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Sophie Madeleine - Université de Caen Basse Normandie

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Schedae, 2007<br />

Prépublication n° 6 Fascicule n° 1<br />

Le complexe pompéien du Champ <strong>de</strong> Mars<br />

au IV e siècle, témoin <strong>de</strong> la réappropriation<br />

idéologique Julio-Claudienne<br />

<strong>Sophie</strong> <strong>Ma<strong>de</strong>leine</strong><br />

Ingénieur <strong>de</strong> recherche, Centre Interdisciplinaire <strong>de</strong> Réalité Virtuelle (CIREVE)<br />

Université <strong>de</strong> <strong>Caen</strong> <strong>Basse</strong>-<strong>Normandie</strong><br />

sophie.ma<strong>de</strong>leine@unicaen.fr<br />

La journée d’étu<strong>de</strong>s « Héritages et traditions encyclopédiques dans l’Antiquité tardive »<br />

est intéressante sous plusieurs aspects mais c’est le choix chronologique qui nous a motivée :<br />

celui du Bas-Empire qui marque, dans le cas <strong>de</strong> Rome, la charnière entre l’empire païen et<br />

l’empire chrétien. Le IV e siècle est une époque riche, déjà privilégiée par P. Bigot et I. Gismondi<br />

qui l’ont choisie pour leur évocation en plan relief <strong>de</strong> la Rome antique 1 . Le règne <strong>de</strong> Constantin<br />

marque l’apogée monumental <strong>de</strong> la Ville et l’avantage <strong>de</strong> ce choix est que l’on travaille<br />

sur la <strong>de</strong>rnière strate archéologique <strong>de</strong> l’Antiquité, a priori la mieux conservée, et qu’il est<br />

possible <strong>de</strong> se pencher sur <strong>de</strong>s bâtiments tardifs emblématiques <strong>de</strong> Rome, comme la basilique<br />

<strong>de</strong> Constantin, encore bien préservée.<br />

Cette communication est peut-être un peu en marge <strong>de</strong> la tradition encyclopédique<br />

stricto sensu, mais notre problématique rejoint celle <strong>de</strong> cette journée d’étu<strong>de</strong>s : nous allons<br />

nous intéresser à la transmission architecturale d’un complexe construit au I er siècle a. C.,<br />

pour voir comment il a évolué jusque sous l’Antiquité tardive. Dans quelle mesure l’état du<br />

IV e siècle gar<strong>de</strong>-t-il la mémoire d’un bâtiment tel qu’il avait été conçu cinq siècles auparavant ?<br />

Les innovations apportées au cours <strong>de</strong>s restaurations ont-elles bouleversé l’organisation<br />

architecturale <strong>de</strong> l’ensemble ou l’héritage est-il scrupuleusement maintenu ? Bien plus qu’un<br />

simple état <strong>de</strong>s changements intervenus jusqu’à cette pério<strong>de</strong> charnière <strong>de</strong> l’histoire, cette<br />

communication vise à montrer comment le complexe pompéien du Champ <strong>de</strong> Mars, constitué<br />

du premier théâtre en pierre <strong>de</strong> la Ville (le théâtre <strong>de</strong> Pompée), d’un temple à Vénus<br />

Victrix, d’un portique abritant <strong>de</strong>s œuvres d’art et d’une curie, a été l’objet <strong>de</strong> réappropriations<br />

idéologiques qui en modifient radicalement la lecture dans son état du IV e siècle. Nous<br />

dresserons l’état <strong>de</strong> cette « ville dans la Ville » à la fin <strong>de</strong> la République, afin <strong>de</strong> voir selon<br />

1. Le plan relief <strong>de</strong> P. Bigot (échelle 1/400) est exposé à l’Université <strong>de</strong> <strong>Caen</strong> <strong>Basse</strong>-<strong>Normandie</strong>, à la Maison<br />

<strong>de</strong> la Recherches en Sciences Humaines (www.unicaen.fr/rome), celui d’I. Gismondi (échelle 1/250) est au<br />

Musée <strong>de</strong> la civilisation romaine <strong>de</strong> Rome.<br />

<strong>Sophie</strong> <strong>Ma<strong>de</strong>leine</strong><br />

« Le complexe pompéien du Champ <strong>de</strong> Mars au IVe siècle, témoin <strong>de</strong> la réappropriation idéologique Julio-Claudienne »<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 81-96).


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quel schéma idéologique Pompée avait conçu cet ensemble architecturé. Ensuite l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s modifications intervenues entre sa construction et le IV e siècle seront évoquées avec<br />

notamment une nouvelle proposition d’interprétation <strong>de</strong> trois textes latins <strong>de</strong> Valère Maxime,<br />

Properce et Suétone qui, nous semble-t-il, méritent d’être lus sous un nouvel éclairage.<br />

Nous verrons comment la réappropriation idéologique opérée sous les Julio-Claudiens<br />

s’est maintenue jusque sous l’Antiquité tardive. À travers l’exemple du complexe pompéien,<br />

nous voulons montrer toute la richesse d’une étu<strong>de</strong> architecturale <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong> Rome au<br />

IV e siècle : certains bâtiments construits sous la République ou à l’époque augustéenne ont<br />

beaucoup évolué jusqu’au Bas-Empire et c’est justement la comparaison <strong>de</strong>s lectures qu’il<br />

est possible d’opérer entre les différentes époques <strong>de</strong> l’Antiquité qui permet d’en avoir<br />

une vision complète. Comprendre un bâtiment à une époque donnée n’a qu’un intérêt<br />

limité. Par contre, envisager un ensemble architecturé dans son évolution pour voir comment<br />

les habitants d’une ville y ont vécu, comment les différentes générations l’ont vu évoluer,<br />

comment il a pu <strong>de</strong>venir l’instrument <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>s politiques parfois antagonistes,<br />

révèlent toute sa richesse. Nous voulons ici marquer tout l’intérêt <strong>de</strong> la restitution virtuelle<br />

diachronique <strong>de</strong> Rome, telle qu’elle est pratiquée dans l’équipe « Plan <strong>de</strong> Rome. Sources<br />

anciennes et technologies multimédia » <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> <strong>Caen</strong> <strong>Basse</strong>-<strong>Normandie</strong>, avec<br />

comme point <strong>de</strong> départ l’époque charnière <strong>de</strong> l’Antiquité tardive : le règne <strong>de</strong> Constantin.<br />

1 – Le complexe lors <strong>de</strong> sa construction par Pompée<br />

1.1 – Le plan au sol<br />

Le décentrage <strong>de</strong> la curie lié à <strong>de</strong>s contraintes urbanistiques<br />

A l’extrémité est du portique <strong>de</strong> Pompée, était installée une curie qui servait notamment<br />

à accueillir les réunions du sénat les jours où <strong>de</strong>s spectacles étaient organisés dans le<br />

théâtre <strong>de</strong> Pompée. L’emplacement <strong>de</strong> la curie <strong>de</strong> Pompée nous est connu par <strong>de</strong>ux sources :<br />

l’archéologie et la Forma Vrbis Romae, un plan <strong>de</strong> marbre du III e siècle, gravé sous les Sévère,<br />

qui représente le plan au sol <strong>de</strong> la Ville. Nous avons la chance <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r un nombre assez<br />

important <strong>de</strong> fragments originaux <strong>de</strong> la Forma Vrbis concernant le complexe <strong>de</strong> Pompée.<br />

À la Renaissance, <strong>de</strong>s érudits ont également <strong>de</strong>ssiné <strong>de</strong>s fragments qui étaient à l’époque<br />

conservés et qui ont aujourd’hui disparu. Ces copies, les codices du Vatican, peuvent être<br />

utilisées en complément <strong>de</strong>s fragments originaux et <strong>de</strong>s relevés archéologiques pour dresser<br />

un plan au sol du complexe (figure 1).<br />

L’espace séparant les fragments 8 et 10 <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>ssiné par les fragments 2, 3<br />

et 4 (figure 1) est donné par l’archéologie : le portique occupe 180 m <strong>de</strong> long 2 . On se rend<br />

compte que pour <strong>de</strong>s contraintes urbanistiques (respect <strong>de</strong>s constructions antérieures, présence<br />

