Coeur de plume numero 1
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Coeur de plumes
poèmes
7 L’agonie de deux sexes
13 C’était une belle mosquée
22 La terre s’en fout
nouvelles
43 Cora est dyslexique
49 Un jour de trop
bande-dessinée
55 Les aventures de Zoe & Zabie ISSN 2562-7597
édito
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
Cœur de plumes, qu’est-ce-que c’est? Une sempiternelle revue littéraire? Oui et non. Oui, nous sommes une revue
littéraire. Nous aimons publier de la poésie et des nouvelles, et de la BD et d’autres surprises.
Non. Cœur de plumes publie de la poésie et des nouvelles engagées, c’est-à-dire sur des thèmes et débats de société
que sont la pauvreté, la discrimination, le capitalisme, l’itinérance, l’écologie, la guerre, le féminisme, etc. Un autre
monde est possible. Notre futur est encore une page blanche vierge.
« La beauté sauvera le monde. » avait écrit Fiodor Dostoïevski. Pour mon équipe et moi, c’est notre credo, bien qu’à
l’Ouest comme à l’Est, c’est la saison des murs et la floraison des chiens volubiles enragés. Que faire? Écrire, car
c’est dans la nuit la plus noire orpheline d’étoiles, votre petite plume deviendra la plus brillante des lumières. Un
phare indispensable pour naviguer sur cette mer troublée.
Cœur de plumes recherche des autrices et auteurs de la francophonie. Cœur de plumes est un amoureux de la langue
de Molière parlé de l’Ontario à l’Acadie, dans les caraïbes, et de l’Afrique au Vietnam. Ainsi, à Cœur de plumes, nous
sommes des bâtisseurs de ponts entre d’autres pays, d’autres cultures, et aussi d’autres langues à la place de bâtir
des murs. Aucun écrit n’est vain. Vos écritures-ruisseaux de pensées.
Dans la bataille du quotidien, nous ne sommes ni des robots corvéables et obéissants, ni des consommateurs
sans visage, mais partout, l’être humain est fiché ou code-barres dans toutes les bases de données des systèmes
politiques ou économiques. Serions-nous tous seulement des numéros?
Au contraire, nous, êtres de chair et de sang, sommes cette plume empathique. Chaque vie précieuse. Chaque
plume est liée aux autres par les fils sociétaux invisibles et visibles que sont la citoyenneté, le genre, la classe
sociale, l’origine ethnique, la religion ou mêmes les goûts ou les préférences artistiques personnels, etc. Chaque
personne est la plume de l’oiseau nommé Humanité. Chaque plume nécessaire,
Parce que ce sont avec les mots du cœur et des plumes, nous bâtirons les ponts des dialogues interculturels tout
en soignant les maux du monde d’aujourd’hui, parce que des lendemains riches, merveilleux restent à sillonner,
et honorer le sacrifice de Prométhée, porteur du feu de la sagesse et du savoir à toute l’humanité. Encore trop de
potentiels meurent stériles. Et encore, des beautés restent à écrire ou à dessiner. Pour le meilleur ou pour le pire,
nous sommes responsables des uns et des autres.
3 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
sommaire
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
Personnel
Directeur de publication
Vladimir Nicolas
Rédactrice en chef
Johanne Giguère
Correctrices
Johanne Giguère
Stéphanie Brière
Comité de lecture
Yannick Godin
Conception
Marie-Hélène Foster
Illustration
Juan Carlos Gonzalez Agudo
Marie-Josée Nolet
Photographe
Yanissa RFM
Communication & Réseaux sociaux
Aimée You
Coeur de plumes
3374, Boulevard Lasalle
Verdun, Québec, H4G 1Y9, Canada
1-438-321-2712
coeurdeplumelit@gmail.com
ISSN 2562-7597
Poètes et
Écrivains
Anissa El Mardi
Béatrice Maurose
Cécile Durant
Didier Colpin
Ema DuBotz
Éric Vawga
Félix Demore
Flora Delalande
Gabriela Lup
Gavriel Howard Feist
Geneviève Morin
Ivanna Kretova
Jean-Marc Sire
Jean-Philippe Sedikhi
Kingsley Chubie
Laurent Vercuei
Loïc Bonhomme
Marc Legrand
Marie d’Anjou
Marie-Josée Nolet
Marion Lecoq
Marthe Betema
Michel Labeaume
Mohamed Benfares
Nayla Rida
Nicolas Charron
Nsanzimana Rugigana
Raoul Tamekou
Suzanne El Lackany
Sylvain Robichaud
Tao Lee
Thaïs Andreani Pertica
Valérie Dupras
Vladimir Nicolas
Yann Quero
Yannick Godin
poèmes
7 L’agonie de deux sexes
par Béatrice Maurose
8 Une étoile
par Cécile Durant
9 Toujours y croire...
par Didier Colpin
10 Pills
par Ema DuBotz
11 En le port de Pangée
par Éric Vawga
12 Au soir du premier
décembre
par Félix Demore
13 C’était une belle mosquée
par Flora Delalande
15 Le Nid
par Gabriela Lup
16 Corporéelle
par Geneviève Morin
17 Face contre terre
par Jean-Philippe Sedikhi
18 ILTON
par Laurent Vercueil
19 Bat le coeur des hommes
par Loïc Bonhomme
20 Ils crieront tous les vents
par Marie d’Anjou
21 Plus jamais
par Marie-Josée Nolet
22 La terre s’en fout
par Marion Lecoq
23 En attendant le jour
par Marthe Betema et
Vladimir Nicolas
24 Un pot de miel
par Michel Labeaume
25 Ça ne me regarde pas
par Mohammed Benfares
26 Language / Langue
par Nayla Rida
28 Néonicotinoïdes
par Nicolas Charron
29 Du bon côté de la force
par Nsanzimana Rugigana
30 Ode à la Consommation
par Raoul Tamekou
31 Quelque part oubliée
par Suzanne El Lackany
32 Les enfants du rêve de
demain
par Sylvain Robichaud
33 Tu as tué le silence
par Valérie Dupras
34 Syair du Printemps arabe
par Yann Quero
36 Gîte fluoré à l’Arcane
par Yannick Godin
pensées
& réflexions
39 Beau parleur
par Anissa El Mardi
39 La vie
par Tao Lee
39 Le bonheur de soi
par Tao Lee
nouvelles
41 Les trois-huit
par Éric Vawga
43 Cora est dyslexique
par Gavriel Howard Feist
47 De paire
par Ivanna Kretova
48 Le roi des cons
par Jean-Marc Sire
49 Un jour de trop
par Jean-Philippe Sedikhi
52 Écris
par Marc Legrand
53 Transition pathologique et
éphémère
par Thaïs Andreani Pertica
bande-dessinée
55 Les aventures de Zoe &
Zabie
par Kingsley Chubie et
Vladimir Nicolas
jeux littéraires
57 Le langage poétique
par D-A. Carlier
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes 4
5 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
L’agonie de deux sexes
Par Béatrice Maurose
“
Le compte à rebours a commencé
et je contemple ton cigare s’éteignant à petit feu
Mon huile s’assèche sans ta chaleur
Que faire de cette agonie
de ce désir de flamme et de cendres
et ton corps sémaphore sans appel à mes cris de détresse
poèmes
Dans notre lit de rêve
où jadis c’était le carnaval
le rire, les chars allégoriques et ta musique
aujourd’hui point de bande
pour lubrifier les ruelles asséchées
Nous deux à quatre jambes
hurlons de désespoir les nuits de carême
Nous deux à quatre jambes
agonisons dans la soif livide de nos corps
C’est bien notre temps qui s’achève
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
6
7 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
Une étoile
Par Cécile Durant
Toujours y croire...
Par Didier Colpin
“
Une étoile.
Dans la nuit.
À mes yeux,
“
Toujours la vie est cruelle
Voyez le règne animal
Sélection naturelle
Tuer dévorer normal…
Se dissipe alors la peur
Serait-il un utopiste
Qu’importe brille son cœur…
elle brille.
Car souvent l’âme est encline
À d’autres,
Toujours c’est idem pour l’homme
Dépassant les préconçus
elle trahit.
Quand il faut faire souffrir
Dans sa beauté cristalline
Il n’est jamais économe
A nous laisser tous confus…
Une étoile.
Tuer tramer conquérir…
Dans la nuit.
Car toujours dans notre monde
Toujours -soyons réalistes-
Partout comme constamment
Un jaune
Le temps n’est qu’un vaste pleur
Un désir de Paix profonde
éclatant
Sans se montrer fatalistes
Est là dans un flamboiement…
sur un noir
La Vie a peu de valeur…
sinistre.
Toujours le plus fort domine
Une étoile.
Dans un malheur au vaincu
Dans la nuit.
L’autre n’est qu’une vermine
Le bleu du ciel a vécu…
L’univers se délite.
Les lois s’effondrent.
Toujours ainsi va le monde
Le chaos gronde.
Partout comme constamment
Le monde s’effrite.
Notre souffrance est profonde
Pourquoi ce joug permanent ?
Une étoile.
Dans la nuit.
Car la vie est aussi belle
Son sourire est amical
Juive.
Quand il nous prend sous son aile
Splendide est le récital !
Car il arrive que l’homme
Dans sa générosité
Oubliant un peu sa pomme
Honore l’Humanité…
Car lorsqu’il est altruiste
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
8
9 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
Moi je marche à piles. J’avale des pilules. En
marge j’avale. Des pilules pour le mal de tête. Des
pilules pour les maux de ventre. Des pilules pour la
constipation. Des pilules pour les ballonnements. Des
pilules pour les maux d’estomac. Des pilules pour les
douleurs. Des pilules pour la fièvre. Des pilules pour
les maux de gorge. Des pilules aussi pour le sommeil.
Des pilules pour aller mieux. Pour voir la vie en
rose. Des pilules coups de fouet. Et puis des pilules
pour la mémoire. Des pilules pour stimuler la forme
intellectuelle et physique. Des pilules et des pilules.
Des pilules à manger. Des pilules pour préparer la
peau au soleil. Ou pour blanchir. C’est selon. Des
pilules pour faire pousser les cheveux. Rajoute-moi
des pilules. Des pilules pour maigrir. Et d’autres pour
me vider. Des pilules pour me fortifier me muscler.
Des pilules pour bander. Bander plus fort. Pour briller.
Pour la performance. Pour lui en foutre plein la. Des
pilules pour la baise. Et d’autres pilules, au cas ou. Des
pilules pour faire pousser les ongles. De beaux ongles
racés. Pour en coller d’autres dessus. Des pilules pour
s’amuser. Des pilules anesthésiantes. Euphorisantes.
Hallucinantes. Des bouffantes. Des pilules à bouffer.
Des pilules pour arrêter de fumer. Des fumantes. Des
pilules pour les gueules de bois.
J’avale des pilules. A la pointe de la nouveauté.
Des pilules pour les reines. Des pilules pour avoir ses
règles. Des pilules pour stopper les règles. Des pilules
pour ne pas avoir d’enfants. Des pilules pour en avoir.
Des fertilisantes. Des pilules avec. Des pilules sans.
Des pilules au goût de. Des pilules colorées. Des pilules
de jouvence. Des pilules pour retrouver ses antans.
Des pilules en pendentifs. Des pilules antirides. Des
pilules pour nettoyer les dents. Pour les blanchir. Des
pilules pour la bonne haleine. Des pilules en bonne et
Pills
Par Ema DuBotz
due forme. Des pilules par anticipation. Des pilules
pendant. Des pilules après. Des pilules pour calmer.
Pour détendre. Pour déstresser. Des pilules pour
l’angoisse. Des pilules pour mieux respirer. Des pilules
pour le coeur. Pour améliorer la circulation. Des pilules
pour marcher. Des pilules pour courir. Des pilules pour
sauter. Des pilules en plein vol.
saviez-vous que ?
On a tous entendu l’expression de « poète maudit ». Et
savez-vous comment y dénicher un? D’abord, la notion
de « poète maudit » a été inventé par Paul Verlaine dans
son ouvrage biographique « Les Poètes maudits » sur
six poètes que sont Tristan Corbière, Arthur Rimbaud,
Stéphane Mallarmé, Marceline Desbordes-Valmore et
Villiers de l’Isle-Adam. Et le sixiéme poète ne serait que
Paul Verlaine sous l’anagramme de Pauvre Lelian.
Concept en vogue chez les poètes romantiques du 19e
siècle, je vous présente la recette pour que vous devenez
ou soyez un poète maudit :
D’abord, vous devez être un jeune écrivain ou autrice
anticonformiste.
Vous devez rejeter toutes les valeurs dominantes sociales.
