L’individu comme« ensemble <strong>de</strong>s relationssociales » : une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>sThèses sur FeuerbachParDr. Patrice CaillebaGroupe <strong>ESC</strong><strong>Pau</strong>, FranceCAHIER<strong>de</strong>RECHERCHE N°1241
RésuméDans les Thèses sur Feuerbach, Marx préconise explicitement <strong>de</strong> prendre en compte le sujet sous son« aspect actif » et plus uniquement comme support <strong>de</strong> l’histoire, <strong>de</strong> le considérer comme activité humainesensible et non comme intuition. Ce faisant, il essaie <strong>de</strong> définir une « humanité sociale » qui fait<strong>de</strong> l’essence humaine « l’ensemble <strong>de</strong>s relations sociales ». L’invocation <strong>de</strong> la subjectivité constitue leleitmotiv qui relit la pratique en particulier <strong>de</strong> la première thèse à l’activité transformatrice en général<strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière thèse, <strong>de</strong> l’activité comme matrice <strong>de</strong> la pensée à l’activité sociale comme moteur <strong>de</strong>l’histoire.IntroductionAvant d’écrire avec Engels L'Idéologie alleman<strong>de</strong> au cours du second semestre 1845, Marx rédige lesfameuses Thèses sur Feuerbach aux mois <strong>de</strong> mai et <strong>de</strong> juin 1 . A vrai dire, en guise <strong>de</strong> rédaction, Marxjette sur le papier quelques réflexions que lui a inspiré la lecture <strong>de</strong> Feuerbach pour lequel il s’estenflammé jusqu’à peu <strong>de</strong> mois auparavant et dont La Sainte Famille porte la trace. Ces réflexions enforme <strong>de</strong> conclusions auxquelles Marx est parvenu comptent au nombre <strong>de</strong> onze. Il a à peine vingt septans et toute sa philosophie semble prendre alors une direction nouvelle. Et effectivement, sa philosophieprend une nouvelle orientation, mais non pas celle engagée par ces thèses 2 .Depuis 1844, Marx s’est progressivement détaché <strong>de</strong> ses anciens compagnons <strong>de</strong> route au point <strong>de</strong>consommer, pense-t-il faussement, sa rupture définitive avec l’idéalisme alleman<strong>de</strong>. Cependant la ruptured’avec Feuerbach, via les Thèses éponymes, marque un pas supplémentaire et décisif par rapportaux Manuscrits <strong>de</strong> 1844 où seule la philosophie spéculative <strong>de</strong>s épigones <strong>de</strong> Hegel avait été remise radicalementen cause avant que d’être reprise, bien que différemment, sous la forme <strong>de</strong> son Naturalismedialectique 3 . Abandonnant le concept d’homme générique, prisonnier <strong>de</strong> l’influence feuerbachienne,Marx passe alors, pour un court moment, <strong>de</strong> l’individu générique naturel à un véritable humanisme socialqui esquisse un individu libre bien que défini par son environnement social.La négation du concept d’homme entendu comme être générique est explicite à partir <strong>de</strong> 1845. Les raisons<strong>de</strong> cette négation ne sont pas moins clairement formulées. C’est l’irréalité <strong>de</strong> l’essence génériquequi motive son évacuation hors <strong>de</strong> la problématique politique. Et cette irréalité n’est rien d’autre à sontour que son idéalité, l’« homme » étant un corrélat <strong>de</strong> l’idéalisme allemand dont Feuerbach est le <strong>de</strong>rnierépigone. De ce fait, ce qu’affirment les Thèses sur Feuerbach, la figure <strong>de</strong> l’individu qu’elles <strong>de</strong>ssinent,est dès plus prometteuse. Ce faisant, elles ont séduit plus d’un philosophe 4 .(1) Bert Andreas, Das En<strong>de</strong> <strong>de</strong>r klassischen <strong>de</strong>utschen Philosophie, Bibliographie, Trier, Karl Marx Hauss, 1983.(2) Malgré la justesse et la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s analyses <strong>de</strong> S.A. Salvaggio quant aux Thèses sur Feuerbach, nous ne partageons pas son optimisme,partagé d’ailleurs par la plupart <strong>de</strong>s commentateurs <strong>de</strong> Marx qui font <strong>de</strong> ces thèses un con<strong>de</strong>nsé <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong> Marx après 1845. L'Idéologiealleman<strong>de</strong> apparaît alors comme l’approfondissement <strong>de</strong> l’analyse économique et du poids <strong>de</strong>s déterminations économiques déjà présentes dans lesThèses, ces déterminations économiques étant subsumées dans la possibilité d’une action libre <strong>de</strong>s individus particuliers.(3) Cailleba P. (2005), L’individu chez Marx, Editions ANRT ; Cailleba P. (2007), Marx and Schmitt Vs. Democracy, <strong>Cahier</strong>s <strong>de</strong> Recherche, n°8,<strong>ESC</strong> <strong>Pau</strong>, Juin ; Cailleba P. (2007), La critique <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’exploitation, <strong>Cahier</strong>s <strong>de</strong> Recherche, n°9, <strong>ESC</strong> <strong>Pau</strong>, Décembre.(4) Plus <strong>de</strong> 300 traductions ont été faîtes <strong>de</strong>s TsF avec autant d’interprétations différentes selon G. Labica (Karl Marx : les « Thèses sur Feuerbach »,PUF, Paris, 1987, p.23).42CAHIER<strong>de</strong>RECHERCHE N°12