />
anars. D’autres non. Par contre, on considère<br />
qu’il y a une nécessité d’auto-organisation<br />
des opprimés qui découle d’une<br />
oppression spécifique. Pour les prolos,<br />
c’est le syndicalisme, pour les femmes<br />
et les LGBT c’est le féminisme, pour les<br />
Juives et Juifs qui subissent l’antisémitisme,<br />
c’est l’organisation de la minorité<br />
nationale juive.<br />
Notre position spécifique par rapport<br />
à l’antisémitisme nous amène à nous<br />
organiser d’une manière particulière.<br />
Concrètement, l’antisémitisme on le<br />
subit, donc on va plus souvent y être<br />
confronté, contrairement aux groupes<br />
« généralistes ». Notre démarche n’est<br />
pas communautariste : elle s’organise<br />
par rapport à l’expérience commune<br />
d’une oppression, d’une situation de<br />
minorité nationale.<br />
Quelle est votre position sur<br />
l’État d’Israël et le sionisme ?<br />
C’est la question que tout le monde<br />
nous pose et ça nous emmerde. Dès<br />
qu’une personne se définit en tant<br />
que juif, on la fait chier pour qu’elle<br />
se positionne sur Israël. De la même<br />
manière que tout le monde va emmerder<br />
les musulmanes et les musulmans<br />
pour qu’elles et ils se désolidarisent<br />
des takfiristes (NDLR : un des courants<br />
du salafisme, lui-même issu de<br />
l’islam sunnite, adepte d’une pratique<br />
religieuse rigoriste et traditionaliste<br />
anti-moderniste). Dès que t’es membre<br />
d’une minorité, c’est une sommation<br />
à faire du not in a my name, alors que<br />
quand on rencontre un mec issu du<br />
groupe majoritaire, personne ne dit :<br />
« En tant qu’homme blanc, Européen de<br />
culture chrétienne, tu penses quoi de ce que<br />
fait l’armée française en Afrique ? ». C’est<br />
même pire : l’État d’Israël on n’y est<br />
pas, et on n’a aucune influence dessus,<br />
contrairement à la politique française.<br />
Donc on essaie de ne pas tomber dans<br />
ce piège. Notre espace de militance,<br />
c’est la situation ici, où on est pris entre<br />
les antisémites dans la société et les<br />
réacs dans notre minorité.<br />
Cela dit on pense que la terre devrait<br />
appartenir également à ceux qui y<br />
vivent, y travaillent, y passent ou<br />
souhaitent y vivre, qu’il ou soit juifs,<br />
arabes, vietnamiens… Ça nous place<br />
en opposition avec le sionisme, qui<br />
définit Israël sur une base ethnico-religieuse.<br />
En plus, en tant que révolutionnaires,<br />
on s’oppose au nationalisme et<br />
au colonialisme, à commencer - parce<br />
qu’on habite en France - au colonialisme<br />
français. On n’a pas plus de complaisance<br />
pour le colonialisme israélien,<br />
simplement on n’est pas obsédés<br />
par celui-ci, comme le sont certains<br />
courants politiques. Enfin, on pense<br />
que le sionisme n’est pas une réponse<br />
à l’antisémitisme, parce qu’il nous isole<br />
et développe une analyse erronée de<br />
l’antisémitisme.