Puis, il faut essayer de mener une vie scandaleuse ou
dangereuse.
Par ailleurs, vous rédigerez des textes dits difficiles soit par
les thèmes abordés, soit par la déconstruction du langage.
Et pour couronner le tout, vous devez trouver un moyen
d’avoir une mort précoce tout en espérant que votre
génie littéraire ou sa contribution artistique reçoive une
reconnaissance du reste de la société. Tout un programme
et ce n’est pas garanti d’avance. De nos jours, tout le monde
vise à jouir de sa célébrité dans le monde des vivants plutôt
que celui des morts.
“
Sous
En le port de Pangée
Par Éric Vawga
le libéralisme de la houle,
Le kraken s’est mué en Père Noël.
Et ici,
Ça n’en finit pas de recommencer;
Ça plonge dans la marchandise,
Ça s’abreuve de digicodes,
Ça pêche rubis sur l’ongle
Des sourires argentés certifiés sur mesure.
Ça affrète des tonnes de cargos,
Empesés jusqu’à la gueule
Dans leurs costumes trois-pièces
Et leurs vergues métalliques.
Ça s’écoule en grognant sur la misère
Et déferle en rongeant le charme.
Don Quichotte du réel,
J’irai prévenir les poissons
Qu’au fond du portefeuille
Gît l’estuaire du dérisoire.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
10 11
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
Au soir du premier décembre
Par Félix Demore
“
Flamme et fumée ! Colère et cris ! Eclairs ! Tonnerre !
Anéantissement révolutionnaire !
Le peuple, c’est le nombre ; et le nombre fait loi.
Que Paris se réveille et la France se lève !
Aux mains du peuple épris de liberté le glaive
Pour défendre son droit !
Avoir pour seul éclat celui d’une grenade !
Ils rêvent de mourir sur une barricade.
Quelque chose d’immense est à l’oeuvre ici bas.
Naître, vivre, se battre afin de mourir libre :
Sentir au fond de soi qu’une volonté vibre
Et vous mène aux combats.
Sans culottes, gilets jaunes. Ô Marianne !
Cents coups tombent moins fort qu’une idée sur le crâne.
Journée d’horreur, journée effroyable de deuil
et de soulèvement. Le fracas de la rue
N’est que l’écho d’un rêve ; une foule qui rue
La Cinquième au cercueil !
C’était une belle mosquée
Par Flora Delalande
Vous voyez le mur là-bas... c’est tout ce qu’il Ses mains marquées par le temps qui passe,
reste de la mosquée de notre village.
comme le banc patiné par les ans qui menacent. Vestige
boiteux d’un passé aboli.
C’était une belle mosquée aux murs de chaux
blancs. J’aimais la contempler, admirer ce petit havre Un pied du banc a été rongé ; de la sciure se
de pureté, voir le soleil se refléter au travers des mélange au sable que bientôt le vent balayera en un
moucharabiehs.
souffle inconscient.
Dentelle ombragée sur la terre brûlante.
À moins que ce ne soit le souffle d’une bombe,
ce sifflement atroce, violence assourdissante. Chant
Je m’asseyais souvent sur un banc de bois. Un strident du malheur qui, à l’aube, fit taire la psalmodie
banc qui semblait être là depuis toujours. Un banc qui sacrée.
accueillait les marcheurs fatigués.
Non. Je n’entendrai plus le chant du muezzin.
Le bois était frais, préservé par l’ombre C’était une prière adressée à Allah qui faisait vibrer
odorante du grand citronnier. À la saison, les agrumes mon petit banc de bois. Du haut de son minaret, l’aria
apparaissaient comme autant de promesses de bénie se répandait dans l’air chaud accompagnée de
rafraîchissement. La senteur acidulée, légèrement tous les sons porteurs de vie.
sucrée m’enivrait et évoquait pour moi les fins
d’après-midi de mon enfance... lorsque, rentrant Pépiement des oiseaux. Choc sourd d’un citron
de mes escapades diurnes, je buvais le jus de citron trop mûr qui s’écrase sur le sol. Vrombissement d’une
que ma mère venait de préparer. Il y avait encore mobylette au loin, rires des filles. Le bruit des dominos
l’odeur fraîche de ses mains, l’effluve d’un vent sec et d’ivoire qui claquent sur la table. La rumeur des voix
l’imperceptible parfum de la toile blanche où avait été mâles qui s’estompe lentement.
entassés tous les citrons lors de la cueillette. La boisson
gorgée de soleil me brûlait doucement l’œsophage et Raclement des chaises sur les pierres répondant
apaisait mon corps desséché. J’aimais ce goût à peine à l’appel à la prière.
sucré mais j’appréciais par dessus tout le silence qui
accompagnait ce qui était devenu un rituel : ma mère, Je me plaisais à observer la foi qui poussait tous
assise en face de moi, désœuvrée, ses mains reposant ces êtres vers la petite mosquée aux murs de chaux
mollement sur son tablier jauni. Son sourire. Ses mains blancs. Le muezzin chantait toujours, remplissant
tailladées par le travail, les coupures vite cicatrisées l’espace de sa voix vibrante de croyance. Les hommes,
par le jus de citron attestaient des heures passées, vêtus de leurs amples qamis, leur chechiya sur la tête,
courbée au dessus de la table, à couper les fruits en passaient devant mon banc et me saluaient poliment.
deux, libérer la pulpe de l’écorce, extraire la précieuse Odeur légèrement musquée, se mêlant à celle du vieux
sève sans en perdre une seule goutte.
citronnier.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
12
13 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
Puis le chant déclinait tandis que le vent m’apportait quelques
minuscules gouttelettes d’eau sacrée, reliquat des ablutions rituelles.
Et ils disparaissaient un à un, leurs vêtements de toile blanche
engloutis par la porte de la mosquée.
Seul le citronnier restait. Témoin immobile de ces moments de
paix. Sous son ombre reposaient des dizaines de chaussures alignées
en rangs serrés.
Un sifflement dans le ciel. Le souffle chaud comme du soufre
sur la peau. Carnage. Plumes ensanglantées qui tombent par paquets.
Les minarets explosent, l’aria se mue en un hurlement de douleur.
Cri des sirènes. Le dôme s’effondre sur les hommes qui baisaient le
sol. Rugissement de la paix mutilée à jamais. Des mains qui agrippent
le vide, se crispent sous les débris, grattent sauvagement le sable.
Le banc tremble. Les dominos, atteints par un fragment de bombe,
explosent en une pluie d’ivoire. Le citronnier gémit. Je reste assis,
sais que bientôt le calme reviendra, l’odeur des citrons recouvrira les
miasmes de la mort, relents fétides d’une foi assassinée. Jusqu’à la
prochaine bombe.
“
Le Nid
Par Gabriela Lup
J’avais un nid dans l’arbre de ma cour. Les oiseaux venaient y loger de temps en temps et ils
chantaient à merveille. Comme l’arbre grandissait de plus en plus, quelqu’un qui habitait avec
moi a commencé à couper ses branches. Puis, il y a eu de la pluie et du vent. J’ai trouvé mon nid
par terre. Il n’avait rien de solide pour s’accrocher. Je ne sais pas quoi faire maintenant : essayer
de le fixer de nouveau ou attendre que mes oiseaux d’amour en construisent un autre.
Un éclat de vitrail bleu taché du sang d’un des hommes qui
me saluait toujours en passant devant le banc s’est incrusté dans ma
peau. Comme pour m’accuser de ne pas être comme lui. Ou pour me
demander de ne pas oublier.
Ne pas oublier que j’aimais contempler cette belle mosquée
aux murs de chaux blancs, ma kippa sur la tête.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes 14
15 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
Corporéelle
Par Geneviève Morin
Face contre terre
Par Jean-Philippe Sedikhi
“
Nous leur scandons nos corps
Sacrés
Les lessivons, ces morceaux
Souillés
Par ce mystère vénusien
Marqués
D’un trait de Botticelli
Servantes épouses
“
Par un hiver crépusculaire,
Face contre terre,
Un homme s’étale,
Un homme s’éteint,
saviez-vous que ?
Sous nos courbes mythiques
Tracées
D’une main de servante
Assoiffée
Nos faims et nos fonds
Cette origine courbetienne—ce monde
Transporté
Dans nos corps
Que nous leur scandons
A la lueur pâle du matin.
Le Chinois ou le mandarin serait-elle la langue
la plus parlée dans le monde. Alors, sans
tarder, Cœur de plumes vous présente le top
10 des langues les plus parlées dans le monde
d’après les statistiques de 2018 :
Transpercés
Le mystère de nos corps
Scandés
À jamais ne nous apparaîtrons charnels
Plastifiés
Gommés
Figés
Ces corps—les nôtres
1) Anglais
6) Français
2) Chinois
7) Malais
3) Hindoustani 8) Portugais
4) Arabe
9) Russe
5) Espagnol
10) Bengali
Source : https://atlasocio.com/classements/
langues/locuteurs/classement-langues-parnombre-locuteurs-total-monde.php
Le sien à elle—Cet Autre
Placé
Plastifié
Figé
Coincé dans un cercle
Imaginé et vénéré
Ce corps pétri
Massacré
Déifié
Scandé en son Nom
Oui, la langue anglaise est la langue la plus
parlée au monde avec plus de 1,2 milliard de
locuteurs. Et la langue française dans tout
ça? Avec plus de 284 millions de locuteurs
francophones, nous n’avons pas à rougir de
honte. Grâce à l’Afrique, la langue française,
est bien vivante et dynamique par l’apport de
nouveaux mots étrangers et d’expressions en
provenance de l’Amérique du nord comme
celle d’une province d’irréductibles canadiensfrançais
qu’est le Québec.
À Lui
Dépossédé, objectifié
Décentré
Placé de ce côté
Qui se veut Autre
Éternel inconnu féminin
Nos corps que nous scandons
Provoqués
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
16
17
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
ILTON
Par Laurent Vercueil
Bat le coeur des hommes
Par Loïc Bonhomme
“ “
Si tu soulèves la couverture
(Tu dois lutter contre la répugnance)
Si tu regardes dessous
(Te bouchant le nez avec deux doigts que le froid rend gourds)
Le tas d’os dans le carton
(Ce qu’on appelle un carton – du papier sale et humide)
C’est moi dans mon ILTON
( J’appelle ILTON ce carton qui fait ma peau plus douce et
Le grain du carton assombri par l’humidité, c’est ma chair de poule,
En fait)
Et BIEN sûr je sais BIEN que dans mon ILTON, je suis BIEN
Sous ma couverture nauséabonde
Sous le pont qui fait mon plafond
Sous les camions qui circulent là-haut et font trembler le monde
Qui est sous le pont.
Car de mon ILTON j’ai la vue qui porte
Qui porte loin.
Les piliers de béton du pont d’autoroute
Et derrière, je vois même le bois de résineux qui ne sent plus rien du tout
(Et je vois BIEN qu’il vibre par la faute des camions,
le bois de résineux dont les aiguilles tombent)
Où je me dis que tout serait parfait dans mon ILTON
Si Je pouvais couper ces arbres et faire un feu
Si je pouvais quitter mon carton, ma couverture,
Si je pouvais aller jusqu’au bois
Si j’avais seulement une HACHE.
Alors, mon ILTON serait parfait.
On ne voit plus rien
sinon les portes d’usines closes
des oreilles sourdes
et des fanfarons médiatiques
La rage gronde
et bat le cœur des hommes
Les corps pleuvent
mais les visages s’endurcissent
On ne voit plus rien
sinon le froid la faim
des hommes désarmés
en face de fanfarons,
armés
La rage gronde
et bat le cœur des hommes
des corps tombent
mais les regards percent
On n’entend rien
sinon des pas sourds dans la rue
des casques qui s’entrechoquent
et le chant de plexiglass des boucliers
Le regard perçant et les visages durs
le cœur des hommes bat
le corps des hommes s’avancent
la rage éclate
sur le trottoir
la rage doit éclater
Bris de vitres
contre les casques
Bris de murs
sur les boucliers
L’humanité est en marche
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
18 19
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
Ils crieront tous les vents
Par Marie d’Anjou
Plus jamais
Par Marie-Josée Nolet
“
ils crieront tous les vents
la rumeur de leur nation
un leurre d’épices
et une couleur d’iris
“
Le soir, à la pénombre, tel que promis, je serais là
Où l’on s’est donné notre dernier rendez-vous.
Mon cœur bat à toute allure,
Tel un chevalier sous son armure.
proxénètes des ondes
embaumeurs de livres
Pourvoir penser qu’enfin, je pourrai
ils aboieront leur soif de sang
Te serrer tout contre moi,
Sentir ta chaleur
ils courtiseront des rêves faucheurs d’esprits
Tout contre la mienne.
et seront monnaies jetables
pour l’au-delà confortable
Plus jamais, nous ne serons séparés.
