le fil du razoir copie

PERSPECTIVES
De défis imbéciles en tentatives désespérées
De succès éphémères en échecs prévisibles
Hypothétique millionnaire de la dernière minute
Ma pathétique vie semble se fourvoyer
Dans un plus qu’insondable désert sentimental
Mais quel pied!!

ENVOI
Dois-je vraiment écrire ce bouquin.
Ou plutôt le réécrire.
Tout semble se liguer contre ce projet.
A quelques pages du mot fin et deux doigts de sabrer le champagne, l’ordinateur de mon bureau
déclare forfait, entrainant dans la débâcle ma seule sauvegarde.
Pas bon ça, pas bon du tout !
Bien sur, j’ai la mauvaise habitude d’écrire directement sur mes sauvegardes tant ces petites
puces de mémoire sont pratiques ; vous les trimballez d’un ordinateur à l’autre et, quand tout le
monde tourne le dos, ou quand vous en avez marre du travail quotidien, ou encore quand votre
patron vous casse les pieds, en catimini, vous écrivez un petit bout de texte.
Une sacré différence avec les ordinateurs de mes débuts ; 64K de mémoire vive, un
magnétophone de poche en guise de mémoire de masse et un téléviseur pompeusement baptisé
moniteur ; bref, faut vivre avec son temps et c’est bien pratique.
Enfin quoi ! Les sauvegardes ne sont pas supposées disparaître.
Fort heureusement, la plupart des « nouvelles » qui composent ce bouquin sont probablement
encore sur mon portable.
Elles y étaient.
Avant que le disque dur de celui-ci, probablement endommagé par quelque mauvais traitement
de soute à bagages lors de mon dernier voyage à Hong Kong, ne refuse à son tour de se laisser
décoder.
Diagnostic : axe du disque faussé.
Donc : plus de nouvelles, plus de photos, plus de notes, plus de couverture, plus rien quoi.
Mauvais présage s’il en fut.
Mon fils ainé déclarait, il y a quelque vingt cinq ans après avoir perdu tout un mois de travail a la
suite d’un incident similaire : « de toute façon, c’était pas bon, fallait que j’le r’fasse ».
C’est une manière de voir les choses !
Cela dit, J’écrie toujours sur ma sauvegarde.
J’ai juste pris la précaution d’acquérir une autre sauvegarde pour sauvegarder la sauvegarde.

Mon fils cadet dans sa treizième année disait au juge pour enfant texan lui demandant s’il
comptait récidiver : « I learn from my mistakes” en français dans le texte “j’apprends de mes
erreurs”….enfin..la plupart du temps.
Faut dire qu’il fait, lui, rarement deux fois la même connerie mais se débrouille toujours pour en
inventer de nouvelles ; on a toujours été très créatif dans la famille, et les chiens, parait il, ne font
pas des chats.
Pourquoi donc écrire ce bouquin si tout s’y oppose ?
Je me suis évidemment donné des tas de bonnes raisons du style :
Ce serait tout de même sympa si « on » pouvait tirer une petite leçon de ma vie décousue ou :
J’ai envie que mes enfants qui me connaissent à peine, y compris mes magnifiques toutes
nouvelles belle filles, sans parler de leur merveilleuse mère qui semblent m’apprécier bien au
delà de mes véritables mérites me connaissent un peu mieux ; etc…etc…
Pas très convainquant tout ça.
En fait, je suis profondément persuadé que tout le monde devrait écrire le livre de sa vie.
Plusieurs personnes à qui je m’en suis ouvert m’ont répliqué : « mais je n’ai rien à dire, ma vie
n’a aucun intérêt ».
Faux….Archi faux !
Tout le monde a quelque chose à dire ; ne serait ce qu’à ses proches, à ses enfants, à sa famille.
Dire que sa vie n’a aucun intérêt revient à se dépriser soi même, et c’est inacceptable.
De plus, le rire est la meilleure thérapie qui soit ; et rire de soi même est un remède souverain.
Bien des événements humiliants, voir douloureux, en leur temps, vous apparaissent alors comme
autant d’hilarantes mésaventures.
Bref.
Ma vie m’a toujours semblé être une suite de chances et de malchances échappant totalement à
mon contrôle ; un peu comme ces boules de flipper qui dévalent la pente et rebondissent au grès
des « bumpers » et des bandes ; tour à tour réexpédiées au sommet puis projetées aux abimes.
La faute a pas de chance quoi ! Pas la mienne assurément !!
Lorsque je décidai de m’installer aux USA, c’était pour moi la fin du voyage ; le calme après la
tempête ; la sérénité d’une douce médiocrité ; un appartement bon marché dont un rat n’aurait
pas voulu dans un quartier infesté par des gangs de tous poils ; le confort quoi !
Le dénuement dans lequel je m’y trouve m’autorise à accepter le pire comme l’inévitable
instrument de ma misérable survie : « Je ne peux pas faire mieux » mon modo ; mon fils glissant

dans la délinquance … une fatalité ; mon divorce … la suite logique de mes infortunes ; tout est
donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possible…anesthésie.
Clochard de luxe au milieu de zonards ; doté d’un appartement de fortune et d’une voiture de
service obligeamment fournie par une compagnie exploitant sans vergogne ma situation de
« quasi illégal » ; roi borgne au royaume des aveugles.
Je dis « quasi » parce que grâce aux bons soins de l’administration Bush, j’ai écopé d’un statut
de « régularisation de statut » supposé me permettre d’obtenir ma « green card » (carte de
résident permanent) dans les huit mois ; laps de temps pendant lequel, bien que « sans papiers »
je ne suis tout de même pas tout a fait illégal.
J’ai le droit de travailler pour la compagnie qui me sponsorise, mais je n’ai pas de numéro de
sécurité sociale.
Le cul entre deux chaises quoi ! En fait je n’existe pas.
La cerise sur le gâteau, c’est que grâce à un bouquet de terroristes d’origine encore douteuse
combinant spectacle et efficacité (plane crash et explosifs de démolition) qui eurent la
malencontreuse idée de rectifier l’architecture d’un bloc d’immeubles new yorkais ; ces huit
mois vont devenir huit ans.
Dans un sursaut d’inutile indignation, je m’en ouvre à un officier de l’immigration et m’entends
rétorquer :
« Voyez le bon coté des choses, vous ne payez pas d’impôts ; vous pourriez trouver un autre
sponsor, mais croyez moi, ce sera la même chose, ils savent que vous ne pouvez pas changer de
compagnie, ils en profitent ; la seule chose que vous ayez à faire, c’est d’être patient ».
Bon, ben, je s’rai patient !....Pas vraiment le choix !!
Huit ans plus tard, patience, donc, oblige ; me voici résident permanent aux USA …. où je paie
cette fois ci des impôts ; toujours dans le même appartement crasseux avec le même criminel
voisinage.
Tellement crasseux que la charmante jeune togolaise que comptais bien maritalement associer a
mes infortunes, a la vue de celui-ci, s’enfuit a toutes jambes et court encore si vite qu’elle a
aujourd’hui, m’a-t-on rapporté, déjà rejoint son Afrique natale.
Même appartement crasseux, mais nouvel employeur, salaire plus que doublé et, ma propre
voiture.
Le Pied !!
Si mère nature ne s’en était mêlée, je n’aurais sans doute encore pas a ce jour bougé d’un seul
iota.
Mais elle s’en est mêlée.
Ike !

Rien à voir avec le défunt président.
Cet ouragan qui, il y a cinq ans, souffle le toit de mon appart avec moi dedans, tout en noyant ma
toute récente et néanmoins luxueuse automobile (faut c’qui faut, je me mexicanise) ne me laisse
d’autre choix que de me bouger le cul.
C’est en fait la seconde fois que je me trouve pris dans un ouragan.
La première fois, faisant confiance a ma bonne fortune et contre les avis gouvernementaux, je
décide de rester et, en fait, tout se passe très bien ; seul petit problème : trois jours de coupure
d’électricité ; le tout dans une ambiance quasi festive ; on l’a échappé belle, la vie est
magnifique.
Seuls rient jaune ceux qui, pensant les protéger, ont garé leurs voitures sous les arbres du
parking ; très mauvais calcul.
Ceux qui, par contre, respectueux des susdites directives, ont prudemment choisi la fuite, s’en
sont amèrement repenti : Pas d’essence, routes encombrées ; froid de canard et déluge de pluie
contraints de s’avaler ; confinés qu’ils étaient dans des voitures surpeuplées ; invités, chiens,
enfants et bagages.
Super !!
Donc, quand Ike pointe son nez, je décide de ne pas bouger.
J’aurais du !
Par bonheur, la chienne de mon fils CK, (prononcez ci kay) décide de rester avec moi ; eh oui
pour une fois elle n’a pas pris la poudre d’escampette dès l’ouverture de la porte ; en fait je lui
dois sinon la vie, du moins d’être encore entier.
Drôle de nom CK ?
Oui, bien sur, en fait ce sont les initiales de Cholos Killer. Qui signifie en bon français tueur de
Cholos.
(Cholos est le nom d’un des trois gangs mexicains qui sévissent dans mon voisinage)
Faut dire qu’cette chienne matinée de Pitt Bull et par ailleurs adorable, avant d’être recueillie par
mon fils Franck et laissée pour compte a mes soins lorsque celui-ci s’installe en Louisiane, avait
été recueillie et élevée par un gang mexicain ennemi desdits Cholos.
Qui a dit que la vie est un long fleuve tranquille? Certainement pas un Texan.
Bref !
J’étais si confiant en mon étoile que dédaignant l’ouragan qui fait rage arrachant au passage
quelques toitures et brisant quelques arbres, je monte me coucher dans la seule chambre encore
sèche et je dors.
Je dors jusqu'à ce que les aboiements répétés de CK me sortent de ma léthargie.

Je la rejoins au rez-de-chaussée ; elle est complètement affolée.
Il est vrai que, complétant le vacarme extérieur, il se trouve que les murs de l’appartement se
sont transformés en véritables fontaines.
Ell’doit pas aimer l’eau.
Je tente de la faire monter avec moi…Impossible ; elle refuse catégoriquement de s’engager dans
l’escalier.
Bon, je décide de rester un moment avec elle pour la calmer ; on verra plus tard.
Vingt minutes plus tard, alors qu’elle semble avoir recouvré son sang froid, je remonte à l’étage
avec la ferme intention de retrouver mon lit et y terminer ma nuit.
Le plafond m’y a précédé ; y’a pas d’place pour nous deux, et puis j’ai pas l’habitude de dormir
sous la douche, surtout quand elle est froide.
La partie extérieure de la climatisation de mon appartement, malmenée par la bourrasque, s’étant
résignée à déclarer forfait avait, dans la foulée, sans doute pour se sentir moins seule, décidé
d’emmener avec elle une partie de la toiture.
Bon, j’ai une bonne assurance tant sur la maison que sur la voiture.
L’une de mes amies, lassée d’un fonctionnariat consulaire à prix réduit, recyclée dans
l’immobilier, me fait habilement passer de clochard de luxe à respectable propriétaire terrien.
Mon vendeur de voitures favori me réinstalle dans une autre non moins somptueuse, et nettement
plus récente Cadillac qui, du reste, grâce aux méfaits d’un téléphone cellulaire associé a l’oreille
délicatement ourlée d’une charmante mais quelque peu distraite conductrice, elle non plus, ne
durera pas longtemps.
Au jour d’hui, du fond d’un confortable fauteuil, a plus de 70 ans je contemple, amusé, voire
carrément hilare, les aléas d’une vie rien moins que pas très exemplaire.
Enfin c’est en tout cas, vu de loin, l’impression que ça donne.
D’autant qu’une conversation avec mon fils ainé - que je n’avais pas revu a l’époque depuis près
de 15 ans - ne me laisse aucun doute quant’ a la haute estime en laquelle ma lointaine
descendance tient mes hauts faits d’armes.
« Regarde Papa, disait il à son frère, (ou peut être était ce l’inverse) de tout ce qu’il a vécu,
qu’est ce donc qui lui reste ? »
Il est tellement persuadé de mon indigence qu’accompagné dudit frangin, il franchit l’océan pour
s’en assurer de visu.
Bon, ils s’en reviennent confortés ; peut être craignaient ils de me voir quelque jour débarquer,
main tendue, paume dessus.
Un certain nombre de gens semblent pourtant envier mon parcours ; comme si c’était un exploit
et non le résultat d’une perpétuelle fuite en avant…bon d’accord, y savent pas ...eux.
.

INTRODUCTION
70 ans, J’y crois pas!
A dire vrai, j’m’suis pas senti vieillir ; trop occupé pour ça…à combattre les moulins a vent et
me protéger des retours de bâton.
J’arrive pas à me mettre dans la peau du personnage.
J’ai rien vu arriver.
Un jour, croisant par hasard un miroir, c’est le choc : merde, c’est qui ça ???
Si tant est que ma vie ait été un tantinet mouvementée, je n’étais pourtant pas destiné, à l’origine
à vivre de rocambolesques aventures ; j’étais prédisposé à tout, sauf à ça.
Fils d’instituteur de province sans particulière ambition, dès l’enfance je me persuade de mon
insignifiance.
Quand je dis « me persuade » ; faut dire qu’on m’avait tout de même un tout petit peu aidé.
J’étais comme Blanche neige, ou la belle au bois dormant, ou quelque autre de ces personnages
de contes fantastiques ; vous savez, ceux sur le berceau desquels certaines fées se sont penchées,
sauf que, les bonnes fées étant fort occupées avec les susdits personnages, y’ me restait plus qu’
les autres.
Mon enfance, et plus tard, mon adolescence furent bercées par quelques encourageantes
prédictions du style : « Tu ne feras jamais rien de bon dans la vie » ; ça, c’était ma mère ; et elle
savait de quoi elle parlait puis qu’en tant qu’institutrice, elle était tout de même chargée de
répandre la bonne parole.

Mon oncle préféré qui par ailleurs devait m’ouvrir les yeux sur bien des aspects de la vie
souterraine des couloirs politiques et qui m’aimait vraiment beaucoup au point de créer
d’obscures jalousies dans son propre entourage, ne se lassait pas de dire a ma mère : « ton fils
finira millionnaire ou en prison ».
Moi, bien sur, fort de la prédiction précédente, je n’ai jamais retenu que la deuxième partie de
celle ci.
Pour couronner le tout, alors que pour le seul bénéfice d’arborer un prestigieux uniforme supposé
plaire au beau sexe, je tentais un concours réputé inaccessible au commun des mortels afin
d’intégrer une école d’élite aujourd’hui disparue (notre république socialisante n’aime pas
vraiment les élites ; ça lui donne des complexes) , j’entends le directeur de ma propre école,
ancien professeur de mathématiques de mon géniteur dire a ce dernier : « t’en fais pas, de toutes
façons, y passera pas ».
Vexé, et dument cornaqué par un professeur de français qui crut sans doute déceler en moi une
étincelle d’intelligence ; je l’ai décroché, ce foutu concours !
J’ai, par la suite, entendu mainte fois ma mère m’asséner : « Si tu avais suivi notre exemple, tu
serais fonctionnaire aujourd’hui et n’aurais pas tous ces tracas ». !
Elle avait pourtant quelques doutes : « crois tu que ton père aurait pu faire ce que tu fais »?
Bien sur il aurait pu le faire ; il pouvait faire strictement ce qu’il voulait ; il en a du reste
largement donné la preuve ; elle était sans doute la seule à ne pas le savoir.
Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de connaitre mon père, j’avais à peine vingt ans lorsqu’il
mourut, et j’avais passé les dix années précédentes dans un internat quasi disciplinaire ; mais ce
que j’en ai vu ne me laisse aucun doute.
A vint cinq ans, pour pouvoir vivre près de mon institutrice de mère, il abandonne une
prometteuse carrière de professeur de mathématiques pour embrasser celle d’instituteur de
province ; vingt cinq ans après, il repasse tous ses examens, réintègre le professorat, obtient un
poste a la ville voisine …. et meurs ; il n’avait sans doute plus rien a se prouver.
Faire ce que je faisais ?? C’était juste pas son truc !
La seule chose qu’il m’envierait sans doute aujourd’hui, c’est ma vie en Amérique.
Il admirait les américains jusque dans leur façon de conduire ; réminiscence de guerre….on voit
bien qu’il n’y avait jamais mis les pieds, lui, en Amérique.
Il avait une vision de choses très américaine sur bien de points.
Il avait, par exemple, imaginé d’aménager une luxueuse caravane a partir d’une remorque de 38
tonnes, il suffirait, disait il, d’un tout petit tracteur pour la tirer.
Ma mère, bien entendu, resta sourde à ce rêve ; mais faites donc un petit tour par ici, vous verrez
des centaines de ces impressionnants attelages.
Cela dit, comme je viens de le mentionner, je suis tout de même entré dans la vie adulte avec ce
couple de funestes prédictions :

« Tu ne feras jamais rien dans la vie !! ».
« Tu finiras millionnaire, ou en prison !! »
Sous entendu … pour moi,… « Probablement en prison ! »
Bon, a mon âge, j’ai peu de chances, bien qu’y ayant un peu gouté, de finir en prison et je ne suis
toujours pas millionnaire ; quoi que, a y bien regarder, compte tenu de mes projets actuels il se
pourrait bien que je le devienne…..en Pesos.
Ca vous fait rire ?
Bien sur, à l’échelle Européenne, c’est un petit peu comique ; mais millionnaire en pesos aux
philippines où ma merveilleuse compagne et moi même projetons de nous retirer dans un peu
moins de cinq ans, c’est la belle vie assurée avec piscine, chauffeur et femme de chambre.
Pourquoi un chauffeur pour moi qui ai fait les quatre cent coups sur de multiples pistes d’essai ?
Ben, pour ce que j’en ai vu, aux Philippines, lorsqu’on a l’habitude d’une conduite un tant soi
peu académique, il vaut mieux ne pas trop se frotter a la horde mécanistique ; sans compter que,
en tant qu’étranger, même marié a une beauté locale, en cas d’accident, quelles que soient les
circonstances et la qualité de notre assurance, on a tord de toutes façons.
Eh oui, tout est question d’échelle ; un couple de gens de maison à Manille perçoit un salaire
d’environ 10000 Pesos par mois…. Soit environ 190 Euros…. Pour le couple !
Ma maigre pension Française ajoutée à ma pension Américaine totalisera a peine 3500 Dollars
mensuels…. Au plus 2500 Euros !!
Aux philippines ça fait dans les 140,000.oo Pesos
…c’est Byzance !!!
Je fais quoi avec ça en France, moi ?
Voyez plutôt : la dernière fois que je suis allé aux Philippines en vacances, j’en ai profité pour
me faire refaire la dentition : quatre dents à reconstruire, une dent à arracher et pour faire bonne
mesure, ma compagne s’en fait plomber une dans la foulée ; le tout assorti d’un nettoyage
complet pour chacun d’entre nous et d’un examen total pour l’ainée des filles ; le tout
pour……60 euros.
Ça peut pas durer dites-vous ? Vous avez raison ; et y faut pas que ça dure !
Mais j’serai mort avant.
En attendant, j’entends bien vivre pleinement ma dernière aventure : Le nabab aux quarante
enfants (petits enfants et arrières petits enfants compris bien sur).

Une aventure où je me vois bien sur dans le rôle du respectable vieillard au sourire amusé
surveillant du coin de l’œil sa nombreuse progéniture barbotant dans la piscine.
Le début de ma vie est sans histoire…ou presque ; d’une banalité à pleurer, aussi vais-je faire
court.
Enfance solitaire sans véritable problème ; du moins jusqu'à l’âge de 10 ans ; âge auquel mes
parents décident de m’envoyer en exil dans un lointain collège.
J’étais parait il trop bruyant.
En réalité, ma mère aurait voulu une fille ; pas vraiment mon profil.
Etudes secondaires moyenne, études supérieures aéronautiques, (J’ai toujours rêvé de m’envoyer
en l’air) moins que moyennes avec échec à l’examen final par suite de note éliminatoire en Philo.
Eh oui, il est amusant, sinon prudent, de démontrer qu’un sujet est idiot, sauf quand c’est le
président du jury qui l’a pondu.
Bon, j’ai assez mal joué ce coup là.
Tant pis, j’redoublerai pas, j’en ai marre de l’école, j’veux vi’v ma vie !
Aujourd’hui pourtant, c’est pas exactement le langage que je tiens à mes délicieuses belles filles
que nous maintenons contre vents et marées à l’université locale.
Alors que tous mes copains futurs diplômés tapissent les amphithéâtres de demandes d’emploi
refusées (Eh oui, déjà à cette époque), je postule pour un emploi qui n’a rien à voir avec
l’aéronautique ; et le décroche.
Quelques semaines plus tard, je reçois l’avis de mon admission à l’ENAC (école nationale de
l’aviation civile) a laquelle j’avais postulé avant même de passer mon BTS.
L’attente est de deux ans ; Sur le coup, j’comprenais pas pourquoi; on m'a expliqué par la suite
qu'Air France a qui appartient l'école recrute en fonction des prévisions a moyen terme.
Suis pas d’un naturel patient ;J’les envoie pondre.
Je suis bien dans mon nouvel emploi ; j’ai l’impression d’exister ; de plus, il semble que mes
élucubrations plaisent à mon patron.
Tout va merveilleusement bien jusqu'à ce que par une belle matinée de septembre je m’endorme
au volant de ma voiture en revenant des pistes d’essais de Montlhéry où nous avions passé
quasiment toute la nuit a tester je ne sais plus quelle merveille ; poussant dans la foulée, sans
ménagement aucun, mais heureusement sans trop de dégâts, une malheureuse 2CV venant en
sens inverse, sur un arrêt de bus malencontreusement situé sur la trajectoire, bousculant du même
coup une gentille petite vieille qui clamait à n’en plus finir « Au secours, je suis morte !!»
« T’en fais pas » entendis je tout près de mon oreille avant de m’évanouir, « si elle était morte,
el’ crierait pas si fort ».
Qui donc a dit que les représentants de l’ordre étaient totalement dénués d’humour ?

