Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
10 / Même pas peur N o <strong>14</strong> / DÉCEMBRE 2016<br />
Trop de XXL<br />
dans la jungle Catherine Degauquier<br />
Cet automne a été la saison de la migration<br />
de la jungle loin de Calais. Les terres<br />
d’où l’on rêve des falaises d’Angleterre<br />
sont à présent dénudées mais en avril,<br />
des planches y réfugiaient les calés à<br />
Calais.<br />
Et en avril, là comme ailleurs, il valait<br />
vieux ne pas se découvrir d’un fil. Les<br />
vêtements, tant qu’ils sont vides, passent<br />
les frontières ; dans un hangar à l’adresse<br />
restant discrète (se garder des fachos…),<br />
des ballots de vêtements arrivés d’Angleterre<br />
sont triés à l’intention des routards.<br />
Où manger ? Où s’habiller ? C’est à l’Auberge<br />
des migrants, où des donneurs de<br />
leur temps libre s’enchaînent au tri pour<br />
quelques jours à Calais sans voir la côte<br />
d’Opale.<br />
Le tri est bien organisé. Un tri de vivres,<br />
un de chaussures, un de produits d’hygiène,<br />
un de vêtements. Rien à redire.<br />
Enfin si : plein de bons gros pulls, sweats<br />
à ou sans capuche, parkas et blousons<br />
imperméables, t-shirts valsent à la poubelle<br />
(enfin bon au rebut). Quel gaspillage.<br />
Incroyable, de si bons dons à se<br />
mettre sur le dos, purement éjectés. Juste<br />
parce que ce sont des tailles X, XL, XXL<br />
et XXXL.<br />
Pendant ce temps : à la cuisine, on déshabille<br />
des montagnes d’oignons et d’ail en pleurant<br />
en anglais international sur la situation à<br />
Lesbos cet hiver, où un éplucheur hollandais<br />
vivant de la réalisation de films pour la pub<br />
était allé donner ses sous et son âme cet hiver.<br />
À côté du tri de vêtements, d’autres<br />
activistes s’activent (même le vieux<br />
couple venu en jaguar) : composer des<br />
kits de base individuels avec nécessaire<br />
de toilette corps et dents, de rasage,<br />
slips, chaussettes, t-shirts. Sans arrêt, ils<br />
tombent sur la bosse des voisins du tri<br />
de vêtements : « où sont les petits slips ?<br />
We need small sizes. Vous n’avez rien en<br />
sweat à capuche S ou M ?». C’est qu’ils ont<br />
le bras plutôt fin, ceux qui veulent enfiler<br />
le tunnel sous la manche.<br />
Pendant ce temps : à la cuisine, de nouveaux<br />
arrivants viennent donner leurs coups<br />
de mains, commençant par laver celles-ci<br />
consciencieusement en ces lieux ignorés de<br />
l’Afsca et compagnie.<br />
Au tri, les casiers L débordent, pourtant<br />
on a le cœur fendu devant une<br />
veste, étanche, épaisse et douillette avec<br />
capuche mais voilà, c’est une XXL…<br />
Allez, pas de pitié… Une donneuse de<br />
sa garde-robe voit passer au rebut le bon<br />
pull de son mari qu’elle avait apporté et<br />
se maudit de ne pas plutôt avoir pensé à<br />
attaquer l’étagère de son ado de fils.<br />
Pendant ce temps : à la cuisine de l’Auberge<br />
des migrants, des teneurs de couteaux<br />
attaquent les courgettes, carottes, salades,<br />
tomates, pommes de terre, radis, persil. Haute<br />
teneur en toutes sortes de nutriments, mais<br />
pas de quoi engraisser.<br />
À défaut de T-shirts S dans les racks<br />
pour homme -au sommet desquels est<br />
juchée une unique chaussure noire à<br />
vraiment très haut talon-, on va voir du<br />
côté des racks pour femmes et on en<br />
extrait des casiers S et M tout ce qui ne<br />
fait pas trop fille.<br />
Pendant ce temps : des camionnettes chargées<br />
de dahl, de salades variées, de pommes de<br />
terre et courgettes au curcuma, de riz curry<br />
aux carottes, de TVP (textured vegetarian<br />
proteins) aux tomates partent pour nourrir les<br />
rois de la jungle. Ces derniers ont le régime<br />
vegan depuis qu’ils sont ici (ce qui ne va pas<br />
arranger le problème au tri de vêtements).<br />
Ouf, côté hommes, un T-shirt taille<br />
small est extirpé d’un tas. Alléluia. Il y<br />
est écrit :<br />
« I ♥ England ».<br />
Le PTB va-t-il se prendre<br />
les pieds dans le tapis de prière ?<br />
Camille Lermenev et son ami Zam<br />
Compte-rendu de séance<br />
Le 26 octobre dernier, le PTB (le Parti du<br />
Travail de Belgique) projetait à Bruxelles<br />
comme support de débat le documentaire<br />
« Un racisme à peine voilé » de Jérôme<br />
