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« J'ai fait parler le loup et répondre l'agneau » : la Prosopopeia ...

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Schedae, 2009<br />

Prépublication n° 15 Fascicu<strong>le</strong> n° 2<br />

<strong>«</strong> J’ai <strong>fait</strong> <strong>par<strong>le</strong>r</strong> <strong>le</strong> <strong>loup</strong> <strong>et</strong> <strong>répondre</strong><br />

l’agneau <strong>»</strong> : <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> aliquot animalium<br />

de Jean Ursin<br />

Brigitte Gauvin<br />

Université de Caen – CERLAM<br />

La <strong>Prosopopeia</strong> aliquot animalium, publiée en 1541 chez Macé Bonhomme, à Vienne en<br />

Dauphiné, <strong>et</strong> rééditée en 1552, est une œuvre en vers écrite par un médecin de Vienne,<br />

Johannes Ursinus, qu’on connaît aussi sous <strong>le</strong> nom de Jean Ursin ou Jean Orsini. Il a été<br />

l’auteur de nombreux livres dont quelques-uns nous sont parvenus : un commentaire des<br />

Disticha Catonis, un ouvrage moral, l’Ethologus, <strong>le</strong>s E<strong>le</strong>giae de Peste (1541) <strong>et</strong> <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong>.<br />

C<strong>et</strong>te œuvre, que <strong>le</strong> Parnasse Médical Français qualifie de <strong>«</strong> fort curieuse <strong>»</strong>, est d’emblée<br />

présentée comme une œuvre mixte, une tentative médico-poétique. En tant que traité de<br />

médecine, <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> relève de <strong>la</strong> poésie didactique. L’œuvre, rédigée entièrement en<br />

<strong>la</strong>tin, est accompagnée d’un certain nombre de textes liminaires. El<strong>le</strong> est, tout d’abord,<br />

introduite par trois préfaces, éga<strong>le</strong>ment en <strong>la</strong>tin ; <strong>la</strong> première, en prose, est signée par<br />

Jacobus Olivarius (Jacques Olivier), <strong>le</strong> médecin avignonnais auteur des scolies ; <strong>la</strong> seconde, en<br />

prose aussi, est de Jean Ursin lui-même, il y présente son œuvre <strong>et</strong> <strong>la</strong> dédie à l’abbé Jacques<br />

de Joyeuse 1 ; <strong>la</strong> troisième préface, beaucoup plus courte, en distiques élégiaques (16<br />

vers), est signée Raymondus Aquaeus, gymnasiarcha d’Avignon, <strong>et</strong> constitue une simp<strong>le</strong><br />

captatio. Le volume s’achève sur une postface, en prose, signée par Stephanus Roybosius,<br />

l’éditeur de Jean Ursin : il expose <strong>le</strong>s problèmes techniques qui sont intervenus dans<br />

l’impression de <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> <strong>et</strong> décharge l’auteur de toute responsabilité concernant <strong>le</strong>s<br />

défauts qui pourraient entacher l’ouvrage.<br />

Le corps du texte peut être partagé en cinq parties qu’aucune marque graphique ne<br />

délimite : <strong>la</strong> première est consacrée aux animaux sanguins, <strong>la</strong> seconde aux <strong>«</strong> animaux n’ayant<br />

pas de sang <strong>»</strong>, essentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s repti<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s amphibiens <strong>et</strong> <strong>le</strong>s insectes, c’est-à-dire <strong>le</strong>s<br />

animaux dont Pline traite dans <strong>le</strong> livre XXIX de son Histoire naturel<strong>le</strong> 2 ; <strong>la</strong> troisième aux oiseaux,<br />

1. Jacques de Joyeuse, quatrième fils de Guil<strong>la</strong>ume de Joyeuse <strong>et</strong> d’Anne de Balzac, fut nommé doyen de<br />

<strong>la</strong> cathédra<strong>le</strong> du Puy, puis abbé de l’ordre de Saint-Antoine de Viennois en 1537. Il prit possession en 1539<br />

<strong>et</strong> mourut à l’abbaye en 1542 (M. Prévost, Roman d’Amat <strong>et</strong> H. Thibout de Morembert, Dictionnaire de<br />

biographie française, t. 18, Paris, L<strong>et</strong>ouzey <strong>et</strong> Ané, 1994, p. 949).<br />

2. Voir en annexe <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au n° 1.<br />

Brigitte Gauvin<br />

<strong>«</strong> “J’ai <strong>fait</strong> <strong>par<strong>le</strong>r</strong> <strong>le</strong> <strong>loup</strong> <strong>et</strong> <strong>répondre</strong> l’agneau” : <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> aliquot animalium de Jean Ursin <strong>»</strong><br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

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<strong>la</strong> quatrième aux poissons, <strong>et</strong> <strong>la</strong> cinquième, qui devait, semb<strong>le</strong>-t-il, être consacrée aux<br />

insectes, est à peine ébauchée puisqu’el<strong>le</strong> ne comporte que deux poèmes. C<strong>et</strong>te c<strong>la</strong>ssification<br />

suit cel<strong>le</strong> des livres de Pline, reprise dans un grand nombre des ouvrages de zoologie<br />

médiévaux comme, par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> De natura rerum de Thomas de Cantimpré. Le<br />

nombre de poèmes dans chaque partie, vingt-cinq environ dans <strong>le</strong>s trois premières, quatre<br />

dans <strong>la</strong> quatrième, deux dans <strong>la</strong> dernière indique c<strong>la</strong>irement que <strong>le</strong> livre n’est pas comp<strong>le</strong>t,<br />

sans doute du <strong>fait</strong> de l’auteur ; cependant Stephanus Roybosius, dans <strong>la</strong> postface, explique<br />

que des imprimeurs malhabi<strong>le</strong>s ont abîmé <strong>le</strong> texte <strong>et</strong> qu’il n’en publie qu’une partie, des<br />

<strong>«</strong> prémices <strong>»</strong> à partir desquel<strong>le</strong>s, dit-il, on pourra quand même juger du ta<strong>le</strong>nt de l’auteur 3 .<br />

Je ne traiterai dans c<strong>et</strong>te étude que de <strong>la</strong> première partie de l’ouvrage, consacrée aux animaux,<br />

en me fondant uniquement sur l’édition viennoise de 1541.<br />

Les poèmes, composés en distiques élégiaques, sont re<strong>la</strong>tivement courts, puisqu’ils<br />

comptent une vingtaine de vers en moyenne ; dans <strong>la</strong> partie sur <strong>le</strong>s animaux, <strong>le</strong>s plus courts<br />

comptent quatre vers, <strong>le</strong>s plus longs trente-six. Chaque animal y prend <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> pour <strong>par<strong>le</strong>r</strong><br />

de lui-même <strong>et</strong> des remèdes qu’il a à offrir, d’où <strong>le</strong> titre donné à l’ouvrage, <strong>Prosopopeia</strong><br />

aliquot animalium. Tous <strong>le</strong>s poèmes sont accompagnés de scolies rédigées par <strong>le</strong> médecin<br />

Jacques Olivier. L’ordre d’apparition des animaux semb<strong>le</strong>, comme souvent 4 , partagé entre<br />

un c<strong>la</strong>ssement alphabétique approximativement suivi, comme dans l’Hortus Sanitatis ou <strong>le</strong><br />

De natura rerum de Cantimpré, <strong>et</strong> des critères plus symboliques <strong>et</strong> scientifiques, notamment<br />

pour <strong>le</strong>s deux premiers animaux : <strong>le</strong> lion, en tant que roi des animaux, ouvre <strong>le</strong> défilé,<br />

immédiatement suivi de l’éléphant, dont on connaît <strong>le</strong> prestige. Ursin, bien qu’il inverse<br />

l’ordre du lion <strong>et</strong> de l’éléphant, se conforme ainsi au modè<strong>le</strong> plinien 5 .<br />

Enfin <strong>le</strong>s poèmes en eux-mêmes suivent dans <strong>le</strong>ur très grande majorité une composition<br />

toujours identique : l’animal, après avoir parfois opéré une brève transition, expose sa<br />

natura, c’est-à-dire une présentation d’ordre général, puis énumère ses uirtutes, autrement<br />

dit <strong>le</strong>s remèdes qu’on peut tirer de son corps ou de ses productions. Ces deux aspects de<br />

l’étude, qui trouvent <strong>le</strong>ur origine dans <strong>la</strong> manière dont Pline traite des animaux dans son<br />

Histoire naturel<strong>le</strong>, sont ceux qu’adoptent, ensemb<strong>le</strong> ou séparément, de nombreux bestiaires<br />

<strong>et</strong> encyclopédies médiéva<strong>le</strong>s sous <strong>le</strong>s termes de natura <strong>et</strong> d’operationes.<br />

Mais si Ursin se montre fidè<strong>le</strong> à Pline en ce qui concerne l’obj<strong>et</strong> de son discours, il est<br />

un autre auteur <strong>la</strong>tin dont l’influence est sensib<strong>le</strong>, c<strong>et</strong>te fois dans <strong>le</strong> domaine formel, <strong>et</strong> <strong>la</strong><br />

préface dédicatoire à l’abbé de Joyeuse, bien qu’el<strong>le</strong> n’expose pas si ouvertement <strong>le</strong>s choses,<br />

<strong>la</strong>isse d’emblée deviner qu’Ursin entend se montrer fidè<strong>le</strong> aux préceptes de Cicéron :<br />

docere, mouere, de<strong>le</strong>ctare. Nous allons donc essayer de montrer de quel<strong>le</strong> manière <strong>et</strong> dans<br />

quel<strong>le</strong> mesure il atteint ces objectifs.<br />

Docere : <strong>le</strong>s éléments médicaux<br />

Jean Ursin, doctor medicus, offre au public, avec sa <strong>Prosopopeia</strong>, un ouvrage de médecine<br />

dans <strong>le</strong>quel sont exposés un certain nombre de remèdes fournis par <strong>le</strong>s animaux. Nous<br />

allons voir quel<strong>le</strong> est <strong>la</strong> nature des informations qu’il présente, quel<strong>le</strong>s sont ses sources <strong>et</strong><br />

comment il <strong>le</strong>s traite.<br />

3. Cui hoc tantum decr<strong>et</strong>um fuit, umbram quandam <strong>et</strong> typum nobilis, insignis, <strong>et</strong> magni operis futuri nusquam<br />

ab aliquo antehac excogitati, atque ingenii sui (diuini profecto) specimen porrigere, <strong>«</strong> Il a décidé de<br />

ne publier qu’une ombre, un aperçu, du nob<strong>le</strong>, remarquab<strong>le</strong> <strong>et</strong> grand ouvrage à venir, ouvrage dont personne<br />

jusqu’à maintenant n’a jamais eu l’idée, <strong>et</strong> de donner un échantillon de son ta<strong>le</strong>nt, assurément<br />

divin <strong>»</strong>.<br />

4. PINON 1995, 37.<br />

5. Pline ouvre <strong>le</strong> livre VIII de son Histoire naturel<strong>le</strong>, consacré aux animaux, par l’éléphant, <strong>le</strong> lion, <strong>et</strong> <strong>le</strong> chameau.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0152009.pdf


Nous pouvons commencer par donner une définition en creux, négative, de <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong>.<br />

El<strong>le</strong> n’est pas un livre de nature rigoureusement scientifique, comme pouvaient<br />

l’être <strong>le</strong>s traités d’Aristote ; el<strong>le</strong> n’est pas un traité de médecine à caractère réaliste, comme<br />

<strong>le</strong> prouve <strong>le</strong> recours à un certain nombre d’animaux exotiques (lion, chameau, caméléon),<br />

à certains organes d’animaux dotés, croit-on, de propriétés magiques (os de cœur du cerf 6 ),<br />

ou à certaines opérations qui n’ont guère à voir avec <strong>la</strong> médecine mais relèvent de <strong>la</strong> magie 7 ;<br />

el<strong>le</strong> est encore moins un traité rédigé d’après l’expérience personnel<strong>le</strong> du médecin Ursin,<br />

qui ne s’implique jamais personnel<strong>le</strong>ment ; el<strong>le</strong> n’est pas non plus un ouvrage qui s’appuie<br />

sur <strong>la</strong> symbolique chrétienne, comme <strong>le</strong> Physiologus, ou sur quelque symbolique que ce soit.<br />

En revanche, <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> se présente comme un ouvrage très érudit 8 , qui atteste<br />

notamment une excel<strong>le</strong>nte connaissance des livres de Pline consacrés aux animaux <strong>et</strong> aux<br />

remèdes 9 . Pline apparaît comme <strong>la</strong> source principa<strong>le</strong> d’Ursin, <strong>et</strong> celui-ci l’utilise sans jamais<br />

<strong>la</strong> rem<strong>et</strong>tre en cause, sinon par <strong>la</strong> mention humoristique de <strong>la</strong> préface : Sed dices forte :<br />

multa mentiuntur. Fateor 10 . De Pline, Ursin a repris <strong>le</strong> c<strong>la</strong>ssement zoologique qui régit l’organisation<br />

du livre, <strong>la</strong> différenciation entre natura <strong>et</strong> operationes, <strong>le</strong> caractère énumératif, <strong>le</strong><br />

c<strong>la</strong>ssement par animal plutôt que par ma<strong>la</strong>die, <strong>et</strong> surtout une bonne partie du contenu.<br />

Cependant, Pline n’est pas <strong>la</strong> seu<strong>le</strong> source de Jean Ursin. Jacques Olivier mentionne parfois<br />

dans ses scolies <strong>le</strong>s sources qu’il a pu identifier : ainsi Galien, Albert <strong>le</strong> Grand, Avicenne,<br />

Arnaldus <strong>et</strong> Rhazès apparaissent une fois, P<strong>et</strong>rus Hispanus <strong>et</strong> Hieronymus Montuus 11 deux<br />

fois, Chiron 12 <strong>et</strong> Escu<strong>la</strong>pe 13 sont mentionnés trois fois, Sextus Pythagoricus (plus connu<br />

sous <strong>le</strong> nom de Sextus Empiricus) est cité dix-neuf fois. Aristote n’est ni cité, ni utilisé, Avicenne<br />

très peu ; certains éléments très ponctuels se r<strong>et</strong>rouvent chez Thomas de Cantimpré,<br />

mais <strong>la</strong> rar<strong>et</strong>é même de ces éléments semb<strong>le</strong> indiquer que celui-ci n’a pas constitué une<br />

source directe. J’ai identifié quatorze passages venus d’Albert <strong>le</strong> Grand qui ne reprennent<br />

pas Pline ; en revanche, j’ai pu constater que Sextus Pythagoricus, bien qu’il soit cité dixneuf<br />

fois par Olivier, n’est pas <strong>la</strong> source des passages qui lui sont attribués. Les quelques<br />

pages que c<strong>et</strong> auteur consacre aux animaux, dans <strong>le</strong>s Hypotyposes Pyrrhoniennes, ne<br />

s’attachent qu’à l’étude de <strong>le</strong>ur comportement, ce qui ne correspond pas aux passages où<br />

<strong>la</strong> référence apparaît. En <strong>fait</strong> <strong>la</strong> source d’Ursin est un autre Sextus, Sextus P<strong>la</strong>citus Papyriensis,<br />

auteur d’un Libellus de medicamentis ex animalibus, postérieur au Ve sièc<strong>le</strong>, transmis<br />

avec l’Herbarius du pseudo-Apulée. L’édition princeps est de 1538, soit trois ans avant <strong>la</strong><br />

<strong>Prosopopeia</strong>, <strong>et</strong> une autre édition a vu <strong>le</strong> jour en 1539 14 . Jean Ursin s’en est beaucoup servi<br />

<strong>et</strong> j’ai identifié une centaine d’emprunts à c<strong>et</strong>te source. Le tab<strong>le</strong>au ci-dessous, récapitu<strong>la</strong>nt<br />

