Contes et légendes Ursalamanu_extrait
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Mathée Giacomo-Marcellesi<br />
<strong>Contes</strong> <strong>et</strong> légendes<br />
de la tradition orale corse<br />
<strong>Ursalamanu</strong>, Cinnaredda...
• •<br />
Mathée Giacomo-Marcellesi<br />
<strong>Contes</strong> <strong>et</strong> légendes<br />
de la tradition orale corse<br />
<strong>Ursalamanu</strong>, Cinnaredda…<br />
suivis de comptines<br />
Recueillis dans l’Alta Rocca <strong>et</strong> l’Extrême-Sud<br />
Textes intégraux bilingues
• •<br />
Intròitu<br />
Introduction
• •<br />
INTRODUCTION<br />
L’Alta Rocca, oghji, tandu<br />
L’Alta Rocca, aujourd’hui, autrefois<br />
Évocations<br />
Ochji à u mari latinu… – Face à la mer latine…<br />
Dans la grande forêt de pins, au-dessus du village de l’Ospédale, la clairière<br />
de Contra salvatica « le versant forestier », s’interrompt brusquement sur le vide : en<br />
bas, le golfe de Porto-Vecchio <strong>et</strong> la plaine d’Afr<strong>et</strong>u.<br />
« Œil de la latinité », le Sartenais oriental s’ouvre à l’ouest vers le large de la<br />
Méditerranée, au sud vers la Sardaigne <strong>et</strong> les îles de la Mattalena, à l’est vers la mer<br />
Adriatique <strong>et</strong> le Latium (Lazio).<br />
Traditionnellement lieu de transit entre la Toscane <strong>et</strong> la Sardaigne, les plaines<br />
étaient encore, il y a seulement trois quarts de siècle, des régions désertiques que l’on<br />
traversait en fou<strong>et</strong>tant le mul<strong>et</strong> <strong>et</strong> dont les villages ont la réputation des mal-aimés<br />
de la création :<br />
Arca, Sari è Leci,<br />
Arca, Sari <strong>et</strong> Lecci,<br />
L’ultimi chì Diu feci ! Les derniers que Dieu a créés !<br />
Le fléau du paludisme y faisait sentir ses eff<strong>et</strong>s surtout à partir du mois<br />
d’août :<br />
Aust’è sittembri,<br />
Août <strong>et</strong> septembre<br />
Mazzan’è comu ! Tuent <strong>et</strong> comment !<br />
Uttrov’è nuvembri, Octobre <strong>et</strong> novembre<br />
A morti di l’omu ! La mort de l’homme !<br />
Dans le Sud que dominent les ruines du château de Rinuccio di la Rocca,<br />
la féodalité s’est maintenue plus longtemps que dans le Centre <strong>et</strong> le Nord de l’île,<br />
dimension historique que l’on r<strong>et</strong>rouve dans les légendes d’<strong>Ursalamanu</strong> <strong>et</strong> du Conti<br />
pazzu. L’imaginaire collectif y a doté les comtes d’un pouvoir maléfique, à la fois<br />
social <strong>et</strong> cosmique dont serait née la malaria, le paludisme, symbolisé par la grosse<br />
11
CONTES, LÉGENDES DE LA TRADITION ORALE CORSE<br />
•<br />
mouche de Fr<strong>et</strong>u, postée au col de Prunu. De quelqu’un qui fait beaucoup de bruit,<br />
on dit encore :<br />
Pari tuttu u bufon’ d’Afr<strong>et</strong>u ! On dirait vraiment le bourdon d’Afr<strong>et</strong>u !<br />
En fait, le paludisme a été favorisé par l’abandon de régions du bord de mer<br />
que les hommes désertaient devant le risque des invasions barbaresques, n’y faisant<br />
que de courts séjours dans des grottes sommairement maçonnées, les orrii, ou dans<br />
les abris précaires regroupés en hameau, i pasciala.<br />
Même quand les plaines sont devenues plus sûres, à la fin du XVIII e siècle<br />
<strong>et</strong> que l’habitat a commencé à s’y fixer comme l’attestent les dates gravées parfois<br />
au-dessus des portes, les habitants ont continué à séjourner à la montagne plusieurs<br />
mois de l’année.<br />
12<br />
Piaghja è muntagna – Plaine <strong>et</strong> montagne<br />
Les bergers cultivateurs, i pastori, quittaient dès le printemps les régions<br />
basses, a piaghja, pour r<strong>et</strong>rouver la fraîcheur vivifiante des innombrables sources,<br />
la saveur des pâturages bénéfiques aux animaux, la fraîcheur de l’air salutaire aux<br />
humains. Ce nomadisme saisonnier, a muntanera <strong>et</strong> l’impiaghjera, s’articulait en<br />
deux temps : un jour du mois de mai, les cabriol<strong>et</strong>s partaient chargés de la plaine,<br />
on passait la nuit au Mattonu, au-dessous di U Spidali. Puis, c’était le départ au<br />
p<strong>et</strong>it matin : en passant par Zonza, le soleil levant illuminait les vitraux de l’église<br />
dans des splendeurs de cathédrale ! À l’arrivée à Sorbollano ou à Serra, les enfants<br />
couraient au-devant des cabriol<strong>et</strong>s en criant :<br />
Ci sò i pastori ! Il y a les bergers !<br />
Pour ceux qui avaient encore des troupeaux, le mouvement se poursuivait<br />
par les sentiers afin de rejoindre, sur les hauts plateaux du Cuscionu, les bergeries<br />
accessibles seulement à pied ou à dos d’ânes <strong>et</strong> de mul<strong>et</strong>s : Aquafrita, Contra llu Frassu,<br />
Piratu lli Noci, Lavudònacu, Asinau, <strong>et</strong>c.<br />
Dans la haute montagne, chaque village a son secteur, u so rughjonu, sur<br />
les vastes croupes que parcourent les murs en pierres sèches, <strong>et</strong> que parsèment les<br />
bergeries, i casedda.<br />
Au-dessus se dressent les aiguilles déchiqu<strong>et</strong>ées, les empilements gigantesques,<br />
domaine des mouflons, les énormes roches aux formes suggestives façonnées<br />
par l’érosion, comme celles baptisées l’Omu di Cagna <strong>et</strong> u Lion’ di Roccapina<br />
qui ont donné lieu à la légende <strong>et</strong> à la chanson correspondantes.<br />
En septembre, le mouvement s’amorçait en sens inverse : la fin de l’été était<br />
marquée par de violents orages, de brusques <strong>et</strong> épais brouillards, les mouvements<br />
incontrôlés des troupeaux, <strong>et</strong> pour les humains d’étranges rencontres. Il fallait<br />
alors quitter les bergeries, sbarrà a muntagna, pour s’arrêter plus bas, ramasser les
• INTRODUCTION<br />
châtaignes à Cantuli, par exemple, où l’air paraissait bien lourd comparé à celui infiniment<br />
léger de l’Asinau, puis on rejoignait la plaine en octobre <strong>et</strong> novembre.<br />
Dans tout le Sartenais, le terme u vaghjimu, qui désigne la saison correspondant<br />
approximativement à l’automne, dérive du terme vaghjimà qui signifie « faire<br />
paître les troupeaux à mi-hauteur à partir de la mi-août ». Ces deux termes sont issus<br />