Plus jamais, nos chemins ne seront brisés.
à quoi rêveront-ils, la nuit brûlée?
enfants dissous, corps enfumés
A jamais, notre Amour sera
ils porteront le manteau du salut
Éternel.
un étendard de fils blancs sur l’épaule des nus
et lorsque la terre tremble et avorte ses eaux
dans la nuit qui chavire
après leur naufrage
ils épouvantaillent des fillettes de paille
au réveil du siècle
ils jureront les mains en sang
que les verges se cassent
que les visages s’acclament
que les feux s’embrasent
vacarmes de masse
et soulèvements en tempêtes !
...des étincelles de pacotille
puisqu’au bout des cortèges
ils poseront les pierres
et ils crieront tous les vents
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
20
21 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
La terre s’en fout
En attendant le jour
“
Par Marion Lecoq
Le ciel brûle encore, les oiseaux trillent glorieusement dans le silence qui descend.
Nous, simples terriens cloués au sol, sommes déjà relégués dans l’ombre.
Le jardin bruisse de la nuit qui va s’étendre peu à peu, fondre les herbes, fermer les fleurs.
Chaque soir à cette heure, je me sens toute petite.
Humain minuscule sur un bout de planète riquiqui.
Miraculeusement échappé du néant le temps de quelques orbites célestes.
Que faisons-nous de ce miracle, de cette fête inédite ?
“
Je
Par Marthe Betema et Vladimir Nicolas
suis né dans la souffrance.
J’ai grandi dans la souffrance.
Parfois, il est vrai que les aléas de la vie prennent d’autres sens
Au crépuscule.
Ce sont les mêmes questions qui vont et reviennent dans ma tête.
Que vais-je faire de ma vie avec un continent qui est pillé sans cesse et corrompu.
Rien ne nous reste malgré nos espoirs imaginaires.
Nous en piétinons les confettis jusqu’à la boue.
Les choses vont de mal en pire.
Tant et tant que, dit-on, à cause de nous, la Terre va mal.
Nos cœurs sont remplis d’espoir.
Mais la Terre s’en fout, les amis.
Le mal, c’est qu’on vit le pire, il nous pousse dans le précipice.
Elle continuera de tourner inlassablement, imperturbable, pôle nord d’un côté,
Malgré que la nuit soit longue, il faut rêver.
pôle sud de l’autre.
Le soir ne peut pas durer éternellement.
Au milieu d’autres planètes aux rondes semblables,
Dans la peau de notre jeunesse,
de soleils pétaradant leurs gaz brûlants et de météorites fonçant droit devant eux.
C’est là que dort le soleil qui chassera la présente nuit.
Nous ne sommes rien, trois fois rien,
Nous sommes encore jeunesse.
sur cette planète dont chaque atome est un émerveillement.
Nous sommes encore espoir.
La vie est belle comme tout ce qui ne sert à rien.
En unissant nos bras, nous serons sa renaissance.
Quand nous l’aurons tuée, il restera des cailloux dans le ciel.
Des fulgurances sans personne pour les regarder.
Et rien ni personne pour se souvenir que nous avons existé.
saviez-vous que ?
Ahmad Al-Hamadhânî, surnommé Badî’ al-Zamân, « le Prodige du Siècle », est
un écrivain et poète arabo-persan né à Hamadan en 967 et mort à 40 ans, à Hérat
en 1007. Prolifique homme de lettres, il serait l’inventeur du genre littéraire de
la maqâma, précurseur de la nouvelle. Parmi les caractéristiques partagées avec
la nouvelle, la maqâma est un récit bref, des personnages inventés de toutes
pièces ou inspirés de personnages historiques, et les protagonistes n’auraient
qu’une seule et unique quête à mener. De son vivant, Ahmad Al-Hamadhânî
aurait écrit plus de 400 maqâmat, mais seulement 57 auraient réussies à nous
parvenir jusqu’à l’époque moderne. Source : wikipédia
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
22 23
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
Un pot de miel
Ça ne me regarde pas
“
Peu
Par Michel Labeaume
m’importe qu’il y ait du vent, des nuages gris et de la pluie. Qu’il y ait de la neige, de la grêle
ou du mauvais temps à l’infini, du soleil et du ciel bleu c’est peut-être mieux mais le tout est
un tout est c’est la Vie. Je sais cueillir dans le jeu du vent un petit peu de souffle de joie que je
bois jusqu’à m’enivrer. Je sais jouer à saisir les devinettes proposées par ces nuées de passage,
pèlerins d’un voyage auquel on a dit oui. Je sais pouvoir sauter à pieds joints dans les flaques
d’eau, juste un petit saut pour dire au firmament que j’ai réussi à rester cet enfant qui mange
du regard le blanc immaculé d’un hiver flamboyant de lumières et de nudité. Je sais regarder
“
Par Mohammed Benfares
Au bout de ce chemin là
Il n’y a que repli sur soi.
Du chacun pour soi,
Ça ne me regarde pas !
Finis les bonjours du matin
Finies les balades du soir
en rêvant les grêlons percer les frondaisons et s’écraser au sol et être surpris quelques instants
Adieu les accolades d’hier
plus tard d’admirer la mésange sortir d’on ne sait d’où, secouer son plumage si doux et entamer
Adieu la transe folle
son chant du oui. Je sais que l’on peut être heureux quand le temps est mauvais, car c’est là
Ça ne me regarde pas !
que l’esprit est prospère et peut semer des pensées de couleur et laisser faner ses soucis. Je
sais aussi que le froid réunit, dans les chaumières avec un feu qui crépite et l’enfant dessinant
Les frontières s’érigent sottement
sur la buée des carreaux des silhouettes et des oiseaux. Je sais que ma réalité de ce Monde a
Autour de nos têtes têtues
une vibration hors de portée alors je me fais musicien pour à travers mes mots toucher tous
Nos regards ne se croisent
ceux qui ont choisi le requiem comme on n’ose pas changer d’outils pour embellir son jardin. Il
Que pour nous épier
semble encore beau, donnant quelques légumes et quelques fruits mais surtout des mensonges,
Ça ne me regarde pas !
des crimes et des conflits. Ces harangues, ces philippiques contre les poètes, les rêveurs et tous
ceux qui veulent vivre avec l’âme et le cœur si elles sont toujours et encore déversées dans les
Nos cœurs étouffent
fossés bordant les estrades, elles n’en ont néanmoins que cette valeur sortie de la haine, cette
Les mouettes s’effacent
valeur qui enchaîne les tornades et tous ceux qui applaudissent en collusion. Je sais parcourir
Les roses pâlissent
doucement (je n’ai plus vingt ans mais des centaines et des centaines d’aurores auxquelles j’ai
Les ruisseaux tarissent
donné cet accord pour en découvrir mille et mille autres encore) mon humble pèlerinage butant
Ça ne me regarde pas !
parfois sur un caillou mais c’est la Vie et le bâton de la Certitude qui me remettent debout.
L’océan, furieux, gronde !
Un corbeau déchire le bleu du ciel !
On est bien chez soi
Ha ..ha..ha..ha..ha…..!
Ça ne me regarde pas !
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
24 25
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
“
Language / Langue
Par Nayla Rida
My lips move to emit sounds
That most people are unable to pronounce.
[ɑ̃]¬ [ɔ̃] [y] [ɛ̃] [œ̃ ] [p] [v] [ʁ] [ɲ] [q] [h] [ʕ] [tˤ] [dˤ] [sˤ] [x] [ħ]
I was told one day
That our first language is the one in which we dream.
To this day, this is the best answer I ever had.
Mes lèvres émettent des sons que la plupart des gens sont
incapables de prononcer.
[ɑ̃]¬ [ɔ̃] [y] [ɛ̃] [œ̃ ] [p] [v] [ʁ] [ɲ] [q] [h] [ʕ] [tˤ] [dˤ] [sˤ] [x] [ħ]
On m’a dit un jour
Que notre langue principale était celle dans laquelle on rêvait.
Jusqu’à aujourd’hui, c’est la meilleure réponse que j’ai.
« Dans quelle langue penses-tu ? », tu me demandes
Pas celle dont les mécanismes me sont inconscients,
Pas celle dont les mécanismes me semblent s’auto-expliquer.
C’est-à-dire, pas dans ma langue maternelle.
‘In which language do you think?’ you ask me.
Not the one in which the mechanisms are unconscious to me,
Not the one in which the mechanisms seems to me their own answer,
Which is to say, not my mother tongue.
‘In which language do you think?’ you insist.
The one which has authority upon myself.
The one in which I live.
The one in which I navigate.
The one I adopted the logic system,
Fundamentally different of the logic system of most people in this Earth.
A language of refinement – if not The language of refinement.
The only one I master,
Impossible to correctly translate in my mother tongue, and vice versa.
‘In which language do you write?’ you ask me next, still curious.
The one in which I have been accepted.
‘Finally, what is the language of your soul?’
A completely foreign language I only know few words of.
The language of candid, primitive, spontaneous, spiritual and poetic imageries.
In which ‘being sad’ is told ‘not having one’s heart open’.
« Dans quelle langue penses-tu ? », tu insistes.
Dans celle qui a autorité sur moi.
Dans celle au travers laquelle je vis,
Dans celle avec qui je navigue.
Celle dont j’ai adopté le système logique,
Fondamentalement différent de celui de la plupart des gens
sur cette Terre.
Une langue de raffinement – si ce n’est la langue du
raffinement.
La celle que je maîtrise,
Impossible à traduire correctement dans ma langue
maternelle, et vice versa.
« Dans quelle langue écris-tu ? » me demandes-tu ensuite,
toujours curieux.
Dans celle dans laquelle j’ai été acceptée.
Enfin : « Quelle est la langue de ton âme ? »
Une langue complètement étrangère dont je ne connais que
quelques mots.
La langue des imageries candides, primitives, spontanées,
spirituelles et poétiques.
Celle dans laquelle « être triste » est appelée « avoir son cœur
fermé ».
saviez-vous que ?
La Séquence ou cantilène de Sainte Eulalie,
poème liturgique de 29 vers est considéré
comme le premier texte dit littéraire dans
la langue de Molière. Ce poème est écrit en
langue d’oïl, langue romane considérée comme
l’ancêtre de notre belle langue française.
C’est quoi au juste ce texte? Un poème a la gloire
d’un roi? Une chanson qui relate les exploits
d’un chevalier? Composé vers l’an 800 de notre
ère, ce document est un poème cultuel qui
relate le martyre de sainte Eulalie de Mérida.
Malgré son aspect religieux, la cantilène de
Sainte Eulalie serait le tout premier écrit
littéraire français jamais découvert jusqu’à
maintenant dans l’histoire de notre langue.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
26 27
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
Néonicotinoïdes
Par Nicolas Charron
Du bon côté de la force
Par Nsanzimana Rugigana
“
Une abeille augurale est morte devant moi
Soudainement frappée
au creux d’une anémone
d’astasie
De la fleur est tombée
Et sur la dalle de pierre
Dans un gémissement
sourd
Elle a expiré
saviez-vous que ?
Quelques pages plus tôt, vous aviez fait la
connaissance du poème de sainte Eulalie qui
serait le premier texte littéraire de langue d’oïl,
le plus vieux français. Que diriez-vous des
Serments de Strasbourg? C’est en document
politique et le vrai premier texte français daté
à ce jour.
“
Nous étions dix dans la mêlée.
Quelque cinq cents kilos de chair
En face, s’étaient rassemblés.
Nous avons foncé dans le tas
Pour la sécurité d’état.
En face, ils ont pris bien cher.
Cependant, ce fou d’Antoine
Ne voulait pas qu’on tape fort.
Nous attisons de la rancœur.
Nous défendons les citoyens
Sans être des enfants de cœur.
Nous devons, par tous les moyens,
Faire mal aux manifestants.
CRS, nous sommes importants.
emportant avec elle
Les souvenirs d’un monde
Peut-être
Une terre
Moins prospère.
Tout d’abord, a la mort de l’empereur
Charlemagne, l’empire carolingien se trouva
divisé entre ses trois petits-fils Charles le
Chauve, Louis le Germanique et Lothaire
1er. Après la terrible et indécise bataille de
Fontenoy-en-Puisaye, deux petits-fils que
Charles le Chauve négocièrent d’unir leurs
forces dans le but de défaire Lothaire 1er qui
serait leur ainé et peut-être le mieux avantagé
de triompher de cette lutte fratricide pour
gagner le trône d’empereur d’Occident laissé
vacant après la mort de Charlemagne.