6. Sur l’os de cœur du cerf, voir POPLIN 1980, 26-29.<br />

7. On lit, par exemp<strong>le</strong>, que manger du lion chasse <strong>la</strong> peur des spectres, porter au coude gauche <strong>le</strong>s poils de<br />

<strong>la</strong> queue du chameau écarte <strong>la</strong> fièvre quarte, répandre <strong>le</strong> sang d’un chiot de moins d’un mois protège <strong>la</strong><br />

maison, porter sur soi l’œil droit d’un <strong>loup</strong> écarte <strong>la</strong> fièvre quarte <strong>et</strong> empêche <strong>le</strong>s chiens d’aboyer quand<br />

on passe, manger à <strong>la</strong> lune montante <strong>le</strong> cœur arraché vivant d’une be<strong>le</strong>tte donne <strong>le</strong> don de divination.<br />

Toutes ces indications viennent de l’Histoire naturel<strong>le</strong> de Pline.<br />

8. Voir <strong>la</strong> postface de Stephanus Roybosius : en prodit, optime <strong>le</strong>ctor, e<strong>le</strong>gans <strong>et</strong> noua operis eruditissimi<br />

Vrsini de animalibus idaea quaedam, <strong>«</strong> Insigne <strong>le</strong>cteur, voici que paraît un échantillon exquis <strong>et</strong> inédit de<br />

l’ouvrage sur <strong>le</strong>s animaux qu’a rédigé <strong>le</strong> très savant Ursin <strong>»</strong>.<br />

9. Livres VIII-XI pour <strong>le</strong>s animaux, livres XXVIII-XXXII pour <strong>le</strong>s remèdes.<br />

10. <strong>«</strong> Mais tu diras peut-être : “ils mentent beaucoup” ; je <strong>le</strong> reconnais. <strong>»</strong> Lorsqu’Ursin mentionne <strong>le</strong>s magi decepti<br />

ou magi delusi, ce n’est pas un commentaire de sa part : c’est que Pline signa<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> passage correspondant<br />

que <strong>le</strong> renseignement est un mensonge des mages.<br />

11. Hieronymus Montuus est <strong>le</strong> médecin à qui Jacques Olivier adresse sa préface.<br />

12. Le nom de Chiron renvoie en <strong>fait</strong> à <strong>la</strong> Mulomedicina Chironis (III e ou IV e sièc<strong>le</strong>), manuel d’hippiatrique<br />

dont s’est inspiré Végèce (SABBAH 1987, 115-117).<br />

13. C’est-à-dire <strong>le</strong> Liber Escu<strong>la</strong>pii, manuel de médecine dont <strong>la</strong> première partie est constituée du Liber Aurelii<br />

(ibid., 87).<br />

14. Ibid., 130.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

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<strong>le</strong>s sources utilisées pour écrire <strong>la</strong> prosopopée du renard, donnera une idée de <strong>la</strong> manière<br />

dont Ursin compose ses poèmes.<br />

Albert Sextus<br />

P<strong>la</strong>citus<br />

DA 22<br />

De Vulpe<br />

13<br />

DV 9<br />

DV 8<br />

DV 4<br />

DV 6<br />

DV 12<br />

Pline Vulpes Scolies<br />

28, 166<br />

28, 197<br />

28, 189<br />

Parfois, cependant, Ursin, soit à cause de <strong>la</strong> transposition en vers, soit par suite d’erreurs<br />

d’origine diverse, ne se montre pas entièrement fidè<strong>le</strong> aux indications pliniennes : il arrive<br />

par exemp<strong>le</strong> très souvent que <strong>la</strong> mise en vers l’amène à abréger ou muti<strong>le</strong>r <strong>le</strong> propos de<br />

Pline jusqu’à <strong>le</strong> déformer, comme dans <strong>le</strong> cas du <strong>loup</strong> 15 , ou <strong>le</strong> rendre diffici<strong>le</strong>ment compréhensib<strong>le</strong>,<br />

comme dans <strong>le</strong>s vers concernant <strong>la</strong> natura du lion 16 : dans ce cas précis, <strong>la</strong> ponctuation<br />

fautive de l’édition indique que <strong>le</strong> texte n’a pas été compris par l’éditeur, tandis<br />

que <strong>la</strong> note d’Olivarius, mentionnant Rhazès, semb<strong>le</strong> indiquer qu’il n’a pas reconnu <strong>le</strong> texte<br />

de Pline ou qu’il cherche une source complémentaire, peut-être pour expliquer l’étrange<br />

image supremo sidere, qu’il semb<strong>le</strong> associer à ses scolies précédentes sur <strong>le</strong> ciel <strong>et</strong> à<br />

<strong>la</strong>quel<strong>le</strong> il semb<strong>le</strong> chercher un sens astronomique. Pour une raison diffici<strong>le</strong>ment compréhensib<strong>le</strong><br />

aussi, <strong>le</strong> caméléon s’exprime partiel<strong>le</strong>ment en énigmes, de sorte que son propos est<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0152009.pdf<br />

Concionor nostras <strong>la</strong>udes, induta cucul<strong>la</strong>m;<br />

Adsint, anser, anas, totaque turba alitum.<br />

Vera canam, nec more meo mendacia fingam<br />

Sed p<strong>et</strong>o pro precio sit mihi c<strong>la</strong>udus anas.<br />

Est mihi praecipuum podagrae sedare Si uiua decoquatur. Item o<strong>le</strong>um.<br />

dolores<br />

Suspensa brachio.<br />

Et cauda ad Venerem non bene calcar Cocta in o<strong>le</strong>o u<strong>et</strong>eri.<br />

hab<strong>et</strong>.<br />

Ex Sexto<br />

Mentu<strong>la</strong> pro pesso matricem summa Ex uino potus.<br />

p<strong>et</strong>entem.<br />

Si ex eis saepius confricauerit paro-<br />

Deprimit, <strong>et</strong> sanat fronte ligata caput. tidas.<br />

Inde meus <strong>la</strong>xat spirandi pulmo meatus, Instil<strong>la</strong>tus. Ex Sexto<br />

Et sp<strong>le</strong>ni <strong>et</strong> phthisicis praestat adesus<br />

opem.<br />

Inguina testiculi diramque parotida sanant<br />

Tonxil<strong>la</strong>sque meo rene fricare iuuat.<br />

Sanat adeps aures ; puero dum pectora<br />

sugit.<br />

Da cerebrum, sacro non cad<strong>et</strong> il<strong>le</strong> malo.<br />

Sed quid tanta loquor ? Nox instat, tentat<br />

orexis<br />

Pectora. Pro precio sit mihi c<strong>la</strong>udus anas.<br />

15. Ca<strong>et</strong>era delusi taceo nugamina magi/Qui putat ad pathicam pondus habere pilum, <strong>«</strong> Je tais <strong>le</strong>s autres<br />

affabu<strong>la</strong>tions du mage menteur, qui pense qu’un de mes poils est uti<strong>le</strong> aux fil<strong>le</strong>s débauchées <strong>»</strong> ; <strong>le</strong> texte<br />

de Pline (nat. 8, 83) est <strong>le</strong> suivant : quin <strong>et</strong> caudae huius animalis creditur uulgo inesse amatorium uirus exiguo<br />

in uillo eumque, cum capiatur, abici nec idem pol<strong>le</strong>re nisi uiuenti dereptum. Même chose pour <strong>le</strong> passage<br />

suivant ; Ursin <strong>fait</strong> dire au <strong>loup</strong> : Verum more meo ueneri praescribito m<strong>et</strong>am,/Mense semel satis est<br />

sit reuoluta Venus, <strong>«</strong> Mais, suis mon usage <strong>et</strong> limite <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>isirs de Vénus : une fois par mois est un dé<strong>la</strong>i suffisant<br />

pour que Vénus revienne <strong>»</strong>, alors que Pline écrit (nat. 8, 83) : dies, quibus coeat, toto anno non<br />

amplius duodecim, <strong>«</strong> On dit que <strong>le</strong> temps de l’accoup<strong>le</strong>ment pour <strong>le</strong>s <strong>loup</strong>s ne dure pas plus de douze<br />

jours dans toute l’année <strong>»</strong> (PLINE L’ANCIEN, Ernout 1952). Il y a ici un changement du sens même du texte.<br />

16. Pline écrit (nat. 8, 52) : atque hoc ta<strong>le</strong> tamque saeuum animal rotarum orbes circumacti currusque inanes<br />

<strong>et</strong> gallinaceorum cristae cantusque <strong>et</strong>iam magis terrent, sed maxime ignes, <strong>«</strong> <strong>et</strong> pourtant un tel animal, <strong>et</strong><br />

si féroce, est effrayé par <strong>le</strong> tournoiement des roues <strong>et</strong> <strong>le</strong> mouvement d’un char vide, par <strong>la</strong> crête du coq<br />

<strong>et</strong> plus encore par son chant, mais surtout par <strong>le</strong> feu <strong>»</strong> (PLINE L’ANCIEN, Ernout 1952). Sous <strong>la</strong> plume d’Ursin,<br />

ces lignes deviennent : Hei mihi causa fugae, supremo sidere gallus/F<strong>la</strong>mmaque <strong>et</strong> obductae semita trita<br />

rotae./Fortia sic paruis interdum corpora caedunt, <strong>«</strong> Hé<strong>la</strong>s <strong>le</strong> coq, dont une étoi<strong>le</strong> surmonte <strong>la</strong> tête, me<br />

m<strong>et</strong> en fuite, de même que <strong>le</strong> feu <strong>et</strong> <strong>le</strong>s roues qui tournent sur <strong>le</strong>s chemins fréquentés. C’est ainsi parfois<br />

que <strong>le</strong>s forts cèdent aux faib<strong>le</strong>s <strong>»</strong>. Le texte dans l’édition de 1541 présente un point après fortia <strong>et</strong> non<br />

après rotae ; l’étoi<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> être une métaphore pour désigner <strong>la</strong> crête.


non plus obscur mais privé de contenu informatif 17 . Peut-être pour des raisons métriques,<br />

ou à cause d’un exemp<strong>la</strong>ire de Pline corrompu, Ursin change des noms : <strong>le</strong> Demaenatus<br />

transformé en <strong>loup</strong> chez Pline devient Demarchus dans <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong>, à moins que <strong>la</strong> confusion<br />

ne soit plus grave 18 . Dans <strong>le</strong> poème de l’âne, une doub<strong>le</strong> confusion entre l’organe utilisé<br />

pour <strong>la</strong> thérapie <strong>et</strong> <strong>la</strong> partie soignée entraîne une déformation complète du discours<br />

de Pline 19 . Dans <strong>le</strong> poème de <strong>la</strong> be<strong>le</strong>tte, Ursin attribue à c<strong>et</strong> animal une propriété magique<br />

que Pline prête seu<strong>le</strong>ment à <strong>la</strong> taupe 20 . On trouve des problèmes du même type dans<br />

l’adaptation des autres sources : dans <strong>la</strong> prosopopée du renard, Ursin inverse tota<strong>le</strong>ment <strong>le</strong><br />

sens du texte de Sextus P<strong>la</strong>citus 21 ; dans cel<strong>le</strong> du loir, il semb<strong>le</strong> confondre paresim <strong>et</strong> paralysim<br />

22 . Mais <strong>le</strong> contraire arrive parfois : c’est ainsi que dans <strong>la</strong> prosopopée du chat, Ursin<br />

remp<strong>la</strong>ce l’indication ungu<strong>la</strong> bouis de Sextus par ungu<strong>la</strong> bubonis 23 ; or c’est ici Sextus qui<br />

17. Dicite decepti mea nunc praeconia magi,/Quid mihi uiuenti demptus ocellus agat./Num caput, <strong>et</strong> guttur<br />

cieant combusta tonitrus, <strong>«</strong> Proc<strong>la</strong>mez maintenant mes vertus, mages abusés, dites à quoi peut servir mon<br />

œil si on me l’arrache alors que je suis vivant, dites si ma tête <strong>et</strong> ma gorge, brûlés, provoquent <strong>la</strong> foudre <strong>»</strong>.<br />

18. Dic uires Demarche meas, me praeda moratur/Nam duo te referunt lustra fuisse lupum, <strong>«</strong> Dis mes qualités,<br />

Demarchus, je suis occupé à chasser : en eff<strong>et</strong>, à ce qu’on rapporte, tu as été <strong>loup</strong> pendant deux lustres <strong>»</strong> ;<br />

<strong>le</strong> texte de Pline (nat. 8, 82) est <strong>le</strong> suivant : ita < S > copas, qui Olympionicas scripsit, narrat Demaen<strong>et</strong>um<br />

Parrhasium in sacrificio, quod Arcades Ioui Lycaeo humana <strong>et</strong>iamtum hostia faciebant, immo<strong>la</strong>ti pueri exta<br />

degustasse <strong>et</strong> in lupum se conuertisse, eundem X anno restitutum ath<strong>le</strong>ticae se exercuisse in pugi<strong>la</strong>tu uictoremque<br />

Olympia reuersum, <strong>«</strong> Ainsi Scopas, <strong>le</strong> biographe des Olympioniques, raconte que, dans <strong>le</strong> sacrifice<br />

de victimes humaines que <strong>le</strong>s Arcadiens faisaient encore dans ce temps à Jupiter Lycéen, Déménète<br />

de Parrhasie, ayant goûté des entrail<strong>le</strong>s d’un enfant immolé, se trouva transformé en <strong>loup</strong> ; que dix ans<br />

après, ayant r<strong>et</strong>rouvé sa forme humaine, il reprit son entraînement athlétique, <strong>et</strong> remporta à Olympie <strong>le</strong><br />

prix du pugi<strong>la</strong>t <strong>»</strong> (PLINE L’ANCIEN, Ernout 1952). Dans ce cas, <strong>le</strong> nom n’est pas respecté. Pline rapporte dans<br />

<strong>le</strong> même passage un autre cas de lycanthropie, touchant un homme appelé Anthus. Enfin, Demarchus<br />

pourrait être un titre qui désigne Lycaon, roi d’Arcadie, dont Pausanias écrit, dans <strong>le</strong>s Arkadica (3, 5) qu’il<br />

est resté <strong>loup</strong> huit ans ; il y a peut-être ici une confusion entre différentes sources.<br />

19. Creditur [<strong>la</strong>c] <strong>et</strong> sp<strong>le</strong>nes extenuare graues./Sistit idem dentes <strong>et</strong> tabo pectora mundat,/Sp<strong>le</strong>n sp<strong>le</strong>ni<br />

admotum <strong>la</strong>c reuocare so<strong>le</strong>t, <strong>«</strong> On croit même que [mon <strong>la</strong>it] <strong>fait</strong> dégonf<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s rates douloureuses. Il<br />

empêche aussi <strong>le</strong>s dents de bran<strong>le</strong>r <strong>et</strong> guérit <strong>la</strong> consomption ; appliquer ma rate sur <strong>la</strong> rate est un moyen<br />

courant de faire venir <strong>le</strong> <strong>la</strong>it <strong>»</strong> (littéra<strong>le</strong>ment) ; il faut, dans <strong>la</strong> première <strong>et</strong> troisième occurrence, lire ubera<br />

(<strong>«</strong> seins <strong>»</strong>) à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de sp<strong>le</strong>n (<strong>«</strong> rate <strong>»</strong>), comme l’indiquent <strong>le</strong>s passages de Pline d’où viennent ces indications.<br />

En eff<strong>et</strong>, Pline (nat. 28, 250 <strong>et</strong> 251) écrit Si [ubera] do<strong>le</strong>nt, <strong>la</strong>ctis asini potu mulcentur, <strong>«</strong> si [<strong>le</strong>s seins]<br />

sont douloureux, <strong>le</strong> <strong>la</strong>it d’ânesse en boisson apaise <strong>la</strong> souffrance <strong>»</strong> (PLINE L’ANCIEN, Ernout 1962a) <strong>et</strong> Eiusdem<br />

animalis [asini] lien inu<strong>et</strong>eratus ex aqua inlitus mammis abundantiam facit, <strong>«</strong> <strong>la</strong> rate [d’âne] desséchée,<br />

appliquée sur <strong>le</strong>s seins avec de l’eau, <strong>fait</strong> venir <strong>le</strong> <strong>la</strong>it en abondance <strong>»</strong> (PLINE L’ANCIEN, Ernout 1962a).<br />

