Haiti Liberte 30 Novembre 2022
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Perspectives
Compte-rendu de la conférence mondiale contre la guerre
et l’exploitation !
Paris 29-30 octobre 2022, à l’initiative du
Comité ouvrier international (COI) contre
la guerre et l’exploitation, pour l’Internationale
ouvrière
La conférence mondiale appelle
toutes les forces du mouvement
ouvrier opposées à la guerre à
faire entendre leur voix les 9, 10 et
11 décembre 2022
Parmi les quarante-neuf interventions qui
ont contribué au débat, nombreux sont les
délégués qui sont revenus sur l’indispensable
rupture du mouvement ouvrier avec
les gouvernements fauteurs de guerre.
Des gouvernements qui, à l’instar des
gouvernements britanniques successifs
de Johnson, Liz Truss et Sunak, ont
fait de la Grande-Bretagne « le deuxième
pays à financer la guerre de l’OTAN en
Ukraine, après les États-Unis », rappelle
Stefan Cholewka de Grande-Bretagne,
secrétaire d’une union locale de syndicats.
Une politique qui ne pourrait s’appliquer
sans l’aide de la direction du Labour Party,
récemment baptisé « parti de l’OTAN » par
son dirigeant, Keir Starmer. C’est contre ces
gouvernements (et en dépit du soutien du
Labour) que les travailleurs britanniques
se lèvent, comme les dockers de Liverpool
dont Cholewka lit le message, ajoutant :
« Deux millions de travailleurs préparent
la grève en novembre, pour l’augmentation
des salaires, mais aussi contre les
répercussions du budget de guerre qui
frappent les travailleurs. »
De nombreux autres délégués sont
revenus sur la politique d’accompagnement
des partis se réclamant des travailleurs :
ainsi, deux délégués de l’État espagnol
sont revenus sur le rôle du gouvernement
Sanchez – composé, rappellent-ils, du
Parti socialiste, du PCE et de Podemos,
qui met en œuvre la politique de l’OTAN
à l’extérieur et la guerre à l’intérieur contre
les travailleurs, les retraités, la jeunesse
et contre l’aspiration des peuples à l’autodétermination.
Des problèmes similaires ont été
évoqués par les orateurs de Grèce, qui
soulignent que les eurodéputés de Syriza
avaient eux aussi voté les résolutions pro-
OTAN au Parlement européen, alors qu’une
autre guerre menace entre la Grèce et la
Turquie. En Belgique, indique un délégué,
le Parti socialiste participe à un gouvernement
qui vient de décider d’augmenter
ses dépenses militaires comme l’exige
l’OTAN. C’est également le cas au Canada,
membre de l’OTAN, explique un délégué,
avec l’aval des dirigeants du Nouveau Parti
démocratique (parti constitué par les syndicats)
allié au parti libéral. En Suisse, explique
Dogan Fennibay, militant ouvrier, « le
parti socialiste prétend représenter les plus
pauvres, alors qu’il est pourtant le plus
enthousiaste quand il faut se soumettre à
l’OTAN comme à l’Union européenne ».
Une situation qui existe dans de
nombreux pays supposés dirigés par des
gouvernements de « gauche » : ainsi en
est-il en Azanie/Afrique du Sud, explique
le militant, Mandlenkosi ka Phangwa,
un pays dont « beaucoup de gens pensent
qu’il est dirigé par des communistes ou des
socialistes (puisque le gouvernement est
composé de l’ANC, du Parti communiste et
de la centrale syndicale COSATU). Mais en
réalité, il n’en est rien : aujourd’hui, l’Azanie
est un avant-poste colonial qui a refusé,
depuis les accords de Kempton Park
en 1990, que s’établisse une authentique
démocratie qui suppose que le pouvoir
appartienne à la majorité des Noirs. La
majorité des Noirs d’Azanie aujourd’hui
sont toujours sans terre, sans travail et
dans une extrême pauvreté », rappelant le
massacre, en août 2012, des mineurs noirs
en grève à Marikana.
C’est « d’en haut » que la confusion
est organisée dans les rangs de la classe
ouvrière et de la jeunesse, souligne Julio
Rivera, du Pérou, lorsque, dans son pays,
« parmi les organisations qui se réclament
des travailleurs, certains dirigeants
se sont rangés du côté de l’OTAN, tandis
que d’autres soutenaient l’invasion de
l’Ukraine par Poutine ».
