LENINE Textes choisis (II) - communisme-bolchevisme
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marche à leur côté. « Où en serions-nous maintenant — s'exclame Engels dans sa lettre du 27 janvier<br />
1887 — si de 1864 à 1873, nous avions persisté à ne vouloir agir de concert qu'avec ceux qui<br />
adoptaient ouvertement notre programme ? » Et dans une lettre précédente (28 décembre 1886),<br />
parlant de l'influence que les idées de Henry George exercent en Amérique sur la classe ouvrière, il<br />
écrit :<br />
« Un ou deux millions de voix ouvrières en novembre- prochain pour un vrai (« bona fide ») parti<br />
ouvrier ont aujourd'hui infiniment plus de valeur qu'une centaine de mille voix en faveur d'un<br />
programme parfait au point de vue théorique. »<br />
Ce sont des passages fort intéressants. Il s'est trouvé, chez nous, des social-démocrates qui se sont<br />
empressés de les utiliser pour défendre l'idée d'un « congrès ouvrier », ou quelque chose dans le genre<br />
du « large parti ouvrier » 5 préconisé par Larine. Mais pourquoi pas pour la défense du « bloc de<br />
gauche » ? demanderons-nous à tous ces « utilisateurs » hâtifs d'Engels. Les lettres auxquelles nos<br />
citations sont empruntées remontent au temps où les ouvriers d'Amérique votaient aux élections pour<br />
Henry George. M me Vichniévetskaïa, une Américaine mariée à un Russe et qui avait traduit les œuvres<br />
d'Engels, lui avait demandé, comme il ressort de la réponse de ce dernier, de critiquer à fond Henry<br />
George. Engels écrit (le 28 décembre 1886) que le temps n'est pas encore venu pour cela, car il vaut<br />
mieux qu'un parti ouvrier commence à se former, même sur un programme pas tout à fait pur. Par la<br />
suite les ouvriers comprendront eux-mêmes ce dont il s'agit, « leurs propres fautes leur serviront de<br />
leçon » ; mais « tout ce qui pourrait retarder ou empêcher cette consolidation nationale du parti ouvrier<br />
— sur quelque programme que ce soit — je le considérerais comme une grave erreur ».<br />
Certes, Engels comprenait parfaitement et a maintes fois signalé toute l'absurdité et le caractère<br />
réactionnaire des idées de H. George du point de vue socialiste. Dans la correspondance avec Sorge<br />
on trouve une lettre des plus intéressantes de Karl Marx, en date du 20 juin 1881, dans laquelle il<br />
donne son jugement sur H. George, comme idéologue de la bourgeoisie radicale. « Théoriquement, H.<br />
George est totalement arriéré », écrivait Marx. Et c'est en compagnie de ce véritable socialisteréactionnaire<br />
que F. Engels ne craignait pas d'aller aux élections, pourvu qu'il y eût des gens capables<br />
de prédire aux masses « les conséquences de leurs propres erreurs » (Engels, lettre du 29 novembre<br />
1886).<br />
En ce qui concerne les « chevaliers du travail » (Knights of Labor), organisation des ouvriers<br />
américains de l'époque, Engels écrivait dans cette même lettre : « Le côté le plus faible des Chevaliers<br />
du travail (textuellement le plus pourri, faulsté) a été leur neutralité politique »... « Le premier grand<br />
pas qui importe dans tout pays entrant nouvellement dans le mouvement est toujours la constitution<br />
des ouvriers en parti politique indépendant, peu importe comment, pourvu qu'il soit un parti ouvrier<br />
distinct. » Il est évident que de ces paroles on ne saurait rien tirer pour justifier le bond à accomplir<br />
depuis la social-démocratie jusqu'au congrès ouvrier sans-parti, etc. En revanche, chacun doit en<br />
déduire la nécessité de tolérer parfois une campagne électorale commune avec les « socialréactionnaires<br />
» radicaux, s'il ne veut pas être accusé par Engels de vouloir ravaler le marxisme<br />
jusqu'au niveau d'un « dogme », d'une « orthodoxie », d'un « sectarisme », etc.<br />
Mais il est intéressant, certes, de s'arrêter moins sur ces parallèles américano-russes (nous devions en<br />
toucher un mot pour répondre à nos adversaires), que sur les traits essentiels du mouvement ouvrier<br />
anglo-américain. Ces traits sont : absence de tâches démocratiques tant soit peu importantes, à<br />
l'échelle nationale, qui se posent au prolétariat ; subordination totale du prolétariat à la politique<br />
bourgeoise ; isolement sectaire des groupuscules, des poignées de socialistes d'avec le prolétariat ; pas<br />
le moindre succès des socialistes aux élections auprès des masses ouvrières, etc. Quiconque oublie ces<br />
conditions fondamentales et se charge de tirer de vastes conclusions des « parallèles américano-russes<br />
» fait preuve d'un esprit extrêmement superficiel.<br />
Si Engels insiste à ce point sur les organisations économiques des ouvriers dans de pareilles<br />
conditions, c'est qu'il est question du régime démocratique le plus solidement établi, qui assigne au<br />
prolétariat des tâches purement socialistes. Si Engels insiste sur l'importance d'un parti ouvrier<br />
indépendant, même avec un mauvais programme, c'est qu'il est question de pays où il n'y avait pas,<br />
jusque-là, le moindre soupçon d'indépendance politique des ouvriers, — où, en politique, les ouvriers<br />
se traînaient et continuent de se traîner surtout derrière la bourgeoisie.<br />
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