Tout aurait été donc parfait dans le meilleur des mondes si un crétin de toubib, mandaté par le
tribunal local, ne m’avait déclaré épileptique, sans pour autant du reste prendre la peine de m’en
informer.
Résultat ? : Retrait de permis a vie !
J’m’en suis pas aperçu tout de suite ; ayant écopé d’une suspension administrative de 3 ans, je ne
me suis préoccupé de rien avant la date fatidique.
Au moment de récupérer ce maudit papier, et ce pendant deux ans consécutifs, je me le vois
refuser à la visite médicale sans aucune explication.
Ça m’inquiète.
J’en parle à un vieil ami de mon père, directeur de la police générale à Paris, qui m’apprend la
funeste nouvelle : Retrait à vie parce que ce toubib a écrit sur son rapport que l’accident est dû à
une crise d’épilepsie.
« La seule solution pour toi est de trouver un toubib du même rang qui affirme le contraire et le
bénéfice du doute te sera favorable. »
Et je vais trouver ça où moi, un type de la pointure de Mahoudeau?
Mahoudeau…Chef du service neurochirurgie de l’Hôpital Beaujon ; rien que ca !!!
Coup de bol ; sur les conseils de mon chef de service je tente ma chance auprès de l’hôpital
d’Argenteuil.
Le grand patron connait bien Mahoudeau, ce prince de l’épilepsie, et ne l’apprécie guère. « Ce
vieux crétin voit de l’épilepsie partout ».
Je me retape un paquet d’examens, en sors blanchi et récupère mon permis ; ou plus exactement
.... repasse mon permis…en trois fois ; tout comme a l’origine. Eh oui, je sui définitivement
brouillé avec les interminables listes de stationnement interdits, dépassements interdits et autres
intéressantes trouvailles que l’administration s’ingéniait a l’époque à nous balancer dans les
jambes dans le seul but, apparemment, d’engraisser les auto écoles.
Rien de vraiment spécial sinon que pendant cinq longues années je me suis senti passablement
diminué.
Je suis peinardement mon petit bonhomme de chemin :
Automobiles Peugeot, puis Simca mieux payé, quelques nouveaux diplômes au conservatoire des
arts et métiers ; brillamment acquis cette fois ci ; une timide tentative d’incursion dans le
domaine de l’injection électronique dont je me fais virer ; juste de quoi définitivement me
convaincre qu’électricité et électronique ne sont pas mes sujets favoris, puis l’UTAC qui me
recueille et où je gagne mes galons d’ingénieur.
Banal…Ringard….Quasi fonctionnaire.
Pas réellement de quoi me lancer dans de folles aventures.
Avenir tout tracé.

Comment diable ais-je donc pu par la suite me fourrer dans de telles galères ?
Tout est en fait parti de l’UTAC où la plupart des ingénieurs sont de jeunes universitaires un
tantinet idéalistes ou pas encore tout a fait sortis de l’enfance ; voir les deux.
Je ne vais pas m’attarder sur l’UTAC en soi ; trop banal.
L’aventure commence réellement avec :
Millérioux et Compagnie

MILLERIOUX ET COMPAGNIE.
Ou
Une compagnie de transport…Peu orthodoxe.
Compagnie…c’est moi, en tout cas pour une bonne moitié puisqu’en fait nous sommes trois :
Yves Millerioux, Jean Pierre Husson, et moi ; le trio infernal.
Tous trois bossant pour la sacro sainte UTAC ; en français dans le texte « Union Technique de
L’Automobile et du Cycle ».
Un laboratoire qui se voudrait bien d’Etat, qui ne l’est pas, mais qui vit pour une bonne moitié de
subsides ministériels et pour l’autre de prestations un tantinet forcées auprès des constructeurs
d’automobiles et d’accessoires.
Forcées, tout simplement parce qu’ayant réussi le tour de force de se faire homologuer par l’état
qui a dans la foulée financé pratiquement tout l’extrêmement onéreux équipement que cela
nécessite, L’UTAC tient la dragée haute a tout ce beau petit monde…. Commerce forcé ; quasi
fonctionnariat.
Cette histoire de transport n’a donc rien à voir avec nos occupations quotidiennes.
Elle naquit de mon énervement à entendre chaque jour de la part de mes collègues
confortablement installés derrière leurs bureaux crasseux encore et encore la même ritournelle :
«On est exploités par les patrons !».
Je suis le seul à avoir une quelconque expérience du monde industriel.
C'est terrible comme une toute petite phrase au demeurant quasiment anodine peut chambouler
une vie; car tout est parti de là!
Je les mets au défi.

"C’est simple ! Pour n’être plus exploités par les patrons ; devenons patrons ! Moi j’ai pas
d’idées ; si vous en avez, mettez les sur la table, et voyons ce qui en sort».
Yves ouvre le débat :
« Il y a un large créneau non exploité dans le transport longue distance : le créneau des moins
de six tonnes qui ne nécessite pas de licence de transport ».
Yves, bien qu'un peu bohême, est brillant ; il le prouvera par la suite en intégrant le CNRS.
Les licences étant contingentées, pour entrer dans le saint des saints de la confrérie, il faut
connaitre quelqu’un qui veuille bien se retirer, ou avoir la gentillesse de clamser ; et bien sur être
non seulement le premier, mais aussi le plus offrant.
Ces licences, hautement convoitées, se vendent a prix d’or et …. Nous n’avons pas les moyens.
Deuxième volet, les chauffeurs.
Les chauffeurs longue distance sont très cher, ont tous un emploi et nulle envie de le risquer sur
un coup de tête.
Qu’est ce qui reste ?
Les poivrots dont personne ne veut.
Pas bandant !
Il a donc raison, la seule solution semble bien être le créneau « moins de six tonnes ».
L’idéal étant moins de 3.5 tonnes ; pas besoin de permis poids lourd ; pas d’assujettissement au
tachymètre, pas de « boite noire ».
« Quelle est la charge utile d’un 6 tonnes, en moyenne ? »
« Entre 2 et trois tonnes ».
« Bien, alors, si on arrivait à avoir des camions avec semi remorque de 3.5 tonnes avec 2 tonnes
de charge utile ca pourrait faire la rue Michel ; vrai ? »
«Ça n’existe pas »
« Je sais ! On va les fabriquer ! »
Encore une autre terrible petite phrase.
« Laissez moi fouiner, dès que j’ai trouvé, on en reparle ». Et quelques semaines plus tard :
« Voila, on va prendre le nouveau petit Ford Transit a essence, supprimer le porte a faux

arrière, installer une sellette et utiliser le système de freinage des grosses caravanes de
tourisme ; on l’homologue en tracteur routier et on lui colle une semi remorque de 300 Kg on
arrive presque aux 2 tonnes de charge utile d’un 6 tonnes traditionnel…sans les emmerdements
».
Une fois encore : « Une remorque de 300 Kg….Ça n’existe pas »
« On est ingénieurs oui ou non ? On va dessiner la plateforme, la faire construire par un
ferronnier industriel sans lui dire de quoi il s’agit sinon il va nous charger la peau des fesses ;
puis, sur place, on installera un essieu arrière de J7 . Si mes calculs sont exacts, on va même
être en dessous des 300 kg ; Ah ! J’oubliais, j’ai aussi un contrat qui vient avec pour un porte
voiture. »
Peu confiant en la capacité commerciale de mes associés, j’avais en effet pris la précaution, juste
au cas où ; de contacter une de mes très sympathique relations, directeur commercial de la
Franco-Britanic qui importait alors des Rolls Royce d’Angleterre et des DE TOMASO, d’Italie.
Je l’avais prévenu : « Je suis persuadé qu’ils vont se dégonfler, mais dans le cas contraire, j’ai
besoin de compter sur vous ».
« Pas de problème vieux !» m’avait il répondu ; il aimait s’encanailler dans le langage de temps à
autre ; saine thérapeutique ; parce dans sa fonction officielle il faut bien dire qu’il avait plutôt
l’air d’avoir avalé un manche de pioche, a moins qu’il ne se soit assis sur un truc encore plus
pointu ; bref :
Si le poids de la Rolls ; environ trois tonnes ; nous interdit ce créneau, celui des DE TOMASO
par contre, nous est grand ouvert.
Les gens n’aiment pas être mis au pied du mur ; viennent alors toutes les objections techniques
possibles et imaginables.
Je les réfute une a une ; puis, vient la question coût de lancement.
Je venais de racheter une minuscule rente d’incapacité liée à un banal accident de travail ; je
mets le chèque sur la table ; on va voir ce qu’on va voir !
Ben on a vu ; y’s’ sont pas dégonflés.
Me voici piégé à mon propre piège, acteur principal de la plus vieille comédie du
monde: «l’arroseur arrosé ».
Ça n’est même pas pour ne pas perdre la face, mais, en bon rationalistes, n’ayant pu trouver
d’objection valable, ils ne voient aucune raison de se récuser ; je pense que ça ne leur est même
pas venu a l’esprit.
Quant à moi, c’est bien pour ne pas perdre la face.
Donc ……. opération sur orbite.

Pour présenter une remorque aux mines, il faut qu’elle soit chargée, or celle ci est un porte
voiture ….. un peu spécial ; pas de plateau et, devis de poids oblige, deux échelles en guise de
chemin de roulement ; extrêmement léger, mais impossible à reconvertir.
Yves présente donc l’engin affublé d’une vieille camionnette chargée de ciment en guise de lest.
Les amarres cassent et le chargement se retrouve au milieu de la piste d’essai ; la camionnette se
désagrège et le ciment se répand; l’ingénieur des mines est furieux ; nous n’aurons pas a
balayer…lui..si !.
Bon début !
Deuxième tentative, même camionnette, un peu mieux arrimée….. Insuffisance de freinage !
Les tubes hydrauliques souples que nous avait fourni le fabricant de caravanes se dilatent et nous
font perdre la pression ; accessoirement, je me demande comment freinent lesdites caravanes.
Bref, nous raccourcissons les tubes, remplaçons les parties droites par des tubes rigides et, cette
fois ci ça marche, de justesse, mais ca marche ; accouchement difficile, mais résultat atteint.
L’ingénieur des mines nous délivre, a contre cœur, mais nous délivre tout de même …. le
précieux document.
Bon maintenant, il faut passer aux choses sérieuses ; nous avons le camion, la remorque et le
contrat, ya plus qu’à s’y coller, …. Mais qui va s’y coller, et sous quelle forme ??
Yves, tu as eu l’idée, à toi l’honneur.
La compagnie ? Nous n’avons pas les fonds nécessaires pour faire mieux qu’une SNC ; Société
en nom collectif dans laquelle tout le monde est responsable sur ses biens propres ; vaudrait
mieux pas s’planter.
La dénomination s’impose d’elle même: Yves Millérioux et Cie.
Yves est à la fois le gérant et le chauffeur ; Jean Pierre et moi….. Compagnie.
Yves démissionne donc de son poste a l’UTAC et prend la route.
Bon, je m’en tire a bon compte, je n’ai pas a me préoccuper de la suite, Yves est un grand
garçon, parfaitement capable de se débrouiller tout seul.
De toutes les façons, c’est pas mon truc, je me sens très confortable dans ma position de quasi
fonctionnaire.
A coté de ça, le seul truc qui me chiffonne pour le moment, c’est la personnalité de mon chef de
service qui prend un malin plaisir à me faire refaire mes rapports encore et encore ; mais bon, il
est pointilleux…chacun ses défauts, je fais avec.
Je fais avec jusqu'à ce que je m’aperçoive un jour qu’il prend un malin plaisir a remplacer

certaines des phrases de ma dernière édition par celles d’une de mes précédentes versions qu’il
avait rageusement biffées a l’origine.
Là, c’est carrément du vice.
Ce Breton commence à m’énerver.
Je dois dire que je n’entends pratiquement plus parler d’Yves jusqu'à ce qu’il m’annonce qu’il
doit déposer le bilan.
Les raisons ?
Il n’y arrive plus, il n’arrive pas a trouver le fret de retour qui lui permettrait de joindre les deux
bouts etc ... etc…. En fait, il en a marre.
Il n’est pas fait pour ça ; c’est un ingénieur brillant comme je l’ai déjà dit, mais ça n’est pas un
chef d’entreprise ; et moi, pas davantage.
De plus, comme je l’ai déjà mentionné, notre remorque ne se prête qu’au transport de voitures ;
pas facile de trouver du fret de retour ; a l’époque ; pas de cellphones ; impossible d’être a la fois
sur les routes et chercher du fret.
Là, je commence à me sentir mal à l’aise ; comme je l’ai déjà dit, nous sommes responsables sur
nos biens propres.
Bon, tachons d’évaluer les dégâts.
En fait, pas de dettes ; donc nous pouvons fermer boutique sans bruit ; après tout ça n’était
qu’une simple expérience sans plus.
Qu’est ce qui m’a pris de vouloir aller plus loin ?
Vous est il jamais arrivé, lorsque tout semble aller de travers, de vous demander, bon sang !
Où diable ais-je donc dérapé ?
Qu’est ce qui m’a fait sortir de ma confortable routine ?
D’où me vient cette foutu galère ?
Je me plaisais a imaginer, jusqu'à récemment, qu’une simple petite phrase, un simple mot, ou un
événement a priori insignifiant pouvait avoir déclenché cette irréversible avalanche de
nonsenses ; vous savez, comme lorsqu’on roule trop près du bord sur une route de montagne ; il
suffit d’un caillou pour faire dévier la trajectoire et vous expédier au ravin.
Vous n’y pouvez rien ; juste limiter les dégâts tout en dévalant la pente.
Mais là … non, a tout instant j’aurais pu tout stopper et réintégrer en douceur mon petit univers
tranquille de quasi fonctionnaire.
J’ai toujours eu le choix.
Il me suffisait de dire, parfait, comment fait on cela ? Qu’est ce qu’on fait de l’attelage ?
Et, deux ou trois autres trucs du même acabit plus tard ;
de me rendormirrrrrrr.
Au lieu de cela !
DOMOBILE

Ma position à l’UTAC devient de plus en plus inconfortable ; je suis en conflit quasi ouvert avec
mon chef de service ; le tout au milieu d’une sorte de guerre d’influence interne entre les deux
principaux acteurs Utaciens
.
Et puis j’en ai plus qu’assez ; je suis un technicien dans l’âme, pas un politicien.
Les ronds de jambe aux bailleurs de fonds me font mal aux genoux.
Un certain Jeudi matin, mon oncle préféré et néanmoins honnête politicien (pléonasme ? Ah
bon!) m’appelle pour je ne sais quelle raison et je craque.
Après avoir vomi toute la rancœur que je garde en moi depuis des lustres, je lui balance tout de
go, sans réellement l’avoir seulement pensé, « Tu devrais me dénicher un poste de fonctionnaire
peinard dans ce tout nouveau ministère que notre bien aimé gouvernement vient de pondre ».
Simple boutade.
Et puis, ca me sort totalement de l’esprit.
Quelques semaines plus tard ; coup de téléphone.
« Monsieur Chavant » ?
Oui !
« Kasandjian, environnement ; J’aimerais vous voir, assez rapidement si possible ».
A vrai dire je suis sans doute surpris du caractère inhabituel de cette demande, mais étant en
charge des homologations anti pollution norme européenne, je travaille fréquemment sur des
dossiers de ce ministère.
Souhaitez vous venir a l’UTAC ou voulez vous que j’aille au Ministère ?
« Compte tenu du caractère de notre entretien, il serait préférable que vous vous déplaciez ».
Wow, quelle connerie ais-je donc encore faite ?
Bon, j’informe mon chef de service et j’obtempère.
Vous savez quel est mon problème ?
Je n’ai jamais su dire « non !!! »
En vérité, je n’ai jamais
« Osé » dire non.

ENVIRONNEMENT
Ou……
QUALITE DE LA VIE ?
Donc, je me rends la queue basse à ce tout nouveau ministère de l’environnement sans avoir la
moindre idée de la raison pour laquelle.
Monsieur Kazandjian, chargé de mission, me reçoit fort civilement et, après m’avoir interrogé
sur mes études, mon expérience professionnelle et quelques autres choses, il m’annonce tout de
go:
« Voila, nous allons ouvrir un poste contractuel d’ingénieur dans le cadre des règlementations
Européennes bruit / pollution ; et notre ministre m’a clairement fait savoir qu’il aimerait que ce
soit vous qui l’occupiez »
Ah bon, là je comprends mieux ; oui, parce que ce genre de poste est généralement réservé au
sérail ; Polytechnique, Mines, ponts et chaussées et éventuellement Centrale ; très rarement aux
Arts et Métiers et Jamais a ma connaissance au Conservatoire National des Arts et Métiers ;
surtout quand on n’a pas pris la peine de présenter sa thèse.
Mon oncle avait donc pris ma boutade très au sérieux !
« Mais nous nous trouvons face à un léger problème »
?????
« Ce poste est la contrepartie d’une subvention accordée à l’UTAC qui doit mettre un ingénieur
à notre disposition ; et nous savons que Monsieur Le GUEN a déjà postulé. »

Sympa ! Me voila en compétition avec mon chef de service ; il m’aimait déjà moins que beaucoup,
là, il va surement m’adorer.
« Débrouillez vous pour être nommé à sa place car nous ne pouvons rien faire officiellement ;
compte tenu des appuis que vous semblez avoir, ça ne devrait pas être trop difficile »
!@#$!@#!$%^!!!??
Pas du tout habitué à ce type de magouilles politicardes je n’ai aucune idée de comment réussir
ce tour de force.
Qui suis-je, moi, dans cette boite ? Un tout petit ingénieur que tout le monde ignore ; c’est tout
juste si le « big boss » se souvient de mon nom.
Quelle ficelle vais-je bien pouvoir tirer ?
J’enrage ; si près du but et … pouf, démerde toi….merci tonton !
J’ai pourtant pas envie de laisser passer ça.
Jouant mon vatout, je rends visite à l’ennemi juré de mon bienaimé patron, j’ai nommé le
patenôtre Thierry, et lui déballe toute l’histoire…qui l’amuse beaucoup.
Il ne peut évidemment pas résister a l’envie de jouer un sale tour a son alter égo ; il va être mon
ambassadeur auprès de la direction….et ça marche.
Moins d’une semaine après, je suis convoqué au sein des seins.
Monsieur Chapoux, distingué directeur général de L’UTAC s’étant curieusement souvenu que
nous étions tous deux originaires du même coin du massif central, se fera, dit il, un réel plaisir de
donner un coup de main à un « pays ». Tien, il s’est même souvenu de mon nom cette fois ci …
Intéressant !
C’est clair, Le Breton, c’est quand même l’étranger, non ?
Pour un auvergnat.
Il avait assurément pris soin de passer un coup de fil … tout ce qu’il y a de plus privé … à
Kasandjian lequel, avec la profonde honnêteté qui l’a toujours caractérisé, ne peut que, tout a fait
officieusement bien sur et sous le sceau du secret, confirmer ma version en y ajoutant le petit mot
du ministre.
Dans l’intervalle, alors que le résultat des négociations en cours était pour moi encore incertain,
la météo s’était sérieusement gâtée entre le Breton et moi.
Lors d’un retour aéroporté d’Allemagne au cours duquel nous avions tenu quelques propos aigre
doux, je n’ai pas pu m’empêcher de lui déballer, preuves à l’appui, ma rancœur.

Par ailleurs, La société Millérioux et Cie dont j’étais devenu entre temps, a mon corps défendant,
le gérant, sous l’impulsion d’un très efficace, mais quelque peu inquiétant personnage dont je
parlerai plus tard, commençait prendre une toute nouvelle tournure.
Il fallait que je règle définitivement le problème UTAC et ce, au plus vite, d’une manière ou
d’une autre.
J’ai toujours été un vilain et parfois, pour ne pas dire toujours, irréfléchi provocateur.
Jusqu'à présent, je venais discrètement au travail au volant d’une vieille 2CV brinquebalante,
conforme a mon image du moment, mais, cette fois ci, la mesure étant comble, un beau matin, je
débarque au volant de la splendide BMW 2500 toute neuve que j’avais eue en prime avec un
miraculeux contrat de transport entre la SATEM et Millérioux et Cie.
Je la gare tout a coté de la plus toute jeune 404 de mon futur « ex patron ».
Eclats de rires sur tout le campus.
Comme tout le monde le sait, si le ridicule ne tue pas, il a tout de même une fâcheuse tendance a
sérieusement meurtrir.
Je viens donc de me faire un mortel ennemi qui va œuvrer bec et ongles pour que je n’obtienne
pas ce foutu poste.
Et puis… le verdict tombe : je représenterai l’UTAC au ministère ; le petit mot du ministre étant
sans doute ce qui fit la différence.
Le Guen enrage et menace l’UTAC des sept plaies de l’Egypte si j’entre en lice.
Très franchement, je ne comprends pas très bien son acharnement à me mettre les bâtons dans les
roues. Les Bretons, tout comme les Auvergnats du reste, sont têtus sans doute, mais pas
forcément stupides.
C’est pour moi aussi étrange, qu’étrange est l’attitude totalement opposée du sieur Chapoux.
J’avais décidément bien des choses à apprendre au sujet d’intrigues de couloir.
Mon bureau au ministère n’étant pas encore prêt, Monsieur Chapoux m’installe au siège de
l’UTAC, à Paris ; il trouve sans doute plus prudent de m’éloigner un tant soi peu du champ de
bataille.
Je pensai sur l’instant qu’il voulait m’éviter la colère bretonnante, mais je crois bien en fait que
c’était le contraire ; il craignait que ce dernier ne commette a mon endroit quelque exaction qui
pourrait m’inciter a…… !
Mais m’inciter a quoi au fait ?
Devinez quoi !

Une partie de mon travail au ministère allait consister à gérer les subventions destinées à
l’UTAC ; je ne le savais pas encore, mais lui … si !
De ce fait, le sieur Le Guen était évidemment le mieux placé pour savoir que je pouvais avoir
quelques raisons d’être revanchard.
Fi donc !
Son humiliation me suffit largement ; et de toute façon L’UTAC n’est pour rien dans notre
différent.
Je m’installe donc provisoirement dans le vaste bureau de la secrétaire du maitre de céans,
Mademoiselle Verret, une bonne cinquantaine, jamais mariée et a première vue éperdument, quoi
que très platoniquement, amoureuse de son patron.
Je ne sais pas pourquoi mais chaque fois que je pense a elle, je ne peux m’empêcher de
l’assimiler au personnage central des « dames aux chapeaux verts », le célèbre roman de
Germaine Acremant que je n’ai du reste jamais lu. Que voulez vous, les mots génère souvent des
images.
Cela dit, mis a part cette inconditionnelle admiration, c’était réellement ce qu’on a l’habitude
d’appeler « une bonne personne ».

