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Même pas peur<br />
novembre-décembre 2015/ N°4 /3 €<br />
N° 4 2015 - Belgique 3 € - www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com et www.editionsdubasson.com - http://memepaspeur1.e-monsite.com<br />
La vie après la mort c’est<br />
comme le programme<br />
du parti socialiste. On a<br />
envie d’y croire, mais ensuite<br />
il ne se passe rien.<br />
Dr. Lichic<br />
L’éditorial Jean-Philippe Querton<br />
j’ai testé la mort<br />
Récemment, dans un souci d’objectivité et<br />
d’honnêteté journalistique - à Même Pas<br />
Peur, on essaie de faire les choses comme des<br />
pros -, je suis allé faire un petit tour du côté<br />
de la mort. Eh bien, le constat est limpide, la<br />
mort c’est chiant. Pire qu’une soirée devant<br />
les programmes de RTL-TVI !<br />
Ce fameux film de la vie qui se déroule<br />
devant les yeux ébahis du futur trépassé,<br />
c’est particulièrement nullissime, même si<br />
ce n’est pas entrecoupé par un spot publicitaire<br />
dans lequel Jacques Mercier nous vante<br />
les mérites de l’assurance-décès, les spécialistes<br />
du marketing et de la communication<br />
n’ayant pas encore pensé à exploiter ce segment<br />
de consommateurs.<br />
Pourtant, le bizness de la mort existe bel<br />
et bien, mais il s’adresse aux vivants. Pour<br />
ce joyeux numéro, nous sommes allés à la<br />
rencontre de thanatopracteurs, de militants<br />
pour le compostage des cadavres, on s’est<br />
demandé pourquoi la Toussaint avait lieu<br />
en novembre - c’est vrai quoi, on se les gèle<br />
dans les cimetières -, on a rencontré un passionné<br />
qui photographie les tombes depuis<br />
vingt ans, un toubib en soins palliatifs… On<br />
a investigué, exhumé, déterré, débusqué, on<br />
s’est posé des questions sur la résurrection,<br />
la vie éternelle et l’enfer qu’on nous offre<br />
alors que nous militons pour le droit de chacun<br />
à bénéficier d’un coin de paradis.<br />
Et de tout cela, nous pensons qu’il faut rire,<br />
parce que rire c’est survivre.<br />
D’ailleurs, en parlant de survie, merci à toi<br />
lecteur d’être au rendez-vous de Même Pas<br />
Peur et si, en plus de l’acheter, tu pouvais<br />
faire un petit quelque chose pour qu’il ne<br />
meure pas, on t’en serait reconnaissant.<br />
Pour l’éternité !
2 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
constatations d'usage<br />
Médecine : Une certaine idée de la mort<br />
Dominique Lossignol,<br />
médecin interniste, Institut Jules Bordet<br />
La médecine a pour objet, entre autres,<br />
la préservation de la santé, sa restauration<br />
et, par-delà, une prolongation possible de<br />
l’espérance de vie. Si elle peut faire reculer<br />
l’échéance du décès, elle ne peut indéfiniment<br />
empêcher celui-ci même si elle<br />
se doit de garantir une fin de vie digne<br />
et sans souffrance. En d’autres termes, la<br />
médecine ne maîtrise pas la mort, elle ne<br />
peut qu’en modifier les conditions. Il est<br />
évident que l’espérance de vie à l’échelle<br />
humaine a considérablement progressé<br />
depuis les origines et que la médecine<br />
tout comme l’amélioration des conditions<br />
de vie y sont pour beaucoup, mais<br />
le concept même de mort reste discuté et<br />
ne fait pas l’unanimité.<br />
Le moment exact<br />
S’il est évident que la mort peut être<br />
constatée chez une personne, le moment<br />
exact de sa survenue est difficilement<br />
déterminable puisque celui-ci n’est pas<br />
un événement ponctuel, fugace, mais le<br />
résultat d’un processus dont l’irréversibilité<br />
de chaque étape croît à mesure de<br />
leur survenue et d’une durée variable au<br />
cours duquel les fonctions vitales vont<br />
s’altérer puis cesser définitivement. Le<br />
certificat de décès ne sera délivré que<br />
lorsque le médecin a la certitude que la<br />
personne est décédée, soit de cause naturelle<br />
(le plus souvent), soit de cause violente<br />
(accident, suicide), soit de cause suspecte<br />
(qui motive notamment la descente<br />
du parquet). À ce moment, la mort ne fait<br />
aucun doute même si la ou les causes ne<br />
sont pas encore pleinement identifiées, ce<br />
que la médecine légale pourra assurer le<br />
cas échéant, en pouvant de plus, estimer<br />
le moment. La date et l’heure qui figurent<br />
sur le document officiel sont celles du<br />
constat et non celles du moment de la<br />
mort.<br />
Erreurs<br />
Le constat ne peut précéder le moment<br />
de la mort mais on sait également qu’il y<br />
a eu par le passé des erreurs de diagnostic<br />
qui ont mené à une évaluation erronée<br />
de l’état de la personne et par là même à<br />
l’inhumation de personnes non décédées.<br />
La peur d’être enterré vivant reste bien<br />
présente dans les esprits même si, actuellement,<br />
ce type d’erreur est exceptionnel<br />
pour ne pas dire impossible.<br />
" Ressuscitation "<br />
Décréter qu’une personne est morte<br />
demeure une question complexe surtout<br />
depuis le développement des moyens de<br />
ressuscitation. " Ressuscitation " et non<br />
" réanimation ", terme qui concerne une<br />
personne inconsciente mais toujours<br />
vivante. Si l’arrêt de toutes les fonctions<br />
vitales, essentiellement les battements<br />
cardiaques et la respiration spontanée,<br />
correspondent de fait à la mort, il existe<br />
malgré tout des circonstances où le corps<br />
assisté par des moyens extérieurs, mécaniques<br />
et médicamenteux, continue de<br />
vivre ou, du moins, existe-t-il encore des<br />
phénomènes biologiques assimilables à<br />
la vie. La définition même de la mort est<br />
passée d’un contexte cardio-respiratoire<br />
à un concept neurologique qui concerne<br />
la perte irréversible des fonctions cérébrales,<br />
même si cœur et poumons " fonctionnent<br />
" encore.<br />
Défaillance cérébrale totale<br />
La question qui se pose à ce moment-là<br />
est de savoir s’il est possible de prélever<br />
un ou plusieurs organes qui assureront<br />
la survie d’autres personnes et donc de<br />
décider si, de fait, la personne est dans<br />
un état de mort clinique. Cette question<br />
n’est pas neuve, elle remonte aux<br />
années 1950, époque à laquelle les premières<br />
méthodes de ressuscitation ont<br />
vu le jour avec l’avènement des premiers<br />
respirateurs comme le Bird Mark 7. Les<br />
situations de coma dépassé ont été à l’origine<br />
d’âpres débats quant à savoir quelle<br />
attitude adopter en fonction du pronostic<br />
vital. à l’heure actuelle, le concept même<br />
de " mort cérébrale " ne fait pas l’unanimité,<br />
certains lui préférant celui de<br />
" défaillance cérébrale totale " (Total brain<br />
failure) ou de " mort encéphalique " (Whole<br />
brain death). Il existe des tests permettant<br />
de définir l’état du patient comateux et<br />
de décréter que les fonctions cérébrales<br />
sont anéanties quand bien même il persisterait<br />
l’une ou l’autre fonction biologique<br />
comme la synthèse d’hormones.<br />
À ce stade, la frontière entre la vie et la<br />
mort est floue et ouvre la discussion<br />
sur un plan autant médical que philosophique<br />
ou moral. C’est aussi dans ces<br />
situations que se pose la question du prélèvement<br />
d’organes ou celle de l’arrêt des<br />
traitements devenus futiles avec tout ce<br />
que cela comporte comme contingences<br />
éthiques et juridiques.<br />
L'essentiel<br />
Mais peut-être que la question essentielle<br />
est de définir ce qu’est la vie, et entre<br />
une activité cellulaire enregistrée par un<br />
électroencéphalogramme et la possibilité<br />
d’agir et d’interagir avec l’environnement<br />
et d’autres personnes, il y a une<br />
marge énorme que chacun peut mesurer<br />
en fonction de ses sensibilités, ses expériences,<br />
ses valeurs, éléments que nul ne<br />
devrait entraver.
Rien ne se perd<br />
Mickaël Serré (MPP) a rencontré Francis Busigny,<br />
Ingénieur-Conseil en « Eautarcie & Permaculture », initiateur de l’éco-quartier<br />
de Temploux et porteur du projet de « l’Humusation ».<br />
Mettons en place le " super-compostage " !<br />
Humusation : métamorphose, en 12<br />
mois, des défunts en humus !<br />
Tu peux nous expliquer le concept<br />
d’humusation ?<br />
On dit humusation pour ne pas dire<br />
compost, parce que, pour la plupart<br />
des gens, le compost, c’est une forme de<br />
poubelle. En réalité, l’humusation, c’est la<br />
métamorphose en 12 mois des défunts,<br />
en humus ! Il s’agit vraiment d’une métamorphose<br />
puisqu’on passe vraiment<br />
d’un état de corps à l’état d’humus. On<br />
ne retrouve plus rien de ce qu’il y avait<br />
au départ, tout est déconstruit, recyclé, et<br />
prêt à servir pour des plantations. C’est<br />
un super-compostage, puisque l’on crée<br />
vraiment les conditions de la permaculture<br />
1 , comme en forêt, pour que les forces<br />
de la nature agissent toutes seules, sans<br />
engrais, sans pesticides.<br />
Donc l’objectif est de mettre en place<br />
une alternative au funérarium ?<br />
On ne va pas demander que n’importe<br />
qui puisse faire l’humusation n’importe<br />
où n’importe comment. Tout ce qui<br />
concerne l’après-mort est extrêmement<br />
cadenassé... La bonne nouvelle c’est qu’on<br />
va créer de l’emploi ! Ça va peut-être coûter<br />
un peu plus cher que d’inhumer ou<br />
d’incinérer mais, par contre, on résout les<br />
problèmes de pollution, puisqu’on a un<br />
mètre cube et demi de terreau sain et fertile<br />
qui va permettre de réaliser un commémoratif<br />
individuel où poussera un<br />
arbre. Cet espace commémoratif pourrait<br />
se trouver dans l’espace souvenir du «Jardin-Forêt<br />
de la Métamorphose», qui serait<br />
l’endroit légal avec toutes les autorisations<br />
pour que les humusateurs agréés<br />
puissent agir. Chaque famille viendrait<br />
s’y recueillir.<br />
Comment le mettre en place ? Avec<br />
des subsides ?<br />
Non, le prix<br />
demandé<br />
p o u r<br />
l’humusation<br />
couvrira<br />
les frais pour l’espace commémoratif<br />
annuel. Les gens qui habitent trop loin<br />
vont pouvoir reprendre le super-compost<br />
pour fertiliser l’espace et planter l’arbre<br />
pour honorer le parent décédé sur un<br />
terrain familial. S’ils n’ont pas de terrain<br />
de famille, ils pourront aller dans<br />
n’importe quel bois à proximité du lieu<br />
de résidence pour planter un arbre pour<br />
venir se recueillir, puisqu’on va pouvoir<br />
transporter le compost obtenu sain et<br />
fertile.<br />
1 Mode d’agir qui prend en considération la<br />
biodiversité des écosystèmes et vise à créer<br />
une production agricole durable, très économe<br />
en énergie (travail manuel et mécanique,<br />
carburant...) et respectueuse des êtres vivants et<br />
de leurs relations réciproques, tout en laissant<br />
à la nature " sauvage " le plus de place possible.<br />
(Source Wikipédia)<br />
Quels rapports entretenez-vous<br />
avec les professionnels des pompes<br />
funèbres ?<br />
Je les ai rencontrés. Passé le premier<br />
effroi de toucher un sujet aussi tabou,<br />
ils m’ont dit comprendre, ils évoquent<br />
les problèmes qu’ont les fossoyeurs pour<br />
exhumer les corps. J’avais des contacts<br />
réguliers avec un employé des pompes<br />
funèbres que je rencontrais régulièrement<br />
pendant que le projet mûrissait,<br />
puis son employeur s’est rendu compte<br />
de ce qu’on allait proposer et lui a interdit<br />
de me voir. Il s’est rendu compte qu’en ne<br />
vendant plus de cercueils, cela réduirait<br />
ses rentrées. Par contre le Service cimetière<br />
de la Ville de Namur a vite compris<br />
que ça allait leur tirer une sacrée épine<br />
du pied, notamment pour aller exhumer<br />
les corps parce qu’ils ont<br />
de plus en plus<br />
de mal à<br />
recrut<br />
e r<br />
d u<br />
pers<br />
on n e l<br />
pour faire<br />
ce job, qui est<br />
vraiment insalubre...<br />
Évidemment les gestionnaires de crématoriums<br />
veulent que leur système soit<br />
toujours rentable, ils essaient de faire<br />
passer la «bio-crémation».<br />
C’est quoi la bio-crémation ?<br />
Bon, vous êtes bien assis ? La «bio-crémation»<br />
consiste à placer le corps dans un<br />
bain avec de l’hydroxyde de potassium !<br />
C’est un peu ce qu’Andreas Pandy 2 a fait<br />
avec ses victimes. Après deux heures et<br />
demie, on a une soupe brune et on peut<br />
balancer à l’égout. Ça, c’est ce qu’ils ont<br />
trouvé et ils qualifient cela de bio parce<br />
que ça consomme moins d’énergie... Flanquer<br />
les restes humains dans l’égout, y<br />
2 Andreas Pandy : serial-killer surnommé le<br />
«pasteur diabolique», le «petiot de Bruxelles»,<br />
qui avec l’aide de sa fille est coupable de 6<br />
assassinats et dont les corps de ses victimes<br />
ont été plongés dans de l’acide après avoir été<br />
découpés à la scie métallique.<br />
compris les molécules chimiques et appeler<br />
ça bio, j’ai un doute !<br />
Et le greenwashing ?<br />
Tout le monde a vu cette pub pour ces<br />
œufs en plastique biodégradable censés<br />
contenir le corps en position fœtale, des<br />
capsula mundi. Ils ont réalisé un très beau<br />
visuel dans lequel on voit un arbre qui sort<br />
de l’œuf planté dans le sol et qui pousse...<br />
Mais imaginez le temps qu’il faut pour<br />
que les micro-organismes du corps et<br />
du sol se rencontrent après avoir décomposé<br />
d’abord le plastique biodégradable<br />
qui doit être solide pour le transport...<br />
ce n’est pas grâce à la dépouille si l’arbre<br />
pousse, mais malgré celle-ci, car elle aura<br />
pourri ! C’est une idée qui vient d’Italie, le<br />
visuel plaisait, les gens ont dit que c’était<br />
magnifique, parce que dans l’imaginaire<br />
collectif, il y a le secret espoir qu’après la<br />
mort on fasse pousser des arbres...<br />
Rien à voir avec l’humusation,<br />
donc ?<br />
Avec l’humusation, nous voulons faire<br />
comprendre aux gens qu’il faut boucler<br />
les cycles. Aller se recueillir près d’un<br />
arbre c’est beaucoup plus agréable, ça<br />
ne demande pas d’entretien, le principal<br />
problème maintenant dans les cimetières<br />
c’est d’interdire les herbicides et c’est très<br />
difficile, dans un espace très minéral, une<br />
mauvaise herbe fait désordre, alors que<br />
dans un Jardin-Forêt de la Métamorphose,<br />
on s’en fout, c’est très bien !<br />
L’Europe cherche actuellement à<br />
remplacer les produits toxiques utilisés<br />
dans la thanatopraxie, par un<br />
produit alternatif plus respectueux<br />
de la nature, qu’en pensez-vous ?<br />
Un produit Monsanto ? (rires)... Mais<br />
c’est idiot de mettre un produit, quel<br />
qu’il soit... ! On a en nous, rien que dans<br />
l’intestin, plus de 100 milliards de microorganismes<br />
qui ont leur rôle à jouer pour<br />
la décomposition, il faut mettre ça le<br />
plus rapidement en contact avec tout ce<br />
qui vient du sol pour décomposer le tout<br />
harmonieusement.<br />
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 3<br />
DANS LES RUES<br />
Éric Allard<br />
Rue de la Préméditation, il prémédita.<br />
Rue de l’Armement, il arma<br />
son arme. Rue du Tir, il tira. Rue du<br />
Crime, il tua. Rue du Palais de Justice,<br />
il prit pour vingt ans. Rue de<br />
la Libération, il fut libéré. Mais rue<br />
de l’Accident, il se fit écraser par un<br />
tram qui sortait de la rue du Vicinal.<br />
Rue de l’Hôpital, il mourut. Rue du<br />
Cimetière, il fut enterré à côté de sa<br />
victime, comme, rue du Testament, il<br />
l’avait demandé.<br />
Ci-gît<br />
Suis<br />
J’y<br />
Reste<br />
Théo Poelart<br />
Mais tout cela va réduire le rôle des<br />
pompes funèbres ?<br />
On ne va pas tout leur enlever, elles vont<br />
s’occuper du corps pour les cérémonies,<br />
maquiller la personne pour garder un<br />
bel aspect. Le cercueil réutilisable qu’on<br />
va avoir ce sera une civière en inox réfrigérable<br />
qu’on maintiendra au frigo pour<br />
qu’il n’y ait pas d’odeur de décomposition...<br />
On ne change rien aux rites. Il y<br />
aura une salle pour les cérémonies et le<br />
bâtiment sera écologique, en " eautarcie ", 3<br />
avec des toilettes sèches et une éolienne<br />
sur le toit.<br />
Ce concept d’humusation est-il<br />
déjà appliqué ailleurs ?<br />
Sur les animaux au Canada. J’ai fait cette<br />
découverte en compostant une poule...<br />
On dit de ne pas mettre de viande dans<br />
le compost pour ne pas attirer de charognards<br />
mais, si on a suffisamment de<br />
matières, trois mètres cubes de broyat, il<br />
n’y a plus d’odeur donc on n’a pas de charognards,<br />
tout se décompose bien.<br />
Comment à titre individuel soutenir<br />
le concept d’humusation ou<br />
participer à sa diffusion ?<br />
Sur le site internet http ://www.humusation.org/<br />
: signer la pétition en ligne<br />
ou envoyer la pétition papier... pour faire<br />
reconnaître légalement ce concept.<br />
Ou remplir l’Acte de dernière volonté et<br />
l’envoyer dans sa commune en demandant<br />
de légiférer rapidement pour permettre<br />
" l’humusation "... Petit à petit, c’est<br />
quelque chose qui pourrait se développer<br />
partout, en respectant évidemment un<br />
process qui est celui de l’ " Art du supercompost<br />
" qui ne soit pas fait n’importe<br />
comment, par n’importe qui. On a préparé<br />
le texte pour un nouveau décret<br />
pour ce nouveau mode de sépulture. La<br />
porte est ouverte 4 .<br />
3 L' " eautarcie " étant l'autarcie en production et<br />
utilisant de l'eau.<br />
4 Dans ce décret du 23 janvier 2014 modifiant<br />
celui du 6 mars 2009 du Code de la Démocratie<br />
locale en Région Wallonne, qui, avant le<br />
nouveau décret " cimetières " ne mentionnait<br />
que les deux pratiques funéraires reconnues,<br />
a été changé subtilement, par l’ajout de trois<br />
points de suspension. (les pratiques funéraires<br />
autorisées " sont l’inhumation, la crémation... "<br />
NDLR).