20. Mande cor incoctum, crescunt cum cornua lunae,/Sugger<strong>et</strong> id certe multa futura tibi, <strong>«</strong> Mange mon cœur<br />

cru, quand croissent <strong>le</strong>s cornes de <strong>la</strong> lune ; tu es sûr de connaître bien des événements futurs <strong>»</strong> ; ces paro<strong>le</strong>s,<br />

attribuées à <strong>la</strong> be<strong>le</strong>tte, rappel<strong>le</strong>nt Pline (nat. 30, 19) à propos de <strong>la</strong> taupe : si quis cor eius recens palpitansque<br />

deuor<strong>et</strong>, diuinationes <strong>et</strong> rerum efficiendarum euentus promittant, <strong>«</strong> à celui qui mangera un<br />

cœur de taupe frais <strong>et</strong> palpitant, ils prom<strong>et</strong>tent de connaître par divination <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment des événements<br />

futurs <strong>»</strong> (PLINE L’ANCIEN, Ernout 1963).<br />

21. Sextus P<strong>la</strong>citus, De uulpe, 9 : Ad irritamentum concubiti : uulpis cauda summa ad brachium suspensa irritamentum<br />

esse concubiti fertur, <strong>«</strong> pour stimu<strong>le</strong>r <strong>la</strong> sexualité : l’extrémité de <strong>la</strong> queue du renard, portée au<br />

bras, stimu<strong>le</strong>, à ce qu’on dit, <strong>la</strong> sexualité <strong>»</strong>. C<strong>et</strong>te indication devient chez Ursin : Et cauda ad Venerem non<br />

bene calcar hab<strong>et</strong>, <strong>«</strong> <strong>et</strong> ma queue n’est pas un bon stimu<strong>la</strong>nt pour Vénus <strong>»</strong>.<br />

22. Dans <strong>le</strong> chapitre intitulé De glire, Sextus P<strong>la</strong>citus écrit : Ad eos qui paralisi tentantur. Gliris adeps remedium<br />

affert his qui paralisi tentantur, si eo inungantur. C<strong>et</strong>te indication vient de Pline (nat. 30, 86 : Paralysin<br />

cauentibus pinguia glirium decoctorum <strong>et</strong> soricum utilissima tradunt esse) <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>rouve chez Albert <strong>le</strong><br />

Grand. Dans <strong>le</strong> texte d’Ursin, il n’est plus question de paralysie, mais <strong>le</strong> conseil du loir (Sanguine uerrucas,<br />

paresim pinguedine curo) semb<strong>le</strong> indiquer une confusion entre <strong>le</strong>s deux termes.<br />

23. Sextus P<strong>la</strong>citus, De catta seu fe<strong>le</strong>, 4 : Ad quartanas : cattae stercus cum ungu<strong>la</strong> bouis in col<strong>le</strong> uel bracchio<br />

suspensum quartanam post septimam accessionem discutit <strong>et</strong> inde ne festinas illud soluere, <strong>«</strong> pour <strong>la</strong> fièvre<br />

quarte : <strong>la</strong> crotte de chat, portée au cou ou au bras avec un sabot de bœuf, guérit <strong>la</strong> fièvre quarte après<br />

<strong>le</strong> septième accès ; par <strong>la</strong> suite ne te hâte pas de l’en<strong>le</strong>ver <strong>»</strong>. Chez Ursin, ce conseil devient : At si feralis<br />

bubonis iunxeris ungues,/Quartanam fertur posse fugare febrim, <strong>«</strong> <strong>et</strong> si tu associes [à mes excréments] <strong>le</strong>s<br />

serres du sinistre hibou, on peut, dit-on, guérir <strong>la</strong> fièvre quarte <strong>»</strong>.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

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s’était trompé, <strong>et</strong> Ursin revient ainsi à <strong>la</strong> source, c’est-à-dire au texte de Pline 24 , signe qu’il<br />

effectue un certain nombre de vérifications.<br />

Le discours médical <strong>et</strong> <strong>le</strong> discours zoologique tenus par Ursin s’inscrivent dans <strong>la</strong> droite<br />

ligne de <strong>la</strong> science médiéva<strong>le</strong>. Parmi <strong>le</strong>s indications de Pline, Ursin r<strong>et</strong>ient <strong>le</strong>s éléments<br />

re<strong>le</strong>vant de <strong>la</strong> magie, comme l’utilisation de certains organes d’animaux en amu<strong>le</strong>ttes ou<br />

l’adéquation entre l’organe traité chez l’homme <strong>et</strong> celui utilisé chez l’animal : cendre de<br />

tête pour maux de tête, excréments pour maux de ventre, urine pour maux de reins, poumons<br />

pour <strong>le</strong>s problèmes de respiration… Le second tab<strong>le</strong>au présenté en annexe montre<br />

<strong>le</strong>s différentes ma<strong>la</strong>dies traitées <strong>et</strong> <strong>le</strong>s parties d’animaux ou <strong>le</strong>s productions anima<strong>le</strong>s utilisées<br />

comme remèdes. Sur <strong>le</strong> p<strong>la</strong>n strictement médical, <strong>le</strong> texte n’apporte donc rien de vraiment<br />

nouveau.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, sur <strong>le</strong> p<strong>la</strong>n concr<strong>et</strong>, on peut remarquer que <strong>le</strong> texte d’Ursin manque énormément<br />

de précision. À une exception près 25 , on ne trouve jamais d’indication de posologie,<br />

par exemp<strong>le</strong> ; de même, il est extrêmement rare que <strong>le</strong>s modes de préparation <strong>et</strong><br />

d’utilisation des différents remèdes soient indiqués : on ne sait pas s’il faut ingérer ou appliquer<br />

tel ou tel remède, si tel ou tel autre doit être utilisé broyé, brûlé, en macération ou<br />

sous une autre forme. On peut avancer que ce manque de précision est lié lui aussi au<br />

choix <strong>fait</strong> par Ursin de <strong>la</strong> forme brève <strong>et</strong> poétique : dans de nombreux cas par exemp<strong>le</strong>, là<br />

où Albert <strong>le</strong> Grand indique <strong>le</strong> remède, <strong>la</strong> façon de <strong>le</strong> préparer <strong>et</strong> de l’appliquer, Jean Ursin<br />

n’en r<strong>et</strong>ient que l’origine, <strong>le</strong> rendant de ce <strong>fait</strong> inutilisab<strong>le</strong> 26 . C’est d’ail<strong>le</strong>urs <strong>la</strong> raison pour<br />

<strong>la</strong>quel<strong>le</strong> Jacques Olivier a considéré que <strong>le</strong> texte ne pouvait être livré au public sans l’ajout<br />

de scolies, comme il l’explique dans sa préface 27 . Les notes de Jacques Olivier sont de<br />

toute sorte : il peut résumer en quelques mots l’essentiel d’un groupe de vers, ajouter un<br />

commentaire de Pline qu’Ursin n’a pas r<strong>et</strong>enu <strong>et</strong> qui éc<strong>la</strong>ire <strong>le</strong> passage, comme dans <strong>le</strong> cas<br />

du <strong>loup</strong> cité plus haut 28 , préciser <strong>le</strong>s sources, qu’Ursin ne mentionne qu’exceptionnel<strong>le</strong>ment,<br />

ajouter un mode d’utilisation, parfois une posologie, ou un commentaire tiré de sa<br />

pratique médica<strong>le</strong> personnel<strong>le</strong>. Mais si <strong>le</strong>s scolies ont <strong>le</strong> mérite de rendre un peu moins<br />

24. Pline, nat., 28, 228 : Quartanis Magi excrementa felis cum digito bubonis adalligari iubent, <strong>«</strong> Pour <strong>la</strong> fièvre<br />

quarte, <strong>le</strong>s Mages ordonnent de porter en amu<strong>le</strong>tte de <strong>la</strong> fiente de chat avec un doigt de hibou <strong>»</strong> (PLINE<br />

L’ANCIEN, Ernout 1962a).<br />

25. Dans <strong>le</strong> poème du cerf : Discutit humores, affectos curat ocellos/Et caput ex uino drachma uorata iuuat.<br />

26. Dans <strong>le</strong> paragraphe qu’il consacre au chien (De animalibus 22), Albert <strong>le</strong> Grand écrit : stercus <strong>et</strong>iam canis<br />

sumptus constringit uentrem, maxime si sit stercus ossa comedentium canum <strong>et</strong> dessicatum sit per XX<br />

dies in mense Iulio <strong>et</strong> ante solis ortum sumatur ad pondus aurei cum decoctione galli decrepiti,<br />

<strong>«</strong> Absorber <strong>le</strong>s excréments de chien resserre <strong>le</strong> ventre, surtout si ce sont <strong>le</strong>s excréments de chiens qui<br />

mangent des os, s’ils ont séché pendant vingt jours au mois de juil<strong>le</strong>t, si l’on en prend une drachme, avant<br />

<strong>le</strong> <strong>le</strong>ver du so<strong>le</strong>il, avec une décoction de vieux coq <strong>»</strong>. Dans <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong>, il ne reste que l’indication<br />

suivante : Curo malum sacrum <strong>et</strong> cruciatus stercore uentris, <strong>«</strong> Par mes excréments, je soigne <strong>le</strong> mal sacré<br />

<strong>et</strong> <strong>le</strong>s dou<strong>le</strong>urs qui déchirent <strong>le</strong> ventre <strong>»</strong>. Il existe de très nombreux exemp<strong>le</strong>s de ce type bien que <strong>le</strong>s textes<br />

de Sextus P<strong>la</strong>citus, source essentiel<strong>le</strong> de Jean Ursin, contiennent en grand nombre des indications précises<br />

de posologie.<br />

27. Verum cum perspicerem haud faci<strong>le</strong> a quouis, <strong>et</strong>iam medicinae candidato, posse intelligi citra scholia aliquot,<br />

[…] eo euestigio ad eum, rogo, dehortor, cogorque persuadere ut scholia edat, quod stultum sit id<br />

in publicum exponere quod intelligi nolumus. Negauit se esse facturum, tum quia aliis distrahebatur<br />

negociis, tum quia alio peregre profecturus erat. Sed interim me rogauit eam prouinciam uel<strong>le</strong>m suscipere,<br />

<strong>«</strong> Mais comme je voyais que l’œuvre ne serait pas faci<strong>le</strong> à comprendre par qui que ce soit, fût-ce un<br />

étudiant en médecine, sans <strong>le</strong> secours de quelques scolies […] je vais voir [Ursin] sur <strong>le</strong> champ, je<br />

l’implore, je l’exhorte, je m’efforce de <strong>le</strong> persuader d’écrire des scholies, expliquant qu’il serait stupide<br />

d’offrir au public quelque chose dont nous ne voulons pas qu’il soit compris. Il refusa de <strong>le</strong> faire, d’une<br />

part parce qu’il était alors occupé à d’autres tâches, de l’autre parce qu’il s’apprêtait à partir à l’étranger.<br />

Mais il me demanda de bien vouloir entreprendre ce travail<strong>»</strong>.<br />

28. Olivarius précise : Imo <strong>et</strong> toti caudae inest uis amatoria, <strong>«</strong> c’est plutôt dans <strong>la</strong> queue tout entière que se<br />

trouvent <strong>le</strong>s vertus aphrodisiaques <strong>»</strong>.<br />

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abstrait <strong>le</strong> propos d’Ursin, el<strong>le</strong>s sont cependant trop incomplètes pour faire véritab<strong>le</strong>ment<br />

du recueil un manuel de médecine.<br />

L’aspect didactique n’apparaît donc pas comme <strong>le</strong> plus original de l’œuvre d’Ursin, ni<br />

comme <strong>le</strong> plus remarquab<strong>le</strong>. Le contenu médical de <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> est pour l’essentiel tiré<br />

de Pline <strong>et</strong> de Sextus P<strong>la</strong>citus <strong>et</strong>, comme nous l’avons montré, <strong>la</strong> forme poétique adoptée<br />

dessert <strong>le</strong> propos scientifique plus qu’el<strong>le</strong> ne <strong>le</strong> sert. Voyons donc quel autre objectif peut<br />

rechercher Jean Ursin en faisant <strong>par<strong>le</strong>r</strong> <strong>le</strong>s animaux.<br />

Mouere : <strong>le</strong>s éléments rhétoriques<br />

Si <strong>le</strong> poème relève de <strong>la</strong> poésie didactique, il est certain que l’é<strong>la</strong>boration d’un savoir<br />

nouveau n’est pas <strong>le</strong> premier but d’Ursin. Voyons donc si son objectif ne pourrait pas être,<br />

en donnant <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> directement aux animaux, d’agir sur <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur, en d’autres termes de<br />

faire ce que Cicéron nomme mouere. Deux éléments techniques liés à c<strong>et</strong>te perspective<br />

bénéficient en eff<strong>et</strong> d’un intérêt manifeste de sa part : l’énonciation <strong>et</strong> <strong>la</strong> tonalité.<br />

La prosopopée est un moyen de jouer sur de multip<strong>le</strong>s formes d’énonciation. Il perm<strong>et</strong><br />

notamment l’emploi de <strong>la</strong> première personne, mais aussi de <strong>la</strong> deuxième. La forme<br />

même de l’œuvre, puisque <strong>le</strong>s animaux se succèdent, <strong>fait</strong> qu’on ne peut jamais arriver à un<br />

échange, mais <strong>le</strong>s répliques peuvent s’adresser à différents interlocuteurs : l’animal, nous y<br />

reviendrons, par<strong>le</strong> souvent, pour faire une transition, à celui qui l’a précédé : on trouve alors<br />

l’emploi de <strong>la</strong> première <strong>et</strong> de <strong>la</strong> deuxième personnes, des impératifs, des apostrophes 29 .<br />

Dans <strong>le</strong>s operationes, lorsqu’il dresse <strong>la</strong> liste des remèdes, l’animal s’adresse très fréquemment<br />

au <strong>le</strong>cteur en quête de médications 30 , ou directement à tel ou tel ma<strong>la</strong>de 31 , <strong>le</strong> plus<br />

souvent sur <strong>le</strong> mode de l’injonction. Il arrive aussi que <strong>le</strong>s animaux s’adressent aux hommes<br />

qui <strong>le</strong>s entourent habituel<strong>le</strong>ment 32 , ou prennent à témoin des êtres appartenant à <strong>la</strong> légende<br />

ou à l’histoire 33 ; enfin, une seu<strong>le</strong> fois, un animal s’adresse à l’auteur lui-même : c’est l’ours<br />

qui s’autorise c<strong>et</strong>te familiarité, encouragé par <strong>la</strong> ressemb<strong>la</strong>nce entre <strong>le</strong> nom de l’auteur <strong>et</strong><br />

<strong>le</strong> sien 34 . Tous ces procédés donnent beaucoup d’animation au texte <strong>et</strong> font vivre <strong>le</strong>s animaux.<br />

Mais on pourrait penser que l’utilisation de <strong>la</strong> première personne <strong>et</strong> de <strong>la</strong> deuxième<br />

constitue aussi pour <strong>le</strong>s animaux un moyen de convaincre <strong>et</strong> de persuader <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur, destinataire<br />

de l’œuvre <strong>et</strong> de chaque discours.<br />

Cependant, l’un des problèmes posés par c<strong>et</strong>te œuvre est qu’on ne distingue pas de<br />

propos global, d’objectif <strong>et</strong> de discours communs aux animaux ; bien plus, l’œuvre renferme<br />

des contradictions manifestes qui <strong>la</strong> rendent diffici<strong>le</strong> à interpréter <strong>et</strong> à situer. Dans sa dédicace<br />