<strong>de</strong> la Palus Caprae, c’est à dire le marécage du Champ <strong>de</strong> Mars, souhait <strong>de</strong> ne pas<br />

trop s’éloigner du centre monumental) et la volonté d’orienter la cauea à l’est pour <strong>de</strong>s<br />

considérations météorologiques, Pompée ne pouvait pas implanter son complexe ailleurs<br />

sans en diminuer la taille. Ensuite, l’agencement <strong>de</strong> la zone sacrée du Largo Argentina<br />

(fragments 2, 3 et 4) fait que la curie <strong>de</strong> Pompée ne peut pas être installée au centre du<br />

portique. Notre placement <strong>de</strong>s fragments sur le plan d’ensemble est validé par plusieurs<br />

contrôles : les traits figurés sur les fragments 2 et 10 se rejoignent parfaitement (points A<br />

et B) et la taille <strong>de</strong> la curie sur la Forma Vrbis (21 m sur 24 m) est en accord avec les fouilles<br />

archéologiques. Pompée a été obligé <strong>de</strong> penser l’aménagement <strong>de</strong> son portique avec une<br />

asymétrie dans la composition du côté est (comprenant la curie).<br />

2. Gros 1993, 148-149.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 81-96).


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Figure 1 : Plan restitué d’après les fragments <strong>de</strong> la Forma Vrbis Romae et l’archéologie.<br />

Le portique <strong>de</strong>s origines :<br />

les possibles atténuations <strong>de</strong> l’asymétrie engendrée par la curie décentrée<br />

Il est probable que les architectes <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> la République ont tenté <strong>de</strong> masquer<br />

cette anomalie à la vue et nous allons tenter <strong>de</strong> comprendre comment. Pour ce faire, <strong>de</strong>ux<br />

textes sont à rapprocher, l’un <strong>de</strong> Properce et l’autre <strong>de</strong> Valère Maxime, pour lesquels nous<br />

allons proposer <strong>de</strong> nouvelles interprétations.<br />

Scilicet umbrosis sor<strong>de</strong>t Pompeia columnis<br />

porticus, aulaeis nobilibus Attalicis,<br />

et platanis creber pariter surgentibus ordo,<br />

flumina sopito quaeque Marone cadunt,<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p.81-96).


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et leuiter nymphis tota crepitantibus orbe<br />

cum subito Triton ore recondit aquam.<br />

Sans doute, il est bien laid, ce portique <strong>de</strong> Pompée aux colonnes ombreuses, aux fameuses<br />

tapisseries d’Attale, et toutes ces rangées bien égales <strong>de</strong> platanes et tous ces flots, que laisse<br />

tomber un Maron assoupi et par la ville entière le doux glouglou <strong>de</strong> l’on<strong>de</strong>, quand soudain le<br />

Triton aspire l’eau <strong>de</strong> sa bouche 3 .<br />

Eius instinctu Q. Catulus Campanam imitatus luxuriam primus spectantium consessum<br />

uelorum umbraculis texit. Cn. Pompeius ante omnes aquae per semitas <strong>de</strong>cursu aestiuum<br />

minuit feruorem.<br />

Sous son impulsion Quintus Catulus, imitant l’amour du luxe <strong>de</strong>s Campaniens, fut le premier à<br />

placer les sièges <strong>de</strong>s spectateurs à l’ombre <strong>de</strong> toiles. Pompée prit l’initiative <strong>de</strong> faire couler <strong>de</strong><br />

l’eau à travers les travées pour adoucir la rigueur <strong>de</strong> l’été 4 .<br />

Properce nous parle <strong>de</strong> rangées bien égales <strong>de</strong> platanes, sans faire mention d’un double<br />

bois, tels qu’on le voit sur la Forma Vrbis du III e siècle et tel qu’il est décrit pour la première<br />

fois dans les sources littéraires par Martial 5 . Nous pensons que pour atténuer l’asymétrie<br />

du portique, le plus logique pour Pompée était <strong>de</strong> planter un bois unique et conséquent<br />

<strong>de</strong> platanes, qui ferait la même largeur que le double bois plus tardif représenté sur la Forma<br />

Vrbis. Avec ce bois unique, la porte centrale du mur <strong>de</strong> scène (la ualua regia) et la curie ne<br />

peuvent pas être vues ensemble et du coup, la curie doit nettement moins paraître décentrée<br />

qu’avec le schéma à double nemus qui sera construit plus tard. La suite du texte <strong>de</strong><br />

Properce parle ensuite <strong>de</strong> « flots que laisse tomber un Maron assoupi et d’un Triton qui<br />

aspire l’eau <strong>de</strong> sa bouche ». Voici le schéma qui vient immédiatement à l’esprit : <strong>de</strong> l’eau<br />

entre dans le portique (en quantité assez importante : flumina) par une fontaine dont le personnage<br />

principal est Maron. C’est le personnage qui dans l’Odyssée donne à Ulysse l’outre<br />

<strong>de</strong> vin, qui lui permettra d’enivrer le cyclope. On peut imaginer que dans le portique <strong>de</strong><br />

Pompée, l’eau coulait justement d’une outre rappelant la légen<strong>de</strong>. Ensuite, l’eau sort du<br />

portique par une évacuation monumentale : un bassin dans lequel l’eau se vi<strong>de</strong> par la bouche<br />

d’un triton en un bruit à la fois doux (leuiter) et fort (tota crepitantibus orbe).<br />

Mettons ce texte en parallèle avec celui <strong>de</strong> Valère Maxime. Comme il est question<br />

d’une nouveauté <strong>de</strong> Pompée (Cn. Pompeius ante omnes), nous pensons qu’il s’agit d’une<br />

allusion à son complexe du Champ <strong>de</strong> Mars. L’expression qui nous intéresse est aquae per<br />

semitas <strong>de</strong>cursu. Une première interprétation possible serait celle d’un écoulement dans<br />

<strong>de</strong>s canaux à l’air libre dans les circulations <strong>de</strong> la cauea du théâtre (c’est l’interprétation <strong>de</strong><br />

R. Combès). Le sens premier <strong>de</strong> <strong>de</strong>curro, is, ere est « <strong>de</strong>scendre en courant, dévaler, se<br />

précipiter, s’abaisser en pente ». L’eau arriverait donc en haut <strong>de</strong> l’édifice, certainement à<br />

l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> machines élévatoires et elle re<strong>de</strong>scendrait ensuite dans la cauea, pour rafraîchir<br />

les spectateurs. Mais par où <strong>de</strong>scendrait cette eau ? Le texte nous parle <strong>de</strong> semita signifiant<br />

« voie latérale, sentier, ruelle, chemin <strong>de</strong> passage ». Pour que l’eau rafraîchisse efficacement<br />

les spectateurs, il faudrait qu’elle circule dans la cauea sans être emprisonnée dans<br />

<strong>de</strong>s tuyaux, à l’air libre, mais sans chute directe pour éviter les nuisances sonores. Il y aurait<br />

dans ce cas plusieurs canaux à l’air libre, qui circuleraient dans le théâtre <strong>de</strong> Pompée, du<br />

haut vers le bas <strong>de</strong> la cauea. La technique à mettre en place aurait été compliquée, car il<br />

fallait élever l’eau à 25 mètres pour qu’elle arrive en haut <strong>de</strong> la cauea. À l’époque <strong>de</strong> Valère<br />

3. Prop. 2, 32, 7 à 16 (texte, trad. et comm. P. Fe<strong>de</strong>li, Leipzig, Teubner, 1994 ; texte, trad. et comm. D. Paganelli,<br />

