27.05.2021 Views

PRISES DE NOTES

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

102 103

couches se superposent et se révèlent doucement au

regard. Ses couleurs irradient avec intensité et font de

ses pièces cuites, à l’instar de ses images peintes, des

objets hybrides, qui créent un pont entre les médiums.

Le talent de Jeanne Lacombe est d’abolir les frontières

entre peinture et photographie, volume et peinture.

Dans son travail, rien n’est complètement à sa place,

chaque élément glisse doucement vers de nouveaux

territoires.

Jeanne Lacombe crée du lien, elle jette des ponts

au-dessus des détroits, elle relie les mondes, les

genres et les styles, elle est libre. Ses photographies

peintes jouent sur le doute. Le réalisme de l’image

photographique est sublimé par la touche enlevée de la

peinture. Celle-ci n’est plus prisonnière de son auritarisme

vain et la photographie se déleste de son horizon

frustré. Les deux s’enlacent dans une danse ensoleillée.

Si l’artiste parvient avec autant de fluidité à lier ce qui

semble opposé, c’est qu’elle a effectué plusieurs résidences

de travail dans deux villes du bassin méditerranéen

qui depuis l’autre rive sont à portée du regard de

notre continent vieillissant. D’Istanbul à Tanger, Jeanne

Lacombe s’est immergée dans ces cultures voisines

et a observé avec recul, notre Europe isolationniste,

civilisation occidentale qui aujourd’hui refuse le brassage

et la diversité, prenant ainsi le risque d’accélérer

son déclin symbolique. L’artiste a compris que la distance

et le voyage permettaient de rencontrer l’autre

et par l’altérité, de nourrir une œuvre en permanente

évolution. Entendons-nous bien, Jeanne Lacombe

ne produit pas explicitement ce que nous pourrions

qualifier d’art politique, dans le sens militant, voire

revendicatif. Non, son art est subtilement irrigué par

sa conscience politique, elle n’impose pas une lecture

du monde, elle le lit à l’aune de son regard et le partage

avec nous. D’où cette liberté entre les médiums, qui

finalement bouscule les codes d’un art trop souvent

conformiste. Si Édouard Glissant a théorisé la créolisation

du monde en revendiquant la poésie comme acte

politique, Jeanne affirme la diversité de ses sources et

la multiplicité des gestes qui nourrissent sa pratique.

L’acte photographique, la fabrication des couleurs, le

toucher de la peinture, l’alchimie de la céramique, tout

est outil à faire œuvre et toute œuvre est le fruit d’une

rencontre.

Jeanne Lacombe apprend du monde, les territoires

qu’elle traverse sont l’occasion de multiples découvertes.

Les espaces sont hétérogènes, les dimensions

locales s’additionnent et se multiplient à l’inverse de

l’unicité de la globalisation qui, principalement régie

par son principe de domination, annule toute diversité.

L’artiste l’a bien ressenti et son regard sur ces natures

multiples témoigne de son attention à la différence. La

nature, le ciel, l’eau, la terre, les végétaux méditerranéens,

les fleurs, les roses, ne sont pas que prétexte

aux formes et aux couleurs. Le regardeur les éprouve,

ressent leur présence, et les peintures de Jeanne nous

rappellent toutes, un instant personnel, une route, une

visite à la famille, un temps suspendu, un concentré

de souvenirs, des images, des odeurs, des sensations.

Jeanne Lacombe attise notre mémoire sans pour autant

convoquer la nostalgie. C’est le naturel et la simplicité

de ses peintures parfois ponctuées de touches

proches de l’abstrait qui relient son sujet à notre part

d’intime. Son travail est universel, parenthèse en suspens,

le temps évoqué n’a pas disparu. Ce temps que

nous tendons tous à vouloir garder éternel.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!