à l’abbé de Joyeuse, Ursin avait résumé <strong>le</strong> propos des animaux en ces termes : Vitia<br />

29. Le bélier : Siste gradum e<strong>le</strong>phas, <strong>«</strong> Arrête-toi, éléphant <strong>»</strong> ; <strong>le</strong> chameau : Sum piger, at cursus uinco, caba<strong>le</strong>,<br />

tuos, <strong>«</strong> Je suis paresseux, mais je te bats à <strong>la</strong> course, cheval <strong>»</strong> ; <strong>la</strong> chèvre sauvage : Capra, tuas iactas nullo<br />

discrimine <strong>la</strong>udes,/Harum nempe mihi portio magna datur ?, <strong>«</strong> Chèvre, tu t’attribues tous <strong>le</strong>s mérites sans<br />

distinction, mais ne crois-tu pas qu’une grande partie m’en revient ? <strong>»</strong>.<br />

30. Le chameau : Vre fimum <strong>et</strong> poteris <strong>la</strong>ssos crispare capillos, <strong>«</strong> Brû<strong>le</strong> mes excréments <strong>et</strong> tu pourras friser <strong>le</strong>s<br />

cheveux dévitalisés <strong>»</strong>.<br />

31. La taupe : Et munus nostri, calue, cruoris habe, <strong>«</strong> Et procure-toi <strong>le</strong> présent de notre sang, toi qui es<br />

chauve <strong>»</strong> ; <strong>la</strong> chèvre : Surde, meum sumas Ga<strong>le</strong>no teste cruorem, <strong>«</strong> Toi qui es sourd, suis <strong>le</strong> conseil de<br />

Galien <strong>et</strong> prends mon sang <strong>»</strong>.<br />

32. Le bélier : Dicite pastores, nostis, quid uel<strong>le</strong>re possim, <strong>«</strong> Dites, bergers, <strong>le</strong>s vertus de ma toison – vous <strong>le</strong>s<br />

connaissez <strong>»</strong>.<br />

33. Le <strong>loup</strong> : Dic uires, Demarche, meas, me praeda moratur,/Nam duo te referunt lustra fuisse lupum, <strong>«</strong> Dis<br />

mes qualités, Demarchus, je suis occupé à chasser : à ce qu’on dit, en eff<strong>et</strong>, tu as été <strong>loup</strong> pendant deux<br />

lustres <strong>»</strong> ; <strong>le</strong> rat : Vel dicat Carbo, aut clypeis Lauinus adesis,/Cui tulimus belli nuncia certa trucis, <strong>«</strong> Que<br />

Carbon <strong>le</strong> dise, ou l’habitant de Lavinium, dont <strong>le</strong>s boucliers ont été rongés, à qui nous avions donné <strong>le</strong><br />

présage certain d’une guerre terrib<strong>le</strong> <strong>»</strong>.<br />

34. L’ours : Ne taceas titulos, Vrse po<strong>et</strong>a, meos, <strong>«</strong> Ne tais pas mes titres de gloire, poète Ursin <strong>»</strong>.<br />

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arguent, mores <strong>la</strong>udabunt, religionem extol<strong>le</strong>nt, si aegrotare contigerit sese morti exponent,<br />

aliud cerebrum, aliud cor, aliud oculos, aliud sanguinem, iecur, lotium, aliud denique<br />

praesegmina omnia ueluti pharmacopol<strong>la</strong> suas merces extrud<strong>et</strong> 35 . En somme, il <strong>le</strong>ur prête<br />

deux missions à défendre : l’une salvatrice <strong>et</strong> thérapeutique, l’autre mora<strong>le</strong>, consistant à<br />

défendre <strong>la</strong> vertu contre <strong>le</strong> vice. Si nous commençons par <strong>la</strong> mission thérapeutique, il est<br />

vrai que l’objectif de ces animaux, pour <strong>la</strong> plupart, semb<strong>le</strong> être de persuader l’homme de<br />

<strong>le</strong>ur utilité médica<strong>le</strong>, quitte à ce que c<strong>et</strong>te reconnaissance aboutisse à <strong>le</strong>ur mort, parfois<br />

cruel<strong>le</strong> 36 : d’où l’emploi de <strong>la</strong> deuxième personne, des modes de l’injonction, <strong>et</strong>c. Or deux<br />

animaux, <strong>le</strong> castor <strong>et</strong> <strong>le</strong> cerf, adoptent une attitude exactement opposée à cel<strong>le</strong> des autres :<br />

<strong>le</strong> castor, dans quatre vers <strong>la</strong>pidaires 37 , enjoint à l’homme de lui <strong>la</strong>isser <strong>la</strong> vie sauve en<br />

échange de ses testicu<strong>le</strong>s. De manière plus développée <strong>et</strong> plus travaillée, c’est aussi <strong>le</strong> cas<br />

du cerf. Dans un premier temps, il tente de convaincre <strong>le</strong>s <strong>le</strong>cteurs que seu<strong>le</strong>s ses cornes<br />

possèdent des vertus, <strong>et</strong> qu’il est donc inuti<strong>le</strong> de <strong>le</strong> chasser 38 . On peut remarquer <strong>le</strong> caractère<br />

très rigoureux de sa démonstration (Nonne satis <strong>la</strong>crimae ramosaque cornua prosunt ?<br />

[…] Crede mihi, in nostro tot sunt medicamina cornu/In sene quot ramos cornua utraque<br />

ferunt […] Sed frustra (heu) cecini nostri praeconia cornu). Parallè<strong>le</strong>ment, il cherche à émouvoir<br />

son interlocuteur <strong>et</strong> déploie pour ce<strong>la</strong> toutes <strong>le</strong>s ressources de l’elocutio <strong>la</strong> plus expressive :<br />

interrogation rhétorique, apostrophe, hyperbo<strong>le</strong>, interjection. Faisant porter tous ses efforts<br />

sur <strong>le</strong> pathétique, il mentionne ses <strong>la</strong>rmes à deux reprises 39 , évoque <strong>la</strong> mort cruel<strong>le</strong> qui<br />

l’attend 40 , accuse l’homme de ne pas <strong>répondre</strong> à <strong>la</strong> confiance qu’il m<strong>et</strong> en lui 41 . L’attention<br />

<strong>et</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce accordée au cerf, puisque c’est à lui qu’il consacre <strong>le</strong> plus long poème <strong>et</strong> celui<br />

dont <strong>la</strong> composition est <strong>la</strong> plus travaillée, brouil<strong>le</strong>nt ainsi quelque peu <strong>le</strong> sens de l’ensemb<strong>le</strong>.<br />

C<strong>et</strong>te impression de contradiction est accentuée par <strong>la</strong> confusion du discours moral<br />

tenu par <strong>le</strong>s animaux. Il est vrai, conformément à <strong>la</strong> promesse d’Ursin, que <strong>le</strong> discours médical<br />

se mê<strong>le</strong> parfois de quelques conseils de nature mora<strong>le</strong>, notamment dans <strong>le</strong> domaine de<br />

<strong>la</strong> sexualité. Par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> cerf, pour échapper à <strong>la</strong> mort, veut convaincre <strong>le</strong>s jeunes fil<strong>le</strong>s<br />

désireuses d’avorter qu’il n’est pas efficace, contrairement à ce qu’on croit, de porter au<br />

coude gauche l’os qu’il renferme dans son cœur :<br />

35. <strong>«</strong> Ils fustigeront <strong>le</strong>s vices, ils loueront <strong>le</strong>s bonnes mœurs, ils glorifieront <strong>la</strong> religion. S’il t’arrive de tomber<br />

ma<strong>la</strong>de, ils s’exposeront à <strong>la</strong> mort, l’un offrira sa cervel<strong>le</strong>, un autre son cœur, un autre ses yeux, un autre<br />

son sang, son foie, son urine, un autre enfin tout ce qu’il possède, comme un pharmacien offre sa<br />

marchandise <strong>»</strong> (Préface de Jean Ursin à Jacques de Joyeuse).<br />

36. Ainsi, dans <strong>le</strong> poème du cheval : Spuma phthisim curat (sed me docuisse pigebit/Si me pro uita mors uio<strong>le</strong>ntia<br />

man<strong>et</strong>), <strong>«</strong> Mon écume soigne <strong>la</strong> phtisie (mais il m’en coûtera de l’avoir enseigné si une mort vio<strong>le</strong>nte<br />

m’attend en échange de <strong>la</strong> vie) <strong>»</strong> ; dans celui du rat : Et cor, si qua fides, e uiuo pectore uulsum,/<br />

Compressam pathicam non sin<strong>et</strong> esse grauem, <strong>«</strong> Et mon cœur arraché vivant de ma poitrine, si tu y crois,<br />

évitera une grossesse à une fil<strong>le</strong> mise à mal <strong>»</strong> ; dans celui du caméléon : Dicite decepti mea nunc praeconia<br />

magi,/Quid mihi uiuenti demptus ocellus agat, <strong>«</strong> Proc<strong>la</strong>mez maintenant mes vertus, mages trompeurs,<br />

dites à quoi peut servir mon œil si on me l’arrache alors que je suis vivant <strong>»</strong>.<br />

37. Cum mea sit <strong>la</strong>utis caro non admissa catinis/Cur praedae ingratae r<strong>et</strong>ia tanta paras ?/An quia teste putor<br />

gelidos arcere dolores ?/Sume ergo testes, c<strong>et</strong>era linque mihi, <strong>«</strong> Puisque <strong>le</strong>s gourm<strong>et</strong>s ne veu<strong>le</strong>nt pas de<br />

ma chair dans <strong>le</strong>urs assi<strong>et</strong>tes, pourquoi prépares-tu tant de fi<strong>le</strong>ts pour une proie que tu n’apprécies pas ?<br />

Est-ce parce que mes testicu<strong>le</strong>s, à ce qu’on croit, sont un remède contre <strong>la</strong> paralysie <strong>et</strong> ses dou<strong>le</strong>urs ?<br />

Prends mes testicu<strong>le</strong>s, alors, <strong>et</strong> <strong>la</strong>isse-moi <strong>le</strong> reste <strong>»</strong>.<br />

38. Nonne satis <strong>la</strong>crimae ramosaque cornua prosunt ?/Num pili <strong>et</strong> lotium commoda multa parant ?, <strong>«</strong> Mes <strong>la</strong>rmes<br />

<strong>et</strong> mes bois ramifiés ne sont-ils pas suffisamment uti<strong>le</strong>s ? Mes poils <strong>et</strong> mon urine comporteraient-ils<br />

de nombreux avantages ? <strong>»</strong>.<br />

39. Nonne satis <strong>la</strong>crimae ramosaque cornua prosunt ? […] Nil lotium aut <strong>la</strong>crimae, nil mea merda iuuat, <strong>«</strong> Mon<br />

urine, mes <strong>la</strong>rmes, ne servent à rien, pas plus que mes excréments <strong>»</strong>.<br />

40. Iam properant ce<strong>le</strong>res in mea damna canes./R<strong>et</strong>ia tenduntur, frangit iam buccina coelum,/Mittitur in nostrum<br />

iamque sagitta <strong>la</strong>tus, <strong>«</strong> Déjà <strong>le</strong>s chiens rapides se hâtent pour me tuer. Les fi<strong>le</strong>ts sont tendus, déjà <strong>le</strong><br />

son du cor déchire l’air, déjà on perce mon f<strong>la</strong>nc d’une flèche <strong>»</strong>.<br />

41. Ad te pro uita ut tuti si pergimus ultro,/Cur mihi cum canibus, r<strong>et</strong>ia tendis homo ?, <strong>«</strong> Si je me réfugie<br />

auprès de toi pour sauver ma vie, pourquoi, homme, tends-tu tes fi<strong>le</strong>ts contre moi, avec l’aide de tes<br />

chiens ? <strong>»</strong>.<br />

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Siue quod autum<strong>et</strong> (scelus est id promere) uirgo<br />

Hoc cubito appenso, ponere uentris onus.<br />

Error hic 42 […]<br />

Et, hors de tout intérêt personnel, il ajoute immédiatement ce conseil, de nature très<br />

vertueuse :<br />

[…] Ah potius uitam seruate pudicam,<br />

Excipite aut sancti pignora sana thori 43 !<br />

De même, dans <strong>le</strong> poème qui lui est consacré, par suite de <strong>la</strong> déformation d’une indication<br />

de Pline, <strong>le</strong> <strong>loup</strong> prône <strong>la</strong> modération en ce domaine :<br />

Verum more meo ueneri praescribito m<strong>et</strong>am,<br />

Mense semel satis est sit reuoluta uenus 44 .<br />

Mais ces incitations à <strong>la</strong> tempérance sont en tota<strong>le</strong> contradiction avec d’autres qui<br />

semb<strong>le</strong>nt constituer une véritab<strong>le</strong> incitation au p<strong>la</strong>isir. On trouve par exemp<strong>le</strong> des conseils<br />

pour goûter <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>isirs de Vénus sans avoir d’enfant. Ces conseils peuvent être des simp<strong>le</strong>s<br />

méthodes de contraception 45 , mais il peut aussi s’agir de méthodes abortives, comme<br />

nous venons de <strong>le</strong> voir à propos du cerf. Or Pline lui-même limite à un seul <strong>le</strong>s conseils en<br />

ce domaine, se justifiant longuement pour avoir osé c<strong>et</strong>te exception 46 , <strong>et</strong> <strong>le</strong>s animaux<br />

d’Ursin tiennent en ce domaine un discours extrêmement subversif. Par ail<strong>le</strong>urs nombreux<br />

sont <strong>le</strong>s conseils destinés à augmenter <strong>le</strong> p<strong>la</strong>isir sexuel : ainsi, <strong>le</strong> <strong>loup</strong> ne conseil<strong>le</strong> <strong>la</strong> tempérance<br />

qu’après avoir donné des conseils pour améliorer l’érection 47 . Le plus étonnant<br />

cependant est que, <strong>le</strong> plus souvent, <strong>le</strong>s préceptes licencieux donnés par Ursin semb<strong>le</strong>nt<br />

viser un certain public féminin, comme <strong>le</strong> prouve <strong>la</strong> quadrup<strong>le</strong> occurrence du terme pathica<br />

qui semb<strong>le</strong> désigner ici une femme faci<strong>le</strong>, qui cherche <strong>le</strong> p<strong>la</strong>isir. Ainsi, si <strong>le</strong> <strong>loup</strong> donne des<br />

conseils d’ordre assez général, comme <strong>le</strong> suivant :<br />

ou comme celui-ci :<br />

[oculum] Ferto <strong>et</strong>iam furtim pathicae qui gaudia quaeris<br />

Latratu r<strong>et</strong>eg<strong>et</strong> ne tua furta canis. 48<br />

42. <strong>«</strong> Ou est-ce parce que <strong>la</strong> jeune fil<strong>le</strong> croit (c’est un crime de faire courir ce bruit) qu’en l’accrochant à son<br />

coude, el<strong>le</strong> débarrassera son ventre de son fardeau ? C’est une erreur. <strong>»</strong><br />

43. <strong>«</strong> Ah, menez plutôt une vie honnête, ou concevez des enfants honorab<strong>le</strong>s, nés d’une union consacrée. <strong>»</strong><br />

44. <strong>«</strong> Mais, suis mon usage <strong>et</strong> limite <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>isirs de Vénus : une fois par mois est un dé<strong>la</strong>i suffisant pour que<br />

