MEME PAS PEUR 12 leg

4 / Même pas peur N o 12 / OCTOBRE 2016 OCTOBRE 2016 / Même pas peur N o 12 / 5
« Un vêtement
comme les autres »
Vraiment ? André Clette
On ne nous fera pas croire que c’est
parce qu’elles aiment ça que des femmes
s’affublent de chaussures aussi inconfortables,
qui font du simple fait de marcher
un exercice complexe et périlleux.
La vérité, c’est qu’elles y sont contraintes
par leurs maris ou leurs compagnons.
Ou, pire encore, parce que le milieu traditionnaliste
où elles évoluent pèse à
tel point qu’elles ont intériorisé l’obligation.
Soumises au regard des hommes,
et à l’impératif de leur plaire, elles ont
acquis la conviction que ces chaussures
malcommodes constituent une part de
leur identité, au point qu’elles acceptent
le sacrifice de leur confort et de leur
mobilité en échange d’un sentiment de
reconnaissance.
Une société soucieuse de préserver
nos valeurs d’égalité se doit de réagir
fermement face à une conception aussi
archaïque du rapport homme-femme, et
de prendre les mesures répressives qui
s’imposent.
Les talons aiguilles doivent être bannis
de l’espace public. Les contrevenantes
seront verbalisées et les policiers veilleront
à scier sur place les talons dépassant
les 28 millimètres réglementaires.
L'oe i l de l’Observatoire
Bruxellois du Clinamen
du savoir-vivre
en manifestation
Dr Lichic
Si les bonnes manières sont déjà amplement documentées
pour la table, la correspondance, la toilette ou encore
le petit personnel, il est une matière où les écrits sont
plus modestes, et je nommerai les Manifestations. Plutôt
qu’une coupable omission nous voyons là une délicatesse
de la gent syndicale, mue par une pudeur louable pour
ne point dicter à chacun son comportement en public, au
risque de muer le socialisme en autoritarisme déplacé,
avec les dérives de l’Histoire que l’on sait. Cette pudeur
si charitable, nous en sommes déliés, car neutre dans nos
affiliations comme dans nos propos. Ainsi, il m’appartient
de proposer quelques menues règles de conduite, de
celles qui font le raffinement de nos sociétés civilisées et
les distinguent somme toute des divagations comportementales
d’outre-je-ne-sais-où.
S’y rendre. On se rend de préférence à la Manifestation
en train. Cette coutume étrange qui délaisse le confort de
l’automobile familiale a pour justification les rencontres
fraternelles et sororales propres à attiser l’esprit de groupe
si nécessaire à l’entreprise désirée. Il est conseillé de rire
des plaisanteries, même salaces, que l’on échange pour se
donner du cœur à affronter les intempéries souvent au
programme (la météorologie étant, comme c’est souvent
le cas, du côté du patronat).
S’habiller. Il est de bon ton d’enfiler sur une tenue sans
excentricités les gilets, chasubles et écharpes colorés en
diable fournis par le syndicat et estampillés aux couleurs
de ses convictions. Le rouge du syndicat socialiste fera
un agréable rappel avec les trognes avinées, et le vert du
syndicat chrétien évoquant la paix et l’espérance dans la
gloire de Dieu. Ne pas se plier à ce folklore expose à de
grands risques ; il est en effet de coutume que les nonalignés,
anarchistes notoires, refusent d’en porter, ce qui
permet de les repérer plus facilement et de les désigner
aux foudres des représentants de l’ordre, qui, alertés
par ce détail subtil, rosseront d’importance d’abord ces
trublions.
Itinéraire. Par définition la Manifestation se rend d’un
point A à un point B pré-négociés avec les représentants
de ceux que l’on conteste et il n’est pas convenable de s’en
écarter. Nul besoin de faire preuve de créativité en ce
domaine, qui sera assimilée à de la rébellion. L’itinéraire
officiel permet en outre de se compter, et d’opposer les
chiffres à ceux publiés par ceux que l’on conteste, dans
un petit jeu certes pusillanime mais si plaisant pour les
convives. En outre, cela permet une surveillance généralisée
et de bon aloi par caméras fixées sur les toits d’un chemin
toujours identique, signe de bonne volonté à l’égard
de ceux qui nous autorisent nos débordements.
Slogans et sifflets. Quelques slogans élémentaires
(Pour exemple :« XXXX, salaud, le peuple aura ta peau »)
font les belles heures d’un classicisme certes d’apparence
simpliste mais qui a le bon goût de se mettre à la portée
de la plèbe qui défile. De la même manière, les cris et sifflets
sont de mise. La passivité, que le public d’aujourd’hui
considère comme de la bienséance, n’est qu’un signe de
l’appauvrissement des esprits et du dessèchement des
cœurs.
Affrontements. Il est hélas de regrettables incidents qui
naissent parfois au cours de la Manifestation de cœurs
échauffés ou d’âmes trop exaltées par la grâce du moment.
L’esprit funeste de Ravachol se réveille soudain et de
braves pères de familles s’emportent inconsidérément en
de vifs émois qu’ils regretteront bientôt à l’ombre bienfaitrice
d’une cellule de dégrisement. Je ne peux que m’attrister
de tels errements et exhorter à ne pas provoquer
les braves pandores qui nous font face. Ce ne sont souvent
eux aussi que des pères aimants qui ne songent qu’à
retourner dans la douceur de leur foyer bien ordonné, qui
sait peut-être par le même transport que vous ? Car dites
vous bien que la Manifestation syndicale n’a, de nos jours,
plus vocation à changer le monde. Il s’agit juste d’un rite
dont l’observance permet de soulager quelques soupapes
d’une vapeur de labeur trop accumulée, et que la télévision
n’a pu résorber. Ce serait idiot de perdre son honneur
de gentilhomme pour de soit- disant idéaux auxquels plus
personne ne prête attention.
Voilà, cher lecteur, quelques préceptes de l’étiquette en
Manifestation, fondées sur le principe de « ce qui se fait »,
et qui guideront, je l’espère, le syndiqué dans les mondanités
du défilé bien ordonné. Que cette leçon d’urbanité
puisse rappeler qu’en tout c’est de la mesure dont on
manque le plus.