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Coeur de plume numero 1

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Coeur de plumes

poèmes

7 L’agonie de deux sexes

13 C’était une belle mosquée

22 La terre s’en fout

nouvelles

43 Cora est dyslexique

49 Un jour de trop

bande-dessinée

55 Les aventures de Zoe & Zabie ISSN 2562-7597


édito

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes

Cœur de plumes, qu’est-ce-que c’est? Une sempiternelle revue littéraire? Oui et non. Oui, nous sommes une revue

littéraire. Nous aimons publier de la poésie et des nouvelles, et de la BD et d’autres surprises.

Non. Cœur de plumes publie de la poésie et des nouvelles engagées, c’est-à-dire sur des thèmes et débats de société

que sont la pauvreté, la discrimination, le capitalisme, l’itinérance, l’écologie, la guerre, le féminisme, etc. Un autre

monde est possible. Notre futur est encore une page blanche vierge.

« La beauté sauvera le monde. » avait écrit Fiodor Dostoïevski. Pour mon équipe et moi, c’est notre credo, bien qu’à

l’Ouest comme à l’Est, c’est la saison des murs et la floraison des chiens volubiles enragés. Que faire? Écrire, car

c’est dans la nuit la plus noire orpheline d’étoiles, votre petite plume deviendra la plus brillante des lumières. Un

phare indispensable pour naviguer sur cette mer troublée.

Cœur de plumes recherche des autrices et auteurs de la francophonie. Cœur de plumes est un amoureux de la langue

de Molière parlé de l’Ontario à l’Acadie, dans les caraïbes, et de l’Afrique au Vietnam. Ainsi, à Cœur de plumes, nous

sommes des bâtisseurs de ponts entre d’autres pays, d’autres cultures, et aussi d’autres langues à la place de bâtir

des murs. Aucun écrit n’est vain. Vos écritures-ruisseaux de pensées.

Dans la bataille du quotidien, nous ne sommes ni des robots corvéables et obéissants, ni des consommateurs

sans visage, mais partout, l’être humain est fiché ou code-barres dans toutes les bases de données des systèmes

politiques ou économiques. Serions-nous tous seulement des numéros?

Au contraire, nous, êtres de chair et de sang, sommes cette plume empathique. Chaque vie précieuse. Chaque

plume est liée aux autres par les fils sociétaux invisibles et visibles que sont la citoyenneté, le genre, la classe

sociale, l’origine ethnique, la religion ou mêmes les goûts ou les préférences artistiques personnels, etc. Chaque

personne est la plume de l’oiseau nommé Humanité. Chaque plume nécessaire,

Parce que ce sont avec les mots du cœur et des plumes, nous bâtirons les ponts des dialogues interculturels tout

en soignant les maux du monde d’aujourd’hui, parce que des lendemains riches, merveilleux restent à sillonner,

et honorer le sacrifice de Prométhée, porteur du feu de la sagesse et du savoir à toute l’humanité. Encore trop de

potentiels meurent stériles. Et encore, des beautés restent à écrire ou à dessiner. Pour le meilleur ou pour le pire,

nous sommes responsables des uns et des autres.

3 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes



sommaire

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes

Personnel

Directeur de publication

Vladimir Nicolas

Rédactrice en chef

Johanne Giguère

Correctrices

Johanne Giguère

Stéphanie Brière

Comité de lecture

Yannick Godin

Conception

Marie-Hélène Foster

Illustration

Juan Carlos Gonzalez Agudo

Marie-Josée Nolet

Photographe

Yanissa RFM

Communication & Réseaux sociaux

Aimée You

Coeur de plumes

3374, Boulevard Lasalle

Verdun, Québec, H4G 1Y9, Canada

1-438-321-2712

coeurdeplumelit@gmail.com

ISSN 2562-7597

Poètes et

Écrivains

Anissa El Mardi

Béatrice Maurose

Cécile Durant

Didier Colpin

Ema DuBotz

Éric Vawga

Félix Demore

Flora Delalande

Gabriela Lup

Gavriel Howard Feist

Geneviève Morin

Ivanna Kretova

Jean-Marc Sire

Jean-Philippe Sedikhi

Kingsley Chubie

Laurent Vercuei

Loïc Bonhomme

Marc Legrand

Marie d’Anjou

Marie-Josée Nolet

Marion Lecoq

Marthe Betema

Michel Labeaume

Mohamed Benfares

Nayla Rida

Nicolas Charron

Nsanzimana Rugigana

Raoul Tamekou

Suzanne El Lackany

Sylvain Robichaud

Tao Lee

Thaïs Andreani Pertica

Valérie Dupras

Vladimir Nicolas

Yann Quero

Yannick Godin

poèmes

7 L’agonie de deux sexes

par Béatrice Maurose

8 Une étoile

par Cécile Durant

9 Toujours y croire...

par Didier Colpin

10 Pills

par Ema DuBotz

11 En le port de Pangée

par Éric Vawga

12 Au soir du premier

décembre

par Félix Demore

13 C’était une belle mosquée

par Flora Delalande

15 Le Nid

par Gabriela Lup

16 Corporéelle

par Geneviève Morin

17 Face contre terre

par Jean-Philippe Sedikhi

18 ILTON

par Laurent Vercueil

19 Bat le coeur des hommes

par Loïc Bonhomme

20 Ils crieront tous les vents

par Marie d’Anjou

21 Plus jamais

par Marie-Josée Nolet

22 La terre s’en fout

par Marion Lecoq

23 En attendant le jour

par Marthe Betema et

Vladimir Nicolas

24 Un pot de miel

par Michel Labeaume

25 Ça ne me regarde pas

par Mohammed Benfares

26 Language / Langue

par Nayla Rida

28 Néonicotinoïdes

par Nicolas Charron

29 Du bon côté de la force

par Nsanzimana Rugigana

30 Ode à la Consommation

par Raoul Tamekou

31 Quelque part oubliée

par Suzanne El Lackany

32 Les enfants du rêve de

demain

par Sylvain Robichaud

33 Tu as tué le silence

par Valérie Dupras

34 Syair du Printemps arabe

par Yann Quero

36 Gîte fluoré à l’Arcane

par Yannick Godin

pensées

& réflexions

39 Beau parleur

par Anissa El Mardi

39 La vie

par Tao Lee

39 Le bonheur de soi

par Tao Lee

nouvelles

41 Les trois-huit

par Éric Vawga

43 Cora est dyslexique

par Gavriel Howard Feist

47 De paire

par Ivanna Kretova

48 Le roi des cons

par Jean-Marc Sire

49 Un jour de trop

par Jean-Philippe Sedikhi

52 Écris

par Marc Legrand

53 Transition pathologique et

éphémère

par Thaïs Andreani Pertica

bande-dessinée

55 Les aventures de Zoe &

Zabie

par Kingsley Chubie et

Vladimir Nicolas

jeux littéraires

57 Le langage poétique

par D-A. Carlier

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes 4

5 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes



L’agonie de deux sexes

Par Béatrice Maurose

Le compte à rebours a commencé

et je contemple ton cigare s’éteignant à petit feu

Mon huile s’assèche sans ta chaleur

Que faire de cette agonie

de ce désir de flamme et de cendres

et ton corps sémaphore sans appel à mes cris de détresse

poèmes

Dans notre lit de rêve

où jadis c’était le carnaval

le rire, les chars allégoriques et ta musique

aujourd’hui point de bande

pour lubrifier les ruelles asséchées

Nous deux à quatre jambes

hurlons de désespoir les nuits de carême

Nous deux à quatre jambes

agonisons dans la soif livide de nos corps

C’est bien notre temps qui s’achève

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes

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7 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes



poèmes

Une étoile

Par Cécile Durant

Toujours y croire...

Par Didier Colpin

Une étoile.

Dans la nuit.

À mes yeux,

Toujours la vie est cruelle

Voyez le règne animal

Sélection naturelle

Tuer dévorer normal…

Se dissipe alors la peur

Serait-il un utopiste

Qu’importe brille son cœur…

elle brille.

Car souvent l’âme est encline

À d’autres,

Toujours c’est idem pour l’homme

Dépassant les préconçus

elle trahit.

Quand il faut faire souffrir

Dans sa beauté cristalline

Il n’est jamais économe

A nous laisser tous confus…

Une étoile.

Tuer tramer conquérir…

Dans la nuit.

Car toujours dans notre monde

Toujours -soyons réalistes-

Partout comme constamment

Un jaune

Le temps n’est qu’un vaste pleur

Un désir de Paix profonde

éclatant

Sans se montrer fatalistes

Est là dans un flamboiement…

sur un noir

La Vie a peu de valeur…

sinistre.

Toujours le plus fort domine

Une étoile.

Dans un malheur au vaincu

Dans la nuit.

L’autre n’est qu’une vermine

Le bleu du ciel a vécu…

L’univers se délite.

Les lois s’effondrent.

Toujours ainsi va le monde

Le chaos gronde.

Partout comme constamment

Le monde s’effrite.

Notre souffrance est profonde

Pourquoi ce joug permanent ?

Une étoile.

Dans la nuit.

Car la vie est aussi belle

Son sourire est amical

Juive.

Quand il nous prend sous son aile

Splendide est le récital !

Car il arrive que l’homme

Dans sa générosité

Oubliant un peu sa pomme

Honore l’Humanité…

Car lorsqu’il est altruiste

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes

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9 Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes



poèmes

poèmes

Moi je marche à piles. J’avale des pilules. En

marge j’avale. Des pilules pour le mal de tête. Des

pilules pour les maux de ventre. Des pilules pour la

constipation. Des pilules pour les ballonnements. Des

pilules pour les maux d’estomac. Des pilules pour les

douleurs. Des pilules pour la fièvre. Des pilules pour

les maux de gorge. Des pilules aussi pour le sommeil.

Des pilules pour aller mieux. Pour voir la vie en

rose. Des pilules coups de fouet. Et puis des pilules

pour la mémoire. Des pilules pour stimuler la forme

intellectuelle et physique. Des pilules et des pilules.

Des pilules à manger. Des pilules pour préparer la

peau au soleil. Ou pour blanchir. C’est selon. Des

pilules pour faire pousser les cheveux. Rajoute-moi

des pilules. Des pilules pour maigrir. Et d’autres pour

me vider. Des pilules pour me fortifier me muscler.

Des pilules pour bander. Bander plus fort. Pour briller.

Pour la performance. Pour lui en foutre plein la. Des

pilules pour la baise. Et d’autres pilules, au cas ou. Des

pilules pour faire pousser les ongles. De beaux ongles

racés. Pour en coller d’autres dessus. Des pilules pour

s’amuser. Des pilules anesthésiantes. Euphorisantes.

Hallucinantes. Des bouffantes. Des pilules à bouffer.

Des pilules pour arrêter de fumer. Des fumantes. Des

pilules pour les gueules de bois.

J’avale des pilules. A la pointe de la nouveauté.

Des pilules pour les reines. Des pilules pour avoir ses

règles. Des pilules pour stopper les règles. Des pilules

pour ne pas avoir d’enfants. Des pilules pour en avoir.

Des fertilisantes. Des pilules avec. Des pilules sans.

Des pilules au goût de. Des pilules colorées. Des pilules

de jouvence. Des pilules pour retrouver ses antans.

Des pilules en pendentifs. Des pilules antirides. Des

pilules pour nettoyer les dents. Pour les blanchir. Des

pilules pour la bonne haleine. Des pilules en bonne et

Pills

Par Ema DuBotz

due forme. Des pilules par anticipation. Des pilules

pendant. Des pilules après. Des pilules pour calmer.

Pour détendre. Pour déstresser. Des pilules pour

l’angoisse. Des pilules pour mieux respirer. Des pilules

pour le coeur. Pour améliorer la circulation. Des pilules

pour marcher. Des pilules pour courir. Des pilules pour

sauter. Des pilules en plein vol.

saviez-vous que ?

On a tous entendu l’expression de « poète maudit ». Et

savez-vous comment y dénicher un? D’abord, la notion

de « poète maudit » a été inventé par Paul Verlaine dans

son ouvrage biographique « Les Poètes maudits » sur

six poètes que sont Tristan Corbière, Arthur Rimbaud,

Stéphane Mallarmé, Marceline Desbordes-Valmore et

Villiers de l’Isle-Adam. Et le sixiéme poète ne serait que

Paul Verlaine sous l’anagramme de Pauvre Lelian.

