MEME PAS PEUR Numéro 5

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2 / Même pas peur N o 5 / JANVIER-FÉVRIER 2016 un an après, et après ? L’éditorial Jean-Philippe Querton Même pas peur ? T'es con 1 ou quoi ? Ce numéro devait parler de la peur. A-t-elle gagné du terrain depuis que deux enfoirés ont envoyé les gens de Charlie au paradis ou, au contraire, la censure s’estompe-t-elle, laissant plus d’espace(s) d’expression à ceux qui combattent le prêt-à-penser ? 1 À ceux, et ils sont nombreux, qui nous ont demandés – parfois en souriant, parfois menaçants –, si nous étions naïfs, inconscients, décérébrés, stupides, voire pro-djihadistes, nous avons répondu que lorsque la peur aura gagné, nous aurons tout perdu : notre liberté d’expression, notre droit à penser, notre 1 Âmes sensibles, attention, le mot « con » revient à plusieurs reprises dans ce texte… vie sociale, culturelle, artistique, notre envie de découvrir et partager le monde (pas uniquement en touriste conquérant), notre désir de nous ouvrir aux autres cultures… parce que nous nous bunkériserons dans nos maisons et dans nos réflexions, seuls devant des chaînes d’infos en continu qui nous tiennent en haleine devant des événements qui n’en sont pas, des médias qui sèment la peur, le repli, l’autisme. Et le coup de sonnette de l’ami(e) qui vient prendre de nos nouvelles deviendra l’expression d’une menace. C’est ce que veulent nos ennemis et nos ennemis ne sont pas tous barbus, ils peuvent prendre un visage bleumarine, loin de la caricature du facho qui gueule au coin du bar. Nos ennemis sont aussi ceux que la menace arrange, ceux qui pensent qu’un rassemblement de plus de trois personnes est une menace contre l’ordre public, et donc suspect, ceux qui en profitent pour nous expliquer que les pauvres sont responsables de la crise et qu’ils doivent se serrer la ceinture – taxer les riches et les multinationales, tu rigoles ou kwa, c’est la fin de l’économie de marché et donc la fin du monde ! Plus que jamais, soyons outranciers ! Qu’est-ce qui est plus violent qu’un État qui exclut du droit à la subsistance des milliers de citoyens ? Qu’est-ce qui est plus odieux que la volonté affichée de fermer ses frontières à des demandeurs d’asile qui fuient un pays où ils ne sont plus en sécurité ? Qu’est-ce qui est plus scandaleux qu’un gouvernement qui profite que les médias parlent exclusivement du niveau d’alerte pour tenter de faire passer des lois interdisant le droit de grève ou – pire encore –, la suppression partielle des indemnités de maladie pour les travailleurs en incapacité de longue durée ? Qu’est-ce qui donne plus envie de gerber que les bombardements - avec des vraies bombes, officielles, larguées par des militaires rémunérés par l’État, des bombes financées par l’impôt du contribuable, et donc légitimes – massacrant une population dont le seul tort est d’habiter dans des régions soumises à la loi de l’État islamiste ? Laissons la désolation aux cons ! Oui, c’est absolument dégueulasse de s’attaquer à des gens qui s’éclatent ( ?) dans un concert de rock ou qui boivent des canons (?) à la terrasse d’un bistrot ! Dégueulasse aussi de se faire exploser et de laisser des déchets partout, images insoutenables d’un fanatisme qui comme tous les fanatismes confine à l’incommensurable idiotie humaine, celle qui motive les hooligans, les frontistes, les intégristes de tout poil et de toute plume, les fondamentalistes, les coincés du cul et du bulbe… Dégueulasse, ce sang impur de kamikaze qui abreuve les caniveaux de la capitale française, ville-symbole des Droits de l’homme. Et si le système était victime d’une violence qu’il a générée ? On ne peut pas ne pas se poser la question de savoir si l’incapacité ou l’absence de volonté politique d’intégration des populations musulmanes chez nous, n’est pas en partie (ou totalement ?) responsable de la radicalisation de certains individus. Autrement dit, quand on est traité comme de la merde, on cherche à comprendre, à se défendre, on est tenté par des explications simples, réductrices. Et les religions sont faites pour les faibles, pour ceux qui cherchent des repères, elles n’invitent pas à (se) remettre en question, elles sont dogmatiques, porteuses de l’illusion d’un monde meilleur, ailleurs… On ne se laissera pas abattre ! Comme d’habitude, nous ne sommes pas certains d’avoir raison… Nous voulons contribuer au débat à la lumière de notre manière de penser qui se veut alternative, ouverte à tous les possibles, humaine et profondément tolérante… sauf à l’égard des cons !
