11.04.2020 Views

Tuttu un mondu d’ogetti-Anthologie RoCoCo - P.A.Scolca et X.Casanova

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Collectif<br />

Piume è Empiume<br />

ROCOCO SÉRIE<br />

ROMAN COLLECTIF DE LA CORSE<br />

2<br />

Tutt’<strong>un</strong><br />

<strong>mondu</strong><br />

<strong>d’og<strong>et</strong>ti</strong><br />

d’après<br />

Georges Per<strong>et</strong>ti<br />

LETTURA<br />

FERME 2 minuti<br />

AL DENTE 3 minuti<br />

FONDANT 4 minuti


862<br />

ROCOCO<br />

série<br />

L’auteur se définissait lui-même comme<br />

incassable, ayant résisté aux assauts<br />

iconoclastes de la presse féminine de son<br />

époque, qui prônait la disparition, en littérature, de la<br />

decription des choses au profit de la restitution des<br />

sentiments animant les êtres. C’est dans ce contexte tendu<br />

qu’il se sangla littéralement à sa table de travail, se<br />

prom<strong>et</strong>tant de ne la quitter qu’au point final d’<strong>un</strong><br />

« rhoman 1 » écrit dans la perspective d’<strong>un</strong> « œil de bœuf<br />

au banc d’optique », énonçant <strong>et</strong> dénonçant à haute voix<br />

la transformation constante <strong>et</strong> agressive du flux d’images<br />

qui le pénètre, lui imposant leur indéfectible prégnance.<br />

GEORGEs PERETTi<br />

Tutt’<strong>un</strong> <strong>mondu</strong> <strong>d’og<strong>et</strong>ti</strong><br />

1. Dans Un texte célèbre,<br />

Georges Per<strong>et</strong>ti justifie<br />

c<strong>et</strong>te l<strong>et</strong>tre H ajoutée à<br />

roman :<br />

« Le H<strong>et</strong> hébreu est la<br />

l<strong>et</strong>tre, qui, pour sa pronnonciation,<br />

engage le<br />

point d’articulation le<br />

plus profond, le plus<br />

éloigné du bout des lèvres,<br />

à l’inverse de celles<br />

qui simplement se sussurent.<br />

C’est la marque<br />

d’<strong>un</strong> engagement corporel<br />

intense, profond,<br />

pour l’auteur. Et pour le<br />

lecteur la nécessité d’accomplir<br />

<strong>un</strong> geste engageant<br />

les organes de sa<br />

déglutition, comme <strong>un</strong><br />

consentement préalable<br />

à avaler. » Belle magazine,<br />

6 février 1984.<br />

L<br />

’œil, d’abord, balaierait les tomm<strong>et</strong>tes lisses<br />

d’<strong>un</strong> long long couloir, haut <strong>et</strong> étroit, a l’anticu.<br />

Les murs seraient de placards de bois sombre, de<br />

châtaignier aux planches usées par le temps, <strong>et</strong><br />

dont les ferrures de cuivre luiraient de la douceur<br />

inquiétante d’<strong>un</strong> canon de pistol<strong>et</strong>. Trois eauxfortes,<br />

représentant l’<strong>un</strong>e Pasquale Paoli à Ponte-<br />

Novu (après), l’autre le café des Palmiers à Bastia,<br />

vers 1890, la troisième <strong>un</strong>e publicité originale<br />

pour le cap-Corse, le seul, le vrai, l’ami de la famille,<br />

mèneraient à <strong>un</strong>e tenture de velours pourpre, r<strong>et</strong>enue<br />

par de gros anneaux de cuivre brillant, qui<br />

n’a plus bougé depuis <strong>un</strong> siècle, <strong>et</strong> dont l’usage<br />

s’est perdu autant que la perception. Elle marquerait<br />

toutefois <strong>un</strong> seuil symbolique puisqu’au-delà<br />

de sa barrière virtuelle commencerait le domaine<br />

du plancher de chêne fumé. Ce seraient de longues<br />

planches sciées à la main <strong>et</strong> soigneusement polies,<br />

autrefois imprégnées d’huile de lin <strong>et</strong> d’essence de


GEORGEs PERETTi<br />

TUTT’UN MONDU D’OGETTI<br />

ROCOCO<br />

série<br />

863<br />

térébenthine, maintenant entr<strong>et</strong>enues par <strong>un</strong>e serpillère<br />