Paris, Les Belles Lettres, 1961).<br />

4. Val. Max., 2, 4, 6 (texte, trad. et comm. R. Combès, Paris, Les Belles Lettres, 1995).<br />

5. Mart. 2, 14, cf. infra.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 81-96).


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Maxime, le Champ <strong>de</strong> Mars était loin <strong>de</strong> tout aqueduc. Le plus simple aurait été <strong>de</strong> faire<br />

venir l’eau <strong>de</strong> l’Aqua Appia, à partir <strong>de</strong> l’Aventin, mais l’opération aurait nécessité <strong>de</strong> gros<br />

travaux et nous n’en avons pas <strong>de</strong> traces. L’eau qui alimentait le Maron <strong>de</strong> Properce et les<br />

semitae <strong>de</strong> Valère Maxime venait probablement du Tibre par <strong>de</strong>s canaux qui, comme<br />

l’euripe <strong>de</strong> l’époque augustéenne alimentant le stagnum d’Agrippa, suivaient une pente<br />

naturelle.<br />

Pour élever l’eau en haut <strong>de</strong>s gradins, il fallait donc obligatoirement utiliser une machine.<br />

Les <strong>de</strong>ux machines à avoir un débit conséquent sur une hauteur d’élévation correcte sont<br />

la chaîne à go<strong>de</strong>ts et la noria. Une chaîne à go<strong>de</strong>ts peut élever 5 litres à la secon<strong>de</strong> sur une<br />

vingtaine <strong>de</strong> mètres et une noria plus <strong>de</strong> 20 litres à la secon<strong>de</strong> sur une hauteur qui sera sensiblement<br />

définie par son diamètre 6 . La capacité d’une noria serait plus proche <strong>de</strong>s besoins<br />

du théâtre pour alimenter ces canaux mais, même en envisageant <strong>de</strong>s machines <strong>de</strong> 10 m<br />

<strong>de</strong> diamètre (ce qui est considérable du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’encombrement), il en faudrait au<br />

moins trois, installées en paliers, pour élever l’eau jusqu’en haut <strong>de</strong> la cauea. Une noria<br />

n’élève en effet pas l’eau sur la totalité <strong>de</strong> son diamètre : il faut au moins retrancher 1,5 m<br />

pour le puisage et le déversement. L’encombrement <strong>de</strong> ces trois norias aurait été notable.<br />

La solution <strong>de</strong> chaînes à go<strong>de</strong>ts (installées en <strong>de</strong>ux paliers ?) est plus facilement imaginable.<br />

Où pouvaient être situées ces machines élévatoires à <strong>de</strong>ux ou trois niveaux dans le théâtre ?<br />

Elles n’étaient certainement pas visibles pour les spectateurs à l’intérieur <strong>de</strong> la cauea pour<br />

au moins <strong>de</strong>ux raisons : l’esthétisme et le problème du bruit. Dans un théâtre entièrement<br />

recouvert <strong>de</strong> marbre, il est d’ailleurs difficile d’imaginer ces machines peu esthétiques<br />

offertes à la vue. Le mécanisme du ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> scène lui-même était caché à la vue du public.<br />

L’autre difficulté soulevée par ces aménagements est le bruit. Il n’était pas question que<br />

ces machines élévatoires imposent un fond sonore lors <strong>de</strong>s représentations, bruits <strong>de</strong> fonctionnement<br />

qui sont pourtant impossibles à éviter (grincements, frottements…). Dans la<br />

même perspective, l’écoulement <strong>de</strong> l’eau sur la pente <strong>de</strong> la cauea aurait occasionné <strong>de</strong>s<br />

nuisances sonores parasitant le jeu <strong>de</strong>s acteurs. À partir <strong>de</strong> ces constatations, nous voudrions<br />

émettre une autre hypothèse pour comprendre ce texte. Si les semitae qu’évoque Valère<br />

Maxime ne peuvent pas, pour les raisons techniques exposées ci-<strong>de</strong>ssus, être <strong>de</strong>s circulations<br />

dans le théâtre, pourquoi ne pas les imaginer dans le portique ? Le texte <strong>de</strong> Valère<br />

Maxime parle d’un aménagement construit par Pompée mais ne précise pas qu’il s’agit du<br />

théâtre. Le mot semita est utilisé par Varron pour l’allée centrale du portique <strong>de</strong> sa volière<br />

donnant accès à la tholos 7 . Or, cette allée est précisément entourée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux bassins d’eau…<br />

Nous aurions donc pu avoir dans un état primitif du portique une circulation d’eau sur les<br />

côtés du bois <strong>de</strong> platanes, semitae étant à interpréter comme les allées du portique et non<br />

comme <strong>de</strong>s circulations dans lesquelles passe l’eau. Per serait à prendre au sens <strong>de</strong> « le long<br />

<strong>de</strong> ». Le texte serait dans ce cas à traduire par « Pompée prit l’initiative <strong>de</strong> faire couler <strong>de</strong> l’eau<br />

le long <strong>de</strong>s allées pour adoucir la rigueur <strong>de</strong> l’été ».<br />

On remarque sur les courbes <strong>de</strong> niveau actuelles une baisse d’altitu<strong>de</strong> entre l’est et l’ouest<br />

du portique. Si la tendance était la même dans l’Antiquité, l’eau <strong>de</strong>vait circuler <strong>de</strong> l’est vers<br />

l’ouest, alimentée par le Tibre. Nous pensons donc qu’au moment <strong>de</strong> sa construction, le<br />

portique <strong>de</strong> Pompée <strong>de</strong>vait avoir l’aspect schématisé sur la figure 2.<br />

Pour être en conformité avec le texte <strong>de</strong> Properce qui parle <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux statues, il semble<br />

que les <strong>de</strong>ux semitae <strong>de</strong>vaient se rejoindre pour que les canaux soient alimentés par la même<br />

6. Bonnin 1984.<br />

7. Varro., Rust. 3, 5, 12.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p.81-96).


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fontaine et aient une même voie d’évacuation. En plaçant le Maron juste dans l’axe <strong>de</strong> la<br />

curie et le Triton dans l’axe <strong>de</strong> la ualua regia, la <strong>de</strong>nsité du bois <strong>de</strong> platanes <strong>de</strong>vait empêcher<br />

l’œil <strong>de</strong> percevoir le défaut d’alignement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fontaines. Du côté <strong>de</strong> la curie, l’alignement<br />

entre l’exèdre et la fontaine <strong>de</strong> Maron pouvait atténuer la position dissymétrique<br />

du bâtiment dans la largeur du portique.<br />

1.2 – La dimension idéologique à la fin <strong>de</strong> la République :<br />

une préfiguration <strong>de</strong>s forums impériaux<br />

Il convient ici d’insister sur le lien fort qui est créé entre la statue <strong>de</strong> Vénus Victrix (placée<br />

dans la cella du temple homonyme) et celle <strong>de</strong> Pompée, placée vraisemblablement sur la<br />

prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la curie, au centre <strong>de</strong> cette pièce : les <strong>de</strong>ux sont sensiblement alignées. L’existence<br />

d’une statue <strong>de</strong> Vénus est très probable, puisque la plupart <strong>de</strong>s temples accueillent<br />

dans leur cella la divinité à laquelle ils sont dédiés. D’autre part, <strong>de</strong>s monnaies représentant<br />

Vénus Victrix ont circulé, notamment <strong>de</strong>s <strong>de</strong>niers émis en 44 a. C 8 . La présence <strong>de</strong> la statue<br />

<strong>de</strong> Pompée est quant à elle attestée par plusieurs sources littéraires :<br />

Le lieu même semblait marqué par la divinité, pour favoriser leur <strong>de</strong>ssein : c’était un <strong>de</strong>s portiques<br />

entourant le théâtre, où se trouvait une salle garnie <strong>de</strong> sièges, dans laquelle se dressait<br />

une statue <strong>de</strong> Pompée que la ville lui avait élevée, lorsqu’il avait orné ce quartier <strong>de</strong> portiques<br />

et <strong>de</strong> son théâtre 9 .<br />

Ce que j’ai rapporté jusqu’ici peut être l’effet du hasard ; mais la salle où eut lieu la scène du<br />

meurtre, celle où le Sénat se réunit ce jour-là, contenait une statue <strong>de</strong> Pompée, qui avait<br />

dédié cet édifice comme un ornement ajouté à son théâtre : cette circonstance prouve manifestement<br />

que l’action fut conduite par un dieu qui avait assigné et marqué ce lieu pour un tel<br />