Vénus revienne. <strong>»</strong><br />

45. L’éléphant : Sed contra aeugio pro pesso stercora subdat/Gaudia Pennati cui sine pro<strong>le</strong> p<strong>la</strong>cent (<strong>«</strong> Mais,<br />

en revanche, qu’el<strong>le</strong> utilise mes excréments en pessaire, cel<strong>le</strong> qui goûte <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>isirs de Cupidon sans souhaiter<br />

de descendance <strong>»</strong>) ; <strong>le</strong> rat : Et cor, si qua fides, e uiuo pectore uulsum/Compressam pathicam non<br />

sin<strong>et</strong> esse grauem (<strong>«</strong> Et mon cœur arraché vivant de ma poitrine, si tu veux y croire, évitera une grossesse<br />

à une fil<strong>le</strong> mise à mal <strong>»</strong>).<br />

46. Plin., nat. 29, 85 : Tertium genus [araneorum] est eodem pha<strong>la</strong>ngi nomine araneus <strong>la</strong>nuginosus, grandissimo<br />

capite, quo dissecto inueniri intus dicuntur uermiculi duo adalligatique mulieribus pel<strong>le</strong> ceruina ante<br />

solis ortum praestare, ne concipiant, ut Caecilius in Commentariis reliquit. Vis ea annua est. Quam so<strong>la</strong>m<br />

ex omni atocio dixisse fas sit, quoniam aliquarum fecunditas p<strong>le</strong>na liberis tali uenia indig<strong>et</strong>.<br />

47. Ex nostro rotu<strong>la</strong>s deduces ore priapo,/Mentu<strong>la</strong> Lampsaceni stabit ut il<strong>la</strong> dei (<strong>«</strong> De ma gueu<strong>le</strong> tu tireras de<br />

“p<strong>et</strong>ites roues” pour Priape, ton sexe se dressera comme celui du dieu de Lampsaque <strong>»</strong>).<br />

48. <strong>«</strong> Porte-<strong>le</strong> aussi, toi qui cherches à <strong>la</strong> dérobée <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>isirs des fil<strong>le</strong>s, afin que l’aboiement des chiens ne<br />

vienne révé<strong>le</strong>r tes <strong>la</strong>rcins. <strong>»</strong><br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

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Ca<strong>et</strong>era delusi taceo nugamina magi<br />

Qui putat ad pathicam pondus habere pilum. 49<br />

d’autres animaux sont beaucoup plus directs dans l’aide qu’ils proposent <strong>et</strong> peuvent faire<br />

dire que <strong>le</strong> <strong>la</strong>tin <strong>«</strong> brave l’honnêt<strong>et</strong>é <strong>»</strong>, pour reprendre <strong>le</strong> mot de Boi<strong>le</strong>au. C’est par exemp<strong>le</strong><br />

<strong>le</strong> cas de l’âne, lorsqu’il donne ce conseil :<br />

Curat adeps <strong>et</strong>iam, ut paticae submissum in anum<br />

Criss<strong>et</strong>, <strong>et</strong> in uenerem dente fremente uac<strong>et</strong>. 50<br />

Aussi pouvons-nous conclure, là encore, que si Ursin recourt à <strong>la</strong> rhétorique, il ne<br />

donne pas à son œuvre un objectif fort de conviction ou de persuasion, <strong>et</strong> <strong>le</strong> message<br />

qu’el<strong>le</strong> transm<strong>et</strong> est obscur. C’est ail<strong>le</strong>urs qu’il faut chercher, semb<strong>le</strong>-t-il, <strong>le</strong> but que se fixe<br />

Ursin.<br />

Aussi pouvons-nous conclure, là encore, que si Ursin recourt à <strong>la</strong> rhétorique, il ne donne<br />

pas à son œuvre un objectif fort de conviction ou de persuasion, <strong>et</strong> <strong>le</strong> message qu’el<strong>le</strong><br />

transm<strong>et</strong> est obscur. C’est ail<strong>le</strong>urs qu’il faut chercher, semb<strong>le</strong>-t-il, <strong>le</strong> but que se fixe Ursin.<br />

De<strong>le</strong>ctare : <strong>le</strong>s éléments poétiques<br />

C’est en eff<strong>et</strong> sur <strong>le</strong> p<strong>la</strong>isir de l’auditoire qu’Ursin a <strong>fait</strong> porter l’essentiel de ses efforts,<br />

<strong>et</strong> pour <strong>le</strong> provoquer il a appliqué là encore <strong>le</strong>s préceptes de Cicéron. Dans <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong>,<br />

en eff<strong>et</strong>, charmer <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur passe souvent par <strong>le</strong>s trois qualités du sty<strong>le</strong> que sont ornement,<br />

variété <strong>et</strong> pur<strong>et</strong>é.<br />

Même si, comme nous l’avons observé précédemment, <strong>le</strong> contenu de l’œuvre relève<br />

essentiel<strong>le</strong>ment de <strong>la</strong> fonction didactique, <strong>la</strong> <strong>le</strong>cture montre qu’Ursin est loin d’avoir tout<br />

sacrifié à cel<strong>le</strong>-ci. Il est c<strong>la</strong>ir qu’il n’a pas voulu plonger son <strong>le</strong>cteur dans l’ennui en l’accab<strong>la</strong>nt<br />

sous une énorme masse de connaissances, <strong>et</strong> qu’il n’a en aucun cas cherché à réunir sur chaque<br />

animal un savoir exhaustif. Lui-même écrit dans sa dédicace, à propos des animaux : multa<br />

tacent 51 , <strong>et</strong> <strong>la</strong> moitié des poèmes <strong>fait</strong> moins de seize vers. Par ail<strong>le</strong>urs, comme nous l’avons<br />

déjà signalé, <strong>le</strong>s prosopopées bril<strong>le</strong>nt par l’absence de toute précision technique : aucun mode<br />

d’utilisation, aucune posologie, rien qui pourrait <strong>la</strong>sser <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur. Il est probab<strong>le</strong> aussi que <strong>le</strong>s<br />

animaux exotiques, comme <strong>le</strong> chameau, <strong>le</strong> lion ou <strong>le</strong> caméléon, sont mentionnés autant parce<br />

qu’ils sont cités par Pline que parce qu’ils fournissent un élément propice à enchanter l’imagination.<br />

Enfin l’introduction d’éléments légendaires, surnaturels ou historiques vise à p<strong>la</strong>ire<br />

à un public que pourrait fatiguer une stricte énumération de ma<strong>la</strong>dies <strong>et</strong> de remèdes. On<br />

trouve ainsi, sur <strong>le</strong> mode allusif, <strong>la</strong> mention d’un épisode de lycanthropie, des <strong>fait</strong>s historiques<br />

comme <strong>la</strong> lutte des armées d’Auguste contre <strong>le</strong>s <strong>la</strong>pins des Baléares 52 ou encore des<br />

49. <strong>«</strong> Je tais <strong>le</strong>s autres affabu<strong>la</strong>tions du mage ignorant, qui pense qu’un de mes poils est uti<strong>le</strong> aux fil<strong>le</strong>s<br />

débauchées <strong>»</strong>.<br />

50. <strong>«</strong> En application sur l’anus, ma graisse amènera une fil<strong>le</strong> à ondu<strong>le</strong>r de <strong>la</strong> croupe <strong>et</strong> se consacrer à Vénus<br />

avec appétit <strong>»</strong>; c<strong>et</strong>te indication vient de Sextus P<strong>la</strong>citus (De asino, 10) : ut ad concubitum paratus sis : asini<br />

adeps cum anserino masculino mixtus <strong>et</strong> ad anum positus ad concubitum mox praeparat (<strong>«</strong> Pour se préparer<br />

au coït : <strong>la</strong> graisse d’âne, mêlée à de <strong>la</strong> graisse de jars <strong>et</strong> appliquée sur l’anus, prépare rapidement<br />

au coït <strong>»</strong>).<br />

51. <strong>«</strong> Ils tairont bien des choses. <strong>»</strong><br />

52. Sim lic<strong>et</strong> imbellis, c<strong>la</strong>ros funda Ba<strong>le</strong>ares,/Frugibus errosis, in fera bel<strong>la</strong> traho, <strong>«</strong> Bien que je sois paisib<strong>le</strong>,<br />

j’entraîne dans des guerres sans merci <strong>le</strong>s Baléares célèbres pour <strong>le</strong>urs frondes à cause des récoltes que<br />

je ronge <strong>»</strong> ; cf. Pline, nat. 8, 218 : Certum est Baliaricos aduersus prouentum eorum auxilium militare a Diuo<br />

Augusto p<strong>et</strong>isse, <strong>«</strong> Il est sûr que <strong>le</strong>s habitants des Baléares réc<strong>la</strong>mèrent au dieu Auguste <strong>le</strong> secours d’une<br />

garnison pour lutter contre <strong>le</strong>ur pullu<strong>le</strong>ment <strong>»</strong>.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

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prodiges, par exemp<strong>le</strong> <strong>la</strong> manière dont <strong>le</strong>s rats avaient annoncé <strong>la</strong> guerre des Marses en rongeant<br />

<strong>le</strong>s boucliers des soldats de Lanuvium 53 , autant d’anecdotes rapportées par Pline.<br />

Un second élément contribue à <strong>la</strong> de<strong>le</strong>ctatio du <strong>le</strong>cteur : <strong>le</strong> <strong>fait</strong> que <strong>le</strong> texte soit rédigé<br />

en vers. Que l’on considère l’Antiquité, <strong>le</strong> Moyen Âge ou <strong>la</strong> Renaissance, <strong>le</strong>s vers sont rarement<br />

utilisés dans <strong>le</strong>s traités médicaux ou zoologiques 54 . C’est à <strong>la</strong> prose qu’ont recouru<br />

Albert <strong>le</strong> Grand <strong>et</strong> Thomas de Cantimpré dans <strong>le</strong>urs traités sur <strong>le</strong>s animaux, de même que<br />

<strong>le</strong> médecin Mercuria<strong>le</strong> pour son De Arte Gymnastica ou, un peu plus tard, Ambroise Paré.<br />

Lorsqu’un auteur choisit <strong>le</strong>s vers, c’est en général dans une perspective différente de cel<strong>le</strong><br />

de <strong>la</strong> prose. Columel<strong>le</strong> l’avait déjà montré en déclinant <strong>le</strong> thème des jardins potagers à <strong>la</strong><br />

fois en vers <strong>et</strong> en prose, peu confiant, semb<strong>le</strong>-t-il, dans <strong>la</strong> va<strong>le</strong>ur didactique de <strong>la</strong> poésie.<br />

Si l’on prend l’exemp<strong>le</strong> d’un contemporain de Jean Ursin, <strong>le</strong> médecin <strong>et</strong> poète italien Giro<strong>la</strong>mo<br />

Fracastoro, celui-ci traite de <strong>la</strong> syphilis dans deux ouvrages : d’une part un long poème<br />

didactique en hexamètres intitulé Syphilis siue de morbo Gallico, dans <strong>le</strong>quel il mê<strong>le</strong> une<br />

description des symptômes <strong>et</strong> des remèdes à des évocations mythologiques (une catabase<br />

pour al<strong>le</strong>r chercher <strong>le</strong> mercure) <strong>et</strong> épiques (une version corrigée de <strong>la</strong> découverte du Nouveau<br />

Monde) ; de l’autre un traité en prose, de nature exclusivement scientifique, intitulé<br />

De Contagione, dans <strong>le</strong>quel il expose, <strong>le</strong> premier, l’hypothèse de <strong>la</strong> contagion vira<strong>le</strong>. C’est<br />

cependant de son poème Syphilis, qu’il mit vingt ans à rédiger, qu’il était <strong>le</strong> plus fier, <strong>et</strong><br />

c’est c<strong>et</strong>te œuvre qui lui apporta <strong>la</strong> gloire. Les préfaces de <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> insistent toutes<br />

sur <strong>le</strong>s ta<strong>le</strong>nts de poète de Jean Ursin 55 , <strong>la</strong> préface en vers oubliant même de mentionner<br />

sa qualité de médecin. Ce choix du <strong>la</strong>ngage poétique pour un traité médical inscrit <strong>le</strong> recueil<br />

dans <strong>le</strong> genre de <strong>la</strong> poésie didactique. Cependant l’utilisation systématique du distique<br />

élégiaque <strong>et</strong> non de l’hexamètre apparente plutôt <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> à l’Ars Amatoria ou aux<br />

Remedia Amoris d’Ovide qu’au De Rerum Natura de Lucrèce ou aux Géorgiques de Virgi<strong>le</strong>.<br />

La parution, <strong>la</strong> même année <strong>et</strong> chez <strong>le</strong> même éditeur, des E<strong>le</strong>giae de peste, el<strong>le</strong>s aussi<br />

composées en distiques, confirme qu’il y a là un choix poétique déterminé. Or on considère<br />

souvent que <strong>le</strong>s ouvrages d’Ovide mentionnés ci-dessus sont des parodies de <strong>la</strong> poésie<br />

didactique. Faut-il voir ici une intention précise de Jean Ursin, cel<strong>le</strong> de se situer dans <strong>le</strong><br />

registre parodique ? Si l’on ne peut pas nier que certaines prosopopées ne manquent pas<br />

d’humour, il faut plus probab<strong>le</strong>ment y voir un goût particulier pour l’élégie <strong>et</strong> <strong>le</strong> distique,<br />

souvent partagé par ses contemporains sensib<strong>le</strong>s à l’influence d’Ovide, ce que pourrait<br />

confirmer <strong>la</strong> parution des E<strong>le</strong>giae de Peste. Nous étudierons plus loin un exemp<strong>le</strong> précis<br />

du travail poétique de Jean Ursin.<br />

Cependant, dans <strong>la</strong> recherche de <strong>la</strong> de<strong>le</strong>ctatio, <strong>la</strong> vraie nouveauté <strong>et</strong> l’atout majeur de<br />

l’œuvre résident dans <strong>la</strong> forme de discours adoptée, c’est-à-dire <strong>la</strong> prosopopée. Ursin<br />

semb<strong>le</strong> avoir été particulièrement fier de son idée puisqu’il a tiré du procédé <strong>le</strong> titre de son<br />

œuvre. Une longue énumération dans <strong>la</strong> préface-dédicace qu’il rédige à l’intention de<br />

Jacques de Joyeuse, dans <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> il insiste sur <strong>le</strong> thème de <strong>la</strong> paro<strong>le</strong>, <strong>le</strong> montre bien :<br />

53. Vel dicat Carbo, aut clypeis Lauinus adesis,/Cui tulimus belli nuncia certa trucis, <strong>«</strong> Que Carbon <strong>le</strong> dise, ou<br />

l’habitant de Lavinium, dont <strong>le</strong>s boucliers ont été rongés, à qui nous avions donné <strong>le</strong> présage certain<br />

d’une guerre terrib<strong>le</strong> <strong>»</strong> ; cf. Pline, nat. 8, 221 : Adrosis Lanuui clipeis argenteis Marsicum portendere bellum,<br />

Carboni imperatori, apud Clusium fasceis quibus in calciatu utebatur, exitium, <strong>«</strong> En rongeant <strong>le</strong>s boucliers<br />

d’argent de Lanuvium, ils annoncèrent <strong>la</strong> guerre des Marses ; en rongeant à Clusium <strong>le</strong>s <strong>la</strong>c<strong>et</strong>s des<br />

chaussures de Carbon, <strong>le</strong> général en chef, ils annoncèrent sa fin <strong>»</strong> (PLINE L’ANCIEN, Ernout 1952).<br />

54. On ne peut guère citer que Quintus Serenus (II e ? IV e ?), Liber Medicinalis, texte établi, traduit <strong>et</strong> commenté<br />

par <strong>le</strong> docteur R. Pépin, Paris, PUF, 1950 (voir aussi SABBAH 1987, 142-144).<br />

55. Ursin est qualifié de <strong>la</strong>ureatus po<strong>et</strong>a dans l’en-tête du livre, de tantus po<strong>et</strong>a dans <strong>la</strong> préface de Raymondus<br />