Il devrait devenir moine
Ou rester parmi les renforts.
Le 14 février de l’an 841, campés devant leurs
armées respectives, Louis le Germanique
s’adressa en langue d’oïl, c’est-a-dire en
vieux français, aux troupes de Charles le
Chauve pour lui témoigner son appui. De
son coté, Charles le Chauve lui rendit la
même faveur en prêta serment en langue
tudesque, c’est-a-dire en vieux allemand,
aux soldats de Louis le Germanique. Et mises
sur papier, les déclarations de Louis et de
Charles seront nommées les Serments de
Strasbourg. Et certains historiens déclareront
que les Serments de Strasbourg sont l’acte
de naissance de la langue française avant que
François 1er en fasse la langue officielle du
royaume de France.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
28
29 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
Ode à la Consommation
Par Raoul Tamekou
Quelque part oubliée
Par Suzanne El Lackany
“
Souveraine sereine qui organise et contrôle les modernes sociétés.
Expiation cathartique d’une époque névrosée : la consommation.
Sa sainte devise : aucun frein à notre sacrée satisfaction !
Bigre ! Les beaux souliers !
“
La dame que j’ai croisée
Dans une ville vieillotte
Où j’étais de passage
Portait un panier à provisions
Ils proviennent, semble-t-il, d’usines chinoises
Et rentrait chez elle lentement
Fabriqués par de faméliques ouvriers à la satiété sournoise.
La nature morte
Oh ! Les beaux diamants ! Ils viennent, madame, directement d’Anvers !
Au cœur du panier à provisions
Ils sont en promotion spéciale et font partie de la collection d’hiver.
Semblait une image pour l’éternité
Ils ont la pureté des enfants orphelins du Kivu et de Luanda
Dans la ville vieillotte
Et la finesse des esclaves des polissonneries de Joipur et Surot.
Le café-restaurant sert des plats copieux
Enfin les soldes chez Dior, Guess, Mexx, Nike et autre Zara.
L’odeur des alcools se mêle à celle du café et aux vapeurs de la friture
Hâtons-nous ! Sans gêne, allons célébrer le superflu ! Oh merveilleux Aldo !
Flash-back rétro
Une meilleure qualité d’image ? Un écran plus grand ? Un son divin ?
Une bonté d’autrefois
Soyons libres. Laissons-nous aller. Consommons. Jouissons.
Une simplicité et des visages amènes
Oui. Consommons, car demain nous ne serons plus, nous mourrons,
Dans la ville vieillotte
Disait admirablement Adam Smith, cet inégalable devin !
Où l’industrie a disparu
Un four plus puissant ? Un ordinateur plus rapide ?
Laissant les travailleurs à la quiétude,
Et pour nos téléphones :
Fil après fil
Vivons à l’âge des nouvelles générations ! Toujours plus de neurones !
L’œuvre accomplie des cheminées d’usines.
De l’essence pour nos véhicules, de l’énergie pour nos industries.
Dans le café, un ouvrier se rappelle
De la lumière pour nos métropoles, de l’obscurité sur nos mesquineries.
Des bancs de l’école
Bénis soient nos génies modernes : finance, spéculation, crédit !
La nostalgie de l’encrier
Trois voeux ? Mon pauvre Aladin,
Lui fait dire à son compagnon de table :
Nos désirs ne connaissent pas de limites !
Mais où est donc Ornicar.
Pour nos lampes magiques, Visa, Mastercard, le plaisir n’est plus un mythe !
Et l’environnement alors ? Quoi, vous avez bien dit effet de serre ?
Soit ! On pourra toujours laver nos consciences hypocrites en devenant alter
Ou encore Manger bio et envoyer nos vieux vélos,
Nos vêtements hors saison à l’Armée du Salut ou au Tiers monde,
S’abonner à Greenpeace et « contribuer au combat pour un autre monde ».
Tout en préservant nos habitudes de vie qui de la terre préparent l’oraison.
Continuer cette consommation qui signe le véritable apartheid du monde.
Je consomme, donc je suis.
Je consomme, donc je jouis.
Je consomme, et jamais je ne suis repu.
Je consomme, mais… jamais je ne sue.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
30
31 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
Les enfants du rêve de demain
“ “
Y’a tellement d’monde su l’bord du ch’min,
qui cherchent des ondes pour un câlin.
Ont sûrement peur ceux qui n’rêve pas,
fonts des cauchemars jusqu’au trépas.
Âmes noircies par la colère, la haine,
esclaves de nos propres chaines.
Par Sylvain Robichaud
Qui briment notre amour de liberté,
Refoulant émotions, nous sommes contrôlés.
Un jour,
les enfants du rêve de demain se réveilleront,
le soleil au cœur, de lumière ils nous illumineront.
Leur sagesse et leur gentillesse seront remerciées,
Car ils rempliront nos âmes sensibles de fierté.
Lassés de la vie mondaine et négative,
l’originalité viendra enfin prendre sa place.
Où le futur prend des tendances fictives,
la confiance effacera le doute en pleine face.
Tu as tué le silence
Par Valérie Dupras
Tu as tué le silence
Tu as toujours cru qu’étouffer tes émotions était une véritable option.
Tu as pogné toute une débarque lorsqu’on t’as entrée à l’urgence
En plein état de carence.
On ne t’a toujours pas compris lorsque tu as tenté de t’exprimer.
On t’a fait croire que ta tête t’avait laissée tomber.
Tu t’es retrouvée droguée et attachée.
Encore une fois appelée à cesser de parler.
Réduite au silence en pleine carence
Avec tous ces gens qui croient tout savoir
Sans trop savoir, sans trop te croire, trop occupés à tenter d’imposer leur pouvoir.
Qui sait à quel point tu t’es sentie abattue
Tu as avancé en silence, à pas de tortue, avec toute ta souffrance.
Avec ce monde qui ne sait pas saisir les nuances.
Tu ne peux plus t’expliquer, déjà tu te sens étiquetée.
Parce que tout le monde croit que ta tête t’a laissée tomber
Mais, tu sais que c’est toi qui as laissé entrer cette autre réalité
Tu étais juste trop fatiguée de la vérité
Tu étais juste épuisée d’avancer dans cette vie trop compliquée
Où ton instinct de survie était la clef de ta stabilité
Qu’est-ce que tu as étouffé toutes ces années?
Toutes ces émotions, ces pleurs refoulés, cette colère ravalée
À qui dois-tu demander pardon?
À toi ou à ces gens qui t’ont appelée à taire toutes tes préoccupations.
Tu es la seule responsable et tu le sais.
Personne ne peut choisir à ta place
C’est à toi de faire de la vie un succès.
En faisant face à tes angoisses que désormais tu enlaces.
Plus jamais tu ne te promets
Parce que maintenant tu te traites avec respect.
Tu as tué le silence
Tu as affronté tes tourmentes
Tu vis ton existence
Avec vigilance et magnificence
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
32 33
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
poèmes
Syair du Printemps arabe
Par Yann Quero
“
Révolution de gueux qui nous étonne,
en un pied de nez au triste Huntington,
tel un orage, le printemps arabe tonne,
balayant les litanies monotones.
Le monde arabe aurait dû enfermer
dans l’intolérance toutes ses sociétés,
abandonnant esprit et liberté,
pour dans un Islam rigide se figer.
Mais, dans un ultime geste désespéré,
Mohamed Bonazzi s’est immolé,
allumant par ses flammes un grand brasier
qui, moult dictatures, a su ravager.
Fukuyama avait-il donc raison ?
La « fin de l’histoire » est-elle l’horizon ?
Ou les peuples ont-ils d’autres aspirations
que d’augmenter leurs seules consommations ?
Certes, l’Occident est largement envié,
mais fait-il preuve de solidarité ?
Ou bien se contente-t-il de profiter
de graves troubles arrivant à point nommé ?
Que dire du mode de vie américain ?
Sinon qu’il est absolument certain
qu’en le diffusant à tout un chacun
la planète connaîtrait un noir destin…
Alors, que dire de cette révolution ?
Qu’elle rejette dictature et corruption,
envers lesquels par sourde compromission
le Nord n’avait guère émis d’objection.
Les pauvres du Sud seraient-ils plus intègres
que les riches qui s’accommodent de la pègre,
les traitant comme l’étaient naguère les « nègres »,
damnés d’une Terre aux enfants toujours maigres ?
De fait, bien des nouvelles technologies
aidèrent à débarrasser ces pays
d’une insupportable chape de tyrannie
s’étendant du Yémen à la Libye.
Mais ce sont plus les altermondialistes
que les diplomates qui tracèrent cette piste.
Il faut donc avouer pour être réaliste
que croire au Nord-sauveur serait autiste.
Que dire aussi de la démocratie
que les grands de ce monde avaient promis ?
Qu’en Egypte un président soit démis,
par les médias du Nord, est bien admis.
Les Frères musulmans ne sont peut-être pas
les meilleurs garants de l’ensemble des droits
auquel le peuple égyptien aspira,
mais quid de l’armée qui les renversa ?
Cela ne fait-il pas écho aussi
à d’anciens événements d’Algérie,
lorsque le FIS i a été interdit
et le pouvoir, par les soldats, ravi ?
Des dérives de l’islamisme pas question
de promouvoir ici l’adoration.
Les peuples ont fait par la contestation
la preuve qu’ils ont plus d’imagination.
Reste que, mettre sa confiance en l’Occident
devient dorénavant moins évident,
après avoir vu que le changement
n’avait guère aidé les manifestants.
Attendre de l’aide extérieure est naïf,
comme espérer que larmes et cris plaintifs
vont émouvoir un monde aussi rétif,
car ses buts ne s’avèrent guère positifs.
Sous couvert du mot : « développement »,
la plupart des gens deviennent dépendants
des fausses promesses d’abondance et d’argent
dont très peu bénéficient au comptant.
Ce n’est guère politiquement correct
d’avancer que les puissants sont infects.
Pourtant, même si cette idée nous affecte,
tout autre raisonnement serait suspect.
En réalité, le monde vit une guerre,
sans vouloir être moins inégalitaire.
Il s’accommode bien du travail précaire
comme des pollutions des terres, mers et airs.
Quelle est donc la morale de cette histoire ?
Que plus le temps avance, moins on peut croire
que les forts peuvent renoncer au pouvoir…
Mais faut-il pour autant perdre tout espoir ?
D’autres modes de pensée seraient nécessaires
pour amorcer vraiment une nouvelle ère,
où l’humain ne serait plus subsidiaire
et qui soit réellement solidaire.
i Front islamique du salut (Parti politique)
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
34 35
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
poèmes
Gîte fluoré à l’Arcane
Par Yannick Godin
Que sur l’Armée tu condamnes pour se baiser
En ce lieu où l’on chante l’éveil, Secret.
“
Infini jusqu’à la Mort, les larmes de la Nuit
Dunes, prédateur vermillon modulé primal
Nectars et dimension, essaims chevaleresques
Comme sur ces geôliers infâmes, Maudits, il est Pluie
Parfumé aux liqueurs du germe de la Saveur
Condamné aux vicissitudes agglomérées
Laids spores divins, une balafre sous la cloche
Varans et Vautours déployaient l’évanescence
Mariaient les coagulations de l’Arbre
Arabesques et Stigmates comme Miroir Blanc
Quand douceur Bouillonne l’Oraison fulminate
Implosions se purifient sous l’Appel Vermeil
Ces Couleurs de l’Apocalypse éperdue
D’où nous vient le Spleen des dieux mortifiés Calcaire
Saisonnière épitaphe, succubes aux Lois
Écorce écorchée à servir Élision
Quand quantum et Vasectomie Peste, humez!
Comme Pathologie Sérums bus aux varices
S’intitulaient Croyances et Perles pitance
Compatissante Ange à gouache Métronome
À son Épée, duel des coriaces Amours
Jaspe de Minuit, source cuirasse venin rose
Nocturnes pupilles affaissées, Égorgé Bleu Ciel
Les Harmonies watts et venimeuses coulaient Verbe
Sous la chaleur, des Tombeaux souillaient Maléfiques
Les Grâces peuplées d’ivoire soluble Verglas mâts
Comme Mutile l’Éternel à butiner porcs
Et âmes et fluides distingués Évanouis
Tours du Sommeil éventrées comme Vecteurs ragés
Comme tourbillon sanitaire, le Visage métal
L’Insurrection accablante, Méandre Jarre
Désisté par l’Oubli du Pâli vertébré
Mare qui languit dûment sur Squelette étoile
L’Antérieur Mal des Vies scellant Éponymes
Comme dualité Mariée tombale marquée
Prends cette Vigne polarité douceur Animée
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes 36
37 Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
pensées & réflexions
pensées
&
réflexions
“
“
“
Beau parleur
Par Anissa El Mardi
L’argent. On l’appelle aussi le blé, le flouz ou encore le fric. Ce petit bout de papier qui vous fait
vous sentir puissant et qui nous rend parfois exécrable, égoïste, ou a contrario généreux. Que
l’on soit adulte ou enfant, lorsque nous avons de l’argent entre nos mains, nous pensons que
nous allons conquérir le monde. Mais faites attention à l’argent car il est mesquin. Il est comme
une drogue. Au début, on est heureux d’en avoir, c’est cool. Et puis rapidement, on en veut plus.