frénétique <strong>et</strong> bi-hebdomadaire. Elles ne seraient<br />

cachées que par endroit, là où des tapis<br />

persans, aussi beaux individuellement que discordants<br />

collectivement, reposeraient, colorés <strong>et</strong><br />

soyeux.<br />

Ce serait <strong>un</strong> salon, long de huit mètres environ,<br />

large de quatre. À gauche, dans <strong>un</strong>e sorte d’alcôve<br />

surmontée d’<strong>un</strong> dais de velours pourpre, de la<br />

même teinte passée que son frère gardien du couloir,<br />

<strong>un</strong> gros divan de cuir miel, au dossier haut <strong>et</strong><br />

inconfortable, serait flanqué de deux bibliothèques<br />

anglaises, en if, aux carreaux biseautés <strong>et</strong> brillants,<br />

où des livres reliés <strong>et</strong> jamais lus s’étageraient en<br />

rangées disciplinées pour <strong>un</strong>e guerre de l’esprit.<br />

Au-dessus du divan, <strong>un</strong> portulan génois occuperait<br />

toute la longueur du panneau, encadré d’<strong>un</strong>e fine<br />

bagu<strong>et</strong>te de bois doré. Au-delà d’<strong>un</strong>e p<strong>et</strong>ite table<br />

basse, sous <strong>un</strong>e étole de prière, en soie, ayant appartenu<br />

à <strong>un</strong> ancêtre abbé, accrochée au mur par<br />

trois clous d’acier à grosse tête ronde, <strong>et</strong> qui aurait<br />

l’intention de faire pendant à la tenture de velours<br />

par <strong>un</strong>e subtile association d’idées, <strong>un</strong> autre canapé,<br />

perpendiculaire au premier, de cuir rouge,<br />

recouvert en partie d’<strong>un</strong> paréo en batik orange,<br />

conduirait à <strong>un</strong> p<strong>et</strong>it meuble haut sur pied, laqué<br />

de noir satiné, garni de trois étagères qui supporteraient<br />

des bibelots : des tourmalines <strong>et</strong> des<br />

boules de granite vert, des pistol<strong>et</strong>s antiques au<br />

bois vermoulu, <strong>un</strong> rosaire en pierre catachite béni<br />

au couvent de Lavasina, <strong>un</strong> camée représentant<br />

La<strong>et</strong>itia Bonaparte, <strong>un</strong>e pyramide de corail rose, la<br />

lampe-tempête d’<strong>un</strong> grand-père dont le verre a<br />

disparu, <strong>un</strong> presse-papier de bronze en forme de


864 ROCOCO série<br />

GEORGEs PERETTi<br />

TUTT’UN MONDU D’OGETTI<br />

Corse. Plus loin, après <strong>un</strong>e porte capitonnée de<br />

cuir miel <strong>et</strong> crevassé, aux semences d’acier vieilli,<br />

des rayonnages superposés faisant le coin,<br />

contiendraient des coffr<strong>et</strong>s de CD <strong>et</strong> des piles de<br />

vieux disques vinyle aux poch<strong>et</strong>tes impeccables, à<br />

côté d’<strong>un</strong>e platine Lynson Deck de 1983, au capot<br />

refermé, posée sur <strong>un</strong> ampli Quad 44 éteint, <strong>et</strong> que<br />

surmonterait <strong>un</strong>e affiche sous verre pour le premier<br />

Festiventu de Calvi. De la première fenêtre<br />

aux croisées immenses, garnie de longs rideaux de<br />

lin écru, dénués de passementerie, on découvrirait<br />

la ligne bleue de la mer, plus ou moins perturbée<br />

par les masses ja<strong>un</strong>es <strong>et</strong> bleues des ferries, la vaste<br />

vacuité de la place saint Nicolas, le haut de la statue<br />

de Napoléon par Bartolini. Une écritoire de<br />

style Louis Philippe en noyer sombre <strong>et</strong> clair, posée<br />

sur <strong>un</strong>e maie, encombrée de l<strong>et</strong>tres, de prospectus<br />

<strong>et</strong> de feuilles griffonnées, s’accompagnerait d’<strong>un</strong><br />

fauteuil Voltaire fraîchement r<strong>et</strong>apissé de toile à<br />

matelas, à rayures taupes <strong>et</strong> viol<strong>et</strong>tes. Le tout s’inscrirait<br />

dans l’espace séparant la première de la seconde<br />

fenêtre, toute aussi immense, toute aussi<br />

lumineuse, <strong>un</strong> grand rectangle de ciel <strong>et</strong> de soleil.<br />