Aquaeus, de mirus po<strong>et</strong>a dans <strong>la</strong> postface de Stephanus Roybosius ; Jacques Olivier, quant à lui, écrit<br />

dans sa préface : non potui non <strong>la</strong>udare in primis hominis institutum, dein e<strong>le</strong>gantiam, festiuitatem <strong>et</strong> dexteritatem<br />

admirari, <strong>«</strong> je n’ai pu m’empêcher de louer en premier lieu son entreprise, puis d’admirer l’élégance<br />

de son sty<strong>le</strong>, sa verve <strong>et</strong> son ta<strong>le</strong>nt <strong>»</strong>.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

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Tecum ubi uo<strong>le</strong>s uerba facient, iussa tacebunt, iniussa non sese ultro proferrent, omnia<br />

dicent, nihil ce<strong>la</strong>bunt, uitia arguent, mores <strong>la</strong>udabunt, religionem extol<strong>le</strong>nt 56 . La prosopopée<br />

est dans sa stricte définition une figure de rhétorique qui perm<strong>et</strong> de <strong>«</strong> m<strong>et</strong>tre en scène<br />

<strong>le</strong>s absents, <strong>le</strong>s morts, <strong>le</strong>s êtres surnaturels ou même <strong>le</strong>s êtres inanimés, <strong>le</strong>s faire agir, <strong>par<strong>le</strong>r</strong>,<br />

<strong>répondre</strong> <strong>»</strong> 57 . C’est une figure du sublime. Ce n’est cependant pas dans c<strong>et</strong>te perspective que<br />

Jean Ursin l’utilise. L’emploi qu’il <strong>fait</strong> de <strong>la</strong> prosopopée possède deux grandes particu<strong>la</strong>rités :<br />

d’une part, en l’étendant à tous ses poèmes, il <strong>la</strong> <strong>fait</strong> passer du statut de figure du discours<br />

à celui de genre littéraire ; de l’autre, en lui associant personnification <strong>et</strong> dialogisme, il ne<br />

vise pas tant à un eff<strong>et</strong> de sublime – eff<strong>et</strong> que <strong>le</strong> contenu du discours, souvent très trivial,<br />

viendrait de toute façon annu<strong>le</strong>r – qu’à amender l’austérité de son propos par <strong>le</strong> recours à<br />

une forme littéraire vivante, produire un eff<strong>et</strong> d’animation, de vie, de diversité, suivant en<br />

ce<strong>la</strong> <strong>le</strong>s indications de Quintilien 58 .<br />

Ursin tire de son idée un certain nombre d’eff<strong>et</strong>s véritab<strong>le</strong>ment heureux. Conscient<br />

sans doute du caractère mécanique qui pourrait ressortir de <strong>la</strong> répétition des monologues,<br />

il recourt sans cesse à <strong>la</strong> qualité <strong>et</strong> <strong>la</strong> variété pour agrémenter son ouvrage. Cel<strong>le</strong>s-ci s’observent<br />

essentiel<strong>le</strong>ment dans <strong>la</strong> partie des poèmes consacrée à <strong>la</strong> natura des animaux, c’està-dire<br />

en début de texte.<br />

On remarque d’abord un effort pour m<strong>et</strong>tre en scène, à <strong>la</strong> manière d’un défilé, <strong>la</strong> succession<br />

des animaux. Dans six cas, tous situés dans <strong>la</strong> première moitié du livre, <strong>le</strong>s animaux<br />

commencent <strong>le</strong>ur discours par une transition, directe ou indirecte, avec celui qui <strong>le</strong>s a<br />

précédés : l’âne répond au sanglier 59 , <strong>la</strong> chèvre sauvage à <strong>la</strong> chèvre 60 , <strong>le</strong> chameau au cheval<br />

61 , <strong>le</strong> caméléon au chameau 62 ; une variation apparaît quand <strong>le</strong> cerf mentionne <strong>le</strong>s chiens<br />

du chapitre précédent, mais sans s’adresser directement à eux car il <strong>le</strong>s craint 63 ; enfin<br />

l’ours signa<strong>le</strong> qu’il a vaincu <strong>le</strong> taureau en un combat célèbre 64 . Notons que dans un cas on<br />

trouve aussi une transition fina<strong>le</strong>, <strong>la</strong> chèvre indiquant qu’el<strong>le</strong> est obligée de se taire pour<br />

<strong>la</strong>isser <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce au chevreuil 65 . Ce procédé donne beaucoup de fluidité au recueil. Il existe<br />

aussi deux cas où l’animal qui prend <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> établit un lien non avec celui qui <strong>le</strong> précède<br />

56. <strong>«</strong> Quand tu <strong>le</strong> voudras, ils <strong>par<strong>le</strong>r</strong>ont avec toi, quand tu <strong>le</strong>ur en donneras l’ordre, ils se tairont, ils ne prendront<br />

pas l’initiative de s’avancer sans en avoir reçu l’ordre, ils diront tout, ils ne cacheront rien, ils fustigeront<br />

<strong>le</strong>s vices, ils loueront <strong>le</strong>s bonnes mœurs, ils glorifieront <strong>la</strong> religion. <strong>»</strong><br />

57. FONTANIER 1968, 404.<br />

58. Quintilien, Institutio Oratoria, IX, 2, 29 : il<strong>la</strong> adhuc audaciora <strong>et</strong> maiorum, ut Cicero existimat, <strong>la</strong>terum, fictiones<br />

personarum, quae proswpopoijiai dicuntur. Mire namque cum uariant orationem, tum excitant,<br />

<strong>«</strong> Plus audacieuse, <strong>et</strong>, de l’avis de Cicéron, exigeant un plus grand effort est l’intervention imaginaire de<br />

personnages, qui est appelée “prosopopée”. C’est une figure merveil<strong>le</strong>use pour donner au discours de<br />

<strong>la</strong> variété <strong>et</strong> surtout de l’animation <strong>»</strong> (QUINTILIEN, Cousin 1978).<br />

59. Et mihi ruditu naturae promere dotes/Fas erit, excello stultus asellus aprum./Dentibus il<strong>le</strong> noc<strong>et</strong>, duro<br />

fero pondera dorso./Sum mitis, sed aper frend<strong>et</strong> in arma ruens, <strong>«</strong> Il me sera permis, à moi aussi, de braire<br />

pour faire connaître <strong>le</strong>s vertus dont <strong>la</strong> nature m’a doté, <strong>et</strong> moi, l’âne stupide, je l’emporte sur <strong>le</strong> sanglier.<br />

Il b<strong>le</strong>sse de ses défenses, moi je porte <strong>le</strong>s charges sur mon dos résistant. Je suis doux, mais <strong>le</strong> sanglier, lui,<br />

grince des dents en se j<strong>et</strong>ant dans <strong>la</strong> batail<strong>le</strong> <strong>»</strong>.<br />

60. Capra, tuas iactas nullo discrimine <strong>la</strong>udes,/Harum nempe mihi portio magna datur, <strong>«</strong> Chèvre, tu t’attribues<br />

tous <strong>le</strong>s mérites sans distinction, mais ne crois-tu pas qu’une grande partie m’en revient ? <strong>»</strong>.<br />

61. En tibi nunc adsum Panchais gibbus ab oris/Sum piger, at cursus uinco, caba<strong>le</strong>, tuos, <strong>«</strong> C’est moi, <strong>le</strong> bossu<br />

des rivages de Panchaïe, qui me présente maintenant devant toi ; je suis paresseux, mais je te bats à <strong>la</strong><br />

course, cheval <strong>»</strong>.<br />

62. Qui <strong>le</strong>gis hos uersus, ne credas me esse camelum,/Nam qui me nouit chame<strong>le</strong>onta uocat, <strong>«</strong> Toi qui lis ces<br />

vers, ne me confonds pas avec <strong>le</strong> chameau, car celui qui me connaît m’appel<strong>le</strong> <strong>le</strong> caméléon <strong>»</strong>.<br />

63. Ad te pro uita ut tuti, si pergimus ultro,/Cur mihi cum canibus r<strong>et</strong>ia tendis, homo ?, <strong>«</strong> Si je me réfugie<br />

auprès de toi pour sauver ma vie, pourquoi, homme, tends-tu tes fi<strong>le</strong>ts contre moi, avec l’aide de tes<br />

chiens ? <strong>»</strong>.<br />

64. Indomitum sterno c<strong>la</strong>ro certamine taurum,/Vnguibus atque bouis pectora dura seco, <strong>«</strong> Dans un combat<br />

célèbre, je terrasse un taureau indompté, <strong>et</strong> de mes griffes j’ouvre <strong>la</strong> dure poitrine d’un bœuf <strong>»</strong>.<br />

65. Epatis <strong>et</strong> fellis mens gestit dicere uires,/Sed contra capreae cedere iura monent, <strong>«</strong> J’ai l’intention de dire<br />

<strong>le</strong>s vertus de mon foie <strong>et</strong> de mon fiel, mais <strong>la</strong> règ<strong>le</strong> m’enjoint de <strong>la</strong>isser <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> chèvre sauvage <strong>»</strong>.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

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mais avec un autre, dont il est proche par une ressemb<strong>la</strong>nce, comme <strong>le</strong> chat avec <strong>le</strong> lion<br />

(poèmes 10 <strong>et</strong> 2), ou par une légende, comme <strong>le</strong> bélier avec l’éléphant (poèmes 7 <strong>et</strong> 2). Si,<br />

dans <strong>le</strong> premier cas, on comprend que c’est <strong>la</strong> fidélité à l’ordre établi par Pline qui n’a pas<br />

permis de traiter <strong>le</strong> chat après <strong>le</strong> lion, on comprend moins bien pourquoi <strong>le</strong> bélier n’apparaît<br />

pas après l’éléphant, auquel il s’adresse. Peut-être c<strong>et</strong>te transition est-el<strong>le</strong> <strong>la</strong> trace d’un<br />

changement d’ordre au moment de l’impression ? À partir du poème 13, <strong>le</strong>s transitions<br />

disparaissent, comme si Ursin avait renoncé à poursuivre dans c<strong>et</strong>te voie, peut-être là encore<br />

par crainte de voir sa bonne idée tourner au procédé. Ces transitions, qui animent <strong>le</strong><br />

dérou<strong>le</strong>ment du recueil, font de l’œuvre un théâtre sur <strong>le</strong>quel chaque animal s’avance successivement<br />

pour se présenter au <strong>le</strong>cteur. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> est d’autant plus sensib<strong>le</strong> que certains<br />

animaux indiquent eux-mêmes qu’ils accomplissent un dép<strong>la</strong>cement, qu’ils achèvent alors<br />

même qu’ils sont déjà en train de <strong>par<strong>le</strong>r</strong> : <strong>le</strong> chameau commence par en tibi nunc adsum 66 ,<br />

<strong>le</strong> taureau par en ego prosilio 67 , <strong>le</strong> lion <strong>et</strong> l’ours utilisent aussi adsum. Le bélier, en prenant<br />

<strong>la</strong> paro<strong>le</strong>, indique <strong>le</strong> dép<strong>la</strong>cement d’un autre animal qui semb<strong>le</strong> fuir devant lui : siste gradum,<br />

e<strong>le</strong>phas 68 . Ce<strong>la</strong> semb<strong>le</strong> confirmer l’hypothèse déjà évoquée selon <strong>la</strong>quel<strong>le</strong>, dans un<br />

premier temps, <strong>le</strong> chapitre consacré au bélier suivait immédiatement celui de l’éléphant.<br />

D’autres semb<strong>le</strong>nt prendre <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> uniquement quand ils sont déjà en p<strong>la</strong>ce (sum est <strong>le</strong><br />

verbe <strong>le</strong> plus fréquent). Un autre animal, <strong>le</strong> renard, annonce son départ 69 ; <strong>la</strong> chèvre, en<br />

annonçant el<strong>le</strong> aussi qu’el<strong>le</strong> se r<strong>et</strong>ire 70 , <strong>fait</strong> référence à une loi ou un principe d’organisation<br />

qui <strong>fait</strong> de c<strong>et</strong>te succession d’animaux une procession organisée. Enfin l’un des animaux<br />

semb<strong>le</strong> oublier <strong>«</strong> l’illusion théâtra<strong>le</strong> <strong>»</strong>, pour ainsi dire : <strong>le</strong> caméléon, qui commence son intervention<br />

par ces mots : Qui <strong>le</strong>gis hos uersus 71 .<br />

Pour <strong>le</strong> discours de présentation des animaux, Ursin a recouru à différentes méthodes.<br />

Le plus souvent, l’animal se présente en donnant, dans <strong>le</strong>s tout premiers mots, son nom<br />

associé à un pronom ou à un verbe exprimant <strong>la</strong> première personne (c’est ce que font douze<br />

animaux : lion, sanglier, âne, chèvre, caméléon, chat, chien, taureau, lièvre, souris, loir,<br />

taupe). Ce n’est cependant pas toujours <strong>le</strong> cas, <strong>et</strong> alors c’est <strong>le</strong> titre du poème qui tient lieu<br />

de présentation (pour l’éléphant, <strong>la</strong> chèvre sauvage, <strong>le</strong> bélier, <strong>le</strong> cheval, <strong>le</strong> castor, <strong>la</strong> be<strong>le</strong>tte,<br />

<strong>le</strong> <strong>la</strong>pin, <strong>le</strong> renard, <strong>le</strong> cerf). L’animal peut aussi avoir recours à une périphrase qui <strong>le</strong> définit,<br />

comme <strong>le</strong> chameau 72 , à une allusion plus ou moins transparente, comme <strong>le</strong> <strong>loup</strong> 73 , ou à un<br />

jeu de mots, ce que <strong>fait</strong> l’ours 74 . C<strong>et</strong>te variété de forme se r<strong>et</strong>rouve dans <strong>le</strong> contenu des<br />

présentations puisque <strong>le</strong>s éléments par <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s animaux se caractérisent sont de nature<br />

très variée : croyances popu<strong>la</strong>ires, fab<strong>le</strong>s, allusions mythologiques, observations zoologiques,<br />

savantes ou quotidiennes, discours linguistique, épisode historique. Tous <strong>le</strong>s savoirs, culture<br />

popu<strong>la</strong>ire <strong>et</strong> culture savante confondues, sont mis en œuvre pour <strong>la</strong> présentation de l’animal.<br />

Ursin entreprend ensuite de donner, en quelques mots, une vraie personnalité aux animaux<br />

sans tomber dans l’absurdité, comme <strong>le</strong> conseil<strong>le</strong> là encore Quintilien 75 , unissant variété<br />

66. <strong>«</strong> Je me présente maintenant devant toi. <strong>»</strong><br />

67. <strong>«</strong> Me voici, je bondis. <strong>»</strong><br />

68. <strong>«</strong> Arrête-toi, éléphant. <strong>»</strong><br />

69. Sed quid tanta loquor ? Nox instat, tentat orexis/Pectora, <strong>«</strong> Mais pourquoi tant <strong>par<strong>le</strong>r</strong> ? La nuit arrive, <strong>la</strong><br />

faim <strong>fait</strong> gronder mes entrail<strong>le</strong>s <strong>»</strong>.<br />

70. Voir <strong>la</strong> note 66.<br />

71. <strong>«</strong> Toi qui lis ces vers. <strong>»</strong><br />

72. En tibi nunc adsum, Panchais gibbus ab oris, <strong>«</strong> C’est moi, <strong>le</strong> bossu des rivages de Panchaïe, qui me présente<br />

maintenant devant toi <strong>»</strong>.<br />

73. Dic uires Demarche meas, me praeda moratur/Nam duo te referunt lustra fuisse lupum, <strong>«</strong> Dis mes qualités,<br />

Demarchus, je suis occupé à chasser ; à ce qu’on dit, en eff<strong>et</strong>, tu as été <strong>loup</strong> pendant deux lustres <strong>»</strong>.<br />

74. Ne taceas titulos, Vrse po<strong>et</strong>a, meos, <strong>«</strong> Ne tais pas mes titres de gloire, poète Ursin <strong>»</strong>.<br />