d’une forme germanique *waidanjan passée en latin tardif, qui signifiait « se déplacer<br />
pour faire paître les troupeaux » <strong>et</strong> qui a pris ensuite dans les langues romanes, une<br />
signification agricole, avant d’assumer une valeur économique au sens de « gagner ».<br />
Dans l’Alta Rocca, les villages se sont installés sur des replats, entourés de<br />
terrasses pour la plupart abandonnées aujourd’hui, i ricciati, qui témoignent encore<br />
de la peine séculaire prise par les hommes <strong>et</strong> les femmes pour remonter sur leur tête,<br />
du bas de la pente, les pierres nécessaires aux mur<strong>et</strong>tes de soutien, i ribbi.<br />
Avec leurs clochers élancés <strong>et</strong> leurs hautes maisons en pierre de taille, ces<br />
villages émergent d’une végétation de pins, de châtaigniers, de hêtres <strong>et</strong> de chênes<br />
verts qui dégringole vers la mer <strong>et</strong> fait place, à l’approche des plaines, aux forêts de<br />
chênes-lièges, aux oliveraies, tandis que le sous-bois de mousse épaisse, de fougère<br />
<strong>et</strong> d’hellébore se transforme en maquis de bruyères, de cistes, d’arbousiers, de<br />
myrtes, de genévriers, de lentisques <strong>et</strong> d’ajoncs.<br />
Certains villages ont parfois quitté des habitats primitifs à mi-pente pour<br />
s’installer sur le plateau : ainsi Carbini a r<strong>et</strong>rouvé l’emplacement qui était le sien<br />
avant son extermination pour cause d’hérésie (cf. la légende I Giovannali). Ces<br />
villages occupent pour la plupart le versant ensoleillé, a sulìa. Rares sont les villages<br />
qui occupent le fond d’une cuv<strong>et</strong>te, comme Zoza :<br />
Zoza, Zoza,<br />
Zoza, Zoza,<br />
Di la mala furtuna, La mal destinée,<br />
D’inguernu mai soli, En hiver jamais de soleil,<br />
D’istati mai luna ! En été jamais de lune !<br />
Mais le village de Zonza aussi est réputé pour avoir une orientation peu<br />
favorable sur le versant à l’ombre, umbricciu ou invirsiu, au point qu’un sgiò, mécontent<br />
des habitants, les apostropha en ce terme :<br />
Populu minutu, natu à l’invirsiu !<br />
Gens de peu, nés sur le versant à l’ombre !<br />
Rocca ed Alta Rocca – Rocca <strong>et</strong> Alta Rocca<br />
Ces villages de montagne appartiennent à la région appelée historiquement<br />
La Rocca qui correspond à l’arrondissement de Sartène, c’est-à-dire toute la région<br />
méridionale de la Corse à partir de la rive gauche du Taravu. Mais le terme s’est<br />
progressivement restreint au Nord de c<strong>et</strong>te zone, appelée aussi Haut Sartenais tandis<br />
13
CONTES, LÉGENDES DE LA TRADITION ORALE CORSE<br />
•<br />
que la partie méridionale, plus élevée <strong>et</strong> plus isolée, était appelée Alta Rocca ou Rocca<br />
suprana. Sainte-Lucie-de-Tallano est un village important de l’Alta Rocca mais Lévie<br />
est considéré comme capitale.<br />
Les villages aujourd’hui jumelés de Pitr<strong>et</strong>u <strong>et</strong> Bicchisgià marquent le passage<br />
du Sartenais à la région d’Ajaccio : étape importante, bifurcation, halte pour la voiture<br />
du courrier <strong>et</strong> des passagers appelée a cuncurrenza « le croisement ? », voiture à<br />
chevaux, puis car automobile reliant les villages entre Purtivechju <strong>et</strong> Aiacciu, autrefois<br />
plein à craquer de voyageurs qui s’entassaient jusque sur l‘impériale.<br />
L’expression Alta Rocca désigne plutôt le versant méridional du massif<br />
de l’Alcudina <strong>et</strong> les monts de Cagna, mais il indique aussi la partie basse, a piaghja<br />
d’Afr<strong>et</strong>u, appellation qui peut être réservée à la plaine entre Purtivechju <strong>et</strong> Vintilegna<br />
ou englober toute la plaine de Fautea jusqu’à Roccapina. La ville de Sartène, chef-lieu<br />
d’arrondissement <strong>et</strong> centre administratif, juridique <strong>et</strong> politique traditionnel, a été longtemps<br />
considérée comme capitale de toute la région <strong>et</strong> représentative aussi de l’Alta<br />
Rocca. Sa forteresse domine la vallée de l’Urtolu <strong>et</strong> celle du Rizzanesi, de tous temps<br />
couloirs de pénétration pour les envahisseurs : Génois, Barbaresques. Mais aussi, plus<br />
haut dans le passé, ces « peuples de la mer », peut-être les Torréens à l’effigie desquels<br />
les populations autochtones, constructrices de menhirs ou stantari, de dolmens ou toli,<br />
façonnèrent les « paladins » entre les alignements desquels paissent les troupeaux.<br />
Les différentes étapes de l’histoire de la Corse aboutissent, dans l’Alta Rocca, à<br />
une réorganisation de la propriété agricole au XIX e siècle. Les modalités de coexistence<br />
entre bergers <strong>et</strong> agriculteurs évoluent. Les murs clôturent la plupart des propriétés,<br />
i chjosi, pour protéger les cultures contre le bétail errant, mais aussi pour marquer la<br />
propriété individuelle tout en la soustrayant au libre parcours. La vie pastorale avec<br />
ses usages communautaires rencontre de nouveaux obstacles au XIX e siècle avec une<br />
législation favorable au développement des « propriétés privées ». Janine Pomponi<br />
r<strong>et</strong>race c<strong>et</strong>te évolution avec la mise en vente des biens nationaux à partir de 1790, qui<br />
a profité surtout aux grands propriétaires de Serra-de-Scopamène <strong>et</strong> de Sorbollano <strong>et</strong><br />
aussi à l’Église. On disait que le curé de Serra avait reçu de l’argent des bergers pour<br />
ach<strong>et</strong>er en leur nom des biens nationaux. Mais lui, il les avait mis à son nom ! Il eut à<br />
subir toutes sortes de représailles <strong>et</strong> la comptine Hè mortu lu pr<strong>et</strong>i di Surbuddà ! reflète<br />
peut-être aussi c<strong>et</strong>te rancune envers de semblables comportements. Selon Blanche<br />
Struffi, la légende du buvonu d’Afr<strong>et</strong>u avait été inventée par les sgiò de Serra afin de<br />
pousser les bergers à aller à la montagne tandis qu’eux s’empareraient des terres de<br />
plaine. Lors de la vente des biens d’État comme biens nationaux, les bergers cultivateurs<br />
des hameaux protestèrent <strong>et</strong> adressèrent des suppliques à Joseph Morand,<br />