Il nous rend dépendant. On devient prêt à faire n’importe quoi pour en avoir, même à vendre
son âme au diable quitte à en perdre sa dignité. Certains mêmes en sont venus à faire la guerre
pour de l’argent, car oui, l’argent donne du pouvoir. Ne vous y trompez pas et prenez garde.
L’argent affabule, il n’est pas votre ami, et ne vous rendra pas heureux. Malgré tout, prenez en
soin, car même s’il a bien des défauts, il a aussi une qualité : il vous fait vivre.
La vie
Par Tao Lee
La vie est courte, il faut vivre pleinement sa vie.
Être une personne épanouie et heureuse.
Il faut sortir de sa zone de confort pour se dépasser comme personne.
L’avenir va te réserver plein de bonnes choses.
Le bonheur de soi
Par Tao Lee
Apprendre à s’aimer comme on est sans changer pour plaire aux autres.
On doit continuer à faire les choses qui nous inspirent à être une meilleure personne.
Être capable de dire « NON » et de faire un bon choix pour nous.
Tu dois suivre la voie qui t’était tracé. Ne pas lâcher jusqu’à ce qu’on trouve le bonheur.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
38
39 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
nouvelles
Les trois-huit
Par Éric Vawga
nouvelles
Ça respire la misère, ici. C’est la réflexion que se
feraient nombre d’observateurs extérieurs.
Ça frappe à la porte. Ils se raidissent comme un
seul homme, aucun d’eux n’attend de visiteur. Cela fait
trop peu de temps qu’ils sont sur le territoire. Ils se
sont rencontrés sur la même oasis de travail. Situé en
périphérie proche de la capitale, ce cagibi appartient
au chef de chantier qui, dans sa grande mansuétude, a
daigné profiter de leur dénuement pour leur offrir un
emploi non déclaré avec jouissance d’une chambrette
sous les toits d’un immeuble à la limite de l’insalubre
au loyer prohibitif. Et si c’était la police, apportant dans
sa besace un billet : retour en arrière obligatoire avec
passage en centre de rétention, ou nécessité de fuite
perpétuelle ? C’est une idée fixe qui vous taraude du
matin au soir, quand on n’a pas ses papiers en règle.
Fausse alerte. C’est seulement la fille du
concierge, une pauvre gamine rachitique de treize
ans qui leur apporte le passe des toilettes situées
sur le palier. Heureusement, pour se laver, les bains
municipaux sont tout proches. Quoi qu’il en soit, même
si le propriétaire le désirait réellement, prêt pour cela
à lutter contre vents et marées, il n’y a pas la place ici
pour installer ne serait-ce qu’un lavabo. Tout juste
deux matelas, une glacière et une penderie contenant
les valises.
Ils travaillent comme des esclaves et cette
chambre aux murs spongieux gorgés d’humidité qui
leur sert de logement ne peut guère contenir plus de
deux personnes allongées et encore, grâce à l’absence
du moindre meuble, si ce n’est une petite étagère
hébergeant un réchaud à gaz qu’ils ont acheté en se
cotisant pour faire la cuisine de temps à autre et s’offrir
un café ou un thé chaud pour faire patienter l’hiver.
Mais, ce n’est pas grave. Encore une fois, nombre
d’observateurs extérieurs trouveraient qu’ils vivent de
manière indigne, mais eux, ne sont pas d’accord. Bien
au contraire, c’est ainsi qu’ils conservent leur dignité,
qu’ils restent droits, tête haute, sans rien demander à
personne, sans mendier quoi que ce soit à qui que ce
soit.
Chacun à leur manière ils remercient le ciel de
cette opportunité qui leur a été faite de partir de chez
eux ; passer la frontière moyennant les économies
d’une vie, voire parfois, celles d’un frère ou d’une
sœur plaçant ses dernières onces d’espoir en eux,
mais somme toute, sans y laisser un rein, un œil ou
simplement la vie. Sans oublier qu’ils ne dorment pas
dehors, ni dans le hall d’un de ces immenses foyers en
permanence surveillés par la police qui n’hésite pas à
faire de temps à autre des descentes musclées.
Mieux vaut rester philosophe, ou alors c’est
la mort. Ici, ce n’est certes pas le paradis sur terre,
l’eldorado qu’ils espéraient trouver, mais somme
toute, ils sont plus en sécurité que là d’où ils viennent.
Le bonheur n’a de toute façon rien à voir avec leur
présence ici.
Ils ont entre dix-sept et trente ans. Ils forment
une belle brochette tous les trois, un Algérien, un
Malien et un type venu des pays de l’Est ; les deux
autres n’ont pas très bien compris d’où exactement,
il a tellement voyagé et tellement bu aussi, que bien
souvent, ses propos sont incohérents, mais, à nouveau,
qu’importe. Il paye sa part comme les autres. D’au
temps que c’est lui qui travaille de nuit, lui qui permet
de faire les trois-huit afin que chacun puisse bénéficier
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
40
41 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
nouvelles
nouvelles
d’une plage de repos approximativement normale. Il
arrive parfois même que la chambre reste vide, que les
uns comme les autres travaillent vingt-quatre heures
d’affilée. Ça provoque toujours un sentiment mitigé.
Un mélange de désespérance causée par le surcroît
d’épuisement et de joie à l’idée de la manne financière
supplémentaire qui, peut-être, tombera comme un
cadeau de Dieu. Peut-être, car on ne sait jamais. On
ne sait jamais si la liasse donnée à la fin du mois sera à
la hauteur des efforts fournis. Apparemment, plus que
les heures de travail fournies en amont, cela dépend
du bon vouloir, de la bonne humeur de l’employeur, ou
de l’absence d’un plus miséreux qu’eux qui serait tout
aussi compétent et, il y en a, ils le savent. Alors, ils se
taisent. Que pourraient-ils faire de toute façon ? Que
vaut la parole d’un immigré sans papiers, sans attache,
seul sur le lieu d’exil, maitrisant, pour certains d’entre
eux, à peine la langue de la loi que nul n’est pourtant
censé ignorer, contre un employeur ayant pignon sur
rue ?
Aujourd’hui c’est dimanche, mais pour eux ce
n’est que rarement un jour différent des autres, sauf
lorsque l’on sait avec certitude que l’inspection du
travail va pointer le bout de son nez. Ça, c’est si les
personnes concernées n’ont pas touché une somme
suffisante. Sur un chantier judicieusement géré, cela
n’arrive généralement pas. Le travailleur au noir ne
connait ni les horaires fixes ni les week-ends, ni les
jours fériés, ni les congés payés ; il ne connait que le
travail ou l’absence de travail et naturellement, il vaut
mieux se confronter au travail. Pourquoi seraient-ils
là sinon ? Pourquoi auraient-ils quitté famille et amis
? Pour connaitre les rigueurs de l’hiver européen ?
Connaitre les joies de partager à trois une misérable
pièce de cinq mètres carrés aux murs suintants
d’humidité, puant le moisi et laissant la part belle au
vent qui s’engouffre par une fenêtre aux jointures
obsolètes, dans laquelle ils se relaient avec une
précision d’horloger ? Non, simplement pour échapper
à la guerre, à l’innommable pauvreté qui teinte comme
un ventre vide, à l’enrichissement du plus gros au
détriment de tous les autres, à la mort. Pour ce faire, ils
ont donc tenté le tout pour le tout et se sont précipités
en direction de l’œil du cyclone, espérant y trouver
plénitude, sérénité, espoir. Que nenni.
Alors c’est comme ça, ils font les trois-huit, se
relayant les uns les autres en une incessante danse
ponctuée de présence et d’absence dans ce cagibi qui
les sauve de la violence de la rue, l’esprit et le corps
programmés pour survivre, économiser, mettre
de l’argent de côté en pensant à la famille restée làbas
dont le souvenir et la pression constante sont
omniprésents, arpentant comme des funambules le
maigre fil séparant le légal du nécessaire.
Derechef, tout ça n’est pas grave. Ils sont au
clair avec eux-mêmes. Tout cet inconfort, toute cette
humiliation ne sont que transitoires. Parfois, quand
même, ils doutent et leur regard se teinte d’un voile
d’angoisse.
Pour les pères, grands-pères, cousins proches ou
éloignés aussi, c’était provisoire. Pourtant, sans cesser
majoritairement d’alimenter leur univers originel
d’une manne financière bienvenue, faisant construire
par correspondance des maisons inachevées, ils ne
sont, si ce n’est par à-coups, jamais vraiment rentrés.
Et, même après une tentative de reconstruire
brique par brique leur perception du monde dans ce
lieu d’exil, déguisant une vie d’errance, d’itinérance
intérieure, sous le couvert d’une pseudo stabilité
sédentaire, lorsque leurs corps vieillissants les ont
ramenés inéluctablement au point de départ en vue
d’affronter la mort avec dignité, ce n’était plus eux, déjà
disparus qu’ils étaient depuis des années, annihilés
en faveur d’un être hybride dénué d’appartenance
géographique, finissant par mourir en tant qu’enfants
de nulle part.
Cora est dyslexique
Par Gavriel Howard Feist
Cora était une petite fille triste. Assise dans
le fond de la classe, elle avait le cœur serré de voir la
plus seulement sur le panneau rouge, mais également
sur le tableau des étoiles.
maîtresse déplacer une étiquette, portant son prénom,
du panneau vert au panneau rouge. La maîtresse
appelait ça, le tableau du comportement. Pourtant,
Cora n’avait pas fait de bêtise. La petite fille n’avait tout
simplement pas compris la consigne de l’exercice.
— Il y a trois colonnes sur ce tableau, avait
expliqué la maîtresse en le tapotant du bout de sa
longue règle. Les meilleurs d’entre vous, ceux qui
obtiendront de très bonnes notes aux évaluations,
auront leur prénom écrit dans la colonne à trois étoiles.
Cora était dyslexique.
Ceux qui ont encore des progrès à faire seront dans la
colonne à deux étoiles.
Ce n’était pas de sa faute si les lettres se
mélangeaient dans sa tête. Parfois, elle avait — Et les nuls seront dans celle à une étoile?
l’impression de faire du rodéo avec des mots demanda un élève en levant la main.
indisciplinés. Elle chevauchait dans des champs où
l’herbe était tellement haute que la petite fille ne
voyait pas où aller. Ces champs-là, on les appelait les
— Disons qu’il s’agit de la colonne de vos
camarades les plus en difficulté, répondit la maîtresse.
champs grammaticaux et lexicaux. Être dyslexique,
c’était comme faire du cheval, sans les rênes, dans des
endroits inconnus.
Tous les élèves se tournèrent vers Cora en
ricanant. La petite fille se sentit humiliée. Pourquoi
fallait-il que la maîtresse répertorie ses élèves par
Cora avait besoin de plus de temps que les
autres élèves pour déchiffrer les mots... Et plus de
temps encore pour comprendre le sens de la phrase.
niveau? Et surtout, pourquoi voulait-elle absolument
les afficher devant tout le monde? Ne pouvait-elle pas
garder ces listes pour elle et s’adapter à chaque élève?
Elle n’y était pour rien, mais ça n’avait pas empêché
la maîtresse de mettre son prénom sur le panneau
rouge. Voyant tous ses camarades de classe terminer
l’exercice avant elle, la petite fille s’était refermée
sur elle-même. La maîtresse avait pris ça pour de la
paresse.
Toutes ces questions tournaient en boucle dans
sa tête. Tant et si bien qu’elle ne prêta guère attention
aux remarques des élèves dans la cour qui, une fois
encore, se moquaient d’elle. Néanmoins, il y avait
quelqu’un qui, derrière ses petites lunettes rondes,
observait avec intérêt cette scène désolante.
Cora posa une joue sur son poing et soupira
lourdement. Les autres enfants allaient encore une fois
se moquer d’elle à la récréation.