événement. On dit aussi que Cassius avant l’assassinat tourna les yeux vers la statue <strong>de</strong> Pompée<br />

et l’invoqua en silence, bien qu’il fût attaché à la doctrine d’Epicure : l’imminence du<br />

drame répandait dans son âme, semble-t-il, un enthousiasme et une émotion qui chassaient<br />

ses anciennes opinions 10 .<br />

Il semble que le complexe pompéien du Champ <strong>de</strong> Mars, avec son alignement symbolique<br />

<strong>de</strong>s statues <strong>de</strong> Pompée et <strong>de</strong> Vénus (même s’il n’est pas parfait dans la forme) est<br />

le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> toute l’idéologie qui sera plus tard reprise dans les forums impériaux<br />

11 . Si l’on compare, par exemple, le complexe <strong>de</strong> Pompée et le forum <strong>de</strong> César, l’un<br />

et l’autre s’organisent en longueur, avec un temple à l’une <strong>de</strong>s extrémités et <strong>de</strong>s portiques<br />

sur chacun <strong>de</strong>s longs côtés. La place du forum <strong>de</strong> César correspond à la porticus post scaenam<br />

du complexe pompéien du Champ <strong>de</strong> Mars. Les <strong>de</strong>ux temples sont dédiés à Vénus :<br />

Vénus Victrix pour Pompée et Vénus Genitrix pour César, qui affirme ses ascendances divines.<br />

8. Sauron 1994, 253.<br />

9. Plutarque, Brutus, 14 (texte K. Ziegler, Plutarchi Vitae parallelae, vol. 2.1, 2 e édition, Leipzig, Teubner, 1964,<br />

p. 135-179, texte, trad. et comm. R. Flacelière et E. Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1978) : Kai; to; tou'<br />

tovpou qei'on ei\nai kai; pro;" aujtw'n: stoa; ga;r h\n miva tw'n peri; to; qevatron ejxevdran e[cousa, ejn h|/ Pomphi?ou<br />

ti" eijkw;n eiJsthvkei, th'" povlew" sthsamevnh", o{te tai'" stoai'" kai; tw' / qeavtrw/ to;n tovpon ejkei'non ejkovsmhsen.<br />

10. Plutarque, Caesar, 66 (texte K. Ziegler, Plutarchi Vitae parallelae, vol. 2. 2, 2 e édition, Leipzig, Teubner, 1964,<br />

p. 253-337, texte, trad. et comm. R. Flacelière et E. Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1975) : JO <strong>de</strong>; <strong>de</strong>xavmeno"<br />

to;n fovnon ejkei'non kai; to;n ajgw'na cw'ro", eij" o}n hJ suvgklhto" hjqroivsqh tovte, Pomphi?ou me;n eijkovna keimevnhn<br />

e[cwn, Pomphi?ou dV ajnavqhma gegonw;" tw'n proskekosmhmevnwn tw' / qeavtrw/, pantavpasin ajpevfaine daivmonov"<br />

tino" uJfhgoumevnou kai; kalou'nto" ejkei' th;n pra'xin e[rgon gegonevnai. kai; ga;r ou\n kai; levgetai Kavssio"<br />

eij" to;n ajndriavnta tou' Pomphi?ou pro; th'" ejgceirhvsew" ajpoblevpwn ejpikalei'sqai siwph'/, kaivper oujk<br />

ajllovtrio" w]n tw'n jEpikouvrou lovgwn: ajllV oJ kairo;" wJ" e[oiken h[dh tou' <strong>de</strong>inou' parestw'to" ejnqousiasmo;n<br />

ejnepoivei kai; pavqo" ajnti; tw'n protevrwn logismw'n.<br />

11. Pour <strong>de</strong> plus amples informations sur les forums impériaux, cf. Amici 1991 ; Bauer 1987.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 81-96).


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Figure 2 : L’alignement <strong>de</strong>s statues <strong>de</strong> Pompée et <strong>de</strong> Vénus Victrix.<br />

On sait que le lien est fort car au départ, c’est également vers Vénus Victrix que s’est<br />

tourné César, lorsqu’il avait fait vœu <strong>de</strong> construire un temple à Vénus dans la nuit du 8 au<br />

9 août 48 a. C. en cas <strong>de</strong> succès lors <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong> Pharsale, qui l’opposait justement à<br />

Pompée. Ce n’est que par la suite que le temple fut définitivement reconnu comme celui <strong>de</strong><br />

Vénus Genitrix 12 . Dans les <strong>de</strong>ux cas, les cella <strong>de</strong>s temples sont dans la prolongation du petit<br />

côté <strong>de</strong> la porticus et, à chaque fois, il s’agit <strong>de</strong> temples à absi<strong>de</strong>s, ménageant un espace<br />

pour la statue cultuelle <strong>de</strong> la déesse 13 . Le temple est toujours parfaitement centré par rapport<br />

à la place (ou à la porticus), ce qui accentue l’unité architecturale <strong>de</strong> l’ensemble.<br />

La disposition <strong>de</strong>s statues honorant les constructeurs <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux édifices est elle aussi<br />

comparable : on trouve dans les <strong>de</strong>ux cas une statue en l’honneur <strong>de</strong> César 14 ou <strong>de</strong> Pompée,<br />

placée dans l’axe central du temple. Une statue équestre <strong>de</strong> Jules César occupe ainsi<br />

le centre <strong>de</strong> la place du forum Iulium et la statue <strong>de</strong> Pompée, se trouve dans la curie. Les<br />

<strong>de</strong>ux hommes tiennent une place centrale dans leurs complexes respectifs, et à chaque fois,<br />

ils sont placés dans l’alignement <strong>de</strong> la statue <strong>de</strong> Vénus, qui se trouve dans le temple associé.<br />

Il existe donc une dimension idéologique indiscutable dans le choix <strong>de</strong> disposition <strong>de</strong> la<br />

statuaire. Il se créait un dialogue entre l’imperator et sa déesse tutélaire, pour protéger le<br />

complexe et plus largement la Ville.<br />

La symbolique <strong>de</strong>s dates d’inauguration <strong>de</strong>s complexes est également importante<br />

dans les <strong>de</strong>ux cas, et finalement très proche. Le temple <strong>de</strong> Vénus Genitrix a été dédié le<br />

26 septembre 46 a. C., c’est-à-dire exactement le même jour que le quatrième triomphe<br />

<strong>de</strong> Jules César. Or nous savons que Pompée avait lui aussi inauguré son théâtre à une date<br />

symbolique, le 29 septembre 55, date <strong>de</strong> son anniversaire et <strong>de</strong> son troisième triomphe (le<br />

29 septembre 61 a. C.) 15 . Enfin, la reconstruction <strong>de</strong> la curie du forum républicain par César,<br />

suivant l’alignement <strong>de</strong> son nouveau forum, n’est pas sans rappeler l’incorporation d’une<br />

curie au portique <strong>de</strong> Pompée.<br />

Le forum d’Auguste mérite également une comparaison avec le complexe pompéien<br />

et le forum <strong>de</strong> César, les trois apparaissant relativement proches. Toute la question est <strong>de</strong><br />

savoir si l’inspiration du forum d’Auguste vient <strong>de</strong> César ou si Auguste avait conscience<br />

que l’idée originale était celle <strong>de</strong> Pompée. La disposition est là encore sans équivoque : la<br />

12. Cf. App., Civ. 3, 28, 107 ; 2, 68, 281 et Hanson 1959.<br />

13. Gros 1967, 503 à 566, dit que le temple <strong>de</strong> Vénus Genitrix fut le premier temple à Rome à être muni d’une<br />

absi<strong>de</strong>, mais nous savons aujourd’hui que le tout premier fut celui <strong>de</strong> Vénus Victrix, accolé à la cauea du<br />

théâtre <strong>de</strong> Pompée. La correction a déjà été proposée par Royo 1987, 47-49.<br />

14. Plin., Nat. 34, 18.<br />

15. Cic., Fam. 7, 1 ; Plin., Nat. 7, 158 ; Plut., Pomp. 52 ; D. C. 39, 38 et Cic., Pis. 27, 65.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p.81-96).