Concept en vogue chez les poètes romantiques du 19e

siècle, je vous présente la recette pour que vous devenez

ou soyez un poète maudit :

D’abord, vous devez être un jeune écrivain ou autrice

anticonformiste.

Vous devez rejeter toutes les valeurs dominantes sociales.

Puis, il faut essayer de mener une vie scandaleuse ou

dangereuse.

Par ailleurs, vous rédigerez des textes dits difficiles soit par

les thèmes abordés, soit par la déconstruction du langage.

Et pour couronner le tout, vous devez trouver un moyen

d’avoir une mort précoce tout en espérant que votre

génie littéraire ou sa contribution artistique reçoive une

reconnaissance du reste de la société. Tout un programme

et ce n’est pas garanti d’avance. De nos jours, tout le monde

vise à jouir de sa célébrité dans le monde des vivants plutôt

que celui des morts.

Sous

En le port de Pangée

Par Éric Vawga

le libéralisme de la houle,

Le kraken s’est mué en Père Noël.

Et ici,

Ça n’en finit pas de recommencer;

Ça plonge dans la marchandise,

Ça s’abreuve de digicodes,

Ça pêche rubis sur l’ongle

Des sourires argentés certifiés sur mesure.

Ça affrète des tonnes de cargos,

Empesés jusqu’à la gueule

Dans leurs costumes trois-pièces

Et leurs vergues métalliques.

Ça s’écoule en grognant sur la misère

Et déferle en rongeant le charme.

Don Quichotte du réel,

J’irai prévenir les poissons

Qu’au fond du portefeuille

Gît l’estuaire du dérisoire.

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Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes



poèmes

poèmes

Au soir du premier décembre

Par Félix Demore

Flamme et fumée ! Colère et cris ! Eclairs ! Tonnerre !

Anéantissement révolutionnaire !

Le peuple, c’est le nombre ; et le nombre fait loi.

Que Paris se réveille et la France se lève !

Aux mains du peuple épris de liberté le glaive

Pour défendre son droit !

Avoir pour seul éclat celui d’une grenade !

Ils rêvent de mourir sur une barricade.

Quelque chose d’immense est à l’oeuvre ici bas.

Naître, vivre, se battre afin de mourir libre :

Sentir au fond de soi qu’une volonté vibre

Et vous mène aux combats.

Sans culottes, gilets jaunes. Ô Marianne !

Cents coups tombent moins fort qu’une idée sur le crâne.

Journée d’horreur, journée effroyable de deuil

et de soulèvement. Le fracas de la rue

N’est que l’écho d’un rêve ; une foule qui rue

La Cinquième au cercueil !

C’était une belle mosquée

Par Flora Delalande

Vous voyez le mur là-bas... c’est tout ce qu’il Ses mains marquées par le temps qui passe,

reste de la mosquée de notre village.

comme le banc patiné par les ans qui menacent. Vestige

boiteux d’un passé aboli.

C’était une belle mosquée aux murs de chaux

blancs. J’aimais la contempler, admirer ce petit havre Un pied du banc a été rongé ; de la sciure se

de pureté, voir le soleil se refléter au travers des mélange au sable que bientôt le vent balayera en un

moucharabiehs.

souffle inconscient.

Dentelle ombragée sur la terre brûlante.

À moins que ce ne soit le souffle d’une bombe,

ce sifflement atroce, violence assourdissante. Chant

Je m’asseyais souvent sur un banc de bois. Un strident du malheur qui, à l’aube, fit taire la psalmodie

banc qui semblait être là depuis toujours. Un banc qui sacrée.

accueillait les marcheurs fatigués.

Non. Je n’entendrai plus le chant du muezzin.

Le bois était frais, préservé par l’ombre C’était une prière adressée à Allah qui faisait vibrer

odorante du grand citronnier. À la saison, les agrumes mon petit banc de bois. Du haut de son minaret, l’aria

apparaissaient comme autant de promesses de bénie se répandait dans l’air chaud accompagnée de

rafraîchissement. La senteur acidulée, légèrement tous les sons porteurs de vie.

sucrée m’enivrait et évoquait pour moi les fins

d’après-midi de mon enfance... lorsque, rentrant Pépiement des oiseaux. Choc sourd d’un citron

de mes escapades diurnes, je buvais le jus de citron trop mûr qui s’écrase sur le sol. Vrombissement d’une

que ma mère venait de préparer. Il y avait encore mobylette au loin, rires des filles. Le bruit des dominos

l’odeur fraîche de ses mains, l’effluve d’un vent sec et d’ivoire qui claquent sur la table. La rumeur des voix

l’imperceptible parfum de la toile blanche où avait été mâles qui s’estompe lentement.

entassés tous les citrons lors de la cueillette. La boisson

gorgée de soleil me brûlait doucement l’œsophage et Raclement des chaises sur les pierres répondant

apaisait mon corps desséché. J’aimais ce goût à peine à l’appel à la prière.

sucré mais j’appréciais par dessus tout le silence qui

accompagnait ce qui était devenu un rituel : ma mère, Je me plaisais à observer la foi qui poussait tous

assise en face de moi, désœuvrée, ses mains reposant ces êtres vers la petite mosquée aux murs de chaux

mollement sur son tablier jauni. Son sourire. Ses mains blancs. Le muezzin chantait toujours, remplissant

tailladées par le travail, les coupures vite cicatrisées l’espace de sa voix vibrante de croyance. Les hommes,

par le jus de citron attestaient des heures passées, vêtus de leurs amples qamis, leur chechiya sur la tête,

courbée au dessus de la table, à couper les fruits en passaient devant mon banc et me saluaient poliment.

deux, libérer la pulpe de l’écorce, extraire la précieuse Odeur légèrement musquée, se mêlant à celle du vieux

sève sans en perdre une seule goutte.

citronnier.

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poèmes

Puis le chant déclinait tandis que le vent m’apportait quelques

minuscules gouttelettes d’eau sacrée, reliquat des ablutions rituelles.

Et ils disparaissaient un à un, leurs vêtements de toile blanche

engloutis par la porte de la mosquée.

Seul le citronnier restait. Témoin immobile de ces moments de

paix. Sous son ombre reposaient des dizaines de chaussures alignées

en rangs serrés.

Un sifflement dans le ciel. Le souffle chaud comme du soufre

sur la peau. Carnage. Plumes ensanglantées qui tombent par paquets.

Les minarets explosent, l’aria se mue en un hurlement de douleur.

Cri des sirènes. Le dôme s’effondre sur les hommes qui baisaient le

sol. Rugissement de la paix mutilée à jamais. Des mains qui agrippent

le vide, se crispent sous les débris, grattent sauvagement le sable.

Le banc tremble. Les dominos, atteints par un fragment de bombe,

explosent en une pluie d’ivoire. Le citronnier gémit. Je reste assis,

sais que bientôt le calme reviendra, l’odeur des citrons recouvrira les

miasmes de la mort, relents fétides d’une foi assassinée. Jusqu’à la

prochaine bombe.

Le Nid

Par Gabriela Lup

J’avais un nid dans l’arbre de ma cour. Les oiseaux venaient y loger de temps en temps et ils

chantaient à merveille. Comme l’arbre grandissait de plus en plus, quelqu’un qui habitait avec

moi a commencé à couper ses branches. Puis, il y a eu de la pluie et du vent. J’ai trouvé mon nid

par terre. Il n’avait rien de solide pour s’accrocher. Je ne sais pas quoi faire maintenant : essayer

de le fixer de nouveau ou attendre que mes oiseaux d’amour en construisent un autre.

Un éclat de vitrail bleu taché du sang d’un des hommes qui

me saluait toujours en passant devant le banc s’est incrusté dans ma

peau. Comme pour m’accuser de ne pas être comme lui. Ou pour me

demander de ne pas oublier.

Ne pas oublier que j’aimais contempler cette belle mosquée

aux murs de chaux blancs, ma kippa sur la tête.

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poèmes

Corporéelle

Par Geneviève Morin

Face contre terre

Par Jean-Philippe Sedikhi

Nous leur scandons nos corps

Sacrés

Les lessivons, ces morceaux

Souillés

Par ce mystère vénusien

Marqués

D’un trait de Botticelli

Servantes épouses

Par un hiver crépusculaire,

Face contre terre,

Un homme s’étale,

Un homme s’éteint,

saviez-vous que ?

Sous nos courbes mythiques

Tracées

D’une main de servante

Assoiffée

Nos faims et nos fonds

Cette origine courbetienne—ce monde

Transporté

Dans nos corps

Que nous leur scandons

A la lueur pâle du matin.

Le Chinois ou le mandarin serait-elle la langue

la plus parlée dans le monde. Alors, sans

tarder, Cœur de plumes vous présente le top

10 des langues les plus parlées dans le monde

d’après les statistiques de 2018 :

Transpercés

Le mystère de nos corps

Scandés

À jamais ne nous apparaîtrons charnels

Plastifiés

Gommés

Figés

Ces corps—les nôtres

1) Anglais

6) Français

2) Chinois

7) Malais

3) Hindoustani 8) Portugais

4) Arabe

9) Russe

5) Espagnol

10) Bengali

Source : https://atlasocio.com/classements/

langues/locuteurs/classement-langues-parnombre-locuteurs-total-monde.php

Le sien à elle—Cet Autre

Placé

Plastifié

Figé

Coincé dans un cercle

Imaginé et vénéré

Ce corps pétri

Massacré

Déifié

Scandé en son Nom

Oui, la langue anglaise est la langue la plus

parlée au monde avec plus de 1,2 milliard de

locuteurs. Et la langue française dans tout

ça? Avec plus de 284 millions de locuteurs

francophones, nous n’avons pas à rougir de

honte. Grâce à l’Afrique, la langue française,

est bien vivante et dynamique par l’apport de

nouveaux mots étrangers et d’expressions en

provenance de l’Amérique du nord comme

celle d’une province d’irréductibles canadiensfrançais

qu’est le Québec.

À Lui

Dépossédé, objectifié

Décentré

Placé de ce côté

Qui se veut Autre

Éternel inconnu féminin

Nos corps que nous scandons

Provoqués

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poèmes

poèmes

ILTON

Par Laurent Vercueil

Bat le coeur des hommes

Par Loïc Bonhomme

“ “

Si tu soulèves la couverture

(Tu dois lutter contre la répugnance)

Si tu regardes dessous

(Te bouchant le nez avec deux doigts que le froid rend gourds)

Le tas d’os dans le carton

(Ce qu’on appelle un carton – du papier sale et humide)

C’est moi dans mon ILTON

( J’appelle ILTON ce carton qui fait ma peau plus douce et

Le grain du carton assombri par l’humidité, c’est ma chair de poule,

En fait)

Et BIEN sûr je sais BIEN que dans mon ILTON, je suis BIEN

Sous ma couverture nauséabonde

Sous le pont qui fait mon plafond

Sous les camions qui circulent là-haut et font trembler le monde

Qui est sous le pont.

Car de mon ILTON j’ai la vue qui porte

Qui porte loin.

Les piliers de béton du pont d’autoroute

Et derrière, je vois même le bois de résineux qui ne sent plus rien du tout

(Et je vois BIEN qu’il vibre par la faute des camions,

le bois de résineux dont les aiguilles tombent)

Où je me dis que tout serait parfait dans mon ILTON

Si Je pouvais couper ces arbres et faire un feu

Si je pouvais quitter mon carton, ma couverture,

Si je pouvais aller jusqu’au bois

Si j’avais seulement une HACHE.

Alors, mon ILTON serait parfait.

On ne voit plus rien

sinon les portes d’usines closes

des oreilles sourdes

et des fanfarons médiatiques

La rage gronde

et bat le cœur des hommes

Les corps pleuvent

mais les visages s’endurcissent

On ne voit plus rien

sinon le froid la faim

des hommes désarmés

en face de fanfarons,

armés

La rage gronde

et bat le cœur des hommes

des corps tombent

mais les regards percent

On n’entend rien

sinon des pas sourds dans la rue

des casques qui s’entrechoquent

et le chant de plexiglass des boucliers

Le regard perçant et les visages durs

le cœur des hommes bat

le corps des hommes s’avancent

la rage éclate

sur le trottoir

la rage doit éclater

Bris de vitres

contre les casques

Bris de murs

sur les boucliers

L’humanité est en marche

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes

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poèmes

Ils crieront tous les vents

Par Marie d’Anjou

Plus jamais

Par Marie-Josée Nolet

ils crieront tous les vents

la rumeur de leur nation

un leurre d’épices

et une couleur d’iris

Le soir, à la pénombre, tel que promis, je serais là

Où l’on s’est donné notre dernier rendez-vous.

