L’espace des mouvements sociaux - Lilian Mathieu
Le concept d’espace des mouvements sociaux désigne l’univers de pratique et de sens, relativement autonome à l’intérieur du monde social, au sein duquel les mobilisations protestataires sont unies par des relations d’interdépendance
Le concept d’espace des mouvements sociaux désigne l’univers de pratique et de sens, relativement autonome à l’intérieur du monde social, au sein duquel les mobilisations protestataires sont unies par des relations d’interdépendance
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L’espace des mouvements sociaux
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 14/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 189.141.243.99)
ajoute Daniel Cefaï, « se plier à des grammaires de la vie publique » pour être
recevables, ce qui implique d’orienter l’analyse vers la « dimension dramaturgique
et rhétorique » de l’action collective 49 .
La richesse des pistes tracées par les sociologies pragmatique et interactionniste
pour l’analyse de l’action collective en situation ne doit cependant pas
sous-estimer les effets de la localisation sociale et de la trajectoire spécifiques
des protagonistes des mobilisations. L’ordre de l’interaction, en effet, n’épuise
pas la signification de ce qui s’y joue, et l’on se rappellera que le fondateur de la
frame analysis considérait lui-même qu’en regard de l’analyse de la structure de
la vie sociale, sa perspective ne traitait « que de ce qui est secondaire » 50 . En
d’autres termes, les approches pragmatistes souffrent d’une tendance à la naturalisation
des compétences à l’action collective lorsqu’elles les considèrent
comme faisant partie intégrante a priori de l’équipement de base de l’ensemble
des membres de nos sociétés 51 , et ce alors que nombre de mobilisations – et
tout spécialement les poor people’s movements 52 – présentent des situations
d’inégalités, parfois particulièrement criantes, de niveaux de maîtrise des
savoirs et savoir-faire contestataires. La prise en compte de ces inégalités, de
nombreux travaux l’ont montré, permet d’éclairer les processus d’alliance entre
groupes dépourvus de tradition et d’expérience de l’action collective, et
« soutiens » davantage aguerris au point de pouvoir être considérés comme de
véritables « virtuoses » du militantisme, dans le même temps qu’elle permet
d’expliquer la passivité de groupes ayant pourtant toutes les « bonnes raisons »
de se révolter 53 . L’explication de ces disparités doit en priorité être recherchée
dans des différences de trajectoires sociales, et plus précisément dans le passage
(ou son absence) par ces instances de socialisation militante que sont, en premier
lieu, la famille, mais également les institutions d’enseignement ou encore
le monde du travail. Être issu d’une famille elle-même riche en expériences
contestataires et où ont pu s’opérer dès le plus jeune âge des formes d’apprentissage
militant (accompagner ses parents aux manifestations du 1 er mai, par
exemple), avoir connu de multiples activités associatives dans sa jeunesse, être
passé par le scoutisme ou le militantisme étudiant, travailler dans un milieu
49. Cefaï (D.), « Les cadres de l’action collective », in Cefaï (D.), Trom (D.), dir., ibid., p. 51 et 52. Voir
aussi l’invitation de James Jasper à envisager la conduite des mouvements sociaux comme un art, de
manière à « restituer la force d’invention des mouvements sociaux et la créativité individuelle et collective
de leurs membres », cf. Jasper (J.), « L’art de protestation collective », in Cefaï (D.), Trom (D.), dir., ibid.,
p. 137, et, du même auteur, The Art of Moral Protest, Chicago, University of Chicago Press, 1997.
50. Goffman (E.), Les cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991, p. 22.
51. Cf. le bilan critique que dresse, de l’intérieur, Nicolas Dodier de ce courant théorique : « Le laboratoire
des cités. L’espace et le mouvement du sens critique », Annales HSS, 1, 2005.
52. Piven (F. F.), Cloward (R. A.), Poor People’s Movements, New York, Vintage Books, 1977.
53. Cf. par exemple Siméant (J.), La cause des sans-papiers, op. cit., et Mathieu (L.), Mobilisations de prostituées,
op. cit.
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