4 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
clamser en règle<br />
Ni dieux,<br />
ni maîtres,<br />
même pas peur<br />
de mourir !<br />
Où l’auteur revendique<br />
le droit au suicide assisté<br />
Sylvie Kwaschin<br />
Soyons francs, il me fut nettement plus facile<br />
de vivre sans dieux que d’éviter les maîtres ! Bien<br />
sûr, les premiers généraient, selon les moments,<br />
un vague bruit de fond disharmonieux ou une<br />
furieuse cacophonie non exempte de cris de rage<br />
et de douleur. Et quand on a le souci du monde,<br />
cela gêne. Mais, dans le petit égoïsme de sa vie<br />
à soi, les dieux sont parfaitement évitables. Il<br />
suffit de ne pas les inviter. Les maîtres, eux, n’attendent<br />
jamais d’être invités. Toujours, ils veulent<br />
s’imposer et comme ils appartiennent à la vraie<br />
vie et non au ciel des idées ou des fantasmes, il<br />
faut ce bon vieux rapport de force pour conquérir<br />
et conserver les moyens de sa liberté. Autant<br />
dire que je ne peux me réjouir de grand-chose.<br />
De la famille au travail en passant par l’école, je<br />
n’aurai eu comme satisfaction que de ne pas avoir<br />
été un maître moi-même sans avoir révolutionné<br />
les rapports d’autorité, d’exploitation et de domination.<br />
C’est que la liberté concrète, les moyens<br />
de la liberté, l’autonomie cela ne se conquiert<br />
pas tout seul. L’époque n’était pas à reprendre<br />
l’outil et la machine, à pendre les patrons avec<br />
les tripes des derniers curés, à se passer de gouvernement.<br />
Alors, être libre à soi tout seul, dans<br />
les marges, c’est forcément un peu limité. C’est<br />
une espèce de liberté qui manque de pratique.<br />
Enfin, ne soyons pas injustes. Si nous n’avons<br />
pas renversé la table, nous avons quand même<br />
gagné des droits concrets qui ont fait reculer le<br />
pouvoir des maîtres et des dieux sur nos vies :<br />
droit à la contraception, à l’avortement et à l’euthanasie.<br />
Mon problème, c’est que pour faire<br />
valoir son droit à l’euthanasie, il faut souffrir, et<br />
pas qu’un petit peu. La souffrance physique et/ou<br />
psychique doit être " constante, insupportable et<br />
inapaisable ". Si j’ai le choix, je préférerais ne pas.<br />
En revanche, je voudrais bien pouvoir choisir de<br />
mourir tranquillement, au moment de mon choix<br />
sans être obligé de causer un " accident de personne<br />
" sur le réseau de la SNCB, ce qui est d’un<br />
grave manque de courtoisie vis-à-vis du malheureux<br />
conducteur de train qui n’en peut mais, et<br />
vis-à-vis des navetteurs, toujours râleurs certes,<br />
mais eux aussi innocents. Je trouve que, puisque<br />
des tas d’institutions ont voulu jouer au maître<br />
et m’aider dans la vie, m’aider à ne pas faire pipi<br />
dans ma culotte, à m’habiller toute seule, à manger<br />
avec couteau et fourchette, à lire, écrire, calculer,<br />
résoudre des équations du second degré, à<br />
perdre ma vie à la gagner, m’aider à arrêter de<br />
fumer, à ne boire qu’un ou deux verres de vin par<br />
jour, manger cinq fruits et légumes par jour, faire<br />
du sport, me relaxer grâce à la méditation, donc<br />
puisque des tas d’institutions ont voulu m’aider,<br />
elles pourraient bien me laisser choisir l’heure<br />
de mon heure dernière et me donner les moyens<br />
de ma liberté ou laisser de généreuses personnes<br />
me les donner sans les poursuivre de leur ire<br />
pour homicide ou non-assistance à personne en<br />
danger. Le suicide assisté, cela ne foutrait pas le<br />
capitalisme par terre, donc ce n’est pas grave, et<br />
cela éviterait bien des désagréments et des saletés<br />
pour les proches éventuels. Être un peu plus<br />
libre et autonome à sa dernière heure, cela porterait<br />
moins à conséquence que quand on veut<br />
l’être tout gamin. On risque moins d’entraîner les<br />
autres dans cette merveilleuse folie de la liberté<br />
puisqu’on n’a plus temps. Un bon mouvement<br />
quoi ! Si les Suisses en sont capables, ce ne doit<br />
pas être si compliqué. Et ils ont une société si bien<br />
rangée…<br />
Tout comme la vie,<br />
la mort<br />
n’offre aucun<br />
mode d’emploi.<br />
Gaëtan Faucer
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 5<br />
a vécu<br />
" tous morts, mon colonel ! " André Clette<br />
Il y a beaucoup d’avantages à mourir<br />
à la guerre, affirme Socrate dans le<br />
Ménexène de Platon. On obtient une<br />
belle sépulture, si pauvre qu’on soit.<br />
On est loué, si peu de mérite qu’on ait.<br />
Les plus brillants orateurs attribuent<br />
à chacun les qualités qu’il a et celles<br />
qu’il n’a pas. Pour célébrer la patrie de<br />
toutes les manières, ils font de ceux<br />
qui sont morts à la guerre et de leurs<br />
ancêtres, ainsi que de nous-mêmes, de<br />
tels éloges que moi-même – dit encore<br />
Socrate – je me sens grandi par les<br />
louanges et que je reste là, attentif et<br />
charmé, persuadé que je suis devenu<br />
tout d’un coup plus grand, plus généreux,<br />
plus beau.<br />
On le voit, mourir à la guerre comporte<br />
sans doute des désagréments,<br />
mais rend surtout de fiers services<br />
à ceux qui restent. Cela se vérifie<br />
chaque 11 novembre, et particulièrement<br />
en ces années de frénésie commémorative<br />
des grandes boucheries<br />
historiques. À grands coups de défilés,<br />
discours, dépôts de gerbes, sonneries<br />
aux morts et autres bling-bling<br />
cérémoniels, les rois, les présidents,<br />
ministres, élus de tous bords, gouverneurs<br />
de ceci ou de cela, et jusqu’au<br />
plus modeste édile communal, tous<br />
les ramasse-miettes de la victoire se<br />
précipitent aux pieds des monuments<br />
aux morts. Tombeau pour un corps<br />
sans nom ou mausolée vide pour<br />
des noms sans corps, chaque village,<br />
chaque commune a son édifice, restauré,<br />
requinqué et fleuri de frais.<br />
" Ils s’obstinent, ces cannibales,<br />
à faire de nous des héros "<br />
On y voit des allégories patriotiques<br />
couvrant de leurs ailes de braves<br />
pioupious fauchés par la rafale et<br />
qui continuent à porter le drapeau<br />
jusqu’à leur dernier souffle. On y voit<br />
des victoires brandir des couronnes<br />
de laurier au-dessus de soldats piétinant<br />
un aigle écrasé. Des sentinelles de<br />
pierre, l’arme au pied, le regard porté vers<br />
l’horizon, se dressent devant des stèles<br />
phalliques sous la garde d’un coq hardi<br />
perché sur un casque allemand. Des épées<br />
aux allures de croix réconcilient le sabre<br />
et le goupillon. Lauriers, palmes, croix de<br />
guerre, faisceaux d’armes, autant de variations<br />
d’un art médiocre qui déploie sa panoplie<br />
symbolique.<br />
Stèle, obélisque, colonne, un tel monument<br />
se doit d’être vertical. L’horizontalité évoquerait<br />
par trop la mort ordinaire. Sur les monuments,<br />
on meurt " debout ", et non étalé dans<br />
la boue et dans ses excréments. On meurt<br />
" en brave ", et non tordu par la peur, bouffé<br />
par les parasites, en claquant des dents, en<br />
pleurant et en appelant sa mère. On meurt<br />
" pour la patrie " et non pour le pouvoir étatique.<br />
On ne meurt pas à cause d’ambitions<br />
politiques, on ne meurt pas poussé dans le<br />
dos par des ganaches étoilées, on " fait don "<br />
de sa vie aux enfants de la nation. Il faut<br />
mourir " pour… ". Sans ça, ce serait trop con.<br />
" S’il faut donner son sang, allez donner<br />
le vôtre… "<br />
Il y a bien, par-ci par-là, certains monuments<br />
qui expriment, au contraire, le rejet<br />
du chauvinisme et du bellicisme. Ils sont<br />
rares. Quelques dizaines, tout au plus,<br />
contre des dizaines de milliers de monuments<br />
guerriers. On y voit des inscriptions<br />
telles que " Maudite soit la guerre ", " Guerre<br />
à la guerre " ou encore " Paix entre tous les<br />
peuples ". Ils présentent le plus souvent<br />
des pleureuses, des veuves de guerre, des<br />
mères tenant sur les genoux leurs enfants<br />
mourants… guère de symboles guerriers,<br />
aucun triomphalisme, mais rares sont ceux<br />
qui échappent à la grandiloquence imposée.<br />
On compte peu de chefs-d’œuvre susceptibles<br />
de faire date dans l’histoire de<br />
l’art.<br />
Il en existe pourtant. J’en ai croisé un. Par<br />
hasard. C’est la première fois qu’un monument<br />
aux morts réussit à m’émouvoir. Il<br />
est l’œuvre du sculpteur libertaire languedocien<br />
Paul Dardé. Il est érigé à Lodève,<br />
Pour son dernier voyage, il choisit la marche à pied,<br />
histoire de faire durer le plaisir.<br />
Éric Dejaeger<br />
petite ville de l’Hérault, au nord de<br />
Montpellier.<br />
" Adieu la vie, adieu l’amour,<br />
adieu toutes les femmes… "<br />
À l’écart des poncifs, ce monumentci<br />
est au ras du sol. Comme une<br />
tombe. L’allongé est bien mort. Il n’est<br />
pas digne. Il a les jambes écartées. Un<br />
défunt sans élégance. On comprend<br />
qu’il a hurlé, saigné, pissé, chié. La<br />
vie qui lui a été extirpée, on devine<br />
par où elle s’est échappée.<br />
À sa tête, quatre femmes, muettes,<br />
figées, stupéfiées. Pour toujours.<br />
Comme des pierres dans un mur.<br />
Un mur qui ferme la perspective. Un<br />
mur vivant, comme un chœur tragique<br />
sur lequel viennent battre les<br />
rayons du soleil. Ce ne sont pas des<br />
allégories. Ce sont des femmes. Pas<br />
des pleureuses. À cette époque où<br />
les femmes n’avaient que le droit de<br />
pleurer, celles-ci, on dirait qu’elles<br />
boudent. Elles portent les vêtements<br />
qu’on portait dans ces années-là, chapeaux<br />
cloche, rubans, boas, dentelles,<br />
sacs à main… Elles vivent leur vie de<br />
femmes de ce temps-là. Et leur douleur<br />
de ce temps-là.<br />
À son côté, une cinquième femme.<br />
Effondrée. Enroulée sur elle-même.<br />
Disloquée. Comme un sac. Comme<br />
un chiffon. La veuve ? La mère ? La<br />
sœur ? On ne sait. Hurle-t-elle ? On<br />
l’ignore. Elle n’a pas de visage. Elle<br />
est en enfer. C’est sûr.<br />
Au pied du cadavre moche, deux<br />
enfants portent les lauriers de la victoire.<br />
Ils ne savent qu’en faire. Il n’y a<br />
pas de victoire. Il n’y a qu’un champ<br />
de bataille béant au milieu de leur<br />
famille.<br />
Sous le soleil de Lodève, il y a une<br />
minute de silence qui dure l’éternité.<br />
Si vous passez par là pendant vos<br />
prochaines vacances, faites le détour.
6 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
couille molle a des choses à dire<br />
Couille molle fait de la poésie<br />
Mon pote Couille Molle 1 était bizarre<br />
ce matin. D’habitude il entre dans<br />
mon bureau et s’installe sans rien<br />
demander. Cette fois, il a frappé à la<br />
porte et attendu que je lui dise d’entrer<br />
pour s’avancer timidement en triturant<br />
une feuille de papier.<br />
— J’ai besoin de ton avis, fieu. Mon<br />
gamin a un devoir pour l’école. Il doit<br />
écrire une poésie… sur le thème de la<br />
mort, fieu ! Tu te rends compte de ce<br />
qu’on leur fait faire ! À quinze ans !<br />
Comme si c’était un âge pour penser à<br />
ça. Ils ont vu ça au cours de français.<br />
Le prof leur a donné des exemples. Je<br />
te jure, on se demande où ils vont les<br />
chercher … Dans le genre " Ô Mort,<br />
vieux capitaine, il est temps ! levons<br />
l’ancre ! "… je te passe la suite, c’est<br />
n’importe quoi. Et celui-là : " Je n’ay<br />
plus que les os, un Schelette je semble,… "<br />
Il faut voir comme c’est écrit, fieu. Je ne<br />
te raconte pas. Bon, d’accord, c’est du<br />
vieux français. Ils n’avaient pas encore<br />
inventé l’orthographe. Mais quand<br />
même. Donner ça à l’école. Tu parles<br />
d’un exemple pour les jeunes.<br />
1 NDLR : les nom et prénom ont été changés<br />
pour préserver l’anonymat de l’intéressé.<br />
Bon, le gamin ne s’en sort pas. Tu<br />
m’étonnes. Alors, pour l’aider, je la lui<br />
ai écrite, moi, sa poésie. Je peux te la<br />
lire ? Tu me diras ce que tu en penses.<br />
Couille Molle a commencé sa<br />
lecture :<br />
— Je voudrais pas clamser… C’est le<br />
titre…<br />
La feuille tremblait entre ses mains.<br />
— Ce sont des vers libres, hein. Ça<br />
veut dire que quand je n’ai pas trouvé<br />
de rimes, eh bien ça ne rime pas. C’est<br />
moderne, quoi. Tu écoutes ? J’y vais …<br />
Je voudrais pas clamser<br />
Sans avoir vu les Diables<br />
Gagner la coupe du monde<br />
Ce serait insupportable<br />
Et carrément la honte<br />
Je voudrais pas clamser<br />
Avant que Kompany<br />
Revienne à Anderlecht<br />
Et aussi le Standard<br />
Entraîné par Gerets<br />
Je voudrais pas clamser<br />
Avant d’avoir fini<br />
Le dernier Marc Lévy<br />
Et le dernier Nothomb<br />
Même s’il n’est pas très long<br />
André Clette<br />
Sans avoir raconté<br />
Une bonne blague sur les blondes<br />
Et compris celle du fou<br />
Qui repeint son plafond<br />
Avoir fait un selfie<br />
Avec Maggie De Block<br />
Et puis, pour être sûr<br />
Que la vie a un sens<br />
Voir notre économie<br />
Retrouver la croissance<br />
Je voudrais pas clamser<br />
Tout juste après avoir<br />
Remplis mon réservoir<br />
Au prix où est l’essence<br />
Ça serait vraiment pas de chance<br />
Je voudrais pas clamser<br />
Sans avoir épuisé<br />
Mon forfait SMS<br />
Ça serait vraiment trop biesse<br />
Et sans avoir posté<br />
Une dernière vidéo<br />
De p’tits chats rigolos<br />
Je voudrais pas clamser<br />
À l’heure de l’apéro<br />
Sans avoir terminé<br />
Mon dernier mojito<br />
Mais je veux bien partir<br />
Sans payer l’addition<br />
Je voudrais pas clamser<br />
Avant d’avoir connu<br />
Enfin le grand frisson<br />
D’avoir une promotion<br />
Avant d’avoir reçu<br />
La plus belle des médailles<br />
La médaille du travail<br />
Je voudrais pas clamser<br />
Non monsieur non madame<br />
Avant ce type infâme<br />
Mon collègue Poil Decul<br />
Ce salaud serait foutu<br />
De se taper ma femme<br />
Et sans avoir trouvé<br />
Mes toutes dernières paroles<br />
Celles qui feront impression<br />
Sur la postérité<br />
Pour des générations<br />
Je voudrais pas partir<br />
Sans avoir mis de l’ordre<br />
Et passé un slip propre<br />
Je préfèrerais mourir<br />
Que subir cet opprobre.<br />
La voix de Couille Molle s’est étranglée<br />
sur les dernières phrases. L’émotion<br />
le submergeait. — Alors, qu’est-ce<br />
que tu en penses ? Il a dit. — Ben, c’est<br />
joli. J’ai dit. C’est une ode à la vie, en<br />
quelque sorte. Mais ça me fait penser à<br />
quelque chose que j’ai déjà entendu…<br />
— J’y ai mis tout ce qui donne du<br />
sens à ma vie, a dit Couille Molle.<br />
Pour être honnête, je me suis un peu<br />
inspiré d’un poème que j’ai trouvé<br />
sur Internet. Mais personne ne doit le<br />
connaître. C’est un Russe, je crois.
