LES OMBRES ET LES LÈVRES

l'auteure), et ce sont aussi eux qui se glissent soudain dans la voix et la peau des personnages, des
figures. On a travaillé à ce que ces jeux de passage soient à la fois dynamiques, délicats et ludiques.
Je n'ai pas choisi de prendre exclusivement des comédiens au physique asiatique, donc c'est aussi à
d'autres endroits que cela se joue. Plus subtils et plus universels. Les jeux de travestissement, de passage
d'un genre à l'autre, sont des zones que nous explorons. Parce que mes rencontres avec des personnes
transgenre au Viêtnam, en ville comme en zones rurales, a été marquante, et que la culture viêtnamienne
aménage des espaces sociaux pour ces personnes, qui restent cependant extrêmement stigmatisées.
Lors des premiers chantiers, nous nous sommes imprégnés de documentaires viêtnamiens, avons étudié des
corporéités et gestuelles, recherché des images. Il nous est apparu clairement que le plateau devait sans
cesse être vivant et animé, quand bien même une partie de la pièce est fondée sur du récit. Cet équilibre
entre la vitalité du plateau, les interactions entre les interprètes et la mise en valeur du récit est un des
défis de la mise en scène. À l'image des forains du film documentaire de Tham Nguyen Thi ( Le dernier
voyage de Madame Phung), les acteurs construisent et déconstruisent concrètement les séquences sur le
plateau, nous embarquent dans chaque étape de la traversée et du voyage.
COMMENT L'IMAGE ET LA VIDÉO SONT-ELLES PRÉSENTES AU PLATEAU ?
J'ai ramené du Viêtnam des photos et vidéo que j'ai filmées là-bas, récolté les œuvres de photographes et
de cinéastes, ainsi que les productions vidéo du mouvement militant. Nous avions donc beaucoup de
matériau visuel où puiser. Et la communauté LGBT là-bas fait un énorme travail sur l'image, dans tous les
sens du terme. Julie Pareau a puisé dans mes matériaux et dans ceux du mouvement LGBT, pour construire
sa création.
Le dispositif scénographique conçu par Bénédicte Jolys comprend une large surface de projection, qui est
à la fois une fenêtre et une toile de fond. Il y a des interactions entre les interprètes et la vidéo, au sens où
elle peut être support documentaire à commenter, paysage où s'immerger, trace de la réalité
viêtnamienne.
Mais comme dans mes autres spectacles, ce qui prime c'est le texte et les interprètes. Jamais les acteurs ne
deviennent des « ombres », pour le coup : c'est par eux et leurs corps que passent le texte, les sensations
et les émotions.
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