Mon cœur bat à toute allure,

Tel un chevalier sous son armure.

proxénètes des ondes

embaumeurs de livres

Pourvoir penser qu’enfin, je pourrai

ils aboieront leur soif de sang

Te serrer tout contre moi,

Sentir ta chaleur

ils courtiseront des rêves faucheurs d’esprits

Tout contre la mienne.

et seront monnaies jetables

pour l’au-delà confortable

Plus jamais, nous ne serons séparés.

Plus jamais, nos chemins ne seront brisés.

à quoi rêveront-ils, la nuit brûlée?

enfants dissous, corps enfumés

A jamais, notre Amour sera

ils porteront le manteau du salut

Éternel.

un étendard de fils blancs sur l’épaule des nus

et lorsque la terre tremble et avorte ses eaux

dans la nuit qui chavire

après leur naufrage

ils épouvantaillent des fillettes de paille

au réveil du siècle

ils jureront les mains en sang

que les verges se cassent

que les visages s’acclament

que les feux s’embrasent

vacarmes de masse

et soulèvements en tempêtes !

...des étincelles de pacotille

puisqu’au bout des cortèges

ils poseront les pierres

et ils crieront tous les vents

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poèmes

poèmes

La terre s’en fout

En attendant le jour

Par Marion Lecoq

Le ciel brûle encore, les oiseaux trillent glorieusement dans le silence qui descend.

Nous, simples terriens cloués au sol, sommes déjà relégués dans l’ombre.

Le jardin bruisse de la nuit qui va s’étendre peu à peu, fondre les herbes, fermer les fleurs.

Chaque soir à cette heure, je me sens toute petite.

Humain minuscule sur un bout de planète riquiqui.

Miraculeusement échappé du néant le temps de quelques orbites célestes.

Que faisons-nous de ce miracle, de cette fête inédite ?

Je

Par Marthe Betema et Vladimir Nicolas

suis né dans la souffrance.

J’ai grandi dans la souffrance.

Parfois, il est vrai que les aléas de la vie prennent d’autres sens

Au crépuscule.

Ce sont les mêmes questions qui vont et reviennent dans ma tête.

Que vais-je faire de ma vie avec un continent qui est pillé sans cesse et corrompu.

Rien ne nous reste malgré nos espoirs imaginaires.

Nous en piétinons les confettis jusqu’à la boue.

Les choses vont de mal en pire.

Tant et tant que, dit-on, à cause de nous, la Terre va mal.

Nos cœurs sont remplis d’espoir.

Mais la Terre s’en fout, les amis.

Le mal, c’est qu’on vit le pire, il nous pousse dans le précipice.

Elle continuera de tourner inlassablement, imperturbable, pôle nord d’un côté,

Malgré que la nuit soit longue, il faut rêver.

pôle sud de l’autre.

Le soir ne peut pas durer éternellement.

Au milieu d’autres planètes aux rondes semblables,

Dans la peau de notre jeunesse,

de soleils pétaradant leurs gaz brûlants et de météorites fonçant droit devant eux.

C’est là que dort le soleil qui chassera la présente nuit.

Nous ne sommes rien, trois fois rien,

Nous sommes encore jeunesse.

sur cette planète dont chaque atome est un émerveillement.

Nous sommes encore espoir.

La vie est belle comme tout ce qui ne sert à rien.

En unissant nos bras, nous serons sa renaissance.

Quand nous l’aurons tuée, il restera des cailloux dans le ciel.

Des fulgurances sans personne pour les regarder.

Et rien ni personne pour se souvenir que nous avons existé.

saviez-vous que ?

Ahmad Al-Hamadhânî, surnommé Badî’ al-Zamân, « le Prodige du Siècle », est

un écrivain et poète arabo-persan né à Hamadan en 967 et mort à 40 ans, à Hérat

en 1007. Prolifique homme de lettres, il serait l’inventeur du genre littéraire de

la maqâma, précurseur de la nouvelle. Parmi les caractéristiques partagées avec

la nouvelle, la maqâma est un récit bref, des personnages inventés de toutes

pièces ou inspirés de personnages historiques, et les protagonistes n’auraient

qu’une seule et unique quête à mener. De son vivant, Ahmad Al-Hamadhânî

aurait écrit plus de 400 maqâmat, mais seulement 57 auraient réussies à nous

parvenir jusqu’à l’époque moderne. Source : wikipédia

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes

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Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes



poèmes

poèmes

Un pot de miel

Ça ne me regarde pas

Peu

Par Michel Labeaume

m’importe qu’il y ait du vent, des nuages gris et de la pluie. Qu’il y ait de la neige, de la grêle

ou du mauvais temps à l’infini, du soleil et du ciel bleu c’est peut-être mieux mais le tout est

un tout est c’est la Vie. Je sais cueillir dans le jeu du vent un petit peu de souffle de joie que je

bois jusqu’à m’enivrer. Je sais jouer à saisir les devinettes proposées par ces nuées de passage,

pèlerins d’un voyage auquel on a dit oui. Je sais pouvoir sauter à pieds joints dans les flaques

d’eau, juste un petit saut pour dire au firmament que j’ai réussi à rester cet enfant qui mange

du regard le blanc immaculé d’un hiver flamboyant de lumières et de nudité. Je sais regarder

Par Mohammed Benfares

Au bout de ce chemin là

Il n’y a que repli sur soi.

Du chacun pour soi,

Ça ne me regarde pas !

Finis les bonjours du matin

Finies les balades du soir

en rêvant les grêlons percer les frondaisons et s’écraser au sol et être surpris quelques instants

Adieu les accolades d’hier

plus tard d’admirer la mésange sortir d’on ne sait d’où, secouer son plumage si doux et entamer

Adieu la transe folle

son chant du oui. Je sais que l’on peut être heureux quand le temps est mauvais, car c’est là

Ça ne me regarde pas !

que l’esprit est prospère et peut semer des pensées de couleur et laisser faner ses soucis. Je

sais aussi que le froid réunit, dans les chaumières avec un feu qui crépite et l’enfant dessinant

Les frontières s’érigent sottement

sur la buée des carreaux des silhouettes et des oiseaux. Je sais que ma réalité de ce Monde a

Autour de nos têtes têtues

une vibration hors de portée alors je me fais musicien pour à travers mes mots toucher tous

Nos regards ne se croisent

ceux qui ont choisi le requiem comme on n’ose pas changer d’outils pour embellir son jardin. Il

Que pour nous épier

semble encore beau, donnant quelques légumes et quelques fruits mais surtout des mensonges,

Ça ne me regarde pas !

des crimes et des conflits. Ces harangues, ces philippiques contre les poètes, les rêveurs et tous

ceux qui veulent vivre avec l’âme et le cœur si elles sont toujours et encore déversées dans les

Nos cœurs étouffent

fossés bordant les estrades, elles n’en ont néanmoins que cette valeur sortie de la haine, cette

Les mouettes s’effacent

valeur qui enchaîne les tornades et tous ceux qui applaudissent en collusion. Je sais parcourir

Les roses pâlissent

doucement (je n’ai plus vingt ans mais des centaines et des centaines d’aurores auxquelles j’ai

Les ruisseaux tarissent

donné cet accord pour en découvrir mille et mille autres encore) mon humble pèlerinage butant

Ça ne me regarde pas !

parfois sur un caillou mais c’est la Vie et le bâton de la Certitude qui me remettent debout.

L’océan, furieux, gronde !

Un corbeau déchire le bleu du ciel !

On est bien chez soi

Ha ..ha..ha..ha..ha…..!

Ça ne me regarde pas !

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poèmes

poèmes

Language / Langue

Par Nayla Rida

My lips move to emit sounds

That most people are unable to pronounce.

[ɑ̃]¬ [ɔ̃] [y] [ɛ̃] [œ̃ ] [p] [v] [ʁ] [ɲ] [q] [h] [ʕ] [tˤ] [dˤ] [sˤ] [x] [ħ]

I was told one day

That our first language is the one in which we dream.

To this day, this is the best answer I ever had.

Mes lèvres émettent des sons que la plupart des gens sont

incapables de prononcer.

[ɑ̃]¬ [ɔ̃] [y] [ɛ̃] [œ̃ ] [p] [v] [ʁ] [ɲ] [q] [h] [ʕ] [tˤ] [dˤ] [sˤ] [x] [ħ]

On m’a dit un jour

Que notre langue principale était celle dans laquelle on rêvait.

Jusqu’à aujourd’hui, c’est la meilleure réponse que j’ai.

« Dans quelle langue penses-tu ? », tu me demandes

Pas celle dont les mécanismes me sont inconscients,

Pas celle dont les mécanismes me semblent s’auto-expliquer.

C’est-à-dire, pas dans ma langue maternelle.

‘In which language do you think?’ you ask me.

Not the one in which the mechanisms are unconscious to me,

Not the one in which the mechanisms seems to me their own answer,

Which is to say, not my mother tongue.

‘In which language do you think?’ you insist.

The one which has authority upon myself.

The one in which I live.

The one in which I navigate.

The one I adopted the logic system,

Fundamentally different of the logic system of most people in this Earth.

A language of refinement – if not The language of refinement.

The only one I master,

Impossible to correctly translate in my mother tongue, and vice versa.

‘In which language do you write?’ you ask me next, still curious.

The one in which I have been accepted.

‘Finally, what is the language of your soul?’

A completely foreign language I only know few words of.

The language of candid, primitive, spontaneous, spiritual and poetic imageries.

In which ‘being sad’ is told ‘not having one’s heart open’.

« Dans quelle langue penses-tu ? », tu insistes.

Dans celle qui a autorité sur moi.

Dans celle au travers laquelle je vis,

Dans celle avec qui je navigue.

Celle dont j’ai adopté le système logique,

Fondamentalement différent de celui de la plupart des gens

sur cette Terre.

Une langue de raffinement – si ce n’est la langue du

raffinement.

La celle que je maîtrise,

Impossible à traduire correctement dans ma langue

maternelle, et vice versa.

« Dans quelle langue écris-tu ? » me demandes-tu ensuite,

toujours curieux.

Dans celle dans laquelle j’ai été acceptée.

Enfin : « Quelle est la langue de ton âme ? »

Une langue complètement étrangère dont je ne connais que

quelques mots.

La langue des imageries candides, primitives, spontanées,

spirituelles et poétiques.

Celle dans laquelle « être triste » est appelée « avoir son cœur

fermé ».

saviez-vous que ?

La Séquence ou cantilène de Sainte Eulalie,

poème liturgique de 29 vers est considéré

comme le premier texte dit littéraire dans

la langue de Molière. Ce poème est écrit en

langue d’oïl, langue romane considérée comme

l’ancêtre de notre belle langue française.

C’est quoi au juste ce texte? Un poème a la gloire

d’un roi? Une chanson qui relate les exploits

d’un chevalier? Composé vers l’an 800 de notre

ère, ce document est un poème cultuel qui

relate le martyre de sainte Eulalie de Mérida.

Malgré son aspect religieux, la cantilène de

Sainte Eulalie serait le tout premier écrit

littéraire français jamais découvert jusqu’à

maintenant dans l’histoire de notre langue.

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poèmes

Néonicotinoïdes

Par Nicolas Charron

Du bon côté de la force

Par Nsanzimana Rugigana

Une abeille augurale est morte devant moi

Soudainement frappée

au creux d’une anémone

d’astasie

De la fleur est tombée

Et sur la dalle de pierre

Dans un gémissement

sourd

Elle a expiré

saviez-vous que ?

Quelques pages plus tôt, vous aviez fait la

connaissance du poème de sainte Eulalie qui

serait le premier texte littéraire de langue d’oïl,

le plus vieux français. Que diriez-vous des

Serments de Strasbourg? C’est en document

politique et le vrai premier texte français daté

à ce jour.

Nous étions dix dans la mêlée.

Quelque cinq cents kilos de chair

En face, s’étaient rassemblés.

Nous avons foncé dans le tas

Pour la sécurité d’état.

En face, ils ont pris bien cher.

Cependant, ce fou d’Antoine

Ne voulait pas qu’on tape fort.

Nous attisons de la rancœur.

Nous défendons les citoyens

Sans être des enfants de cœur.

Nous devons, par tous les moyens,

Faire mal aux manifestants.

CRS, nous sommes importants.

emportant avec elle

Les souvenirs d’un monde

Peut-être

Une terre

Moins prospère.