Cailloux, choux, genoux, hiboux, joujoux,
… Chapoux
Ou
Où il était question de Légion d’honneur.
Un beau matin, arrivant à notre bureau temporairement commun, je trouve notre damoiselle
profondément abattue.
Vous rendez vous compte, me dit elle entre deux sanglots, c’est la quatrième fois que Monsieur
Chapoux se voit refuser la légion d’honneur ; pourtant il la mérite bien, avec tout ce qu’il fait
pour ces messieurs de l’administration.
Dans ma naïveté primale, je pensais que la légion d’honneur était attribuée au mérite, j’ignorais
qu’il fallait en plus en faire la demande, ce qui a mon humble avis lui retire tout de même un
p’tit’ peu de son prestige.
Il doit bien y avoir une raison à ce refus, que se passe-t-il donc mademoiselle ? Je suis sur que
vous le savez !
Je crois, me dit alors l’accorte personne que, lors d’un cocktail au ministère de l’industrie,
Monsieur Chapoux a eu un propos, oh pas bien méchant, mais toutefois un peu leste, a l’endroit
de l’épouse d’un des membres du comité.
Et quel membre ! Rien moins que le président.
Décidément j’suis pas l’seul à faire ce genre de connerie.
Il faut bien dire que quoiqu’originaire d’une province qui nous a donné bien des chefs d’état,
Monsieur Chapoux n’était pas pour autant connu pour sa délicatesse.
Je passe un discret coup de fil à mon oncle.
Peut être qu’après tout s’il a pu me faire entrer au ministère de l’environnement, il peut pt’èt’
aussi donner un petit coup de pouce.

« Je me renseigne et je te rappelle » !
Après quelques minutes :
« Dis lui qu’il m’appelle, j’ai besoin de quelques renseignements » !
Je grimpe quatre à quatre l’escalier qui mène au sanctuaire, frappe, et, tout de go :
« Monsieur Chapoux, mademoiselle Verret vient de me faire part de votre infortune à l’ endroit
de votre légion d’honneur ; peut être puis je vous être de quelque utilité. »
Je sens poindre quelque embarras ; devoir sa légion d’honneur à un subalterne ne l’enchante
évidemment pas ; il veut bien être condescendant, mais tout de même pas fraternel.
D’un autre coté, la perspective d’un certain ruban de couleur l’incite à se montrer magnanime ;
d’autant que je ne suis plus tout a fait un subordonné.
« Permettez que je passe un coup de fil ? »
Il permet ; je joue donc les interfaces, et tout en passant sous silence quelques plaisanteries
quelque peu douteuses dont mon oncle est friand.
J’établis le contact ; les deux compères s’accointent et je me retire.
J’ignore encore si c’est grâce à l’intervention de mon oncle ou simplement au cheminement
normal d’un processus purement administratif que, quelques mois plus tard, notre Monsieur
Chapoux arbore fièrement sa médaille ; mais ce qui est sur, c’est qu’il ne m’adressera plus
jamais la parole, allant même jusqu'à changer de trottoir si d’aventure il nous arrivait
d’emprunter en sens inverse le même chemin.
Première leçon : Un bienfait ne reste jamais impuni !
Quelques jours plus tard j’intègre mon bureau définitif avenue de Neuilly.
Exit UTAC

Vous avez noté, j’en suis sur que, dans l’intervalle, j’ai écopé de la gérance de Millerioux et Cie.
J’ai pas eu vraiment le choix ; en tout cas c’était mon sentiment à l’époque.
Yves, lassé d’une expérience qui, en fait ne lui apporte rien, sinon la certitude qu’il n’est pas fait
pour ça, ou plutôt qu’il est fait pour tout autre chose, se proposait donc de déposer le bilan.
Le seul terme de « dépôt de bilan » me file littéralement la courante et, refusant de voir les
véritables motifs de sa décision, je lui demande un sursis de quelques quinze jours pendant
lequel je vais m’efforcer de trouver des clients susceptibles d’assurer la pérennité de notre
œuvre.
Et je trouve !
Me voila reparti pour un tour, j’apporte le contrat a Yves qui, encore une fois coincé par ses
propres esquives va assurer avec succès le transport préliminaire mais qui, arguant que cela
prend une tournure qui ne lui convient pas se retire suivi par l’autre tiers de « Cie ».
Je crois que je leur fait peur, ils pensent que je suis fou.
Fou, peut être pas, inconscient en tout cas, c’est certain.
Me voila donc avec sur les bras :
- Une Compagnie de Transport a l’avenir pour le moins hypothétique.
o Un énorme contrat de transport
o Pas le moindre personnel
o Pas le moindre matériel
o Pas la moindre ressource financière
- Un nouveau job qui pour le moins me prend au dépourvu.
Et en prime, un collaborateur tombé du ciel qui, en dépit de son efficacité, ou peut être même a
cause d’elle, m’inquiète plus qu’il ne me conforte.
Je suis complètements dépassé.
J’ai du reste le sentiment d’avoir passé ma vie à être dépassé

MINISTERE DE LA QUALITE DE LA VIE
Sur mon séjour lui-même, il n’y a pas grand-chose à dire.
Seules quelques anecdotes éclairant d’un jour très particulier cette vie hors du monde de ces
Fonctionnaires qui nous gouvernent méritent d’être citées.
Pourquoi une majuscule a Fonctionnaires ? Oh ! Parce qu’ils la méritent.
Pourquoi « hors du monde » ? Parce qu’ils le méritent aussi.
Présidents et ministres paradent, aiment a diriger, ou plutôt a être perçus comme tels ; mais les
fonctionnaires eux, travaillent en secret, en sous main, presque en catimini, besogneux et sans
gloire au succès du grand œuvre ; cherchant à rendre effectives, parfois même efficaces, les
mesures même les plus insanes des puissants qui pérorent soucieux de plaire a la masse
ignorante.
De véritables artistes ; ils arrivent même à faire dire aux lois, pour le bien du bon peuple et fort
heureusement, exactement le contraire de ce pour quoi elles ont été votées.
Je ne parle pas des « grands fonctionnaires » directeurs de ministères et autres qui sont déjà à mi
chemin de la politique politicienne, mais de ceux qu’on dit si fainéant (vocable issu comme
chacun sait de « fait néant »).
Les petits, les sans grades comme le disait je ne sais plus quel génie de la plume ; qui ne sont du
reste pas si fainéants que ça.
Certes ils s’appliquent à ne pas dépasser leurs horaires.
Certes, ils n’ont pas l’habitude de se fouler les poignets ce qui du reste nuirait a leur
efficacité….Mais ils sont patients et efficaces…terriblement efficaces.
Ce sont sans doute les seuls a réellement se soucier du bien public ; car ils en font partie du
public, eux ; ils sont directement concernés.

On les dit privilégiés, et ils le sont dans une certaine mesure, rapport a l’emploi, mais ils ne font
pas partie de ceux dont le rang les met à l’abri des lois ou la fortune a l’abri du besoin.
De mon passage au Ministère, je n’ai pas de grands souvenirs ; la plupart du temps … travail
administratif de routine, cependant je retiendrai trois points ou plutôt quatre opérations et
quelques constatations.
La quatrième opération, qui fut pour moi la dernière, fut la « Campagne nationale CO-CO2 »
La Troisième Opération, quelque peu Ubuesque ; la ballade du moteur a eau ; une sacré ballade !
La seconde, bien que n’ayant rien à voir avec l’environnement, je l’ai conduite a partir du
ministère avec la bénédiction de mon patron, le regretté Kasandjian ; Le fiasco Iraquien ; fiasco
commercial j’entends.
La première, est une campagne anti bruit sortant un peu de l’ordinaire.
Et puis, je vais aussi vous parler d’un exercice burlesque qui se répète chaque année : la course a
l’attribution de subventions de fin d’année.
Quant’ aux constatations, je pense que vous pourrez les faire vous-même à la lecture de ce qui
suit.

Ce que tu sais faire tu le fais
Ce que tu ne sais pas faire tu l’enseignes
J’ai souvent entendu cette formule et j’avais, jusqu'à un certain jour, pensé que c’était juste une
mauvaise plaisanterie a l’endroit d’enseignants peu inspirés comme j’en avais quelque fois
rencontré.
La vie va se charger de me démontrer le contraire.
Le problème, c’est qu’j’sais rien faire !!
Quel bon enseignant je vais être !
Le pire, c’est qu’on a l’air de me trouver génial…..encore aujourd’hui !
C’est vrai qu’aux Etats Unis, paraître intelligent n’est pas trop difficile.
Merde, y font quoi les autres ?
Quand je regarde autour de moi, ya plein de gens qui semblent compétant et parfaitement sur
d’eux.
Ça me fout les boules !
Bon, j’ai plus qu’une chose à faire … Enseigner !....Tout et n’importe quoi ?
Je plaisante bien sur, je n’avais jamais songé à enseigner jusqu’au jour où….
Ben…. jusqu’au jour ou je me suis fait virer de mon poste au ministère !
Eh oui, ya des choses qu’on vous fait faire sous couvert du bien d’autrui, mais que vous n’avez
pas le droit de faire pour vous ; il semble bien que vous ne fassiez pas partie d’autrui!
C’est comme ça, c’est la vie.

Le ministère utilisait sans vergogne ma petite société de transport pour glaner des informations
qu’il n’aurait pas pu obtenir par voie officielle comme, par exemple, démasquer les fabricants de
camions spéciaux et de remorques sur mesures qui incitaient leurs clients a la surcharge.
Eh oui, très commode d’avoir sous la main une petite compagnie qui peut se faire passer pour un
client potentiel.
Ou bien, acheter des motocyclettes soupçonnées d’être mises illégalement sur le marché et se
porter ensuite partie civile… etc…
Mais, quand, pris par l’urgence, j’expédie en catastrophe à un de mes fournisseurs d’accessoires
personnel un courrier en utilisant une enveloppe à entête du ministère, tout simplement parce que
ça urge et que j’en ai pas d’autre sous la main….Scandale…et remerciement.
Enfin…remerciement officiel qui, parce que malgré tout, parait il, on a besoin de mes services,
se traduit simplement par un changement de structure d’accueil et de bureau.
Je fais toujours le même boulot, mais a partir de chez moi, et ma feuille de paye porte une autre
entête ; quant’ au chiffre inscrit en bas, il s’est plutôt arrondi avec avantages a la clé.
Pourquoi Kasandjian n’a-t-il pas plaidé pour moi ?
Ben parce qu’il était mort, tout simplement ; de mort naturelle, je précise, malgré son jeune âge ;
et qu’il était le seul avec le ministre lui-même, au courant de nos petites magouilles ; ministre
qui, du reste, venait d’être remercié … politique oblige.
Pourquoi donc tant d’acharnement ?
J’ai ma petite idée.
Une histoire de fausses factures qu’un de ces beaux messieurs du huitième étage m’a demandé
de faire passer par ma compagnie.
J’ai fait semblant de marcher…et les fausses factures se sont transformées en … Vraies factures.
Là encore, j’ai mal joué le coup….Une bonne dose d’inconscience, c’aurait pu être pire, un
accident est si vite arrivé ; bref je m’en tire à bon compte.
Qu’est ce que ça a avoir avec le fait d’enseigner ?
Rien, c’est juste pour situer l’époque.
Si j’étais officiellement resté au ministère, j’aurai tout de même enseigné.
Ça a commencé par une banale affaire de gros sous.

Raminagrobis
Kirsnovaz…ou….Kirsnevaz, avec le temps, j’me rappelle plus bien ; en tout cas surnommé KZ ;
un type très sympathique au demeurant qui par la suite s’est avéré faire partie du même club que
moi ; y pouvait donc pas être totalement mauvais !
Beaucoup de mérite, travaille dur ; propriétaire d’une petite société qui vend du matériel de
garage ; y’ se débrouille très bien au milieu de ce panier de crabes qu’est le milieu de la
réparation automobile ; mais il semble bien qu’il ait, un peu a la légère, investi dans ce qui aurait
du être d’un bon rapport, mais qui, du fait de la mauvaise volonté d’un gouvernement pour une
fois conscient de ce qui est souhaitable versus ce qui est légal ; s’avère être une sacré épine dans
le pied.
Mais notre Raminagrobis est futé et…. il sait lire.
Il s’avise du fait qu’une certaine loi antipollution, vieille de quelques cinq ans, n’est toujours pas
appliquée.
Il lance une interrogation à la fois au ministère de l’environnement ou je sévis et à la direction
des routes.
Mon ministre n’a pas d’autre alternative que de répondre « oui, il faut appliquer ! »
Il aurait peut être dû nous consulter avant, nous, les obscurs travailleurs de l’ombre.
Le directeur des routes, lui, plus prudent, estime à juste titre qu’il est un peu trop tôt et formule
une réponse en ce sens, erreur suprême, par écrit.
C’est bien ce sur quoi notre Raminagrobis comptait.
Il s’en vient tout de go porter, escorté par un célèbre reporter automobile si j’en crois la rumeur,
les deux papiers sur le bureau de notre premier ministre tout neuf : Alors…on fait…. ou on fait
pas ?

Que voulez vous qu’il répondit ?
On fait !
J’étais encore en poste à ce moment là ; et toujours aussi peu diplomate.
Je ne cachais pas à mon nouveau patron ma manière de voir. « Stupide ! » éructais-je, « un
analyseur de gaz nécessite un ingénieur trois techniciens et un maximum de précautions,
imaginez ce que ça va donner entre les mains d’un garagiste » ; et je me retrouve illico a
mesurer, un brumeux soir de pâques, les bruits d’avions au bout des pistes d’Orly.
Il semble bien que mon opinion, s’il m’arrivait d’en faire part haut et fort, risquait fort de
contrecarrer les ambitions politiques du jeune et tout nouveau chef du département bruit
pollution qui avait vu là une excellente occasion de se pousser du col.
Un certain hôpital se plaint, parait il, de bruits qui n’auraient pas du être puisqu’aucune
trajectoire aérienne n’est censée passer à proximité.
Bref, cela doit requérir, me dit on, toute mon attention.
J’avoue que sur l’instant, ça ne me plait pas trop ; puis, je me dis après tout, amusons nous un
peu.
J’emprunte à l’UTAC une estafette, trois cinéthéodolites qui vont me permettre de tracer avec
précision la trajectoires des avions en partance, et un analyseur de fréquences grâce auquel je
vais pirater, et bien sur enregistrer, toutes les conversations entre la tour de contrôle et les
pilotes.
Très instructif !!!
Il faut savoir qu’à l’époque, les pilotes recevaient des primes à l’économie de carburant ; or, les
procédures antibruit rallongeant les trajectoires, rallongeaient par la même occasion, les
consommations.
Nos chevaliers du ciel raccourcissaient donc, de leur propre chef, avec, bien entendu
l’accord….ou peut être même la complicité, des aiguilleurs de ce même ciel, leurs trajectoires.
Très curieusement les seuls équipages à respecter les procédures règlementaires étaient ceux de
l’Aeroflot.
Peut être n’avaient ils pas été conviés au festin ; notre France de l’époque n’était pas très
communisante.
De retour au bercail, je dépose mon rapport sur le bureau du patron.
Le jour suivant je reçois cet intéressant coup de téléphone.

Monsieur Chavant, nous avons eu un regrettable accident au garage ; l’une de nos estafettes a
brulé.
Pourquoi donc pensais-je immédiatement que c’était précisément celle dont je m’étais servi la
nuit précédente ; laquelle, bien évidemment, eu égard a la fois a l’heure tardive et au respect de
la trêve pascale, n’avait pas été déchargée ?
Pas de preuves, pas d’action.
Je suppose que si j’avais pris les bandes avec moi, il y aurait eu un court circuit dans mon tiroir.
Les voies du seigneur étant impénétrables je m’étais donc gelé le cul rien que pour le plaisir.
Par contre je n’ai plus jamais entendu parler de bruits d’avion.
Et puis, un beau matin de printemps : Monin !
Eh oui, il s’appelle Monin, mon nouveau boss.
« J’y comprends rien ! y me racontent n’importe quoi ».
Moi écarté du système, il avait continué tout seul : Objectif : équiper, avec la bénédiction de la
profession, des garages que je n’hésiterai pas à nommer privilégiés, d’analyseurs de gaz afin que
la directive européenne dont je ne me souviens plus le numéro soit effective.
Et que, par la même occasion notre Raminagrobis de service ; j’ai nommé notre KZ de célèbre
mémoire ; puisse écouler sa marchandise et que lui-même, Monin, puisse arborer a sa
boutonnière un ruban de couleur qu’il n’avait pas encore.
Me voici donc de retour dans le cirque.
La machine est lancée, il va maintenant falloir limiter les dégâts ou l’antipollution risque d’avoir
ses martyrs.
Malheureusement, nous ne pourrons pas l’éviter, mais ceci est une autre histoire.
Autour de la table ? De tout !
Vieux renards de l’automobile ; présidents de syndicats ; accessoiristes KZ en tête ; journalistes
professionnels et j’en passe. Ah, une tête connue patron des stations Solex parisiennes, Ingénieur
des Arts et métiers.
Celui là sera ma cible.
Nous sommes supposés parler le même langage ; en tout cas, c’est ce que nous allons faire. Ils ne
s’attendent pas à ce qu’au sein d’un ministère, il y ait un professionnel sorti du rang.
Je connais bien ce genre de personnage ; lorsqu’on en vient à parler technique d’égal a égal, c’est
plus fort qu’eux, y peuvent pas être totalement malhonnêtes.

Par contre, ils connaissent bien ces fonctionnaires issus de polytechnique et ne les apprécient pas
beaucoup ; des théoriciens ; ils leur sortent l’éternelle complainte : « Oui, bien sur, c’est bien ce
qui se passe en théorie, mais la pratique, monsieur, la pratique c’est tout autre chose. » ; et
d’habitude ça marche.
Si le polytechnicien est capable d’envoyer un vaisseau sur la lune, ce que ne sait pas faire un
modeste ingénieur comme vous et moi, quand il s’agit de se servir d’une clé à molette, y sait pas
trop par quel bout la prendre et a tendance à perdre sa superbe et craignant de perdre en plus sa
crédibilité, il s’écrase …. enfin, les plus intelligents d’entre eux.
« Laissez moi au fond de la salle et surtout ne me présentez pas, j’interviendrai le moment
venu ».
La séance commence et je m’amuse un max. Coté roulage dans la farine c’est un must.
Notre ami de Solex commet alors l’erreur de pousser le bouchon un peu trop loin, c’est le
moment.
« Vous êtes un Gad’s’arts si je ne m’abuse, je suis moi aussi quelque peu ingénieur assez tourné
vers la pratique ; conservatoire des arts et métiers; nous parlons donc le même langage et vous
savez aussi bien que moi qu’il n’y a aucune raison pour qu’un carburateur de dernière
génération se dérègle si on ne l’aide pas un tout petit peu ; puis : Excusez moi, j’ai oublié de me
présenter ».
Tout y passe : pédigrée automobile, brevets américains en carburation, recherches antipollution,
laboratoire d’état ; la totale quoi ; et ça marche ; un peu d’esbroufe n’a jamais fait de mal a
personne.
Ils se sentent largués, ils sont coincés ; ils sont allés top loin pour rebrousser chemin ; et puis, ils
espèrent tous faire parti de ces privilégiés qui toucheront la grosse galette ; ils vont collaborer.
Le seul truc, c’est qu’y savent pas trop comment s’y prendre, loin du cambouis, ils sont aussi
perdus que nos polytechniciens loin du papier.
Le véritable travail va commencer.
Au fur et à mesure des jours qui passent je touche du doigt la profonde méconnaissance
technique de tous ces personnages. Ils ont un demi-siècle de retard.
Ils se débattent becs et ongles, ils arrivent même a me faire douter de mes propres connaissances
et Monin n’est pas loin de se ranger a leurs cotés.
Je fais alors appel à l’autorité supérieure.
Je demande a Magot Cuvru, titulaire de la chaire de mécanique des fluides de l’université de
Lille et assistant du Professeur Serruys lui-même non seulement titulaire de la chaire de moteurs
du conservatoire, mais également enseignant a l’école centrale.
Il me fallait à tout le moins récupérer Monin dans mon camp.

La encore, ça marche et je récupère, non seulement l’auditoire, mais aussi ma propre confiance
en moi et, croyez moi, je commençais à en avoir besoin.
La profession alors se déboutonne ; « nous, on sait, on est la crème de la profession, mais les
autres ? »
Ben voyons !
Même Monin commence à voir sa légion d’honneur disparaitre à l’horizon ; il faut sortir de
l’impasse, une fois de plus, on est allé trop loin.
« Créons une école. »
« Ils ne se déplacerons pas, ils ne peuvent pas laisser leur atelier comme ça »
« Qu’a cela ne tienne, c’est l’école qui se déplacera »
J’ai décidément l’art des phrases a l’emporte pièce et j’ai toujours pas compris la leçon ; pas
étonnant que ça me retombe sur le nez.
« Oui, mais comment ? »
J’improvise.
On fera financer la formation par les fonds de formation professionnelle, mais il faudra que
chacun y souscrive.
« On s’en charge »
C’est une procédure complexe sur laquelle je ne m’étendrai pas mais qui permet aux artisans qui
n’ont pas suffisamment de crédit formation de bénéficier de fonds inutilisés par des structures
plus importantes ; lesquelles préfèrent les donner à la profession plutôt que de les reverser au
gouvernement et surtout de les utiliser.
La formation continue n’est pas en odeur de sainteté dans les entreprises ; il ferait beau voir que
les employés en sachent plus que le patron.
Il se trouve que notre ministre est lui-même un ancien garagiste ; il approuve le projet.
Il nous faut maintenant trouver des enseignants, non seulement compétents, mais aussi crédibles
pour la profession.
Plusieurs vendeurs de matériel de garage se portent volontaire ; ils sont universellement connu
et respectés par les mécaniciens à qui ils donnent souvent de précieux conseils ;
malheureusement ce ne sont pas des enseignants.
Enseigner est un métier ; un métier délicat et difficile.