Le Scoop de WATRIN<br />
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 7<br />
Comment honorer ses morts<br />
(ou pas)<br />
sans trop se pourrir la vie ?<br />
Dominique Watrin<br />
Il paraît que quand on meurt, on voit toute sa vie défiler<br />
comme dans un film, mais tellement vite qu'on n'a pas le<br />
temps de finir son popcorn.<br />
André Clette<br />
La réincarnation est l’invention d’un sadique.<br />
Éric Dejaeger<br />
Ça ne fait pas l’ombre d’un doute, la<br />
visite au cimetière, c’est dépassé. Trimballer<br />
son conjoint ou sa nouvelle conquête<br />
amoureuse de tombe en tombe et de<br />
cimetière en cimetière, ce n’est clairement<br />
ni assez romantique pour resserrer les<br />
liens d’un couple, ni suffisamment glamour<br />
pour titiller irrépressiblement les<br />
sens d’un(e) partenaire à séduire. Pareil<br />
pour les enfants qui s’y ennuient toujours<br />
à mourir, je sais, l’expression est malheureuse,<br />
mais elle est tout à fait opportune.<br />
Pour les petits, pas une seule aire de jeux,<br />
pas un seul toboggan : clairement, rien<br />
n’est fait dans les cimetières pour les<br />
accueillir de façon ludique. Et, pour les<br />
plus grands, même constat : impossible<br />
pour eux, ce jour-là, vu la foule, de profaner<br />
tranquillement quelques tombes, les<br />
opposants à ces espiègleries étant encore<br />
légions parmi les inconditionnels des<br />
visites de Toussaint.<br />
Il est donc urgent aujourd’hui de trouver<br />
de nouvelles manières d’honorer les<br />
morts avec des pratiques moins vieillottes<br />
et moins astreignantes qui correspondent<br />
mieux à l’évolution de la société.<br />
Voici cinq suggestions rigolotes et bon<br />
marché de modernisation de cette coutume<br />
désuète.<br />
Première proposition :<br />
le changement de date<br />
C’est une évidence, le 1 er novembre est<br />
une date très mal choisie pour la Toussaint.<br />
Il fait froid, les fleurs sont hors de<br />
prix, la haute saison des décès hivernaux<br />
va à peine commencer, les dépenses pour<br />
les fêtes de fin d’année se profilent à l’horizon<br />
: la Toussaint à ce moment-là, c’est<br />
hyper maladroit sur le plan commercial.<br />
Le minimum serait, dès lors, de déplacer<br />
cette fête à la période estivale. Se rendre<br />
au cimetière en tee-shirt et en tongs, avec<br />
des fleurs disponibles à moindre coût<br />
sur n’importe quel bord de route, sans<br />
oublier un frigobox avec quelques bières<br />
fraîches, ce serait déjà plus supportable.<br />
Et, si on programme intelligemment<br />
son départ en vacances, il serait même<br />
possible de confier ses obligations de<br />
Toussaint à la voisine qui soigne le poisson<br />
rouge et arrose les plantes en notre<br />
absence, et hop, une corvée en moins !<br />
Deuxième proposition :<br />
le recyclage<br />
À l’ère du tri des déchets, laisser pourrir<br />
ses ancêtres dans un caveau ou les<br />
réduire en poussière au crématorium,<br />
c’est un gaspillage écologique. Il est, par<br />
conséquent, primordial d’agir en amont.<br />
Lors d’un décès, le bon geste à avoir<br />
devrait être de séparer chairs et os. Si<br />
tout le monde avait un brevet de boucherie<br />
(comme on obtient un brevet de<br />
secourisme), chacun pourrait recycler la<br />
dépouille d’un proche décédé en transformant<br />
ses chairs en compost pour le<br />
potager et ses os en un magnifique squelette<br />
dont les enfants se régaleraient lors<br />
des fêtes d’Halloween. Et, pour la Toussaint,<br />
il suffirait d’aller s’incliner devant<br />
le bac à compost, dans le fond du jardin,<br />
tout en sortant le chien ou en allant nourrir<br />
les poules, quelle économie de temps<br />
et d’argent !<br />
Troisième proposition :<br />
le repas de fête<br />
Si la crémation n’est pas une solution<br />
au niveau environnemental, elle l’est sur<br />
le plan de l’encombrement. Quel autre<br />
moyen peut permettre de placer un basketteur<br />
mort de 120 kilos dans une boîte<br />
Tupperware ? Aucun, c’est sûr. Malheureusement,<br />
une fois sur le buffet, le proche<br />
incinéré, placé dans son urne, prend la<br />
poussière (un comble !) et passe chaque<br />
Toussaint sans le moindre dépôt de chrysanthème.<br />
Un traitement de faveur s’impose<br />
donc pour raviver son souvenir, ce<br />
jour-là. Et pourquoi pas le partage d’un<br />
repas aromatisé aux cendres du défunt ?<br />
Un steak grillé épicé à la poudre de Pépé<br />
Gérard, ou un gigot parfumé aux épices<br />
Mamy Jeanine, quel feu d’artifice pour les<br />
papilles !<br />
Quatrième proposition :<br />
la voie technologique<br />
Tout va très vite, trop vite, et la Toussaint<br />
est une des seules fêtes qui ne<br />
se modernise pas. Il est temps que ça<br />
change ! Cette date pourrait devenir<br />
une immense journée " portes ouvertes ",<br />
ou plutôt " tombes ouvertes ". Chacun<br />
pourrait y faire des selfies avec tous ses<br />
défunts. Quelles retrouvailles et surtout<br />
quel sujet de convivialité et d’échanges<br />
sur les réseaux sociaux ! Et vive les commentaires<br />
super déconnants : " Moi avec<br />
parrain Jean-Marie. Il a les traits creusés.<br />
LOOOL ", " Sacré Guy ! Avant, il était gros.<br />
Maintenant, il n’a plus que la peau sur les<br />
os. PTDR ", " Ma femme est toujours aussi<br />
froide ! MDR "…<br />
Et enfin, cinquième proposition :<br />
la rotation familiale<br />
Il faut le rappeler, les êtres humains,<br />
c’est comme les bagnoles, c’est programmé<br />
pour une durée de vie limitée…<br />
et, forcément, une mort assurée. Après<br />
un certain temps, au fil des années, chacun<br />
commence à lâcher de partout. Ce ne<br />
sont pas les pneus, le pot d’échappement<br />
et la courroie de transmission ; ce sont les<br />
articulations, le cœur et les boyaux. La<br />
solution la plus rentable est, par conséquent,<br />
de changer de proches tous les<br />
quatre ans et d’en prendre des neufs,<br />
afin que personne ne meure dans votre<br />
entourage. Comme ça, la Toussaint, c’est<br />
pour les autres et basta !<br />
Joyeuse Toussaint à tous !
8 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
Le bouillon d’onze heures ne doit pas précéder le démon<br />
de midi.<br />
Éric Dejaeger<br />
Tout moissonneur sera un jour fauché<br />
Éric Dejaeger
Rien ne se pierre<br />
Jean-Philippe Querton a rencontré Pierre Desagre,<br />
la mort, une passion pour la vie<br />
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 9<br />
Pierre Desagre hante les allées graveleuses des<br />
cimetières depuis des années, accompagné de Sika,<br />
sa chienne et de son appareil photographique.<br />
Il pose sur les sépultures un regard particulier, il<br />
débusque l’incongru, le drôle, l’anachronique, le<br />
dérisoire, le pathétique.<br />
De ces vingt années de voyages, il a tiré des milliers<br />
de clichés. Il en a sélectionné 160 qui paraissent dans<br />
un livre intitulé Cimetières de Pierre 1 .<br />
Rencontre avec un passionné de la mort.<br />
Depuis quand t’intéresses-tu aux cimetières,<br />
comment ça t’est venu ?<br />
J’ai toujours été attiré par les choses de la mort, par la<br />
nature même de mon parcours sociologique. J’ai eu une<br />
enfance très solitaire, repliée sur elle-même, je dirais<br />
" assez spéciale ", pour ne faire de peine à personne. En<br />
âge de lire, je zieutais la rubrique nécrologique dans La<br />
Cité, un quotidien aujourd’hui disparu, et j’étais fasciné<br />
de voir ces braves gens, nés dans les années 1870,<br />
1880… Jusqu’à l’adolescence, avant de m’endormir, en<br />
lieu et place des moutons, je comptais les personnes<br />
décédées du village, c’est dire à quel point il y a quelque<br />
chose chez moi qui n’a jamais tourné très rond. Étant<br />
naturellement réfractaire à toute forme d’éducation, de<br />
conditionnement, j’ai un imaginaire sans surmoi, où<br />
la mort tourne en roue libre, n’en déplaise aux esprits<br />
chagrins. Mes premières images (des diapositives) de<br />
cimetières remontent à la fin des années 70. Bien plus<br />
tard, c’est devenu une passion, une passion pour la vie,<br />
c’est certain.<br />
Au-delà des cimetières, tu collectionnes également<br />
les faire-part mortuaires, exact ?<br />
Je n’ai ni l’âme, ni les moyens, ni la détermination<br />
d’un collectionneur. Néanmoins, j’épluche la rubrique<br />
nécrologique dans plusieurs journaux depuis plus de<br />
vingt ans. Je découpe, classe, publie sur mon blog…<br />
On y lit parfois des avis surprenants, tristes ou drôles,<br />
personnalisés, parfois loufoques, qui échappent au<br />
conformisme. Je conserve toutes ces " perles " dans des<br />
boîtes à chaussures.<br />
Regard décalé, humour, monuments<br />
incongrus…<br />
Ça a pris deux ans. Je me souviens précisément du<br />
jour où, dans le cimetière de Mons, j’ai lu sur une tombe<br />
le patronyme " Poisson ". Je pense qu’à cet instant, j’ai<br />
eu la révélation de l’orientation subjective exacte que je<br />
devais donner à mon " travail ". Disons que l’humour,<br />
l’incongruité et les paradoxes restent le fonds de commerce<br />
de mes recherches. Ce n’est pas nécessairement<br />
un exercice facile, parce qu’il est hors de question<br />
d’outrager qui que ce soit par une attitude dans un<br />
cimetière, une image dans un cadre ou sur Facebook.<br />
Cependant, tu rencontreras toujours des gens que ça<br />
horripile, et ce ne sont pas nécessairement ceux-là que<br />
l’on croise pendant les Journées du Patrimoine, ni dans<br />
les bibliothèques, tu vois ce que je veux dire. J’ai photographié<br />
dernièrement sur une tombe, une plaque où il<br />
était écrit ceci : " Je vous avais bien dit que j’étais malade ".<br />
Ici, on est dans le sublime. C’est le condamné à mort<br />
qui se moque de la guillotine ! À méditer !<br />
À force d’en avoir vu, imagines-tu ta propre<br />
sépulture ?<br />
Ce serait faire injure aux confrères photographes de<br />
cimetières que de souhaiter être incinéré et dispersé<br />
sur une pelouse, donc, tombe il y aura. Je me vois bien,<br />
confortablement installé dans la terre, avec " les gens<br />
de peu " (pour paraphraser Pierre Sansot). Un enterrement<br />
à la sauvette, si possible à la tombée de la nuit,<br />
pour faire jaser les honnêtes gens, une tombe sans<br />
tralala, juste un bâton planté dans la terre, une plaque<br />
métallique avec mes " coordonnées ", et puis c’est tout.<br />
Je ne vois rien de plus sain, rien de plus naturel que<br />
la putréfaction dans un cercueil en sapin. Du reste, je<br />
m’en fiche complètement. Démerdez-vous avec moi,<br />
mais sans moi !<br />
Quelques anecdotes ?<br />
Je me souviens d’une personne enterrée avec une<br />
bouteille de whisky dans son cercueil. Je me souviens<br />
des slips d’un fossoyeur qui séchaient parmi les<br />
tombes. Je me souviens m’être planqué pour photographier<br />
une dame volant de beaux et anciens ornements<br />
en bronze. Je me souviens avoir fait rougir de honte un<br />
fossoyeur pour lui avoir signalé la présence d’un crâne<br />
agrémenté de quelques touffes de cheveux sur un tas<br />
de déchets. Je me souviens avoir frissonné parce que je<br />
m’étais retrouvé enfermé dans le cimetière de Mons, et<br />
que le jour baissait…<br />
Tu as fait des rencontres avec des fossoyeurs ?<br />
Quand j’ai entamé mes pérégrinations photographiques<br />
dans les années 90, un de mes objectifs était<br />
de cibler l’un ou autre fossoyeur " ouvert " à ce type de<br />
démarche, que j’aurais suivi au quotidien (ou presque).<br />
J’en avais " sélectionné " plusieurs, mais je me suis<br />
vite aperçu que, pour des raisons contingentes, professionnelles,<br />
je serais dans l’impossibilité de le faire<br />
sérieusement. J’ai donc renoncé, mais j’ai quand même<br />
fait quelques rencontres photographiquement intéressantes.<br />
Du reste, les fossoyeurs sont de plus en plus<br />
souvent remplacés par des ouvriers communaux et,<br />
comme le papillon bâton bleu du Sinaï, celui-ci est une<br />
espèce en voie de disparition.<br />
Et les autres professionnels des métiers de la<br />
mort, tu en penses quoi ?<br />
Je suis allergique à tous ces saligauds - hideux<br />
nécrophiles des pompes funèbres qui, profitant de<br />
la détresse, du chagrin des gens, sans vergogne s’en<br />
foutent plein les fouilles. Des rapaces, écrivait Marcel<br />
Mariën.<br />
Tu rencontres des gens dans les cimetières ?<br />
Je n’aime pas être dérangé plus que ça quand je passe<br />
un cimetière au peigne fin. Plus on me fiche la paix,<br />
et mieux je me porte. J’ai besoin d’un maximum de<br />
concentration. Au diable, les gens !<br />
Tu as peur de la mort ?<br />
J’ai un jour vécu une expérience mystique, toutes<br />
proportions gardées. J’ai accompagné un de mes vieux<br />
chats adorés qui, usé, est parti doucement, couché sur<br />
le canapé. Je le caressais, encore et encore, et quand j’ai<br />
vu sa poitrine se soulever pour la dernière fois, j’ai ressenti<br />
une sorte d’infinie, de subliminale douceur, celle<br />
de l’avoir accompagné paisiblement jusqu’aux portes<br />
des Champs-Élysées. Non, la mort ne me fait pas peur,<br />
loin de là. Les souffrances terrestres sont infiniment<br />
plus déplaisantes que cette expérience singulière. Les<br />
hommes ont eu des millénaires pour se familiariser à<br />
l’idée de la mort, du vide. Ils n’y sont pas arrivés. Tant<br />
pis pour eux !<br />
Parle-nous de ce livre de photos, de ta<br />
démarche.<br />
Puisqu’il est convenu que le rire est le propre de<br />
l’homme, je ne vois aucune objection à publier un livre<br />
comprenant l’une ou l’autre image déjantée. Ce projet<br />
dort dans mon ordinateur depuis 2005. Comme je<br />
n’ai pas l’habitude de sonner aux portes, il aurait pu<br />
y rester définitivement. En 2013, j’ai publié un recueil<br />
d’aphorismes chez Cactus, cela m’a permis de nouer<br />
des liens amicaux avec Styvie et Jean-Philippe Querton,<br />
les éditeurs, cela a fait sortir le loup hors du bois…<br />
Ma démarche, pour faire court, je dirais " l’errance tranquille,<br />
le regard affûté, la curiosité insistante, l’usure des<br />
chaussures. ". C’est Henri Cartier-Bresson qui disait que<br />
les photographes ne sont pas des chevaux de course.<br />
Y a-t-il des personnes dont tu t’es réjoui de la<br />
mort ?<br />
C’est Jules Renard qui écrivait : " La mort des autres<br />
nous aide à vivre. ". Sinon, ce n’est pas dans ma nature de<br />
sabler le champagne pour fêter la mort d’un fâcheux.<br />
Mettre à distance les empêcheurs de tourner en rond<br />
suffit à mon bonheur. Là-dessus, je lève mon verre à<br />
celles et ceux qui apprécieront ce livre. Santé !<br />
1 Les cimetières de Pierre, Pierre Desagre, préface d’André<br />
Chabot, Cactus Inébranlable éditions, 160 photos noir et blanc sur<br />