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présence d’une place tout en longueur, axée sur un temple qui en définit l’axe longitudinal<br />

et qui comprend une absi<strong>de</strong>, correspond à la disposition du complexe pompéien du Champ<br />

<strong>de</strong> Mars. Pour couronner le tout, la place est ceinte <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux portiques sur ses longs côtés,<br />

ce qui rappelle la porticus post scaenam. La disposition <strong>de</strong> la statue d’Auguste (quadrige<br />

dédié à Auguste Pater Patriae 16 ) dans l’axe <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Mars Vltor, divinité tutélaire du<br />

forum, correspond à la volonté <strong>de</strong> Pompée d’être représenté face à Vénus Victrix. Nous<br />

insistons ici sur le fait que la cella du temple <strong>de</strong> Mars Vltor accueille non seulement la statue<br />

<strong>de</strong> Mars, mais aussi probablement celle <strong>de</strong> Vénus, <strong>de</strong> César et <strong>de</strong> Cupidon 17 . Vénus<br />

est donc toujours au centre du forum, comme dans les complexes césarien et pompéien.<br />

Dans le cas du forum d’Auguste, la symbolique idéologique est encore plus forte car, dans<br />

l’axe perpendiculaire à celui défini par l’alignement Mars Vltor/Auguste, <strong>de</strong>ux autres statues<br />

se font face : celle d’Enée et celle <strong>de</strong> Romulus, avec le lien <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendance que nous<br />

connaissons.<br />

Le forum <strong>de</strong> Nerva, inauguré en 97 p. C. 18 , est le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong>s forums impériaux à suivre<br />

ce schéma. Nous laissons volontairement <strong>de</strong> côté le forum <strong>de</strong> Trajan, <strong>de</strong> même que le forum<br />

<strong>de</strong> la Paix, car leur structure est différente.<br />

L’organisation architecturale voulue par Pompée était donc particulièrement judicieuse :<br />

elle le plaçait en véritable imperator avant l’heure, précurseur du régime qui se mettra en<br />

place quelques années plus tard. Voyons maintenant comment toute cette fine orchestration<br />

a été renversée, détournée par l’idéologie Julio-Claudienne vers ses propres intérêts et comment<br />

cet état s’est maintenu jusque sous l’Antiquité tardive.<br />

2 – L’état du complexe au IV e siècle,<br />

suite aux travaux Julio-Claudiens<br />

2.1 – La « disparition fonctionnelle » <strong>de</strong> la curie<br />

Après le meurtre <strong>de</strong> Jules César, Dion Cassius nous apprend que la curie a été murée<br />

car il s’agissait d’un lieu néfaste, dans lequel plus personne ne <strong>de</strong>vait rentrer :<br />

On ferma sur le champ la salle où il avait été tué, et, dans la suite, on la convertit en latrines 19 .<br />

Avec cette fermeture du bâtiment, la curie perd toute fonctionnalité : elle reste <strong>de</strong>bout<br />

comme symbole <strong>de</strong> l’histoire, mais c’est là sa simple fonction. Quand Dion Cassius parle<br />

d’une transformation en latrines, il semble extrapoler la réalité, puisqu’au III e siècle, époque<br />

où est gravée la Forma Vrbis, la curie semble bien toujours là, <strong>de</strong>ssinée avec 21 m sur<br />

24 m, dimensions confirmées par l’archéologie. Deux latrines d’époques différentes sont<br />

bien attestées dans cette zone par l’archéologie, mais toutes <strong>de</strong>ux décalées par rapport à<br />

la curie 20 .<br />

16. Res Gestae, 35.<br />

17. Cf. Bauer 1987, 763-770.<br />

18. Cf. Aur. Vict., Caes. 12, 2.<br />

19. Dion Cassius, Historia romana, 47, 19, 1 (texte U. P. Boissevain, Cassii Dionis Cocceiani historiarum Romanarum<br />

quae supersunt, 3 vol. Berlin : Weidmann, 1 : 1895 ; 2 : 1898 ; 3 : 1901, texte, trad. et comm. V. Boissée<br />

et E. Gros, Paris, Librairie Firmin Didot frères, 1863) : tov te oi[khma ejn w|/ ejsfavgh, paracrh'mav te e[kleisan<br />

kai; u{steron ej" a[fodon meteskeuvasan.<br />

20. Lugli 1970, 420.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 81-96).


89<br />

2.2 – Le changement <strong>de</strong> place <strong>de</strong> la statue <strong>de</strong> Pompée<br />

au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la ualva regia : une humiliation ?<br />

Nous savons par Suétone, que suite au meurtre <strong>de</strong> Jules César perpétré dans la curie<br />

<strong>de</strong> Pompée, la statue <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier fut déplacée :<br />

Pompei quoque statuam contra theatri eius regiam marmoreo Iano superposuit translatam e<br />

curia, in qua C. Caesar fuerat occisus.<br />

Il fit aussi transporter la statue <strong>de</strong> Pompée hors <strong>de</strong> la curie où César avait été assassiné, et la<br />

plaça en face <strong>de</strong> la galerie contiguë à son théâtre*, au sommet d’un arc <strong>de</strong> marbre 21 .<br />

Nous pensons qu’il serait plus juste <strong>de</strong> traduire contra theatri eius regiam par « contre<br />

la porte royale <strong>de</strong> son théâtre ». Pompée serait ainsi placé dans une niche au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la<br />

porte principale <strong>de</strong> la scène, <strong>de</strong> la même manière que les archéologues ont placé une statue<br />

d’Auguste au théâtre d’Orange. Nous pensons que ce changement <strong>de</strong> place sonne<br />

comme une ironie tragique <strong>de</strong> la part d’Auguste, qui ne s’est pas contenté d’abandonner<br />

la statue <strong>de</strong> Pompée quand la statue a été murée.<br />

Suite à une suggestion proposée par C. Jacquemard, professeur le latin à l’Université<br />

<strong>de</strong> <strong>Caen</strong> lors <strong>de</strong> la soutenance <strong>de</strong> notre thèse 22 , nous pensons que le placement <strong>de</strong> cette<br />

statue pourrait être synonyme <strong>de</strong> l’anéantissement politique <strong>de</strong> Pompée et cela à double<br />

titre. La première « ironie tragique » d’Auguste serait <strong>de</strong> mettre Pompée sous l’égi<strong>de</strong> d’une<br />

Vénus Victrix, en position d’infériorité statique (la niche sur la ualua regia est bien plus basse<br />

que le temple avec la statue <strong>de</strong> Vénus, situé à 25 m au-<strong>de</strong>ssus du niveau <strong>de</strong> l’orchestra alors<br />

que dans un premier temps, Pompée était surélevé dans la curie, dominant <strong>de</strong> 4 m le reste<br />

du portique 23 ). En plus la différence <strong>de</strong> hauteur entre la statue <strong>de</strong> Pompée autrefois placée<br />

dans la curie et celle <strong>de</strong> Vénus Victrix était gommée par le mur <strong>de</strong> scène qui empêchait une<br />

vue simultanée <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. Maintenant, avec le déplacement <strong>de</strong> l’effigie <strong>de</strong> Pompée, cette<br />

différence est très visible. On notera que sur les forums impériaux, la statue <strong>de</strong> l’empereur<br />

et celle <strong>de</strong> la divinité tutélaire sont sensiblement à la même hauteur, le podium du temple<br />

correspondant au socle <strong>de</strong> la statue équestre. La <strong>de</strong>uxième ironie est que la veille <strong>de</strong> la bataille<br />