Le ministre décide alors de donner à ces professionnels une nouvelle corde à leur arc ; il va leur
faire suivre une formation accélérée de formation de formateurs.
Formation a laquelle il me demande de participer.
Trois voitures, une équipe de six intervenants et tout l’équipement de mesure sur lequel nos
aspirants contrôleurs vont devoir être formés.
Et puis….
Et puis je me fais virer !
En fait non, c’est beaucoup plus simple que ça, on ne renouvellera pas mon contrat sur l’UTAC
dont je suis toujours salarié.
Problème ; si je retourne à l’UTAC, je suis hors du coup et Monin a toujours besoin de moi.
Il me fait démissionner de l’UTAC et met en place le même type de contrat avec une structure en
loi de 1901 parfaitement inconnue, a peine existante, plus souple et plus facile à manipuler que
l’UTAC trop impliquée avec les constructeurs automobiles.
Structure à qui, par la même occasion, il confiera, un peu à la légère, la gestion de toute
l’opération.
L’aventure va alors prendre une tournure hautement démagogique, quasi méphitique, et le
système va s’accélérer au delà de toute imagination.
Il est clair que personne, moi y compris, n’avait imaginé les implications et conséquences de
cette opération.
La structure ? La fondation « Sauvons l’Avenir »
Obscure et farfelue fondation au nom hautement ridicule.
Le porte parole de la structure ? François Soriano ; un requin patte de velours sans grande
envergure mais avec un bagout de vendeur de chaussettes et de grandes ambitions.
Il sait convaincre.
Il saura surtout dans certaines circonstances, convaincre les autorités, qu’il n’est pour rien dans
tout ce qui arrive et qui s’est passé dira t’il, derrière son dos.
On croit rêver.
Oh !! Il a cependant une grande qualité : il est gendre de sénateur et la structure qu’il dirige est
affublée de l’indispensable numéro de formation professionnelle qui lui permet d’une part
d’obtenir des subventions gouvernementales et qui d’autre part l’autorise à puiser dans les fonds
de formation dont je parlais plus haut.

Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.
On pourra s’équiper et nos séminaires ne coûteront pas un sou à nos garagistes ; la vie n’est elle
pas merveilleuse ?
Les brigades de police et de gendarmerie impliquées en tant que « brigades anti-pollution » ne
verront pas les choses d’un si bon œil ; avant que de sévir, elles vont devoir travailler.
Nous allons nous faire les dents sur celles de la région parisienne, et c’est à Paris que nous ferons
les premiers tests.
L’un de ces estimables pandores me dira à l’issue de cette première session « C’est bien de
vouloir faire avancer les choses, mais ils feraient mieux de nous acheter des rubans pour les
machines a écrire toute neuves qu’ils nous ont acheté »
Ça ne manque pas de bon sens.
En fait, je crois avoir déjà entendu ça quelque part : «Nous sommes prêts monsieur le président ;
Il ne manque pas un seul bouton de guêtre ».
Donc, rien de bien nouveau sous le soleil.
Mais, me direz vous, « vous alliez enseigner quelque chose que vous connaissez bien ».
Oui et non.
J’avais effectivement deux brevets internationaux à mon actif et j’avais également dessiné des
chambres de combustion spéciales, mais c’était dans le domaine de la recherche pure.
La réparation automobile c’est tout autre chose.
Les voitures que vous et moi achetons dans le commerce ont souvent bien peu de choses à voir
avec ce qui sort de nos cartons.
Nous travaillons dans l’absolu, mais les ingénieurs de fabrication qui passent derrière nous
doivent adapter nos trouvailles à une réalité pratique et…rentable
En fait, je n’étais même pas censé enseigner sur ce coup là ; je devais simplement être présent
pour éventuellement soutenir l’équipe.
C’est plus tard, beaucoup plus tard, que j’ai enseigné ce que je n’avais jamais pratiqué ; en tout
cas, consciemment pratiqué et que j’ai pu maîtriser, grâce a mes étudiants.
Eh oui, les étudiants posent de questions et des problèmes que vous avez à résoudre ; ils vous
obligent à réfléchir.
Le truc consiste à donner la question au groupe « à travailler pour la séance suivante ».

C’est comme ça que m’est venu la formule qui m’a caractérisé tout au long de ma « carrière »
d’enseignant : « Vous avez un cerveau…Utilisez le ! »
Non seulement ça vous donne du temps, mais, dans 99% des cas, ce sont les étudiants qui vous
donnent la réponse.
Ils sont en général bien plus futés que vous.
De plus ils ne doutent pas un instant que vous la connaissez cette foutu réponse et, en prime,
vous leur donnez la meilleure formation qui soit : les entraîner à réfléchir.
Mais, une fois de plus, ceci interviendra bien plus tard.
Pour l’instant, je maîtrise assez bien la question mais il n’est pas question que j’enseigne quoi
que ce soit.
Arrive le grand jour ; trente cinq professionnels, les pire qui soient ; des présidents de syndicat.
Connaissez-vous la loi de Peter ?
« Tout individu tend en permanence vers son niveau maximal d’incompétence ».
Celle là, c’est pas moi qui l’ai faite.
Eh bien, les présidents, c’est ceux qui sont arrivé au sommet.
Ils clament haut et fort qu’ils savent tout sur tout - bien sur puisqu’ils sont présidents - mais sont
depuis longtemps dépassés.
De plus, il ne faut pas qu’ils perdent la face sous peine de perdre aussi leur présidence….Les pire
qui soient vous dis-je.
Donc ; levé de rideau moins trente secondes …. Notre enseignant vedette s’écroule … Crise
cardiaque !
Ça commence bien.
Nous n’avions évidemment pas prévu ça. Chacun connait sa partition mais pas celle des autres.
Quant a moi, je n’ai pas de partition bien définie, mais je suis sensée être le cerveau.
La confusion qui règne a la suite du malaise de notre camarade, connu et apprécié de tout le
monde nous permet a Zundel et a moi de faire le point de la situation.
La conclusion est simple comme le dit Zundel, « Tu es le seul à maîtriser complètement le sujet,
de plus, coté enseignement, tu as suivi la même formation que nous ; c’est à toi de t’y coller ».
Comme quoi, une réputation peut parfois vous jouer de sacré tours.

Il ajoute : « je vais faire traîner l’introduction, ça va te donner le temps de te préparer ».
Merci patron !!
Ça redémarre…plutôt bien ; Jean Claude … Oui, notre ami et néanmoins chef de mission, le
susnommé Zundel se prénomme Jean Claude ; Jean Claude donc,… a un incroyable charisme ;
avec le défaut, parfois, d’en faire parfois un peu trop.
Cette fois ci, il tartine. « Ils ne te connaissent pas, il faut qu’ils aient confiance »
Certain de ces présidents étaient présents a la fameuse séance ou j’ai cloué le bec au digne
représentant de Solex.
Ils savent que je peux avoir la dent dure.
Ils n’ont pas envie de perdre la face devant leurs ouailles.
Ça va les transformer en statue.
Ils vont nous jouer la carpe encore mieux que Schubert et ça va pas faire avancer le dialogue !
J’attaque : Réglage du ralenti sur un carburateur antipollution.
C’est un peu brutal, mais il me faut générer des questions.
Silence dans la salle.
Un peu inattendu de la part de garagistes, même pas un qui veut faire le malin.
« On règle le papillon tangent au premier trou de progression »
Re silence dans la salle.
Y veulent pas poser de question, je vais donc le faire a leur place.
« Tangent par en dessus ou par en dessous ? »
RE RE silence.
Puis une main se lève au fond de la salle « C’est quoi ... un trou de progression ? »
Là, j’ai tout de même la nette impression qu’on se fiche de ma poire.
Tennis..Je renvoie la balle « qu’est ce que j’en sais moi, c’est vous les professionnels »
Les vieux de la vielle restent obstinément muets, j’enchaîne,
« qui peut nous expliquer ce qu’est un trou de progression ? »
Tout le monde se regarde, puis, y en a un qui s’décide. « Bien sur qu’on sait qu’ y’a des trous de

progression, mais on sait pas a quoi ce sert ni comment ca marche. »
Les présidents ne protestent pas. Ils nous avaient pourtant affirmé que pour eux, tout le monde
bouffait du « Beau de Rochas » au petit déjeuner.
Il nous va donc falloir revoir notre copie.
Pendant la première pause, Jean Claude et moi réorganisons le séminaire ; pour cette séance,
nous allons faire passer la connaissance du matériel au premier plan ce qui va me donner le
temps de bâtir ma propre intervention.
J’avais toujours pris les mécaniciens automobiles pour des escrocs à la petite semaine, c’est bien
pire, ils sont foncièrement honnêtes mais ils ne savent pas.
L’un d’entre eux, sympathique alsacien, proclamera lors d’une session suivante : « C’est vrai,
y’a des fois on répare une voiture, elle marche, mais on sait pas pourquoi, c’est un véritable
miracle ».
Froid dans le dos !
Il est donc évident que nos mécaniciens n’ont aucune idée de comment fonctionne un moteur ; ils
procèdent par « recettes de cuisine ».
Je vais repartir à zéro avec des dessins humoristiques à l’appui ; et ça marche ; ils ne sont pas
stupides, loin de là ; c’est juste qu’on leur a jamais apprît.
Mais comment, me direz vous, ça a pu marcher jusque là ?
C’est simple ; avant qu’on ne parle de pollution, dès lors qu’on le gave d’essence, un moteur
pardonne à peu près n’importe quel mauvais réglage, la seule sanction est la surconsommation.
Par contre lorsque le spectre pollution pointe son nez, on doit doser au plus juste, à la limite de
l’extinction des feux et un mauvais réglage de par ses conséquences peut s’avérer mortel.
J’avais prédit que l’anti-pollution aurait ses martyrs, elle les a eu … moteur qui cale lors d’un
dépassement….. voiture qui ralentit alors qu’elle est supposer accélérer pour éviter l’obstacle
etc...etc…
Et le pire, c’est que ces accidents ont toujours été attribués à la maladresse et a l’imprudence des
conducteurs.
Le piège est que, pour la plupart des meccanos, le mauvais réglage du carburateur est à l’origine
du surplus d’émission d’oxyde de carbone alors qu’en fait, l’état du système d’allumage y joue
un rôle prépondérant.
Donc, la plupart du temps, on ajoute à une panne d’allumage, une panne de carburation.
Il va donc me falloir leur faire, en trois jour, entrer tout ça dans la tête sans pour autant leur faire
peur.
Je vais donc leur expliquer le « pourquoi », mes acolytes leur montreront le « comment ».
Et voici comment je suis devenu enseignant malgré moi.
Mais revenons à cette fameuse campagne.

Il était une fois :
« LA CAMPAGNE »
En réalité, même si notre Raminagrobis urbain n’avait pas sorti ses griffes, il aurait tôt ou tard
fallu y passer.
Le « spectre pollution » nous avait permis de pondre une règlementation restrictive avant même
la date Européenne d’application.
Lorsqu’une mesure est adoptée à l’échelon européen, chaque pays de l’Union est bien sur tenu de
la mettre en place avant une certaine date ; mais il est aussi stipulé que les pays membres ont
toute latitude pour la faire appliquer à n’importe quel moment entre la date de résolution et la
date butoir d’application.
Histoire d’emm...der entre autres les allemands, avec l’accord des constructeurs français, nous
avions devancé l’appel obligeant ainsi les constructeurs étrangers à réaliser de prouesses
techniques avant l’heure.
Cette législation ayant été initiée par la France, nos partenaires français, avertis longtemps à
l’avance, étaient couverts.
Le hic étant que cette législation ne concerne pas seulement les véhicules neufs, mais aussi la
totalité du parc automobile, ce que nous avions soigneusement éludé.
Ça commençait à faire désordre et nos partenaires Européens, allemands en tète, commençaient a
sérieusement rouscailler.

Donc, il fallait faire quelque chose.
Ce que nous avons fait était techniquement irréprochable.
Il fallait instruire une profession trop longtemps tenue à l’écart.
Alors, me direz-vous, où est le problème ?
La précipitation, c’est là qu’est le problème, comme toujours.
Monin : Le jeune loup aux dents longues en mal de légion d’honneur mais qui compte bien
l’obtenir par ce biais ne connaît rien à l’automobile.
Soriano : Le renard cupide en quête de gloriole et accessoirement de pognon ; bien que très
accessoirement dit il ; en connaît encore moins.
KZ : Le vieux loup assis sur un stock de matériel qui lui coûte la peau des fesses connaît bien,
lui, l’automobile mais n’en a pas grand-chose à cirer et compte bien sur l’ignorance des deux
autres pour manipuler le système.
Voici donc le triumvirat de tête, le gros de la troupe étant formé par les garagistes automobiles
non affiliés à une marque qui veulent leur part du gâteau en créant une élite qui serait seule à
mordre dedans.
C’est vrai ça !! On s’crève le cul et ce s’rait les autres qu’en profit’raient ?
La toile de fond : Une profession totalement ignare en matière de carburation et bien sur
d’analyse de gaz et de ses conséquences.
Toute la profession ? Réellement ?
Exception faite, peut être des concessionnaires automobiles ; et je n’ai pas dit des agents.
Mais quel est le pourcentage d’utilisateurs d’automobiles qui vont chez les concessionnaires ?
En tout cas pas la moyenne des Français sauf, éventuellement, la ou les deux premières années
parce qu’ils ont peur de perdre leur droit a la garantie, mais après ??
Le rêve des concessionnaires, c’est la disparition des garagistes non affiliés, car qu’ils ne gagnent
rien, ou presque, a la vente de véhicules et se rattrapent sur l’entretien ; un entretien systématique
exagéré et très souvent quasiment inutile voir quelquefois nuisible.
Je sais de quoi je parle, j’ai été, quoi que brièvement, l’un d’entre eux.
Et en arrière plan ; les équipementiers.
Si ça marche, ya au minimum quinze mille analyseurs de gaz à vendre dans les six mois à venir.
Pas négligeable !
Mais qui va pouvoir fournir ?
Et au delà de ça, qui, en dehors de concessionnaires pour la plupart déjà équipés, va pouvoir
s’offrir ce matériel ?

« Par pure curiosité, est ce qu’on en fabrique, nous, des analyseurs ? »
Question posée in extremis par notre inénarrable Monin, a la veille du lancement de la
campagne.
Chavant, trouvez moi quelqu’un qui fabrique Français !!
On aurait p’t’et pu y penser plus tôt.
Beckman, Hartman & braun, Bosh et j’en passe, c’est ce qu’on trouve dans les garages…tous des
métèques !
Merde, nous, les bien connus champions du hi tech, on sait pas faire ça ?
J’y crois pas !
Ah si, en fouillant bien, Icare.
C’est un peu curieux n’est ce pas d’appeler une compagnie Icare.
Elle pourrait bien à l’instar de son totem, se rôtir les rémiges.
C’est du reste ce qu’elle va faire sur ce coup là, un peu par ma faute, je le confesse.
Icare, le nec plus ultra de l’analyse de gaz industrielle.
Je les rencontre ; ils ont bien un prototype, mais, ne voyant pas de réel marché pour ce produit,
ils ne sont pas passés au stade production.
Je leur explique le topo.
Ils comprennent, mais le processus s’emballe et ils n’auront pas le temps d’agir efficacement.
Ils ne le pouvaient pas du reste.
Le gouvernement est satisfait, il y a un appareil français sur le marché.
Qu’il ait été matériellement impossible de diffuser ce produit n’est pas son problème ; pour lui et
face à la presse, c’est le constructeur qui n’a pas été à la hauteur, « pourtant on l’avait averti »
sera-t-il dit.
C’est totalement méconnaitre la réalité du marché.
Jamais un mécanicien automobile n’achètera un matériel aussi onéreux à un constructeur
parfaitement inconnu de la profession qui n’a pas de service après vente, ni même de support
clientèle.
Icare est une très performante compagnie dont le champ d’action est le laboratoire…pas le
garage.
J’ai commis une véritable erreur en les convainquant de se lancer dans la bagarre.
Et ils ont commis l’erreur, plus grave encore, de me suivre.
Examinons maintenant l’aspect légal de cette opération Anti-pollution et ses conséquences.
Il y a en France un bouquet d’articles de lois explosif.

Un professionnel, quelle que soit sa profession a trois obligations :
- Obligation de conseil
- Obligation de moyens
- Obligation de résultats.
Plus…Il est tenu du « vice caché », articles 1641 à 1648 du code civil, sans doute plus terrible
que les trois autres réunis.
Qu’est ce donc que ce « vice caché » ?
Le vice caché est un vice qu’un examen normalement attentif ne révèle pas, contrairement au
vice apparent qui, une fois accepté, déchoie l’acheteur de toute action ultérieure.
Messieurs les professionnels, ayez soin de mettre par écrit sous seing privé les acceptations de
vos clients, car ils ont souvent la mémoire courte.
La garantie des vices cachés s’applique à tous les biens dans le commerce qu’ils soient corporels
ou incorporels, meubles ou immeubles, neufs ou d’occasion et même à défaut du paiement par
l'acheteur de la totalité du prix.
La cerise sur le gâteau :
Le professionnel est tenu de connaître les vices cachés de par sa profession.
Ce qui signifie bien sur, que s’il est honnête, il doit en aviser son client, ce qui transforme le vice
caché en vice apparent et résout le problème de sa responsabilité future pour peu qu’il ait pris les
précautions d’usage.
Si, de bonne foi il les ignore, et donc ne les signale pas, il risque de payer le prix fort en cas
d’accident grave.
La notion d’obligation de résultat du prestataire de service est du même tabac.
Un garagiste qui règle un carburateur délivre un service.
Il peut donc être rendu responsable d’un accident causé par un mauvais réglage dudit
carburateur.
Difficile à prouver dites-vous ?
Pas toujours, laissez moi vous conter une anecdote survenue lors d’une des sessions que
j’animais.
Trente mécaniciens réunis dans le prestigieux atelier de la station-pilote Solex à Paris.
Vient l’épineuse question du « positionnement de papillon » d’un carburateur.
C’est théoriquement très simple.
Il suffit de le placer tangentiellement au dessous du premier « trou de progression » et si c’est un
dispositif de progression a fente, tangentiellement au dessous de la fente.

Essayez donc de faire ça sans démonter !
Et même en démontant, du moins, avec la majeure partie des carburateurs du commerce ; une
véritable acrobatie.
Je me devais de souligner ce fait avant de leur expliquer oh combien ils allaient se faciliter
l’existence en utilisant un analyseur de gaz.
En premier lieu, il me fallait montrer que, dans le cas de certains carburateurs, c’était un jeu
d’enfant.
Ce que je fis en évoquant des carburateurs spécifiques pourvu de « bouchons de nettoyage du
circuit de ralenti »
Yaca, disais-je, enlever le bouchon et insérer une fine aiguille à coudre, fournie par votre
charmante épouse, dans le trou et amener le papillon en butée.
Attendez ! S’époumone t’alors le chef d’atelier ; je viens de changer le carburateur de ma BMW,
il a ces fameux bouchons de nettoyage, j’l’ai pas encore foutu a la poubelle, j’vais l’chercher.
Amen !
Muni de l’engin, je commence la démonstration.
Je démonte le bouchon, j’enfile l’aiguille, j’actionne le papillon pour le mettre en contact avec
l’aiguille et…Il s’ouvre en grand sans rencontrer l’aiguille.
« Pourquoi avez-vous changé ce carburateur ? »
« Parce que j’arrivais pas à l’ régler, j’calais tout le temps »
« Tangent au dessus ou en dessous…le papillon ? »
« Ben, au d’sous ! »
Et il est ?
« Ben, au d’sus »
Bon, ben, vous pouvez remettre votre carburateur tout neuf dans sa boite et réinstaller celui-ci en
réglant le papillon au dessous du premier trou de progression comme il se doit.
C’était un metteur au point Solex...Le top du top !
Imaginez ce que ça pouvait donner dans l’échoppe moyenne d’un garagiste de province sous
équipé ; n’ayons pas peur des pléonasmes.
Imaginons maintenant qu’un respectable client, heureux possesseur de la BMW hors de prix
réglée a grand frais par notre talentueux expert, voulant légitimement doubler une deux chevaux
poussive juste avant un virage, cale et se trouve nez a nez avec un laborieux trente huit tonnes.
Croyez vous vraiment qu’il soit difficile d’établir la responsabilité ?
Bon d’accord, de toute façon, ça va pas changer grand-chose pour le défunt ; mais quand même !
Nous voici au pied du mur.
Dans le bureau de Monin qui commence à prendre conscience de l’énormité de la tache à
accomplir, le ciel s’assombrit.
Mettre en place la réglementation Européenne R15 signifie que des brigades de police et
gendarmerie vont sillonner les routes et dresser des procès verbaux exactement comme ils le font

pour les excès de vitesse.
Ça va surement être d’un bon rapport pour la trésorerie générale.
Les concessionnaires se frottent les mains, ils sont quasiment les seuls à être équipés et
éventuellement savoir se servir de cet équipement.
Ils sont vraiment naïfs s’ils croient à ce conte de fées. Notre ministre est comme je l’ai déjà dit,
un ancien artisan garagiste.
Les brigades de police et de gendarmerie, on les a déjà, elles sont équipées de sonomètres on va
juste transformer leur dénomination « brigade anti-bruit » en un ‘global’ « brigade antipollution
» ; le bruit n’est il pas une sorte de pollution après tout ?
On va les équiper d’analyseurs de gaz.
Le plan se dessine :
- Sensibiliser la population aux dangers de la pollution
- Informer cette même population qu’il va y avoir des contrôles
- Equiper les garages d’analyseurs de gaz…..
Rectification : faire équiper un nombre suffisant de garages, environ 15000, de ces couteux
appareils dont le prix initialement s’étale entre 20 et 30 mille francs…Une petite fortune pour un
artisan.
- Leur apprendre à s’en servir.
Et vogue la galère !
Vous avez dit galère ?
Waow ! z’avez pas idée.
La machine est en route ; les subventions accordées ; la profession, par le biais des présidents de
syndicats, enfin mobilisée.
Donc, premièrement : Sensibiliser la population aux dangers de la pollution.
Ça, c’est pas le plus difficile.
La bonne vieille méthode : Le bâton et la carotte
- L’annonce de la venue des brigades de répression.
- La sensibilisation santé.
Le bâton : c’est le plus simple : annonce officielle « a partir du ….etc contraventions allant de
…a…. »
Sec simple et efficace…Panique.
On a vu par la suite de véritables queues de véhicules, et des quasi émeutes devant la porte des
garages affichant le panneau Carte Blanche CO CO2 les français sont près de leurs sous.
Y’avait pourtant pas d’ permis a points a l’époque.
Mais là, j’anticipe un peu.
La carotte : c’est l’assurance d’une meilleure santé, ou plutôt la mise en évidence des méfaits
ignorés de la pollution automobile.