Ce week-end-ci, comme tous les autres weekends,
se passa merveilleusement bien, car Cora
s’adonnait à ses deux plus grandes passions. La petite
Le lendemain et les jours suivants, les choses
recommencèrent. Le prénom de Cora ne se retrouvait
fille était une remarquable danseuse et une clarinettiste
hors pair. Pour son jeune âge et d’aussi loin qu’elle s’en
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
42 43
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
nouvelles
nouvelles
souvienne, elle avait toujours excellé dans les arts de la
nulle et ce, uniquement parce que son étiquette se
Il réajusta ses lunettes sur son nez, puis annonça:
une élève.
danse et de la musique. C’était une artiste née, capable
trouvait dans la colonne à une étoile.
«Écoutez-moi bien, les enfants! Votre maîtresse va vous
de transformer chaque mouvement et sonorité en
lire la consigne d’un exercice, puis elle va vous donner
Le directeur sortit une autre feuille de papier
émotions. La petite fille était vraiment très douée et ne
La petite fille sentit alors une présence
la réponse à ce problème.» Sur ces mots, le directeur
de sa poche, la déplia devant la maîtresse et tous les
cessait de progresser, faisant la fierté de ses parents et
protectrice derrière elle. En se retournant, elle vit un
tendit la feuille de papier à la maîtresse. Elle lut d’abord
élèves, puis la lut à son tour:
de ses professeurs.
homme au crâne dégarni, portant une cravate rayée et
le texte pour elle-même, les sourcils froncés, puis
de petites lunettes rondes se tenir près d’elle.
regarda ses élèves en rougissant. Durant un instant,
— Sophie possède huit recettes différentes de
Cora était une petite fille curieuse et intelligente.
Cora eut l’impression que les yeux de la maîtresse
gâteaux et sa cousine en a autant qu’elle. Combien de
Seule sa maîtresse semblait ne pas s’en rendre compte
— Bonjour Monsieur le Directeur, dit Cora,
allaient lui sortir de la tête tant elle les écarquillait. Le
recettes détiennent-elles à elles deux?
et ça minait le moral de l’enfant. Chaque dimanche,
surprise.
directeur la pria d’en faire la lecture à haute voix, afin
dans son petit lit douillet, Cora éprouvait un terrible mal
que toute la classe puisse l’entendre:
— Seize, répondit aussitôt Cora!
de ventre à l’idée de retourner à l’école le lendemain.
— Bonjour Cora, répondit-il de sa voix douce.
Qu’est-ce qui te tracasse?
«Sophie pousse aide huitre cette dix errantes
— C’est très bien, la félicita le directeur. Je vois
Le lundi matin, Cora fit à nouveau les frais de la
deux gâteux et ça cousine et Nano temps quelle.
que tu es très forte en calcul mental. Il déplaça alors
mauvaise humeur de sa maîtresse. Cette dernière se
— Oh, rien, mentit la petite fille en baissant les
Combien d’heure cette d’Étienne telle ça aile d’œufs?»
l’étiquette de Cora dans la colonne à trois étoiles, puis
tenait devant la table de la petite fille, les lèvres pincées
yeux! Tout va bien.
ajouta à l’attention des autres enfants:
et les paupières plissées. Du bout du doigt, elle tapotait
La maîtresse cligna des yeux, lisant et relisant le
le cahier d’exercices en disant:
— À ton âge, les enfants devraient jouer, discuter
texte dans sa tête, mais ne parvenant pas à en saisir le
— La consigne que je viens de lire est celle que
et rire durant la récréation. Tu sais que tu peux me le
sens. Elle lança un regard interrogateur au directeur,
votre maîtresse a essayé de déchiffrer.
«Ce n’est pas normal qu’une élève de neuf ans
dire si quelque chose ne va pas, n’est-ce pas? Tu peux
puis lui confia:
ne sache pas résoudre ce problème.»
me faire confiance, Cora. Je suis là pour t’aider.
J’espère que vous comprenez maintenant qu’être
— Je ne comprends pas, Monsieur le Directeur.
dyslexique, ce n’est pas être bête. D’ailleurs, saviez-
Cora sentit les regards amusés de tous ses
La petite fille éclata en sanglots et le directeur de
vous qu’Albert Einstein, le plus grand savant de toute
camarades se poser sur elle. Pourtant, à la maison,
l’école la prit dans ses bras en la réconfortant:
— Ce n’est pourtant pas normal qu’une
l’Humanité, était lui-même dyslexique?
la petite fille avait su trouver la réponse à ce genre
institutrice ne sache pas résoudre ce problème,
d’exercice. Avec sa maman, elle avait appris toutes ses
«Allons, allons... Raconte-moi tout.»
annonça le directeur en allant écrire le prénom de la
— D’accord... D’accord, je reconnais que certains
leçons et avait su les réciter par cœur, mais devant la
maîtresse dans la colonne à une étoile.
élèves ont du mal à comprendre les consignes, mais...
maîtresse, Cora perdit tous ses moyens. Elle était alors
Lorsque les élèves retournèrent en classe, la
incapable de lire convenablement la consigne écrite
maîtresse fut surprise de voir que le directeur les
Tous les élèves, à l’exception de Cora, se mirent
— Pourquoi enseignez-vous? demanda le
sur son cahier.
accompagnait. Celui-ci fit asseoir les enfants dans le
à rigoler.
directeur en l’interrompant.
calme, se pencha sur le tableau aux étoiles pour l’étudier
La sonnerie annonçant le début de la récréation
quelques instants, puis demanda à l’enseignante:
Certains chuchotèrent que la maîtresse méritait
— Et bien... Je... Je ne sais pas, Monsieur le
libéra brusquement Cora du regard noir de la
le bonnet d’âne. Le directeur les fit taire, puis expliqua:
Directeur... balbutia la maîtresse, mal à l’aise. C’est que
maîtresse. Cependant, son calvaire n’était pas encore
— Est-ce que ça vous ennuierait que je m’adresse
vous me prenez au dépourvu.
fini, car elle savait que dans la cour, les railleries
à vos élèves?
— Votre maîtresse a bien du mal à comprendre
allaient recommencer.
la consigne, alors qu’elle aurait déjà dû me donner la
— N’avez-vous pas abordé le problème du
— Vous êtes le Directeur, répondit la maîtresse
réponse à ce problème. Elle n’est pourtant pas bête.
harcèlement scolaire avec vos élèves?
Elle s’isola donc des autres enfants et fut
d’un air guindé. Je vous en prie.
Seulement, elle vient d’être confrontée à ce que vit une
surprise de constater qu’aucun d’eux ne chercha à
personne dyslexique au quotidien.
— Bien sûr que je leur en ai parlé, s’enorgueillit
l’embêter. Ses camarades de classe avaient pourtant
— Je vous remercie, dit le directeur en sortant
la maîtresse! J’ai à cœur d’appliquer les directives du
pris l’habitude de lui rappeler à quel point elle était
une feuille de papier de la poche de son pantalon.
— C’est quoi une personne dyslexique? demanda
Ministère à la lettre.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
44 45
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
nouvelles
nouvelles
— En parler est une bonne chose, mais ça reste
des mots creux et vides de sens s’ils ne sont pas suivis
par les actes.
— Je ne comprends pas ce que vous essayez de
me dire, Monsieur le Directeur.
— Ce genre d’affichage ne sert qu’à dévaloriser
les enfants. Or, un enfant ne peut acquérir l’autonomie
qu’en étant valorisé. Ne cherchons-nous pas à rendre
les enfants autonomes?
— Mais, Monsieur le Directeur...
— En soi, cet affichage est déjà une forme de
harcèlement. De plus, je peux vous assurer qu’il n’y a
aucune bienveillance à accrocher des listes de niveaux
(il fit des crochets avec ses majeurs et ses index en
prononçant ce mot) dans la classe, à la vue de tous.
Je vous répète donc la question: pourquoi enseignezvous?
— Et bien, pour... Heu... Je...
Rouge de honte d’avoir été ainsi humiliée devant
tous ses élèves, la maîtresse sentit les larmes lui monter
aux yeux. C’était donc ça que Cora ressentait! La petite
fille ne méritait pas d’être réprimandée, parce qu’il lui
fallait plus de temps que les autres pour déchiffrer une
consigne. La maîtresse venait d’en faire l’expérience,
comprenant que lorsque les lettres et les mots se
mélangent et n’en font qu’à leur tête, il était parfois très
difficile de comprendre le sens d’une phrase.
Être une élève dyslexique, ce n’était vraiment
pas amusant, surtout lorsque l’adulte sensé se montrer
compréhensif et aidant refusait de s’adapter à l’enfant.
La maîtresse venait de prendre conscience de ses
erreurs et, traversant la salle à grands pas, décrocha le
tableau du comportement, puis celui des étoiles. Elle
les mit dans la poubelle en promettant à ses élèves de
ne plus jamais pratiquer d’affichage par niveaux. Après
tout, ça n’avait aucun sens.
Pire que ça, mettre des élèves dans des cases
était le meilleur moyen de leur faire perdre confiance
en eux.
— C’est pour eux que j’enseigne, affirma-t-elle
au directeur en montrant les enfants d’un geste de la
main, pour chacun d’entre eux et ce, quelles que soient
leurs singularités. C’est à moi de m’adapter aux élèves
et non pas l’inverse.
— Je suis heureux de vous l’entendre dire,
approuva le directeur. Il est parfois bon de se mettre
à la place des élèves pour comprendre ce qu’ils
vivent et réaliser à quel point, nous, les enseignants,
pouvons nous montrer maltraitants. Lutter contre le
harcèlement, ça commence par remettre en question
ses méthodes d’enseignement.
Avant de quitter la classe, le directeur fit un
clin d’œil à Cora, puis referma la porte derrière lui. La
petite fille se sentait soulagée d’un poids énorme. Elle
avait l’impression qu’il lui était soudainement devenu
plus facile de respirer.
Elle sut que, désormais, les choses iraient mieux
et que la maîtresse se montrerait attentive au bien-être
de tous les élèves de la classe.
À partir d’aujourd’hui, Cora serait reconnue
pour ses capacités et non plus pour ses difficultés.
Après tout, n’était-elle pas une enfant comme
les autres?
De paire
Par Ivanna Kretova
Le spécialiste finit sa conférence sur le tabac et Enfin, il finit ses derniers trois quarts d’heure,
sortit du bâtiment avec un sourire. Il était le dernier entièrement consacrés aux conséquences sur la
à quitter la salle. Une conférence très bien organisée, psychologie et le corps humain. C’est-à-dire un
argumentée et par la suite, appréciée par le conseil de grand risque de faire un infarctus, de finir sa vie par
direction. Il savait que ses méthodes de présenter leur le cancer, ou d’avoir des malformations d’un enfant
auraient plu. Mais cela n’aurait pas été possible sans accouché du type bec-de-lièvre. Il avait bien souligné,
son diaporama clairement structuré, minutieusement plusieurs fois même, tout en restant lucide, que la
réfléchi et abouti qu’il a projeté pendant une heure et cigarette et la dépression vont généralement de pair. «
demie de la conférence.
Oui, la cigarette et la dépression vont de pair !» avait-il
annoncé aux spectateurs et au conseil de direction.
D’abord, il attira l’attention du public en
énumérant les situations qui nous mettent en erreur Donc maintenant que c’était fini, le spécialiste
de fumer. Notamment, il parla des soirées entre sortit de la salle. Le soleil brillant l’aveugla pour une
nombreuses personnes où les jeunes sont exposés minute. Maintenant que c’était fini, il inspira et expira,
à « l’indépendance » et où ils décident d’essayer de soulagé. Et en même temps, c’était le moment de se
nouvelles choses. Il évoqua évidemment l’effet de rappeler de toutes les choses qu’il devait encore
groupe et les défis lancés, où l’on ne veut pas perdre, terminer au travail, des petits problèmes qui faisait
en rappelant la volonté de limiter le stress qui est un seul, grand comme la poubelle qui puait chez lui
omniprésent dans notre monde actuel.
depuis déjà une semaine.
Sa deuxième partie concernait les différentes Alors, il sortit une cigarette qu’il alluma aussitôt.
façons de fumer et les composants toxiques de la
cigarette : l’acétone, un dissolvant, le méthanol,
utilisé comme carburant pour fusée, la nicotine, qui
sert comme insecticide dans l’agriculture (ceci dit,
certaines personnes du public ont prononcé un « ah
»), le monoxyde qui est un gaz d’échappement, sans
oublier l’acide cyanhydrique qui était employé dans les
chambres à gaz.