Tout d’abord, a la mort de l’empereur

Charlemagne, l’empire carolingien se trouva

divisé entre ses trois petits-fils Charles le

Chauve, Louis le Germanique et Lothaire

1er. Après la terrible et indécise bataille de

Fontenoy-en-Puisaye, deux petits-fils que

Charles le Chauve négocièrent d’unir leurs

forces dans le but de défaire Lothaire 1er qui

serait leur ainé et peut-être le mieux avantagé

de triompher de cette lutte fratricide pour

gagner le trône d’empereur d’Occident laissé

vacant après la mort de Charlemagne.

Il devrait devenir moine

Ou rester parmi les renforts.

Le 14 février de l’an 841, campés devant leurs

armées respectives, Louis le Germanique

s’adressa en langue d’oïl, c’est-a-dire en

vieux français, aux troupes de Charles le

Chauve pour lui témoigner son appui. De

son coté, Charles le Chauve lui rendit la

même faveur en prêta serment en langue

tudesque, c’est-a-dire en vieux allemand,

aux soldats de Louis le Germanique. Et mises

sur papier, les déclarations de Louis et de

Charles seront nommées les Serments de

Strasbourg. Et certains historiens déclareront

que les Serments de Strasbourg sont l’acte

de naissance de la langue française avant que

François 1er en fasse la langue officielle du

royaume de France.

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poèmes

Ode à la Consommation

Par Raoul Tamekou

Quelque part oubliée

Par Suzanne El Lackany

Souveraine sereine qui organise et contrôle les modernes sociétés.

Expiation cathartique d’une époque névrosée : la consommation.

Sa sainte devise : aucun frein à notre sacrée satisfaction !

Bigre ! Les beaux souliers !

La dame que j’ai croisée

Dans une ville vieillotte

Où j’étais de passage

Portait un panier à provisions

Ils proviennent, semble-t-il, d’usines chinoises

Et rentrait chez elle lentement

Fabriqués par de faméliques ouvriers à la satiété sournoise.

La nature morte

Oh ! Les beaux diamants ! Ils viennent, madame, directement d’Anvers !

Au cœur du panier à provisions

Ils sont en promotion spéciale et font partie de la collection d’hiver.

Semblait une image pour l’éternité

Ils ont la pureté des enfants orphelins du Kivu et de Luanda

Dans la ville vieillotte

Et la finesse des esclaves des polissonneries de Joipur et Surot.

Le café-restaurant sert des plats copieux

Enfin les soldes chez Dior, Guess, Mexx, Nike et autre Zara.

L’odeur des alcools se mêle à celle du café et aux vapeurs de la friture

Hâtons-nous ! Sans gêne, allons célébrer le superflu ! Oh merveilleux Aldo !

Flash-back rétro

Une meilleure qualité d’image ? Un écran plus grand ? Un son divin ?

Une bonté d’autrefois

Soyons libres. Laissons-nous aller. Consommons. Jouissons.

Une simplicité et des visages amènes

Oui. Consommons, car demain nous ne serons plus, nous mourrons,

Dans la ville vieillotte

Disait admirablement Adam Smith, cet inégalable devin !

Où l’industrie a disparu

Un four plus puissant ? Un ordinateur plus rapide ?

Laissant les travailleurs à la quiétude,

Et pour nos téléphones :

Fil après fil

Vivons à l’âge des nouvelles générations ! Toujours plus de neurones !

L’œuvre accomplie des cheminées d’usines.

De l’essence pour nos véhicules, de l’énergie pour nos industries.

Dans le café, un ouvrier se rappelle

De la lumière pour nos métropoles, de l’obscurité sur nos mesquineries.

Des bancs de l’école

Bénis soient nos génies modernes : finance, spéculation, crédit !

La nostalgie de l’encrier

Trois voeux ? Mon pauvre Aladin,

Lui fait dire à son compagnon de table :

Nos désirs ne connaissent pas de limites !

Mais où est donc Ornicar.

Pour nos lampes magiques, Visa, Mastercard, le plaisir n’est plus un mythe !

Et l’environnement alors ? Quoi, vous avez bien dit effet de serre ?

Soit ! On pourra toujours laver nos consciences hypocrites en devenant alter

Ou encore Manger bio et envoyer nos vieux vélos,

Nos vêtements hors saison à l’Armée du Salut ou au Tiers monde,

S’abonner à Greenpeace et « contribuer au combat pour un autre monde ».

Tout en préservant nos habitudes de vie qui de la terre préparent l’oraison.

Continuer cette consommation qui signe le véritable apartheid du monde.

Je consomme, donc je suis.

Je consomme, donc je jouis.

Je consomme, et jamais je ne suis repu.

Je consomme, mais… jamais je ne sue.

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poèmes

poèmes

Les enfants du rêve de demain

“ “

Y’a tellement d’monde su l’bord du ch’min,

qui cherchent des ondes pour un câlin.

Ont sûrement peur ceux qui n’rêve pas,

fonts des cauchemars jusqu’au trépas.

Âmes noircies par la colère, la haine,

esclaves de nos propres chaines.

Par Sylvain Robichaud

Qui briment notre amour de liberté,

Refoulant émotions, nous sommes contrôlés.

Un jour,

les enfants du rêve de demain se réveilleront,

le soleil au cœur, de lumière ils nous illumineront.

Leur sagesse et leur gentillesse seront remerciées,

Car ils rempliront nos âmes sensibles de fierté.

Lassés de la vie mondaine et négative,

l’originalité viendra enfin prendre sa place.

Où le futur prend des tendances fictives,

la confiance effacera le doute en pleine face.

Tu as tué le silence

Par Valérie Dupras

Tu as tué le silence

Tu as toujours cru qu’étouffer tes émotions était une véritable option.

Tu as pogné toute une débarque lorsqu’on t’as entrée à l’urgence

En plein état de carence.

On ne t’a toujours pas compris lorsque tu as tenté de t’exprimer.

On t’a fait croire que ta tête t’avait laissée tomber.

Tu t’es retrouvée droguée et attachée.

Encore une fois appelée à cesser de parler.

Réduite au silence en pleine carence

Avec tous ces gens qui croient tout savoir

Sans trop savoir, sans trop te croire, trop occupés à tenter d’imposer leur pouvoir.

Qui sait à quel point tu t’es sentie abattue

Tu as avancé en silence, à pas de tortue, avec toute ta souffrance.

Avec ce monde qui ne sait pas saisir les nuances.

Tu ne peux plus t’expliquer, déjà tu te sens étiquetée.

Parce que tout le monde croit que ta tête t’a laissée tomber

Mais, tu sais que c’est toi qui as laissé entrer cette autre réalité

Tu étais juste trop fatiguée de la vérité

Tu étais juste épuisée d’avancer dans cette vie trop compliquée

Où ton instinct de survie était la clef de ta stabilité

Qu’est-ce que tu as étouffé toutes ces années?

Toutes ces émotions, ces pleurs refoulés, cette colère ravalée

À qui dois-tu demander pardon?

À toi ou à ces gens qui t’ont appelée à taire toutes tes préoccupations.

Tu es la seule responsable et tu le sais.

Personne ne peut choisir à ta place

C’est à toi de faire de la vie un succès.

En faisant face à tes angoisses que désormais tu enlaces.

Plus jamais tu ne te promets

Parce que maintenant tu te traites avec respect.

Tu as tué le silence

Tu as affronté tes tourmentes

Tu vis ton existence

Avec vigilance et magnificence

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poèmes

poèmes

Syair du Printemps arabe

Par Yann Quero

Révolution de gueux qui nous étonne,

en un pied de nez au triste Huntington,

tel un orage, le printemps arabe tonne,

balayant les litanies monotones.

Le monde arabe aurait dû enfermer

dans l’intolérance toutes ses sociétés,

abandonnant esprit et liberté,

pour dans un Islam rigide se figer.

Mais, dans un ultime geste désespéré,

Mohamed Bonazzi s’est immolé,

allumant par ses flammes un grand brasier

qui, moult dictatures, a su ravager.

Fukuyama avait-il donc raison ?

La « fin de l’histoire » est-elle l’horizon ?

Ou les peuples ont-ils d’autres aspirations

que d’augmenter leurs seules consommations ?

Certes, l’Occident est largement envié,

mais fait-il preuve de solidarité ?

Ou bien se contente-t-il de profiter

de graves troubles arrivant à point nommé ?

Que dire du mode de vie américain ?

Sinon qu’il est absolument certain

qu’en le diffusant à tout un chacun

la planète connaîtrait un noir destin…

Alors, que dire de cette révolution ?

Qu’elle rejette dictature et corruption,

envers lesquels par sourde compromission

le Nord n’avait guère émis d’objection.

Les pauvres du Sud seraient-ils plus intègres

que les riches qui s’accommodent de la pègre,

les traitant comme l’étaient naguère les « nègres »,

damnés d’une Terre aux enfants toujours maigres ?

De fait, bien des nouvelles technologies

aidèrent à débarrasser ces pays

d’une insupportable chape de tyrannie

s’étendant du Yémen à la Libye.

Mais ce sont plus les altermondialistes

que les diplomates qui tracèrent cette piste.

Il faut donc avouer pour être réaliste

que croire au Nord-sauveur serait autiste.

Que dire aussi de la démocratie

que les grands de ce monde avaient promis ?

Qu’en Egypte un président soit démis,

par les médias du Nord, est bien admis.

Les Frères musulmans ne sont peut-être pas

les meilleurs garants de l’ensemble des droits

auquel le peuple égyptien aspira,

mais quid de l’armée qui les renversa ?

Cela ne fait-il pas écho aussi

à d’anciens événements d’Algérie,

lorsque le FIS i a été interdit

et le pouvoir, par les soldats, ravi ?

Des dérives de l’islamisme pas question

de promouvoir ici l’adoration.

Les peuples ont fait par la contestation

la preuve qu’ils ont plus d’imagination.

Reste que, mettre sa confiance en l’Occident

devient dorénavant moins évident,

après avoir vu que le changement

n’avait guère aidé les manifestants.

Attendre de l’aide extérieure est naïf,

comme espérer que larmes et cris plaintifs

vont émouvoir un monde aussi rétif,

car ses buts ne s’avèrent guère positifs.

Sous couvert du mot : « développement »,

la plupart des gens deviennent dépendants

des fausses promesses d’abondance et d’argent

dont très peu bénéficient au comptant.

Ce n’est guère politiquement correct

d’avancer que les puissants sont infects.

Pourtant, même si cette idée nous affecte,

tout autre raisonnement serait suspect.

En réalité, le monde vit une guerre,

sans vouloir être moins inégalitaire.

Il s’accommode bien du travail précaire

comme des pollutions des terres, mers et airs.

Quelle est donc la morale de cette histoire ?

Que plus le temps avance, moins on peut croire

que les forts peuvent renoncer au pouvoir…

Mais faut-il pour autant perdre tout espoir ?

D’autres modes de pensée seraient nécessaires

pour amorcer vraiment une nouvelle ère,

où l’humain ne serait plus subsidiaire

et qui soit réellement solidaire.

i Front islamique du salut (Parti politique)

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poèmes

Gîte fluoré à l’Arcane

Par Yannick Godin

Que sur l’Armée tu condamnes pour se baiser

En ce lieu où l’on chante l’éveil, Secret.

Infini jusqu’à la Mort, les larmes de la Nuit

Dunes, prédateur vermillon modulé primal

Nectars et dimension, essaims chevaleresques

Comme sur ces geôliers infâmes, Maudits, il est Pluie

Parfumé aux liqueurs du germe de la Saveur

Condamné aux vicissitudes agglomérées

Laids spores divins, une balafre sous la cloche

Varans et Vautours déployaient l’évanescence

Mariaient les coagulations de l’Arbre

Arabesques et Stigmates comme Miroir Blanc

Quand douceur Bouillonne l’Oraison fulminate

Implosions se purifient sous l’Appel Vermeil

Ces Couleurs de l’Apocalypse éperdue

D’où nous vient le Spleen des dieux mortifiés Calcaire

Saisonnière épitaphe, succubes aux Lois

Écorce écorchée à servir Élision

Quand quantum et Vasectomie Peste, humez!