<strong>de</strong> Pharsale, Pompée rêve qu’il est dans son théâtre et que la foule l’acclame tandis qu’il rend<br />

hommage à Vénus Victrix :<br />

Pendant la nuit, Pompée se vit en songe entrant dans son théâtre aux applaudissements <strong>de</strong> la<br />

foule, et ornant lui-même <strong>de</strong> nombreuses dépouilles le temple <strong>de</strong> Vénus Victrix. Cette vision,<br />

d’un côté, était encourageante, mais, <strong>de</strong> l’autre, assez inquiétante, car il craignait d’apporter<br />

lui-même la gloire et l’éclat <strong>de</strong> la victoire à César, dont la race remontait à Vénus 24 .<br />

Pompée se rend compte à cet instant qu’il prend <strong>de</strong>s risques en se plaçant sous la protection<br />

<strong>de</strong> la déesse tutélaire <strong>de</strong> son ennemi 25 . Il déci<strong>de</strong> donc au matin <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong><br />

changer <strong>de</strong> protecteur et <strong>de</strong> combattre sous le patronage d’Hercule inuictus, qui le mènera<br />

à sa perte. Auguste humilie définitivement Pompée en plaçant sa statue sur la scène qu’il<br />

21. Suétone, Vitae Caesarum, Diuus Augustus, 31, 9 (texte M. Ihm, Leipzig, Teubner, 1908, texte, trad. et<br />

comm. H. Ailloud, Paris, Les Belles Lettres, 1961 (1931)).<br />

22. « Le complexe pompéien du Champ <strong>de</strong> Mars, Une ville dans la Ville. Restitution virtuelle d’un théâtre à<br />

arca<strong>de</strong>s et à portique au IV e siècle p. C. », thèse soutenue le 31 mai 2006.<br />

23. Gianfrotta 1968-1969, 25-125.<br />

24. Plutarque, Pompeius, 68 (texte B. Perrin, Plutarch’s lives, vol. 5. Cambridge (Mass.), Harvard University<br />

Press, 1917 (repr. 1968) : 116-324, texte, trad. et comm. R. Flacelière et E. Chambry, Paris, Les Belles Lettres,<br />

1973). Cf. aussi Appien B. C. 2, 68-69.<br />

25. Mudry 1991, 77 à 88.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p.81-96).


90<br />

venait justement <strong>de</strong> reconstruire 26 (humiliation importante car il est le <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> son<br />

ennemi). Finalement, c’est cette <strong>de</strong>rnière ironie tragique qu’avait certainement pressenti<br />

Pompée dans son rêve la veille <strong>de</strong> la bataille <strong>de</strong> Pharsale et, triste <strong>de</strong>stinée du héros tragique,<br />

c’est en tentant d’échapper à son sort dont il a connaissance par une prémonition mystique<br />

qu’il se jette dans les bras du <strong>de</strong>stin. Pompée avait choisi la dramaturgie <strong>de</strong>s héros grecs<br />

quand il a inauguré son théâtre, en y faisant jouer Le cheval <strong>de</strong> Troie et Clytemnestre 27 .<br />

Auguste illustre par ce changement <strong>de</strong> place <strong>de</strong> la statue <strong>de</strong> Pompée que ce <strong>de</strong>rnier a<br />

rejoint la « famille » <strong>de</strong>s héros tragiques. Sa curie est murée et, <strong>de</strong> l’illustre triumuir, il ne reste<br />

plus qu’un personnage humilié par son <strong>de</strong>stin tragique.<br />

2.3 – Un nouveau plan au sol du portique,<br />

symbole d’une nouvelle dimension idéologique<br />

Dès Auguste, le complexe <strong>de</strong> Pompée a perdu une partie <strong>de</strong> la valeur idéologie <strong>de</strong> sa<br />

construction avec d’une part le murage <strong>de</strong> la curie et d’autre part le déplacement <strong>de</strong> la statue<br />

<strong>de</strong> Pompée sur la ualua regia. Et pourtant, ce n’est que le début : le portique va prendre<br />

un tout autre visage sous le règne <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong>, anéantissant encore un peu plus l’idéologie<br />

pompéienne. Rappelons qu’à l’époque <strong>de</strong> Pompée, rien n’indique la présence d’un arc dans<br />

le portique. Par contre, <strong>de</strong>ux sources nous indiquent que par la suite, un arc <strong>de</strong> triomphe a<br />

été implanté dans le portique <strong>de</strong> Pompée. La première est littéraire : Suétone nous apprend<br />

que Clau<strong>de</strong> dédia à cet endroit un arc honorifique en l’honneur <strong>de</strong> Tibère.<br />

Tiberio marmoreum arcum iuxta Pompei theatrum, <strong>de</strong>cretum qui<strong>de</strong>m olim a senatu uerum<br />

omissum, peregit 28 .<br />

En l’honneur <strong>de</strong> Tibère, il [Clau<strong>de</strong>] fit dresser près du théâtre <strong>de</strong> Pompée l’arc <strong>de</strong> marbre que<br />

lui avait autrefois voté le sénat mais que l’on avait négligé <strong>de</strong> construire.<br />

Cet arc est resté <strong>de</strong>bout jusqu’au Moyen Age puiqu’en 1303-1374, Francesco Petrarca<br />

dans le Familiarium rerum liber, parle <strong>de</strong> « l’arc <strong>de</strong> Pompée » :<br />

Voici l’arc <strong>de</strong> Pompée, voici son portique, voici le Cimbre <strong>de</strong> Marius 29 .<br />

Ensuite, le cadre chronologique étant posé, une <strong>de</strong>uxième source permet <strong>de</strong> situer avec<br />

précision cet arc dans le portique : la Forma Vrbis Romae. Sur ce plan, la technique <strong>de</strong> représentation<br />

<strong>de</strong>s arcs et souvent la même : <strong>de</strong>s rectangles représentent les piliers <strong>de</strong> l’arc et <strong>de</strong>s<br />

arcs <strong>de</strong> cercle opposés figurent l’arche. C’est la technique utilisée pour l’arc <strong>de</strong> Tibère qui<br />

nous intéresse (figure 3) 30 .<br />

26. Auguste, Res Gestae diui Augusti (monumentum Ancyranum) 20, (texte trad. et comm. J. Gagé, Paris, Les<br />

Belles Lettres, 1935).<br />

27. Cic., Epist. 7, 1 : « Quel plaisir trouver dans Clytemnestre à un défilé <strong>de</strong> quelques six cents mulets, ou, dans<br />

le Cheval <strong>de</strong> Troie, à voir trois mille cratères, ou dans certains combats, tout l’équipement divers <strong>de</strong><br />

l’infanterie et <strong>de</strong> la cavalerie ? ». Le texte précise un peu plus haut qu’on parle <strong>de</strong>s jeux données par Pompée<br />

pour l’inauguration <strong>de</strong> son théâtre. Il n’y a aucun doute sur le contexte <strong>de</strong> ces représentations.<br />

28. Suet., Claud. 11, 3, (Texte M. Ihm, Leipzig, Teubner, 1908, trad. et comm. H. Ailloud, Paris, Les Belles Lettres,<br />

1961).<br />

29. Cité par Valentini 1953. Le cimbre <strong>de</strong> Marius est un château d’eau où se réunissent l’aqua Marcia, l’aqua<br />

Giulia et l’aqua Claudia et qui se situe entre la porte majeure et la porte San Lorenzo, près <strong>de</strong> l’église<br />

Sant’Eusebio. Au Moyen-âge il était appelé Castello <strong>de</strong>ll’aqua Marcia ou trofei di Mario car les <strong>de</strong>ux<br />

panoplies qui ornaient les niches extérieures rappelaient les triomphes <strong>de</strong> Marius. Il fut même pendant un<br />

temps appelé ad Cimbrum. On a appelé ce monument le Cimbre <strong>de</strong> Marius car une <strong>de</strong>s panoplies pouvait<br />

ressembler à celle d’un Cimbre, que Marius avait défait en sauvant ainsi sa patrie. Cf. Marliani 1588 ;<br />