On s’attelle donc a cette carotte. Les crédits ayant été débloqués, on convoque les publicistes
susceptibles de pondre quelque chose d’attractif tout en étant significatif.
Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi navrant !!!!
Règle du plus bas soumissionnaire ; en général le moins performant.
Et on paye pour ça !
Nous croulons sous les images de baleines échouées et autres goélands aux ailes garnies de
pétrole.
Qu’est ce que ça a à voir avec les gaz d’échappement d’automobiles, je vous le demande un
peu !
Au bout de quelques semaines, je commence à en avoir ras la casquette.
Je dis a Monin, « laissez moi faire, on va leur pondre un sketch clé en main et y z’auront qu’a le
tourner avec de véritables acteurs. »
Je m’arme d’une camera empruntée a l’UTAC, du chien du chauffeur du big boss - j’ai nommé
Saglio, directeur du ministère - le chauffeur dudit Saglio, maitre du susnommé chien ; de la
secrétaire de l’aéroclub dont je suis le fondateur ; une poussette ; un poupon en celluloïd ; et ça
roule.
Le nième jour de présentation arrive et…on leur laisse à peine le temps de s’asseoir.
Ecran blanc, lumières éteintes : Moteur !
En face de nous (sur l’écran bien sur), un voiture sort d’un parking souterrain et marque un
arrêt pour attendre la superbe créature qui avance sur le trottoir ; le petit chien pas plus haut que
trois pommes qui la précède fait un brusque détour pour éviter le pot d’échappement du polluant
véhicule ; ce qui est amusant, c’est que nous n’avons même pas eu besoin de morigéner le
clébard ; nous avons tourné la scène plusieurs fois, et a chaque fois, le chien fait un large détour.
Plan suivant, la magnifique épouse (fictive bien sur) du conducteur de la dangereuse voiture,
poussant devant elle un traditionnel landau bas sur pattes, s’arrête et fait un brin de conversation
avec ledit époux, plaçant de ce fait, et ce d’autorité, le nez du charmant bambin (en celluloïd
comme je l’ai précisé plus haut) juste au dessus du méphitique pot d’échappement.
Voix off « Les Chiens, eux, le savent »
C’est exactement ça !! … qu’on veut…. s’écrie Monin ravi de montrer a la ronde qu’on a p’t’èt
pas de pétrole ailleurs que dans les pots d’échappement, mais qu’on a quand même des idées
dans la caboche.
Ça va leur obliger à tourner la scène ; c'est-à-dire passer du temps créer un « story-board »,
engager des acteurs et surtout, les payer.

Tout ce qu’ils nous avaient proposé jusqu’alors sortait de leurs archives….tout bénéfice.
Alors … argument…..C’est trop agressif, on ne va retenir que la scène du chien ; les salaires de
chiens sont, a ce qu’il parait, moins élevés et la voiture pourra être conduite vitre fermées par
n’importe qui du style. « Tu voudrais pas me rendre service et sortir la voiture du garage ?
Arrête toi juste un instant le long du trottoir...merci mon pote ! »
Monin accepte ; ils sauvent un salaire et demi, mais à mon sens, le sketch n’a plus aucun intérêt.
Où donc est le danger, si même les chiens naturellement se méfient.
J’appris, mais bien plus tard, que la scène avait été reprise dans son intégralité ; je n’étais alors
déjà plus dans la course.
De toute façon et pour être tout à fait honnête, l’annonce de l’avènement des brigades de
répression est de loin la plus efficace question motivation.
Quel que soit le moyen, la sensibilisation…ça marche.
Bon, passons au coté sensible :
Equipement des garages en analyseurs de gaz.
Là ça coince carrément.
Faut comprendre.
La plupart de ces artisans arrivent à peine à joindre les deux bouts et on leur annonce qu’ils
doivent, sous peine de ne plus pouvoir exercer, débourser 30,000 Francs sans avoir la moindre
assurance de rentabilisation.
Vous me direz que n’avoir pas d’analyseur de gaz, ça ne les empêche pas d’exercer dans les
autre domaines ; y z’ont ka envoyer leurs clients se faire analyser ailleurs pour ce qui est de la
pollution.
Théoriquement oui, encore que notre législation recèle un autre piège : L’obligation de conseil.
Que se passe t’il si un client sort d’un garage non équipé et se choppe une contravention motif
pollution ?
Le mécano aurait dû lui recommander (par écrit) d’aller se faire régler.
Qui paye la contredanse ?
Pire !
Et s’il a un accident grave, voir mortel imputable a un défaut de carburation ?
De plus, vous voyez, vous, un professionnel quel qu’il soit autre qu’un médecin ou un avocat
envoyer son client chez un concurrent.
Oui mais ceux là ne sont pas assujettis a l’obligation de résultats.
Chez les avocats ou les médecins, on parle de confrères et de spécialistes; ça n’est pas encore
entré dans les mœurs automobiles.
Monin s’arrache les cheveux.
Nous avions, sur le papier, réglé la question de l’incompétence relative supposée du garagiste
moyen, mais pas l’indigence de sa trésorerie.
C’est là qu’intervient Soriano.

« On va créer des professionnels agréés ».
???????????
« Oui, ceux qui aurons suivi la formation du ministère ».
Oui mais agréés par qui ?
Un ange passe……
Remis à plus tard, le « par qui »
Reste à créer le concept.
.

L’A.F.I.R.M.E
Association pour la Formation et l’Information pour la
Réparation des Moteurs et leur Entretien.
Eh oui ! C’est comme ça que s’appelle l’escroquerie du siècle.
Pourquoi escroquerie ?
Parce qu’il n’est évidemment pas question que les participants reçoivent un quelconque agrément
gouvernemental.
Là encore, la machine s’emballe à grand frais de….. Mais en fait qui va payer ?
Et que va-t-on payer ?
Qui va payer, ça, c’est simple..devinez !
Ben oui, c’est encore le garagiste.
Non seulement il va lui falloir s’équiper a grand frais, consacrer une semaine a la formation,
mais, en plus, il va devoir s’abonner.
S’abonner a quoi ?
À la campagne bien sur !!
Faut bien payer la pub, l’enseigne etc….
Eh Oui : Carte blanche CO CO2 campagne du ministère de la qualité de la vie.
Ça vous a un de ces putain d’air officiel, tellement officiel que tout le monde va y croire, et pour
un temps, les garagistes affublés de l’enseigne créée a grand frais, une fois de plus sur le dos des
garagistes, vont être pris pour les touts puissants représentants du Roy.
La Saint Barthélémy n’est pas loin.
On aura tout vu, de quasi émeutes à garagiste astucieux.
L’un d’entre eux, un certain Casino distribuait même de faux PV rédigés sur un papier presque
en tout point semblable à ceux que distribuent généreusement nos zélées contractuelles portant la

mention :
« Vous êtes condamné à aller vous faire régler gratuitement au garage Casino dans les plus bref
délais » ou quelque chose d’approchant.
J’te dis pas la panique : Rue encombrée et scandale administratif à Nîmes ; éclats de rire au
ministère ; mais l’affaire est sérieuse ; Monin va devoir nous dépêcher céans pour calmer les
esprits.
Un véritable Gag !
La municipalité très en colère : On avait OSÉ imiter le sacro saint PV ; crime de lèse majesté.
Il va nous falloir organiser une petite réunion entre amis.
Les garagistes locaux, quelques édiles municipaux, un ou deux représentants de la presse locale
etc… Le tout dans la grande salle municipale.
Rien de bien méchant a priori.
Coup de Tonnerre !!
Opposition formelle du Maire ; il nous interdit l’accès a la salle municipale.
Je le prends très mal ; jeune con jusqu’au bout.
Comment ça ; il voudrait boycotter une réunion décidée par le ministre !!!
J’entre dans la salle escorté, à ma droite par une brigade de police, à ma gauche, par un peloton
de gendarmes.
C’était vous l’avez évidemment compris les brigades anti pollution dont j’avais la charge.
La nouvelle se répand comme une trainé de poudre :
Comment ! On voudrait nous cacher des choses !
Et nous fîmes salle comble.
Et ce qui n’était qu’une banale réunion d’information se transforme en un véritable meeting
politique auquel nous nous gardons bien de prendre part ; hormis réponse aux questions
techniques touchant strictement notre domaine « of course ».
J’ignore s’il s’agit d’un phénomène de cause à effet, mais le maire n’a pas été réélu.
C’est sur ce coup là que j’ai hérité de mon surnom «ça passe ou ça casse » complétant celui de
« la bête » dont l’équipe m’avait déjà affublé.
Des gags…y’en a eu d’autres !

Le suivant nous a amené à modifier sensiblement notre approche diplomatique.
N’étant pas celui qui organise les séminaires, j’arrive en général le matin même de l’ouverture.
Cette fois ci, par un curieux hasard, j’arrivai la veille.
Ma charmante compagne a l’habitude de dire « toute chose arrive pour une raison ».
A un carrefour, juste devant moi, une brigade de gendarmerie arraisonne un supposé pollueur.
Il fait frais, son pot d’échappement fume blanc et dégouline de flotte, signe évident d’un moteur
froid ; le blanc n’est que de la vapeur d’eau parfaitement inoffensive.
La maréchaussée procède et montre d’un air sévère au contrevenant les désastreux résultats de ce
test frelaté, lui enjoignant vigoureusement d’aller sans plus attendre se remettre entre les mains
de l’homme de l’art.
Navrant !
Nous avons là un sérieux problème.
Nos vertueux gardiens de l’ordre et accessoirement de la paix, plus soucieux, comme on le sait,
des rubans de leurs nouvelles machines à pondre les rapports que du basic de « comment opérer
sans faute » n’ont pas la moindre notion de comment faire un test pollution dans les règles de
l’art.
Ça promet !
De plus, ils sont réputé chatouilleux.
Il faudra dont leur faire la leçon sans qu’ils s’en aperçoivent.
J’appelle Jean Claude qui dit : On va les inviter aux séminaires.
Prétexte : apprivoiser les garagistes et nous soutenir dans notre action.
Et ça marche.
Arrive en tête et en grand uniforme la brigade susnommée ; le chef, conscient de son territorial
privilège m’apostrophe :
Eh dites ! « C’est pas vous que j’ai vu ce matin quant’on a testé la dauphine pourrie ? »
Eh oui, c’est moi ; et c’est aussi moi qui vous envoie vos directives depuis le ministère.
Et, ajoute Jean Claude, c’est aussi lui qui les pond.
Là il pousse un peu, mais faut c’qui faut.
Je sens poindre comme une inquiétude.
Faut dire que j’ai une dent contre ces brigades ; elles ont un jour failli me faire passer pour un
con a la télévision.

Petite digression
Lorsque toute cette affaire a débuté, j’étais un peu affolé par les conséquences que j’entrevoyais.
Je ne connaissais pas encore le monde de la réparation automobile qui pour moi avait un petit
peu une allure de cour des miracles….sans les miracles
Je voyais déjà nos pauvres automobilistes être amenés à effectuer, sur le conseil avisé de leur
habituel prédateur, une foule de réparations suivies d’un couteux et permanent entretien sur l’air
de :
« Vous savez ma p’ti’t dame les voitures d’maintenant équipées d’ces carburateurs antipolution,
ça s’dérègle toul’temps et au prix ou’q’sont les contraventions, sans compter qu’on
parle maintenant de permis a points, vaut mieux surveiller ça d’très près »
Pourquoi pas !
En réalité comme on l’a vu plus haut, j’avais tord ; c’est bien pire.
Nos braves mécaniciens, tout à fait de bonne foi, s’avèrent a l’usage, être de parfaits ignorants en
la matière.
Seules les concessions qui gardent jalousement leurs secrets ont un semblant de compétence.
En réalité, j’aurais largement préféré que ce soit simplement des tricheurs ; ils ne seraient pas
allé jusqu’à mettre en danger la vie de leurs clients.
Tandis que là !!!
Bref, j’avais lancé à Paris une campagne de réglages gratuits devant être menée conjointement
par la police et la gendarmerie.
Objectif : vérifier que, comme je le subodorais, dans la plupart des cas, un simple coup de
tournevis suffit à tout remettre dans l’ordre.
Quelle polémique !

La gendarmerie refuse tout net.
Monin provoque une réunion dans les locaux de l’UTAC avec, entre autres, les deux
responsables des brigades :
Le commissaire Durand pour la police
Le Colonel Géhenne (suis pas certain de l’orthographe mais l’idée y est)
Non j’ai pas dit gégène ! Ça, c’était l’époque de l’O.A.S et c’était pas les gendarmes…enfin… je
crois.
Ledit colonel me semble un peu « parapluie dans le fondement » si vous voyez ce que je veux
dire.
La discussion s’envenime.
Le commissaire est de notre bord, « on peut pas laisser les garagistes prendre les automobilistes
en otages ; on doit en avoir le cœur net ».
Mais s’écrie le colonel c’est illégal ! On a pas le droit de toucher aux voitures des contrevenants !
S’il fallait s’arrêter a tout ce qui est légal, rétorque le commissaire, on ferait jamais rien.
WOW !
Monin tranche : On fait !!
Pour le coup d’envoi de cette campagne, nous avions prévu un petit show télévisé pour informer
l’automobiliste de l’imminence des contrôles routiers.
Allocution pendant laquelle, si mes estimations s’avéraient exactes, j’avais également l’intention
d’annoncer que, comme nous avions pu le vérifier au cours d’essais préliminaires, dans la plupart
des cas, un simple coup de tournevis pouvait régler le problème.
Juste avant de partir pour les lieux du tournage, je reçois une pile de documents confirmant mes
assomptions.
Je suis aux anges et, sous l’œil goguenard des caméras de TV, j’accueille la première brigade qui
se présente par ces mots.
« Merci mon colonel d’avoir si efficacement conduit ce test de réglage pollution qui démontre
que plus de 80% des voitures on pu être remises aux normes par un simple coup de
tournevis ».
Fermez le ban.
Et le colonel de répondre sous l’œil de plus en plus goguenard de la caméra :
« Pour être tout à fait honnête monsieur, je ne mérite pas ce compliment car ce ne sont pas
mes brigades qui vous ont fourni ces résultats ; de plus, j’étais formellement opposé à cette
opération »
Persiste et signe le colonel.
Monin, derrière moi est discrètement hilare.

« Si vous l’aviez pas faite celle là, c’est moi qui la f’sais »
Rassurez vous me dit le caméraman non moins hilare, on coupera ça au montage.
Merci les gars !

Revenons à nos moutons
En fait, tout se passe bien, nos représentants de l’ordre comprennent vite l’intérêt qu’ils ont à
assister aux séminaires. – (qui a dit que les flics sont des cons ? – m’enfin ! C’est comme
partout, certains, mais pas tous ; en tout cas pas les nôtres).
La nouvelle se répand vite et à chaque séminaire, nous aurons notre escorte bleu blanc rouge.
Ils ont bien compris le truc, ils se contentent d’écouter et d’approuver, se plaçant ainsi du bon
coté ; apprenant tout en laissant croire qu’ils savent déjà.
Des anecdotes ?
Y’en aurait des tonnes !
Une dernière pour la route.
Tout le système est maintenant bien rodé et les pénitents n’ont plus peur de poser des
questions au risque de passer pour des imbéciles.
Et puis un jour…silence complet dans la salle.
Curieux non ?
Puis, Jean Claude, en aparté « T’a vu qui est au fond de la salle ? »
Non ! Qui c’est ?
Mauro Bianchi.
Vous savez pas qui c’est ?? Ben moi j’savais.
Et c’était pas pour me rassurer !
Qu’est ce qu’y vient foutre ici ?
Pilote de course de renommée mondiale.
Pilote d’essai pour Venturi.
Metteur au point chez Ferrari et j’en passe.
Personne n’osait l’ouvrir ; le ridicule, ça tue pas, mais ça fait quand même mal.
Au bout d’un très très long couple d’heures, Mauro se lève.
(Bon, qu’est ce que j’ai bien pu dire comme connerie ?)

Vous me connaissez tous ici,
-ça commence bien-
N’ayez pas peur de poser des questions, pour ma part j’ai plus appris ici en deux heures qu’en
dix ans de carrière.
Ouf ! Merci Mauro….même si c’est pas vrai.
Et là, les bouches se délient et les fesses se décrispent ; les miennes y-compris.
Et on en entend de toutes.
La cerise sur le gâteau.
Un garagiste honnête, alsacien de surcroit, se dresse, lève les bras au ciel et s’exclame.
« C’est vrai quoi ! y’a des fois, on répare une voiture, ça marche, on sait pas pourquoi, c’est
un miracle ! »
Refrain immédiatement et spontanément repris par le cœur des vierges.
Bon, ben, d’puis ce jour là, si par malheur je dois avoir recours a la magie du réparateur
automobile, dès la réparation effectuée, j’r’vends la voiture.
Comme quoi, dans cette histoire, c’est encore moi qui en ai appris le plus.
Et comme par hasard, à midi, je me retrouve assis a coté de Monsieur Bianchi….Très
sympa !
Au bout d’un moment, après les politesses d’usage il attaque :
« J’ai entendu que vous êtes un spécialiste en aérodynamique. »
Exact.
« Quand on a créé la 204 Charles Deutsch pour les 24 heures du Mans, on est tombé sur un
truc bizarre ; vous allez peut être pouvoir m’expliquer ça »
Ben voyons !
« On avait pondu un profil très aérodynamique avec une longue queue, comme un profil
d’aile d’avion ; mais la voiture s’avérait instable ; on a, un peu au hasard, coupé la queue du
profil, et, vous savez quoi ? Non seulement on a augmenté la stabilité, mais la voiture était
plus rapide. »
Là mon pote, t’as tapé à coté !

C’est évident, en coupant la queue, vous avez diminué la portance de la caisse et, par la même
occasion sa trainée ; donc :
Moins de portance plus de stabilité, Moins de trainée plus de vitesse ; C’est aussi simple que ça !
Bouche bée notre Mauro ; «Mais on a mis 6 mois avant de comprendre ».
Vous auriez du vous adresser a un vrai professionnel !
Ce que je me suis bien gardé de lui dire, c’est qu’à cette époque, j’étais responsable de la
soufflerie aérodynamique du centre de recherches Peugeot à La Garenne, et que bien que n’ayant
pas procédé aux essais moi-même, j’avais suivi de très près l’expérience, et bien sur, je
connaissais la réponse qui n’était évidemment pas de mon crû.
Ce burlesque épisode, contrairement à toute attente devait largement contribuer à renforcer ma
crédibilité….Super !
Bref, des dizaines d’épisodes du même acabit, je veux dire « côté miracles », et je ne vais pas
m’étendre là dessus.
D’autant que cette brillante opération devait, en ce qui me concerne être interrompue en
catastrophe par le responsable du projet ; j’ai nommé l’inénarrable JF. SORIANO soi même qui,
dépassé par une opération tortueuse dont je parlerai plus tard, m’expédia toute affaire cessantes
au fin fond de la province la plus sauvage de notre beau pays.
Vous savez ce genre de contrée que les corbeaux survolent sur le dos pour pas voir ce qui s’passe
en-dessous.
L’Auvergne, pour ne pas la nommer.
Mais, j’y reviendrai plus tard.
Vous vous souvenez bien évidemment que la petite entreprise de transport dont j’étais l’un des
partenaires menaçait de sombrer corps et âme, abandonnée qu’elle allait être par son géniteur.
J’avais donc stupidement décidé de prendre les choses en main, prenant pour argent
comptant que, si Yves voulait abandonner, c’était simplement parce qu’il ne trouvait pas
assez de clients.
Je n’avais pas compris qu’il en avait tout simplement marre et je pensais que, ayant relancé
l’affaire en un laps de temps record, j’allais pouvoir, Yves ayant repris le manche, retourner a
mes chères études.
Erreur profonde.
Donc : DOMOBILE.

DOMOBILES
UN PROJET FUTURISTE
Des hommes une administration ;
Un enterrement
C’est ça qu’ils veulent que je transporte !
Et j’ai dit oui !

Donc, lorsque mon ami Yves me déclare qu’il n’y arrive plus et qu’il nous faut déposer le bilan, c’est
ce que j’ai trouvé pour renflouer la barque.
Sur ce coup là, je n’ai vu que trois choses :
- La solvabilité de mon futur client.
- L’urgence dans laquelle il se trouve qui précisément coïncide avec la mienne.
- La faisabilité de l’opération … dont je n’ai a vrai dire aucune idée.
Ça n’est qu’après que je suis tombé amoureux du projet lui-même.
Avouez que ça a de la gueule non ?
Des bungalows en matière plastique dignes d’un roman de Jules Vernes.
En fait, ci dessus, c’est la maquette ; la réalité ressemble plutôt à ceci.
.
Mais c’est chouette quand même non ?
Et c’est comme ca que nous allons les transporter

Solvabilité ?
Mon Client : la SATEM : société anonyme de transport et manutention.
Une des nombreuses filiales d’un consortium multinational : Le groupe Lever.
L’urgence ?
La mienne ? Vous la connaissez, j’ai deux semaines pour prendre une décision.
La leur ? Ils ont une semaine pour transporter un module d’exposition.
Faisabilité ?
Transporter des modules dont le poids total n’excède pas une tonne cinq ; j’ai fait pire.
C’est en dessous de la charge utile de la semi remorque très spéciale que j’avais conçu pour De
TOMASO ; pour le reste, on verra plus tard, mais a priori, ya pas d’raison pour que ça foire.
Bon, mais des transporteurs, on en trouve a la pelle !
Oui, mais compte tenu de la hauteur des modules, les seules remorques envisageables sont les «
mille pattes » ; très bas sur roues et conçus pour trimballer cinquante tonnes.
« Qui peut le plus peut le moins » me direz-vous ; mais a quel prix !
Mon avantage : le prix plus, la souplesse. Eh oui, compte tenu de l’énorme investissement que
représente un « mille pattes » le calendrier est très chargé ; le prix du kilomètre aussi.
Je me pointe donc à la SATEM et leur montre la photo de « mon » camion lesté de deux
Superbes Bolides de sport rouge Sang.
Poids du tracteur : Mille Cent Cinquante Kilos
Longueur de la remorque dix Mètres
Poids de la Remorque : Trois cent Kilos
Charge Utile : Deux tonnes.
Poids total en Charge : Trois Mille Quatre cent Cinquante Kilos.
Nous sommes en dessous des Trois Tonnes Cinq.
Pas de licence, pas d’obligation de tachymètre.
Très faible investissement.
Pas de permis poids lourd.
Très faible prix de revient au Kilomètre.
Eh oui, c’était ça l’astuce du début.
Impossible me rétorque t’on.
J’avais prévu ; je leur mets sous le nez la feuille des mines de l’engin.