Comme Pathologie Sérums bus aux varices

S’intitulaient Croyances et Perles pitance

Compatissante Ange à gouache Métronome

À son Épée, duel des coriaces Amours

Jaspe de Minuit, source cuirasse venin rose

Nocturnes pupilles affaissées, Égorgé Bleu Ciel

Les Harmonies watts et venimeuses coulaient Verbe

Sous la chaleur, des Tombeaux souillaient Maléfiques

Les Grâces peuplées d’ivoire soluble Verglas mâts

Comme Mutile l’Éternel à butiner porcs

Et âmes et fluides distingués Évanouis

Tours du Sommeil éventrées comme Vecteurs ragés

Comme tourbillon sanitaire, le Visage métal

L’Insurrection accablante, Méandre Jarre

Désisté par l’Oubli du Pâli vertébré

Mare qui languit dûment sur Squelette étoile

L’Antérieur Mal des Vies scellant Éponymes

Comme dualité Mariée tombale marquée

Prends cette Vigne polarité douceur Animée

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pensées & réflexions

pensées

&

réflexions

Beau parleur

Par Anissa El Mardi

L’argent. On l’appelle aussi le blé, le flouz ou encore le fric. Ce petit bout de papier qui vous fait

vous sentir puissant et qui nous rend parfois exécrable, égoïste, ou a contrario généreux. Que

l’on soit adulte ou enfant, lorsque nous avons de l’argent entre nos mains, nous pensons que

nous allons conquérir le monde. Mais faites attention à l’argent car il est mesquin. Il est comme

une drogue. Au début, on est heureux d’en avoir, c’est cool. Et puis rapidement, on en veut plus.

Il nous rend dépendant. On devient prêt à faire n’importe quoi pour en avoir, même à vendre

son âme au diable quitte à en perdre sa dignité. Certains mêmes en sont venus à faire la guerre

pour de l’argent, car oui, l’argent donne du pouvoir. Ne vous y trompez pas et prenez garde.

L’argent affabule, il n’est pas votre ami, et ne vous rendra pas heureux. Malgré tout, prenez en

soin, car même s’il a bien des défauts, il a aussi une qualité : il vous fait vivre.

La vie

Par Tao Lee

La vie est courte, il faut vivre pleinement sa vie.

Être une personne épanouie et heureuse.

Il faut sortir de sa zone de confort pour se dépasser comme personne.

L’avenir va te réserver plein de bonnes choses.

Le bonheur de soi

Par Tao Lee

Apprendre à s’aimer comme on est sans changer pour plaire aux autres.

On doit continuer à faire les choses qui nous inspirent à être une meilleure personne.

Être capable de dire « NON » et de faire un bon choix pour nous.

Tu dois suivre la voie qui t’était tracé. Ne pas lâcher jusqu’à ce qu’on trouve le bonheur.

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nouvelles

Les trois-huit

Par Éric Vawga

nouvelles

Ça respire la misère, ici. C’est la réflexion que se

feraient nombre d’observateurs extérieurs.

Ça frappe à la porte. Ils se raidissent comme un

seul homme, aucun d’eux n’attend de visiteur. Cela fait

trop peu de temps qu’ils sont sur le territoire. Ils se

sont rencontrés sur la même oasis de travail. Situé en

périphérie proche de la capitale, ce cagibi appartient

au chef de chantier qui, dans sa grande mansuétude, a

daigné profiter de leur dénuement pour leur offrir un

emploi non déclaré avec jouissance d’une chambrette

sous les toits d’un immeuble à la limite de l’insalubre

au loyer prohibitif. Et si c’était la police, apportant dans

sa besace un billet : retour en arrière obligatoire avec

passage en centre de rétention, ou nécessité de fuite

perpétuelle ? C’est une idée fixe qui vous taraude du

matin au soir, quand on n’a pas ses papiers en règle.

Fausse alerte. C’est seulement la fille du

concierge, une pauvre gamine rachitique de treize

ans qui leur apporte le passe des toilettes situées

sur le palier. Heureusement, pour se laver, les bains

municipaux sont tout proches. Quoi qu’il en soit, même

si le propriétaire le désirait réellement, prêt pour cela

à lutter contre vents et marées, il n’y a pas la place ici

pour installer ne serait-ce qu’un lavabo. Tout juste

deux matelas, une glacière et une penderie contenant

les valises.

Ils travaillent comme des esclaves et cette

chambre aux murs spongieux gorgés d’humidité qui

leur sert de logement ne peut guère contenir plus de

deux personnes allongées et encore, grâce à l’absence

du moindre meuble, si ce n’est une petite étagère

hébergeant un réchaud à gaz qu’ils ont acheté en se

cotisant pour faire la cuisine de temps à autre et s’offrir

un café ou un thé chaud pour faire patienter l’hiver.

Mais, ce n’est pas grave. Encore une fois, nombre

d’observateurs extérieurs trouveraient qu’ils vivent de

manière indigne, mais eux, ne sont pas d’accord. Bien

au contraire, c’est ainsi qu’ils conservent leur dignité,

qu’ils restent droits, tête haute, sans rien demander à

personne, sans mendier quoi que ce soit à qui que ce

soit.

Chacun à leur manière ils remercient le ciel de

cette opportunité qui leur a été faite de partir de chez

eux ; passer la frontière moyennant les économies

d’une vie, voire parfois, celles d’un frère ou d’une

sœur plaçant ses dernières onces d’espoir en eux,

mais somme toute, sans y laisser un rein, un œil ou

simplement la vie. Sans oublier qu’ils ne dorment pas

dehors, ni dans le hall d’un de ces immenses foyers en

permanence surveillés par la police qui n’hésite pas à

faire de temps à autre des descentes musclées.

Mieux vaut rester philosophe, ou alors c’est

la mort. Ici, ce n’est certes pas le paradis sur terre,

l’eldorado qu’ils espéraient trouver, mais somme

toute, ils sont plus en sécurité que là d’où ils viennent.

Le bonheur n’a de toute façon rien à voir avec leur

présence ici.

Ils ont entre dix-sept et trente ans. Ils forment

une belle brochette tous les trois, un Algérien, un

Malien et un type venu des pays de l’Est ; les deux

autres n’ont pas très bien compris d’où exactement,

il a tellement voyagé et tellement bu aussi, que bien

souvent, ses propos sont incohérents, mais, à nouveau,

qu’importe. Il paye sa part comme les autres. D’au

temps que c’est lui qui travaille de nuit, lui qui permet

de faire les trois-huit afin que chacun puisse bénéficier

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nouvelles

nouvelles

d’une plage de repos approximativement normale. Il

arrive parfois même que la chambre reste vide, que les

uns comme les autres travaillent vingt-quatre heures

d’affilée. Ça provoque toujours un sentiment mitigé.

Un mélange de désespérance causée par le surcroît

d’épuisement et de joie à l’idée de la manne financière

supplémentaire qui, peut-être, tombera comme un

cadeau de Dieu. Peut-être, car on ne sait jamais. On

ne sait jamais si la liasse donnée à la fin du mois sera à

la hauteur des efforts fournis. Apparemment, plus que

les heures de travail fournies en amont, cela dépend

du bon vouloir, de la bonne humeur de l’employeur, ou

de l’absence d’un plus miséreux qu’eux qui serait tout

aussi compétent et, il y en a, ils le savent. Alors, ils se

taisent. Que pourraient-ils faire de toute façon ? Que

vaut la parole d’un immigré sans papiers, sans attache,

seul sur le lieu d’exil, maitrisant, pour certains d’entre

eux, à peine la langue de la loi que nul n’est pourtant

censé ignorer, contre un employeur ayant pignon sur

rue ?

Aujourd’hui c’est dimanche, mais pour eux ce

n’est que rarement un jour différent des autres, sauf

lorsque l’on sait avec certitude que l’inspection du

travail va pointer le bout de son nez. Ça, c’est si les

personnes concernées n’ont pas touché une somme

suffisante. Sur un chantier judicieusement géré, cela

n’arrive généralement pas. Le travailleur au noir ne

connait ni les horaires fixes ni les week-ends, ni les

jours fériés, ni les congés payés ; il ne connait que le

travail ou l’absence de travail et naturellement, il vaut

mieux se confronter au travail. Pourquoi seraient-ils

là sinon ? Pourquoi auraient-ils quitté famille et amis

? Pour connaitre les rigueurs de l’hiver européen ?

Connaitre les joies de partager à trois une misérable

pièce de cinq mètres carrés aux murs suintants

d’humidité, puant le moisi et laissant la part belle au

vent qui s’engouffre par une fenêtre aux jointures

obsolètes, dans laquelle ils se relaient avec une

précision d’horloger ? Non, simplement pour échapper

à la guerre, à l’innommable pauvreté qui teinte comme

un ventre vide, à l’enrichissement du plus gros au

détriment de tous les autres, à la mort. Pour ce faire, ils

ont donc tenté le tout pour le tout et se sont précipités

en direction de l’œil du cyclone, espérant y trouver

plénitude, sérénité, espoir. Que nenni.

Alors c’est comme ça, ils font les trois-huit, se

relayant les uns les autres en une incessante danse

ponctuée de présence et d’absence dans ce cagibi qui

les sauve de la violence de la rue, l’esprit et le corps

programmés pour survivre, économiser, mettre

de l’argent de côté en pensant à la famille restée làbas

dont le souvenir et la pression constante sont

omniprésents, arpentant comme des funambules le

maigre fil séparant le légal du nécessaire.

Derechef, tout ça n’est pas grave. Ils sont au

clair avec eux-mêmes. Tout cet inconfort, toute cette

humiliation ne sont que transitoires. Parfois, quand

même, ils doutent et leur regard se teinte d’un voile

d’angoisse.

Pour les pères, grands-pères, cousins proches ou

éloignés aussi, c’était provisoire. Pourtant, sans cesser

majoritairement d’alimenter leur univers originel

d’une manne financière bienvenue, faisant construire

par correspondance des maisons inachevées, ils ne

sont, si ce n’est par à-coups, jamais vraiment rentrés.

Et, même après une tentative de reconstruire

brique par brique leur perception du monde dans ce

lieu d’exil, déguisant une vie d’errance, d’itinérance

intérieure, sous le couvert d’une pseudo stabilité

sédentaire, lorsque leurs corps vieillissants les ont

ramenés inéluctablement au point de départ en vue

d’affronter la mort avec dignité, ce n’était plus eux, déjà

disparus qu’ils étaient depuis des années, annihilés

en faveur d’un être hybride dénué d’appartenance

géographique, finissant par mourir en tant qu’enfants

de nulle part.

Cora est dyslexique

Par Gavriel Howard Feist

Cora était une petite fille triste. Assise dans

le fond de la classe, elle avait le cœur serré de voir la

plus seulement sur le panneau rouge, mais également

sur le tableau des étoiles.

maîtresse déplacer une étiquette, portant son prénom,

du panneau vert au panneau rouge. La maîtresse

appelait ça, le tableau du comportement. Pourtant,

Cora n’avait pas fait de bêtise. La petite fille n’avait tout

simplement pas compris la consigne de l’exercice.

— Il y a trois colonnes sur ce tableau, avait

expliqué la maîtresse en le tapotant du bout de sa

longue règle. Les meilleurs d’entre vous, ceux qui

obtiendront de très bonnes notes aux évaluations,

auront leur prénom écrit dans la colonne à trois étoiles.

Cora était dyslexique.

Ceux qui ont encore des progrès à faire seront dans la

colonne à deux étoiles.

Ce n’était pas de sa faute si les lettres se

mélangeaient dans sa tête. Parfois, elle avait — Et les nuls seront dans celle à une étoile?

l’impression de faire du rodéo avec des mots demanda un élève en levant la main.

indisciplinés. Elle chevauchait dans des champs où

l’herbe était tellement haute que la petite fille ne

voyait pas où aller. Ces champs-là, on les appelait les

— Disons qu’il s’agit de la colonne de vos

camarades les plus en difficulté, répondit la maîtresse.

champs grammaticaux et lexicaux. Être dyslexique,

c’était comme faire du cheval, sans les rênes, dans des

endroits inconnus.

Tous les élèves se tournèrent vers Cora en

ricanant. La petite fille se sentit humiliée. Pourquoi

fallait-il que la maîtresse répertorie ses élèves par

Cora avait besoin de plus de temps que les

autres élèves pour déchiffrer les mots... Et plus de

temps encore pour comprendre le sens de la phrase.

niveau? Et surtout, pourquoi voulait-elle absolument

les afficher devant tout le monde? Ne pouvait-elle pas

garder ces listes pour elle et s’adapter à chaque élève?

Elle n’y était pour rien, mais ça n’avait pas empêché

la maîtresse de mettre son prénom sur le panneau

rouge. Voyant tous ses camarades de classe terminer

l’exercice avant elle, la petite fille s’était refermée

sur elle-même. La maîtresse avait pris ça pour de la

paresse.