alors Général commandant la 23 e division, pour réclamer la défense de leurs droits.<br />
Ainsi, la l<strong>et</strong>tre suivante, émanant des hameaux de Burivuli <strong>et</strong> Bruscaghju <strong>extrait</strong>e des<br />
Archives de corse du Sud des qui nous a été communiquée par Jean Maestrati que<br />
nous tenons ici à remercier :<br />
14
• INTRODUCTION<br />
Excellence,<br />
Une population composée de cent soixante individus, représentée par<br />
les Sieurs François Millelire, Antoine Filippi, Antoine Pasquin Angelelli,<br />
Dominique Bisognoli, demande respectueusement la protection de votre<br />
Excellence pour arrêter les vexations <strong>et</strong> intrigues de quelques personnes qui<br />
veulent la forcer à abandonner sa patrie <strong>et</strong> ses foyers.<br />
Ladite population se trouve établie depuis plus de cent ans dans le lieu<br />
ou son territoire de San Martino, éloigné de treize lieues de la commune<br />
de Sorbollano, arrondissement de Sartène, ayant des troupeaux <strong>et</strong> s’étant<br />
adonnée à toutes espèces de culture. Elle a formé dans le dit territoire les<br />
établissements nécessaires dans les différents pacciali. Les pacciali sont dans<br />
des endroits plus à l’abri du vent, environnés de grosses pierres ou d’arbres.<br />
C’est là que les ancêtres des habitants actuels placèrent leurs cabanes,<br />
ensuite y ont été construites des maisons, même à trois étages, on y a planté<br />
des vignes, les arbres, <strong>et</strong> formé des enclos sans que dans aucun pacciali, ni le<br />
public ni le privé n’aient fait la moindre opposition.<br />
En l’an 1798, la préfecture du Liamone, sollicitée par les Sieurs Giacomo<br />
BERNARDINI, le prêtre Jules COMITI, Alessandro QUILICHINI de Sorbollano, a cru<br />
pouvoir vendre à l’enchère ledit territoire de San Martino qu’elle a regardé<br />
comme bien national.<br />
Les exposants firent la demande nécessaire pour conserver leur propriété.<br />
Le prétendu titre de la possession centenaire de leur établissement, tout<br />
parlait en leur faveur, mais rien n’a pu arrêter l’avidité desdits particuliers<br />
de Sorbollano <strong>et</strong> les malheureux habitants plutôt que de s’expatrier,<br />
furent obligés d’ach<strong>et</strong>er ledit territoire en associant à l’acquisition lesdits<br />
particuliers.<br />
Dans l’adjudication définitive, la Préfecture par acte de justice, a réservé aux<br />
habitants de San Martino les dits pacciali <strong>et</strong> par une simple formalité a aussi<br />
préservé les droits de la Nation.<br />
Ce jour d’hui, les mêmes particuliers, réunis à d’autres de leur commune,<br />
sollicitent la vente des dits pacciali, c’est-à-dire des maisons, vignes, clos <strong>et</strong><br />
quelques mauvaises pièces de terre enclavée <strong>et</strong> nécessaire à la subsistance<br />
de troupeaux des exposants dont l’adjudication a été fixée pour vendredi<br />
prochain neuf de ce mois.<br />
Il est nécessaire d’informer votre Excellence que ladite population n’a point<br />
les moyens d’ach<strong>et</strong>er les dits pacciali, encore moins de s’associer avec des<br />
15
CONTES, LÉGENDES DE LA TRADITION ORALE CORSE<br />
•<br />
particuliers de Sorbollano, qu’ainsi, ne pouvant garder leurs troupeaux qui<br />
sont leur meilleure ressource, ils sont obligés de tout abandonner.<br />
Pour éviter ces inconvénients, la dite population supplie votre Excellence de<br />
bien vouloir employer ses puissants moyens.<br />
Elle implore la justice <strong>et</strong> son humanité pour être confirmée dans sa possession<br />
plus que centenaire des dits pacciali.<br />
À Ajaccio, le 7 décembre 1808,<br />
Les dits exposants<br />
Filippi Millelire Bizognoli Angelelli<br />
16<br />
A Sarra è Livia – Serra <strong>et</strong> Levie<br />
L’histoire sociale de l’Alta Rocca est marquée par bien des tragédies comme<br />
celle de Catalina, originaire de Serra <strong>et</strong> Sotta, mariée à Lévie. Sa triste destinée a été<br />
immortalisée par la lamentation funèbre de sa sœur, abbaddatrici, « pleureuse » réputée,<br />
épouse d’un Marcellesi de Carbini. Elle était la mère du chanteur Ghjuvanni U Bellu<br />
<strong>et</strong> l’aïeule du chanteur Jean-Pierre Marcellesi. C<strong>et</strong>te lamentation nous a été rapportée<br />
par notre tante, Caroline Milleliri née Marcellesi, sœur aînée de Toussaint.<br />
Quandi tù piddest’à Roccu,<br />
Quand tu as épousé Roccu<br />
No’ fécimi l’aligria,<br />
Nous étions dans l’allégresse,<br />
Chi presi indé li Per<strong>et</strong>ti,<br />
Car tu t’étais alliée aux Per<strong>et</strong>ti,<br />
La nubiltà di Livia ! La noblesse de Lévie !<br />
No’ l’avissimi ma’ visti,<br />
Puissions-nous ne les avoir jamais vus,<br />
No’li Mocchi par parenti,<br />
Nous, les Mocchi comme parents,<br />
Chi s’ani presu la robba<br />
Car ils ont pris les biens<br />
Po’s’ani tumbu l’aienti.<br />
Et puis ils ont tué les gens.<br />
O Catalì, o surè,<br />
Catherine, ma sœur,<br />
Tù sé stata la perdenti ! Tu as été la perdante !<br />
Ma se era masciu eu<br />
Mais si j’étais un garçon<br />
È purtami la scort’appressu,<br />
Avec une escorte derrière moi,<br />
Vulia ch’in ottu ghjorna<br />
Je voudrais qu’en huit jours<br />
Si sarressi la so porta ! Sa porte soit refermée !<br />
Ma à mè m’ani fattu femina<br />
Mais moi, on m’a faite femme<br />
È ancu di poca saluta ! Et en plus de faible santé !<br />
Mi n’andaraghju’n Sotta<br />
Je vais aller à Sotta
• •<br />
I<br />
Ligendi di i loca<br />
Légendes des lieux
• •<br />
1<br />
<strong>Ursalamanu</strong><br />
A stodia d’<strong>Ursalamanu</strong> vinìa da ciò ch’iddi chjàmani in cuntinenti le droit de<br />
cuissage. Quandi dui ghjòvani si maritàiani, a donna duvìa passà a prima notti incù<br />
u signori.<br />
È quandi dui ghjòvani si maritàiani senza suttum<strong>et</strong>tasi à quidd’usanza, i<br />
facia tumbà o i tumbàia ancu da par iddu.<br />
<strong>Ursalamanu</strong> t’avìa u so casteddu annant’à a punta di Muntilati, mezzu da a<br />
cumun’di Sotta à a cumun’di Ficari : u Casteddu sarrincu.<br />
Alora, c’era unu ghjòvanu chi si chjamàia Piup<strong>et</strong>u, ed era mulinaghju :<br />
annant’à l’Urgonu ci sò i mulina, chi tandu l’ajenti purtàiani u granu à i mulina par<br />