J’en rajoute.
« Nous ne sommes pas seulement des transporteurs; nous sommes spécialisés dans les transports
spéciaux faible poids grand volume et nous fabriquons nous-mêmes nos remorques ; nous
sommes trois associés, tous trois ingénieurs ; voulez vous voir nos diplômes ? »
Y voulaient pas.
« Cette remorque, objectent t’il pourtant, permettra de transporter ce module, mais est trop haute
pour les modules standards»
« J’ai fait celle ci sur mesure, j’en ferai d’autres »
Je repars avec un petit contrat en poche pour les trois voyages que nécessite le transport de ce
module de démonstration.
« Si vous vous en tirez, vous aurez le contrat global ».
Je leur coutais plus de cinq fois moins cher que leurs mille pattes, et ça nous rapportait environ
cinq fois plus que nos transports de voitures de luxe ; ce qui allait nous permettre d’attendre la
suite tout en éloignant de nous le spectre du dépôt de bilan.…..Si toutefois nous réussissons notre
bout d’essai.
Nous le tentons avec notre remorque porte voiture et, moyennant un bouquet de lignes
téléphoniques coupées - les échelles sont lourdes dans le midi et les lignes téléphoniques, fils
électriques, sans parler des guirlandes additionnelles, bien trop bas - et tout un village, à l’origine
en fête, désormais plongé à la fois dans le noir et dans le calme …. Ça marche.
Yves décide tout de même d’abandonner suivi par Husson.
Entre nous, je crois qu’au cours de ce transport, et grâce à un mistral qui avait tendance à transformer
notre camion en voilier de haute mer par grand vent, il s’était fait un peu peur.
Le rappel sur autoroute même avec deux « motards » comme équipiers n’est décidément pas sa tasse
de thé ; on peut comprendre.
Du coup, je me retrouve tout seul, et comme d’habitude , je fonce.
Je suis en pleine transaction avec la SATEM ; je trouverai plus tard une solution ; décrochons
d’abord ce contrat.
Le problème posé s’avère un peu différent de ce que je pensais.
Le planning de transport est effarant.
Il est question de deux à trois chargements minimum par jour, cinq jours sur sept.
Voila qui change totalement le paysage !
Je suis peut être un transporteur d’opérette mais je sais encore compter ; une fois de plus, je ne vais

pas lâcher ; je remets les difficultés à plus tard.
Il me faut quatre tracteurs supplémentaires, huit semi remorques et au moins trois chauffeurs.
La SATEM a un département «location longue durée ».
S’ils me proposent ce contrat, c’est qu’ils le trouvent viable, et moi capable de l’honorer ; ils ne
peuvent pas me refuser un contrat de location longue durée.
Je leur fournis les plans de modification des tracteurs en me réservant la partie freinage que, pour être
parfaitement honnête, je ne sais pas encore comment résoudre.
Quant aux semi remorques, il était entendu depuis le début que je devais les créer.
Je décidais en plus de les construire ; ya pas de p’tit bénéfice. Parfaitement, Je vais les fabriquer, les
vendre à la SATEM en m’alignant sur les prix que la concurrence m’aura obligeamment donné au
cours d’un appel d’offre; puis les reprendre en leasing a la SATEM.
Et, une fois encore, ca marche ; ne me demandez surtout pas pourquoi ; il faut croire que la SATEM
n’avait vraiment trouvé personne ; j’aurais du demander plus cher.
Il ne me reste plus qu’à fabriquer et ….. Je n’ai plus personne ; donc :
Trouver un local….et du personnel qui, en plus de savoir conduire, sait souder.
Je n’ai pas lâché mon job ; toujours Ingénieur à L’UTAC, en transit pour un poste contractuel au
ministère de la qualité de la vie !
André Villain vient juste de se joindre à moi ; il m’a dit « je serai votre factotum et ne vous couterai
pas un centime ».
Je ne sais pas trop ce que veut dire factotum, mais « pas un centime », ça, je sais ; donc, à lui le bébé
pour l’embauche et la gestion du système.
Je vais lancer le bébé sur orbite et sagement me rendormir.
C’est du moins ce que je croyais.
Là je rêve en couleur

Il nous faut un peu mieux que des chauffeurs alcooliques cherchant à récupérer un job perdu depuis
longtemps au milieu de vapeurs éthyliques. Il y a par contre toute une brochette de gars qui, bien
qu’intelligents ont raté un bac technique et qui n’ont pas envie d’atterrir derrière une caisse de
supermarché. André a la main heureuse et l’œil sur.
En moins d’une semaine, il nous déniche une solide équipe de quatre gars entre 20 et 22 ans prêts à
tout ce qui entre dans leurs cordes…. Et au delà.
Y veulent de l’aventure ! Y vont pas être déçus.
Y z‘ont tout compris, et, contrairement à ce que je craignais, le fait de passer du poste de soudure au
volant et vice versa ne les effraie pas, bien au contraire.
Premier round : On fabrique le prototype.
Technique Eiffel légèrement modifiée ; tubes carrés soudés en guise de poutrelles : treize mètres de
long, deux mètres cinquante de large; 220 Kg à vide ; un record !
Deuxième round : amélioration du freinage.
Je vous l’ai dit, j’ai compris la leçon ; j’installe sur l’essieu de la remorque un système d’assistance
de freinage autonome à dépression agissant sur des roues jumelées, provenant d’une Ford
GRANADA.
Je sais, pas besoin de roues jumelées, mais en cas de crevaison ça garanti la stabilité de l’ensemble et
nos chargements sont très hauts, de plus, ça augmente l’efficacité du freinage.
J’ai décidément été traumatisé par mon expérience précédente
L’ Hydrovac est actionné par un capteur pneumatique de ma conception directement posé sous la
pédale de frein du tracteur ; rustique mais efficace…terriblement efficace !
La remorque freine avant le tracteur et, même si les freins du tracteur lâchent, ceux de la remorque,
grâce entre autre au roues jumelées, sont assez puissants pour immobiliser l’ensemble et … plus c’est
lourd, mieux ça freine.
C’est puissant ; extrêmement puissant !
Le grand jour arrive.
L’ingénieur des mines se souvient de tout et en particulier de ma trombine ; apparemment il’aime
pas ; trop arrogant.
C’est vrai, je suis toujours un jeune con comme me l’a déjà dit Rémy Chauvin (il avait même ajouté
prétentieux).
Ma quasi appartenance à une administration officielle m’incite à croire que je suis intouchable et il
va me falloir bien des coups de pieds au cul pour changer d’attitude. … pas de soucis, la vie va s’en
charger.
Il se souvient aussi :
- De la piste qu’il lui a fallu nettoyer après la perte de notre chargement.
- Des difficultés de freinage.
- De l’ « in extremis » de notre dernière homologation.

Il regarde tout, il vérifie tout, et surtout le poids à vide de la remorque ; il est certain que nous avons
triché pour augmenter la charge utile.
On décharge, on pèze, on recharge.
Vexé, il va chercher à nous coincer ailleurs.
Il est un tout de même un peu étonné de constater que nous avons surchargé ; va-t-il nous faire
rectifier, prétextant la surcharge ?
Bien sur que non, dans un premier temps il pense que ça joue contre nous.
Surcharger m’assurait une plus grande stabilité et un meilleur freinage ; mais il connait son boulot, il
n’est pas dupe.
Arrive le moment du freinage.
Ce camion est un trois tonnes cinq, il est équipé comme un véhicule de tourisme ; c'est-à-dire :
ceintures de sécurité.
Je me harnache. Il prend ça pour de la frime et n’en fait pas autant, les ceintures de sécurité ne sont
pas encore obligatoire pour les véhicules utilitaires de moins de 3 tonnes,5.
Arrivé au point de freinage il crie « à fond ! » Pourtant mon freinage est bon comme je peux le
constater en zieutant le décéléromètre installé sur le pare brise.
J’hésite, il se fâche tout rouge. « Recommencez ! »
Je sais ce qui va arriver, il croit que cette remorque ne freine pas et ne prend aucune précaution.
J’écrase la pédale ; il s’écrase sur le pare brise ; grosse bosse sur le front ; l’est pas contant.
« Revenez la semaine prochaine ; à vide !! »
Zut, j’y avais pas pensé ; il sait qu’avec une telle force de freinage sur une remorque aussi légère,
l’attelage va jouer les valses de Vienne et il pourra nous coincer comme il voudra.
Pour être franc, nous avions déjà eu le problème avec l’autre remorque qui pourtant freinait beaucoup
moins bien.
Avenue des champs Elysée 2 heures du matin ; petite bruine de printemps, feu rouge in extremis
et…La remorque, roues bloquées, manifeste une irrésistible envie de doubler le tracteur.
Nous rejoignant par la droite à distance respectable, une « 2 CV » antique et solennelle décélère en
douceur suivi et bientôt rattrapée par le train arrière de notre attelage qui stoppe a moins de cinquante
centimètres des feux de ladite carriole dont le sexagénaire conducteur n’a aucune conscience du
drame dont il a failli être victime.
On l’a pas touché.

Soulagement, crise de fou rire, et nous repartons au feu vert poursuivi par les imprécations du
quidam croyant dur comme fer qu’on se payait sa fiole.
Cette fois ci, vaudrait mieux éviter ça.
Nouvelle gamberge.
Eureka ! C’est tout simple ; on colle un capteur sous les ressorts de la remorque, et dès qu’on est à
vide, le système de freinage se met hors circuit ; on va même se payer le luxe de le faire progressif.
Une remorque de 220 kg n’a légalement pas besoin d’être freinée ; par précaution, j’ajoute un
dispositif additionnel a fuite dont je place la commande manuelle a coté du siège du chauffeur, ce
permet de discrètement doser la puissance de freinage en cas de faibles charges.
On a gagné, la remorque est affublée de la précieuse tête de cheval qui atteste sa conformité.
On lance le chantier : sept autres semi-remorques ; ca devrait nous procurer six à huit mois de
trésorerie ; de plus, la SATEM est en retard sur ses prévisions, ce qui nous donne le temps de nous
organiser.
Fini les vaches maigres ; la SATEM n’hésite pas à me gratifier, en prime et en leasing, d’une superbe
BMW 2500 toute neuve; je suis aux anges.
J’avais pas tout compris, en fait, ils veulent me lier à ce programme ; la stratégie est simple et
efficace :
Endetter au maximum le fournisseur pour qu’il ne puisse pas se défiler.
Nous construisons donc nos remorques et, de temps à autre, nous faisons de petits transports pour
Hausermann.
La routine.
Je ne vous ai pas encore présenté Pascal Hausermann, normal, jusqu'à présent, je ne l’ai pas
rencontré, je n’ai eu affaire qu’a la SATEM.
En tout état de cause, voici ce qu’on peut lire aujourd’hui sur Internet à son sujet :
Depuis 1959, Pascal Haüsermann, architecte bohème, visionnaire, utopiste et poète n'a cessé de
rêver, d'inventer, d'expérimenter pour une architecture différente, pour de nouvelles formes
d'habitat, pour une liberté de construire ... Il s'inscrivait dans un mouvement architectural alternatif
ayant pour but de contrebalancer le conformisme de la construction immobilière tributaire de règles
administratives rigides, en proposant une autre manière d'habiter. Hélas la bureaucratie eut raison
de cet élan novateur qui se mettra en veille à la fin des années 70.

C’est superbe ce qu’il fait non ?
C’est un sympathique et solide architecte que je trouve futuriste, ce qu’il n’aime pas.
Il a fait ses preuves, son talent est incontestable.
Cette fois ci, il s’aventure sur un terrain qu’a mon avis il connaît mal, mais qui est extrêmement
alléchant.
Le prêt à porter de la construction modulaire.
La maison de rêve au prix du HLM ; extensible et d’une ergonomie parfaite.
Juste un petit problème : la fabrication.
Un os encore plus gros : Les architectes des bâtiments de France.
Je connais bien ce type de fonctionnaires craintifs mais imbus de leurs prérogatives ; et c’est ce qui
me donne le plus d’inquiétudes.
Le Matériau : Idéal ; une résine phénolique pare feux qui a la gentillesse de créer sa propre croûte
externe, évitant dans la foulée la complication d’une fabrication sandwich.
Je suis sous le charme.
Cela dit, je me méfie de mes engouements. Je décide de faire un test client et d’éventuellement
mettre en place un marché susceptible de m’assurer du transport et de la manutention pour un bon
bout de temps.
Je présente le projet à mon oncle qui est, je le sais, parfaitement capable de juger de la validité du
projet, de le faire accepter à sa municipalité et par-dessus tout ça de décrocher les subventions
nécessaires à sa réalisation.
Si mon oncle est conquis, il convaincra la SOMIVAL (Société de Mise en Valeur de L’Auvergne
Limousin) de financer un projet sur son territoire, laquelle convaincra l’architecte des bâtiments de
France de donner son aval ce qui pourrait bien créer un précédent et donner un coup de pouce a
l’ensemble de l’opération.
Je pourrai donc m’aventurer plus avant et donner un coup de collier si nécessaire.
Je fais venir Hausermann et son inséparable acolyte Lemerdi sur le site du Lac de Bournazel. Tout se
passe à merveille ; mon oncle est intéressé.

C’est un visionnaire ; Il voit un complexe touristique futuriste, des bungalows et un centre de loisir
sur l’eau style boite de nuit qui vont drainer une foule de touristes.
Il reste maintenant à convaincre le conseil municipal de voter le projet.
Mon oncle est de mon avis, il faut montrer quelque chose de concret à ce conseil essentiellement
composé de gens ayant les pieds solidement encrés dans la glèbe mieux connus sous le nom plus
imagé de « culs terreux », au sein duquel il ne compte pas que des amis.
Certains et pas des moindres (pas culs terreux, ceux là, plutôt du style culs pincés n’ayant pas
forcément inventé la poudre quoi qu’ils en disent) attendent la moindre occasion pour mettre à bas la
« Dynastie Vinatier » qui règne depuis déjà deux générations sur le devenir de ce petit village.
Rendez vous est pris a Bollène la Croisère, lieu de fabrication.
Tout le conseil municipal est là.
Nous ne voulons pas montrer que je suis directement impliqué en tant que cocontractant, aussi mon
équipe restera dans l'ombre.
Arrivé à Bollène : Rien.
Hausermann fait un exposé sur son concept architectural :
Les modules ne présentant aucune arête vive sont agréables à l’œil qui, comme on le sait n’en
présente pas non plus, cela donne dit il une sensation d’infini et de quiétude qui garanti une bien
meilleure qualité d’existence.
Waow, je ne suis pas certain que tout le monde, y compris le docteur, adversaire de mon oncle aux
prochaines municipales, ait bien saisi le concept.
Fin du discours ; arrive le module porté par un fenwick .
Trente minutes plus tard, le conseil peut s’installer et boire le coup de l’amitié dans ledit module
meublé et éclairé comme il se doit.
A l’extérieur, mon oncle et Valleix de la SOMIVAL échangent des sourires complices.
Nos ruraux ne sont peut être pas sensibles aux beaux discours mais ils savent juger un acte.
Ils sont conquis, à l’unanimité.
Pascal a t il délibérément orchestré cette mise en scène ou était t’il tout simplement en retard ?
C’est bien pire :
Le mode de fabrication des modules ne fonctionne pas.
La matière ne se laisse pas mouler aussi facilement que prévu.
Chaque module qui sort présente au moins une énorme bulle que ce jour là, il a fallu combler avec
une sorte de résine.

Peu importe ; le conseil municipal de la bonne ville de Seilhac vote un mini projet ; le bungalow du
maître nageur plus quelques unités sanitaires.
Bien sur, c’est loin d’avoir la gueule de la maquette et les entrées circulaires n’ont pas la même
élégance ; mais, avec un peu d’habillage, ça restera tout de même quelque chose de fabuleux.
Fonctionnel avec un rapport coût / surface absolument inégalé.
De toute façon, le conseil n’avait pas vu la maquette.
De plus, ça va indubitablement attirer un maximum de tourisme.
Profitant de l’extrême mobilité de ces modules, mon oncle va faire une implantation provisoire de
ces modules sur un site propre à démontrer à l’architecte des bâtiments de France que cette
architecture, loin de dénaturer le paysage, lui ajoute de la majesté.
En attendant, il demande à Pascal Hausermann de lui pondre un projet qu’il veut avoir sous la main
au moment de la présentation. Un bon principe : battre le fer tant qu’il est chaud.
Entre temps, l’équipe Domobiles s’acharne à résoudre le problème de fabrication.
La mousse phénolique est abandonnée pour une technique de fabrication plus classique et
parfaitement éprouvée : Polyester mousse de polyuréthane.
Mon équipe est sur le carreau ; pas de transport à effectuer.
Je décide de la laisser en renfort sur le chantier, ce qu’ils acceptent avec empressement ; pour eux,
c’est l’aventure qui continue.
Pour moi c’est l’angoisse.
La SATEM probablement pas au courant de la situation de son client, ou voulant délibérément
l’ignorer, me presse de terminer les remorques.
Au train ou vont les choses, ça ne me parait pas être l’urgence.
Je passe un mois au chantier pour avoir un aperçu plus documenté de la situation.
Enfin, ça y est, la fabrication commence a petite vitesse et nous effectuons nos premières livraisons :
quelques maisons individuelles, puis Seilhac, Douvaine et quelques autres.
Mon équipe au complet, consciente de l’enjeu met la main a la pâte et :
Le sponsor de Pascal, ayant atteint la limite de ce qu’il avait prévu de dépenser pour le lancement de
l’affaire, coupe les vivres.
Exit Domobiles !

Il est temps pour moi de me reconvertir, je décroche deux marchés de transport de portiques de
lavage à brosse pour voiture de tourisme et modifie quatre des remorques en conséquence ; mais je
n’ai pas besoin de quatre tracteurs et ici commence une guerre d’usure avec la SATEM.
Dans un premier temps, elle ne veut rien savoir et sa main droite persiste obstinément à ignorer ce
que fait sa main gauche.
Son marché a capoté, le matériel était spécialement conçu pour ce marché : Leur problème.
Ils ne l’entendent pas de cette oreille, ils veulent un paiement intégral du matériel.
André Villain me conseille de déposer le bilan et la SATEM en sera pour ses frais.
Je suis certain de mon bon droit, je passe outre le désapprobateur « C’est vous le patron » d’André.
La SATEM m’assigne, je comparais assisté de Maitre Alec Mellor qu’un un ami a convaincu de me
représenter pro-bono et dont je suis loin alors de me douter de la réputation.
Il n’y aura pas de procès, la SATEM à la seule vue de qui me représente, retire sa plainte.
Nous convenons d’un arrangement ; je ne conserverai que les camions et les remorques dont j’ai
besoin.
Sur cette affaire, nous avons manqué de temps; Monsieur Gaudet qui finançait alors Pascal
Hauserman sur, me dirat’il, son argent de poche de courtier en bourse, n’a sans doute pas estimé
que nous puissions vaincre le cumul des difficultés tant administratives que techniques, c’est surtout,
je crois, l’aspect technique qui lui a fait peur.
Millerioux et Compagnie ronronne gentiment.
Vitesse de croisière.
Il est vraiment temps de passer à autre chose.
Deux clients me font régulièrement livrer leurs «portiques de lavage»; l’un d’entre eux me les fait
même importer d’Allemagne.
Le trafic avec l’Italie a repris pour un temps à petite vitesse…dans le mauvais sens; du moins pour la
Franco Britanic.
Les rutilantes De Tomaso que nous avions convoyées quelques mois plus tôt repartent la queue basse
vers Modène.
Les nouvelles limitations de vitesse sur autoroute n’y sont peut être pas pour rien ; mais pour nous,
c’est toujours du chiffre d’affaire, même si c’est a court terme.
Que demande le peuple.
Mon équipe gère parfaitement la situation malgré l’absence d’André qui nous a malheureusement
quittés, terrassé par une suite de crise cardiaques auxquelles il n’a pas survécu.
Quel calme ! Je peux me consacrer à ce tout nouveau boulot qu’est mon insertion au ministère de la
qualité de la vie.

J’ai déjà raconté l’aventure qui en fut à la fois le point d’orgue et le point final, la rocambolesque
campagne CO-CO2; ainsi que celui des bruits d’avion mais ce ne sont pas les seuls épisodes
ubuesque de ma courte carrière administrative; loin s’en faut.
Je me contenterai de rapporter ici deux autres rocambolesques épisodes qui caractérisent assez
bien la mentalité de l’administration.
Mais avant de continuer, je dois vous parler de « L’homme de l’ombre »….André Villain.
Mon Mentor qui se plaisait à se présenter comme mon factotum.

André
Un personnage !
Ma rencontre avec lui me laisse encore aujourd’hui totalement perplexe.
C’était tout au début de l’épisode Domobiles.
Il débarque chez moi, un dimanche, en tout début d’après midi accompagné d’une meute de
jeunes gens de tous poils qui, dès la voiture arrêtée, se mettent à jouer au ballon sur la place du
village.
Je revois encore sa silhouette rondouillarde à la Hercules Poirot, crane ovoïde coiffé d’une paire
de lunette a épaisse monture.
Je ne me souviens pas du reste d’avoir, ne serait ce qu’une seule fois, vu ces lunettes ailleurs que
sur son crane.
Étrange personnage.
Il ne fait pas dans la fioriture.
Il attaque:
«Je vous connais bien».

