MEME PAS PEUR Numéro 7

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6 / Même pas peur N o 7 / AVRIL 2016 Changer les contre-pouvoirs Sokolov Les contre-pouvoirs ne seraient plus ce qu’ils étaient, ma bonne dame, tous aux barricades, haut le drapeau, hasta la victoria siempre companeros ! Les contre-pouvoirs ne seraient plus ce qu’ils étaient, mon bon monsieur, rapports de force socio-démocrates policés d’un petit pays de coalitions politiques, champion de la concertation sociale. Trente, que dis-je, quarante ans de résistance défensive au rouleau compresseur de la dérégulation néolibérale du capitalisme et de la démolition systématique des idéaux d’égalité et de justice au prétexte de l’échec des expériences de socialisme réel ont transformé les partis socialistes en collabos du libéralisme prétendument social, les syndicats en perdants tristes, les militants en humanitaires tentant d’éviter le pire. Ce n’est pas une raison pour désespérer ou pour avoir envie de restaurer des partis qui visent la prise de pouvoir et, une fois qu’ils l’exercent, découvrent leur impuissance face à l’anonyme pouvoir du capital relayé par les gouvernements « amis » et les institutions internationales. Ce n’est pas une raison pour se résigner à ne faire que défiler du Nord au Midi en sachant que le lendemain il faudra retourner au chagrin tandis que les résultats des négociations patronssyndicats n’arriveront qu’à peine à préserver nos droits, tandis que navetteurs, collègues et médias dénigreront notre conservatisme… Les contre-pouvoirs ne seraient plus ce qu’ils étaient ? Grand bien leur fasse ! Nous allons pouvoir imaginer autre chose. Foin de la nostalgie de la soumission à l’avant-garde du parti ou de celle du temps de la grève générale illimitée. Délaissons le vote « un peu plus à gauche que le PS, pour lui mettre la pression » et n’attendons pas plus que ce qu’elles peuvent donner de ces manifs convenues du Nord au Midi. Il se passe d’autres choses et je ne parle pas de cet anachronisme d’un parti communiste marxiste-léniniste qui lifte sa com’ sans changer le fond, remisé discrètement dans ses statuts 1 , qui soumet toujours le militant et les travailleurs au parti unique éclairant les masses à coup de centralisme unitaire et d’exigence d’autocritique publique. D’autres types de projet et d’action sont expérimentés, tentant de tirer les leçons du passé, celles de la fascination pour 1 http://statutsptb.blogspot.be/2015/06/ statuts-du-ptb-9e-congres-congres-de-la. html le pouvoir absolu ou de l’impuissance relative des contre-pouvoirs imbriqués dans les structures du pouvoir, tentant d’échapper à l’insondable tristesse de ce fatras entrelaçant marchandises et individus, tentant de changer des manières de produire, d’échanger, de militer, ici et maintenant. Il n’y a plus de modèles et de chemin prédéfini à suivre ? Tant mieux ! C’est ici et maintenant qu’il faut créer de la liberté, de la solidarité, du collectif. Pas, comme on nous le serine, parce que chacun, isolé dans sa petite vie pourrait faire des petites choses pour changer les choses : éteindre la lumière, fermer le robinet pendant que tu te brosses les dents et prendre les transports en commun. Ça ne mange pas de pain pour sûr, mais ça ne change pas les rapports sociaux. Cultiver durable, voire bio, s’insérer dans des circuits courts d’échange, mettre les gens en relation à travers ce qu’ils produisent, achètent, mangent, cela crée aujourd’hui de la contre-agriculture et de la contre-culture. Lancer «Tout Autre chose», en revendiquant l’apprentissage du mouvement en marchant, l’absence de centralité et de hiérarchie, la réflexion pour cerner des alternatives et une certaine joyeuseté, c’est essayer de créer de la liberté et de l’égalité maintenant, sans attendre demain. Créer une monnaie alternative peut changer des rapports d’échange. Créer des communs, peu importe : du moment que ce soit une mise en pratique de rapports et de relations différents. Pas de liste d’initiatives « politiquement correctes » donc. À chacun de se demander ce qu’il peut produire pour se sortir la tête du cul, secouer cette immense gueule de bois qui nous empêche de nous libérer, ne fût-ce qu’un petit peu, des rets intérieurs de la soumission. Au boulot, à la maison, à la réunion syndicale, dans le quartier… Sans se prendre au sérieux, parce que c’est très sérieux. Et assez urgent. En riant, parce que si votre militance est sinistre aujourd’hui, elle risque d’être fatale demain. La révolution n’est pas pour demain, mais elle ne se fera que lorsque nous nous serons dépêtrés des toiles d’araignée de nos nostalgies, du sentiment d’impuissance créé par cette putain de table qui ne peut être renversée. Expériences nouvelles ou nouvelles manières d’investir les contre-pouvoirs défensifs syndicaux ou associatifs, nos façons de faire et de penser doivent contenir aujourd’hui ce que nous voulons pour demain. Le changement ce doit être maintenant, mais ce doit surtout être nous. Résister, c’est créer, résister à la tristesse, ne pas désirer le pouvoir, résister sans maîtres, à la normalisation, au repli, à l‘ignorance… Résister, c’est créer des pratiques dans la multiplicité, créer des liens, des collectifs… 2 2 Manifeste du Réseau de résistance alternatif.