L’image des chambres à gaz devait parler et
interpeler tout le monde. L’idée d’englober, d’engloutir
ce qui servait pour tuer des milliers de juifs lors de la
déportation, tous ces éléments qui paraissent absurdes
à avaler, devaient donner la chair de poule.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
46 47
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
nouvelles
nouvelles
Le roi des cons
Par Jean-Marc Sire
Un jour de trop
Par Jean-Philippe Sedikhi
— Hé, mec, ton café… il est pas bio !
compassion, je venais de lui offrir un café...
Marie observait le petit jouer. Paul était
Lors de leurs conversations, son père demandait
complétement absorbé par son jeu, il semblait
rarement des nouvelles de celui qu’il avait baptisé « ton
Je crois bien que c’était la première fois que je
— Et si en plus je vous donne mon brownie, vous
fabriquer une sorte de tour en empilant des briques de
chômeur ». Sa mère l’avait gratifié d’un « maintenant
me faisais interpeller par quelqu’un à qui je venais
me fichez la paix ?
gros légo. Une fois son édifice achevé, il s’empressait de
je ne te dois plus rien » en lui remettant le chèque
d’offrir un peu de réconfort. Pourtant, avec le froid
le balancer par terre, pour le détruire, dans des grands
qui les avait aidé à payer la caution de leur premier
qui soufflait sur Paname, le pauvre hère aurait dû se
— Ça marche !
éclats de rire. Dans sa chambre, régnait un véritable
appartement. Elle devait se débrouiller seule et lui
morfondre en remerciements, même muets, et profiter
capharnaüm. Marie le couvait d’un œil attendri, tout en
faire face. Hervé énervé commençait à s’acharner sur
de la chaleur que le gobelet renvoyait vers ses mains.
Certaines leçons n’ont pas de prix. Dès demain,
pensant à la séance de rangement qui s’en suivrait et qui
la porte. Marie était tellement affolée qu’elle trébucha
Mais non, suspicieux, il avait ôté le couvercle pour
je recommence à lui filer ma menue monnaie.
n’épargnerait pas son dos endolori. Elle, était fatiguée
sur la boîte à outils, qu’elle avait sortie pour réparer, la
humer les volutes de vapeurs qui s’élevait dans l’air
de sa journée et ne voulait pas trop trainer. Elle alla le
poignée de la salle de bain. Celle-ci lui était restée dans
glacé de février et scruter avec attention le bandeau en
chercher et l’installa pour le repas, puis alluma le poste
les mains après le bain de Paul. Monsieur Durand son
carton qui servait d’anse, à la recherche d’un logo vert
de radio, sans vraiment porter attention au reportage
voisin, sortit sur le palier pour raisonner Hervé, qui
prompt à le rassurer…
diffusé, qui concernait un refuge pour animaux. Elle
en retour l’insulta copieusement. Marie décida de le
servit Paul qui la fixa et lui lança, avec un grand sourire
faire entrer pour éviter que les choses ne dégénèrent.
— C’est parce que je suis pauvre, c’est ça ? Alors
« t’entends minou ». Elle resta bouche bée, les yeux
Ils traversèrent le couloir et allèrent s’installer dans
moi, je peux boire un truc rempli de pesticides ?
embués, ça y est, il avait décidé de se mettre à parler. En
la cuisine, il posa le cadeau sur la table. « C’est un
faisant la vaisselle, elle était encore toute bouleversée,
hélicoptère… tu vois je n’ai pas oublié l’anniversaire du
— Écoutez, je viens de l’acheter au Starbucks, je
quand Hervé sonna à l’interphone.
petit » balbutia-t-il. Elle le dévisagea, incrédule. Cela
ne pense pas que ce café soit dangereux pour qui que
ne le découragea, dans sa tentative de lui soutirer de
ce soit…
Au son de sa voix, elle compris qu’il avait bu.
l’argent. Il avait besoin de 100 ou 200 euros, pas grand
Elle sentit soudain la peur l’envahir L’alcool le rendait
chose, c’était, prétexta-t-il, pour payer son loyer, il la
La silhouette hirsute emmitouflée dans sa
fou. La dernière fois, elle l’avait supplié « pas devant
rembourserait à la fin du mois, son nouveau patron lui
couverture rongée par les brûlures de cigarettes me
le petit ». Mais les claques et les coups avaient tout
avait proposé de faire des heures supplémentaires. Elle
dévisagea longuement avant de secouer la tête en signe
de même jailli, même lorsqu’elle était au sol, même
refusa net. Elle lui avait servi de femme de cuisinière
de réprobation.
lorsque le petit pleurait… Elle savait au fond d’elle,
et de banque, mais là c’était fini. Elle se leva pour aller
qu’elle ne pouvait compter que sur elle pour faire
voir s’ils n’avaient pas réveillé le petit. Lorsqu’elle
— Vous devriez faire plus attention à votre santé.
face à la situation. Elle ne pouvait espérer aucune
retourna à la cuisine, celle-ci était vide. Elle le surprit,
Quand on a la chance d’être un monsieur bien comme
aide de ses parents. Ils l’avaient averti. Mais elle s’était
dans le couloir en train de secouer violemment son
vous, avec de beaux habits et l’air classe, il faut savoir
entêtée. Lorsqu’elle l’avait rencontré, Hervé paraissait
sac, dont le contenu se retrouva éparpillé au sol. Elle
prendre soin de sa personne. Je parie qu’en plus, vous
tellement différent des gars de la vallée. Marie qui ne
l’insulta et reçu une gifle qui la projeta par terre. En
avez ajouté du sucre ?
voulait pas une vie identique à celle de sa mère : une vie
s’écrasant sur le sol, elle sentit, tout contre son dos un
coincée entre la cuisine et le ménage, se laissa séduire
objet, elle l’attrapa et le frappa avec par réflexe. Sous
Je mis quelques instants avant de comprendre,
par ce garçon si attentionné et si délicat. Ce choix avait
le choc il s’effondra à son tour. Elle lâcha le marteau
me demandant ce que Bon Dieu j’avais bien pu faire
fortement déplu à ses parents. Ils n’étaient pas venus
ensanglanté, se rua sur lui et tenta de l’étrangler,
pour que le poivron du coin ait choisi de me pourrir la
au mariage, et avaient espacé leurs visites puis leurs
Hervé essayait vainement de se débattre. Elle attrapa
vie dès 7h00 du matin, alors que dans un geste de pure
coups de téléphone lorsqu’Hervé avait été licencié.
alors un sachet plastique qui traînait sur la commode
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
48 49
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
nouvelles
nouvelles
du couloir et lui enveloppa la tête dedans. Au bout de
A minuit, elle sortit dans le jardin, prit son
un petit potager, afin de soulager un peu son budget.
« Je suis désolé, annonça-t-il, mais j’ai une
longues secondes, ponctuées par une série de spasme,
courage à deux mains et se mit à creuser. Elle y mit
A 18 h Mickaël alla frapper aux carreaux de la baie
mission urgente à effectuer. On va faire une pause. Je
Hervé ferma les yeux et se figea. Elle se mit à pleurer et
toute sa fougue et tout son entrain. Au bout de cinq
vitrée pour l’avertir que son gazon était planté. Il lui
ne vous mets pas en garde à vue, mais vous allez devoir
s’écroula sur le sol. Un instant plus tard elle essaya de
minutes, elle s’arrêta pour reprendre son souffle. Elle
rappela de l’arroser régulièrement par pluie fine. Elle
revenir demain pour terminer votre déposition et
réfléchir à la situation. Que fallait-il faire. Qui appeler
était en nage, sa nuque et son dos étaient trempés. Le
n’écoutait pas vraiment les conseils qu’il lui prodiguait,
signer vos aveux ».
? Elle se décida, puis composa le numéro de la police,
ciel se mit à gronder, elle leva la tête et s’essuya le front.
son esprit était ailleurs, elle lui sourit et le remercia.
mais se ravisa aussitôt.Marie regagna la cuisine et se
Soudain une averse torrentielle s’abattit sur elle et en
Elle était épuisée par sa nuit. La veille en rentrant
Marie fut déroutée mais elle se résigna devant
servit un verre de vodka ; de là où elle était assise, elle
un rien de temps elle se retrouva trempée jusqu’aux os.
chercher les ciseaux, elle avait fini par changer d’avis
l’insistance du policier.
pouvait voir dépasser les jambes de celui qui avait été
Au moment de verser la chaux elle s’aperçut, que dans
et avait chargé les sacs dans sa voiture. Elle s’était,
son ex –mari. Elle se resservit un deuxième verre de
la panique, elle avait oublié les ciseaux pour ouvrir le
ensuite rendu dans plusieurs forêts pour les enterrer.
Le lendemain lorsque le policier la reçut, il lui
vodka. Il fallait que ce corps disparaisse. Elle se leva
sac. Elle retourna à la maison. Au petit matin un bruit
Les années passèrent sans qu’une seule journée, ne
annonça qu’il était désolé mais qu’il ne pouvait prendre
et tira le cadavre jusqu’à la salle de bain, l’installa dans
de moteur la sortit du sommeil. Elle jeta un oeil sur son
s’écoula sans repenser à cette macabre soirée.
les aveux car l’affaire était prescrite depuis la veille, il
la baignoire, alla chercher la caisse à outils, l’ouvrit et
réveil qui indiquait 10 Heures. Elle attrapa sa chemise
ne pouvait plus y avoir de poursuite.
récupéra la scie à métaux, puis se mit au travail. Au
et la jeta sur ses épaules puis se dirigea vers le salon et
Depuis que Paul avait pris un travail en province,
bout de plusieurs heures d’effort, elle avait rempli 8
ouvrit le volet de la grande baie vitrée, qui donnait sur
la maison était bien vide et si silencieuse, elle avait pris
sacs poubelle, qu’elle décida de descendre à la cave. Le
le jardin. Elle aperçut, alors Michaël qui était en train
l’habitude de laisser la télé allumée en permanence.
lendemain, elle s’arrangea pour terminer plus tôt. Elle
de passer le motoculteur. Les deux mains campées sur
Juste avant le programme du soir, le téléphone sonna.
avait prétexté, à la surveillante cheffe Mme Pichard
la machine, progressant facilement à travers la terre
Elle coupa le son et laissa l’image. C’était Paul, elle lui
qu’elle ne se sentait pas bien. Celle-ci lui avait trouvé «
particulièrement molle. Il l’aperçut à son tour, et lui fit
souhaita un bon anniversaire, avec un jour d’avance.
un air palot », et l’avait autorisé à rentrer chez elle, en lui
un signe de la main et lui sourit. Elle répondit à son
Chaque semaine son fils l’appelait pour lui donner
conseillant d’aller se reposer. En quittant son service à
sourire en se mordant le coin des lèvres. Il avait déjà
des nouvelles. Il semblait satisfait de sa situation,
l’hôpital, Marie fit un crochet par la zone commerciale.
bien avancé et n’était plus qu’à une dizaine de mètre de
son travail lui plaisait, le salaire n’était pas trop bas et
Elle ne se lassait jamais du trajet qui longeait la forêt
la parcelle de terre qu’elle avait fraîchement remuée
l’ambiance était plutôt bonne. Elle était soulagée. Juste
domaniale. Elle repensait aux dernières vacances
la veille ; sur laquelle venait de se poser un corbeau.
avant qu’il ne raccrocha elle jeta un coup œil machinal
qu’ils avaient partagés, à leur rencontre avec une biche
L’oiseau fouillait le sol, à l’aide de son bec et de ses
sur l’écran et aperçu un visage familier, elle reconnut
perdue apeurée, un après-midi où ils avaient étés
griffes. Marie alla chercher ses sandales dans le placard
la mère d’Hervé, qui semblait effondrée. Elle écourta
surpris par la foudre en plein massif de la chartreuse.
coulissant du couloir et sortit dans le jardin.
l’appel mit le son et regarda l’émission qui parlait des
Elle n’avait jamais vue la foudre d’aussi prés. Soudain
personnes disparues. Le lendemain elle se rendit au
une idée la sortit de sa rêverie. Elle trouva rapidement
« Arrête ta machine et viens boire un café » lui
commissariat pour avouer son crime. Le lieutenant
une place sur le parking à proximité du magasin de
adressa-t-elle avec un sourire un peu forcé. Il coupa le
qui recueillait ses aveux la considéra d’un drôle d’air.
bricolage.
moteur et ôta son casque antibruit.