Host, avec comme intervenants Petya<br />
Obolensky (responsable du secteur antiracisme<br />
au PTB), Hind Riad (Progress<br />
Lawyers Network, le cabinet des avocats<br />
du PTB) et Giorgia Scalmani (de l’association<br />
Vie féminine, la branche féminoféministe<br />
du MOC... le Mouvement<br />
ouvrier chrétien).<br />
Documentaire intéressant, avec un essai<br />
bien mené de déconstruction du discours<br />
laïque en France, presque convaincant<br />
notamment par la qualité de ses intervenantes<br />
voilées, filles instruites, cultivées,<br />
fières d’être musulmanes et demandant<br />
juste qu’on leur foute la paix et qu’on les<br />
laisse mener leur études à bien, voilées<br />
ou non. Presque convaincant s’il n’était<br />
totalement monté à charge, sans témoins<br />
de la défense, pourtant nombreux à être<br />
écharpés : droite sécuritaire, médias<br />
classiques, intellectuels de gauche,<br />
féministes « classiques », SOS Racisme,<br />
mouvement Ni Putes Ni Soumises, et<br />
même associations de défense des animaux<br />
(parce qu’elles ont le tort infâme<br />
de dénoncer la souffrance des abattages<br />
rituels), tous amalgamés et malaxés sans<br />
vergogne vers la conclusion ultime du<br />
film : attaquer l’islam au nom de la laïcité,<br />
c’est en fait du racisme déguisé.<br />
Quod erat demonstrandum. On comprend<br />
maintenant mieux pourquoi le logo du<br />
flyer est une femme voilée qui fait un<br />
bras d’honneur, et pourquoi c’est bien le<br />
PTB « Anti-racisme » qui est à la barre. On<br />
comprend aussi mieux pourquoi le livre<br />
de l’iranienne Chahdortt Djavann, « Bas<br />
les voiles », revient trois fois dans le montage.<br />
Manifestement tout ce qui touche<br />
à la critique de la religion n’est pas très<br />
bien vu. Le débat peut commencer, avec<br />
un public qui semble acquis à la cause.<br />
Questions servies d’abord par les organisateurs<br />
(le public attendra longuement) ;<br />
débat technique et légaliste ensuite, pour<br />
savoir comment contourner et dénoncer<br />
les lois qui empêchent de porter le<br />
voile au travail (dans le privé ou dans le<br />
public). Puis quelqu’un risque une question<br />
plus large, que l’on peut paraphraser<br />
comme « lorsque je critique les églises<br />
évangéliques de réveil, leur discours et<br />
leurs pratiques, et que j’assimile cela à<br />
de l’escroquerie, est-ce que cela fait pour<br />
autant de moi un raciste vis-à-vis de ceux<br />
qui les fréquentent ?» La réponse de Mr<br />
PTB Anti-racisme, excellent tribun qui<br />
aime s’écouter parler, noie le poisson sous<br />
un discours « on doit tous s’unir contre<br />
l’oppresseur capitaliste » et renvoie l’interlocuteur<br />
à une hypothétique suite<br />
au bar. Une autre question, issue d’une<br />
militante plus âgée, et qui jette un froid :<br />
« Pourquoi les femmes que je fréquentais<br />
quand j’étais jeune militante n’étaient<br />
pas voilées, et pourquoi suis-je maintenant<br />
entourée de femmes voilées ?».<br />
Réponse de Madame Vie féminine : je ne<br />
sais pas (et la suite nous apprend que ce<br />
n’est pas le problème). Madame vie féminine<br />
ne peut effectivement pas répondre<br />
qu’entre-temps les barbus ont construit<br />
des mosquées, fait des années de prêches<br />
et mis la communauté au pas patriarcal.<br />
Ce serait sans doute une parole raciste.<br />
On rappellera à nos camarades les classiques<br />
dont ils se réclament, qu’un électoralisme<br />
de quartier semble leur faire<br />
avoir oublié : Hegel, Feuerbach, Marx et<br />
bien d’autres ont longuement disserté<br />
sur la religion « conscience renversée du<br />
monde », « bonheur illusoire » dont la<br />
suppression est une nécessité première.<br />
Comme disait le bon vieux Karl, « la critique<br />
du ciel se transforme ainsi en critique<br />
de la terre, la critique de la religion<br />
en critique du droit, la critique de la théologie<br />
en critique de la politique ». Bref,<br />
bien loin du discours d’aujourd’hui sur<br />
l’islamophobie, escroquerie intellectuelle<br />
qui veut faire passer tous les athées militants<br />
pour des racistes.<br />
Quant à répondre à la question posée<br />
dans le titre : non, le PTB ne va pas se<br />
prendre les pieds dans le tapis de prière.<br />
Rassurez-vous, c’est déjà fait.