Or, a rappelé un militant de Russie,
la victoire de Poutine en Ukraine « ne profiterait
qu’à 0,2 % de la population, c’està-dire
aux milliardaires en dollars ». Le
véritable ennemi, ajoute-t-il, « c’est le système
capitaliste lui-même, un système qui
a fait son temps, qui ne peut que provoquer
des crises et des guerres, et est devenu
aujourd’hui une menace pour la survie
de la planète ».
Pour sa part, Berthony Dupont
d’Haïti, éditeur du journal Haïti Liberté,
alerte la conférence : l’impérialisme américain
est « sur le point d’envahir Haïti
pour la quatrième fois en un siècle de
domination néocoloniale ». L’objectif étant
« de mettre fin à la résistance populaire
qui exige le départ de la marionnette Premier
ministre, Ariel Henry, et appelle ouvertement
à une révolution sociale contre
l’exploitation de la bourgeoisie haïtienne,
alliée historique de l’impérialisme américain
».
Même exigence de l’arrêt des ingérences
impérialistes du délégué du Zimbabwe,
qui rappelle la nécessité vitale de
la levée des sanctions impérialistes contre
son pays, imposant un véritable blocus,
qui a notamment interdit les livraisons de
médicaments, tandis que la pandémie de
Covid-19 faisait des ravages.
D’autant qu’après la pandémie,
« au cours de laquelle nous avons perdu
beaucoup de parents, d’amis, de
collègues », rappelle Amlan Dewanjee,
du Parti démocratique des travailleurs du
Bangladesh, « dans le monde entier, la
crise du capitalisme provoque une hausse
vertigineuse des prix des biens de consommation
essentiels, tandis que la guerre
en Ukraine menace de famine le monde
entier. C’est pourquoi nous partageons les
mots d’ordre de cette conférence : ni Poutine,
ni Biden, ni l’OTAN ! »
La guerre frappe en première ligne
les femmes travailleuses, rappelle Rubina
Jamil, secrétaire générale de la All-Pakistan
Trade Union Federation (APTUF) du Pakistan
: « C’est le sort que subissent les
femmes du Kashmir, soumises aux pires
violences, mais aussi les femmes palestiniennes.
»
Adama Coulibaly, au nom de l’Alternative
patriotique panafricaine Burkindi du
Burkina Faso, dénonce la responsabilité
des anciennes puissances coloniales, en
particulier la France, dans les guerres et
le pillage qui martyrisent les peuples d’Afrique.
Il faut, dit-il, « que les travailleurs
puissent décider de la marche à suivre
pour empêcher que les impérialistes et
leurs valets locaux puissent continuer à
dominer les Africains et les travailleurs
dans le reste du monde. Ce combat ne
peut se mener de manière locale, car il
nous concerne tous. » Il appelle à trouver
ensemble les moyens « pour que le FMI,
la Banque mondiale, les missions des
Nations unies, les troupes françaises, les
forces américaines, les troupes étrangères,
qu’elles soient onusiennes, russes ou chinoises,
puissent enfin dégager d’Afrique,
comme l’ont exigé la veille encore les
manifestants à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
»
Avant lui, Messan Lawson du Togo
avait interrogé l’assistance : « On parle de
“révolte anti-française” dans les États
d’Afrique de l’Ouest. La vérité, c’est que la
bourgeoisie française n’a jamais renoncé
à sa domination néocoloniale. » Innocent
Assogba du Bénin va dans le même sens,
rappelant que les troupes françaises de
l’opération Barkhane – désormais stationnées
dans son pays – sont présentes depuis
2013 : « Et quel bilan depuis lors ? »
Le Maroc, indique une militante,
« ne fait pas partie de l’OTAN, mais est
soumis à toute la stratégie de cette alliance
militaire impérialiste qui cherche
à constituer ses positions en Afrique du
Nord afin de faciliter la répression de tout
soulèvement ouvrier et populaire dans la
région. »
Naji El-Khatib, de l’association Secular
Palestine, constate pour sa part qu’en
Palestine « l’option des accords d’Oslo,
qui prétendait qu’un État palestinien serait
érigé aux côtés de l’État d’Israël, est
terminée. Il n’y a pas d’État palestinien,
mais un seul État d’apartheid qui contrôle
la Palestine historique du fleuve Jourdain
jusqu’à la Méditerranée. » C’est pourquoi
se développe « un large mouvement qui
lutte pour une option démocratique : un
seul État démocratique pour toute la Palestine.