Plus loin, <strong>un</strong>e sell<strong>et</strong>te aux jambes fines, au plateau<br />

de marqu<strong>et</strong>erie précieuse, nacre, acajou <strong>et</strong> palissandre,<br />

supporterait <strong>un</strong> combiné orange (PTT<br />

1972) ainsi qu’<strong>un</strong> filofax recouvert de tissu Louis<br />

Vuitton <strong>et</strong> <strong>un</strong> bloc-notes Mont-Blanc accompagné<br />

de son Meisterstuck collector. Puis, au-delà d’<strong>un</strong>e<br />

autre porte, de facture byzantine celle-là, chinée<br />

sur <strong>un</strong> marché d’Alexandrie au cours de la croisière<br />

Costa spéciale couples échangistes, après <strong>un</strong> bibus<br />

bourré de magazines de décoration hollandais,<br />

surmonté d’<strong>un</strong> grand vase de Murano dans les tons<br />

de beige <strong>et</strong> amarante rempli d’immortelles <strong>et</strong> de


GEORGEs PERETTi<br />

TUTT’UN MONDU D’OGETTI<br />

ROCOCO<br />

série<br />

865<br />

fleurs séchées <strong>et</strong> que surplomberait <strong>un</strong>e glace rectangulaire<br />

enchâssée dans <strong>un</strong> cadre de pierres<br />

semi-précieuses <strong>et</strong> de bois de santal, <strong>un</strong>e console<br />

de travertin vert émeraude, flanquée de deux fauteuils<br />

clubs en cuir repoussé, ramènerait à la tenture<br />

de velours rouge de l’ouverture originelle.<br />

Tout serait rouge, vert, ocre, fauve, violent : <strong>un</strong><br />

<strong>un</strong>ivers de taches agressives, aux teintes flamboyantes,<br />

en opposition totale, aux tons soigneusement<br />

choisis, paranoïaquement élus pour<br />

provoquer <strong>un</strong>e explosion esthétique <strong>et</strong> criarde, au<br />

milieu de laquelle surprendrait l’ordonnance classique<br />

<strong>et</strong> mesurée d’<strong>un</strong>e table de jeu, discrète <strong>et</strong><br />

cossue, <strong>et</strong> de ses quatre chaises Louis XV occupant<br />

le centre exact de la pièce, comme <strong>un</strong>e île de<br />

beauté parfaite dans <strong>un</strong> océan en furie. En plein<br />

jour, la lumière entrant à flots rendrait c<strong>et</strong>te pièce<br />

subversive, quasi intolérable par l’illumination de<br />

ses multiples cratères de mauvais goût. Ce serait<br />

<strong>un</strong>e pièce d’apparat, <strong>un</strong>e bienvenue agressive, celle<br />

par laquelle on prouve aux invités que le summum<br />

n’est jamais atteint, <strong>et</strong> que le caractère hautement<br />

onéreux des choses ne les ennoblit pas pour autant.<br />

L’AUTEUR<br />

Georges Per<strong>et</strong>ti est né<br />

en 1948 à la maternité<br />

des Lilas, rue du Coq-<br />

Français. Il ne<br />

découvre le poids de<br />

c<strong>et</strong>te fâcheuse<br />

localisation<br />

primordiale qu’au<br />

cours de sa troisième<br />

psychanalyse, avec<br />

Léa Cohen-<strong>Casanova</strong>.<br />

Elle donne lieu à<br />

l’écriture d’<strong>un</strong> dernier<br />

« rhoman » : H ou la<br />

décapitation.<br />

Il renoue avec la Corse<br />

de ses origines à la<br />

faveur d’<strong>un</strong> reportage<br />

à l’hippodrome de<br />

Calzarellu, jamais<br />

décrit avec <strong>un</strong> tel souci<br />

des détails.<br />

Très remarqué, son<br />

article lui vaut d’être<br />

sollicité <strong>et</strong> embauché<br />

par <strong>un</strong> hebdomadaire<br />

d’annonces légales<br />

qui rêvait de créer<br />

dans ses colonnes <strong>un</strong>e<br />

chronique hippique<br />

intitulée Horse-Malin.<br />

L’ŒUVRE<br />

• La dissipation.<br />

• Tutt’<strong>un</strong> <strong>mondu</strong><br />

<strong>d’og<strong>et</strong>ti</strong>.<br />

• Lipossucion ou Le<br />

gras typographique.<br />

• H ou la décapitation

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!