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Patrick Baudry : L'enjeu social du mourir - MGEN

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aujourd’hui est bien différent : il s’agit de faire comme si la mort n’existait pas ou encore<br />

comme si elle ne devait avoir aucune importance. Cette attitude est radicalement nouvelle.<br />

Se “ détourner ” de la mort, vouloir s’en protéger, cela suppose de reconnaître son existence,<br />

tandis que nos sociétés modernes font comme si la dimension de la mort n’avait aucune<br />

incidence sur nos manières de vivre. La mort qui est oubliée n’est pas la mort accidentelle,<br />

spectaculaire ou exceptionnelle : mais celle que nous avons en commun. La mort en images<br />

peut être omniprésente, excitant de troubles appétits, générant fascination et culpabilité,<br />

tandis les personnes âgées et que les malades mourants sont tenus à distance. Bien loin de<br />

pro<strong>du</strong>ire un monde bienheureux parce que le souci de la mort serait mis entre parenthèses,<br />

la société moderne encourage des attitudes de fuite et démultiplie l’angoisse. La mort qui<br />

n’est plus située en une place finit par envahir toute l’existence.<br />

Est-ce de cette mort envahissante dont on voudrait se débarrasser en faisant la demande<br />

d’une fin de vie qui permettrait de la cerner ? Mais l’on peut mettre en question la<br />

représentation de la mort comme événement strictement indivi<strong>du</strong>el comme s’il n’en allait pas<br />

fondamentalement d’une dimension <strong>social</strong>e, et le primat accordé à l’image de la personne<br />

mais rabattue au rang de son apparence 3 . Ou encore on peut mettre en question la notion<br />

de dignité : est-elle ce qui devrait se maintenir techniquement et ce qu’on pourrait<br />

<strong>social</strong>ement diagnostiquer, ou bien n’est-elle pas humainement inévaluable ? On peut<br />

encore interroger le sens d’une décision qui garantirait une maîtrise, comme si l’idée qu’on<br />

aurait à se prononcer pouvait occulter l’indécidable d’une mort qui n’est jamais<br />

pour “ maintenant ” 4 .<br />

Notre société est caractérisée par l’illusion d’une primauté de l’indivi<strong>du</strong> sur le groupe. Tout se<br />

passe comme si l’indivi<strong>du</strong> moderne avait à se vivre comme un être auto-fondé, dont la vie se<br />

ré<strong>du</strong>irait à l’existence de son corps propre. Une telle représentation suppose que la mort<br />

n’existe pour cet indivi<strong>du</strong> qu’au moment de sa fin de vie. Cette conception va à l’encontre<br />

des logiques de transmission et de filiation qui sont précisément au cœur de la question de<br />

la mort. Lorsqu’on fait de celle-ci la terminaison d’une vie biologique ou la conclusion d’une<br />

trajectoire, on ne comprend plus qu’elle touche le sujet humain autrement qu’au plan<br />

médical, selon une conception toute technicienne de la médecine et selon une<br />

représentation toute mécanicienne <strong>du</strong> corps. L’enjeu des soins palliatifs et de<br />

l’accompagnement des malades mourants, aujourd’hui encore trop peu connus <strong>du</strong> grand<br />

public, est, entre autres, de contester cette vision <strong>du</strong> <strong>mourir</strong> et de la mort qui ne profite en fait<br />

aucunement à l’indivi<strong>du</strong>.<br />

2 Marie de Hennezel La Mort intime, Paris, Robert Laffont, 1995.<br />

3 Voir <strong>Patrick</strong> <strong>Baudry</strong> La Place des morts, Paris, Armand Colin, 1999.<br />

4 Voir Maurice Blanchot L’Espace littéraire, Paris, Gallimard, p.130.<br />

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