couille molle a des choses à dire AVRIL 2016 / Même pas peur N o 7 / 7 L'oe i l de l’Observatoire Bruxellois du Clinamen Un rebelle L’autre jour, à la pause de dix heures, mon pote Couille Molle 1 est venu s’installer en face de moi. Il s’est tu un moment en regardant à gauche et à droite, avant de me lancer : — C’est vendredi, fieu. On va bientôt pouvoir redevenir soi-même… Comme je devais avoir l’air surpris, il a poursuivi. - Là, comme tu me vois, je suis en costard cravate, mais c’est pour donner le change. Le weekend, je porte un t-shirt Che Guevara… ça me convient mieux. Moi, je suis un rebelle, fieu. Tiens, quand je croise cet imbécile de Poil Decul dans le couloir, tu sais, l’intellectuel de gôche qui est le chouchou de la direction, une fois sur deux, je ne lui dis pas bonjour. C’est pas poli ? M’en fous. Personne ne me dicte ce que je dois faire. Je ne suis pas du genre à m’aplatir. Je ne suis pas une carpette, moi, fieu ! Je suis un désobéissant. Tiens, quand ça bouchonne sur l’autoroute, je prends la bande d’arrêt d’urgence, fieu. Et je dépasse tout le monde. Je ne suis pas du genre à me laisser emmerder. En ville, pareil. Je prends les couloirs de bus, c’est toujours plus dégagé. Sinon, tu es obligé de faire des queues de poisson. Et s’il y a un bus qui klaxonne, je lui fais un doigt. Et je ne suis pas du genre à m’arrêter aux passages pour piétons pour laisser passer les caves. N’ont qu’à attendre. Et les lignes blanches, même chose. Connais pas. Je suis un insoumis. Je ne mets jamais mon clignotant. Ça se voit bien que je tourne, non ? Le code de la route, c’est bon pour les moutons. Je suis un insoumis et un dissident, fieu... Quand tu vas pisser au Quick, ça te coûte normalement 35 cents. 35 cents pour pisser ! Tu te rends compte ? Alors, quand la dame pipi n’est pas là, j’en profite pour vider sa soucoupe. Sinon, en prévision, je garde toujours des pièces de un ou deux cents. J’en laisse tomber deux ou trois dans la soucoupe, en les faisant bien sonner. Et puis, je me tire vite fait avant qu’elle se rende compte. Il y en a même qui disent merci… 35 cents pour pisser, non, mais. 1 NDLR : les noms et prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat de l’intéressé. André Clette Aux toilettes, je ne tire jamais la chasse. Je sais que ça fait chier les autres, mais, après tout, c’est pour ça qu’ils y vont non ? Haha. Les sacs-poubelle de la commune, j’en n’achète jamais. Je fourre tout dans des sacs ordinaires et je vais les déposer discrètement dans un coin tranquille au bord de la route. Si je fumais, je ferais exprès de mettre mon mégot à côté du cendrier. Quand je promène mon chien et qu’il veut chier dans le caniveau, je le ramène au milieu du trottoir. L’autre jour, dans le métro, j’étais en train de téléphoner. Un connard qui prenait toute la place avec son journal, m’a demandé de baisser la voix. Je lui ai répondu du tac au tac : « si tu veux la paix, t’as qu’à prendre un taxi ». Un autre jour encore, je suis monté dans le métro en même temps qu’une femme enceinte. Bien enceinte, hein ! Tu aurais dit qu’elle allait accoucher là, sur le quai. Eh bien, j’ai réussi à prendre la dernière place assise juste avant elle. Tu aurais vu sa tête. Sûr qu’elle devait pas tirer la même tête quand elle s’est fait mettre en cloque. Ça ne se fait pas ? Justement. Ce qui me plaît à moi, c’est de faire ce qui ne se fait pas. Je suis un hors-la-loi, sans foi ni loi. Quoi ? Incivilité ? Et alors ? M’en fous du « politiquement correct ». J’ai pas de tabou, fieu. Tant pis si ça doit me faire du tort, mais je le dis. Tu comprends, si j’ai un bon poste dans cette boîte, c’est parce que je sais me faire respecter. La vie, c’est un combat. Celui qui s’écrase, il est mort. On n’est pas chez les bisounours. Et ma bagnole, je la gare où je veux. Il y a toujours bien de la place sur les passages pour piétons. Ou alors sur les places pour handicapés. Dans les parkings, il y a toujours des places réservées qui restent vides. Ce sont toujours les meilleures. Autant en profiter… Couille Molle s’emballait de plus en plus. C’est à ce moment-là qu’est arrivé Monsieur Proetmacher, le chef comptable. Il a fait remarquer à Couille Molle