Rodocanachi 1914 ; Picard 1957 ; Richard 1965.<br />

30. Cf. Reynolds 1999.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 81-96).


91<br />

Figure 3 : L’arc <strong>de</strong> Tibère sur la Forma Vrbis Romae.<br />

Rappelons que sous Clau<strong>de</strong>, c’est à dire au moment <strong>de</strong> l’érection <strong>de</strong> cet arc, la statue <strong>de</strong><br />

Pompée avait déjà quitté le portique pour rejoindre le mur <strong>de</strong> scène du théâtre <strong>de</strong> Pompée.<br />

Du coup, c’est Tibère qui <strong>de</strong>vient le nouveau garant du portique qui est désormais utilisé<br />

pour la propagan<strong>de</strong> julio-claudienne. Il semble que les architectes <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> ne se soient<br />

pas arrêtés en si bon chemin et les sources anciennes nous le confirment. Pour la première<br />

fois dans l’ensemble <strong>de</strong> la littérature latine, Martial parle d’un double bois <strong>de</strong> platanes, tels<br />

que nous le voyons sur la Forma Vrbis 31 :<br />

In<strong>de</strong> petit centum pen<strong>de</strong>ntia tecta columnis, illinc Pompei dona nemusque duplex 32 .<br />

De là, il se dirige vers le toit que supportent cent colonnes et ensuite vers le monument dû à<br />

la générosité <strong>de</strong> Pompée, avec ses <strong>de</strong>ux bouquets d’arbres.<br />

Cette transformation est essentielle car elle a une double conséquence : désormais une<br />

allée centrale se <strong>de</strong>ssine et elle met considérablement en valeur l’arc <strong>de</strong> Tibère par rapport<br />

auquel elle est parfaitement centrée. Le regard est inexorablement attiré par l’arc <strong>de</strong> Tibère,<br />

qui donne accès à la ualua regia. Ce sont les constructions Julio-Claudiennes qui sont désormais<br />

mises en valeur : l’arc et le mur <strong>de</strong> scène restauré par Auguste 33 . La <strong>de</strong>uxième conséquence<br />

est que la curie <strong>de</strong> Pompée, déjà murée, apparaît cette fois complètement décentrée :<br />

ce n’est plus elle qui est le fleuron du portique et elle se trouve reléguée au rang <strong>de</strong> simple<br />

exèdre sans intérêt.<br />

Pour que la lecture idéologique soit parfaite et que l’ensemble du portique soit tourné<br />

vers la nouvelle dynastie au pouvoir, les architectes <strong>de</strong>vaient régler un <strong>de</strong>rnier problème : les<br />

semitae avec les <strong>de</strong>ux fontaines du Triton et du Maron atténuant l’asymétrie du portique<br />

<strong>de</strong>vaient gêner. La solution trouvée est remarquable : les <strong>de</strong>ux fontaines ont été détruites<br />

(elles ne figurent pas sur la Forma Vrbis Romae et aucun témoignage littéraire ne les mentionne<br />

après Properce) pour être remplacées par quatre rangées <strong>de</strong> fontaines venant ceindre<br />

le double bois <strong>de</strong> platanes. Ces fontaines sont symbolisées par <strong>de</strong>s carrés <strong>de</strong> 2 m sur 2 m<br />

sur la Forma Vrbis avec un point au milieu qui représente certainement la statue décoratrice<br />

(même principe que le Maron et le Triton d’époque républicaine) 34 . Ces fontaines sont<br />

31. Cf. supra et figure 1.<br />

32. Mart. 2, 14 (texte D. R. Shackleton, Leipzig, Teubner, 1990, trad. et comm H. I. Izaac, Paris, Les Belles Lettres,<br />

1961 (1930)).<br />

33. Auguste, Mon. Anc. 20.<br />

34. Cf. Figure 1.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p.81-96).


92<br />

également attestées par l’archéologie, puisque du ciment hydraulique a été repéré dans le<br />

portique à espacements réguliers 35 . Entre la République et l’Empire, les avantages <strong>de</strong>s installations<br />

hydrauliques ont ainsi perduré. Pour alimenter ces fontaines, il était nécessaire<br />

d’avoir <strong>de</strong> l’eau sous pression et donc que l’Aqua Virgo arrive au Champ <strong>de</strong> Mars. Cet<br />

aménagement a été disponible en 19 a. C. Au vue <strong>de</strong> la datation <strong>de</strong> l’arc, il nous semble<br />

raisonnable <strong>de</strong> penser que la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong>s semitae, remplacées par les fontaines, la<br />

construction <strong>de</strong> l’arc et le percement du bois sont contemporains et datent tous sensiblement<br />

<strong>de</strong> l’époque Claudienne.<br />

Ensuite, divers éléments nous poussent à penser que l’état du portique que nous venons<br />

<strong>de</strong> dresser n’a pas changé jusqu’au IV e siècle et à plus long terme jusqu’à la <strong>de</strong>struction du<br />

complexe. Le premier est la Forma Vrbis, qui marque l’état du III e siècle. Nous sommes au<br />

moins sûre que jusqu’à cette époque, rien n’a bougé. Ensuite, l’arc est attesté comme étant<br />

<strong>de</strong>bout jusqu’à une date tardive 36 : il n’a pas été remplacé. Nous avons dépouillé l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s textes <strong>de</strong> la littérature latine, <strong>de</strong> la littérature grecque, étudié les témoignages écrits et<br />

iconographiques du Moyen Age à la Renaissance : si <strong>de</strong>s restauration sont attestées après le<br />

IV e siècle, aucun changement architectural n’est repérable. Nous avons tout <strong>de</strong> même trouvé<br />

une planche <strong>de</strong> 1848 qui fait apparaître une porticus Iovia et Herculea, ce qui correspondrait<br />

à l’état du complexe après l’incendie <strong>de</strong> Carin 37 : à cette époque on aurait selon l’Histoire<br />

Auguste reconstruit <strong>de</strong>ux portiques indépendants, compris dans l’espace du portique <strong>de</strong> Pompée.<br />

Le premier s’appellerait Porticus Iouia et il serait dédié à l’empereur Dioclétien, l’autre<br />

appelé Porticus Herculea serait dédié à Maximien 38 . Nous précisons que Iouius était le surnom<br />

<strong>de</strong> Dioclétien et Herculeus celui <strong>de</strong> Maximien. Cet état est daté chronologiquement entre<br />

284 et 305 p. C. C’est celui qu’a choisi <strong>de</strong> représenter I. Gismondi sur son plan relief <strong>de</strong> la<br />

Rome du IV e siècle. Nous allons expliquer pourquoi, à notre avis, cette interprétation est douteuse<br />

et pourquoi sur notre reconstitution du IV e siècle, nous avons maintenu un portique avec<br />

<strong>de</strong>s fontaines et <strong>de</strong>s platanes. Deux textes sont utilisés pour légitimer l’idée d’un double portique<br />

couvert, dédié à Jupiter et Hercule, et qui, selon toute probabilité, prendrait la place<br />

du nemus duplex. Le premier est un passage <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> Carin, dans l’Histoire Auguste :<br />

On offrit à la curiosité du public un acrobate…, en outre, une machine <strong>de</strong> théâtre dont les flammes<br />

consumèrent la scène, que Dioclétien, par la suite, fit reconstruire avec plus <strong>de</strong> magnificence<br />

encore qu’auparavant 39 .<br />

Pour prouver que l’on parle bien du théâtre <strong>de</strong> Pompée, il faut ensuite confronter ce<br />

texte avec les chroniques <strong>de</strong> 354 p. C :<br />

Diocletianus et Maximianus imper. Ann. XXI m. XI dies XII Cong. De<strong>de</strong>runt * DL. His imper. Multae<br />

operae publicae fabricatae sunt: senatum, forum Caesaris, basilica Iulia, Scaena Pompéi, porticos<br />

II, nymfea III, templa III, Iseum et serapeum, arcum nouum, thermae Diocletianas… 40<br />

Or dans ces <strong>de</strong>ux cas, on nous parle bien d’un incendie <strong>de</strong> la scène du théâtre <strong>de</strong> Pompée,<br />

mais c’est tout. Les II porticos qui sont mentionnés dans les chroniques <strong>de</strong> 354 ne semblent<br />

pas dépendre du théâtre <strong>de</strong> Pompée. Il peut s’agir <strong>de</strong> n’importe quels portiques <strong>de</strong><br />

35. Gianfrotta 1968-1969, 25-125.<br />

36. Cf. supra le texte <strong>de</strong> Francesco Petrarca.<br />

37. Cf. Hist. Aug., Carin. 19.<br />

38. Cf. C.I.L. 6, 255 et 256.<br />

39. Hist. Aug., Car. 19.<br />

40. Chron. A. 354, 148.<br />

Schedae, 2007, prépublication n°6, (fascicule n°1, p. 81-96).