fà a farina, è unghjunu punìa u so invìu. Alora Piup<strong>et</strong>u era mulinaghju è c’era una<br />
bella ghjòvana ni vicinanza chi li piacia. Piup<strong>et</strong>u l’hà dumandata in matrimoniu.<br />
Idda hà dittu :<br />
– Mi maritarìa beddu vulinteri incù tecu, chi sogu chi tù sé un beddu<br />
ghjòvanu, travaddadori, unestu è tuttu, ma quandi ghje’pensu chi ghje’aghj’a passà<br />
a prima notti incù ssu mostru d’<strong>Ursalamanu</strong>, prifiriscu stàmmini !<br />
Alora Piup<strong>et</strong>u hà dittu :<br />
– Ma si ghjè u tumbu, mi piddaristi ?<br />
– È com’ha’da fà à tumbalu ?<br />
– Par quissa, ùn ti ni fà ! Tu, dammi tempu è po vidaré !<br />
– E bè ! Si tù tumbi à <strong>Ursalamanu</strong>, tandu, volta puri chi ci maritaremu !<br />
Piup<strong>et</strong>u si n’hè andatu ! Hè passatu’n Sardegna, è si n’hè statu culà trè anni !<br />
Ha imparatu à chjappà l’animali incù u cappiu sardu, ciò ch’iddi chjàmani in cuntinenti<br />
le lasso argentin. È Alora avia priparatu dui cavadda, unu ingrassat’à granu è<br />
quidd’altru ad orzu. Quand’idd’erani pronti, hè andatu indé u Conti, à dì ch’idd’era<br />
prumissu è chi l’àia da purtà a donna è u cavaddu. Dici :<br />
– Vinit’à scedda !<br />
Hè andatu na stadda d’u mulinu à scedda. Naturalmenti, u Conti àia sceltu u<br />
cavaddu ingrassatu à granu, parch’idd’era più bellu, era grassu, luccicàia, è quiddu<br />
ch’era ‘ngrassat’ à orzu ùn era micca cussì bellu, ma era più narbosu !<br />
Dici :<br />
– Andèmu à pruvali !<br />
So partiti à pruvali na piaghja d’Afr<strong>et</strong>u.<br />
51
CONTES, LÉGENDES DE LA TRADITION ORALE CORSE<br />
•<br />
A piaghja d’Afr<strong>et</strong>u, saria a piaghja di Fr<strong>et</strong>u, era le fief di u Conti <strong>Ursalamanu</strong>,<br />
partia da Favona ad andà in Caldareddu. Ma u veru Fr<strong>et</strong>u hè na piana da sutt’à<br />
Ficari, dund’iddi ci sò i mulina di l’Urgonu, à dritta di u stradonu.<br />
Ani sprunatu i cavadda. Alora Piup<strong>et</strong>u hà ritinutu u soiu, à princìpiu. Aia<br />
priparatu u so colpu ! L’hà lacatu sfilà un pocu, u Conti. Pandanti ssu tempu, hà<br />
scioltu u lacciu ch’iddu s’àia atturcinatu à u tornu di a tàlia, é po hà sprunatu u soiu,<br />
hà aghjustatu u conti é quand’iddu passaia accantu, l’hà lintatu u lacciu, l’hà presu<br />
pa a cannedda, l’hà lampatu in tarra è l’hà strappatu u coddu. È po l’hà ghjittatu<br />
culà.<br />
Hè vultatu, è po hè andatu indé a ghjòvana. Dici :<br />
– Avà, maritèmuci puri, u mostru ùn hà da più da fà mali à nimu ! N’aghju<br />
sbarrazzatu u populu !<br />
Dici :<br />
– Ma hè vera ciò chi tù dici ? Tù sé statu capaci à tumbà ad <strong>Ursalamanu</strong> ?<br />
– Vidaré ! Si tù vol’ veda, veni quici !<br />
– Ah ! Ti credu ! È bè ! C’em’a marità, dammi u tempu, uni pochi di sittimani,<br />
chi ghje’vighi s’idd’ùn volta più, è quandi ghjè saraghju sigura, ci maritaremu !<br />
È si sò maritati ! Ma un ghjornu, un picuraghju vardàia i so pecuri na piaghja<br />
d’Afr<strong>et</strong>u, da sutt’à Cumpuleddu, hà trovu ssa chjèccula è hà ricunisciutu ch’idd’era<br />
d’<strong>Ursalamanu</strong> ! Alora, pidda u so bastonu, hà pichjat’annantu è dici :<br />
– Quanti tù n’ha’fattu, scilliratu !<br />
Hè surtita una musca, una musca tamant’è tutti i muschi, subitamente hè<br />
ingrussata ed hè duvintata tamant’è un boiu ! È tuttu quiddu chi a vidìa è chi a sintìa<br />
murìa. Alora, hà sfattu i tre piaghji, Afr<strong>et</strong>u, Ficari è Caldareddu ! È quand’idd’hà<br />
sfattu i piaghji, hà presu a muntagna.<br />
Alora, n’Auddè, s’hé riunita a pupulazioni, una dumìnica, è si dumandàiani<br />
ciò ch’idd’àiani da fà ! À chi dicìa :<br />
– Hè medd’à parta versu insù pà salvacci !<br />
À chi dicìa :<br />
– È da chi èm’a parta ? Ha da cuddà ancu culà ! Ch’em’à fà ?<br />
In quista, si prisenta un cavalieri frusteri, dici :<br />
– Stèti ni vosci casi, o ghjenti, chi a musca ùn hà più da fà mal’à nimu !<br />
Dici :<br />
– È chi ni sà ? Comu a sà ?<br />
Dici :<br />
– L’aghju tumba eu !<br />
– Sé un buciardu ! Si tù l’avii vista o’ntesa, eri mortu ! Comu a po’avè tumba ?<br />
Dici :<br />
– Ma ghjè, l’aghju vista è’ntesa, è un sò micca mortu ! Cridìtimi ! Vultèti à<br />
casa voscia !<br />
52
• I - LIGENDI DI I LOCA • LÉGENDES DES LIEUX<br />
– Sé un buciardu ! Impicchèmulu ! Si ni ridi di no !<br />
È quinci è culà ! Dici :<br />
– Alora, ùn mi vul<strong>et</strong>i micca creda ?<br />
Ha cacciatu a so spada sanguinosa, dici :<br />
– Fighjulèti !<br />
Quiddi ch’erani vicini è ani vistu a spada sanguinosa, sò cascati morti ! Faci<br />
chi l’ani cr<strong>et</strong>tu !<br />
Ma era San Ghjorghju ! Era San Ghjorghju chi s’era impustatu culà dundi a<br />
musca muntanàia accantu à u Tafon’d’Usciolu, mezzu da Carbini à Ficari, supr’à u<br />
tunnellu, in quiddu spronu dund’iddu passa u tunnellu. Alora, l’hà vatata, fighjulàia<br />
s’idda passaia, ùn pudìa passà che quì da suttu. È u Tafon’d’Usciolu hè str<strong>et</strong>tu str<strong>et</strong>tu.<br />
Appena ci passa un’animala insummata ! San Ghjorghju l’aspittàia culà, è quandi a<br />
musca passàia, l’hà tumba !<br />
È da supr’à Quenza, c’hè un cantonu, si vidi a chjappa di u pedi di u cavaddu<br />
di San Ghjorghju, quand’iddu s’hè calatu culà !<br />
<br />
<strong>Ursalamanu</strong><br />
L’histoire d’<strong>Ursalamanu</strong> venait de ce que les seigneurs avaient ce qu’on appelait<br />
sur le continent « le droit de cuissage ». Quand deux jeunes gens se mariaient, la<br />
femme devait passer la première nuit avec le seigneur. Et quand deux jeunes gens<br />
se mariaient sans se soum<strong>et</strong>tre à c<strong>et</strong> usage, il les faisait tuer ou il les tuait lui-même.<br />
<strong>Ursalamanu</strong> avait son château sur une hauteur, près de Montilati, à la limite<br />
entre la commune de Sotta <strong>et</strong> la commune de Figari.<br />
Alors, il y avait un jeune qui s’appelait Piup<strong>et</strong>u : il était meunier. Sur l’Orgonu,<br />
il y a encore des moulins, parce qu’en ce temps-là, les gens portaient le blé au<br />
moulin pour en faire de la farine, la farine ne débarquait pas <strong>et</strong> les gens ensemençaient<br />
un lopin de terre… Alors, Piup<strong>et</strong>u était meunier <strong>et</strong> il avait dans les environs<br />