papier couché mat 135 grammes, ISBN 978-2-930659-41-1, 26 €<br />
C’est dans la baie des Trépassés que l’on pêche les poissons les plus dodus.<br />
Éric Dejaeger<br />
Le deuil d’une veuve est d’un an et six semaines<br />
Le deuil pour un père ou une mère est d’un an<br />
Pour un grand-père, une grand-mère, un frère ou une sœur de six mois<br />
Pour un oncle, une tante, un cousin ou une cousine germaine de trois mois<br />
Quant à moi, je porterai mon propre deuil pour l’éternité...<br />
Théo Poelaert
10 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
Le temps tarifé du chagrin<br />
Sylvie Kwaschin<br />
Selon que vous serez salarié dans le<br />
privé ou agent de service public, votre<br />
peine et les emmerdements administratifs<br />
causés par la perte d’un plus ou<br />
moins proche ne seront pas identiques.<br />
Dans tous les cas, seuls les liens du<br />
sang ou de famille comptent. Tant pis si<br />
vous préférez votre meilleur ami à votre<br />
arrière-grand-mère. Pour le premier ce<br />
sera peau de balle et balai de crin, nada.<br />
Dans le privé, vous aurez trois jours<br />
pour pleurer, contacter les pompes<br />
funèbres et enterrer votre conjoint, votre<br />
enfant ou son conjoint, vos père et mère,<br />
beau-père et belle-mère. Dans le public,<br />
quatre jours.<br />
Si vous vivez au sein d’une famille élar-<br />
André Stas<br />
gie et que vous cohabitez avec un frère,<br />
une sœur, une belle-sœur, un beau-frère,<br />
un grand-père, une grand-mère, un petitfils,<br />
un arrière-grand-père, une arrièregrand-mère,<br />
un arrière-petit-fils, un<br />
beau-fils ou une belle-fille, évitez de trop<br />
vous attacher : deux jours.<br />
Si les mêmes, frère, sœur, etc., ne sont<br />
pas domiciliés avec vous, vous n’aurez<br />
droit qu’au jour de l’enterrement. Grandpère,<br />
grand-mère, refusez de vous occuper<br />
de vos petits-enfants ! S’ils viennent<br />
à vous précéder dans la tombe, vous<br />
n’aurez que le temps de vous rendre à la<br />
cérémonie, de boire la jatte de café et de<br />
manger le sandwich mou ou le morceau<br />
de tarte rassis, avant de reprendre le collier<br />
le lendemain.<br />
André Stas
Décalage en règle<br />
l’immortalité :<br />
toute une histoire…<br />
André Clette, Co-auteur de Histoire du Belge (Tome 1: 1996 - Tome 2: 2005) éditions Luc<br />
Pire (Disponible sur les bonnes brocantes).<br />
L’automne est là. Il faut balayer les<br />
feuilles mortes et déposer des chrysanthèmes<br />
sur les tombes. Les morts<br />
aiment ça. Ça leur réchauffe le cœur et<br />
leurs vieux os. Pour un peu, ça les ressusciterait.<br />
On ne sait ce qui les retient.<br />
Attendent-ils leur heure ? Ont-ils cessé<br />
d’y croire et sont-ils résignés ?<br />
Pourtant, ils sont nombreux à y avoir cru<br />
de leur vivant. Il paraît que c’est humain,<br />
le désir d’immortalité. Ça remonterait<br />
à la nuit des temps, voire encore avant.<br />
Quand le temps n’existait pas, la mort<br />
non plus. L’homme en a gardé la nostalgie.<br />
L’éternité, ça le tripote. Il va mourir,<br />
il le sait. Il ne veut pas le savoir. Alors, il<br />
se raconte des histoires. On le comprend.<br />
On ferait de même.<br />
La parapithèque, le zinjanthrope, Toumaï<br />
et Orrorin se racontaient-ils des histoires<br />
? On l’ignore. Leur cousine Lucy<br />
rêvait-elle d’aller au ciel, couverte de<br />
diamants ? On ne le sait pas davantage.<br />
On sait que Neandertal et Cro-Magnon<br />
mettaient leurs morts en terre. Peut-être<br />
pensaient-ils qu’ils allaient repousser. On<br />
doute que ça ait marché, mais ça valait la<br />
peine d’essayer.<br />
On ira (presque) tous au Paradis<br />
Les Égyptiens y ont cru. Hérodote l’affirme<br />
: ils ont été les premiers à décider<br />
que l’âme est immortelle. Leurs médecins<br />
avaient des remèdes pour toutes<br />
les maladies. Ils pouvaient guérir même<br />
celui qui tombait malade de la mort. Simplement,<br />
dans ce dernier cas de figure, le<br />
patient guéri restait immobile et muet,<br />
plongé dans le sommeil. On le disait parti<br />
en voyage dans ses rêves. La meilleure<br />
chose à faire était de l’équiper en conséquence.<br />
C’est ce qu’affirmait le médecin.<br />
Comme celui-ci était aussi prêtre, on le<br />
croyait. Les prêtres savent ces choses. Et<br />
on a tellement envie de les croire.<br />
On emballait donc soigneusement le<br />
trépassé. Afin qu’il voyage léger, on le<br />
débarrassait de ses tripes et boyaux, y<br />
compris du cerveau. Au royaume des<br />
dieux, c’est un organe inutile. On prononçait<br />
quelques prières. On lui fournissait<br />
une barque. Par précaution, on prenait<br />
soin de refiler un bon pourboire à l’officiant.<br />
Et en route pour de nouvelles aventures.<br />
Après cette brève interruption, le<br />
défunt, désormais immortel, coulait des<br />
jours heureux dans l’au-delà. Tout cela<br />
coûtait cher. Les privilégiés qui y accédaient<br />
avaient ainsi l’assurance de se<br />
retrouver entre gens de la bonne société,<br />
avec quand même leurs gens de maison<br />
pour le service.<br />
Depuis lors, les choses ont évolué, mais<br />
en quelque époque et en quelque lieu<br />
que l’on vive et meurt, il y a toujours un<br />
genre de curé qualifié pour expliquer ce<br />
qu’il se passe par la suite. L’angoisse de la<br />
mort, c’est leur core business. Moyennant<br />
une petite pièce, un bœuf à sacrifier, une<br />
paire de chevreaux ou une dinde farcie,<br />
ils sont toujours prêts à refiler des tuyaux<br />
de première main pour accéder dans les<br />
meilleures conditions à la résurrection,<br />
à la réincarnation, à la vie éternelle…<br />
(biffer les mentions inutiles). Sachant<br />
que l’au-delà ressemble à un commissariat,<br />
avec ses gentils flics et ses méchants<br />
flics, et qu’il y a généralement un audelà<br />
super sympa pour les gentils et un<br />
au-delà franchement désagréable pour<br />
les méchants, autant mettre toutes les<br />
chances de son côté.<br />
Il y a tout ce que vous voulez aux<br />
Champs-Élysées<br />
Les Grecs anciens débordaient d’imagination<br />
pour décliner toutes les modalités<br />
de la vie après la mort. Le top du top en<br />
matière de séjour dans l’au-delà, c’est l’île<br />
des bienheureux, appelée aussi Champs-<br />
Élysées. Une villégiature all inclusive<br />
jouissant d’un climat clément toute l’année.<br />
On n’y croise que du beau monde :<br />
Achille, Médée, Pénélope… Aujourd’hui<br />
encore, certains experts croient à l’existence<br />
de cette île. On pense que Joe Dassin,<br />
Elvis Presley et Michael Jackson s’y la<br />
coulent douce en tapant le carton.<br />
Peut-être cette île est-elle l’une de ces<br />
" îles des immortels " que l’empereur Qin<br />
Shi Huang ( 259 — 210) chercha sans la<br />
trouver. Ce ne fut pourtant pas faute<br />
d’avoir multiplié les expéditions pour<br />
les découvrir, ni de s’être entouré de<br />
magiciens et de savants pour rechercher<br />
l’élixir qui empêche de mourir. Il semble<br />
que rien de tout cela n’ait marché. Il nous<br />
en reste toutefois le Yin et le Yang, les cinq<br />
éléments, le taoïsme et quelques babioles<br />
pour amateurs de sagesse exotique. Les<br />
fans de Dragon Ball lui sont redevables,<br />
mais la plupart l’ignorent.<br />
Ce genre de séjour cinq étoiles, inaccessible<br />
aux Chinois, n’était évidemment<br />
pas plus accessible au commun de Grecs.<br />
Avec leurs maigres revenus, ils n’eussent<br />
pas même pu s’offrir un café en terrasse.<br />
L’immortalité a un prix. À commencer<br />
par la traversée du fleuve Styx dans la<br />
barque de Charon. Le passeur, un vieux<br />
type acariâtre qui ne s’intéresse qu’au<br />
fric, détient le monopole. Pour le rémunérer,<br />
on glisse une pièce dans la bouche<br />
du mort – les Grecs n’ayant pas encore<br />
inventé le porte-monnaie. Le défunt a<br />
intérêt à garder les dents serrées, car sur<br />
les rives du Styx, les morts désargentés,<br />
ces SDF de l’enfer, rôdent pour détrousser<br />
les nouveaux arrivants. Ceci explique<br />
pourquoi les trépassés sont d’ordinaire<br />
peu causants et guère rieurs.<br />
La version grecque de l’au-delà fut jugée<br />
satisfaisante pendant quelques siècles.<br />
Les Romains l’adoptèrent, mais vers le<br />
deuxième siècle, Juvénal exprime son<br />
scepticisme : " qu’une seule barque puisse<br />
suffire à transborder tant de milliers de morts,<br />
même les enfants ne le croient plus " (Satire<br />
II, 149).<br />
Aux enterrements, dites toujours<br />
du bien des morts : ils pourraient<br />
revenir…<br />
La vieille mythologie a du plomb dans<br />
l’aile. Qu’à cela ne tienne, le christianisme<br />
survient à point nommé. La résurrection<br />
attestée du dénommé Jésus-Christ autorise<br />
tous les espoirs. Encore peut-on se<br />
demander s’il était bien malin de ressusciter<br />
pour monter au ciel sitôt après,<br />
et pourquoi s’encombrer d’un corps<br />
quand une âme suffit. Mais le chrétien<br />
est ainsi fait. Savoir qu’il est poussière et<br />
qu’il retournera en poussière ne l’enthousiasme<br />
guère. Les cimetières sont remplis<br />
de gens qui attendent le jugement dernier.<br />
Ceux qui ont suivi le catéchisme et<br />
donné à la quête sont confiants. Ils ont<br />
payé le passeur. Quand leurs corps revivront,<br />
plus beaux qu’avant, avec de la<br />
lumière tout autour de la tête, ce sera du<br />
plus bel effet. Et bien plus pratique la nuit<br />
que les hideux gilets fluorescents.<br />
Après deux mille ans d’attente, on sent<br />
pourtant une certaine lassitude. On s’inquiète.<br />
L’âme se conserve-t-elle indéfiniment<br />
? Sans additifs ? Sans congélation ?<br />
Le doute s’insinue. La perspective de<br />
survivre à sa propre mort est certes aguichante,<br />
mais après tout, est-il absolument<br />
nécessaire de mourir ?<br />
Mourir avant l’heure, c’est moche.<br />
Mourir après l’heure, c’est pire<br />
À bien y regarder, suivant la description<br />
qu’en fait l’apôtre Paul, l’âme humaine<br />
agirait comme un genre de puce électronique<br />
qui stockerait l’empreinte enregistrée<br />
de la vie de la personne en attendant<br />
la résurrection. Le développement des<br />
biotechnologies, de l’informatique et des<br />
sciences cognitives devraient permettre<br />
de récupérer cette foutue puce et de la<br />
réimplanter dans un organisme en bon<br />
état, voire dans un corps synthétique,<br />
avec GPS et pince à sucre incorporés.<br />
Google y travaille.<br />
Certes, ce ne sera pas à la portée de<br />
toutes les bourses. Ceux qui n’auront<br />
pas les moyens de s’offrir l’immortalité<br />
devront continuer à se raconter des histoires.<br />
Mais les oligarques russes et les<br />
magnats de la Silicone Valley ont quelque<br />
chance d’être immortels. Des experts leur<br />
promettent déjà une vie de mille ans.<br />
Après, ils mourront d’ennui.<br />
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 11<br />
L'oe i l de l’Observatoire<br />
Bruxellois du Clinamen<br />
de la relance de<br />
l'emploi à travers<br />
les premiers questionnements<br />
sur la<br />
Mort avant la Vie<br />
Dr Lichic<br />
Comme le deuil me frappe sans<br />
ménagement pour l’heure (et pour<br />
la suite aussi hélas), je me sens particulièrement<br />
légitime pour rédiger<br />
cette chronique - une fois n’est pas<br />
coutume -, devise que partage aussi<br />
la Camarde. Vous me direz qu’il ne<br />
faut pas être cordonnier pour deviser<br />
une pointure de chausses, mais ça<br />
aide. Or il me plaît de vous entretenir<br />
aujourd’hui non pas de la Mort, sujet<br />
éculé et triste, non pas de la Vie après<br />
la Mort, sujet épuisant et épuisé par<br />
les vilains merles de toutes les religions<br />
du monde pour mieux nous<br />
ennuyer au présent, mais bien de la<br />
Mort avant la Vie. Car si mourir c’est<br />
ne plus exister, vous conviendrez avec<br />
moi que l’on meurt longtemps avant<br />
de naître et de vivre. Intéressante<br />
spéculation, qui pose d’emblée la<br />
question d’un zéro initial : sommesnous<br />
morts avant de vivre depuis 10<br />
ans ? Trente ? Depuis la création de<br />
l’univers ? Ou depuis que les deux<br />
ovules et gamètes qui vont bientôt<br />
nous constituer ont été fabriqués par<br />
les corps de nos géniteurs ? Et durant<br />
cette période de pré-vie non existante,<br />
vieillissons-nous durant la mort ?<br />
Peut-on se prévaloir d’une ancienneté<br />
prénatale ? Les Néanderthaliens<br />
sont-ils morts avant la vie moins longtemps<br />
que moi ? Les années de Mort<br />
avant la vie sont-elles additionnables<br />
aux années de Mort après la vie ? Ou<br />
s’agit-il d’unités différentes, comme<br />
les pommes et les poires, les torchons<br />
et les serviettes ou encore Johnny &<br />
Walker ?<br />
Si j’en crois mes lectures dilettantes<br />
et les conversations de comptoir au<br />
Verschuren (Parvis de Saint-Gilles,<br />
Bruxelles), il semble que cette question<br />
de la Mort avant la Vie n’intéresse<br />
pas grand monde. Certes, les adeptes<br />
d’une métempsychose de bon aloi (et<br />
ils sont nombreux ces crabes) remplissent<br />
cet espace-temps d’autant de<br />
cycles de vie qu’il en faut pour farcir<br />
un cerveau, et nous rabâchent les tympans<br />
avec la réincarnation. D’après<br />
eux l’état de Mort avant la Vie n’existerait<br />
point puisque nous sommes sans<br />
cesse vivants, même avant ou après la<br />
mort. Je ne vais donc pas tenter de les<br />
convaincre, car comme tous croyants<br />
ils sont plus obtus que l’angle éponyme.<br />
Mais pour tous les autres, la<br />
question reste en suspens. Et elle interroge<br />
également ce marché délaissé et<br />
pourtant juteux des pompes funèbres<br />
avant la Vie. Imaginez, cher lecteur,<br />
si à chaque naissance en plus des<br />
dragées, des faire-part et des autres<br />
pratiques sociales promptes à faire<br />
accepter et avaler aux jeunes parents<br />
la couleuvre braillante 1 qui hantera<br />
dorénavant leurs nuits, on instaurait<br />
la belle coutume de célébrer la fin (ou<br />
la Mort) de la Mort avant la Vie ? Voilà<br />
qui doublerait les besoins, les brevets,<br />
les ventes, les emplois ! Voilà soudain<br />
l’espace Wallonie-Bruxelles sauvé du<br />
marasme économique post-industriel<br />
! Corbillards pour transporter la<br />
femme qui perd ses eaux, Faire-part<br />
de Mort de la Mort, catafalques de<br />
naissance, berceaux en cercueils, mon<br />
imagination défaille devant le champ<br />
des possibles ! Je vous laisse, lecteur,<br />
je cours enregistrer l’idée au BPW<br />
(Bureau du Progrès Wallon).<br />
À bientoast !<br />
1 Les serpents sont rarement bruyants,<br />
j’en conviens. Mais justement quand ils s’y<br />
mettent, c’est pire que tout.