93<br />

la Ville. Deux inscriptions du C.I.L. (C.I.L. 6, 255 et 6, 256) font bien allusion à ces <strong>de</strong>ux portiques,<br />

mais aucune ne les localise à côté du théâtre <strong>de</strong> Pompée :<br />

GENIO IOVII AVG<br />

IOVIA PORTICV EIVS A FVNDAMENTIS<br />

ABSOLVTA EXCVLTAQVE<br />

AELIVS DIONYSIVS V C OPERI FACIVNDO<br />

GENIO HERCVLEI AVG<br />

HERCVLEA PORTICV EIVS<br />

A FVNDAMENTIS ABSOLVTA<br />

EXCVLTAQVE<br />

AELIVS DIONYSIVS V C OPERI FACIVNDO<br />

Nous pensons donc que c’est un rapprochement abusif fait entre ces <strong>de</strong>ux inscriptions<br />

et la juxtaposition <strong>de</strong>s termes Scaena Pompei, porticos II dans les textes <strong>de</strong>s chronographes<br />

<strong>de</strong> 354 qui a conduit à cette méprise. Pour conforter notre raisonnement, aucune trace archéologique<br />

<strong>de</strong> quelque portique couvert n’a été retrouvée lors <strong>de</strong>s fouilles dans le portique <strong>de</strong><br />

Pompée. En revanche les traces <strong>de</strong> ciment hydraulique, régulièrement espacées, confirment<br />

l’existence <strong>de</strong>s fontaines et <strong>de</strong>s analyses <strong>de</strong> terre effectuées sous le teatro Argentina montrent<br />

qu’il y avait <strong>de</strong> la verdure à l’époque antique (certainement les platanes dont parlent<br />

les sources) 41 .<br />

Ces sources ten<strong>de</strong>nt à montrer que le double bois <strong>de</strong> platanes est resté en place<br />

jusqu’à une époque très avancée, dépassant largement le cadre <strong>de</strong> l’Antiquité tardive.<br />

L’étu<strong>de</strong> du <strong>de</strong>venir du complexe pompéien <strong>de</strong> construction tardo-républicaine à l’époque<br />

tardive est donc particulièrement intéressante. L’idéologie <strong>de</strong> départ est complètement réexploitée<br />

par les Julio-Claudiens, qui n’hésitent pas en modifiant le complexe relativement<br />

succinctement (perçage du bois pour le couper en <strong>de</strong>ux parties égales, aménagement d’un<br />

arc et remplacement <strong>de</strong> canaux d’eau à l’air libre par <strong>de</strong>s fontaines) à bouleverser une lecture<br />

idéologique qui avait été bien pensée. On note que les changements architecturaux<br />

importants ont été réalisés au tout début <strong>de</strong> l’empire. Ensuite, comme en témoigne la Forma<br />

Vrbis et les sources littéraires, on ne constate plus <strong>de</strong> changement important. Ce désintéressement<br />

nous semble venir <strong>de</strong> la date <strong>de</strong> construction du complexe et du côté novateur<br />

<strong>de</strong> son architecture qui avait fait <strong>de</strong>s envieux au début <strong>de</strong> l’empire : premier théâtre à cauea<br />

creuse (premiers emplois <strong>de</strong> l’opus caementicium et <strong>de</strong>s voûtes) et premier jardin public <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong> Rome. À l’époque Julio Claudienne, il n’y avait pas d’équivalent : les <strong>de</strong>ux théâtres<br />

qui suivront seront plus petits et ne seront pas <strong>de</strong>s complexes (pas <strong>de</strong> temple, pas <strong>de</strong><br />

curie). Faute <strong>de</strong> pouvoir faire mieux ou même aussi bien que Pompée et pour ne pas laisser<br />

dans le tissu urbain une marque <strong>de</strong> puissance d’un homme opposé à la dynastie au pouvoir,<br />

les Julio-Claudiens se sont réapproprié les lieux. Ensuite, les années passant, le complexe<br />

<strong>de</strong> Pompée a pris <strong>de</strong> l’âge, son architecture a vieilli et les techniques employées ne rivalisaient<br />

plus avec les nouvelles constructions. Qu’est ce qu’un Trajan, qui avait rasé une colline<br />

<strong>de</strong> Rome pour construire son forum (là aussi un véritable complexe) avec temple, place,<br />

bibliothèques, marché… pouvait envier au complexe <strong>de</strong> Pompée ? Absolument rien. C’est<br />

certainement pour cette raison que passée une certaine époque, il n’y a plus <strong>de</strong> détournement<br />

41. Pour l’absence <strong>de</strong> trace archéologique <strong>de</strong>s portiques <strong>de</strong> Iovia et Herculea à l’emplacement du théâtre <strong>de</strong><br />

Pompée, cf. Gros 1997, 148 et 149. Pour les fouilles attestant la présence <strong>de</strong> ciment hydraulique, cf. Gianfrotta<br />

1968-1969, 25-125.<br />

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idéologique du complexe pompéien. Le bâtiment reste une <strong>de</strong>s spécificités architecturale<br />

<strong>de</strong> la Ville, les Romains en restent fiers 42 mais se contentent <strong>de</strong> le restaurer, sans vouloir particulièrement<br />

se le réapproprier 43 . La réappropriation idéologique <strong>de</strong>s bâtiments existe<br />

cependant encore sous l’Antiquité tardive. En témoignent les modifications architecturales<br />

effectuées sur la basilique <strong>de</strong> Constantin au IV e siècle suite à la victoire <strong>de</strong> Constantin sur<br />

Maxence après la bataille du pont Mulvius. La basilique est innovante dans sa structure,<br />

puisqu’elle repose uniquement sur <strong>de</strong>s voûtes en béton, à la différence <strong>de</strong>s anciennes basiliques<br />

du forum construites sur <strong>de</strong>s colonnes, architraves et charpentes classiques. Du coup,<br />

Constantin se l’approprie en bouchant l’entrée <strong>de</strong> Maxence (côté temple <strong>de</strong> Vénus et Rome),<br />

en perçant sa nouvelle entrée côté via sacra et en déboulonnant vraisemblablement la tête<br />

<strong>de</strong> la statue colossale (12 m <strong>de</strong> haut) <strong>de</strong> son ennemi pour y installer la sienne.<br />

Figure 4 : Le Portique du IV e siècle centré sur l’arc et le décentrage <strong>de</strong> la curie (au fond).<br />

Figure 5 : L’ambulatio centrale menant à l’arc <strong>de</strong> Tibère et au nouveau mur <strong>de</strong> scène au IV e siècle.<br />

42. C’est au théâtre <strong>de</strong> Pompée que sera emmené Constance II lors <strong>de</strong> sa visite à Rome en 357 p. C., cf. Amm.<br />

16, 10, 16.<br />

43. Restauration <strong>de</strong> la scène attestée jusqu’en 507-511 p. C. sous Théodoric (Cassiodore 39, 38) et <strong>de</strong>rnière<br />

restauration <strong>de</strong> la cauea entre 395 et 425 p. C. (C.I.L. 6, 1191).<br />

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