La Palestine laïque de demain ne
sera ni juive ni musulmane : ce sera un
pays sans aucune suprématie nationaliste,
ethniciste, raciale ou religieuse. Une
Palestine de la démocratie, de la justice
sociale, de la sécurité et de la liberté pour
tous et toutes ses citoyens et citoyennes,
garantissant le droit au retour des réfugiés.
»
Cette guerre n’étant, selon José Casimiro
du Portugal, que la continuation de la
politique du système capitaliste « par d’autres
moyens », il note que ces dernières
décennies « s’est opéré un gigantesque
transfert du travail vers le capital ». Une
guerre « à l’intérieur » contre les travailleurs,
note Cemal Bilgin, président du Parti
propre aux travailleurs de Turquie : « Des
travailleurs meurent dans les accidents
dans les mines, sur les chantiers, faute
d’un minimum de mesures de sécurité. Ce
sont les enfants des pauvres qui fournissent
la chair à canon. Au Moyen-Orient,
on dit souvent : “C’est le destin !”, mais les
patrons s’en mettent plein les poches. Les
militants de la classe ouvrière qui veulent
résister sont sévèrement réprimés par la
police. »
Répression évoquée par plusieurs
délégués, tel Constantin Cretan, dirigeant
syndical des mineurs de Roumanie : en
plus des trois ans de prison qu’il a purgés,
« n’ayant pas renoncé au combat pour
les droits des travailleurs, la “justice” roumaine
a décidé que je devais payer une
amende de plusieurs centaines de milliers
d’euros pour rembourser les matraques et
les gaz lacrymogènes utilisés par les gendarmes
pour réprimer les manifestations
ouvrières que je dirigeais. »
De nombreux orateurs ont rappelé
que, ces dernières années, les travailleurs
et les peuples se sont révoltés contre les
gouvernements au service de la classe capitaliste.
« Le 28 avril 2021, par la grève
illimitée, le peuple s’est rebellé et la jeunesse
est sortie, rappelle une militante de
Colombie. Travailleurs, femmes, peuples
indigènes, Afro-Colombiens… ont participé
activement à leur propre mouvement,
constituant des assemblées populaires,
des comités de quartier, organisant euxmêmes
leur propre défense contre les
meurtres de la police. Ce sursaut a été le
produit de plus de trente ans de répression,
de lois imposées au peuple, de paiement de
la dette externe, de privatisations. »
Plus près de nous, raconte Judit
Somi, en Hongrie, « la couche la moins
bien payée de l’intelligentsia, les enseignants,
ont provoqué une vague de protestations
qui a déferlé et s’est amplifiée.
Elle a culminé dans une manifestation de
80 000 enseignants, massivement rejoints
par les étudiants et les parents d’élèves.
(…) L’accès à l’enseignement public et
gratuit n’est pas une question “nationale”,
mais une question de classe. »
En Algérie, indique un message
du Comité d’organisation des socialistes
internationalistes, « nous n’assistons plus
aux déferlements de millions de personnes
dans les rues, mais le mécontentement
populaire s’est transféré dans les entreprises,
les écoles, les universités ». Cependant,
« le régime, malgré son extraordinaire
affaiblissement, se maintient grâce
au soutien de l’impérialisme, d’une part,
et, d’autre part, de l’accompagnement
de sa politique par les directions syndicales
».
Ce qui pose toute la question de
l’indépendance de classe des organisations
ouvrières. Une question qui prend des
formes différentes d’un pays à l’autre, mais
dont le contenu est le même partout. Ainsi,
Benjamin Gluckstein, militant syndical en
France, a relaté le combat engagé contre
la loi Dussopt qui augmente le temps de
travail des agents territoriaux : « De nombreuses
communes, dirigées par des partis
qui prétendent représenter les travailleurs,
appliquent cette loi », a-t-il souligné, y opposant
le fait que « le mouvement ouvrier
s’est toujours battu pour la diminution du
temps de travail ».
Ismael Fernandes, ouvrier chez
General Motors au Mexique, a relaté le
long combat victorieux mené pour en finir
avec le syndicat vendu au patronat, ce qui
« a permis de nous constituer en syndicat
indépendant national des travailleurs de
l’industrie automobile avec, à sa tête, la
première femme secrétaire générale d’un
syndicat dans l’industrie ».