12 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015
Début octobre, les salariés d’Air France<br />
apprenaient la suppression de 2900<br />
emplois. De colère, ils ont arraché la chemise<br />
de deux dirigeants de la boîte.<br />
Cela prouve que la colère est mauvaise<br />
conseillère. Sachant qu’une chemise<br />
Gucci va chercher autour de 288 euros,<br />
ces forcenés eussent été mieux avisés<br />
d’ôter la chemise de leurs cadres avec<br />
davantage de délicatesse et sans exercer<br />
de violence destructrice à l’encontre d’un<br />
vêtement de cette qualité. Tant qu’à faire,<br />
ils auraient pu aussi s’emparer du veston<br />
(comptez aux alentours de 743 €) et<br />
du pantalon (il y en a déjà de très convenables<br />
à partir de 327 €).<br />
Sachant qu’on peut trouver chez Lidl<br />
une chemise homme pour 6,99 €, une<br />
veste à 12,99 € et un pantalon pour 9,99 €,<br />
un simple calcul nous apprend qu’en déshabillant<br />
un seul cadre, on pouvait, au<br />
prix de la revente, offrir des habits neufs<br />
à 45 travailleurs. Une belle occasion de<br />
perdue. On voit par là que la force brutale<br />
ne paye pas.<br />
Accessoirement, ce calcul nous permet<br />
de constater que, si le budget habillement<br />
d’un dirigeant est largement supérieur<br />
à celui d’un salarié de base, le différentiel<br />
est encore loin de refléter la tension<br />
salariale entre les revenus élevés et les<br />
salaires modestes. À titre d’exemple, il<br />
nous revient que chez Delhaize, le patron<br />
gagne plus de 123 fois plus qu’une caissière<br />
avec une ancienneté de 5 ans. On<br />
pourrait donc, à plusieurs reprises, le<br />
mettre à nu et l’envoyer se rhabiller sans<br />
trop mettre à mal son pouvoir d’achat.<br />
Évidemment, s’il veut du sur mesure,<br />
ça risque de lui coûter plus cher. S’il se<br />
rebiffe, il faudra lui expliquer la situation,<br />
chiffres à l’appui, en affirmant qu’il n’y a<br />
pas d’alternative 1 .<br />
On ne voit pas tous les jours un DRH,<br />
torse nu mais dûment cravaté, faire le<br />
chippendale en haut d’une clôture grillagée,<br />
aussi a-t-on pu contempler les photos<br />
de cette scène plaisante dans tous<br />
les medias. D’une seule voix, ceux-ci se<br />
sont déchaînés pour condamner violemment<br />
cette violence. Un beau tapage<br />
médiatique, en vérité. Pourtant, derrière<br />
l’indignation affichée, on pouvait sentir<br />
comme une sorte de jubilation. Une<br />
bonne tranche de violence, c’est toujours<br />
mieux à se mettre sous la dent que des<br />
photos fadasses de négociateurs qui<br />
se serrent mollement la louche sur les<br />
marches du palais avant d’aller s’asseoir<br />
autour d’un pot de fleurs. L’info, c’est<br />
meilleur saignant. C’est pourquoi, derrière<br />
les éructations baveuses de bon aloi,<br />
on pouvait deviner une salivation gourmande<br />
un tantinet perverse.<br />
1 « There is no alternative ». Cette citation<br />
de Margaret Thatcher emporte généralement<br />
l’adhésion de tout manager performant.<br />
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 13<br />
Échanges musclés Père Duchesne<br />
Et spectacle de rue<br />
Dans le même temps, en Belgique, se<br />
préparait une grande manifestation<br />
nationale. Nos médias (RTBF info et RTL<br />
info) l’annonçaient en l’illustrant de photos<br />
de bagnoles en feu datant de la manif<br />
précédente, et en l’accompagnant d’un<br />
inventaire des risques à redouter, avec<br />
des titres tels que : « faut-il craindre de<br />
nouveaux débordements ». Le lecteur<br />
non dupe traduisait « espérons que ça<br />
castagne de nouveau, ça nous fera de<br />
l’audience. »<br />
Ils n’auront pas été trop déçus. En fin<br />
de manif, des manifestants et de policiers<br />
ont en effet procédé au traditionnel<br />
échange de pavés, de bouteilles et de<br />
panneaux de signalisation contre des gaz<br />
lacrymogènes, des jets d’eau et des coups<br />
de matraque. Sans cela, une manif finit<br />
toujours un peu comme un pet foireux et,<br />
même si c’est peu de chose, c’est quand<br />
même plus excitant qu’un défilé de 100<br />
000 bonshommes et bonnes femmes en<br />
sacs poubelles rouges et verts.<br />
Tout cela reste bien modéré, pour ne<br />
pas dire timide. Ce qui contraint les<br />
médias à l’emphase. C’est ainsi que<br />
quelques dizaines d’énergumènes excités<br />
deviennent des centaines d’anarchistes<br />
infiltrés, voire des « insurgés ». C’est ainsi<br />
qu’une chemise déchirée devient « lynchage<br />
» et qu’une grève des trains devient<br />
« prise d’otages ».<br />
Aussi, pour aider les médias à sortir du<br />
marasme ambiant, les participants aux<br />
manifestations futures pourraient avoir<br />
envie de se montrer plus dynamiques.<br />
À titre purement illustratif, nous leur<br />
offrons cette recette de cocktail. Pour<br />
la réaliser, vous devrez disposer de<br />
quelques bouteilles de soda ou de bière<br />
vides, d’acide chlorhydrique, d’essence<br />
et de quelques sachets de chlorate. Commencez<br />
par mettre dans chaque bouteille<br />
un peu d’acide chlorhydrique. Remplissez-les<br />
ensuite d’essence. Bouchez soigneusement.<br />
Collez sur chaque bouteille<br />
un sachet de chlorate. C’est prêt. Attention,<br />
l’objet est à manipuler avec précaution,<br />
car une fois lancée avec force, la bouteille<br />
se brise, le chlorate entre en contact<br />
avec l’acide et l’essence s’enflamme. Ça<br />
peut être dangereux.<br />
À la réflexion, je ne suis pas sûr que ce<br />
soit une bonne idée. Je ne rappelle plus<br />
non plus si c’est de l’acide chlorhydrique<br />
ou sulfurique, mais j’ai la flemme de<br />
chercher. Ceux que ça intéresse trouveront<br />
sans difficulté la recette sur Google.
14 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
Les contes qu’on nous raconte<br />
tax shift, cherchez l'erreur !<br />
Où l’auteur dénonce la manipulation du langage : les cotisations<br />
sociales font partie intégrante du salaire et non des<br />
impôts ou taxes…<br />
Juillet 2015, Hosannah, Hosannah !, le<br />
gouvernement fédéral a accouché d’un<br />
" tax shift ". Vos quotidiens favoris ont largement<br />
eu le temps de vous en détailler<br />
les grandes lignes et de vous abreuver de<br />
commentaires. Pas la peine d’y revenir<br />
dans Même Pas Peur ? Pas si sûr. Une fois<br />
de plus, la façon dont on raconte l’histoire<br />
compte.<br />
Quand ils noient le poisson…<br />
La " fiscalité " sur le travail serait beaucoup<br />
trop élevée. On nous vend donc un<br />
allégement, un " glissement " (le " shift ")<br />
de la taxation ou des charges sur le (les<br />
revenus du) travail grâce à la taxation<br />
sur d’autres sources de revenu ou de<br />
biens de consommation et compensé<br />
partiellement par des économies. Où est<br />
l’erreur ? Tout le monde l’a dit ou dénoncé<br />
avec plus ou moins de force, même vos<br />
gazettes bien-pensantes : la diminution<br />
de la charge fiscale sur le travail n’a pas<br />
été compensée par l’augmentation de la<br />
charge fiscale sur les revenus du capital<br />
ou du patrimoine des plus riches. De fait.<br />
Mais, peu d’éditorialistes ou de journalistes<br />
relèvent que la formule " diminuer<br />
la charge fiscale sur le travail " est incorrecte<br />
et qu’elle cache une simple diminution<br />
des salaires.<br />
Quand ils phagocytent 1 les<br />
salaires…<br />
Ce qui est indûment rassemblé sous le<br />
terme " fiscalité " par les politiques et les<br />
médias comprend deux réalités très différentes<br />
: l’une, c’est l’impôt (direct, sur<br />
les revenus, ou indirect, sur les biens et<br />
services) ; l’autre, ce sont les " cotisations<br />
sociales ". L’origine et l’objectif de ces deux<br />
prélèvements ne sont pas identiques.<br />
L’impôt direct, c’est, en théorie, la<br />
façon dont chacun acquitte un prix ou<br />
acquiert les biens et les services produits<br />
en dehors du marché : l’enseignement,<br />
les routes, les transports publics, la justice,<br />
l’armée, la police, etc., plus le coût de<br />
fonctionnement des administrations qui<br />
font tourner tout cela. L’impôt se calcule<br />
sur les revenus, particulièrement du travail.<br />
Les impôts indirects sont perçus sur<br />
les biens et services (TVA, accises, taxes<br />
diverses).<br />
Les cotisations sociales, c’est la partie<br />
du salaire des travailleurs qui est mise<br />
en commun, socialisée, collectivisée,<br />
oui carrément, pour payer de manière<br />
solidaire les soins de santé, les pensions,<br />
les allocations de chômage et familiales.<br />
Une partie des cotisations (13,07 %) est<br />
calculée sur le salaire brut du travailleur<br />
(le montant qui figure dans le contrat de<br />
travail et/ou dans les conventions collectives,<br />
disons 100). Cette cotisation est<br />
déduite du salaire brut(100) et est payée<br />
1 Absorber, détruire, faire disparaître en<br />
intégrant à soi, neutraliser<br />
Sylvie Kwaschin<br />
à l’Office National de la Sécurité sociale<br />
(ONSS) au nom du travailleur. L’autre<br />
partie est calculée toujours sur le même<br />
salaire brut du travailleur et est payée de<br />
surcroît par l’employeur. Autrement dit,<br />
si le salaire brut est égal à 100, le salaire<br />
complet est égal à 100 + ± 32 % 2 , soit 132 %.<br />
Le chiffre de 32 % est théorique parce que<br />
depuis 2004 une série de réductions particulières<br />
ont été transformées en réduction<br />
" structurelle ", c’est-à-dire valable<br />
pour tous les travailleurs 3 . Mais là, plus<br />
moyen de trouver une info exprimée en<br />
pour cent… donc c’est la bouteille à encre<br />
et le Premier ministre pour continuer à<br />
parler d’un taux de 33 %... Pratique. Bon,<br />
cela nous éloigne du propos.<br />
Les cotisations sociales sont le résultat<br />
d’une histoire longue qui est essentiellement<br />
une histoire de solidarité entre<br />
travailleurs et d’exigence des travailleurs<br />
vis-à-vis des employeurs afin de<br />
contraindre ceux-ci à ne pas payer uniquement<br />
un salaire qui permet, au mieux,<br />
de survivre au jour le jour, mais à garantir<br />
un salaire qui permette de faire face<br />
aux aléas (maladie, accident, chômage,<br />
fin de vie active…) et à leur répartition<br />
non équitable entre les travailleurs (il y<br />
a plus de risque de maladie pulmonaire<br />
quand on bosse avec de l’amiante ou<br />
d’accident dans la construction ou….). La<br />
part socialisée du salaire, au lieu de revenir<br />
directement au travailleur, qui risque<br />
d’aller la boire au cabaret ou d’acheter<br />
une de ces conneries vantées par la pub,<br />
la part socialisée du salaire donc sert à<br />
payer la sécurité sociale des travailleurs,<br />
des chômeurs, des moutards (allocations<br />
familiales), etc 4 .<br />
Donc, quand on diminue les cotisations<br />
sociales, on diminue les salaires,<br />
on diminue la part du revenu national<br />
ou de la valeur ajoutée qui revient aux<br />
salaires, donc aux travailleurs.<br />
L’arnaque<br />
Parler de " fiscalité " ou " charges patronales<br />
" plutôt que de salaire est un artifice<br />
aussi grossier que la sixième bouteille<br />
gratuite dans un pack de six (essaie toujours<br />
de ne prendre que la sixième pour<br />
voir). Plus facile de faire passer qu’il<br />
faut aider " les entreprises " en diminuant<br />
leurs " charges " que de dire qu’on<br />
va baisser les salaires ou toucher à l’index.<br />
Quoi ??? Ils ont aussi diminué les<br />
salaires via le blocage de la norme salariale<br />
et le saut d’index ???<br />
Bien sûr les cotisations sociales sont une<br />
charge pour l’employeur. Mais c’est le cas<br />
de la totalité des salaires ! Évidemment,<br />
2 Source : site internet ONSS.<br />
3 Assujettis à la sécu. On n’est pas là pour faire<br />
un cours sur l’ONSS, hein !<br />
4 C’est pour cela que les administrations de la<br />
sécurité sociale sont gérées paritairement par les<br />
représentants des travailleurs et des employeurs.<br />
les propriétaires et les gestionnaires des<br />
entreprises préféreraient produire en<br />
payant le moins possible les travailleurs<br />
qui génèrent la valeur ajoutée et la plusvalue.<br />
En théorie, il n’y a pas de limite à<br />
cette demande de diminuer le coût salarial,<br />
sauf la mort des travailleurs ou l’insurrection<br />
généralisée.<br />
Si les politiques de diminution des coûts<br />
salariaux pratiquées par les pays européens<br />
portaient des fruits, cela devrait<br />
se savoir. Aucune étude économique ne<br />
parvient à montrer une relation statistique<br />
claire entre diminution des salaires<br />
et création d’emplois. De plus, lorsque<br />
tout le monde joue la même politique<br />
de moins-disant social, cela ne crée pas<br />
un effet de compétitivité relative : cela<br />
fabrique de la récession et un accroissement<br />
des dettes publiques.<br />
Une arnaque qui n’est pas perdue<br />
pour tout le monde<br />
Si la contribution des employeurs à la<br />
sécurité sociale des travailleurs diminue,<br />
comment l’État va-t-il compenser ce<br />
manque de ressources ? Première solution<br />
: réduire les services rendus par la<br />
sécurité sociale. On va nous raconter que,<br />
par les temps qui courent, notre système<br />
de sécurité sociale est devenu impayable 5 .<br />
Par exemple, les pensions : il faut maintenant<br />
travailler plus longtemps " pour préserver<br />
l’avenir des générations futures ".<br />
Il faut aussi accepter aujourd’hui de toucher<br />
un salaire moindre pour financer<br />
un deuxième pilier de pension sectoriel,<br />
donc à solidarité limitée, voire épargner<br />
individuellement pour un troisième<br />
pilier de pension. Deuxième et troisième<br />
piliers génèrent des masses financières<br />
qui sont placées sur les marchés financiers<br />
(tiens, tiens, à qui profite le crime ?)<br />
et qui ne sont pas pour rien dans les prêts<br />
inconséquents que font les acteurs financiers<br />
à des ménages ou des États qui n’auront<br />
pas les moyens de les rembourser…<br />
Pour les soins de santé, les mutuelles<br />
devront présenter au travailleur malade<br />
un plan de réinsertion professionnelle…<br />
Les allocations d’insertion et de chômage<br />
ont déjà été supprimées ou rabotées pour<br />
certains…<br />
Deuxième solution, financer la sécurité<br />
sociale avec d’autres recettes : augmentation<br />
de la TVA sur l’électricité, les accises<br />
sur le tabac, la chope et le pinard. Autrement<br />
dit, avec des recettes fiscales que<br />
5 Formellement si on diminue les ressources allouées<br />
à la sécu, ce n’est pas faux évidemment.<br />
l’on va chercher dans la poche de chacun<br />
mais qui pèsent bien plus lourd sur les<br />
petits salaires…<br />
Mais réjouissez-vous, le Premier<br />
ministre assure que les bas et les moyens<br />
salaires 6 vont toucher cent euros net par<br />
mois grâce à la réforme fiscale. C’est bien<br />
évident que le plouc de base préfère du<br />
" salaire poche " à un truc compliqué<br />
comme la sécurité sociale, surtout s’il a<br />
des problèmes pour boucler ses fins de<br />
mois. Qui plus est, ce n’est même pas<br />
sûr que certains d’entre vous verront ce<br />
magique billet de cent euros : même la<br />
sage Libre Belgique, par exemple, a des<br />
doutes là-dessus. Les mesures concrètes<br />
devant assurer cette augmentation du<br />
" salaire poche " ne sont pas encore prises.<br />
10 octobre, dernière minute<br />
Cent euros net en plus ? À partir<br />
de 2019 ! En conférence de presse, le<br />
gouvernement annonce 140 € pour<br />
les salaires bruts inférieurs à 1500 €<br />
et 102 € pour les salaires inférieurs<br />
à 2800 €, à partir de 2019. Goûtez<br />
bien toute la subtilité de la chose :<br />
les accises sur le diesel, le pinard, les<br />
softs (OK, ça, c’est pas grave), augmentent<br />
à partir du 1er janvier 2016,<br />
la TVA sur l’électricité a déjà augmenté<br />
mais le travail va être mieux<br />
“récompensé”, dixit Charles Michel,<br />
à partir de 2019 ! Quelques contrôles<br />
et ajustements budgétaires devant<br />
encore passer par là, y’a largement<br />
le temps de se faire rouler dans la<br />
farine. À sec, bien sûr.<br />
" Récompense : avantage accordé<br />
à quelqu’un en considération de<br />
mérites particuliers, d’une bonne<br />
action, d’un service rendu. Antonyme<br />
: châtiment, peine, punition ".<br />
Le travail n’a pas à être " récompensé<br />
". Il doit être rémunéré, point<br />
barre. Question de justice et non de<br />
morale.<br />
Pour agir, les mots sont importants 7 .<br />
Quand on emploie les mots pour travestir<br />
la réalité, cela s’appelle de la manipulation.<br />
Sur le langage et les idées aussi, il<br />
faut reprendre le pouvoir.<br />
6 Entre 2.000 et 2400 euros brut/mois<br />
7 Emprunté au Collectif Les mots sont importants,<br />
www.lmsi.net
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 15<br />