que le quart d’heure de pause était terminé depuis trois minutes. Il lui a tendu les clés de son Audi en lui demandant d’aller la garer convenablement, parce qu’un connard s’était mis sur son emplacement. Couille Molle a dit : oui Monsieur Proetmacher ; tout de suite Monsieur Proetmacher, et il est sorti tout rouge. Au fait, je dois préciser que Couille Molle n’est pas vraiment un pote. C’est juste un collègue de bureau. du chocolat comme contrepouvoir sournois Dr Lichic La santé d’une nation, on nous le serine assez, se mesure à son volume d’activité économique. Telles les courbes féminines, celles de la croissance sont d’autant plus contemplées qu’elles atteignent sommets et inflexions. Les échanges et flux de matières sont et font lois, et, sous la férule joyeuse des organisations patronales, le gouvernement n’a de cesse de vouloir augmenter ces derniers, par tous les moyens mis à sa disposition, aussi incitatifs que coercitifs. Cette noble tâche lui incombe d’autant plus que d’ordinaire aucun de ceux qui y siègent n’a jamais géré une société, un bureau d’étude, une usine ou un magasin ; c’est là un gage d’impartialité évident. Les citoyens laissent faire, vaquant à leurs occupations, comme on se soucie peu des activités incompréhensibles des occupants des asiles pour aliénés. Mais comme à toute industrie il faut un adepte du sabotage révolutionnaire, un contre-pouvoir s’est érigé en catimini pour contrecarrer odieusement l’œuvre salutaire de nos édiles. Parmi les nombreux contre-pouvoirs occultes et ignorés du bon peuple, il en est en effet un particulièrement sournois, tapis dans l’ombre ventripotente des commerçants du centre-ville. Traître à sa caste, cette engeance félonne n’a de cesse de ralentir à tout prix la progression du PIB du Royaume : j’ai nommé, lecteur, l’heure est grave comme un accent : les vendeuses de pralines. Cette peste ourdit en effet au quotidien un terrible complot ; mais poussons plutôt la porte d’une de ces officines : invariablement, une file conséquente, preuve même du travail de sape de l’action gouvernementale, attend le client innocent. Derrière le comptoir, sous des dehors anodins, voire caprins, voire bovins, les vendeuses baillent aux corvidés. Préposées à l’oisiveté, dindes diplômées, elles rivalisent de lenteur pour servir le chaland. Bercée par un caquetage oiseux et savamment entretenu, la clientèle se laisse aller à rêvasser devant les vitrines. On étale la turpitude d’anecdotes sans attraits ; on jacasse surtout de rien et d’un peu de tout ; ces dames mettent des heures à choisir chaque Manon, en désignant d’un doigt boudiné l’objet de leur convoitise, que l’on met cinq bonnes minutes à identifier, les vendeuses feignant de se tromper, temps mis à profit pour hésiter, et changer d’avis, et commenter à loisir la satisfaction gustative attendue. Le ballotin se remplit pièce par pièce, avec un excès de manières et de minauderies, et chaque étage se construit avec pour prix une lenteur digne de l’élévation d’une pyramide. Le cérémonial final de l’emballage, ode interminable à l’ennui, ponctuera en acmé de vacuité cet empilage de flatteries hépatiques. Je vous épargne, cher lecteur, le solde de ces descriptions horripilantes qui affligent toute âme raisonnable, laquelle se désole de voir les cerveaux aussi bien fourrés que les confiseries. Car ! Pendant tout ce temps précieux, c’est l’économie qui patine, Mesdamessieurs, c’est le PIB qui débraye, des salariés soustraits à leur labeur productif ! Des fonctionnaires distraits par de stupides truffes ! Des tâches ménagères négligées sans vergogne ! Des enfançons délaissés, le lange empesé, au profit d’orgies de cœurs-fondants ! Avec un effet multiplicateur dans chaque transaction, temps perdu à l’achat, temps perdu à la dégustation ! Voilà la vérité qu’il me faut dénoncer, l’action néfaste de cette bassecour, déclinée dans un réseau dense de magasins habilement disséminés dans tous les centres d’activité économique ! Assez, assez ! Patriotes, au boycott ! Sus aux vendeuses de pralines !
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Page 15 and 16: Claude François n’est pas mort,

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