Un combat similaire est rapporté
par Andreas Gangl, d’Allemagne : la
bataille menée chez Amazon pour le droit
de constituer des syndicats, de l’Allemagne
jusqu’aux États-Unis. « Près de
Hambourg, les salariés ont organisé leur
première grève et multiplié leur effectif
par dix. Mais Amazon profite aujourd’hui
de la guerre : en Pologne, des Ukrainiens
sont employés comme intérimaires avec
des “contrats citoyens” et encore moins
de droits que les ouvriers locaux. C’est de
l’esclavage moderne ! », a-t-il expliqué, y
opposant la perspective de « constituer un
parti ouvrier indépendant ».
Ces questions ont fait l’objet de
débats. Ainsi, s’interroge Milind Ranade,
dirigeant syndical à Mumbai, en Inde,
« face à un gouvernement issu du parti
fasciste BJP, l’opposition est fragmentée.
Tous les syndicalistes disent qu’ils
devraient se rassembler, mais chacun veut
que cela se fasse sous la direction de “son”
syndicat. Les partis communistes disent
aussi qu’il faut l’unité, mais chacun sous
“sa” direction. » N’y a-t-il pas « une crise
de la conscience de classe » ?
Dario Granaglia, délégué syndical
chez Stellantis, en Italie, tirant les leçons
de la crise politique actuelle, estime que la
classe ouvrière « a besoin de l’indépendance
de ses organisations. L’indépendance
signifie qu’il faut arrêter de prétendre
que les intérêts des travailleurs et des
capitalistes peuvent être compatibles. Ces
prétendus “intérêts communs” que trop de
dirigeants ont mis en avant n’aboutissent
qu’aux pires coups contre les travailleurs,
et au final, ouvrent la voie à la droite extrême.
»
Randy Miranda, responsable du
Parti des travailleurs des Philippines, considère
que la politique « d’équilibre entre
les États-Unis et la Chine » choisie par le
gouvernement philippin n’est certainement
pas une raison pour le soutenir. Il affirme
que face aux guerres et à l’impérialisme,
« nous avons le devoir d’élever la conscience
des travailleurs et d’organiser,
patiemment et méthodiquement, le mouvement
des jeunes et des travailleurs. La
seule solution, c’est notre résistance et
notre lutte pour le socialisme, et la seule
guerre qui mérite d’être menée, c’est celle
du mouvement ouvrier contre le capital. »
Ces questions sont posées au cœur
même du pays impérialiste le plus puissant
du monde, les États-Unis. Une
puissance impérialiste construite sur l’exploitation
de millions d’esclaves arrachés
à l’Afrique, rappelle Diamonte Brown,
présidente du syndicat des enseignants de
Baltimore dans l’État du Maryland. Aux
États-Unis, le peuple noir « souffre de
la “suprématie blanche” que le capitalisme
a créée pour justifier l’exploitation.
(…) Cette oppression est un crime contre
toute la classe ouvrière, son éradication
sera une avancée considérable pour
toute la classe ouvrière. » C’est précisément
pourquoi son camarade Nnamdi
Lumumba, au nom du Ujima People’s
Progressive Party, rappelle que « le droit
à l’autodétermination du peuple noir des
États-Unis est partie prenante de la lutte
contre l’impérialisme ». Aussi, l’objectif
que se fixe son parti ouvrier noir indépendant
est d’« arracher les travailleurs noirs
à l’influence du Parti démocrate » parce
que « les travailleurs noirs, comme tous
les travailleurs américains dans leur ensemble,
doivent s’organiser en dehors des
deux partis impérialistes (républicain et
démocrate – ndlr) et aller vers un Labor
Party à l’échelle nationale ».
Combattre pour réorganiser le mouvement
ouvrier international sur un axe de
lutte de classe et de combat pour le socialisme,
c’est aussi reconquérir ses meilleures
traditions, rappelle Christel Keiser, secrétaire
nationale du Parti ouvrier indépendant
démocratique de France. Elle présente les
conclusions de la conférence internationale
des femmes travailleuses, qui a rassemblé
des femmes et des militantes de dix-neuf
pays, dans la continuité des conférences
internationales des femmes socialistes du
début du XX e siècle, luttant pour la prise
en charge par le mouvement ouvrier du
« combat contre la guerre, pour la défense
des droits démocratiques, pour l’égalité
des salaires, contre les violences faites
suite à la page(14)
Vol 16 # 22 • Du 30 Novembre au 6 Décembre 2022
Haiti Liberté/Haitian Times
13