Dans un flot de paroles, elle lui raconta comment un
garçon prévenant, drôle et intelligent pouvait peu à
Elle repartit du magasin, avec un sac de chaux de
— Hein ?
peu changer de visage. Entre deux sanglots, elle lui
25 kilos. Le vendeur du rayon, un type, d’une trentaine
— Bonjour, je te propose de venir boire un café.
résuma ses deux années d’humiliation et de violence
d’année qui semblait passer beaucoup de temps à la
quotidienne. Au fur et à mesure du récit il se grattait
salle de musculation, avait insisté pour porter le sac,
Une fois attablé, son beau frère lui demanda ce
nerveusement la tête. Il l’interrompit au milieu de
jusqu’à sa voiture et en avait profiter pour lui glisser
qu’elle avait planté à l’autre extrémité du jardin. Cela
ses déclarations pour lui demander de préciser la
son numéro. Dans d’autres circonstances ce type lui
l’intriguait, car elle avait toujours dit qu’elle désirait
date des faits. Il s’arrêta un instant semblant réfléchir
aurait plu, mais là elle n’était pas du tout d’humeur, à
planter un gazon japonais ; ce qui lui permettrait
plongé dans ses pensées. Au bout d’une demi-heure
se laisser séduire.
d’avoir un jardin fleuri nécessitant peu d’entretien. Elle
de déposition, il s’arrêta net de taper, puis regarda sa
lui répondit que tout réfléchi elle avait décidé de faire
montre.
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
50 51
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
nouvelles
nouvelles
À l’instar, hier, du nègre, du youpin et du pédé,
l’artiste doit justifier du fait même qu’il respire. Et, c’est
bien connu, en ces temps où l’argent est roi et le travail
habilement vendu tel une source d’épanouissement,
écrire, sculpter ou composer de la musique relève de
l’oisiveté, du parasitage. Et les parasites, ça se traite. Au
spray ou à la chambre à gaz, ici ou en Pologne.
C’est qu’il les vomit, ces fichus rebelles, l’esclave
soumis ignorant jusqu’à sa condition servile, ces
vrais insoumis, ceux-là, qui lui rappellent sans cesse
que vivre, ce n’est pas pointer à l’usine, répéter des
tâches administratives ingrates derrière un bureau ou
s’entasser dans le métro avec d’autres captifs salariés.
Non, ce n’est pas parce que le denier a été
remplacé par la fiche de paie et le bol de riz par le droit
de développer un cancer de la peau sur une plage de la
Côte d’Azur, que ces gens sont libres. Ils sont juste plus
inconscients, amnésiques et aliénés.
Mais le servage a été aboli, objectera quelque
ilote.
Et quels changements, en effet, ont été opérés
! Le nègre est maintenant appelé Noir, y gagnant une
majuscule, du moins tant qu’il sacrifie aux dieux
du consumérisme, engoncé dans son pantalon de
survêtement fluo. Le youpin est désormais un juif,
pas si fier de l’être depuis qu’il a troqué, honteux, la
synagogue pour la Silicon Valley. Quant au pédé, il
est devenu gai, en tout point fréquentable entre deux
prises d’antidépresseurs.
Nombreux sont les artistes qui sont rentrés dans
le rang, légion ces écrivains, aussi, dont les royalties
Écris
Par Marc Legrand
ont tari et rogné la plume comme les barreaux d’une
cage finissent par attendrir le cuir des fauves et à en
limer les griffes et les crocs.
Il en est toutefois qui n’ont pas capitulé, qui
préfèrent un peu de liberté au faux confort des maisons
individuelles qu’une décision dans l’intérêt collectif du
troupeau peut démolir en trois secondes. Contre une
compensation financière, naturellement.
Oui, il ne tient qu’à toi, paria qu’aucune loi ne
protège, de ne pas baisser pavillon. Crie, écris, et ne
t’arrête pas de hurler. Dis-leur les couleurs que tu
arbores, qui tu es et, surtout, que tu es encore, ne leur
en déplaise, toujours et à jamais. Et qu’il leur faudra te
tuer pour te faire taire. Rester un homme est à ce prix.
saviez-vous que ?
Le plus long poème du monde nous provient de l’inde. Le
Mahâbhârata, ou littéralement, « La Grande guerre des
Bharata», ou, « La Grande Histoire des Bharata », est une
grande épopée sanskrite. Avec un total de 250.000 vers,
c’est un poème de 81 936 strophes répartis en 18 livres.
C’est pour une surprenante histoire épique d’une guerre
pour un trône entre les Pândavâs et les Kauravâs. Et tout
comme dans les mythes grecs, les dieux ne se gênaient
pas pour intervenir sur le champ de bataille, où même des
femmes guerroyaient pour leurs princes.
Malheureusement, l’Histoire n’a pas gardé le nom de son
auteur, mais selon la mythologie indienne, c’est le dieu
Ganesh lui-même qui en serait l’auteur. Néanmoins,
le Mahâbhârata reste le texte le plus sacré de la religion
hindoue en Inde et le plus long poème jamais écrit.
Transition pathologique
et éphémère
Par Thaïs Andreani Pertica
C’est de notre âge, de vouloir changer d’ère. On tes cheveux brossés et teints sont tout blancs pardessous,
que tes rides sont bien là, malgré tes crèmes à
attaque un vingt et unième siècle de misère. Le ciel est
tout le temps gris, même quand il est bleu. Ça s’appelle la graisse de baleine. Pourquoi tu ne te sens pas fraîche
pollution. On râle, pour tout, sauf pour ça. Qu’importe ? Pourquoi ton téléphone a-t-il coûté la santé ou la vie
? La Terre va supporter nos imbécilités. C’est ce que des malheureux qui triment pour que toi tu frimes ?
tout être humain se dit pour se consoler devant sa
télévision.
Et toi, lecteur, tu lui jettes la pierre, à cette
gonzesse hypocrite et mauvaise, qui profite de ce que
Madame Vidal s’emmitoufle dans son manteau sa place dans ce monde lui a offert, au détriment d’un
de fourrure. Si chaud, si seyant. Un bel achat, se ditelle.
Pourtant combien de bêtes a-t-il fallu déposséder
hémisphère ?
de leurs vies pour le confort de cette dame ? Elle Madame Vidal, c’est moi, c’est toi, c’est nous.
mange bio-bio, des avocats du Pérou et des mangues Tous coupables.
du Brésil. C’est tellement bon. Elle travaille la journée
dans une banque, et le soir, parfois, elle va déposer ses
vêtements usés à la Croix Rouge. C’est bien. C’est bien
Madame Vidal. Vous dormirez tranquille. Grâce à vous,
une femme qui vit à la rue aura un sac Longchamp juste
un peu décousu au niveau des anses. Quelle classe.
C’est dur, on le sait tous, d’être intègres. On
aimerait se lever le matin, ne faire que des choses «
bien », se laver en conscience, couper l’eau, avoir un
savon écolo, éteindre la lumière en sortant de la pièce,
mais prendre un bain bien chaud le plus souvent
possible, avoir des illuminations de Noël dans tout le
jardin que l’on arrose avec de l’eau potable, se vautrer
dans son petit confort et râler de n’avoir plus de sous à
la fin du mois. C’est peut-être qu’on était un petit peu
saoul tout le mois durant. Pourquoi tu bois Madame
Vidal ? Pourquoi tu cherches à oublier que tu ne fais
que l’inutile ? Que tes ongles vernis reflètent ta misère
psychique, que ton cabriolet est ton faire valoir, que
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
52 53
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
bande-dessinée
bande
dessinée
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
54
55 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
jeux
littéraires
Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes
56
(exercice créé par D-A. Carlier)
LE LANGAGE POÉTIQUE
Liste des mots à chercher dans la grille :
RECUEIL
REFRAIN
REJET
RICHES
RIME
RONDEAU
SONNET
STROPHE
SUIVIES
SYNÉRÈSE
TERCET
VERS
EMBRASSÉES
ENJAMBEMENT
ÉPOPÉE
HÉMISTICHE
LIBRE
LYRISME
MADRIGAL
ODE
PANTOUM
POÈME
PROSE
QUATRAIN
ALEXANDRIN
ALLITÉRATION
ASSONANCE
BALLADE
CALLIGRAMME
CÉSURE
CHANSON
CONTRE-REJET
CROISÉES
DÉCASYLLABE
DIÉRÈSE
DISTIQUE
Conservez les lettres restantes qui n’apparaissent qu’une fois ; à l’aide de ces 6
lettres, vous découvrirez le nom d’un poète célèbre : _________________
R C P L G I S E E S S A R B M E S
E E Y A Q U A T R A I N O U H E T
M S N G R E E P O P E E R P I N T
I U E I E E G S Y M B O O V E E T
R R T R R D C Q J A N R I M R E E
N E M D E D A U L D T U E C N M J
H O E A X N N L E S S B E N S C E
A E I M J E Y A L I M T O I N H R
S P M T E S U S X A L S R I O B E
S V X I A O O Q J E B Y E M S N R
O J E C S R P N I R L M Q U N P T
N S E R P T E R S T E A T O A Q N
A D D Y S R I T E E S F J T H O O
N E R B I L O C I J H I R N C N C
C R O I S E E S H L E C D A B X N
E D I E R E S E E E L T I P I H C
E A E M M A R G I L L A C R L N S
Remplissez le texte à trous suivant en vous aidant des mots de la grille ci-dessus :
Un poème est par définition un texte écrit en …………………ou en ………………………….(langage habituel), qui comporte généralement des ………………….(répétition du même son
final) ; celles-ci peuvent être ……………………….(si les sons répétés sont consécutifs), …………………………..(s’ils sont alternés) ou………………………………….(s’ils suivent le schéma ABBA).
Elles sont appelées pauvres si elles n’ont qu’un seul son en commun et ……………….si elles en ont au moins trois. Si un vers présente une répétition du son d’une voyelle, il s’agit
d’une……………………………….. ; dans le cas de la répétition du son d’une consonne, on parle d’une………………………………………. Si un poème ne présente aucune rime et que les vers
sont de longueur inégale, alors on dit que le vers est……………………. On nomme le vers en fonction du nombre de syllabes qu’il comporte : ……………………………pour un vers de 12
syllabes ; ……………………………………pour un vers de 10 syllabes. Quand le vers a 12 syllabes, la …………………(coupe) se fait à l’………………………………… . On peut parfois prononcer
deux voyelles qui se suivent en deux sons différents, c’est une…………………….(ex : li/on) ; à l’inverse, on peut prononcer deux voyelles qui se suivent en une seule syllabe : c’est
une………………………… .On nomme un ensemble de vers une……………………………….. ; si elle est composée de deux vers, on la nomme un……………………………, ………………………………..si
elle est composée de trois vers et ………………………………s’il y en a quatre. Si une phrase se poursuit sur le vers suivant, on parle d’un……………………………………………… ; si la phrase
commencée au début d’un vers s’achève brutalement au vers suivant c’est un………………………………. ; enfin, si la phrase débutée en fin de vers se poursuit sur le vers suivant,
c’est un…………………………………………… . Il existe différentes sortes de poèmes : l’……………….. est un long poème célébrant les aventures hors du commun d’un héros légendaire ou
d’une nation ; le ……………………….est composé de deux quatrains et de deux tercets ; une………………………comporte trois strophes qui ont les mêmes rimes et un…………………….. ;
la……………………………est un poème populaire qui comporte des couplets et un refrain ; une………………….est un poème composé de groupes de trois strophes qui célèbre un
événement ou quelqu’un. Le ……………………est un poème de 15 vers répartis en trois strophes ; le ………………………….est rédigé en quatrains dont les rimes sont alternées ; le
……………………est un court poème destiné à être chanté par plusieurs voix et qui célèbre de manière galante la nature et l’amour (il a donc souvent recours au ………………, qui
consiste à exprimer des sentiments personnels). Enfin, un ………………………………..est un ……………… dont les mots forment un dessin. Le ………………………est le livre qui regroupe
plusieurs poèmes.
BULLETIN ABONNEMENT
A retourner à Cœur de plumes
3374, Boulevard Lasalle, Verdun, Québec, H4G 1Y9, Canada
Email : coeurdeplumelit@gmail.com
Accompagné du règlement (par chèque bancaire à l’ordre de Cœurs de plumes
Nom____________________________________________Prénom_______________________
Adresse____________________________________________ Ville_______________________
Code postale_________________________________ Pays______________________________
E-mail :_______________________________________________________________________
Je souscris à (Cochez une ou deux cases) :
Date : _________________________
* Abonnement Canadien 1 an (2 numéros): 25 CAN $
* Abonnement Francophonie (Europe & Afrique) 1 an (2 numéros) : 12 €
* Paiement électronique via PayPal (coeurdeplumelit@gmail.com)
* Don
Signature :
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- --------------
Nos partenaires
“
Notre
capacité de douter, de critiquer et de désobéir est
sans doute le seul moyen d’éviter la fin de la civilisation et
d’assumer l’avenir de l’humanité.
Erich Fromm
(1900-1980)