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Philosophiques N°99/OCTOBRE 2004 SITUATIONS
surtout, la psychanalyse resterait prise dans cela même qu’elle ne met pas assez à distance
: « On suit au contraire le fil général du dispositif de sexualité. C’est de l’instance
du sexe qu’il faut s’affranchir si, par un retournement tactique des divers mécanismes
de la sexualité, on veut faire valoir, contre les prises du pouvoir, les corps, les plaisirs, les
savoirs, dans leur multiplicité et leur possibilité de résistance. Contre le dispositif de
sexualité, le point d’appui de la contre-attaque ne doit pas être le sexe-désir, mais les
corps et les plaisirs 16 .»
Ces propositions, et les difficultés qu’elles contiennent, sont autant de raisons pour être
attentif aux analyses récemment conduites par Judith Butler. Celles notamment qui
figurent dans La Vie psychique du pouvoir, dont le chapitre III s’intitule: «“Assujettissement,
résistance, re-signification”. Entre Freud et Foucault». Son fil conducteur principal – c’est
aussi l’un de ceux du livre tout entier – est la confrontation de l’«âme carcérale», définie
par Foucault dans Surveiller et Punir, et de la psyché de la psychanalyse.
Ceci, nous dit l’auteur, « à des fins de clarification 17 »:«Je m’oriente en partie vers une
critique psychanalytique de Foucault. Je pense en effet qu’on ne peut pas rendre compte
de l’assujettissement et, en particulier, du fait de devenir principe de son propre assujettissement
sans avoir recours à la théorie psychanalytique des effets formateurs ou
générateurs de la limitation ou de l’interdit 18 .» On cherche ainsi à penser ensemble
« théorie du pouvoir et théorie de la psyché, tâche dont se sont abstenus les auteurs
appartenant aux orthodoxies tant foucaldiennes que psychanalytiques 19 ».
La définition de l’assujettissement par Foucault, dit Judith Butler, contient une difficulté
importante, dès lors qu’on suit l’idée, développée dans Surveiller et Punir notamment,
que la « prison » n’est pas domination, mais « activation » ou formation du
sujet : « Dire qu’un discours “forme” le corps n’a rien de simple. Nous devons aussitôt
distinguer en quoi une telle “formation” diffère d’une “cause” et d’une “détermination”
et en quoi elle diffère encore plus de l’idée selon laquelle des corps seraient purement
et simplement constitués de discours. » C’est l’une des questions majeures qui appelle
« clarification » et qui justifie qu’on se tourne vers la psychanalyse. Mais il s’agit aussi
de «rendre compte de la résistance psychique à la normalisation»: «Où a lieu la résistance
à et dans la formation du sujet disciplinaire 20 ?»
Ce que soutient Judith Butler, c’est que la notion d’assujettissement n’est complète, mais
surtout, n’est réellement compatible avec une pensée de la résistance ou du « retournement
» évoqué plus haut qu’à condition d’un double déplacement :
– de Foucault vers la psychanalyse: Foucault en effet «semble considérer […] la psyché
comme relevant uniquement du symbolique lacanien 21 ». On veillera au contraire à ne
pas identifier le psychisme à la figure ou à l’instance du seul sujet disciplinaire ; faire
valoir l’excès de la psyché sur l’idéal du moi et sur la régulation normative. « La psyché
est très différente du sujet : la psyché est précisément ce qui excède les effets d’emprisonnement
de l’exigence discursive pour habiter une identité cohérente, pour devenir un
sujet cohérent. La psyché est ce qui résiste à la régularisation que Foucault attribue
aux discours normalisateurs 22 .» C’est alors la définition même du corps qu’il faut remettre
16. Ibid.,p.208.
17. Butler Judith, La Vie psychique du pouvoir, op. cit.,p.140.
18. Ibid.
19. Ibid.,p.23.
20. Ibid.,p.140.
21. Ibid.,p.139.
22. Ibid.