JANVIER-FÉVRIER 2016 / Même pas peur N o 5 / 3 J’ai coupé l’image et le son Styvie Bourgeois J’ai coupé l’image et le son. Le geste est simple, je ne suis pas une grande consommatrice de médias. C’est un choix tout à fait conscient, il me permet de préserver une part d’insouciance. J’ai coupé l’image et le son, mais je ne suis pas seule au monde et malgré tout, j’entends des choses. Le problème, c’est que les sujets m’effleurent et que je ne les maîtrise pas. Les tenants et aboutissants m’échappent et j’aimerais parfois qu’on m’éclaire. Parfois… J’ai coupé l’image et le son, le week-end qui a suivi les nouveaux attentats terroristes qui ont frappé Paris, pourtant, je n’ai pas été épargnée par le brouhaha médiatique. Il faut dire qu’ils sont nombreux à relayer l’information (et à la commenter) tout autour de nous. Et, depuis mon petit bled tranquille, j’entends que les politiques vont prendre des mesures, j’entends le sentiment patriotique élevé en étendard, j’entends l’appel à la vengeance, j’entends les appels à la solidarité, j’entends les sentiments compassionnels, j’entends même que les Belges seraient responsables… Glissement progressif du plaisir dictatorial Le discours semble raisonnable Mais non. NON ! Un état qui réduit les libertés et interdit les manifestations culturelles, ne serait-ce pas une dictature ? Un pouvoir qui ne donne aucune explication ou des justifications oiseuses sur ses manœuvres sécuritaires et liberticides, n'est-ce pas un pouvoir dictatorial ? Où est donc la frontière entre la soi-disant démocratie et la dictature ? Et demain, deviendrons-nous tous des Victor Jara ? Le secret est-il une justification acceptable ? Je ne vois pas en quoi relever le niveau de la menace peut faciliter le travail des enquêteurs et, d'autre part, peut empêche un fou furieux de tuer à tour de bras-lachnikov. à moins qu'il soit aussi intelligent que fou et attende quelques jours que le niveau baisse pour pouvoir se faire péter dans un stade de foot plein (après avoir acheté son billet bien sûr). La seule raison logique de pousser le curseur de la menace est donc clairement de faire peur à la population, d'ogéèmiser nos cerveaux en y greffant pour longtemps des gènes de réflexes sécuritaristes et anxionomanes. Et pour longtemps, car, comme il est plus facile de monter le curseur de la menace que de le descendre, provoquer la peur se Etienne Vanden Dooren fait instantanément alors qu'il est quasi impossible de l'effacer de nos cerveaux. Le résultat ? Nous sommes entrés de plain-pied dans une féroce dérive totalitaire. Nous subissons un processus dictatorialophile. La démocratie se fait hara-kiri Nous ne vivons évidemment pas dans une dictature mais nous sommes sur la voie royale qui y mène. La tentation va être trop grande pour les férus du fric, les accros du pouvoir d'agiter à l'avenir le spectre de la menace pour que tout qui veut l'ouvrir la ferme. Moi, perso, je les emmerde. Pourtant, je m’évertue encore à couper l’image et le son, car j’attends de voir ou d’entendre une analyse objective de ce qui se passe pour ne plus me laisser envahir par les rumeurs, les scandales et tout ce qui fait les choux gras de la presse. Est-ce parce que j’ai coupé l’image et le son que j’ai le sentiment que soudain, on ne parle plus d’autre chose ? Où sont passés les sujets qui, il y a encore quelques jours voire quelques semaines, étaient sur toutes les lèvres ? Parle-t-on encore des migrants et du sort qui leur est réservé ? Parle-t-on encore de toutes les personnes qui, depuis des mois, subissent la politique d’austérité ? Parle-ton encore du black-out et du danger des centrales nucléaires vieillissantes ? Une histoire en étouffe une autre ? Du spectaculaire pour détourner l’attention ? J’ai coupé l’image et le son, mais je me pose quand même beaucoup de questions. Qui me répondra ? " Quand je fuirai l'heil Belgique, quel pays va accepter de m'accueillir, moi qui débarquerai d'un pays qui reçoit si mal les réfugiés ?" (EV)
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