75. Quintilien, IX, 2, 30 : His <strong>et</strong> aduersariorum cogitationes uelut secum loquentium protrahimus (qui tamen<br />

ita demum a fide non abhorrent si ea locutos finxerimus quae cogitasse eos non sit absurdum) <strong>et</strong> nostros cum<br />

aliis sermones <strong>et</strong> aliorum inter se credibiliter introducimus, <strong>et</strong> suadendo, obiurgando, querendo, <strong>la</strong>udando,<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

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<strong>et</strong> qualité. C<strong>et</strong>te tentative n’est d’ail<strong>le</strong>urs pas dénuée d’humour. Les animaux présents dans<br />

<strong>le</strong> recueil sont fiers d’avoir été choisis pour <strong>le</strong>urs vertus thérapeutiques <strong>et</strong> <strong>le</strong> montrent, chaque<br />

animal tenant à affirmer ses qualités <strong>et</strong>, parfois, à être tenu pour supérieur aux autres.<br />

Dotes, uirtutes <strong>et</strong> uires sont <strong>le</strong>s termes qui reviennent <strong>le</strong> plus souvent, ainsi que titulos. Certains<br />

se contentent d’annoncer sobrement qu’ils possèdent des qualités comme <strong>le</strong> rat 76 ,<br />

l’ours 77 , <strong>le</strong> renard 78 ; d’autres expriment <strong>le</strong>ur supériorité sur l’animal qui <strong>le</strong>s a précédés,<br />

comme l’âne ou <strong>le</strong> chevreuil 79 ; d’autres, parfois <strong>le</strong>s mêmes, n’hésitent pas, pour exprimer<br />

<strong>le</strong>ur excel<strong>le</strong>nce, à manier l’hyperbo<strong>le</strong>, comme <strong>le</strong> chien 80 <strong>et</strong> <strong>le</strong> lièvre 81 , à recourir à des comparaisons<br />

<strong>la</strong>udatives comme <strong>le</strong> cerf 82 ou à m<strong>et</strong>tre en scène <strong>le</strong>ur déc<strong>la</strong>ration, comme <strong>la</strong> chèvre<br />

83 , par des appels à l’auditoire <strong>et</strong> des interrogations rhétoriques. Cependant on trouve<br />

aussi des animaux qui affichent une modestie désolée, comme <strong>le</strong> taureau 84 . Dans l’expression<br />

même de <strong>la</strong> fierté donc, Ursin veil<strong>le</strong> à varier <strong>le</strong>s discours <strong>et</strong> <strong>le</strong>s attitudes.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s rapports de chaque animal avec l’homme sont l’occasion pour Ursin<br />

d’exprimer des sentiments divers mais forts. Certains manifestent de l’indignation face à <strong>la</strong><br />

réputation que l’homme <strong>le</strong>ur <strong>fait</strong> ou <strong>la</strong> manière dont il <strong>le</strong>s traite. Le rat déplore qu’on ne<br />

reconnaisse pas ses qualités <strong>et</strong> énumère tristement <strong>le</strong>s moyens d’extermination employés<br />

contre lui 85 ; <strong>la</strong> be<strong>le</strong>tte se p<strong>la</strong>int <strong>la</strong> piètre opinion qu’on a d’el<strong>le</strong> 86 ; <strong>le</strong> cerf regr<strong>et</strong>te qu’on <strong>le</strong><br />

chasse 87 . La même gamme de réactions se r<strong>et</strong>rouve dans l’attitude des animaux lorsqu’il<br />

s’agit d’aider l’homme en lui faisant don de soi-même ou de ses productions, comme nous<br />

l’avons déjà montré : si, pour <strong>la</strong> plupart, ils se contentent d’énumérer des listes de remèdes<br />

de manière neutre, se conformant à <strong>le</strong>ur statut d’animaux de papier 88 , certains s’offrent en<br />

sacrifice tandis que d’autres se répandent en <strong>la</strong>mentations pour garder <strong>la</strong> vie sauve.<br />

76. miserando personas idoneas damus, <strong>«</strong> Grâce à el<strong>le</strong>, nous dévoilons <strong>le</strong>s pensées de nos adversaires,<br />

comme s’ils s’entr<strong>et</strong>enaient avec eux-mêmes, mais on ne <strong>le</strong>s croira que si nous <strong>le</strong>s représentons avec des<br />

idées qu’il n’est pas absurde de <strong>le</strong>ur attribuer ; de plus, nous pouvons introduire ainsi d’une manière convaincante<br />

des conversations tenues par nous avec d’autres <strong>et</strong> par d’autres entre eux <strong>et</strong>, en <strong>le</strong>ur attribuant<br />

des conseils, des objurgations, des p<strong>la</strong>intes, des éloges, des accents de pitié, nous <strong>le</strong>ur donnons <strong>le</strong>s<br />

caractères qui conviennent <strong>»</strong>.<br />

76. Sed neque dote uaco, <strong>«</strong> mais je ne manque pas de vertus <strong>»</strong>.<br />

77. Voir <strong>la</strong> note 73.<br />

78. Concionor nostras <strong>la</strong>udes, <strong>«</strong> je proc<strong>la</strong>me mes qualités <strong>»</strong>.<br />

79. Me ne putas titulis cedere uel<strong>le</strong> meis ?/Cede meis potius, tanto te munere uinco/Naturae, quantum corpore<br />

uincis apes./Nam tibi si memorem nostri praeconia fellis/Et iecoris ; dices numen inesse mihi,<br />

<strong>«</strong> Penses-tu par hasard que je veuil<strong>le</strong> te <strong>la</strong>isser <strong>le</strong> premier rang en ce qui concerne <strong>le</strong>s qualités ? Cède-<strong>le</strong>moi<br />

plutôt au vu des miennes ; je te suis aussi supérieure par mes dons naturels que tu l’es aux abeil<strong>le</strong>s<br />

par <strong>le</strong> corps. En eff<strong>et</strong>, si je te rappel<strong>le</strong> l’éloge de mon fiel <strong>et</strong> de mon foie, tu diras qu’il y a en moi quelque<br />

puissance divine <strong>»</strong>.<br />

80. Sum canis excel<strong>le</strong>ns naturae dotibus omne/Pene animal : titulos ergo tacebo meos ?, <strong>«</strong> Je suis <strong>le</strong> chien,<br />

animal excel<strong>le</strong>nt dans sa presque totalité par <strong>le</strong>s vertus dont <strong>la</strong> nature m’a doté : tairai-je pour autant mes<br />

qualités ? <strong>»</strong>.<br />

81. Non ab re dicor, si quis mea praemia pens<strong>et</strong>,/Inter quadrupedes gloria prima <strong>le</strong>pus, <strong>«</strong> Si on évalue mes<br />

dons, on aura bien raison de dire que je suis, moi, <strong>le</strong> lièvre, <strong>la</strong> plus grande gloire des quadrupèdes <strong>»</strong>.<br />

82. Crede mihi, in nostro tot sunt medicamina cornu/In sene quot ramos cornua utraque ferunt, <strong>«</strong> Crois-moi,<br />

mes bois renferment autant de remèdes qu’ils comptent de rameaux quand ce sont ceux d’un vieil<strong>la</strong>rd <strong>»</strong>.<br />

83. Propterea nostras noli contemnere uires/Hoc tibi pro uitio commoda multa feram./Ergo praebe aures,<br />

grauis <strong>et</strong> spectanda bisulco/Arunco, titulos iam recitabo meos, <strong>«</strong> Ne méprise pas mes pouvoirs. Pour<br />

compenser ce défaut, je te rendrai bien des services. Prête donc l’oreil<strong>le</strong> : tandis que ma barbiche fourchue<br />

<strong>fait</strong> de moi <strong>la</strong> cib<strong>le</strong> des regards, je vais maintenant énoncer avec dignité mes titres d’honneur <strong>»</strong>.<br />

84. Parua lic<strong>et</strong> uasto sit corpore uirtus, <strong>«</strong> Bien que mes qualités soient de peu d’importance en regard d’un<br />

corps si gros <strong>»</strong>.<br />

85. Heu, uideo, nemo uult muris promere <strong>la</strong>udes,/Imo malos succos in mea fata parant, <strong>«</strong> Hé<strong>la</strong>s, je <strong>le</strong> vois<br />

bien, personne ne veut chanter <strong>le</strong>s louanges du rat ; on prépare plutôt des poisons pour me tuer <strong>»</strong>.<br />

86. Cur mihi triste omen Graecus inesse putat ?, <strong>«</strong> Pourquoi <strong>le</strong>s Grecs voient-ils en moi un funeste présage ? <strong>»</strong>.<br />

87. Cur mihi cum canibus r<strong>et</strong>ia tendis, homo ?, <strong>«</strong> Pourquoi, homme, tends-tu tes fi<strong>le</strong>ts contre moi, avec l’aide<br />

de tes chiens ? <strong>»</strong>.<br />

88. Multorum generum animantia, papiriaca quidem, <strong>«</strong> Des animaux de nombreuses espèces, bien qu’ils<br />

soient de papier <strong>»</strong>.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

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Enfin, à côté de <strong>la</strong> fierté <strong>et</strong> de l’indignation, <strong>le</strong>s caractères se dessinent, bien individualisés.<br />

Là encore, Ursin multiplie <strong>le</strong>s nuances, mais aussi <strong>le</strong>s sources : si <strong>la</strong> personnalité de<br />

certains animaux correspond au discours popu<strong>la</strong>ire, d’autres se voient dotés de traits de<br />

caractère plus étonnants. Nous n’en r<strong>et</strong>iendrons que quelques-uns. Le chameau, par exemp<strong>le</strong>,<br />

est caractérisé par deux traits : sa paresse (piger sum) <strong>et</strong> sa rivalité avec <strong>le</strong> cheval (cursus<br />

uinco, caba<strong>le</strong>, tuos). Or ces deux traits viennent de remarques de Pline (8, 68) : l’observation<br />

Nec ultra adsu<strong>et</strong>um procedit spatium nec plus instituto onere recipit a été adaptée<br />

pour créer un trait de caractère, <strong>la</strong> paresse, tandis que <strong>la</strong> remarque Velocitas < ut > equo,<br />

sed sua cuique mensura sicuti uires […] odium aduersus equos gerunt natura<strong>le</strong> a donné<br />

naissance à un sentiment d’inimitié. Il y a là un travail de création de <strong>la</strong> part d’Ursin. Le taureau,<br />

de manière assez origina<strong>le</strong>, est présenté comme un animal doté d’humilité, qui se définit<br />

lui-même comme une brute, ressent comme une marque d’infériorité <strong>la</strong> supériorité intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong><br />

de l’homme <strong>et</strong> souffre de voir <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it nombre de ressources médica<strong>le</strong>s qu’il est<br />

en mesure d’apporter 89 . Quand Ursin donne à ses animaux des traits individuels plus convenus,<br />

présents dans l’imagerie popu<strong>la</strong>ire, il compense <strong>la</strong> banalité du propos par un travail<br />

de <strong>la</strong> forme : si l’on regarde <strong>le</strong> <strong>loup</strong> par exemp<strong>le</strong>, il est caractérisé essentiel<strong>le</strong>ment par sa<br />

férocité ; mais Ursin ne se contente pas du <strong>le</strong>xique (praeda, carniuoro lupo) : il ajoute un<br />

dialogue dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> <strong>loup</strong> feint de <strong>la</strong>isser Demarchus <strong>par<strong>le</strong>r</strong> à sa p<strong>la</strong>ce, car il est trop occupé<br />

à chasser pour perdre son temps en discours, ce qui donne vie <strong>et</strong> naturel à <strong>la</strong> présentation 90 .<br />

Le phénomène est plus sensib<strong>le</strong> encore dans <strong>le</strong> poème consacré au renard 91 , caractérisé<br />

de manière traditionnel<strong>le</strong> par <strong>la</strong> ruse <strong>et</strong> l’avidité : tout d’abord, <strong>le</strong> renard est <strong>le</strong> seul animal<br />

qui se présente avec un accessoire (induta cucul<strong>la</strong>m), <strong>et</strong>, plus qu’un accessoire, <strong>le</strong> capuchon<br />

apparaît comme un emblème de dissimu<strong>la</strong>tion <strong>et</strong> de ruse ; ensuite il est <strong>le</strong> seul qui appel<strong>le</strong><br />

des témoins : or ces témoins sont précisément ceux dont il compte se repaître, <strong>et</strong> un jeu<br />

d’assonances ([a]) <strong>et</strong> d’allitérations ([t]) semb<strong>le</strong> imiter <strong>le</strong>s cris <strong>et</strong> <strong>la</strong> précipitation des palmipèdes<br />

(adsint, anser, anas totaque turba alitum) ; il souligne lui-même sa réputation au moyen<br />

d’une allitération marquée (more meo mendacia), <strong>et</strong> a recours à une autre allitération, jointe<br />

aux homéoté<strong>le</strong>utes dans <strong>le</strong> vers suivant (p<strong>et</strong>o pro pr<strong>et</strong>io, pr<strong>et</strong>io étant mis en va<strong>le</strong>ur par <strong>la</strong><br />

penthémimère) lorsqu’il réc<strong>la</strong>me, ce qu’il est <strong>le</strong> seul à faire, une récompense en échange<br />

de ses informations (sed p<strong>et</strong>o pro precio sit mihi c<strong>la</strong>udus anas) ; il interrompt vite son discours<br />

pour se m<strong>et</strong>tre en chasse (Sed quid tanta loquor ? nox instat, tentat orexis/pectora) ; on peut<br />

noter <strong>la</strong> ponctuation forte, particulièrement expressive, à <strong>la</strong> penthémimère, <strong>le</strong>s allitérations<br />

en denta<strong>le</strong>s <strong>et</strong> en siff<strong>la</strong>ntes, <strong>la</strong> diérèse bucolique <strong>et</strong> <strong>le</strong> rej<strong>et</strong> de pectora. Enfin il est <strong>le</strong> seul à<br />

recourir à un système d’écho, puisque <strong>la</strong> demande de récompense exprimée au vers 4 est<br />

reprise au dernier vers, soulignant l’avidité <strong>et</strong> <strong>le</strong> caractère intéressé du renard mais aussi<br />

son habi<strong>le</strong>té, qui se manifeste ici sur <strong>le</strong> p<strong>la</strong>n de l’elocutio.<br />

89. Heu cedunt fortia cuncta uiro./O nimium foelix cui seruit quicquid in orbe est,/Quicquid uel tellus, uel<br />

maris unda fou<strong>et</strong>./Ob quem cuncta suos absoluunt sidera cursus/Ob quem dote sua belua nul<strong>la</strong> car<strong>et</strong>,<br />

<strong>«</strong> Hé<strong>la</strong>s, toutes <strong>le</strong>s puissances cèdent à l’homme. Trop heureux celui à qui obéit tout ce qui est au monde,<br />

sur <strong>la</strong> terre ou dans <strong>le</strong>s flots de <strong>la</strong> mer. C’est pour lui que tous <strong>le</strong>s astres accomplissent <strong>le</strong>ur course, pour<br />

lui que chaque animal a des vertus <strong>»</strong>.<br />

90. Dic uires, Demarche, meas, me praeda moratur,/Nam duo te referunt lustra fuisse lupum./Vos quos fama<br />

refert, nostram sumpsisse figuram/Dicite carniuoro gratia quanta lupo, <strong>«</strong> Dis mes qualités, Demarchus, je<br />

suis occupé à chasser ; à ce qu’on dit, en eff<strong>et</strong>, tu as été <strong>loup</strong> pendant deux lustres. Vous qui, selon <strong>la</strong><br />

légende, avez pris notre aspect, dites quel<strong>le</strong> grande reconnaissance on doit au <strong>loup</strong> carnivore <strong>»</strong>.<br />