Carte (très) blanche à léon<br />
Nous avons reçu une lettre de Léon qui<br />
tenait à nous faire part de son indignation.<br />
Une des fiertés des mêmepaspeuriens,<br />
c'est de faire entendre des voix<br />
qui n'ont pas toujours l'écho qu'elles<br />
méritent. Nous sommes donc heureux<br />
de relayer la parole des indignés comme<br />
Léon.<br />
" Ave,<br />
Je m'appelle Léon et, bande de petits cons,<br />
je parie que vous n'aurez pas les couilles<br />
(molles ?) d'imprimer ma bafouille !<br />
J'voulais vous dire que y'en a marre de ce<br />
gouvernement qui ne fait rien ! Rien pour<br />
les pensionnés (dont moi), rien pour le remboursement<br />
des lunettes de lectures (qui me<br />
seraient bien utiles pour lire vos articles qui<br />
sont écrits si petits que je devine que vous<br />
en avez honte), rien pour le remboursement<br />
de l'opération de la prostate des chiens (et<br />
de la mienne aussi, tant qu'à faire), rien<br />
pour régler le problème du parc Maximilien<br />
alors que j'habite en face ! Il ne fait<br />
rien non plus rien contre les riches, si peu<br />
contre les pauvres et oublie les autres (dont<br />
moi, encore, qui ne suis pas assez riche et<br />
ne ferai JAMAIS partie de la sous-race des<br />
pauvres !)<br />
En parlant de race, tiens, faut que j'vous<br />
dise une bonne nouvelle : j'vais enfin pouvoir<br />
sortir mon chien, de race, pour qu’il<br />
aille pisser dans le parc, nom de dieu ! Le<br />
parc Maximilien ! Y se sont enfin cassés, les<br />
gnoufs. Pas trop tôt, merde ! Ça fait deux<br />
mois qu’il pisse et chie partout dans l’appart,<br />
le pauvre, pendant qu'les bronzés, eux,<br />
pissent et chient partout dans mon beau<br />
parc, les chiens ! Il n'ose plus sortir ! Y'a pas<br />
de justice... Il a beau être pitbull, il est pas<br />
cinglé lui ! Hein, Rex ! REX, au pied ! C'est<br />
bien, mon chien ! (Oui, j'parlais à Rex, et<br />
alors ?)<br />
Parait aussi qu'on annonce de la neige ?<br />
Faudrait juste une belle bordée... de grêle,<br />
nom de dieu ! Comme au bon vieux temps,<br />
hein Rex ! Là, mon bonheur serait complet,<br />
foie de Léon ! (ou fois, je n'sais plus ma foi).<br />
Bon, c'est pas tout ça mais je dois vous<br />
laissez, c'est l'heure de ma ronde. Faudrait<br />
pas que des terroristes réfugiés viennent<br />
pisser dans nos boîtes aux lettres, merde !<br />
Léon "
16 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
médias<br />
INTERVIEW « <strong>MÊME</strong> <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong> » recueillie par Manuel Abramowicz : claude moniquet<br />
journalisme et services secrets, compatible ?<br />
Même Pas Peur poursuit son tour<br />
d’horizon des coulisses de la " grande<br />
presse ", à travers des entretiens avec<br />
des acteurs-clés du monde médiatique.<br />
Après Marc Lits, professeur en<br />
journalisme à l’UCL, Olivier Basile,<br />
directeur belge de Reporters sans frontières,<br />
et Georges Timmerman, l’un<br />
des pionniers du journalisme d’investigation<br />
en Flandre, nous avons<br />
rencontré Claude Moniquet. Ex-journaliste<br />
international, celui-ci était<br />
aussi un agent secret. Possédant la<br />
double nationalité belge et française,<br />
il a travaillé pour la DGSE. Quelque<br />
part à Bruxelles, dans son propre fief,<br />
nous lui avons fait subir un interrogatoire<br />
sans concession. Avec un gros<br />
cigare cubain au bout des lèvres.<br />
Claude Moniquet, avant de devenir<br />
journaliste, vous aviez déjà<br />
un passé très engagé à l’extrême<br />
gauche. Pourriez-vous revenir<br />
sur celui-ci ?<br />
De 15 à 21 ans, j’ai été un militant<br />
communiste pur et dur, tendance<br />
marxiste-léniniste. Je rejoins d’abord<br />
les jeunesses d’AMADA-TPO 1 qui<br />
donnera naissance en 1979 au Parti du<br />
Travail de Belgique (PTB), aujourd’hui<br />
représenté à tous les niveaux de pouvoir.<br />
À l’époque, il s’agissait d’un mouvement<br />
qui se revendiquait comme<br />
l’avant-garde de la " révolution prolétarienne<br />
" à venir. Encore plus radical, je<br />
suis ensuite passé dans la " mouvance<br />
autonome ", dans les rangs de cette<br />
ultra-gauche qui refuse tout compromis<br />
avec le système capitaliste et prône<br />
sa destruction totale, entre autres par<br />
les bombes. Dans cette mouvance,<br />
des réseaux clandestins se mettaient<br />
en place pour soutenir les organisations<br />
de " guérilla urbaine ": de la Rote<br />
Armee Fraktion (RAF) en Allemagne<br />
à l’Irish Republican Army (IRA) en<br />
Irlande du Nord. Officiellement, on<br />
y anime des comités de défense des<br />
" prisonniers politiques ". La Belgique<br />
est en réalité une base arrière, un sanctuaire,<br />
également pour les groupes<br />
terroristes d’extrême gauche. Dans ce<br />
milieu politique underground, je vais<br />
croiser le noyau militant bruxellois qui<br />
fondera un peu plus tard, les Cellules<br />
communistes combattantes (CCC).<br />
Puis un jour, après une vive discussion<br />
avec l’un des leaders de cette<br />
mouvance, c’est le clash. Je me rends<br />
compte de sa dangerosité et la quitte<br />
du jour au lendemain. À tout jamais. Je<br />
pars travailler dans un kibboutz pour<br />
me reconstruire, reprendre racine,<br />
retrouver une identité familiale du<br />
côté de mon père qui m’est méconnue<br />
jusqu’à lors et repartir à zéro.<br />
Vous êtes ensuite devenu<br />
journaliste ?<br />
Nous sommes au début des années<br />
80. De retour au pays, sans diplôme de<br />
journalisme, j’ai le désir de rejoindre le<br />
monde de la presse. Je deviens journaliste<br />
indépendant. Mes premières piges<br />
sont publiées dans Combat socialiste, le<br />
journal créé par le PS français pour la<br />
campagne présidentielle de François<br />
Mitterrand. Après son élection, le 10<br />
mai 1981, le journal en question n’a<br />
plus de raison d’exister et disparaît. Je<br />
propose mes services au Quotidien de<br />
Paris, passant de la presse de gauche<br />
à celle de droite. Pour ce quotidien, je<br />
vais couvrir de 1981 à 1984, à Bruxelles,<br />
la capitale de l’Europe politique, l’actualité<br />
de ses institutions. Dans les<br />
faits, pour moi, rien de véritablement<br />
excitant. Mais je dois gagner ma vie.<br />
Mes centres d’intérêt dans le domaine<br />
journalistique restent les dossiers<br />
chauds, le terrorisme, les coulisses de<br />
la guerre froide... Je marque un intérêt<br />
particulier pour l’Europe de l’Est.<br />
Je décroche un job de correspondant<br />
pour La Tribune de l’économie à Vienne.<br />
La capitale autrichienne est une porte<br />
d’entrée vers les pays du bloc soviétique.<br />
En 1985, je pars à Varsovie, dans<br />
le souhait de m’y installer quelque<br />
1 Tout le Pouvoir aux ouvriers, un groupuscule<br />
maoïste alors très actif chez les mineurs du<br />
Limbourg.<br />
temps. La situation est des plus intéressantes<br />
sur le plan de l’actualité : le régime<br />
autoritaire du général Jaruzelski réprime<br />
plus que jamais les syndicalistes de Solidarnosc<br />
et les autres dissidents. Au bout<br />
de quelques jours, prenant connaissance<br />
d’articles que j’avais écrits auparavant<br />
sur les conflits sociaux polonais, je suis<br />
arrêté et expulsé du pays. Je me réinstalle<br />
à Vienne. Je continue de travailler<br />
pour plusieurs médias belges, français et<br />
anglais.<br />
C’est durant cette période que vous<br />
avez été recruté par la Direction<br />
Générale de la Sécurité Extérieure<br />
(DGSE) ?<br />
Par sa position géographique et son<br />
rôle sur la scène politique internationale,<br />
Vienne reste une plaque tournante des<br />
services de renseignements. Dans plusieurs<br />
ambassades, " certains " avaient<br />
un œil sur les correspondants de presse<br />
qui s’y trouvaient. Dans ce cadre, je suis<br />
contacté, en 1985, par une personne de<br />
l’ambassade de France qui m’invite au<br />
restaurant, pour discuter. Il me fait très vite<br />
comprendre qu’il n’est pas diplomate. Il<br />
appartient au service de renseignements,<br />
sans plus de précision. Une proposition<br />
de collaboration m’est clairement faite. Je<br />
vais la refuser. Dans un premier temps.<br />
Trois mois plus tard, pour une enquête<br />
journalistique, je me rends à Budapest.<br />
C’est alors que je suis à nouveau invité<br />
à dîner, par un étrange contact qui reste<br />
tout d’abord très énigmatique sur sa<br />
démarche. Au cours du repas, il m’annonce<br />
tout de go qu’il est membre de la<br />
Służba Bezpieczeństwa (SB), le service de<br />
sécurité polonais. Son objectif est clair et<br />
précis : il a la mission de me recruter. Il<br />
me propose alors un deal : j’espionne pour<br />
le compte de la SB, tout en restant journaliste,<br />
et retourne en Europe de l’Ouest.<br />
À la clé : un véritable contrat de travail<br />
et une bonne rétribution financière. Si je<br />
refuse l’offre, mes contacts clandestins<br />
en Pologne, des responsables de l’opposition,<br />
seront arrêtés, emprisonnés... Pour<br />
me prouver le sérieux des conséquences<br />
de ce chantage, il me montre des rapports<br />
de filatures effectuées lors de mes précédents<br />
voyages en Pologne et une partie<br />
de la liste de mes contacts locaux. Je<br />
suis coincé. J’arrive alors à trouver une<br />
pirouette pour gagner un peu de temps,<br />
afin de réfléchir à cette proposition déstabilisante.<br />
Cela me permet de revenir à<br />
Vienne. Pour me sortir de cette terrible<br />
impasse aux conséquences dramatiques,<br />
je reprends contact avec ce Français<br />
bien renseigné que j’avais vu à Vienne<br />
quelques temps avant. Je lui raconte tout.<br />
Il me demande ensuite d’aller à Paris<br />
pour rencontrer des gens qui pourront m’aider.<br />
Sur place, ceux-ci m’annoncent qu’ils<br />
sont de la DGSE. Mon histoire les intéresse<br />
fortement. Derrière le rideau de fer,<br />
la DGSE n’a aucune taupe dans les services<br />
secrets. Comme les autres des pays<br />
du Pacte de Varsovie, la SB polonaise est<br />
totalement dépendante du KGB soviétique.<br />
Je représente dès lors une occasion<br />
en or pour les infiltrer. Ce qui me permettra<br />
du même coup de protéger mes<br />
amis polonais. C’est comme cela que je<br />
suis devenu un agent secret. Ma mission<br />
sera d’abord d’identifier les méthodes des<br />
services de renseignements polonais et<br />
surtout de leurs " manques ", c’est-à-dire<br />
de leurs faiblesses, des lieux qu’ils n’ont<br />
pas encore pénétrés à l’Ouest et qui dès<br />
lors restent encore sécurisés pour nous.<br />
Ces manques vont se révéler dans la<br />
" liste des courses " qu’ils me demanderont<br />
de faire pour leur compte. Je fournis<br />
des notes d’information, mais systématiquement<br />
erronées pour éviter des dégâts<br />
dans les mouvements clandestins luttant<br />
en Pologne ou exilés à l’Ouest.<br />
En 1986, à Varsovie, mon officier traitant<br />
de la SB, avec qui j’avais établi une relation<br />
fraternelle, me fait comprendre que<br />
ses supérieurs ont de sérieux doutes sur<br />
les dossiers que j’ai transmis. Le soupçon<br />
que je sois un agent double plane sur<br />
ma tête. Ayant sans doute compris la fin<br />
proche du régime soviétique, l’officier<br />
SB me conseille de quitter au plus vite la<br />
Pologne pour éviter d’être pris dans les<br />
mailles du filet. De retour à Vienne, j’informe<br />
la DGSE. Comprenant que je suis<br />
grillé, je reçois l’ordre de cesser immédiatement<br />
mes infiltrations à l’Est. On<br />
me propose alors de nouvelles missions,<br />
toujours sous ma couverture de journaliste<br />
qui reste mon métier principal. Je<br />
vais alors me rendre au Proche-Orient,<br />
dans les Balkans, en Afrique du Nord...<br />
Avec l’effondrement du mur de Berlin<br />
en 1989, puis de la disparition de l’URSS<br />
en 1991, l’espionnage anticommuniste<br />
n’est plus une priorité de nos services.<br />
D’autres cibles sont désignées : les premiers<br />
réseaux djihadistes qui se développent<br />
en ex-Yougoslavie, la mafia russe,<br />
les extrémistes serbes et leurs liens avec<br />
le successeur du KGB dans la " nouvelle<br />
Russie ".<br />
Journaliste et agent secret, vous<br />
aviez une double activité professionnelle.<br />
Comme les concilier ?<br />
Cela demande en effet une capacité<br />
d’organisation minutieuse. La journée,<br />
je recueillais des renseignements pour<br />
mes articles, ainsi que pour mes notes<br />
d’information pour " le service " et je rédigeais<br />
la nuit. Les méthodes d’investigation<br />
journalistiques et celle d’un espion<br />
sont assez semblables. Mais, sous une<br />
double casquette, un tel travail demande<br />
18 à 20 heures par jour. Au bout de vingt<br />
ans de loyaux services pour la DGSE, ne<br />
me voyant pas vieillir sur le terrain de<br />
l’espionnage et ne voulant pas être incorporé<br />
à l’administration parisienne où<br />
l’intégration d’un ancien clandestin est<br />
difficile, j’ai décidé de décrocher et de<br />
ne poursuivre que ma carrière de journaliste,<br />
puis d’experts en terrorisme et<br />
en sécurité en cofondant l’ESISC, un<br />
centre de conseils dans ces domaines.<br />
Comme si de rien n’était.<br />
Cependant, votre appartenance à<br />
la DGSE a été ensuite révélée par<br />
un ancien du " service " !<br />
Effectivement, en 2010, un de ses<br />
anciens hauts gradés, parti à la retraite,<br />
publie ses mémoires, sous le pseudonyme<br />
de Pierre Siramy, avec l’aide d’un<br />
journaliste de " Charlie Hebdo ". Truffé<br />
d’erreurs, ce bouquin transpire la rancœur,<br />
j’y suis désigné clairement. Mon<br />
ex-collègue évoque sur plusieurs pages<br />
un " Claude M., installé à Bruxelles ",<br />
avec d’autres détails qui m’identifient<br />
sans aucun doute. Je suis alors obligé<br />
de reconnaître mon appartenance à la<br />
DGSE.<br />
Pour faire les choses proprement, je<br />
m’adresse à des amis journalistes pour<br />
révéler officiellement mon rôle dans le<br />
monde de l’espionnage et protéger mes<br />
sources parfois toujours actives sur le<br />
terrain. Plusieurs articles sont publiés<br />
sur mon double parcours. Ce qui était<br />
mon objectif.<br />
Sur le plan déontologique, peuton<br />
être à la fois journaliste et<br />
agent secret ?<br />
J’ai accepté de rejoindre la DGSE<br />
pour plusieurs raisons : par patriotisme,<br />
pour défendre mon pays et par<br />
goût de l’aventure. J’ai aussi été un<br />
journaliste de manière passionnée et<br />
pour les mêmes raisons. Bien entendu,<br />
après les révélations sur mes activités<br />
de l’ombre, les critiques ont fusé dans<br />
tous les sens et j’ai été soupçonné des<br />
pires coups tordus. Il ne faut pas me<br />
faire de leçons de déontologie. Me faire<br />
passer pour un mouton noir. L’hypocrisie,<br />
cela suffit.<br />
Le monde du journalisme est un<br />
milieu clos où règne aussi de la corruption.<br />
Nous connaissons tous des<br />
journalistes spécialistes dans d’autres<br />
domaines – politique, automobile, sportif,<br />
culturel ou touristique - qui profitent<br />
bien, sans scrupules, des avantages en<br />
nature ou autres qui leur sont offerts :<br />
voitures prêtées, voyages luxueux,<br />
logement de fonction, enveloppes, etc.<br />
Ils sont protégés par une omerta qui<br />
couvre les coulisses des médias.<br />
D’autres journalistes sont-ils,<br />
encore de nos jours, des agents<br />
de services de renseignements<br />
ou liés à eux ?<br />
[Après un silence, assorti d’un sourire<br />
narquois au coin de la bouche,<br />
Claude Moniquet répond] Je n’en sais<br />
rien. Certes, il existe quelques journalistes<br />
qui font des " ménages ", en<br />
sous-main, pour des intérêts particuliers<br />
au profit de services secrets<br />
de pays étrangers, d’hommes d’affaires<br />
ou de milieux criminels.<br />
[Hors micro, l’ex-journaliste-espion évoquera<br />
le cas d’un reporter ayant été lié à<br />
une organisation mafieuse et un autre, au<br />
FBI américain. Mais cela est une autre<br />
histoire qui s’écrira sans doute un jour.<br />
Rallumant une énième fois son gros cigare<br />
cubain, Claude Moniquet met alors fin à<br />
notre entretien].<br />
Dans cette interview, nous n'avons<br />
pas abordé la polémique suscitée par<br />
la plainte que Claude Moniquet a<br />
déposé pour diffamation contre Aboubakr<br />
Jamaï, directeur du " Journal hebdomadaire<br />
", un périodique marocain<br />
indépendant. Celui-ci avait publié un<br />
article sur une étude de l'ESISC consacrée<br />
au Front Polisario, le mouvement<br />
de libération nationale du Sahara<br />
occidental, occupé par le Royaume du<br />
Maroc. En 2006, Jamaï sera condamné<br />
par la justice marocaine à payer à<br />
Claude Moniquet la somme record de<br />
trois millions de dirham. Depuis, le<br />
" Journal hebdomadaire " a dû fermer ses<br />
portes.
