Bruxelles
Extrait du bulletin n°8 - RCN Justice & Démocratie
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2ème trimestre 2004<br />
EDITORIAL<br />
La coutume au présent<br />
Le dossier spécial de ce trimestre parle de la coutume dans les trois pays des Grands Lacs.<br />
Les histoires font partie de la coutume. Il m’en revient une, grande, du Burundi. C’est le bouffon du roi qui<br />
confie à son souverain un chaudron en lui demandant de bien surveiller le feu et également de veiller à ce que<br />
personne ne vienne manger la soupe qui cuit dedans. Le feu est entretenu et la soupe continue à chauffer et …<br />
s’évapore. Le bouffon est de retour. Il accuse le roi d’avoir mangé la soupe. Il en veut pour preuve que le niveau<br />
de la soupe a baissé, on voit encore la trace sur le bord du chaudron. Le roi s’étrangle : « c’est la soupe qui s’est<br />
évaporée », s’écrie-t-il ! « Prouve-le », dit le bouffon, en partant d’un grand éclat de rire. C’était la leçon faite au roi<br />
sur l’art de juger.<br />
Parmi les beaux proverbes congolais, j’épingle celui-ci : « l’étranger qui entre dans le village… celui-là est le fils du<br />
roi ». Avouons que c’est mieux que le cantonnement prévu à Zaventem, avouons que c’est mieux que ce que dit la<br />
Constitution européenne sur l’accès au territoire européen…<br />
Oyez, oyez, la coutume burundaise avait donc décliné de longue date ce principe de la présomption<br />
d’innocence. De même, la légendaire hospitalité congolaise dépasse de loin celle des européens. L’universalité<br />
n’est pas l’apanage du Nord.<br />
Mais « prenons garde », nous disent des rédacteurs de ce Bulletin. D’une part, la coutume n’est pas une histoire<br />
ancienne, elle est vive, elle est toujours neuve, toujours en mouvement, elle est une production du droit par le<br />
peuple et elle ne peut être écrite (Jacques Vanderlinden). D’autre part, aujourd’hui, que reste-t-il de ces images<br />
d’Epinal (Léandre Habonimana)? Et qui sont-ils, ceux qui la disent ? Quelle est leur autorité ? Sans doute, doitelle<br />
être encore plus irréprochable (Anthime, un Mushingantahe) que celle de nos juges.<br />
Et puis, la coutume comporte des règles injustes. Alors quoi ? Faut-il que la justice fine et sage d’autrefois se<br />
réinvente sur base du principe de la réconciliation (Delphin Bulambo Wilondja) ou reconnaître son inadaptabilité<br />
(Odon Mupepe Mandola) ?<br />
Irons-nous dans les Grands Lacs vers un métissage juridique (Camille Kuyu) qui serait un reflet du métissage<br />
des histoires politiques, des malheurs du siècle passé où tout reviendrait en mémoire et serait appelé à cohabiter<br />
et où cette cohabitation des souffrances aurait trouvé un lieu de justice pour se dire (Anne-Marie Mukakarara).<br />
Un lieu où le sentiment de justice vécu par les gens fraterniserait avec le système qui serait prêt à les entendre<br />
parce qu’il s’en sentirait plus légitimé. Un lieu où le dit de la justice se rapproche des gens, de leurs conceptions<br />
de la vie, qu’ils s’y reconnaissent, par l’écrit (gacaca actuelle) ou la parole (Bashingantahe).<br />
En marge, encore un mot sur "Rwanda, un génocide oublié ? Un procès pour mémoire ", livre de Laure de Vulpian.<br />
L‘émission dont il est le suc fut un lieu d’approfondissement de la parole judiciaire, un lieu de cohabitation avec<br />
l’impensable, comme le fut le projet dialogue de la diaspora rwandaise, dont un chapitre vient de se terminer.<br />
Ces deux espaces ont rempli les promesses que d’autres cherchent dans la coutume : la confiance dans la parole,<br />
la confiance en la parole pour vivre les crises…<br />
Pierre VINCKE,<br />
Directeur de RCN Justice & Démocratie.<br />
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