91. Concionor nostras <strong>la</strong>udes induta cucul<strong>la</strong>m/Adsint, anser, anas, totaque turba alitum./Vera canam, nec<br />

more meo mendacia fingam/Sed p<strong>et</strong>o pro precio sit mihi c<strong>la</strong>udus anas […] Sed quid tanta loquor ? Nox<br />

instat, tentat orexis/Pectora. Pro precio sit mihi c<strong>la</strong>udus anas, <strong>«</strong> Couvert d’un capuchon, je proc<strong>la</strong>me mes<br />

vertus. Que m’assistent l’oie, <strong>le</strong> canard, toute <strong>la</strong> gent ailée. Je chanterai <strong>la</strong> vérité, <strong>et</strong>, contrairement à mon<br />

habitude, je n’inventerai pas de mensonges. Mais en récompense, je demande qu’on me donne un<br />

canard qui se dandine. […] Mais pourquoi tant <strong>par<strong>le</strong>r</strong> ? La nuit arrive, <strong>la</strong> faim <strong>fait</strong> gronder mes entrail<strong>le</strong>s.<br />

Qu’on me donne en récompense un canard qui se dandine <strong>»</strong>.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

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88<br />

Conclusion<br />

Jean Ursin a donc, dans sa Prosopeia, lié intimement l’animal <strong>et</strong> <strong>le</strong> savoir. L’œuvre a pour<br />

suj<strong>et</strong> <strong>le</strong> savoir médical sur <strong>le</strong>s animaux, mais, par <strong>le</strong> biais de <strong>la</strong> prosopopée, ce sont <strong>le</strong>s animaux<br />

eux-mêmes qui deviennent <strong>le</strong>s dispensateurs de ce savoir. Ce procédé perm<strong>et</strong> à Ursin de<br />

faire passer de manière agréab<strong>le</strong> un contenu médical fondé sur l’accumu<strong>la</strong>tion, parfois peu<br />

scientifique, qui n’a rien de novateur ; mais on comprend vite qu’il veut surtout m<strong>et</strong>tre en<br />

va<strong>le</strong>ur, par une mise en forme p<strong>la</strong>isante de c<strong>et</strong>te matière ingrate, ses dons de poète. Malgré<br />

toute <strong>la</strong> prudence avec <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> il convient de prendre <strong>le</strong>s préfaces <strong>et</strong> <strong>la</strong> postface, ces<br />

textes perm<strong>et</strong>tent de percevoir qu’Ursin a connu une certaine gloire comme poète dans <strong>la</strong><br />

société viennoise <strong>et</strong> y a été considéré comme un novateur dans <strong>le</strong> domaine poétique 92 . La<br />

<strong>Prosopopeia</strong> a ses limites, notamment scientifiques ; mais il faut reconnaître qu’il s’agit<br />

d’une œuvre d’une certaine amp<strong>le</strong>ur, d’une grande érudition <strong>et</strong> très agréab<strong>le</strong> à lire en dépit<br />

de son caractère parfois obscur, grâce au procédé imaginé <strong>et</strong> fort habi<strong>le</strong>ment exploité par<br />

Ursin : faire <strong>par<strong>le</strong>r</strong> <strong>le</strong> cheval <strong>et</strong> <strong>répondre</strong> <strong>le</strong> chameau.<br />

Bibliographie<br />

Éditions<br />

PLINE L’ANCIEN (Ernout 1952), Histoire naturel<strong>le</strong>, livre VIII, A. Ernout (éd. <strong>et</strong> trad.), Paris, Les Bel<strong>le</strong>s L<strong>et</strong>tres<br />

(CUF).<br />

PLINE L’ANCIEN (Ernout 1962a), Histoire naturel<strong>le</strong>, livre XXVIII, A. Ernout (éd. <strong>et</strong> trad.), Paris, Les Bel<strong>le</strong>s L<strong>et</strong>tres<br />

(CUF).<br />

PLINE L’ANCIEN (Ernout 1962b), Histoire naturel<strong>le</strong>, livre XXIX, A. Ernout (éd. <strong>et</strong> trad.), Paris, Les Bel<strong>le</strong>s L<strong>et</strong>tres<br />

(CUF).<br />

PLINE L’ANCIEN (Ernout 1963), Histoire naturel<strong>le</strong>, livre XXX, A. Ernout (éd. <strong>et</strong> trad.), Paris, Les Bel<strong>le</strong>s L<strong>et</strong>tres<br />

(CUF).<br />

PLINE L’ANCIEN (Ernout 1966), Histoire naturel<strong>le</strong>, livre XXXII, A. Ernout (éd. <strong>et</strong> trad.), Paris, Les Bel<strong>le</strong>s L<strong>et</strong>tres<br />

(CUF).<br />

QUINTILIEN (Cousin 1978), Institution Oratoire, t. V, livres VIII <strong>et</strong> IX, J. Cousin (éd. <strong>et</strong> trad.), Paris, Les Bel<strong>le</strong>s<br />

L<strong>et</strong>tres (CUF).<br />

QUINTUS SERENUS (Pépin 1950), Liber Medicinalis, R. Pépin (éd. <strong>et</strong> trad.), Paris, PUF.<br />

SEXTI PLACITI PAPYRIENSIS, De medicamentis ex animalibus libellus, ant. Musae ad Moecenatem suum, de<br />

bona ua<strong>le</strong>tudine conseruanda instructio, MDXXXVIII.<br />

Études<br />

ADAMS J. N. (1982), The <strong>la</strong>tin sexual vocabu<strong>la</strong>ry, Londres, The John Hopkins University Press.<br />

ANDRÉ J. (1991), Le vocabu<strong>la</strong>ire <strong>la</strong>tin de l’anatomie, Paris, Les Bel<strong>le</strong>s L<strong>et</strong>tres.<br />

FONTANIER P. (1968), Les Figures du discours, Paris, F<strong>la</strong>mmarion.<br />

PINON L. (1995), Livres de <strong>la</strong> zoologie de <strong>la</strong> Renaissance, une anthologie, Paris, Klincksieck.<br />

POPLIN F. (1980), <strong>«</strong> À propos de deux col<strong>le</strong>ctions de croix (os) du cœur de Cerf des Princes de Condé <strong>et</strong><br />

de <strong>la</strong> couronne de France <strong>»</strong>, Vénerie, 57, p. 26-29.<br />

92. Stephanus Roybosius, l’éditeur, évoque Ursin avec lyrisme (Mirus po<strong>et</strong>a, eximius <strong>et</strong> bene fortunatus Medicus,<br />

Philosophus summus, Orator facundus) <strong>et</strong> attribue à son œuvre <strong>le</strong>s qualificatifs nobilis, insignis, <strong>et</strong> magni<br />

operis. Raymondus Aquaeus écrit : Is doctus, <strong>le</strong>pidus, foelici sidere natus/Huic pia Thespiadum turba ministrat<br />

aquas. Même Olivarius, plus réticent peut-être en ce qui concerne <strong>le</strong> p<strong>la</strong>n médical, se <strong>la</strong>isse al<strong>le</strong>r à<br />

saluer <strong>le</strong>s ta<strong>le</strong>nts littéraires de son confrère : non potui non <strong>la</strong>udare in primis hominis institutum, dein e<strong>le</strong>gantiam,<br />

festiuitatem <strong>et</strong> dexteritatem admirari. En ce qui concerne <strong>le</strong> caractère novateur de l’œuvre, Stephanus<br />

Roybosius écrit : <strong>et</strong> magni operis futuri nusquam ab aliquo antehac excogitati, renchérissant ainsi<br />

sur <strong>le</strong>s vers de Raymondus Aquaeus : Exprimit hic uarias animantum carmine dotes/Hactenus atque loqui<br />

quae tacuere iub<strong>et</strong>.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0152009.pdf


SABBAH G. (dir.) (1987), Bibliographie des textes médicaux <strong>la</strong>tins, Antiquité <strong>et</strong> haut Moyen Âge, Saint-<br />

Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne.<br />

SABBAH G. (dir.) (1991), Le <strong>la</strong>tin médical, <strong>la</strong> constitution d’un <strong>la</strong>ngage scientifique, Saint-Étienne,<br />

Publications de l’université de Saint-Étienne.<br />

VOISENET J. (2006), <strong>«</strong> L’animal <strong>et</strong> <strong>la</strong> pensée médica<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s textes du haut Moyen Âge <strong>»</strong>, in Actes du<br />

XXXVIIIe Congrès international de l’APLAES, A. ZUCKER <strong>et</strong> M.-C. OLIVI (éd.), Nice, Presses universitaires<br />

de Nice.<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0152009.pdf<br />

89


90<br />

Annexes<br />

Tab<strong>le</strong>au n° 1 : liste des animaux mentionnés dans <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> aliquot<br />

animalium<br />

Animaux (24) Animaux qui n’ont pas de<br />

sang (26)<br />

Leo (18 vers)<br />

E<strong>le</strong>phas (10)<br />

Aper (18)<br />

Asinus (28)<br />

Capra (36)<br />

Caprea (16)<br />

Aries (12)<br />

Equa <strong>et</strong> equus (12)<br />

Camelus (16)<br />

Chame<strong>le</strong>on (12)<br />

Cata (10)<br />

Canis (24)<br />

Ceruus (36)<br />

Taurus (26)<br />

Vrsus (20)<br />

Lupus (24)<br />

Lepus (26)<br />

Vulpes (16)<br />

Castor (4)<br />

Cuniculus (4)<br />

Mustel<strong>la</strong> (6)<br />

Mus (20)<br />

Glis (4)<br />

Talpa (10)<br />

Buffo<br />

Millipes<br />

Vipera<br />

Cerastes<br />

Aspis<br />

Locusta<br />

Muscae<br />

Cicada<br />

Lumbrici terrestres<br />

Lumbrici ex uentre<br />

hominis<br />

Aranea<br />

Attotius<br />

Cimex<br />

Pu<strong>le</strong>x<br />

Scarabeus<br />

Cancer<br />

Stellio<br />

Draco<br />

Cantharis<br />

Limax<br />

Formica<br />

Stinchus<br />

Vermis in capite uirgae<br />

pastoris<br />

Vermis in raphano<br />

Rana<br />

Coluber<br />

Tab<strong>le</strong>au n° 2 : ma<strong>la</strong>dies mentionnées dans <strong>la</strong> <strong>Prosopopeia</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>urs remèdes<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p. 73-92).<br />

http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0152009.pdf<br />

Oiseaux (25) Poissons (4) Insectes (2)<br />

Aqui<strong>la</strong><br />

Vultur<br />

Bubo<br />

Pauo<br />

Coruus<br />

Miluus<br />

Gallus<br />

Gallina<br />

Anser<br />

Anas<br />

Grus<br />

Turtur<br />

Palumbes<br />

Columba<br />

Cuculus<br />

Philome<strong>la</strong><br />

Galbu<strong>la</strong><br />

Hirundo<br />

Vpupa<br />

Passer<br />

Noctua<br />

Cornix<br />

Accipiter<br />

Perdix<br />

Pica<br />

Anguil<strong>la</strong><br />

Siren<br />

Delphinus<br />

Sepia<br />

Bombex<br />

Borax<br />

Problèmes <strong>et</strong> affections Remèdes<br />

Fièvres (quarte surtout) Lion (cœur), âne (sang), chameau (poils), caméléon<br />

(cœur), chat (griffes), cerf (chair), <strong>loup</strong> (œil), lièvre<br />

(cœur)<br />

Mal d’Hercu<strong>le</strong> ou mal sacré (épi<strong>le</strong>psie) Âne (foie, sabots, peau du front, sang), chèvre (chair),<br />

pou<strong>la</strong>in (hippomane), ours (fiel), lièvre (cœur), chevreuil<br />

(cervel<strong>le</strong>), bélier (testicu<strong>le</strong>s), chameau (cerveau),<br />

chien (excréments), renard (cervel<strong>le</strong>)<br />

Léthargie Sanglier (sang), chèvre (poils)<br />

Vertiges, tremb<strong>le</strong>ments Lièvre (cervel<strong>le</strong>, sang)<br />

Nervosité Lion (graisse), chèvre (excréments), ours (fiel), <strong>la</strong>pin<br />

(graisse)<br />

Troub<strong>le</strong>s du sommeil Chèvre (cornes)<br />

Tête Bélier (cornes), chameau (urine), cerf (cornes), <strong>loup</strong><br />

(tête)<br />

Vue Âne (yeux), chevreuil (fiel, foie), cerf (cornes), taureau<br />

(fiel), lièvre (fiel), souris (tête)<br />

Oreil<strong>le</strong>s, surdité Sanglier (urine), chèvre (sang), chevreuil (fiel), taureau<br />

(fiel)<br />

Ha<strong>le</strong>ine Âne (urine)<br />

Gorge Chevreuil (fiel), chat (excréments)


Dents Ânesse (<strong>la</strong>it), cheval (dent), chienne (<strong>la</strong>it), cerf (cornes),<br />

taupe (cendres)<br />

Cheveux (calvitie, canitie, poux, pellicu<strong>le</strong>s) Chèvre (cornes), chameau (urine), chien (urine), taureau<br />

(excréments), ours (suif), taupe (sang)<br />

Teint brouillé ou coloré Lion (graisse), éléphant (défenses), ânesse (<strong>la</strong>it),<br />

chevreuil (fiel), taureau (fiel, sang, pénis), lièvre (sang,<br />

foie)<br />

Affections de <strong>la</strong> peau/écrouel<strong>le</strong>s, lèpre Âne (graisse, foie), chameau (excréments), chien<br />

(urine), cerf (cornes), souris (sang), taupe (cendres)<br />

Piqûres, morsures Âne (excréments), chien (tête), taureau (fiel)<br />

Sciatique <strong>et</strong> dou<strong>le</strong>urs articu<strong>la</strong>ires Sanglier (excréments), chèvre (excréments)<br />

Hydropisie Sanglier (urine), ânesse (<strong>la</strong>it), chèvre (urine <strong>et</strong> suif,<br />

<strong>la</strong>it), chameau (urine), chien (excréments <strong>et</strong> vomissures)<br />

Hémorragies Âne (excréments), chèvre (sang <strong>et</strong> poils), lièvre (poils)<br />

P<strong>le</strong>urésie, phtisie Sanglier (défenses), ânesse (<strong>la</strong>it), cheval (excréments,<br />

salive), renard (poumon)<br />

Impuissance Cerf (testicu<strong>le</strong>s), <strong>loup</strong> (gueu<strong>le</strong>)<br />

Infertilité Éléphant (défenses), chèvre (urine, <strong>la</strong>it), jument (<strong>la</strong>it),<br />

cerf (cornes), lièvre (vulve, écume, cœur)<br />

Contraception Éléphant (excréments)<br />

Expulsion d’un fœtus Mort : cheval (graisse), chienne (<strong>la</strong>it) ; vivant : <strong>loup</strong><br />

(chair)<br />

Maux de vessie, calculs, reins Sanglier (vessie, urine), âne (urine), chat (reins), lièvre<br />

(excréments, sang), souris (excréments)<br />

Goutte Lion (graisse), chat (chair), chien (dents), lièvre (sang)<br />

Maux de ventre, diarrhée, dysenterie, constipation Ânesse (<strong>la</strong>it), chèvre (sang <strong>et</strong> excréments), chevreuil<br />

(rate), cheval (excréments), chameau (queue, excréments),<br />

chien (excréments, dents), cerf (cornes,<br />

moel<strong>le</strong>), taureau (fiel, moel<strong>le</strong>), lièvre (présure, foie)<br />

Ébriété Sanglier (poumons)<br />

Cancer Chien (tête)<br />

Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0152009.pdf<br />

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Schedae, 2009, prépublication n°15, (fascicu<strong>le</strong> n°2, p.73-92).<br />

http://www.unicaen.fr/services/puc/ecrire/preprints/preprint0152009.pdf<br />

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