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L'Obs

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LES CHRONIQUES<br />

UNE FISCALITÉ<br />

POUR L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE<br />

Par<br />

NICOLAS COLIN<br />

Associé fondateur de la société The Family et enseignant à l’Institut d’Etudes politiques de Paris<br />

Nos dirigeants ne cessent d’interpeller<br />

les grandes entreprises numériques<br />

américaines, accusées de ne pas<br />

payer assez d’impôts en Europe.<br />

Dans certains cas, il s’agit de dirigeants<br />

de gauche, sincèrement préoccupés<br />

par la faible imposition des grandes entreprises.<br />

Dans d’autres cas, comme celui du ministre des<br />

Finances, Bruno Le Maire, leur sensibilité est plutôt de<br />

droite, mais ils cherchent à prouver qu’ils ne sont pas pour<br />

autant « vendus au grand capital ».<br />

Les conservateurs britanniques sont un précédent intéressant.<br />

Lorsque David Cameron était encore au pouvoir, son gouvernement<br />

prônait des mesures très favorables aux entreprises, y compris une<br />

baisse radicale du taux d’imposition des bénéfices au Royaume-Uni.<br />

Pour compenser l’impopularité de cette mesure, Cameron utilisait<br />

les grandes entreprises américaines comme boucs émissaires. Son<br />

objectif était de baisser les impôts des entreprises. Mais les Google,<br />

Amazon et Starbucks allaient voir ce qu’elles allaient voir : on allait<br />

enfin mettre fin à leur traitement de faveur !<br />

Depuis quelques mois, l’exécutif français s’est engagé dans la même<br />

démarche. Son objectif est d’adopter des mesures pro-entreprises :<br />

réforme du droit du travail, exonérations de cotisations sociales, baisse<br />

du taux de l’impôt sur les sociétés. Comment faire passer la pilule<br />

auprès d’une opinion défiante ? En faisant comme Cameron : dénoncer<br />

les grandes entreprises américaines ; pointer le faible taux d’imposition<br />

de leurs bénéfices ; promettre de prendre l’initiative en Europe<br />

pour adapter le système fiscal à une économie plus numérique.<br />

Or tout n’est pas si simple. La fiscalité des multinationales n’est pas<br />

régie par l’Union européenne, mais par des conventions fiscales bilatérales<br />

liant les Etats les uns aux autres. Pour que l’Union européenne<br />

agisse sur le front de l’imposition des bénéfices, il faudrait une décision<br />

à l’unanimité des Etats membres… dont les positions sur le sujet sont<br />

radicalement divergentes. Quant aux Etats-Unis, depuis 1996, une disposition<br />

de leur droit fiscal permet aux entreprises redevables de l’impôt<br />

américain d’exonérer les bénéfices thésaurisés dans des paradis fiscaux.<br />

Forcer les grandes entreprises numériques à payer des impôts, que ce<br />

soit en Europe ou aux Etats-Unis d’ailleurs, suppose une entente entre<br />

tous ces acteurs : tous les Etats membres de l’Union européenne et le<br />

gouvernement fédéral des Etats-Unis. Autant dire mission impossible !<br />

Un autre point important est que, par principe, l’imposition<br />

des bénéfices a lieu là où les entreprises créent<br />

de la valeur, pas dans les pays où elles vendent leurs<br />

produits. C’est dans ce cadre immuable que l’OCDE<br />

et le G20 ont engagé, depuis 2010, une profonde<br />

remise à plat du système fiscal international. Et<br />

remettre en cause ces principes, comme le suggère<br />

Bruno Le Maire, déséquilibrerait le système en notre<br />

défaveur : la France ne souhaite pas que les bénéfices des<br />

champions du CAC 40 soient imposés en Chine, au Brésil<br />

et au Moyen-Orient, leurs principaux marchés de débouchés !<br />

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’impôt sur les sociétés n’est pas<br />

le seul qui touche l’activité des entreprises. Il est même marginal dans<br />

le système fiscal : l’essentiel de la valeur ajoutée par les entreprises, y<br />

compris les géants de la Silicon Valley, est imposé chez nous via la<br />

TVA et les prélèvements sociaux.<br />

Personne ne nie, pour autant, que la transition numérique impose<br />

une refonte de la fiscalité. La plupart de nos impôts ont été conçus au<br />

xx e siècle pour une économie fordiste organisée autour des usines et<br />

des bureaux. Or la géographie des bases d’imposition est profondément<br />

bouleversée par des chaînes de valeur de plus en plus immatérielles.<br />

Il est devenu urgent d’apprendre à imposer les bénéfices là où<br />

est créée la valeur dans une économie plus numérique.<br />

Et sur ce point, il est probable que rien ne se fera sans les Etats-Unis<br />

et les entreprises numériques elles-mêmes. Car elles aussi ont tout intérêt<br />

à ce que les choses changent. La polémique récente autour des impôts<br />

d’Airbnb montre que la question fiscale est surtout exploitée par les<br />

entreprises traditionnelles pour entraver le développement des entreprises<br />

numériques. Suivant les préjugés du moment, si Airbnb ne paie<br />

pas d’impôts en France, alors il faut empêcher son développement local<br />

en adoptant des mesures rétrogrades favorables à l’industrie hôtelière.<br />

Les entreprises comme Airbnb pourraient retourner la situation à<br />

leur avantage : négocier un assouplissement des règles sectorielles en<br />

France en échange d’une imposition plus locale de leurs bénéfices. Elles<br />

pourraient alors se tourner vers le gouvernement américain, en particulier<br />

le Congrès, et faire pression là-bas pour que le système fiscal<br />

international soit mis en phase avec notre économie plus numérique.<br />

Au-delà de ses déclarations martiales (et probablement sans lendemain),<br />

Bruno Le Maire est-il prêt à accompagner cette approche plus<br />

constructive ? N. C.<br />

6 L’OBS/N°2756-31/08/2017<br />

STÉPHANE MANEL

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