Toutes ces questions tournaient en boucle dans

sa tête. Tant et si bien qu’elle ne prêta guère attention

aux remarques des élèves dans la cour qui, une fois

encore, se moquaient d’elle. Néanmoins, il y avait

quelqu’un qui, derrière ses petites lunettes rondes,

observait avec intérêt cette scène désolante.

Cora posa une joue sur son poing et soupira

lourdement. Les autres enfants allaient encore une fois

se moquer d’elle à la récréation.

Ce week-end-ci, comme tous les autres weekends,

se passa merveilleusement bien, car Cora

s’adonnait à ses deux plus grandes passions. La petite

Le lendemain et les jours suivants, les choses

recommencèrent. Le prénom de Cora ne se retrouvait

fille était une remarquable danseuse et une clarinettiste

hors pair. Pour son jeune âge et d’aussi loin qu’elle s’en

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souvienne, elle avait toujours excellé dans les arts de la

nulle et ce, uniquement parce que son étiquette se

Il réajusta ses lunettes sur son nez, puis annonça:

une élève.

danse et de la musique. C’était une artiste née, capable

trouvait dans la colonne à une étoile.

«Écoutez-moi bien, les enfants! Votre maîtresse va vous

de transformer chaque mouvement et sonorité en

lire la consigne d’un exercice, puis elle va vous donner

Le directeur sortit une autre feuille de papier

émotions. La petite fille était vraiment très douée et ne

La petite fille sentit alors une présence

la réponse à ce problème.» Sur ces mots, le directeur

de sa poche, la déplia devant la maîtresse et tous les

cessait de progresser, faisant la fierté de ses parents et

protectrice derrière elle. En se retournant, elle vit un

tendit la feuille de papier à la maîtresse. Elle lut d’abord

élèves, puis la lut à son tour:

de ses professeurs.

homme au crâne dégarni, portant une cravate rayée et

le texte pour elle-même, les sourcils froncés, puis

de petites lunettes rondes se tenir près d’elle.

regarda ses élèves en rougissant. Durant un instant,

— Sophie possède huit recettes différentes de

Cora était une petite fille curieuse et intelligente.

Cora eut l’impression que les yeux de la maîtresse

gâteaux et sa cousine en a autant qu’elle. Combien de

Seule sa maîtresse semblait ne pas s’en rendre compte

— Bonjour Monsieur le Directeur, dit Cora,

allaient lui sortir de la tête tant elle les écarquillait. Le

recettes détiennent-elles à elles deux?

et ça minait le moral de l’enfant. Chaque dimanche,

surprise.

directeur la pria d’en faire la lecture à haute voix, afin

dans son petit lit douillet, Cora éprouvait un terrible mal

que toute la classe puisse l’entendre:

— Seize, répondit aussitôt Cora!

de ventre à l’idée de retourner à l’école le lendemain.

— Bonjour Cora, répondit-il de sa voix douce.

Qu’est-ce qui te tracasse?

«Sophie pousse aide huitre cette dix errantes

— C’est très bien, la félicita le directeur. Je vois

Le lundi matin, Cora fit à nouveau les frais de la

deux gâteux et ça cousine et Nano temps quelle.

que tu es très forte en calcul mental. Il déplaça alors

mauvaise humeur de sa maîtresse. Cette dernière se

— Oh, rien, mentit la petite fille en baissant les

Combien d’heure cette d’Étienne telle ça aile d’œufs?»

l’étiquette de Cora dans la colonne à trois étoiles, puis

tenait devant la table de la petite fille, les lèvres pincées

yeux! Tout va bien.

ajouta à l’attention des autres enfants:

et les paupières plissées. Du bout du doigt, elle tapotait

La maîtresse cligna des yeux, lisant et relisant le

le cahier d’exercices en disant:

— À ton âge, les enfants devraient jouer, discuter

texte dans sa tête, mais ne parvenant pas à en saisir le

— La consigne que je viens de lire est celle que

et rire durant la récréation. Tu sais que tu peux me le

sens. Elle lança un regard interrogateur au directeur,

votre maîtresse a essayé de déchiffrer.

«Ce n’est pas normal qu’une élève de neuf ans

dire si quelque chose ne va pas, n’est-ce pas? Tu peux

puis lui confia:

ne sache pas résoudre ce problème.»

me faire confiance, Cora. Je suis là pour t’aider.

J’espère que vous comprenez maintenant qu’être

— Je ne comprends pas, Monsieur le Directeur.

dyslexique, ce n’est pas être bête. D’ailleurs, saviez-

Cora sentit les regards amusés de tous ses

La petite fille éclata en sanglots et le directeur de

vous qu’Albert Einstein, le plus grand savant de toute

camarades se poser sur elle. Pourtant, à la maison,

l’école la prit dans ses bras en la réconfortant:

— Ce n’est pourtant pas normal qu’une

l’Humanité, était lui-même dyslexique?

la petite fille avait su trouver la réponse à ce genre

institutrice ne sache pas résoudre ce problème,

d’exercice. Avec sa maman, elle avait appris toutes ses

«Allons, allons... Raconte-moi tout.»

annonça le directeur en allant écrire le prénom de la

— D’accord... D’accord, je reconnais que certains

leçons et avait su les réciter par cœur, mais devant la

maîtresse dans la colonne à une étoile.

élèves ont du mal à comprendre les consignes, mais...

maîtresse, Cora perdit tous ses moyens. Elle était alors

Lorsque les élèves retournèrent en classe, la

incapable de lire convenablement la consigne écrite

maîtresse fut surprise de voir que le directeur les

Tous les élèves, à l’exception de Cora, se mirent

— Pourquoi enseignez-vous? demanda le

sur son cahier.

accompagnait. Celui-ci fit asseoir les enfants dans le

à rigoler.

directeur en l’interrompant.

calme, se pencha sur le tableau aux étoiles pour l’étudier

La sonnerie annonçant le début de la récréation

quelques instants, puis demanda à l’enseignante:

Certains chuchotèrent que la maîtresse méritait

— Et bien... Je... Je ne sais pas, Monsieur le

libéra brusquement Cora du regard noir de la

le bonnet d’âne. Le directeur les fit taire, puis expliqua:

Directeur... balbutia la maîtresse, mal à l’aise. C’est que

maîtresse. Cependant, son calvaire n’était pas encore

— Est-ce que ça vous ennuierait que je m’adresse

vous me prenez au dépourvu.

fini, car elle savait que dans la cour, les railleries

à vos élèves?

— Votre maîtresse a bien du mal à comprendre

allaient recommencer.

la consigne, alors qu’elle aurait déjà dû me donner la

— N’avez-vous pas abordé le problème du

— Vous êtes le Directeur, répondit la maîtresse

réponse à ce problème. Elle n’est pourtant pas bête.

harcèlement scolaire avec vos élèves?

Elle s’isola donc des autres enfants et fut

d’un air guindé. Je vous en prie.

Seulement, elle vient d’être confrontée à ce que vit une

surprise de constater qu’aucun d’eux ne chercha à

personne dyslexique au quotidien.

— Bien sûr que je leur en ai parlé, s’enorgueillit

l’embêter. Ses camarades de classe avaient pourtant

— Je vous remercie, dit le directeur en sortant

la maîtresse! J’ai à cœur d’appliquer les directives du

pris l’habitude de lui rappeler à quel point elle était

une feuille de papier de la poche de son pantalon.

— C’est quoi une personne dyslexique? demanda

Ministère à la lettre.

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— En parler est une bonne chose, mais ça reste

des mots creux et vides de sens s’ils ne sont pas suivis

par les actes.

— Je ne comprends pas ce que vous essayez de

me dire, Monsieur le Directeur.

— Ce genre d’affichage ne sert qu’à dévaloriser

les enfants. Or, un enfant ne peut acquérir l’autonomie

qu’en étant valorisé. Ne cherchons-nous pas à rendre

les enfants autonomes?

— Mais, Monsieur le Directeur...

— En soi, cet affichage est déjà une forme de

harcèlement. De plus, je peux vous assurer qu’il n’y a

aucune bienveillance à accrocher des listes de niveaux

(il fit des crochets avec ses majeurs et ses index en

prononçant ce mot) dans la classe, à la vue de tous.

Je vous répète donc la question: pourquoi enseignezvous?

— Et bien, pour... Heu... Je...

Rouge de honte d’avoir été ainsi humiliée devant

tous ses élèves, la maîtresse sentit les larmes lui monter

aux yeux. C’était donc ça que Cora ressentait! La petite

fille ne méritait pas d’être réprimandée, parce qu’il lui

fallait plus de temps que les autres pour déchiffrer une

consigne. La maîtresse venait d’en faire l’expérience,

comprenant que lorsque les lettres et les mots se

mélangent et n’en font qu’à leur tête, il était parfois très

difficile de comprendre le sens d’une phrase.

Être une élève dyslexique, ce n’était vraiment

pas amusant, surtout lorsque l’adulte sensé se montrer

compréhensif et aidant refusait de s’adapter à l’enfant.

La maîtresse venait de prendre conscience de ses

erreurs et, traversant la salle à grands pas, décrocha le

tableau du comportement, puis celui des étoiles. Elle

les mit dans la poubelle en promettant à ses élèves de

ne plus jamais pratiquer d’affichage par niveaux. Après

tout, ça n’avait aucun sens.

Pire que ça, mettre des élèves dans des cases

était le meilleur moyen de leur faire perdre confiance

en eux.

— C’est pour eux que j’enseigne, affirma-t-elle

au directeur en montrant les enfants d’un geste de la

main, pour chacun d’entre eux et ce, quelles que soient

leurs singularités. C’est à moi de m’adapter aux élèves

et non pas l’inverse.

— Je suis heureux de vous l’entendre dire,

approuva le directeur. Il est parfois bon de se mettre

à la place des élèves pour comprendre ce qu’ils

vivent et réaliser à quel point, nous, les enseignants,

pouvons nous montrer maltraitants. Lutter contre le

harcèlement, ça commence par remettre en question

ses méthodes d’enseignement.

Avant de quitter la classe, le directeur fit un

clin d’œil à Cora, puis referma la porte derrière lui. La

petite fille se sentait soulagée d’un poids énorme. Elle

avait l’impression qu’il lui était soudainement devenu

plus facile de respirer.

Elle sut que, désormais, les choses iraient mieux

et que la maîtresse se montrerait attentive au bien-être

de tous les élèves de la classe.

À partir d’aujourd’hui, Cora serait reconnue

pour ses capacités et non plus pour ses difficultés.

Après tout, n’était-elle pas une enfant comme

les autres?

De paire

Par Ivanna Kretova

Le spécialiste finit sa conférence sur le tabac et Enfin, il finit ses derniers trois quarts d’heure,

sortit du bâtiment avec un sourire. Il était le dernier entièrement consacrés aux conséquences sur la

à quitter la salle. Une conférence très bien organisée, psychologie et le corps humain. C’est-à-dire un

argumentée et par la suite, appréciée par le conseil de grand risque de faire un infarctus, de finir sa vie par

direction. Il savait que ses méthodes de présenter leur le cancer, ou d’avoir des malformations d’un enfant

auraient plu. Mais cela n’aurait pas été possible sans accouché du type bec-de-lièvre. Il avait bien souligné,

son diaporama clairement structuré, minutieusement plusieurs fois même, tout en restant lucide, que la

réfléchi et abouti qu’il a projeté pendant une heure et cigarette et la dépression vont généralement de pair. «

demie de la conférence.

Oui, la cigarette et la dépression vont de pair !» avait-il

annoncé aux spectateurs et au conseil de direction.

D’abord, il attira l’attention du public en

énumérant les situations qui nous mettent en erreur Donc maintenant que c’était fini, le spécialiste

de fumer. Notamment, il parla des soirées entre sortit de la salle. Le soleil brillant l’aveugla pour une

nombreuses personnes où les jeunes sont exposés minute. Maintenant que c’était fini, il inspira et expira,

à « l’indépendance » et où ils décident d’essayer de soulagé. Et en même temps, c’était le moment de se

nouvelles choses. Il évoqua évidemment l’effet de rappeler de toutes les choses qu’il devait encore

groupe et les défis lancés, où l’on ne veut pas perdre, terminer au travail, des petits problèmes qui faisait

en rappelant la volonté de limiter le stress qui est un seul, grand comme la poubelle qui puait chez lui

omniprésent dans notre monde actuel.

depuis déjà une semaine.

