téléchargement gratuit (pdf) - Montaigne Studies - University of ...
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Introduction 19<br />
double propos de la satire. Les formules ne manquent pas pour<br />
fustiger les mauvais lecteurs: «estourdis nieurs», «impertinens juges»,<br />
«desrobeurs et frippeurs de livres». Le vocabulaire prend aussi du<br />
relief en puisant largement dans le bestiaire. Abeille, buffle,<br />
grenouille, renard, singe ou phénix entrent dans des expressions<br />
proverbiales ou à allure gnomique pour universaliser le message: qui<br />
voudrait «laisser l'aiguillon de l'abeille en la playe» et qui saurait<br />
«attraper un buffle avec un lac [filet] de soye»?<br />
A ce goût de la formule concrète, bien ancrée dans la sage<br />
expérience quotidienne des honnêtes lecteurs, s'ajoute celui du<br />
paradoxe, si remarquablement cultivé chez <strong>Montaigne</strong> 21 : «La plus<br />
grande infélicité du monde, c'est d'avoir la plus grande félicité»; «il ne<br />
faut entrer chez le peuple que pour le plaisir d'en sortir»; «les autres<br />
enseignent la sapience, il [<strong>Montaigne</strong>] desenseigne la sottise». Nombre<br />
d'expressions savoureuses viennent donner à la pensée un tour<br />
surprenant: «où la force d'esprit manque, les mots ne manquent<br />
jamais». Enfin, plusieurs exclamations («Quoy!... Quoy donc?...<br />
Vrayment ouy!») jalonnent le discours pour lui ôter l'allure d'un<br />
fastidieux monologue. Qu'il soit sympathisant ou hostile, le lecteur se<br />
trouve impliqué dans une argumentation qui ne peut désormais le<br />
laisser froid.<br />
Ainsi, les ambiguïtés déroutantes de la double visée rhétorique<br />
sont remarquablement bien servies par un style alerte dont il faut<br />
reconnaître les véritables qualités: sa varietas et sa festivitas sont<br />
dignes des meilleures pages des Essais. S'il avait vécu, peut-être<br />
<strong>Montaigne</strong> aurait-il dit de la préface de sa «fille d'alliance» ce qu'il<br />
avait dit des œuvres de Boccace et de Rabelais: qu'elle est «digne<br />
qu'on s'y amuse» (II, 10, 410 A), c'est-à-dire qu'on se donne la peine<br />
de la lire pour en jouir. Cela nous a semblé une raison suffisante pour<br />
devoir la republier aujourd'hui.<br />
***<br />
Afin de faciliter la lecture de la préface de Marie de Gournay, nous<br />
avons pris certaines décisions éditoriales qui, tout en comportant une<br />
part d'arbitraire, ne nous ont pas semblé altérer le sens du texte. La<br />
21 Voir à ce sujet l'étude d'Alfred Glauser, <strong>Montaigne</strong> paradoxal, Paris, Nizet, 1972.