Même pas peur de lire<br />
jacques, notre guide !<br />
Etienne<br />
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 17<br />
Au bonheur des morts Veuve Cliquot<br />
Jeune homme d'une cinquantaine<br />
énergique, Jacques Sondron collabore<br />
à différents journaux satiriques dont<br />
Waw, Zélium, Satire Hebdo et Même<br />
Pas Peur.<br />
Je le vois encore, notre Jacques, LE<br />
Sondron, à la dernière réunion de<br />
rédaction de <strong>MÊME</strong> <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong>, masqué<br />
par sa barbichette, prendre une<br />
longue respiration et me dire " Etienne,<br />
je suis ton père "!<br />
Mais non, je déconne. Ce qui est vrai<br />
par contre (attaque !), c'est que Jacques<br />
aime partager ses conseils, souvent<br />
pertinents, avec bonhomie.<br />
En feuilletant son cinquième opus,<br />
" LE RIRE CONTRE-ATTAQUE ", on<br />
retrouve à travers ses meilleurs dessins<br />
parus en 2015 mais aussi de nombreux<br />
inédits, sa justesse d'analyse et son bon<br />
sens assassin qui, me semble-t-il, sont<br />
servis par une plume plus affûtée que<br />
jamais et un trait sacrément fluide et<br />
efficace.<br />
Les caricaturistes, plus encore depuis<br />
le 7 janvier 2015, sont en danger d'autocensure<br />
en plus de l'officielle dictée par<br />
les médias pour lesquels ils travaillent,<br />
par les organes du pouvoir de plus en<br />
plus pressant et par le pouvoir indiscutable<br />
du fric. Sondron résiste, avec<br />
d'autres, et ça, c'est une très bonne<br />
raison de le soutenir en achetant son<br />
recueil. Rire de ce qui fait mal exorcise,<br />
c'est une très bonne raison aussi !<br />
Fendez-vous donc de 16 € pour vous<br />
fendre autre chose...<br />
LE RIRE CONTRE-ATTAQUE, Éd. Luc<br />
Pire. 64p couleurs, 16,00 €, septembre 2015.<br />
Au bonheur des morts. Récits de<br />
ceux qui restent, éd. La Découverte/Les empêcheurs<br />
de penser en rond, 2015<br />
Vinciane Despret 1 se pose des questions<br />
bizarres. Dans son livre précédent 2 , elle<br />
se demandait si on a le droit d’uriner<br />
devant un babouin, si les singes savent<br />
singer, si les moutons sont des moutons,<br />
ou encore à quoi s’intéresse un rat dans<br />
une expérience. C’est son travail à Vinciane<br />
Despret : chercher les bonnes questions<br />
à poser à ceux qui ne parlent pas.<br />
Un travail qui met en pleine lumière les<br />
travers avec lesquels nous les abordons<br />
d’ordinaire.<br />
Voici qu’elle cherche à présent les questions<br />
à poser aux morts, à ceux qui ne<br />
parlent plus parce qu’ils sont passé de<br />
l’autre côté de la frontière de l’existence.<br />
Ces défunts dont, à en croire les autorités<br />
psychologiques, il serait impératif de<br />
" faire son deuil ", c’est-à-dire, en langage<br />
commun, de se débarrasser au plus vite.<br />
Elle ne se soucie pas trop des spécialistes,<br />
Vinciane Despret. C’est une forte<br />
tête. Elle préfère s’instruire à l’écoute des<br />
récits de personnes confrontées au décès<br />
d’un proche. L’histoire de cette dame qui<br />
porte les chaussures de sa grand-mère<br />
afin qu’elle continue à arpenter le monde,<br />
de ce veuf qui à chaque anniversaire<br />
de son épouse décédée prépare le plat<br />
qu’elle préférait. L’histoire de cette dame<br />
qui avait promis à son amie malade de<br />
déposer dans son cercueil les lettres de<br />
son fils défunt et qui, dans le désarroi de<br />
son chagrin, a oublié sa promesse. Elle<br />
1 Vinciane Despret est philosophe, psychologue<br />
et chercheuse à l’université de Liège. Elle enseigne<br />
à l’Université Libre de Bruxelles.<br />
2 Que diraient les animaux, si… on leur posait les<br />
bonnes questions, éd. La Découverte/Les empêcheurs<br />
de penser en rond, 2012<br />
en est restée désemparée jusqu’au jour<br />
où le facteur du village décéda à son<br />
tour. Avec l’accord de la famille, elle a<br />
pu déposer le paquet de lettres dans<br />
le cercueil de celui-ci. Confiante dans<br />
le sérieux du facteur, elle sait que ces<br />
lettres arriveront à leur destinataire<br />
dans l’au-delà.<br />
Au fil des récits et des réflexions, on<br />
s’aperçoit que les personnes en deuil ne<br />
cherchent pas forcément à se détacher<br />
de leurs morts, mais plutôt à les intégrer<br />
à leur quotidien, à interagir avec<br />
eux avec inventivité, à les laisser inspirer<br />
leurs actions, à recevoir leurs messages,<br />
leurs conseils, leur aide, leurs<br />
consolations, souvent avec humour et<br />
tendresse. On s’aperçoit que les morts<br />
re-suscitent, ils engagent à re-fabriquer<br />
le passé au présent.<br />
Allant allègrement à l’encontre des<br />
idées reçues qui consisteraient à<br />
octroyer aux seuls vivants tout le crédit<br />
de l’inventivité, Vinciane Despret se<br />
refuse à toute interprétation réductrice<br />
de ces témoignages. Elle les accueille<br />
sans les reléguer au rayon de l’irrationnel,<br />
de l’affabulation ou de la " croyance<br />
populaire ". Chemin faisant, la distinction<br />
entre les faits réels et l’imagination<br />
perd sa pertinence, on dépasse<br />
le dilemme entre la connaissance et<br />
la croyance, la ligne de partage entre<br />
morts et vivants devient plus floue, les<br />
certitudes vacillent.<br />
Le résultat est étonnant. On assiste<br />
à une belle leçon d’anthropologie et<br />
d’humanité bienveillante. Un bonheur<br />
d’intelligence sensible.<br />
Discours du nouveau camarade candidat<br />
en vue de la prochaine pantalonnade électorale Eugène Étick<br />
Mesdames, messieurs, camarades,<br />
mesdemoiselles, moi !<br />
Si je me présente, c'est que j'ai un programme<br />
et je m’y tiendrai, comme<br />
tous les candidats évidemment… Un<br />
programme, c'est un gag de qualité,<br />
camarade !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique,<br />
je ferais un gouvernement qui serait<br />
paritaire, autant de femmes que de<br />
socialistes !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique, je<br />
ferais des écoutes téléphoniques pour<br />
donner du travail aux téléphonistes !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique, en<br />
bas de chaque mail, je mettrais un PS afin<br />
de donner du travail aux camarades !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique,<br />
j’instaurerais la semaine de 8 heures<br />
pour donner du travail aux camarades !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique,<br />
j’obligerais tout le monde à bouffer du<br />
curé à l’orange. Je remettrais les bleus<br />
où ils sont bons, dans les fromages desquels<br />
ils n’auraient jamais dû s’échapper.<br />
Je paierais des verres pour les boire. Je<br />
renverrais Bart De Wever dans le trou<br />
du cul du monde, d’où il vient, à Wever !<br />
Et j’érigerais une statue de « Papa » dans<br />
tous les villages !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique,<br />
je ferais en sorte qu’il n’y ait plus de<br />
cumuls, qu’on ne puisse plus être président,<br />
bourgmestre, magnétique et<br />
beau beau beau… à la fois !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique,<br />
je ferais en sorte que Charles Michel<br />
se taise, ce qui ne changera rien à ce<br />
qu’il dit, je sais, mais ça nous fera des<br />
vacances !<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique,<br />
je rendrais le port du nœud papillon<br />
obligatoire, un nœud papillon rotatif,<br />
ça produirait de l’électricité et nous<br />
ferait de l’air en cas de canicule ! (faudra<br />
juste faire attention aux bêtes blagues :<br />
Tiens, t’as une tache là ! Ha bon, où ça ?<br />
Trrrrrrrrrr)<br />
Moi, Premier ministre de la Belgique, je<br />
rétablirais la lutte des clashs.<br />
Et donc, Moi, Premier ministre de la Belgique,<br />
là-dessus, j’arrête et je me repose.<br />
Le bébé " mord nez " attend<br />
ses incisives avec impatience.<br />
Éric Dejaeger
18 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
objectifs<br />
concertation,<br />
piège à cons ?<br />
Sokolov<br />
Ouf ! Soupir de soulagement pour les<br />
responsables syndicaux ce 7 octobre<br />
vers 12h. Les délégués, les militants, les<br />
affiliés se sont, une fois encore, bougés<br />
en masse. Médias, politiques, hommes et<br />
femmes d’influence étaient sceptiques,<br />
les attendaient au tournant. Eux-mêmes<br />
étaient emplis de doute. Et quand le<br />
doute t’habite, le drapeau se met en<br />
berne. Étaient-ils encore capables de<br />
mobiliser ? Ben oui. Entre 80 et 100.000,<br />
c’est bon ça ! Cela revigore un homme,<br />
revivifie une femme, requinque les<br />
drapeaux.<br />
Pourquoi cette inquiétude dont l’ampleur<br />
sourdait au travers de nombreuses<br />
expressions de soulagement ? Les militants<br />
seraient-ils convaincus par les discours<br />
patronaux ou d’Olivier Chastel :<br />
" gouvernement des patrons " et " cadeaux<br />
aux entreprises " seraient " les expressions<br />
les plus stupides jamais inventées dans<br />
l’histoire de l’humanité " (Vincent Reuter,<br />
UWE, RTBF, 8-10-2015), " l’action du gouvernement<br />
(serait) motivée par la défense<br />
de ceux qui travaillent et ceux qui créent<br />
du travail " (Olivier Chastel, RTBF et site<br />
MR) ? Auraient-ils dès lors préféré rester<br />
au chaud dans leur entreprise, faire<br />
confiance à l’intelligence du patronat qui<br />
aurait pour lui toute l’histoire de l’humanité<br />
ainsi qu’aux bonnes intentions du<br />
gouvernement, plutôt que d’aller battre<br />
le macadam qui ne leur a rien fait ?<br />
C’est sans doute une banderole aperçue<br />
à plusieurs reprises dans le cortège<br />
et déployée en fin de parcours sous<br />
l’écran géant où apparaissaient les dirigeants<br />
syndicaux qui donne la réponse.<br />
" Concertation piège à cons ".<br />
Depuis le mouvement fort allant en<br />
crescendo de la manifestation du 6<br />
novembre 2014 à la grève nationale du<br />
15 décembre 2014, la mobilisation a fait<br />
place à la concertation entre employeurs<br />
et organisations syndicales sans que la<br />
ligne du gouvernement ne s’en trouve<br />
particulièrement infléchie, tant s’en faut,<br />
le gouvernement n’ayant même pas entériné<br />
à cent pour cent certains accords<br />
entre patrons et syndicats, le tax shift ne<br />
convainquant pas les syndicats et mouvements<br />
de gauche. L’inquiétude de permanents,<br />
de délégués ne s’explique pas<br />
autrement : mobiliser avec des discours<br />
forts pour ensuite laisser l’impression<br />
qu’on ne construit pas de stratégie forte<br />
sur cette mobilisation, pire, selon certains,<br />
que l’on range les militants dans<br />
les boîtes jusqu’à la prochaine, aurait eu<br />
de quoi décourager.<br />
Si cette manifestation réussie est un<br />
message à l’adresse du gouvernement<br />
et du patronat, elle contient aussi clairement<br />
un message aux dirigeants syndicaux<br />
: que vont-ils faire de cette réussite ?<br />
Le slogan de la manif " rien que des miettes<br />
pour nous " ne donne guère d’indication<br />
sur les objectifs et la stratégie poursuivis.<br />
S’ils veulent éviter la débandade, ils<br />
ont intérêt à dégager un peu l’horizon<br />
et à ouvrir l’espace pour que les alternatives,<br />
portées haut et ferme, soient<br />
visibles de loin.<br />
le dico des mots qui fâchent<br />
M.AZ<br />
Sur les plateaux télés, durant des discussions entre potes ou lors de dîners mondains,<br />
un nom prononcé peut parfois susciter directement une éruption d’urticaire<br />
intello-émotivo-polémico-aiguë, tous azimuts et sans contrôle possible des<br />
pulsions émises par les protagonistes. Pour l’heure, il n’existe aucun antidote à ce<br />
virus de la pensée conflictuelle. Et, pour finir, c’est sans doute tant mieux. Un de<br />
ces noms suscitant des débats sans fin est celui de... Michel Onfray. L’homme en<br />
question est à la source de récentes fâcheries qui ravagent le champ de bataille sur<br />
lequel se déploient, sans discontinuité, les intellos de service et autres vedettes du<br />
show-biz.<br />
Michel Onfray<br />
[Philosophe français contemporain. Né<br />
le premier jour de l’an 1959 en Basse-<br />
Normandie. Lieu actuel d’existence : le<br />
pilori médiatique. Mots associés (liste<br />
non exhaustive) : détestation, rebelle, nonconformiste,<br />
université populaire, hédoniste,<br />
athéiste, anarchiste proudhonien,<br />
gauche libertaire. Noms accolés : Épicure,<br />
Nietzsche, Sade et Camus (rien de moins).<br />
Identités et postures opposées : intelligentsia,<br />
establishment, institutionnalisation,<br />
pensée unique, communautarisme. Ennemis<br />
principaux : Bernard Henri-Levy et ses<br />
hommes de main agissant dans le PAF, du<br />
cinéaste-écrivain-animateur Yann Moix à<br />
Laurent Joffrin, big-boss (uniquement sur<br />
le terrain) du quotidien Libération.]<br />
En septembre dernier, sur la scène<br />
médiatique, " la déchirure française "<br />
s’est fissurée encore plus entre les penseurs<br />
labellisés des " Lumières " et ceux<br />
tamponnés comme " anti-Lumières ",<br />
dixit Le Magazine littéraire. À l’origine<br />
de ce nouveau fracassement thermoneurologique<br />
- clivant de l’intérieur<br />
la caste des savants qui dominent de<br />
leur tour d’ivoire le peuple spectateur<br />
– se trouve un homme : le dénommé<br />
Michel Onfray. Ce post-nouveau philosophe,<br />
âgé de 56 ans, est apparu, sur<br />
la même scène, au milieu des années<br />
nonante, régulièrement d’abord, massivement<br />
maintenant. Il est adoré par<br />
une minorité silencieuse. Détesté par<br />
une majorité bruyante. Son dernier<br />
délit : le développement de ses pensées<br />
réflexives neuves (pas toutes, pour<br />
autant) sur l’Europe, la sortie de l’euro,<br />
la crise migratoire et asilaire... notamment<br />
exprimées au cours d’une interview<br />
donnée au quotidien Le Figaro<br />
(connaissant ce personnage iconoclaste,<br />
il aurait tenu les mêmes propos<br />
dans le journal L’Humanité).<br />
Pour seule véritable réponse, puisque<br />
la meilleure défense reste l’attaque<br />
dans un univers où l’hypocrisie est<br />
