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festival de fénétrange - festival-fenetrange.org

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…Celui-là seul est poète qui est le maître <strong>de</strong> sa<br />

mémoire, le souverain <strong>de</strong>s mots, le registre <strong>de</strong> ses<br />

propres sentiments toujours prêt à se laisser feuilleter.<br />

Tout pour le dénouement ! répète t-il souvent. Un<br />

sonnet lui-même a besoin d’un plan, et la<br />

construction, l’armature, pour ainsi dire, est la plus<br />

importante garantie <strong>de</strong> la vie mystérieuse <strong>de</strong>s œuvres<br />

<strong>de</strong> l’esprit.<br />

L’invitation au voyage<br />

Il est un pays superbe, un pays <strong>de</strong> Cocagne, dit-on,<br />

que je rêve <strong>de</strong> visiter avec une vieille amie. Pays<br />

singulier, noyé dans les brumes <strong>de</strong> notre Nord, et<br />

qu’on pourrait appeler l’Orient <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt, la Chine<br />

<strong>de</strong> l’Europe, tant la chau<strong>de</strong> et capricieuse fantaisie s’y<br />

est donnée carrière, tant elle l’a patiemment et<br />

opiniâtrement illustré <strong>de</strong> ses savantes végétations.<br />

Un vrai pays <strong>de</strong> Cocagne, où tout est beau, riche,<br />

tranquille, honnête ; où le luxe à plaisir à se mirer<br />

dans l’ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ;<br />

d’où le désordre, la turbulence et l’imprévu sont<br />

exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la<br />

cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à<br />

la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange.<br />

Tu connais cette maladie fiévreuse qui s’empare <strong>de</strong><br />

nous dans les froi<strong>de</strong>s misères, cette nostalgie du pays<br />

qu’on ignore, cette angoisse <strong>de</strong> la curiosité ? Il est<br />

une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche,<br />

tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré<br />

une Chine occi<strong>de</strong>ntale, où la vie est douce à respirer,<br />

où le bonheur est marié au silence. C’est là qu’il faut<br />

aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !<br />

Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver et allonger<br />

les heures par l’infini <strong>de</strong>s sensations. Un musicien a<br />

écrit l’Invitation au voyage à la valse ; quel est celui<br />

qui composera l’Invitation au voyage, qu’on puisse<br />

offrir à la femme aimée, à la sœur d’élection ?<br />

Mon enfant, ma sœur,<br />

Songe à la douceur<br />

D’aller là-bas vivre ensemble !<br />

Aimer à loisir,<br />

Aimer et mourir<br />

Au pays qui te ressemble !<br />

Les soleils mouillés<br />

De ces ciels brouillés<br />

Pour mon esprit ont les charmes<br />

Si mystérieux<br />

De tes traîtres yeux,<br />

Brillant à travers leurs larmes.<br />

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,<br />

Luxe, calme et volupté.<br />

Des meubles luisants,<br />

Polis par les ans,<br />

Décoreraient notre chambre ;<br />

Les plus rares fleurs<br />

Mêlant leurs o<strong>de</strong>urs<br />

Aux vagues senteurs <strong>de</strong> l’ambre,<br />

Les riches plafonds,<br />

Les miroirs profonds,<br />

La splen<strong>de</strong>ur orientale,<br />

Tout y parlerait<br />

A l’âme en secret<br />

Sa douce langue natale.<br />

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,<br />

Luxe, calme et volupté.<br />

Vois sur ces canaux<br />

Dormir ces vaisseaux<br />

Dont l’humeur est vagabon<strong>de</strong> ;<br />

C’est pour assouvir<br />

Ton moindre désir<br />

Qu’ils viennent du bout du mon<strong>de</strong>.<br />

Les soleils couchants<br />

Revêtent les champs<br />

Les canaux, la ville entière,<br />

D’hyacinthe et d’or ;<br />

Le mon<strong>de</strong> s’endort<br />

Dans une chau<strong>de</strong> lumière.<br />

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,<br />

Luxe, calme et volupté.<br />

Ainsi, le principe <strong>de</strong> la poésie est strictement et<br />

simplement l’aspiration humaine vers une beauté<br />

supérieure et la manifestation <strong>de</strong> ce principe est<br />

dans un enthousiasme, une excitation <strong>de</strong> l’âme, -<br />

enthousiasme tout à fait indépendant <strong>de</strong> la passion<br />

qui est l’ivresse du cœur, et <strong>de</strong> la vérité qui est la pâture<br />

<strong>de</strong> la raison. Car la passion est naturelle, trop naturelle<br />

pour ne pas introduire un ton blessant, discordant,<br />

dans le domaine <strong>de</strong> la beauté pure, trop familière<br />

et trop violente pour ne pas scandaliser les purs désirs,<br />

mes gracieuses mélancolies et les nobles désespoirs<br />

qui habitent les régions surnaturelles <strong>de</strong> la poésie.<br />

(…) Des rêves ! toujours <strong>de</strong>s rêves ! et plus l’âme<br />

est ambitieuse et délicate, plus les rêves l’éloignent<br />

du possible. Chaque homme porte en lui sa dose<br />

d’opium naturel, incessamment secrétée et<br />

renouvelée, et, <strong>de</strong> la naissance à la mort, combien<br />

comptons-nous d’heures remplies par la jouissance<br />

positive, par l’action réussie et décidée ? Vivrons-nous<br />

jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau<br />

qu’a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ?<br />

Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre,<br />

ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c’est toi.<br />

C’est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux<br />

tranquilles. Ces énormes navires qu’ils charrient,<br />

tout chargés <strong>de</strong> richesses, et d’où montent les chants<br />

<strong>de</strong> la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment<br />

ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis<br />

doucement vers la mer qui est l’Infini, tout en<br />

réfléchissant les profon<strong>de</strong>urs par la houle et g<strong>org</strong>és<br />

<strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> l’Orient, ils rentrent au port natal,<br />

ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent<br />

<strong>de</strong> l’Infini vers toi.<br />

C’est cet admirable, cet immortel instinct du beau,<br />

qui nous fait considérer la terre et ses spectacles<br />

comme un aperçu, comme une correspondance<br />

du Ciel. La soif insatiable <strong>de</strong> tout ce qui est au <strong>de</strong>là,<br />

et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante<br />

<strong>de</strong> notre immortalité. C’est à la fois par la poésie<br />

et à travers la poésie, par la musique et à travers<br />

la musique que l’âme entrevoit les splen<strong>de</strong>urs situées<br />

<strong>de</strong>rrière le tombeau ; et quand un poème exquis<br />

amène les larmes au bord <strong>de</strong>s yeux, ces larmes ne<br />

sont pas l’excès <strong>de</strong> jouissance, elle sont bien plutôt le<br />

témoignage d’une mélancolie irritée, d’une postulation<br />

<strong>de</strong>s nerfs, d’une nature exilée dans l’imparfait et qui<br />

voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre<br />

même, d’un paradis révélé.<br />

Spleen <strong>de</strong> Paris XVIII<br />

Les Fleurs du Mal<br />

Spleen et Idéal<br />

Sur l’Art<br />

Charles Bau<strong>de</strong>laire

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