LES OMBRES ET LES LÈVRES
Dossier_Les-ombres-et-les-lvres_avec-presse.pdf?utm_medium=email&utm_campaign=invitation+LES+OMBRES+ET+LES+LEVRES+%2F+..
Dossier_Les-ombres-et-les-lvres_avec-presse.pdf?utm_medium=email&utm_campaign=invitation+LES+OMBRES+ET+LES+LEVRES+%2F+..
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
EXTRAITS DU TEXTE « <strong>LES</strong> <strong>OMBRES</strong> <strong>ET</strong> <strong>LES</strong> <strong>LÈVRES</strong> »<br />
PRIDE [extrait]<br />
Tu baignes dans le rose. Tu baignes dans les fleurs. Tu baignes dans la foule. Il y a des stands associatifs avec des<br />
brochures en viêtnamien, des badges, des pin's, des ballons, des bracelets arc-en-ciel, des T-shirts et des drapeaux.<br />
Des visages qui sourient, des groupes qui prennent la pose face à quiconque est armé d'un appareil-photo, d'une<br />
caméra ou d'un i-phone. Tout le monde semble avoir suivi le dress-code : rose bonbon, rose fuschia, rose crevette, rose<br />
rayé ou à carreaux, rose jusqu'au sourire ou à l'overdose. Le soleil tape très fort sur le goudron du terrain de basket.<br />
C'est sur un terrain de basket ?<br />
Oui, plusieurs terrains de sport, derrière le théâtre de marionnettes, bien en retrait de l'avenue Nguyen Thi Minh Khai.<br />
Tout au bout il y a un podium, fond de scène barré d'un grand V fleuri, V comme Viêtpride, en plein soleil.<br />
Ici c'est l'endroit où tu peux être euphorique, exalté, exultant. Où tu peux oublier que trop souvent tu te tais, que trop<br />
souvent tu feintes. Où tu n'as plus besoin de te cacher, tu es protégé par un océan de rose... C'est l'endroit où tu peux<br />
t'habiller à ta guise, te travestir pour être un autre, te travestir pour être toi, te maquiller plus qu'une fille, arborer un<br />
baggy une casquette une cravate un binder, des ailes d'ange une robe moulante... Ici c'est l'endroit où les regards et<br />
les corps se troublent, où il devient ardu de savoir qui est garçon et qui est fille<br />
C'est l'endroit où tous les « Pê-dê », « Bòng kin », « Bòng lô », « Ô môi », « Ai nam ái nữ », « Nửa váy nửa quầ n »,<br />
« Hi-fi », « Bánh bèo », l'endroit où tous les Pédé, Tafiole, Gouinasse, Ombre planquée, Ombre affichée, Gousse<br />
lippue, Hermaphrodite, Mi-jupe mi-fute, Mi-mec mi-meuf, Stéréosexe, Enculé, qui ont fait siffler tes oreilles, que tu t'es<br />
pris dans le dos, que tu t'es pris dans la face, que tu t'es pris dans le ventre, tu peux les expulser de ta mémoire, ou te<br />
dire que tu t'en fous<br />
C'est l'endroit où tu panses les blessures et les coups, c'est la revanche des humiliations de la cour de récré, c'est la<br />
sortie de tes années de silence et de transparence, c'est ta voix muette qui se met à crier<br />
Hãy c ứ sống! Hãy c ứ yêu!<br />
Hãy c ứ sống! Hãy c ứ yêu!<br />
Il suffit de vivre! Il suffit d'aimer !<br />
J'ai le droit de vivre, j'ai le droit d'aimer ! […]<br />
LE VÉTÉRAN DE DIÊN BIÊN PHU [extrait]<br />
Tu voudrais lui parler de la vie et de la mort, des funérailles de ta mère, mais tu sens que tu n'as pas la force<br />
Le vétéran de Diên Biên Phu est sur son lit dans le salon, en pyjama, guilleret, un peu absent. 5h de l'après-midi, ses<br />
trois petits-enfants jouent près du ventilateur, sa belle-fille profite de l'accalmie<br />
Tu voudrais lui parler de la vie et de l'amour, de ta compagne, ton amoureuse, ta partenaire<br />
Tu voudrais faire ton coming out, mais le courage te manque<br />
Tu as réussi à le dire à sa belle-fille, ta cousine Lan, enfin tu as réussi à glisser « my girlfriend » au détour d'une<br />
phrase. Elle n'a pas spécialement relevé, elle regarde ses enfants distraitement<br />
Le vétéran de Diên Biên Phu se lève, te sourit, s'accroche à son déambulateur, se dirige péniblement vers l'armoire. Il<br />
en revient avec quelques vieilles photos, et un badge rectangulaire.<br />
LE VÉTÉRAN – Médaille de guerre... Gagnée par mon épouse. Victoire contre les Français, à Diên Biên Phu, 1954.<br />
Pour toi. Cadeau.<br />
Et iI accroche la médaille du Parti sur ta poitrine, en désignant le sourire rayonnant de l'héroïne de guerre, ta grandetante,<br />
dont la photo siège sur l'autel des ancêtres<br />
Bon. Tu regardes la médaille, tu regardes la grande-tante en photo et puis tu le regardes. Tu réalises. Si lui et son<br />
épouse n'avaient pas contribué à foutre une grosse raclée à l'armée française, à Diên Biên Phu, en 54, tu ne serais<br />
pas là. Tu te dis ça soudain.<br />
[…]<br />
12