Suit une minutieuse description de mes activités dans les moindres détails.
Je me demande bien comment il a pu être au courant de tout ça.
Il me sort même des trucs sur ma réputation.
Sur le moment, j’ai pensé que c’était de l’esbroufe, mais j’ai pu recouper certaines choses par la
suite.
Puis il attaque:
«Je viens de faire trois ans de prison en lieu et place de notre vénéré président.
J’étais son associé dans l’affaire de piastres et j’en ai payé le prix.
J’espère que ça ne vous effraie pas».
Honnêtement, je ne croyais pas un traître mot de tout cela.
Je pensais que le bonhomme tartinait un max.
Aujourd’hui, j’aurais plutôt tendance à penser qu’il était loin de tout déballer.
«Vous n’avez aucune idée du pouvoir qui est le votre dans cette position» continue t’il «J'ai une
proposition à vous faire, je vais travailler pour vous ; je serai votre factotum»
Franchement, je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait bien vouloir dire...mais j'ai fait
semblant de savoir.
De fait, la définition académique de la fonction (Employé subalterne, sans fonction précise, qui
assume des charges multiples et variés); floue à souhait, convenait parfaitement au personnage
dans la mesure où encore aujourd’hui je n’ai aucune idée de l’étendue réelle de ses capacités et
réelles connaissances.
Et comme le veut la tradition latine, il devint le grand fait tout.
«Ne vous faites pas de soucis, je ne vous demanderai aucun salaire; tout ce dont j’ai besoin,
c’est d’une voiture et d’un bureau».
J’ai pas osé dire non et, de toutes les façons, vu la situation, cette intervention était quasi
miraculeuse et je n'avais pas vraiment d'autre choix; mais j’avais une sacré trouille.
Qu’allait-il m’en coûter, qu’allait il me faire faire.
En fait …rien, il s’en est tenu à ses exigences initiales et ne m’a jamais demandé un centime.
Il recevait régulièrement des chèques ..... d’origines variées et pas tout a fait inconnues.
Pour le reste, il m’a une seule fois demandé un service que je croyais du reste, bien a tord, ne
pas pouvoir lui rendre.

Un vendredi soir d’automne alors que nous nous apprêtions à quitter le bureau de fortune que
j’avais installé pour lui dans un garage indépendant de la maison, il me dit:
«Demain, je vais vous présenter à quelqu’un; vous verrez, c’est un personnage. Il a une
maîtresse à Lyon, et pour avoir un prétexte de visite, il a carrément créé la bas une compagnie
qui fabrique des toiles goudronnées et d’autre matériaux a base de pétrole…Une figure, vous
dis-je, vous allez apprécier ».
Utesa,
Je ne suis pas très sur de l’orthographe; ce qui est certain, par contre, c’est que c’est lui aussi, un
autre personnage.
Personnage doté d'un accent du midi à couper au couteau.
«Écoute moi petit, André m’as dit que tu pourrais faire quelque chose pour moi».
Ah! Nous y voilà!!
«Dans notre petit coin de Provence, nous aimons l’environnement.
Nous sommes plusieurs petit propriétaires a apprécier le calme de notre province et voila qu’un
sinistre hurluberlu est en train de faire déclasser un site protégé a coté de chez une vieille dame
de mes amies pour y transférer une usine de traitement de déchets qui est actuellement sur un
site constructible; comme ça, après avoir rasé l'usine, y va pouvoir transformer ce putain de site
en une mini cité en se faisant un max de pognon.
Moi, je m’en fous qu’y s' fasse du pognon, mais nous ne voulons pas de sa foutu usine sur notre
territoire; le site est classé et nous voulons qu’il le reste.
Aides nous, petit».
La cause était noble, mais que pouvais-je y faire?
En désespoir de cause, j’en parle à Kasandjian ; après tout, ça relève de l’environnement même si
ça ne concerne pas notre service.
Ça l’amuse ; il est plus rompu que moi aux magouilles de couloir. «On lance le bouchon de
manière tout à fait anecdotique et on attend que ça retombe». Sourit-il, «je m’en charge».
J’ignore à qui il a parlé et ce qu'il lui a dit, mais quelques jours plus tard, un individu à l’air franc
et massif du faux cul de service vient me montrer un dossier, sous le manteau bien sur, en toute
confidentialité, du style «cette conversation n’a jamais eu lieu», et j’en passe.
«C’est un dossier sensiiiiiiiiiiiible» murmure t’il; «le sénateur «X» est très intéressé par ce
projet»
Traduction intégrale: le sénateur «X» a sonnants et trébuchants intérêts dans ce projet!
Bref, je rapporte à Utesa l’essence de cette conversation qui, comme on le sait, n’a en fait jamais
eu lieu.

Quelques semaines plus tard, un malencontreux accident dû au gaz me semble t’il, endommage
quelque peu la villa provençale de notre sénateur alors qu’il était, avec toute sa famille, en
vacance à l’étranger à ce qu’on m’a dit.
Je crois bien en tout cas que ce site est toujours inscrit a la rubrique «sites protégés».
C’est la seule chose qu’en trois ans de collaboration, André m’a jamais demandé d’accomplir
pour lui.
A dater de ce jour il entreprend mon éducation…..Tout en finesse la plupart du temps.
Il ne se départi jamais de la position qu’il a lui-même choisie: Il me conseille, mais je reste le
patron.
Il ne discute pas mes décisions finales.
Une curieuse relation s’établit entre lui, mon épouse et moi-même.
Il tutoie mon Épouse qui fait de même à son égard; par contre il me vouvoie ostensiblement.
Il nous arrive de passer un week-end à sa maison de campagne mais il conserve toujours la
même attitude.
Il lui arrive de temps en temps d’évoquer le temps de sa gloire; une époque où, dit il; il avait pas
mal d’argent.
Il évoque ses connexions anciennes, mais avec discrétion.
Je pensais à l’époque qu’il affabulait un max, mais après sa mort, j’eus confirmation de la
véracité de certaines de ses allégations par une de ses nièces qui s’insurgeait de l’attitude de ses
parents vis-à-vis du défunt ; parents qui n’avaient du reste pas jugé bon d’assister a son
enterrement.
«Quand il avait de l’argent, il leur a tout donné» disait-elle, «mais depuis son séjour en prison,
ils ne voulaient plus entendre parler de lui».
Eh oui, ça fait tache.
En fait, ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est que le lendemain de l’annonce de son décès, sa
maison a été cambriolée.
Le plus curieux, c’est que rien ne semblait avoir disparu, mais quelque chose paraissait étrange a
nous qui connaissions bien les lieux; il flottait comme une sorte de malaise.
Il nous a fallu un moment pour identifier l'anomalie: Il ne restait pas le moindre morceau de
papier dans toute la maison.
C’est alors que je me souvins qu’André m’avait demandé de garder pour lui un carton assez
lourd.
De retour chez moi, je m’empresse de l’ouvrir et y découvre des liasses de documents
soigneusement répertoriées.

J’aurais sans doute du garder le tout a titre de reliques, mais au vu de leur contenu ; des faits, des
lieux et des noms, je me suis empressé de les faire disparaître.
J’ai eu tord dites vous ?
Très sincèrement, à l’époque, je n’avais pas les épaules pour m’en servir.
Le plus intriguant c’est qu’a postériori, il semble qu’il s’attendait à mourir, quelques jours avant,
il avait écrit plus de deux cent lettres que j’ai retrouvées dans sa chambre, à la clinique.
Il réglait ses comptes, semble t’il, mais n’avait pas eu le temps de les poster. Je l’ai fait à sa
place ; ça m’amusait de penser que, jusqu’à ce qu’ils apprennent sa mort, certains personnages
hauts en couleur allaient mouiller leur culotte.
Lors de ma précédente visite, a lors que je lui racontais les méandres d’une de mes transactions il
m’avait dit avec un sourire « vous n’avez plus besoin de moi maintenant ».
C’est du reste lorsque j’ai voulu lui rapporter le succès de cette transaction que j’ai appris sa
mort, et pu apprécier la délicatesse du personnel hospitalier.
Allooo… puis je parler a André Villain, chambre …., ?
André Villain ? … Il est mort ce matin !
Claccc !
Heureus’ment qu’j’étais pas cardiaque.
Un bien étrange personnage en vérité.
Dur a l’ouvrage jusqu’à la sottise ; ce qui lui a probablement couté la vie.
Au quotidien, il habitait chez moi, mais passait le week end dans sa maison de l’Indre à quelques
200 km de là.
Il arrivait régulièrement le lundi matin sur le coup de 8 heures.
Un de ces matins, le dernier en fait, nous entendîmes sa voiture s’arrêter sur le parking en face de
la maison, mais aucun bruit de portière.
Au bout de quelques minutes, nous décidons d’aller voir ce qui se passe et le trouvons plié en
deux sur la portière.
Hôpital immédiatement ; diagnostic : crise cardiaque ; et on connait la suite.
Ce que nous ne savions pas, c’est qu’il avait fait deux autres crises durant le week end, n’avait
pas voulu de médecin, et avait quand même pris la route a cinq heures du matin.
Quand je dis qu’il fit mon éducation en finesse, ça ne veut pas forcément dire en douceur.
J’ai déjà dit que je suis un chef d’entreprise d’opérette; ...suis pas armé pour affronter les
banques, les concurrents ou l’administration....Pas mon truc!
L’arrivée d’André qui veille au grain me soulage d’un grand poids; mais voila, il a l’intention de
m’éduquer, et, quand on en vient a l’éducation, sa méthode est très simple, c’est celle du maître
nageur.

Connaissez pas?
Y vous balance à la flotte et…tait toi et nage!!
A un moment où notre petite entreprise avance «a toute vapeur», bien sur, j’ai besoin de
carburant.
OK dit il, «nous allons a la banque».
En fait c’était: nous allons devant la banque, et c’est vous qui entrez.
J’avais naïvement pensé qu’il allait négocier à ma place.
Ben non!
«C’est vous le patron, c’est à vous qu’ils doivent faire confiance».
J'entre, m'installe du bout des fesses sur un inconfortable tabouret et... au bout de 15mn je
ressors.
Alors que je m’apprête à servir un énorme mensonge a mon mentor, il me devance:
«Z'y êtes pas allé; on y retourne!»
On??? Moi bien sur.
Et, devinez quoi; je l'ai eu ma foutu ligne de crédit.
Apprentissage «à la dure» peut être ....... mais efficace; ça c'est certain.
Et puis, Il y a eu Chevanne.
J'ignore totalement pourquoi André me l'a présenté, mais nous allions, plus tard, faire un bout de
chemin ensemble.
Il était le mari...un peu délaissé... de la fille du célèbre Sylvain Floirat.
Oui. Ce garagiste qui bâtit tout un empire: Europe 1, Matra, Aigle Azur, Byblos et j'en passe ;
tout ça dans le désordre bien sur.
Chevanne était en fait un peu le «vilain petit canard» de la famille.
Un homme extrêmement sympathique, un artiste dans sa partie.
Alors pourquoi vilain petit canard?
Ben parce qu'il n'en avait rien à foutre de l'argent! Et chez les Floirat, ça jure.
Aujourd'hui, je ne comprends toujours pas pourquoi André avait jugé bon de nous présenter l'un
à l'autre car il ne pouvait a l'évidence pas deviner la tournure qu'allait prendre les événements
après sa mort.
Bref cet esthète vivait dans un splendide moulin au pied duquel il avait son atelier.

Il fabriquait des petites merveilles en matières plastiques diverses, et, incidemment, il fabriquait
aussi sa propre électricité a partir de la chute d'eau qui jouxtait son moulin.
Sans doute poussé par la famille, il avait fait construire en son temps une «usine» d’un millier de
m2; sorte de grand hangar avec un petit atelier; dans la zone industrielle de Gaillefontaine où il
résidait alors, mais il ne s'y sentait pas très a l'aise et avait vite réintégré l'atelier du moulin.
L'usine était donc libre.
Mais ceci est une autre histoire.
Pour revenir à André, il avait l’art des raccourcis et détestait les solutions compliquées mais pardessus
tout, le travail qu’il faisait pour moi nécessitant quelque peu de concentration, il tenait a
sa tranquillité.
Or, pendant que nous étions en roue libre, l’un de nos collaborateurs, beau frère de mon nouvel
associé que nous avions recruté un peu par bonté d’âme, pas des plus futés il faut bien le dire
mais plein de bonne volonté, aimait à trainer autour de lui; posant des questions ; racontant des
histoires déplaçant ça et là des objets et j’en passe.
André détestait ça mais, n’ayant rien d’autre à lui donner, prenait son mal en patience jusqu’au
jour où, par un de ces éclairs de génie qu’il nous arrive parfois d’avoir, il ne trouve rien de
mieux, pensant ainsi gagner quelques heures de tranquillité, que d’expédier notre quidam
nettoyer les abords de la maison sous le fallacieux prétexte que son aspect négligé donnait une
très mauvais image de marque à la société.
Objectif atteint : Il a tout nettoyé…absolument tout ; restait plus un caillou, plus un brin d’herbe,
plus la moindre petite fleur, pas le moindre arbrisseau y compris ceux que mon épouse avait
laborieusement planté le week end précédent.
Il avait gagné ses quelques heures de tranquillité…Moi pas.
Mais, dans l’ensemble, ça se passait plutôt bien.
Sa mort m’a réellement laissé comme orphelin. Quelque mois auparavant, j’aurais certainement
assez mal surmonté la chose, mais avec lui, j’avais appris à faire face à quelque situation que ce
soit.
Donc :
Vogue la galère.

Je vous avais promis des histoires rocambolesques, en voici deux qui, comme je vous l’ai dit
illustrent bien la mentalité administrative.
Il s’agit de l’histoire du moteur à eau, et de l’histoire des centrales d’épuration d’eau Iraquiennes.
Bien sur, elles ne sont pas liées, mais se situent à la même époque, l’une après l’autre.
Ce sont deux affaires auxquelles je n’aurais pas du tout du être mêlé, l’une parce qu’elle relève
de la stupidité à l’état pur, l’autre parce qu’elle ne se situait pas du tout dans mon domaine
d’intervention ministériel.

Il ETAIT UNE FOIS
UN MOTEUR
QUI MARCHAIT A L’EAU PURE
En tout cas c’est ce qu’il était supposé faire.

Je crois réellement que ce fut la plus ubuesque de mes aventures.
Non pas parce que qu’un parfait hurluberlu ait ressorti ce vieux fantasme, ni du fait de l’ampleur
médiatique et politique que cet évènement allait prendre, mais surtout du fait da la réelle
fascination que ça allait exercer sur de supposés et néanmoins authentiquement officiels
scientifiques.
Ce jour là, j’étais sur cales, traduisez, congé de maladie : vertèbres déplacées.
Quoi ?
Non non non non ….. pas du tout diplomatique la maladie.
D’ailleurs, vous verrez sur la photo, j’ai vraiment l’air d’avoir un parapluie planté là où le diable
est supposé avoir sa queue.
J’ai toujours été un peu fragile du coté des cervicales ; oui je sais, certains ont même tendance à
dire qu’ c’est même monté un peu plus haut.
Mais non, là c’est sérieux ; séquelles de mes frasques estudiantines coté barre fixe et barres
parallèles ; le sport ne m’a jamais inspiré ; si j’en ai fait c’est que c’était supposé faire flipper le
beau sexe.
En fait, c’est surtout après que je me sois cassé la gueule que j’ai commencé à attirer leur
attention. Les femmes semblent avoir un insoupçonnable coté infirmière qu’il est parfois
agréable de révéler.
Comme si, poussant leurs galants à la performance …sportive j’entends ; elles espéraient qu’ils
se ramassent pour pouvoir mieux les soigner ; ou, peut être…. mieux les avoir à leur pogne.
Et, donc, du fond de mon grabat, je reçois un coup de fil de Kasandjian.
« Chavant, il y a demain une manifestation à Rouen et il faut absolument que vous y soyez ».
Rouen ?
A quel sujet ?
Moteur a eau !
C’est une plaisanterie j’espère ! Cette histoire de moteur à eau est un vaste canular qui, tout
comme le gentil Nessie, ressort d’une décennie sur l’autre.
C’est probable, mais il va y avoir toute la coterie scientifique ; commissariat a l’énergie
atomique, Moteur Moderne, institut Français du pétrole, et j’en passe ; on ne peut pas se

permettre de laisser dire que le Ministère de la Qualité de la Vie fait obstruction par sa seule
absence.
Je résiste.
C’est une vraie connerie ; de plus, je ne peux pas me déplacer ; problème de vertèbres.
Monsieur Chavant ; vous et moi savons parfaitement que vous avez une très confortable
automobile et je suis certain que vous pourrez trouver un excellant chauffeur parmi ceux de
votre équipe.
Eh oui, comme je l’ai déjà relaté, Le ministère utilisant ma petite compagnie de transport pour
soutirer, entre autres, des renseignements aux constructeurs de poids lourds, il était parfaitement
au courant de mes activités parallèles et néanmoins légales puisque je ne suis pas fonctionnaire.
Je suis coincé.
Et puis il y aura un bon repas, z’ allez toud’mem pas rater ça.
Mon point faible !
Mon chauffeur devra être traité comme un membre du ministère.
Pas de problème.
Avec le recul, j’aurais vraiment regretté de rater ça ; j’ai rarement entendu un aussi fabuleux
ramassis de conneries, mais le repas était somptueux.
Kasandjian m’avait prévenu, mais je ne m’attendais tout de même pas à un tel rassemblement de
sommités ….et de journalistes.
Le tout orchestré par Paris Match.
Dès mon arrivée je suis pressenti comme l’ennemi. Je me demande bien pourquoi puisqu’en tant
que représentant de l’environnement, je suis a priori sensé être du bon coté.
En réalité, comme j’étais en congé de maladie, Paris Match avait vainement essayé de me
joindre et en avait déduit que je me défilais.
Il valait peut être mieux du reste que ça se soit passé comme ça. Je vous l’ai déjà dit, à cette
époque, j’étais assez loin d’être diplomate.
Et la fête commence.
L’inventeur fait l’amphatique présentation d’une mystérieuse boite noire supposée être la clé du
mystère.

C’est marrant, sur Paris Match elle était rouge ; p’tet qu’la couleur a pas d’importance après tout.
Boite noire grâce à laquelle le miracle va se produire et sans laquelle rien n’est possible ; une
sorte de catalyseur.
Suspense !
Bien évidemment …. aucune explication, secret industriel oblige.
Il y a tellement de puissances étrangères qui seraient trop contentes de posséder un tel trésor.
Puissances étrangères qui du reste ont offert on pont d’or à notre inventeur de génie, lequel dans
sa probité patriotique, a tout de go refusé soucieux de préserver à la France une confortable
avance énergétique.
Cette boite noire, donc, est ornée de deux fils électriques qui pendouillent.
Un rouge et un bleu comme il se doit.
On fait le plein d’eau, on rajoute l’alcool - a titre de catalyseur dit-on -, on oublie au passage de
brancher la boite noire, ce que, comme vous pouvez le voir sur la photo qui suit, je fais illico
remarquer a Jean Paul qui a gentiment accepté de me servir de chauffeur.
Vous m’reconnaissez pas sur la photo ?

Ah ben oui, j’ai changé depuis, c’était tout de même il y a plus de trente ans, quand j’étais jeune
et beau.
Ben quoi, chacun ses gouts non ?
Vous savez quoi, je viens juste de constater un truc marrant.
J’porte pas de cravate sur cette photo, pas plus que je n’en porte à mon bureau à une époque où
c’est de très mauvais gout ; alors qu’aujourd’hui, dans un pays ou personne ou presque ne porte
de cravate, j’en porte une.
Ça doit vouloir dire quelque chose.
Cela dit, un jour, on a vu arriver notre bien aimé patron en polo et baskets et notre commune,
efficace et dévouée secrétaire, Danièle de son prénom, en a déduit que j’avais une très mauvaise
influence sur lui.
Bref, notre inventeur surprenant mon aparté avec Jean Paul s’empresse de rectifier son oubli ; un
peu tard car le moteur tournait déjà ; ou plutôt…. crachotait déjà.
Ce Moteur, un vénérable V8 qui avait vu des jours meilleurs devait bien à l’origine tirer ses 200
CV.
Il est accouplé à un petit générateur électrique lequel alimente un poste de soudure à l’arc.
Donc, Le moteur toussote, crachote, finalement démarre.
Le branchement tardif de la boite noire n’améliore en rien ses performances, mais l’assemblée
crie au miracle.
Sauf peut être quelques uns.
Curieux, EZA du Moteur Moderne n’a pas jugé bon d’assister à la démonstration,
embouteillages sur les routes normandes sans doute ; il n’assistera qu’au repas…pas folle la
guêpe.
Ça commence à être drôle.
Personnellement j’vois pas bien où est le miracle puisque on connait depuis longtemps le
principe du moteur poly carburant qui est capable d’avaler a peu près tout ce qui se brule y
compris les mélanges eau/alcool.
Tout est affaire de proportions ; pas de quoi en faire une affaire d’état.
Maintenant nous allons voir ce que nous allons voir.

Notre valeureux garagiste ; Ah oui, J’ai oublié de vous dire que l’inventeur est un de ces
industrieux artisans que je vais être amené plus tard à éclairer sur les mystères de l’anti pollution.
Notre valeureux garagiste, donc, branche solennellement un poste de soudure a l’arc au
générateur de courant, lance le moteur a 1500 t/mn, se met à souder deux fers plats ensembles
et…le moteur perd 500 tours.
Wow, un moteur de sept litres pour tirer 2000 watts !
Et puis ?
Et puis c’est tout.
Je m’attendais à assister a une escalade de prodiges, vous savez quoi, soigneusement dosés ; de
plus en plus fort ; comme les jeux du cirque.
Mais non ; c’est….tout.
Nous pouvons maintenant passer à table.
Le bon coté des choses.
Enfin, ç’aurait pu être ça si Chambrin n’avait pas profité de l’occasion pour distiller ses grasses
plaisanteries de garage et si, cerise sur le gâteau, je ne sais quel farfelu ne m’avait pas placé à
coté du sieur Catoire, inconditionnel supporter du moteur à eau ; liquide dont du reste il évite
soigneusement la consommation à l’instar de son modèle dont la rougeoyante carnation ne laisse
place à aucun doute….Ou peut être est-ce …. l’excitation du moment.
Pendant ce repas, Monsieur Catoire, Ingénieur au port autonome de Rouen, n’arrête pas de me
briser les…oreilles avec les prouesses du génie de service ; et ce mec se prétend ingénieur.
Le seul moyen de tirer efficacement, je veux dire sans dépenser plus qu’on récupère, de
l’énergie d’un litre d’eau est la fusion à froid ; et, à ma connaissance, encore aujourd’hui, on sait
pas trop bien faire.
J’étais tout de même curieux de savoir comment tout ce beau monde s’était laissé embarquer
dans une telle galère.
J’étais quelque peu naïf à cette époque.
La seule vraie raison a pour nom : « scoop journalistique ».
Suivie de son inséparable compagne : « frayeur politicarde »
Chambrin n’est pas un escroc ; juste un honnête garagiste un peu idéaliste et raisonnablement
porté sur la bouteille ; pas un alcoolique, non, juste un brave normand ; enfin je crois.
Ça n’est que bien plus tard que, par ouïe dire, j’ai eu l’explication.

