L’espace des mouvements sociaux - Lilian Mathieu
Le concept d’espace des mouvements sociaux désigne l’univers de pratique et de sens, relativement autonome à l’intérieur du monde social, au sein duquel les mobilisations protestataires sont unies par des relations d’interdépendance
Le concept d’espace des mouvements sociaux désigne l’univers de pratique et de sens, relativement autonome à l’intérieur du monde social, au sein duquel les mobilisations protestataires sont unies par des relations d’interdépendance
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L’espace des mouvements sociaux
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 14/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.141.243.99)
La « captation » des attentes, et d’une partie des leaders, des entreprises
contestataires par le PS apporte sa contribution au délitement de l’espace
des mouvements sociaux que connaît la France dans les années 1980. Elle n’est
toutefois pas la seule, puisque viennent s’y ajouter l’effondrement de l’extrême
gauche, engagé à partir du milieu des années 1970, suivi par celui du Parti
communiste, ainsi que la chute des adhésions syndicales et des journées de
grève. Ce faisant, ce sont à la fois certains des principaux sites de socialisation
militante, mais également, sur un plan davantage symbolique, la pertinence
politique des options contestataires qui entrent alors en crise. Le seul constat
de l’effondrement de l’activité protestataire 34 , accompagné par l’idéologie d’un
supposé « repli individualiste » sur la sphère privée, suffira ici pour indiquer
combien la reprise de la contestation du début des années 1990 a pu constituer
une « divine surprise » pour bien des militants accablés par la démobilisation
de leurs organisations et par une série ininterrompue de reculs sociaux. La
phase de reconstitution de l’espace des mouvements sociaux qui s’ouvre alors
s’opère au travers d’un retour au premier plan des questions économiques et
sociales, qui à la fois témoignent de la précarisation de la société française et de
l’inadéquation, pour l’analyser, du « postmatérialisme » invoqué par la théorie
des « nouveaux mouvements sociaux » 35 . Act Up, fondé en 1989, fait de l’accès
à la santé un de ses principaux axes de lutte au moment où le sida touche de
manière croissante les populations les plus démunies. Droit au logement
(DAL), né en 1990 à la suite du Comité des mal-logés, développe une stratégie
de réquisitions de logement vides, et donne naissance à Droits devant !!,
laquelle entretient des relations étroites avec les différentes associations de
chômeurs. Les épisodes contestataires se succèdent : outre ceux listés plus
haut, rappelons la mobilisation féministe de novembre 1995, la pétition contre
la « loi Debré » de 1996, ou encore la grande manifestation contre le FN de
Strasbourg en 1997.
Le vaste mouvement de grève de la fonction publique de novembredécembre
1995 a joué un rôle décisif dans la nouvelle autonomisation de
l’espace des mouvements sociaux, en ce que l’obtention du retrait partiel du
projet de réforme de la Sécurité sociale d’Alain Juppé a montré qu’une mobilisation
d’ampleur était apte à faire reculer le gouvernement par elle-même,
c’est-à-dire sans le relais des forces partisanes. L’ensemble de ces mobilisations,
et les relatifs succès qu’elles ont arraché, ont consolidé l’autoréférence
de l’espace des mouvements sociaux, i.e. la représentation partagée par nombre
de ses membres de constituer un univers distinct et qui, quoiqu’à distance
34. Cf. Sommier (I.), Le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, Paris,
Flammarion, 2003, et Denis (J.-M.), dir., Le conflit en grève ? Tendances et perspectives de la conflictualité
contemporaine, Paris, La Dispute, 2005.
35. Cf. Mathieu (L.), « Les nouvelles formes de la contestation sociale », Regards sur l’actualité, 251, 1999.
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