une jeune fille qui lui plaisait. Piup<strong>et</strong>u l’a demandée en mariage. Elle a dit :<br />
– Je me marierais bien volontiers avec toi car je sais que tu es un gentil garçon,<br />
travailleur, honnête <strong>et</strong> tout… Mais quand je pense que je dois passer la première nuit<br />
avec ce monstre d’<strong>Ursalamanu</strong>, je préfère rester comme ça, sans mari.<br />
Alors Piup<strong>et</strong>u dit :<br />
– Et si je le tue, est-ce que tu m’épouserais ?<br />
– Et comment feras-tu pour le tuer ?<br />
– Ça, ne t’en fais pas ! Toi, donne-moi le temps, <strong>et</strong> tu verras !<br />
53
CONTES, LÉGENDES DE LA TRADITION ORALE CORSE<br />
•<br />
– Eh bien ! Si tu tues <strong>Ursalamanu</strong>, alors, tu peux revenir <strong>et</strong> nous nous<br />
marierons !<br />
Et Piup<strong>et</strong>u s’en est allé. Il est passé en Sardaigne, <strong>et</strong> il est resté là-bas trois<br />
ans. Il a appris à attraper les animaux avec la corde sarde, ce qu’on appelle maintenant<br />
« le lasso argentin ».<br />
Et alors, il avait préparé deux chevaux, l’un engraissé au blé, l’autre engraissé<br />
à l’orge.<br />
Quand ils étaient prêts, il a été trouver le comte pour dire qu’il était fiancé <strong>et</strong><br />
qu’il allait lui amener la femme <strong>et</strong> le cheval.<br />
– Venez choisir !<br />
Et il été dans l’écurie du moulin pour choisir. Naturellement, le comte<br />
a choisi le cheval engraissé au blé, parce qu’il était plus beau, il était gras, le poil<br />
luisant : celui qui avait été engraissé à l’orge n’était pas aussi beau, mais il était plus<br />
nerveux. Il dit :<br />
– Allons l’essayer !<br />
Et ils sont partis l’essayer dans la plaine d’Afr<strong>et</strong>u !<br />
La « plage » d’Afr<strong>et</strong>u, c’est-à-dire de Fr<strong>et</strong>u, c’était le fief du comte<br />
<strong>Ursalamanu</strong>, elle partait de Favone <strong>et</strong> allait jusqu’à Caldareddu. Mais le véritable<br />
Fr<strong>et</strong>u, c’est la plaine au-dessus de Figari où il y a les moulins de l’Orgonu, à droite<br />
de la grand-route.<br />
Ils ont éperonné les chevaux : alors Piup<strong>et</strong>u a r<strong>et</strong>enu le sien au début. Il avait<br />
préparé son coup. Il a laissé courir un peu le comte, <strong>et</strong> pendant ce temps, il a défait le<br />
lasso qu’il s’était entortillé autour de la taille, il a éperonné son cheval, il a rejoint le<br />
comte <strong>et</strong> quand il passait à côté, il a lancé le lasso, il l’a attrapé par la gorge, il l’a j<strong>et</strong>é<br />
par terre <strong>et</strong> lui a brisé le cou. Et ensuite, il l’a abandonné là-bas.<br />
Il est r<strong>et</strong>ourné <strong>et</strong> il a été chez la jeune fille. Il a dit :<br />
– Maintenant nous pouvons nous marier, le monstre ne fera plus de mal à<br />
personne. J’en ai débarrassé le peuple !<br />
Elle dit :<br />
– C’est bien vrai, ce que tu dis ? Tu as été capable de tuer <strong>Ursalamanu</strong> ?<br />
– Tu verras ! Si tu veux le voir, viens par ici !<br />
– Ah ! Je te crois ! Eh bien, nous nous marierons, laisse-moi seulement<br />
quelques semaines, le temps que je voie s’il ne reviendra plus, <strong>et</strong> quand je serai sûre,<br />
nous nous marierons !<br />
Et ils se sont mariés. Mais un jour, un berger qui gardait les brebis dans la<br />
plaine d’Afr<strong>et</strong>u, au-dessus de Cumpuleddu, a trouvé un crâne <strong>et</strong> il a reconnu que<br />
c’était celui d’<strong>Ursalamanu</strong> ! Alors, il prend son bâton <strong>et</strong> il tape dessus en disant :<br />
– Tu en as fait de belles, scélérat !<br />
Une mouche est sortie, une mouche de la taille de toutes les mouches, qui<br />
s’est mise aussitôt à grossir <strong>et</strong> est devenue aussi grosse qu’un bœuf ! Tous ceux qui<br />
54
• I - LIGENDI DI I LOCA • LÉGENDES DES LIEUX<br />
la voyaient, qui la sentaient, mouraient. Alors, elle a semé la mort dans les trois<br />
« plages », Afr<strong>et</strong>u, Figari <strong>et</strong> Caldareddu. Et, après cela, elle a été vers la montagne.<br />
Alors, à Aullène, la population s’était réunie un dimanche <strong>et</strong> ils se demandaient<br />
ce qu’ils allaient faire. Les uns disaient :<br />
– Il vaut mieux aller vers en haut, pour nous sauver !<br />
D’autres disaient :<br />
– Pourquoi partir ? Elle va monter aussi en haut ! Que faire ? Si personne ne<br />
nous en débarrasse, elle va venir nous trouver jusque dans les grottes, là-haut, <strong>et</strong><br />
même si nous fuyons vers le nord…<br />
Sur ces entrefaites, se présente un cavalier étranger, qui dit :<br />
– Restez dans vos maisons, braves gens ! La mouche d’Afr<strong>et</strong>u ne fera plus de<br />
mal à personne !<br />
Ils disent :<br />
– Qui es-tu ? Comment le sais-tu ?<br />
Il dit :<br />
– C’est moi qui l’ai tuée !<br />
– Tu es un menteur ! Si tu l’avais vue ou entendue, tu serais mort ! Comment<br />
peux-tu l’avoir tuée ?<br />
– Mais moi, je l’ai vue <strong>et</strong> entendue <strong>et</strong> je ne suis pas mort ! Croyez-moi,<br />
r<strong>et</strong>ournez dans vos maisons !<br />
– Tu es un menteur ! Il faut le pendre ! Il se moque de nous !<br />
Et ceci <strong>et</strong> cela… Il dit :<br />
– Vous ne voulez pas me croire ?<br />
Et il a sorti son épée couverte de sang, il dit :<br />
– Regardez !<br />
Ceux qui étaient près <strong>et</strong> qui ont vu l’épée sanguinolente sont tombés morts !<br />
De sorte qu’ils l’ont cru !<br />
Mais c’était saint Georges ! Saint Georges qui s’était posté là où la mouche<br />
passait pour aller à la montagne près du « Trou » d’Usciolu, entre Carbini <strong>et</strong> Figari,<br />
au-dessus du tunnel, dans l’éperon où passe le tunnel. Alors, il l’a gu<strong>et</strong>tée, il regardait<br />
si elle se présentait, elle ne pouvait passer que là <strong>et</strong> le Trou d’Usciolu est très<br />
étroit ! C’est à peine si une bête de somme portant le bât chargé peut y passer ! Saint<br />
Georges l’attendait là-bas <strong>et</strong>, tandis que la mouche passait, il l’a tuée d’un coup<br />
d’épée.<br />
Et au-dessus de Quenza, il y a un rocher, on voit le fer à cheval du pied du<br />
cheval de saint Georges, quand il s’est appuyé là !