Je vous la livre telle qu’elle m’a été servie.
Jean Bernardet, respectable autant que célèbre journaliste automobile, ayant eu vent des
expériences de Chambrin sur un moteur à mélange alcool eau, par pure curiosité décide de lui
rendre visite.
Dans le feu de l’action et l’euphorie éthylique, bouteille en main, avec un gros rire gras,
Chambrin lance à la ronde : Je pourrais le faire fonctionner avec du vin vous savez, mais
évidemment ce serait plus cher que l’essence.
Ce à quoi Bernardet aurait rétorqué : vous êtes conscient que le vin, c’est quatre vingt dix pour
cent d’eau et seulement dix pour cent d’alcool.
Il peut même marcher à l’eau pure aurait alors clamé Chambrin qui aurait ce jour là bien du s’en
tenir à ce noble breuvage.
Bernardet tenait son scoop et on connait la suite.
Chambrin n’ayant sans doute pas le courage de se dédire s’est alors enfoncé chaque jour plus
profondément dans cette gadoue à laquelle il a probablement fini par croire lui-même.
Vanitas vanitatis !
Tout cela est bel et bon, le garagiste passe encore ; Bernardet ? Il veut juste vendre du papier ;
mais les autres ???
Commissariat à l’énergie-Moteur Moderne-Institut Français du Pétrole-Institut de Mécanique des
fluides etc…. ??
Que sont ils donc venu faire dans cette galère ?
Sans doute ont-ils, comme moi été délégués à leur corps défendant par leur ministère de tutelle.
Et pourquoi ça ?
Ils ne sont pas tous stupides ces polytechniciens de parade.
Ils n’ont sans doute pas toujours les pieds par terre, mais justement, ils auraient du être les
premiers à ruer dans les brancards, englués comme ils sont dans leurs incontournables principes
livresques.
Alors quoi ?
La peur !
La peur de l’échec aux élections suivantes !

Tous nos beaux politiciens ont des boulots sympas et ils n’ont pas envoie de les perdre.
Pas seulement a cause du fric ; y’en a même a qui ça coute.
Mais ils ont tous un point commun ; tous un tantinet mégalomanes. Ils veulent être reconnus
comme les bienfaiteurs de l’humanité, ils veulent se sentir supérieurs, ils veulent être salués,
adulés, baise-piedsés et j’en passe.
De sale gosses quoi.
Juste des parasites sans intérêt disait Jacqueline Bousquet.
J’ai tout de même un problème.
Étant le seul représentant de la sacro sainte et néanmoins Française administration, c’est à moi de
conclure.
Il me faut maintenant m’asseoir sur mes convictions technologiques pour endosser une attitude
aussi hypocrite qu’officielle.
Et là j’ai fait très fort !
Je suis tout prêt à apporter notre contribution à une telle avancée technologique.
Fournissez un véhicule tout équipé au laboratoire du moteur moderne et nous subventionnerons
tous les essais qui seront jugés nécessaires pour crédibiliser cette découverte.
Je ne pensais pas prendre là un très grand risque financier, persuadé que j’étais, comme ça devait
se vérifier plus tard, que nous n’entendrions plus jamais parler de cette histoire.
Exit Moteur à eau

Pendant ce temps, ma petite compagnie de transport, veuve du contrat « Domobiles », vivotait à
la petite semaine ; un transport de voiture par ci, deux transports de portiques de lavage par là
etc…
On tournait en fait sur trois clients.
Franco Britannic : voitures de sport : Transport
Charles HAAS : Portiques de lavage de voitures. Transport et installation.
Et une autre dont je ne me souviens plus du nom, concurrente de Charles HAAS. Pour laquelle
nous assurions le même service.
J’avais perdu un chauffeur dans l’aventure « Domobiles » et les trois qui restent peuvent
efficacement assumer les deux casquettes, et je peux moi, conserver mes cinq tracteurs et mes
remorques.
C’est pas le pied, mais ça roule.
Bien sur, je cherche toujours « le truc » qui pourrait aussi me permettre de conserver ma BMV.
Le président d’une petite société de recherche à qui j’avais été amené à octroyer quelque minime
subvention dont l’obtention n’était sans doute pas étrangère ; d’une part à la position de son frère
à l’assemblée nationale, et d’autre part à son appartenance à une certaine société dite discrète à
laquelle notre ministre appartenait aussi ; me présente un jour le directeur d’une filiale de la
société Lautrette, à l’époque en position de leader dans le domaine de la filtration automobile.
Bien sur, même si on me faisait miroiter une éventuelle opportunité de transport, ça n’était pas
pour mes beaux yeux comme vous allez vous en rendre compte par la suite.
Donc

OU IL EST QUESTION D’UN
VOYAGE DE NOCE
Eh oui ma pov’dame, on est ben peu d’chose.
En tout cas aux yeux de ces messieurs de l’administration.
C’est pas mon habitude de me plaindre mais quand même !
Mes pérégrinations ministérielles assorties aux accointances que me procurait André, m’amènent
à fréquenter pas mal de personnages.
Je ne me souviens plus tellement maintenant dans quel cadre c’était, mais j’étais en contact avec
une société qui, du temps de son fondateur, avait quasiment le monopole de la filtration
automobile : la société Lautrette.
Pourquoi « avait » ?
Parce que, Jean Lautrette, le fondateur, étant décédé, son fils lui succéda.
Le vieux devait se retourner dans sa tombe !

Il faut dire que ce dernier connaissant assez bien sa progéniture, avait, parait il, stipulé dans son
testament qu’il déshéritait son fils adoré s’il lui prenait fantaisie de vouloir diriger l’entreprise.
Faut croire que ça a pas marché puisqu’il la dirigeait quand même ; en tout cas pour un temps :
Il était plus enclin à soigner son image qu’à reprendre le flambeau du père.
Il faut aussi dire que ça n’est pas toujours facile de succéder à un « Jean Lautrette ».
Mais quand même ; il avait une curieuse manière d’aborder la question.
Me croisant un jour dans un couloir de la firme, il m’apostrophe en ses mots : « Monsieur
Chavant, avec le nom que je porte, il faut que je fasse de la politique ! »
Ben… pourquoi pas.
Bref, il ne s’agissait pas pour moi d’automobile cette fois là.
Lautrette avait une filiale qui avait mis au point un ingénieux système de filtration / décantation
d’eau destiné au moyen orient et visait le marché des municipalités Irakiennes.
Leur problème étant que le grand maitre d’œuvre là bas est De Grémont.
L’Equipe me demandait donc de l’appuyer sur ce coup là, et, compte tenu du fait que De
Grémont avait déjà obtenu le marché de Bagdad ; tenter de la désintéresser du marché des
municipalités qui, de toute façon n’est pas vraiment dans ses cordes… Ils ont tendance à voir
plus grand.
Comme d’habitude, je fonce tête baissée.
Il faut dire qu’on m’avait fait miroiter le contrat de transport France pour le matériel en question.
Un détail ; il s’agit de 450 Unités !
Mes remorques désaffectées par la défection de DOMOBILE conviennent parfaitement pour ce
genre de transport entre l’usine et le port ; 225 chargements.
Vous auriez réagi comme moi.
Une fois encore, je mets mon tonton à contribution, et que ce soit grâce a lui, ou tout simplement
par ce que De Grémont, mis au courant de la candidature de Lautrette ( tout se sait dans ce petit
monde) et pas réellement très chaud pour ce marché, se soit naturellement désisté ; ça marche.
Ca marche, mais ça se complique.
Hamza El Bahéli, (je ne garanti pas l’orthographe) vice ministre des municipalités Irakiennes
demande à voir, sur place, ce matériel qui, sur le papier, semble parfaitement lui convenir.
Là, je suis un peu largué, une fois de plus, j’en parle à Kasandjian.
Appelez la Coface et faites le inviter officiellement.

Et là, c’est encore une des ubuesques aventures de ma courte administrative carrière.
Ça marche ; sur un simple coup de téléphone de ma part, on invite le ministre ; de quoi se
prendre la grosse tête.
Jamais dans la procédure on ne m’a demandé qui j’étais, ni pourquoi je m’occupais de ce dossier
qui n’a rien à voir avec l’environnement dont je prétendais dépendre ; pas même un coup de
téléphone en retour juste pour vérifier que mon appel venait bien d’un organisme officiel.
Vous avez dit « avions renifleurs » ?....Je rigole ; il semble bien qu’a l’époque, n’importe qui
avec un téléphone pouvait infiltrer notre trop crédule administration.
J’ose espérer que ça a changé depuis.
Puis, un matin ; coup de téléphone : « Rien ne vas plus !»
Que se passe-t-il ?
Y veut tout voir !
Et ça vous chagrine que le gars qui trimballe le carnet de chèques veuille rentabiliser son voyage
et élargir ses horizons ?…devriez plutôt jubiler !
Oui, mais c’était pas prévu !
Sacro sainte administration ; la saisie d’opportunités, c’est pas son truc.
Bon, j’m’en charge.
Une fois de plus je mets a contribution Jean Paul, vous vous souvenez, le chauffeur qui m’avait
accompagné dans ma savoureuse équipée Rouennaise.
Ça n’a pas l’air de lui déplaire du reste.
Il va balader Bahéli dans ma superbe BMW, où bon lui semblera ; et le tour est joué.
Je commence a mieux comprendre les propos d’André : « vous n’avez pas idée du pouvoir qui
est le votre ».
Bref. Tout se passe à merveille.
Le ministre est ravi, les micro centrales d’épuration correspondent parfaitement à ce qu’il
cherche ; et, accessoirement, aux spécifications incluses dans l’appel d’offre initial.
Je suis intimement persuadé que Lautrette a créé ces centrales spécialement pour répondre à cet
appel d’offre….ou peut être est ce le contraire.

Le ministre nous quitte sur ces encourageantes paroles : « C’est parfait, soyez prêts a agir dès
que je vous contacterai ; ce sera fait au travers de votre ambassade a Bagdad ; cela dit,
j’aimerais que vous vous chargiez également du transport et de la mise en place sur le terrain ;
faites moi un devis ».
Lautrette se tourne vers moi, pourriez vous assurer ça ?
Là encore, je fonce, « pas de problème »…Une bonne dose d’inconscience !
Je ne connais rien du pays, des conditions etc…
Tout ce que je sais, c’est que ça va me faire sortir définitivement de l’ornière.
Et de fait, je fais consciencieusement mon travail. Mon équipe et moi travaillons d’arrache pied,
nous contactons les entreprises qui vont nous fournir les camions sur place et racheter les
rescapés après usage et ils nous aiderons à trouver les chauffeurs sur place.
Nous envoyons le devis ; ça passe.
Ya plus qu’a attendre le coup de fil de l’ambassade de France a Bagdad.
Et……Ce coup de fil n’arrivera jamais !
Bahéli nous aurait menés en bateau ?
Même pas.
Comme prévu, il a contacté l’ambassade….par Fax adressé au conseiller commercial.
Monsieur le conseiller était en voyage de noces et, davantage préoccupé par la perte de son
pucelage que par les affaires de la France (et les nôtres par la même occasion), n’avait pas jugé
bon de transmettre le dossier à qui que ce soit.
Les Irakiens n’aiment pas qu’on les traite à la légère, ils ont réalisé l’opération avec un matériel
allemand qui ne correspondait même pas à l’appel d’offre ; pire, ils se sont déplacés en
Allemagne pour signer le contrat.
A la réflexion c’était peut être pas plus mal ; je veux dire pour moi.
De toutes les galères dans lesquelles je me suis embarqué, c’aurait pu être la pire.
Pas certain que nous aurions pu assurer.
Il m’aurait fallu lâcher mon boulot au ministère pour me concentrer sur ce contrat.
J’étais pas prêt pour ça.
Ma charmante compagne a l’habitude de dire : « Tout arrive pour une raison ».
Je suppose que c’est vrai.
Adieu veaux vaches cochons couvées.

L’histoire qui suit sera la dernière de mes pérégrinations administratives.
Non pas parce qu’il n’y en a pas eu d’autre ; je pourrais en conter à l’infini, subventions non
honorées parce que les intéressés n’ont pas répondu dans les temps ; subventions que nous
devions attribuer en urgence à….n’importe qui de préférence…. à la veille de la nouvelle année
sous peine de voir notre budget de l’année suivante amputé des somme non distribuées
etc…etc…
Non, celle-ci illustre à merveille la mentalité administrative.
Pour le polytechnicien de service, ce qui est écrit, non seulement a force de loi, ce qui reste
après tout logique ; mais ce qui est écrit est réalité ; ce qui reste à démontrer.

OU IL EST ENCORE QUESTION DE BRUIT

Ça commence exactement comme la dernière fois ; Saglio fait irruption dans mon bureau
tonitruant, on a encore des problèmes de bruit, cette fois ci c’est les motos.
Pondez moi un visant à réduire le niveau admissible de deux décibels.
Là ça craint.
Aujourd’hui, ça ne poserait aucun problème ; nous ne fabriquons plus de motos.
À cette époque c’était un peu différent ; Peugeot et Motobécane étaient encore productifs.
Je fouine un peu et remonte à la source de l’information.
Tous les ans il y a un concours de cars à Nice, entre autre tests, ces cars doivent répondre à
certains critères de silence.
L’appareil de mesure : le sonomètre.
Un brave officier de police à qui venait d’être attribué une splendide Ducati toute neuve, passait
par là.
Il interpelle le technicien sonomètre qui procède à un des essais préliminaires et lui demande
courtoisement (Eh oui, on est à Nice) s’il lui serait possible de tester-bruit sa motocyclette qui,
bien que neuve lui semble par trop sonore.
Résultat consternant.
Un rapport est consciencieusement diligenté qui, atterrissant sur le bureau du sieur Saglio,
provoque l’irruption que j’ai rapportée plus haut.
Je connais nos faiblesses en matière de bruit de motos.
J’en réfère à Kasandjian qui prudemment me demande de « voir où ça nous mène »
Où ça nous mène ?
C’est simple, les motos Françaises disparaissent de la circulation, les japonaises tiennent le haut
du pavé, les allemandes suivent de près, et viennent enfin les Italiennes.
Tiens, c’est curieux.
Ducati est pourtant Italien et, d’après la littérature que j’ai en main, se trouve loin d’être en
danger.
Et c’est pourtant par Ducati que le scandale arrive.
Soit: de la différence qu’il peut y avoir entre théorie et pratique, ou, si vous aimez mieux, entre
rêve et réalité ; ou encore rigueur germanique et « démerde à l’Italienne »

Je provoque une réunion au sommet et je soumets mes conclusions, à savoir :
Les constructeurs italiens trichent.
Y sont gonflés quand même, y z’auraient pu fournir à la police des motos traitées anti bruit et on
aurait évité tout ce cirque.
Toutes les motos sur le marché, Italiennes compris avaient pourtant passé avec succès les
épreuves anti-bruit.
Saglio suggère de les leur faire repasser.
J’objecte: « ça ne donnera rien, ils savent faire sinon les motos n’auraient pas satisfait à
l’homologation ;c’est juste qu’ils veulent pas mettre le prix ; la seule chose qui puisse être
efficace est un prélèvement sauvage sur le terrain qui pourrait démontrer que certaines des
motos vendues ne sont pas conformes aux motos présentées à l’homologation. »
Nous n’avons pas le droit de faire ça, ce serait ressenti comme de la provocation.
Ya une autre solution :
« Je ne fais pas officiellement partie de l’administration, le ministère octroie à ma société une
subvention de fonctionnement sous un prétexte qu’il reste à trouver, j’achète des motos et je
porte plainte pour non-conformité, à titre privé, ce qui motive une enquête officielle et on repart
de là ».
Solution adoptée.
Je vais parcourir la France, et plus particulièrement le midi de la France : Nice, Marseille, Nîmes,
etc… et acheter une bonne quinzaine de motos ayant récemment passé avec succès les tests
bruits.
Une bonne ballade en perspective ; j’aime ça.
Mais c’est pourtant just’à coté que l’histoire la plus rocambolesque va se situer.
L’UTAC à qui échoit une part du gâteau (financier, j’entends) me fournit un compagnon de
voyage supposé parfaitement connaitre les modèles les plus susceptibles de devoir être
contrôlés.
Je passe donc prendre ce technicien à Montlhéry.
J’admire au passage une splendide Ducati 3 cylindres que l’on prépare pour l’homologation
du lendemain.

Nous ressortons de l’autodrome et, pour éviter un monstrueux encombrement nous décidons
de passer par le village.
Oh surprise, nous passons devant l’échoppe d’un vendeur de motos qui arbore fièrement ce
modèle de Ducati qui ne devrait pas être en vente puisque non encore homologué.
Ne nous emballons pas, allons aux renseignements ; c’est peut être seulement un modèle
d’exposition.
Mais non, elle est à vendre, et…bien sur, je l’achète. Vous vous doutez bien que cette moto,
que nous convoyons immédiatement à l’UTAC est loin de satisfaire aux exigences anti-bruit
alors que sa consœur les passera avec brio le lendemain.
Bien sur ce ne sera pas la seule durant notre périple, mais c’est la seule pour laquelle je devais
recevoir quelques semaines plus tard, par courrier, la plaque d’homologation avec toutes les
instructions nécessaires pour la positionner au bon endroit.
Y sont définitivement gonflés.
Comme prévu, la cueillette est fructueuse.
Les japonaises et les allemandes tiennent leurs promesses, les françaises aussi, pas de triche.
Les seules à nous causer de l’embarras sont définitivement les italiennes…toutes les italiennes.
Marseille nous fournit la majeure partie de notre moisson, mais nous n’irons pas plus loin.
Téléphone arabe … sans vilain jeu de mots.
Les nouvelles vont vite, les bonnes comme les mauvaises, et plus particulièrement, lorsque les
bonnes se transforment subitement en mauvaises.
Comment ça ?
Simple :
Dans notre un peu infantile désir de faire vite, il nous est arrivé d’acheter plusieurs motos dans le
même magasin ; généralement petit magasin pour éviter trop de questions ou de suspicion.
Pour eux, c’est noël au printemps.
Jusqu’au moment où un petit malin, avocat du syndicat, reniflera le piège et interdira a ses
adhérents de nous vendre quoi que ce soit.
Peine perdue, le mal est fait, nous en avons fini avec Marseille.

Arrivé à la gare où nous embarquons les motos pour les expédier à l’UTAC, je ressens comme
un malaise…Ne me demandez pas pourquoi…une concentration policière inattendue, des
uniformes policiers un peu bizarres ?
Quelque chose comme ça.
Je dis à mon coéquipier : « On file ! »
« Pourquoi ? On a pas fini ! »
Faux…On a FINI !!!
On file vers Aix où nous ne trouverons rien à acheter, ils connaissent même le numéro de ma
plaque d’immatriculation ; ça, je l’ai su plus tard.
Beaucoup plus tard ; de même que je connaitrai les raisons de cette inhabituelle concentration de
gabelous à la gare Saint Charles.
Eh oui, c’était pas des policiers, c’était des douaniers escortant la brigade des stupéfiants
américaine…..quelqu’un avait fait très fort ; mais ceci est une autre histoire.
Somme toute, mission accomplie, il ne faut pas sévériser les normes, seulement s’assurer
qu’elles sont respectées.
Il ne nous reste plus qu’à envoyer le dossier complet au tribunal et saisir officiellement
l’administration qui pourra ainsi diligenter une enquête etc….etc… Sauf que….
Le dossier original va se perdre entre le ministère et le palais de justice.
` Ben voyons !
Oh ! On n’a pas tout a fait perdu la face, L’importateur Ducati a fermé ses portes et cédé la place
à une authentique succursale et leurs motos ont cessé de pétarader dans les rues.
On a fait semblant de chercher à coincer un Importateur Français qui persistait à arroser le
marché de motos bruyantes ; mais, curieusement, chaque fois que je me pointais, il était absent.
D’autant plus étrange que seul trois personnes étaient au courant de mes tentatives.
Le ministre
Le conseiller du ministre
Et votre serviteur.
Et puis, un jour que je présentais au service des mines plusieurs des remorques que j’avais tout
de même fini par fabriquer malgré leur évidente inutilité ; l’ingénieur des mines chargé de leur

homologation remets à Jean Paul le précieux burin à tête de cheval qui devait servir à graver
pour l’éternité l’attestation de conformité de mes attelages ; regarde ce dernier dans les yeux et
grasseye : « Je n’ai pas besoin de vous dire ou il faut mettre les marques, n’est ce pas »
« Mais », balbutie Jean Paul, « on n’a même pas fait les essais ».
J’avais une folle envie de dire à ce peut être pas si digne que ça fonctionnaire, où il pouvait se le
mettre son burin, d’autant que cette fois ci je savais parfaitement que mes remorques étaient
parfaitement conformes ; mais j’avais envie d’en savoir plus.
« Que puis-je faire pour vous ? » patenôtrais-je
« Monsieur Chavant, j’ai entendu dire que vous cherchiez après notre ami René, vous savez, il
est si malade, ce serait sympa si vous pouviez lui laisser un peu de répit. »
Comme c’était gentiment dit.
« Moi j’y vois pas d’inconvénient, mais ç’est plus d’mon ressort, il faut voir ça avec le ministre,
ça d’vrai pas poser d’proble’m, j’ crois qu’ vous le connaissez bien»
Et c’est exactement ce qui s’est passé.
Mes remorques ont été homologuées sans faire un tour de roue et le ministre m’a gentiment, par
l’intermédiaire de son conseiller, enjoint de foutre la paix à son ami René.
La vie n’est elle pas merveilleuse !