Sa deuxième partie concernait les différentes Alors, il sortit une cigarette qu’il alluma aussitôt.

façons de fumer et les composants toxiques de la

cigarette : l’acétone, un dissolvant, le méthanol,

utilisé comme carburant pour fusée, la nicotine, qui

sert comme insecticide dans l’agriculture (ceci dit,

certaines personnes du public ont prononcé un « ah

»), le monoxyde qui est un gaz d’échappement, sans

oublier l’acide cyanhydrique qui était employé dans les

chambres à gaz.

L’image des chambres à gaz devait parler et

interpeler tout le monde. L’idée d’englober, d’engloutir

ce qui servait pour tuer des milliers de juifs lors de la

déportation, tous ces éléments qui paraissent absurdes

à avaler, devaient donner la chair de poule.

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Le roi des cons

Par Jean-Marc Sire

Un jour de trop

Par Jean-Philippe Sedikhi

— Hé, mec, ton café… il est pas bio !

compassion, je venais de lui offrir un café...

Marie observait le petit jouer. Paul était

Lors de leurs conversations, son père demandait

complétement absorbé par son jeu, il semblait

rarement des nouvelles de celui qu’il avait baptisé « ton

Je crois bien que c’était la première fois que je

— Et si en plus je vous donne mon brownie, vous

fabriquer une sorte de tour en empilant des briques de

chômeur ». Sa mère l’avait gratifié d’un « maintenant

me faisais interpeller par quelqu’un à qui je venais

me fichez la paix ?

gros légo. Une fois son édifice achevé, il s’empressait de

je ne te dois plus rien » en lui remettant le chèque

d’offrir un peu de réconfort. Pourtant, avec le froid

le balancer par terre, pour le détruire, dans des grands

qui les avait aidé à payer la caution de leur premier

qui soufflait sur Paname, le pauvre hère aurait dû se

— Ça marche !

éclats de rire. Dans sa chambre, régnait un véritable

appartement. Elle devait se débrouiller seule et lui

morfondre en remerciements, même muets, et profiter

capharnaüm. Marie le couvait d’un œil attendri, tout en

faire face. Hervé énervé commençait à s’acharner sur

de la chaleur que le gobelet renvoyait vers ses mains.

Certaines leçons n’ont pas de prix. Dès demain,

pensant à la séance de rangement qui s’en suivrait et qui

la porte. Marie était tellement affolée qu’elle trébucha

Mais non, suspicieux, il avait ôté le couvercle pour

je recommence à lui filer ma menue monnaie.

n’épargnerait pas son dos endolori. Elle, était fatiguée

sur la boîte à outils, qu’elle avait sortie pour réparer, la

humer les volutes de vapeurs qui s’élevait dans l’air

de sa journée et ne voulait pas trop trainer. Elle alla le

poignée de la salle de bain. Celle-ci lui était restée dans

glacé de février et scruter avec attention le bandeau en

chercher et l’installa pour le repas, puis alluma le poste

les mains après le bain de Paul. Monsieur Durand son

carton qui servait d’anse, à la recherche d’un logo vert

de radio, sans vraiment porter attention au reportage

voisin, sortit sur le palier pour raisonner Hervé, qui

prompt à le rassurer…

diffusé, qui concernait un refuge pour animaux. Elle

en retour l’insulta copieusement. Marie décida de le

servit Paul qui la fixa et lui lança, avec un grand sourire

faire entrer pour éviter que les choses ne dégénèrent.

— C’est parce que je suis pauvre, c’est ça ? Alors

« t’entends minou ». Elle resta bouche bée, les yeux

Ils traversèrent le couloir et allèrent s’installer dans

moi, je peux boire un truc rempli de pesticides ?

embués, ça y est, il avait décidé de se mettre à parler. En

la cuisine, il posa le cadeau sur la table. « C’est un

faisant la vaisselle, elle était encore toute bouleversée,

hélicoptère… tu vois je n’ai pas oublié l’anniversaire du

— Écoutez, je viens de l’acheter au Starbucks, je

quand Hervé sonna à l’interphone.

petit » balbutia-t-il. Elle le dévisagea, incrédule. Cela

ne pense pas que ce café soit dangereux pour qui que

ne le découragea, dans sa tentative de lui soutirer de

ce soit…

Au son de sa voix, elle compris qu’il avait bu.

l’argent. Il avait besoin de 100 ou 200 euros, pas grand

Elle sentit soudain la peur l’envahir L’alcool le rendait

chose, c’était, prétexta-t-il, pour payer son loyer, il la

La silhouette hirsute emmitouflée dans sa

fou. La dernière fois, elle l’avait supplié « pas devant

rembourserait à la fin du mois, son nouveau patron lui

couverture rongée par les brûlures de cigarettes me

le petit ». Mais les claques et les coups avaient tout

avait proposé de faire des heures supplémentaires. Elle

dévisagea longuement avant de secouer la tête en signe

de même jailli, même lorsqu’elle était au sol, même

refusa net. Elle lui avait servi de femme de cuisinière

de réprobation.

lorsque le petit pleurait… Elle savait au fond d’elle,

et de banque, mais là c’était fini. Elle se leva pour aller

qu’elle ne pouvait compter que sur elle pour faire

voir s’ils n’avaient pas réveillé le petit. Lorsqu’elle

— Vous devriez faire plus attention à votre santé.

face à la situation. Elle ne pouvait espérer aucune

retourna à la cuisine, celle-ci était vide. Elle le surprit,

Quand on a la chance d’être un monsieur bien comme

aide de ses parents. Ils l’avaient averti. Mais elle s’était

dans le couloir en train de secouer violemment son

vous, avec de beaux habits et l’air classe, il faut savoir

entêtée. Lorsqu’elle l’avait rencontré, Hervé paraissait

sac, dont le contenu se retrouva éparpillé au sol. Elle

prendre soin de sa personne. Je parie qu’en plus, vous

tellement différent des gars de la vallée. Marie qui ne

l’insulta et reçu une gifle qui la projeta par terre. En

avez ajouté du sucre ?

voulait pas une vie identique à celle de sa mère : une vie

s’écrasant sur le sol, elle sentit, tout contre son dos un

coincée entre la cuisine et le ménage, se laissa séduire

objet, elle l’attrapa et le frappa avec par réflexe. Sous

Je mis quelques instants avant de comprendre,

par ce garçon si attentionné et si délicat. Ce choix avait

le choc il s’effondra à son tour. Elle lâcha le marteau

me demandant ce que Bon Dieu j’avais bien pu faire

fortement déplu à ses parents. Ils n’étaient pas venus

ensanglanté, se rua sur lui et tenta de l’étrangler,

pour que le poivron du coin ait choisi de me pourrir la

au mariage, et avaient espacé leurs visites puis leurs

Hervé essayait vainement de se débattre. Elle attrapa

vie dès 7h00 du matin, alors que dans un geste de pure

coups de téléphone lorsqu’Hervé avait été licencié.

alors un sachet plastique qui traînait sur la commode

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du couloir et lui enveloppa la tête dedans. Au bout de

A minuit, elle sortit dans le jardin, prit son

un petit potager, afin de soulager un peu son budget.

« Je suis désolé, annonça-t-il, mais j’ai une

longues secondes, ponctuées par une série de spasme,

courage à deux mains et se mit à creuser. Elle y mit

A 18 h Mickaël alla frapper aux carreaux de la baie

mission urgente à effectuer. On va faire une pause. Je

Hervé ferma les yeux et se figea. Elle se mit à pleurer et

toute sa fougue et tout son entrain. Au bout de cinq

vitrée pour l’avertir que son gazon était planté. Il lui

ne vous mets pas en garde à vue, mais vous allez devoir

s’écroula sur le sol. Un instant plus tard elle essaya de

minutes, elle s’arrêta pour reprendre son souffle. Elle

rappela de l’arroser régulièrement par pluie fine. Elle

revenir demain pour terminer votre déposition et

réfléchir à la situation. Que fallait-il faire. Qui appeler

était en nage, sa nuque et son dos étaient trempés. Le

n’écoutait pas vraiment les conseils qu’il lui prodiguait,

signer vos aveux ».

? Elle se décida, puis composa le numéro de la police,

ciel se mit à gronder, elle leva la tête et s’essuya le front.

son esprit était ailleurs, elle lui sourit et le remercia.

mais se ravisa aussitôt.Marie regagna la cuisine et se

Soudain une averse torrentielle s’abattit sur elle et en

Elle était épuisée par sa nuit. La veille en rentrant

Marie fut déroutée mais elle se résigna devant

servit un verre de vodka ; de là où elle était assise, elle

un rien de temps elle se retrouva trempée jusqu’aux os.

chercher les ciseaux, elle avait fini par changer d’avis

l’insistance du policier.

pouvait voir dépasser les jambes de celui qui avait été

Au moment de verser la chaux elle s’aperçut, que dans

et avait chargé les sacs dans sa voiture. Elle s’était,

son ex –mari. Elle se resservit un deuxième verre de

la panique, elle avait oublié les ciseaux pour ouvrir le

ensuite rendu dans plusieurs forêts pour les enterrer.

Le lendemain lorsque le policier la reçut, il lui

vodka. Il fallait que ce corps disparaisse. Elle se leva

sac. Elle retourna à la maison. Au petit matin un bruit

Les années passèrent sans qu’une seule journée, ne

annonça qu’il était désolé mais qu’il ne pouvait prendre

et tira le cadavre jusqu’à la salle de bain, l’installa dans

de moteur la sortit du sommeil. Elle jeta un oeil sur son

s’écoula sans repenser à cette macabre soirée.

les aveux car l’affaire était prescrite depuis la veille, il

la baignoire, alla chercher la caisse à outils, l’ouvrit et

réveil qui indiquait 10 Heures. Elle attrapa sa chemise

ne pouvait plus y avoir de poursuite.

récupéra la scie à métaux, puis se mit au travail. Au

et la jeta sur ses épaules puis se dirigea vers le salon et

Depuis que Paul avait pris un travail en province,

bout de plusieurs heures d’effort, elle avait rempli 8

ouvrit le volet de la grande baie vitrée, qui donnait sur

la maison était bien vide et si silencieuse, elle avait pris

sacs poubelle, qu’elle décida de descendre à la cave. Le

le jardin. Elle aperçut, alors Michaël qui était en train

l’habitude de laisser la télé allumée en permanence.

lendemain, elle s’arrangea pour terminer plus tôt. Elle

de passer le motoculteur. Les deux mains campées sur

Juste avant le programme du soir, le téléphone sonna.

avait prétexté, à la surveillante cheffe Mme Pichard

la machine, progressant facilement à travers la terre

Elle coupa le son et laissa l’image. C’était Paul, elle lui

qu’elle ne se sentait pas bien. Celle-ci lui avait trouvé «

particulièrement molle. Il l’aperçut à son tour, et lui fit

souhaita un bon anniversaire, avec un jour d’avance.

un air palot », et l’avait autorisé à rentrer chez elle, en lui

un signe de la main et lui sourit. Elle répondit à son

Chaque semaine son fils l’appelait pour lui donner

conseillant d’aller se reposer. En quittant son service à

sourire en se mordant le coin des lèvres. Il avait déjà

des nouvelles. Il semblait satisfait de sa situation,

l’hôpital, Marie fit un crochet par la zone commerciale.

bien avancé et n’était plus qu’à une dizaine de mètre de

son travail lui plaisait, le salaire n’était pas trop bas et

Elle ne se lassait jamais du trajet qui longeait la forêt

la parcelle de terre qu’elle avait fraîchement remuée

l’ambiance était plutôt bonne. Elle était soulagée. Juste

domaniale. Elle repensait aux dernières vacances

la veille ; sur laquelle venait de se poser un corbeau.

avant qu’il ne raccrocha elle jeta un coup œil machinal

qu’ils avaient partagés, à leur rencontre avec une biche

L’oiseau fouillait le sol, à l’aide de son bec et de ses

sur l’écran et aperçu un visage familier, elle reconnut

perdue apeurée, un après-midi où ils avaient étés

griffes. Marie alla chercher ses sandales dans le placard

la mère d’Hervé, qui semblait effondrée. Elle écourta

surpris par la foudre en plein massif de la chartreuse.

coulissant du couloir et sortit dans le jardin.

l’appel mit le son et regarda l’émission qui parlait des

Elle n’avait jamais vue la foudre d’aussi prés. Soudain

personnes disparues. Le lendemain elle se rendit au

une idée la sortit de sa rêverie. Elle trouva rapidement

« Arrête ta machine et viens boire un café » lui

commissariat pour avouer son crime. Le lieutenant

une place sur le parking à proximité du magasin de

adressa-t-elle avec un sourire un peu forcé. Il coupa le

qui recueillait ses aveux la considéra d’un drôle d’air.

bricolage.

moteur et ôta son casque antibruit.