• •<br />
2<br />
Orsolamano<br />
Cronicha di Giovanni di la Grossa (xv e siècle)<br />
E il suo signore disciendenti di Orso officiale di Brancolacci di che si è facto mentione<br />
in due parte, che regnava in questo tempo che si chiamava Orso la mano era notabile<br />
di pessimo d’ogni vizio ; però che contra a li Bonifatini lui facieva poca guerra<br />
e meno difensa. Solo si occupava a opprimere la gente di Fr<strong>et</strong>to e tra le altre cose<br />
faceva statuto abominabile o costituto che tutti li homini che facevano matrimonio<br />
piglando moglie vergine che dovesse chiamare Orsolamano alle nozze e che lui<br />
dovesse dormire colla sposa la prima nocte, e la mattina seguente lui dovesse portare<br />
la sposa a casa di lo sposo. Ed avendo questo male homo cominciato a introdurre fra<br />
giente povera questo uso d<strong>et</strong>estabile in Fr<strong>et</strong>to, ve si trovò un homo che si chiamava<br />
Piobitto che in se stesso si propose dare rimedio al delitto. E tenendo un bel peltro<br />
corridore, cominciò ad andare con esso a caccia di cervi e di altra sorte d’animali<br />
addestrandosi di g<strong>et</strong>tare una fune con un laccio al capo della fune ; il quale g<strong>et</strong>tando<br />
coglieva gli animali correndo con il poltro. E di questo modo senza cani pigliava<br />
degli animali, cervi e altri.<br />
E quando li parse che esso e il suo cavallo era ben destro e assicurato a<br />
questo esercizio, tenendo notitia con un certo homo principale chiamato Il Giacomo<br />
di Cagio, un jovi sera Piobitto in abiti di cacciatore andò a trovarlo e vide una<br />
sua figliola grande da marito e la quale li contentava. E tirando a parte Piobitto<br />
a Giacomo li domandò la figliola per moglie. Al quale Giacomo comò era homo<br />
d’onore rispose che non voleva maritare la figlola, perché Orsolamano le avesse a<br />
violare il suo honore, se non era homo tale che bastasse a difenderla da Orsolamano.<br />
E Alora Piobitto scoperse il suo disegno e volontà con Giacomo, e intesolo il Giacomo,<br />
si prom<strong>et</strong>tono l’uno a l’altro il matrimonio. E il sabato a la sera di notte, Piobitto<br />
stando un messo a fare intendere a Orsolamano come lui voleva piglare per moglie<br />
la figliola di Giacomo e non voleva fare nozze che lui venisse per il suo dicto e non<br />
avesse per male che succedesse questo matrimonio alla sprovvista.<br />
Orsolamano li rispose che lui havea facto male a non avvisarlo più tempo<br />
inante e la domenica mattina, Orsolamano partì correndo camminando per la via<br />
di Foce di Pruno con pochi homini a cavallo e Piobitto stava a la medesima foce con<br />
alquanti homini a cavallo pure aspectando la risposta. E como venne Orsolamano,<br />
il reciperno e cominciò il Piobitto a parlare con Orsolamano e a correre il suo cavalo<br />
a una parte e all’altra tanto che il corsere assicurò a Orsolamano dicendoli : questo<br />
56
• I - LIGENDI DI I LOCA • LÉGENDES DES LIEUX<br />
è il meglio cavallo di Fr<strong>et</strong>to ; credo che domani, il vorr<strong>et</strong>e davanti a la sposa ; e dopo<br />
se vol<strong>et</strong>e andare la davanti quanto una mezza corsa di cavallo, io correrò verso voi<br />
e vider<strong>et</strong>e il correre di questo cavallo in questo piano. E mentre che Orsolamano<br />
andava per m<strong>et</strong>tersi al capo di corsa che aveva da fare il cavallo, Piobitto andando<br />
appresso gli g<strong>et</strong>ta il laccio che portava all’arcione coperto con un balandrano e prese<br />
a Orsolamano dando forte di sproni al cavallo correndo a una parte e all’altra, tanto<br />
che tutto lo spezzò per quello luoguo. Li homini che erano con Orsolamano cominciarono<br />
a gridare e subito s’acqui<strong>et</strong>orono, e nissuno ne prese arme in mano ne osò<br />
di parlarne ne fare dimostrazione di vendecta, andandosene ognuno per facti loro.<br />
E subito succiesso questo caso, volò la nuova per tutta la contrata di Fr<strong>et</strong>to<br />
con grandissimo e comune contento di tutti. E dopo chi trovava di quelli di sua casa,<br />
li ammazzava a furore di popolo ; e fu subito preso il castello di Monte alto, dove lui<br />
stava e disfacto e morti tutti li maschi di sua casata ; e di le femmine fu facto grande<br />
strazio e vituperio, usando con loro ogni homo carnalmente e pubblicamente. E<br />
inel luoguo dove fu morto Orsolamano, fu seppellito a la campagna fuora dil luogo<br />
sagrato come veramente meritava un homo di tanti mali esempi in ogni sua actione<br />
come lui. Tal sepoltura fu quale la vita e fama e morte.<br />
E tutte le donne di Fr<strong>et</strong>to feciero un aggiuntamento a una chiesa dove si<br />
trovò la moglie di Piobitto, a la quale tutte fecero riverentia <strong>et</strong> honore come moglere<br />
di quel che aveva onorato a tutte loro e li posero in testa un adornamento comò una<br />
corona e fecero un editto o costituzione in Fr<strong>et</strong>to che dove essa moglere di Piobitto<br />
si trovasse niuna altra donna non potesse acconciarsi la testa a modo di corona<br />
ne ponesse ghirlanda in testa che paresse somigliante a corona, si non essa sola la<br />
potesse portare come volesse e che tute le donne la dovessero chiamare Madonna e<br />
nessuna altra donna donde lei fosse si potesse in sua presentia chiamare Madonna.<br />
Morto Orsolamno, come si ha dicto, il popolo di tutte le ville di Fr<strong>et</strong>to si<br />
aggiuntorno insieme a trattare dil modo come avevamo da governare in le cose di la<br />
justitia e fu risolto che si governassero a popolo e comune tutta la contrata e non le<br />
fusse più il nome di signore. E di malo in peggio cresceranno le discordie fra loro, e<br />
li furti <strong>et</strong> altre cose di delitti al solito di prima e non li era che potesse far bene loro<br />
facti.<br />