reine, Onfray a été zemmourisé, finkielkrauïsé<br />
et même moranoïsé dans<br />
une " réac-académy " imaginée par<br />
Laurent Joffrin. Malgré son analyse<br />
claire et juste pour expliquer la montée<br />
de l’extrême droite (séquelle de la<br />
crise économique et des réponses politiques<br />
qui lui sont apportées), il a néanmoins<br />
été accusé de " faire le jeu du FN "<br />
(Libé, 15 septembre). Pour bâillonner la<br />
parole d’un antagoniste, rien de mieux<br />
que de le fasciser. Avec des variantes<br />
à la clé : l’antisémitiser, l’islamophobi-ïser,<br />
le modernophobi-ïser, etc.<br />
Dans ce domaine, les gardiens du<br />
" Temple de la bonne pensée officielle<br />
" sont des experts, pour obtenir<br />
toujours le même résultat : la diabolisation<br />
de celui qui pense différemment<br />
ou de celui qui a osé remettre en<br />
cause la place de l’église au milieu du<br />
village. Marcela Iacub, chroniqueuse<br />
du samedi à Libération, a même diagnostiqué<br />
les symptômes d’une " folie<br />
Dieudonné " (sic) chez Onfray. C’est<br />
pourquoi, l’écrivaine, tel un procureur<br />
soviétique de jadis prononçant<br />
un réquisitoire contre un dissident<br />
doutant de la véracité du paradis terrestre<br />
offert par Joseph S, appellera " le<br />
système médiatique qui encense Onfray à<br />
l’enfermer chez un psychanalyste " (resic).<br />
Sans préciser, si ce dernier devrait<br />
être lacanien ou freudien. Rien d’étonnant.<br />
En 2010, le philosophe, qui aime<br />
remonter à contre-courant le fleuve<br />
de l’académisation correcte, avait déjà<br />
fait l’objet de basses attaques, après la<br />
sortie de son ouvrage " Le Crépuscule<br />
d’une idole. L’Affabulation freudienne "<br />
(chez Grasset). Michel Onfray était<br />
alors devenu un gibier de potence pour<br />
le tout Paris mondain ayant fait de la<br />
psychologie une religion d’État.<br />
Nous l’aurons compris, en cette saison<br />
automnale de chasse à courre,<br />
l’homme est à abattre. Et les chasseurs<br />
sont nombreux. Michel Onfray collectionne<br />
contre lui d’incalculables adversaires,<br />
ennemis et mauvaises langues<br />
(de la droite bourgeoise catholique à<br />
l’extrême gauche sectaire). Contraire<br />
caricatural du BHL national (" LE "<br />
philosophe officiel sous les ères mitterrandienne<br />
et sarkozyste), l’Onfray<br />
apatride – certes, de plus en plus<br />
souverainiste - est accusé de tous les<br />
pires crimes de lèse-monarchisme, au<br />
goût de cassoulet s’entend. En France,<br />
pourtant patrie de naissance du triptyque<br />
républicain " liberté-égalité-fraternité<br />
", les voies impénétrables de ses<br />
dieux disparus - Napoléon, de Gaulle,<br />
Malraux, Mitterrand - ou vivants<br />
- Attali, BHL, Minc, Hallyday, Sardou...<br />
- restent légions. Ceux qui cheminent<br />
sur ces voies sans un laissezpasser,<br />
lorsqu’une brèche s’entre ouvre,<br />
pour y porter la controverse risquent<br />
très gros. La seule pensée autorisée<br />
en République française y est officiellement<br />
binaire (et pas plus) pour que<br />
le manichéisme ambiant reste de mise.<br />
De ce monde-là, les alternatives sont<br />
au final honnies. Les dissidents sont<br />
mis au pilori médiatique permettant<br />
des séances publiques de lynchage (ce<br />
fut le cas par exemple d’Alain Badiou,<br />
philosophe sans appartenance précise<br />
à une école de pensée majoritaire).<br />
Rares sont donc les voix qui se sont<br />
fait entendre pour défendre Michel<br />
Onfray. Après Laurent Ruquier, seul<br />
l’hebdo Marianne lui a offert une tribune<br />
publique, à Paris dans la salle<br />
de La Mutualité, pour qu’il puisse<br />
répondre à ses détracteurs. Le sociologue<br />
Philippe Corcuff, dans un texte<br />
publié dans L’Obs (le 1 er octobre dernier),<br />
intitulé " Ne le diabolisons pas ",<br />
a proclamé pour sa part qu’il " ne souhaitait<br />
pas participer à un hallali médiatique<br />
contre une personne sur des bases<br />
trop ténues. ". Dès lors, Corcuff plaidera<br />
pour " une discussion approfondie<br />
avec [Michel Onfray] pour savoir s’il est<br />
devenu ou pas un adversaire politique de<br />
[sa] gauche libertaire ". Telle est la nature<br />
d’un véritable débat rationnel que<br />
refusent pourtant, toujours à la minute<br />
actuelle, les commissaires politiques<br />
de l’anti-onfrayïsme primaire.
NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015 / Même pas peur N o 4 / 19<br />
Ici, normalement, vous<br />
auriez pu trouver un article<br />
de Florian Houdart. Il en<br />
a décidé autrement. Nous<br />
avons hâte de le retrouver !<br />
" Le 9 septembre 2008, l'écrivain-activiste Théophile de Giraud peint de rouge sang la statue de Léopold II, estimant qu'on ne<br />
peut considérer un tel criminel comme un des grands noms de la nation."<br />
Mémoire coloniale belge : un hémicycle noir de monde Grégoire Smets<br />
Le 8 octobre dernier, le parlement<br />
bruxellois invitait la société civile<br />
à débattre de la mémoire coloniale<br />
belge. Première (bonne) surprise, l’intitulé<br />
: " Quand la Belgique va-t-elle faire<br />
face à son passé colonial ? ". Notre petit<br />
royaume n’est pas habitué à une telle<br />
franchise. Certains amnésiques ont dû<br />
tomber de leur chaise.<br />
Il faut dire que le parlement a été poussé<br />
dans le dos par Zoé Genot à qui revient<br />
l’initiative de ce débat. Elle-même a bénéficié<br />
d’un climat particulier. Les députés<br />
s’étant employés, durant le mois d’avril,<br />
à montrer combien ils reconnaissaient le<br />
génocide arménien, il leur devenait difficile<br />
de refuser la proposition d’enclencher<br />
un tel débat au niveau de la Belgique.<br />
Mais nos députés sont-ils si prompts à<br />
reconnaître les crimes de la colonisation<br />
belge ? Pas sûr.<br />
Comble<br />
L’hémicycle était comble car le public<br />
était venu en nombre manifester son intérêt.<br />
Les députés, en revanche, n’étaient<br />
qu’une poignée à s’être déplacés. Pas un<br />
seul MR. Peut-être avaient-ils pressenti<br />
qu’on allait leur tordre le cou.<br />
Comble de l’ironie, pratiquement tous<br />
les députés présents ce jour-là étaient<br />
d’origine subsaharienne. Pourquoi diable,<br />
ne pas avoir quitté la salle d’entrée de<br />
jeu ? En amorçant un travail de mémoire<br />
sur le passé colonial belge en l’absence de<br />
parlementaire " belgo-belge ", on touchait<br />
à l’absurde. On croit être reçu au parlement,<br />
en fait on se retrouve entre soi.<br />
N’importe quelle salle polyvalente aurait<br />
fait l’affaire.<br />
Quelle leçon tirer ?<br />
On n’impose pas une piqûre de rappel<br />
à l’establishment belge sur sa mémoire<br />
coloniale en dehors de toutes circonstances<br />
périlleuses (par exemple, la sortie<br />
du livre révélateur de l’historien<br />
Ludo De Witte précipitant la commission<br />
d’enquête sur l'assassinat de Patrice<br />
Lumumba). Ce 8 octobre, les interpellations<br />
sont donc restées sans réponse. Elles<br />
furent pourtant nombreuses, évoquant<br />
des dossiers bloqués depuis des lustres<br />
(la reconnaissance de la colonisation<br />
belge comme crime contre l’humanité, les<br />
suites réservées à la pétition réclamant<br />
une place Lumumba, la commémoration<br />
de la participation congolaise à l’effort de<br />
guerre, etc). Mais il faut bien ajouter qu’un<br />
député comme Béa Diallo (PS), s'est bien<br />
gardé d’engager les débats sur ces terrains-là,<br />
préférant se complaire dans des<br />
discours anticolonialistes citant tantôt<br />
Frantz Fanon tantôt Léopold Senghor. Ce<br />
qu’une intervenante n’a pas manqué de<br />
souligner, faisant ressentir l’agacement à<br />
l’égard de ces députés pot-de-fleurs.<br />
C’est finalement la présidente Julie De<br />
Groote (cdH) qui, du haut de son promontoire,<br />
a servi d’interlocutrice principale.<br />
À elle seule, elle a donné suffisamment<br />
de fil à retordre tant ses interventions<br />
regorgeaient de réflexes colonialistes.<br />
Incapable de dissimuler son angoisse à<br />
l’idée de voir le roi Léopold II désacralisé,<br />
celle-ci s’est autorisé une petite leçon<br />
(pour ne pas dire falsification) d’histoire :<br />
en un tour de main, le roi-rapace est<br />
devenu un haut personnage de la lutte<br />
anti-esclavagiste à qui les grandes puissances<br />
européennes ont confié le Congo.<br />
Au public, dès lors, de lui administrer<br />
une piqûre de rappel et de revenir sur les<br />
desseins congolais de Léopold II datant<br />
d’avant 1885 (Conférence de Berlin). Soit<br />
dit en passant, madame la présidente n’a<br />
pas compris le thème du débat. Dans un<br />
esprit bon enfant, elle pensait que nous<br />
allions accorder toutes nos mémoires<br />
individuelles, et pas que nous nous attaquerions<br />
à sa mémoire défaillante.<br />
Les associations subsahariennes qui ont<br />
introduit cette matinée ont les défauts de<br />
leurs qualités : certes, le ton cérémonieux<br />
et excessivement formel qu’elles adoptent<br />
pour évoquer la grande Histoire, en<br />
impose. L’exigence de vérité historique<br />
est mise comme condition à l’exercice de<br />
leur citoyenneté. Le problème, c’est qu’en<br />
restant sur ce registre moral, la présidente<br />
du parlement n’a rien à répondre. Sans<br />
doute, ne voit-elle pas vraiment de quoi il<br />
retourne. Il serait préférable de formuler<br />
des revendications plus précises et adaptées<br />
aux compétences d’entendement de<br />
nos élus (par exemple, la création d’un<br />
fond scientifique pour éclaircir le passé<br />
colonial).<br />
Bref, un flop<br />
L’on retiendra que le travail de mémoire<br />
a été associé par la chercheuse universitaire<br />
intervenant en introduction à des<br />
enjeux d’unité nationale à préserver,<br />
enjeux dont la présidente devait être la<br />
seule à se soucier depuis le fin fond des<br />
tripes.<br />
Par contre, aucun des intervenants n’a<br />
vraiment mentionné les enjeux de justice<br />
sociale, comme si tout le monde avait<br />
intériorisé l’idée d’un travail de mémoire<br />
à moindre frais, sans restitution ni réparation<br />
financière…<br />
L’association « Même pas peur » a été initiée par Cactus Inébranlable Éditions (www.cactusinebranlableeditions.e-monsite.com) et Les Éditions du Basson (www.editionsdubasson.com)<br />
Comité de rédaction Manuel Abramowicz, Styvie Bourgeois, Thomas Burion, André Clette, Jean-Philippe Querton, Théo Poelaert, Jacques Sondron, Etienne Vanden Dooren Contact presse Manuel Abramowicz Mise<br />
en page E.V. Contributeurs dessins Thomas Burion, Vil Bouton, Bruno Carbonnelle, Yvan Carreyn, Cloutz (Ghislain Cloutier), Gérard Collard, Pierre Crape, Serge Delescaille, Slobodan Diantalvic, Philippe Decressac,<br />
Mehdi Dewalle, Alain Dauchot, Kanar, Livingstone (Stéphane Jalinier), Mickomix (Mickaël Serré), Théo Poelaert, Rafagé (Raphaël Donay), Jacques Sondron, Sticki, Yakana. collages André Stas photo André Clette, Sylvie<br />
Kwaschin Contributeurs textes Manuel Abramowicz, Éric Allard, André Clette, Éric Dejaeger, Père Duchesne, Gaëtan Faucer, Sylvie Kwaschin, Dr Lichic, Dominique Lossignol, Maz’, Théo Poelaert, Jean-Philippe Querton,<br />
Mickaël Serré, Sokolov, Etienne Vanden Dooren, Dominique Watrin.<br />
Un grand merci à tous les contributeurs à qui nous n’avons pas pu offrir un espace dans ce numéro 4 de Même pas peur ! Le site : http://memepaspeur1.e-monsite.com La page FB : https://www.facebook.com/<br />
groups/327858970736620/requests/?notif_t=group_r2j N° de compte BE28 0017 5410 1520
20 / Même pas peur N o 4 / NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2015<br />
Brèves...<br />
de trottoir<br />
► ► ► Sales mines<br />
Les crayons interdits au Musée Magritte !<br />
La fellation, par contre, autorisée ; suffira<br />
de dire au cerbère de service que ce n’est<br />
pas une pipe.<br />
► ► ► Décorticage de propos<br />
Dans l’Avenir, Paul Furlan à propos du<br />
naturisme et son potentiel économique :<br />
" Si on veut développer le naturisme, va<br />
falloir retrousser les manches ! " À mon<br />
avis, ce ne sera pas assez, faudra aussi<br />
baisser son froc et enlever son soutien.<br />
► ► ► Garrrre d'à vous !<br />
Promo à la SNCF : à l’achat d’un abonnement<br />
Paris-Amsterdam, une légion d’honneur<br />
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la NVA. Comment ? Ils fourniront le<br />
gaz.<br />
► ► ► Première place au ranking<br />
mondial<br />
Plus de 45 fusillades en 2015 dans<br />
L’article de la mort n’est jamais soldé.<br />
Éric Dejaeger<br />
Les N° précédents sont encore disponibles.<br />
Nous contacter : memepaspeur.lejournal@gmail.com<br />
Le N°4 de <strong>MÊME</strong> <strong>PAS</strong> <strong>PEUR</strong> sortira le 24 octobre 2015<br />
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N’hésitez pas :<br />
compte de MPP : BE28 0017 5410 1520<br />
les écoles américaines. " Ça devient<br />
la routine ! " s’est énervé Obama ! Pourtant,<br />
il devrait en être fier : pour le<br />
coup, les États-Unis sont plus efficaces<br />
que Daesh !<br />
► ► ► Places de riches<br />
A Charleroi, TOUTES les places de<br />
parking vont être payantes, même<br />
dans les crottoirs pour chiens faudra<br />
payer son droit de stationnement de<br />
laisse. Ils ne se rendent pas compte<br />
qu’avec le nombre de chômeurs jetés<br />
dans le caniveau (à côté des crottoirs)<br />
qui ne peuvent plus se payer une voiture<br />
du peuple allemande, elles vont<br />
rester vides leurs places. Attention à<br />
l'invasion de Roms.<br />
► ► ► Scoop<br />
Selon un institut de sondage bien<br />
connu, il y aurait plus d'incestes en<br />
famille qu'ailleurs.<br />
► ► ► On avale bien les pieuvres<br />
Bart va recruter ses flics anversois sans<br />
" l'aval " fédéral. Celui-là, il continue<br />
son petit Barnum de chemin...<br />
► ► ► Hara Kiri ogémique<br />
Une proposition a été déposée sur la<br />
table d'autopsie par Monsanto : ils propose<br />
de recycler leurs stocks d'agent<br />
orange et de Roundup en doses pour le<br />
suicide assisté.