Dans un flot de paroles, elle lui raconta comment un

garçon prévenant, drôle et intelligent pouvait peu à

Elle repartit du magasin, avec un sac de chaux de

— Hein ?

peu changer de visage. Entre deux sanglots, elle lui

25 kilos. Le vendeur du rayon, un type, d’une trentaine

— Bonjour, je te propose de venir boire un café.

résuma ses deux années d’humiliation et de violence

d’année qui semblait passer beaucoup de temps à la

quotidienne. Au fur et à mesure du récit il se grattait

salle de musculation, avait insisté pour porter le sac,

Une fois attablé, son beau frère lui demanda ce

nerveusement la tête. Il l’interrompit au milieu de

jusqu’à sa voiture et en avait profiter pour lui glisser

qu’elle avait planté à l’autre extrémité du jardin. Cela

ses déclarations pour lui demander de préciser la

son numéro. Dans d’autres circonstances ce type lui

l’intriguait, car elle avait toujours dit qu’elle désirait

date des faits. Il s’arrêta un instant semblant réfléchir

aurait plu, mais là elle n’était pas du tout d’humeur, à

planter un gazon japonais ; ce qui lui permettrait

plongé dans ses pensées. Au bout d’une demi-heure

se laisser séduire.

d’avoir un jardin fleuri nécessitant peu d’entretien. Elle

de déposition, il s’arrêta net de taper, puis regarda sa

lui répondit que tout réfléchi elle avait décidé de faire

montre.

Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes

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Printemps/Été 2019 • Nº1 • Revue Coeur de plumes



nouvelles

nouvelles

À l’instar, hier, du nègre, du youpin et du pédé,

l’artiste doit justifier du fait même qu’il respire. Et, c’est

bien connu, en ces temps où l’argent est roi et le travail

habilement vendu tel une source d’épanouissement,

écrire, sculpter ou composer de la musique relève de

l’oisiveté, du parasitage. Et les parasites, ça se traite. Au

spray ou à la chambre à gaz, ici ou en Pologne.

C’est qu’il les vomit, ces fichus rebelles, l’esclave

soumis ignorant jusqu’à sa condition servile, ces

vrais insoumis, ceux-là, qui lui rappellent sans cesse

que vivre, ce n’est pas pointer à l’usine, répéter des

tâches administratives ingrates derrière un bureau ou

s’entasser dans le métro avec d’autres captifs salariés.

Non, ce n’est pas parce que le denier a été

remplacé par la fiche de paie et le bol de riz par le droit

de développer un cancer de la peau sur une plage de la

Côte d’Azur, que ces gens sont libres. Ils sont juste plus

inconscients, amnésiques et aliénés.

Mais le servage a été aboli, objectera quelque

ilote.

Et quels changements, en effet, ont été opérés

! Le nègre est maintenant appelé Noir, y gagnant une

majuscule, du moins tant qu’il sacrifie aux dieux

du consumérisme, engoncé dans son pantalon de

survêtement fluo. Le youpin est désormais un juif,

pas si fier de l’être depuis qu’il a troqué, honteux, la

synagogue pour la Silicon Valley. Quant au pédé, il

est devenu gai, en tout point fréquentable entre deux

prises d’antidépresseurs.

Nombreux sont les artistes qui sont rentrés dans

le rang, légion ces écrivains, aussi, dont les royalties

Écris

Par Marc Legrand

ont tari et rogné la plume comme les barreaux d’une

cage finissent par attendrir le cuir des fauves et à en

limer les griffes et les crocs.

Il en est toutefois qui n’ont pas capitulé, qui

préfèrent un peu de liberté au faux confort des maisons

individuelles qu’une décision dans l’intérêt collectif du

troupeau peut démolir en trois secondes. Contre une

compensation financière, naturellement.

Oui, il ne tient qu’à toi, paria qu’aucune loi ne

protège, de ne pas baisser pavillon. Crie, écris, et ne

t’arrête pas de hurler. Dis-leur les couleurs que tu

arbores, qui tu es et, surtout, que tu es encore, ne leur

en déplaise, toujours et à jamais. Et qu’il leur faudra te

tuer pour te faire taire. Rester un homme est à ce prix.

saviez-vous que ?

Le plus long poème du monde nous provient de l’inde. Le

Mahâbhârata, ou littéralement, « La Grande guerre des

Bharata», ou, « La Grande Histoire des Bharata », est une

grande épopée sanskrite. Avec un total de 250.000 vers,

c’est un poème de 81 936 strophes répartis en 18 livres.

C’est pour une surprenante histoire épique d’une guerre

pour un trône entre les Pândavâs et les Kauravâs. Et tout

comme dans les mythes grecs, les dieux ne se gênaient

pas pour intervenir sur le champ de bataille, où même des

femmes guerroyaient pour leurs princes.

Malheureusement, l’Histoire n’a pas gardé le nom de son

auteur, mais selon la mythologie indienne, c’est le dieu

Ganesh lui-même qui en serait l’auteur. Néanmoins,

le Mahâbhârata reste le texte le plus sacré de la religion

hindoue en Inde et le plus long poème jamais écrit.

Transition pathologique

et éphémère

Par Thaïs Andreani Pertica

C’est de notre âge, de vouloir changer d’ère. On tes cheveux brossés et teints sont tout blancs pardessous,

que tes rides sont bien là, malgré tes crèmes à

attaque un vingt et unième siècle de misère. Le ciel est

tout le temps gris, même quand il est bleu. Ça s’appelle la graisse de baleine. Pourquoi tu ne te sens pas fraîche

pollution. On râle, pour tout, sauf pour ça. Qu’importe ? Pourquoi ton téléphone a-t-il coûté la santé ou la vie

? La Terre va supporter nos imbécilités. C’est ce que des malheureux qui triment pour que toi tu frimes ?

tout être humain se dit pour se consoler devant sa

télévision.

Et toi, lecteur, tu lui jettes la pierre, à cette

gonzesse hypocrite et mauvaise, qui profite de ce que

Madame Vidal s’emmitoufle dans son manteau sa place dans ce monde lui a offert, au détriment d’un

de fourrure. Si chaud, si seyant. Un bel achat, se ditelle.

Pourtant combien de bêtes a-t-il fallu déposséder

hémisphère ?

de leurs vies pour le confort de cette dame ? Elle Madame Vidal, c’est moi, c’est toi, c’est nous.

mange bio-bio, des avocats du Pérou et des mangues Tous coupables.

du Brésil. C’est tellement bon. Elle travaille la journée

dans une banque, et le soir, parfois, elle va déposer ses

vêtements usés à la Croix Rouge. C’est bien. C’est bien

Madame Vidal. Vous dormirez tranquille. Grâce à vous,

une femme qui vit à la rue aura un sac Longchamp juste

un peu décousu au niveau des anses. Quelle classe.

C’est dur, on le sait tous, d’être intègres. On

aimerait se lever le matin, ne faire que des choses «

bien », se laver en conscience, couper l’eau, avoir un

savon écolo, éteindre la lumière en sortant de la pièce,

mais prendre un bain bien chaud le plus souvent

possible, avoir des illuminations de Noël dans tout le

jardin que l’on arrose avec de l’eau potable, se vautrer

dans son petit confort et râler de n’avoir plus de sous à

la fin du mois. C’est peut-être qu’on était un petit peu

saoul tout le mois durant. Pourquoi tu bois Madame

Vidal ? Pourquoi tu cherches à oublier que tu ne fais

que l’inutile ? Que tes ongles vernis reflètent ta misère

psychique, que ton cabriolet est ton faire valoir, que

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bande-dessinée

bande

dessinée

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jeux

littéraires

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(exercice créé par D-A. Carlier)

LE LANGAGE POÉTIQUE

Liste des mots à chercher dans la grille :

RECUEIL

REFRAIN

REJET

RICHES

RIME

RONDEAU

SONNET

STROPHE

SUIVIES

SYNÉRÈSE

TERCET

VERS

EMBRASSÉES

ENJAMBEMENT

ÉPOPÉE

HÉMISTICHE

LIBRE

LYRISME

MADRIGAL

ODE

PANTOUM

POÈME

PROSE

QUATRAIN

ALEXANDRIN

ALLITÉRATION

ASSONANCE

BALLADE

CALLIGRAMME

CÉSURE

CHANSON

CONTRE-REJET

CROISÉES

DÉCASYLLABE

DIÉRÈSE

DISTIQUE

Conservez les lettres restantes qui n’apparaissent qu’une fois ; à l’aide de ces 6

lettres, vous découvrirez le nom d’un poète célèbre : _________________

R C P L G I S E E S S A R B M E S

E E Y A Q U A T R A I N O U H E T

M S N G R E E P O P E E R P I N T

I U E I E E G S Y M B O O V E E T

R R T R R D C Q J A N R I M R E E

N E M D E D A U L D T U E C N M J

H O E A X N N L E S S B E N S C E

A E I M J E Y A L I M T O I N H R

S P M T E S U S X A L S R I O B E

S V X I A O O Q J E B Y E M S N R

O J E C S R P N I R L M Q U N P T

N S E R P T E R S T E A T O A Q N

A D D Y S R I T E E S F J T H O O

N E R B I L O C I J H I R N C N C

C R O I S E E S H L E C D A B X N

E D I E R E S E E E L T I P I H C

E A E M M A R G I L L A C R L N S

Remplissez le texte à trous suivant en vous aidant des mots de la grille ci-dessus :

Un poème est par définition un texte écrit en …………………ou en ………………………….(langage habituel), qui comporte généralement des ………………….(répétition du même son

final) ; celles-ci peuvent être ……………………….(si les sons répétés sont consécutifs), …………………………..(s’ils sont alternés) ou………………………………….(s’ils suivent le schéma ABBA).

Elles sont appelées pauvres si elles n’ont qu’un seul son en commun et ……………….si elles en ont au moins trois. Si un vers présente une répétition du son d’une voyelle, il s’agit

d’une……………………………….. ; dans le cas de la répétition du son d’une consonne, on parle d’une………………………………………. Si un poème ne présente aucune rime et que les vers

sont de longueur inégale, alors on dit que le vers est……………………. On nomme le vers en fonction du nombre de syllabes qu’il comporte : ……………………………pour un vers de 12

syllabes ; ……………………………………pour un vers de 10 syllabes. Quand le vers a 12 syllabes, la …………………(coupe) se fait à l’………………………………… . On peut parfois prononcer

deux voyelles qui se suivent en deux sons différents, c’est une…………………….(ex : li/on) ; à l’inverse, on peut prononcer deux voyelles qui se suivent en une seule syllabe : c’est

une………………………… .On nomme un ensemble de vers une……………………………….. ; si elle est composée de deux vers, on la nomme un……………………………, ………………………………..si

elle est composée de trois vers et ………………………………s’il y en a quatre. Si une phrase se poursuit sur le vers suivant, on parle d’un……………………………………………… ; si la phrase

commencée au début d’un vers s’achève brutalement au vers suivant c’est un………………………………. ; enfin, si la phrase débutée en fin de vers se poursuit sur le vers suivant,

c’est un…………………………………………… . Il existe différentes sortes de poèmes : l’……………….. est un long poème célébrant les aventures hors du commun d’un héros légendaire ou

d’une nation ; le ……………………….est composé de deux quatrains et de deux tercets ; une………………………comporte trois strophes qui ont les mêmes rimes et un…………………….. ;

la……………………………est un poème populaire qui comporte des couplets et un refrain ; une………………….est un poème composé de groupes de trois strophes qui célèbre un

événement ou quelqu’un. Le ……………………est un poème de 15 vers répartis en trois strophes ; le ………………………….est rédigé en quatrains dont les rimes sont alternées ; le

……………………est un court poème destiné à être chanté par plusieurs voix et qui célèbre de manière galante la nature et l’amour (il a donc souvent recours au ………………, qui

consiste à exprimer des sentiments personnels). Enfin, un ………………………………..est un ……………… dont les mots forment un dessin. Le ………………………est le livre qui regroupe

plusieurs poèmes.



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(1900-1980)

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