Passato che fu un anno dopo la morte di Orsolamano, ritirandose in quello<br />
luoguo dove fu morto e sepulto a caso uni quanti homini, di accordio andorno ad<br />
aprire la sepoltura dove stava, perché dicievano che veramente ci era il demonio ;<br />
e aperta che fù, non ci trovorno ossa ne carne, como non ci fusse stato posto mai.<br />
Solamente uscì dalla sepoltura un gran moscone come uno bufone, la quale mosca<br />
andava volando a torno a quelli homini che haveano aperto la sepoltura faciendo<br />
romore come suoleno fare li mosconi grossi, e dipoi si allargò per il contorno, e<br />
quante persone e animali ponzie e maschi e femine, moriamo subito. E cresceva<br />
sempre quella mosca e al capo di dieci anni, diventò tanto grande quasi come un<br />
57
CONTES, LÉGENDES DE LA TRADITION ORALE CORSE<br />
•<br />
boie, e non poteva più volare, e con il fiato avvenenava le persone che per disgratia<br />
si li accostavano, donde essa si trovava, e il medesimo ad ogni cosa viva. E all’ultimo<br />
stava in mezzo di Fr<strong>et</strong>to a un luogo che si chiamava la foggie di Pruno ; e da levante<br />
e da ponente resta il luogo pendente e dopoi il contorno resta piano fino a la marina ;<br />
e da tramontana e da mezzo giorno ci sono montagne che la una si chiama di Coggio<br />
e l’altra di verso Bonifatio si chiama la Serra dil loro. E la mosca all’ultimo si stava<br />
a quella fogie ; e la gente o ville dove il vento li portava l’odore di la mosca, tutti<br />
moriamo, persone e animali, e fino a le piante offendea.<br />
E di questo modo morsero molta gente e spopolò le ville dil suo contorno<br />
e molti fugiano a le grute e si moriano dentro donde il vento portava quello odore.<br />
Videndo Piobitto tanta distruzione se ne andò a Pisa a tractare con molti<br />
sabi dottori dil rimedio ; da li quali li fu ordinato un certo onguento con oglo di<br />
balsamo e altre drogue e cose odorifere, con li quali li ordinorno che se ne ontasse<br />
lui e il cavallo suo un mese di continovo e di poi li consigliarono che poteva andare<br />
con una lanza e ammazzare la mosca e di poi, facto lo eff<strong>et</strong>to, li dissero che dovesse<br />
usare de la medesima unzione un’altro mese a lui e al cavallo. E con questo consiglio<br />
e rimedio Piobitto se ne tornò di Pisa a Corsica a Fr<strong>et</strong>to e fecie la diligentia uno mese<br />
con lo onguento che havea portato, e al capo se ne andò dove era la mosca, con una<br />
lanza la passò da parte a parte e l’amazzò ; e dopo usò la unzione fino a octo giorni<br />
solamente. E perchè si sentia con buona disposizione non li parse di untarse più,<br />
parendole essere fuori di pericolo e infra poche ore dopo che lassò la unzione morse<br />
lui e il cavallo.<br />
Restò Fr<strong>et</strong>to in parte spopolato e quelli che restavano vivevano in molte<br />
discordie ; e li Bonifatini le facievano la guerra e como disperati se ne andorno in<br />
altri luoghi ad abitare, e non vi rimase se non una villa che si chiamava Conca. E si<br />
bene dopoi da molti sono stati per abitare quelle ville, lassati a la fine, non ha avuto<br />
eff<strong>et</strong>to e resta quella contrata e luogui salvatichi. Et era Fr<strong>et</strong>to della migliori luoghi di<br />
Corsica e per seminare e per ogni altra cosa necessaria al vivere umano per piante e<br />
per qualsivoglia cosa di bestiami ; e antiquamente, era habitato più che l’altri luoghi ;<br />
campi bellissimi e li migliori porti di Corsica e di ogni sorte di legnami per ogni<br />
fabrica e bagielli di mare teneva in la sua montagna verso Carbini, <strong>et</strong> oggi non ci è<br />
altra habitazione che quella che dopo è stata fatta da li homini di Quenza che stava<br />
a mezzo di Quenza a Fr<strong>et</strong>to e si chiamava il spitale.<br />
Parerà al l<strong>et</strong>tore cosa stranea e incredibile dil facto di questa mosca di Fr<strong>et</strong>to<br />
e non senza qualche immaginazione ; però a chi avrà visto il modo e inteso e l<strong>et</strong>to di<br />
le cose meravigliose dil mondo che hanno socciesso in diversi luoghi e tempi non<br />
li parerà forse incredibile e così como nascieno animali mostruosi e persone di due<br />
teste e di più o meno membri e piovere sangue e corruptione di aere e di animali che<br />
con l’odore ammazzano e con la loro vista e con loro mordere per poco che tocchino<br />
la cosa viva e di diversi modi, e chi avrà udito dire di l’orribil mostro che fu antica-<br />
58
• I - LIGENDI DI I LOCA • LÉGENDES DES LIEUX<br />
mente visto e passò per mezzo di la città di Palermo che poi quasi spanticò quella<br />
città per il veneno e ferocità di quello mostro di che trattano alcuni beritichi autori ;<br />
or sia come si vogle, crede ogniuno quel che gli scrivono assicurandogli che questa<br />
mosca danneggiò molto in Corsica, <strong>et</strong> di ciò se ne ha trattato <strong>et</strong> è restato memoria<br />
perp<strong>et</strong>uamente <strong>et</strong> ogi piccoli e grandi quando voleno dire una cosa pestifera e miracolosa<br />
dicono : Sarìa mai la mosca di Fr<strong>et</strong>to ; e questo dura e durerà in <strong>et</strong>erno. Però io<br />
tengo per certissimo che Dio volse castigare li abominevoli peccati, omicidii e sforzi<br />
che in quella contrata facevano e si dispopolò come si vede.<br />
<br />
Orsolamano<br />
Chronique de Giovanni della Grossa (XV e siècle)<br />
Et le seigneur qui régnait en ce temps-là, un descendant d’Orso, c<strong>et</strong> officier<br />
des Biancolacci dont il a déjà été fait mention deux fois, était appelé Orso la mano,<br />
<strong>et</strong> réputé pour avoir tous les vices ; aussi il ne combattait guère les Bonifaciens <strong>et</strong> se<br />
souciait encore moins de défendre la population contre eux. Il se préoccupait seulement<br />
d’opprimer la population de Fr<strong>et</strong>to <strong>et</strong> entre autres abus, il avait établi une<br />
règle ou législation abominable selon laquelle les hommes qui se mariaient avec<br />
une femme vierge devaient appeler Orsolamano à leurs noces afin qu’il passe la<br />
première nuit avec la mariée <strong>et</strong> l’amène le lendemain matin à la maison du marié. Ce<br />
méchant homme ayant commencé à introduire ce détestable usage parmi les gens de<br />
Fr<strong>et</strong>to, il se trouva un homme qui s’appelait Piobitto <strong>et</strong> de lui-même se proposa pour<br />
remédier à ce fléau. Comme il avait un beau poulain très rapide, il commença à le<br />
monter pour chasser le cerf <strong>et</strong> toutes sortes d’autres animaux. Il s’entraînait avec une<br />
corde munie d’un lasso à son extrémité. Il le j<strong>et</strong>ait <strong>et</strong> attrapait ainsi les animaux en<br />
courant sur son poulain. Ainsi, sans chien, il réussissait à attraper les cerfs <strong>et</strong> toutes<br />
sortes d’animaux.<br />
Quand il lui sembla avoir acquis suffisamment de dextérité <strong>et</strong> d’assurance<br />
à c<strong>et</strong> exercice, ainsi que son cheval, Piobitto habillé en chasseur alla un jeudi soir<br />
chez un homme principal de sa connaissance nommé Giacomo di Cagio, <strong>et</strong> il vit<br />
chez lui une de ses filles en âge d’être mariée qui lui plaisait. Ayant pris Giacomo<br />
en aparté, Piobitto lui demanda sa fille en mariage. Alors Giacomo, en homme<br />
d’honneur, répondit qu’il ne voulait pas marier sa fille, de crainte qu’Orsolamano<br />
ne viole son honneur, sauf à un homme capable de la défendre contre Orsolamano.<br />
Alors, Piobitto s’ouvrit de son proj<strong>et</strong> <strong>et</strong> de son intention à Giacomo : celui-ci l’ayant<br />
entendu, ils engagèrent mutuellement une promesse de mariage. Et le samedi soir,<br />
à la nuit tombée, Piobitto envoya un messager pour faire savoir à Orsolamano qu’il<br />
59
CONTES, LÉGENDES DE LA TRADITION ORALE CORSE<br />
•<br />
voulait prendre pour femme la fille de Giacomo, qu’il ne voulait pas faire la noce en<br />
dehors de sa présence, conformément à la loi qu’il avait établie <strong>et</strong> qu’il lui demandait<br />
de ne pas s’offenser de la soudain<strong>et</strong>é du mariage.<br />
Orsolamano répondit qu’il avait eu tort de ne pas l’aviser plus tôt <strong>et</strong> le<br />
dimanche matin, il partit au galop en direction de Foce di Pruno avec quelques cavaliers<br />
<strong>et</strong> Piobitto se tenait à ce col, en compagnie de quelques cavaliers, dans l’attente<br />
de la réponse. Quand Orsolamano arriva, ils l’accueillirent <strong>et</strong> Piobitto commença à<br />
parler avec lui tout en faisant courir son cheval d’un côté <strong>et</strong> de l’autre, de façon à<br />
convaincre Orsolamano. Il lui dit :<br />
– C’est le meilleur cheval de Fr<strong>et</strong>to : je crois que demain, vous serez heureux<br />
de l’avoir devant la mariée : <strong>et</strong> si vous voulez une demi-course de cheval, je viendrai<br />
au-devant de vous <strong>et</strong> vous verrez le galop de ce cheval dans c<strong>et</strong>te plaine. Et tandis<br />
qu’Orsolamano allait se placer au bout du traj<strong>et</strong> qu’il devait parcourir avec le cheval,<br />
Piobitto, derrière lui, j<strong>et</strong>a le lasso qu’il portait sur l’arçon, couvert d’une pelisse, il<br />
attrapa Orsolamano <strong>et</strong> donna des coups d’éperon au cheval qui courait de tous côtés,<br />
de manière à le déchiqu<strong>et</strong>er en ces lieux. Les hommes d’Orsolamano commencèrent<br />
à crier puis se turent aussitôt. Personne ne prit les armes, n’osa parler ni esquisser le<br />
moindre geste de vengeance <strong>et</strong> chacun s’en alla de son côté.<br />
Aussitôt, la nouvelle se répandit dans la région de Fr<strong>et</strong>to, pour la plus<br />
grande joie de tous. Ceux qui trouvaient des gens de sa maison les massacraient tant<br />
la colère du peuple était grande : on s’empara aussitôt du château de Monte Alto où<br />
il habitait, on le détruisit <strong>et</strong> on tua tous les hommes de sa famille ; quant aux femmes,<br />
elles furent violemment maltraitées <strong>et</strong> déshonorées, tous les hommes abusant d’elles<br />
charnellement <strong>et</strong> publiquement. Orsolamano fut enterré à l’endroit où il avait été<br />
tué, dans la campagne, en dehors des lieux sacrés, comme le méritait un homme qui<br />
donnait tellement le mauvais exemple en chacune de ses actions. Une telle sépulture<br />
fut conforme à sa vie, à sa réputation <strong>et</strong> à sa mort.<br />
Alors, toutes les femmes de Fr<strong>et</strong>to tinrent une assemblée dans une église où<br />
se trouvait la femme de Piobitto, elles lui rendirent hommage <strong>et</strong> honneur comme<br />
à la femme de celui qui leur avait à toutes rendu honneur <strong>et</strong> elles lui mirent sur la<br />
tête une parure en guise de couronne : on adopta à Fr<strong>et</strong>to un édit ou règlement qui<br />
voulait que partout où se trouvait la femme de Piobitto, aucune autre femme n’eût le<br />
droit de porter sur la tête un ornement en guise de couronne ni de poser sur sa tête<br />
une guirlande semblable à une couronne ; elle seule avait le droit de la porter comme<br />
elle voulait, toutes les autres femmes devraient l’appeler Madonna <strong>et</strong> aucune autre<br />
en sa présence ne pourrait être appelée Madonna.<br />
Orsalamano ayant été tué comme il a été dit, le peuple de toutes les localités<br />
de Fr<strong>et</strong>to s’assembla pour décider de la façon dont il se gouvernerait désormais en<br />
matière de justice. Il fut décidé que toute la région s’administrerait en peuple <strong>et</strong><br />
commune, le nom de seigneur serait aboli. Leurs querelles se développèrent de mal<br />
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