Le Taon – Février 1998 (Volume 2, No 2) - UQAM
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4. Privatiser ou non la société des alcools? Voir au-delà des<br />
chiffres<br />
par Jacinthe Fortin<br />
<strong>Le</strong> vieux débat de rendre accessible au privé le commerce de l'alcool au Québec refait à nouveau<br />
surface en cette fin des années 1990. Différents scénarios de privatisation pointent à l'horizon sur<br />
le devenir de l'actuelle Société des alcools, monopole d'État vieux de 77 ans!<br />
Nul besoin de préciser qu'au fil des ans ce secteur économique du marché de l'alcool et des vins<br />
est devenu une importante industrie où les partenaires se font de plus en plus nombreux,<br />
d'aucuns se faisant pluspressants que d'autres pour une éventuelle et complète privatisation.<br />
L'efficience du monopole, sur le plan économique et comptable, a été démontré avec clarté dans<br />
une étude du professeur Léo-Paul Lauzon. La justification financière, sur laquelle s'articulent<br />
souvent de façon exclusive les débats dans les contextes de privatisations, est certes nécessaire...<br />
mais insufisante dans ce cas-ci. Car la question de l'alcool, sous un abord commercial, est aussi<br />
une question éminemment sociale. Pour ce, il y a lieu de procéder à différentes mises en<br />
perspective - historique, culturelle, sociale et en termes de santé publique - afin d'éclairer la<br />
spécificité du Québec dans son rapport à l'alcool. Il y a lieu également de considérer dans sa<br />
teneur spécifique, soit un produit à risque, donc non assimilable aux autres produits alimentaires.<br />
Ces distinctions sont des préalables à toute lecture de justification sociale du monopole de l'alcool<br />
au Québec<br />
Perspective historique<br />
De façon générale, l'origine des monopoles sur l'alcool remonte au milieu du XIXe siècle, avec<br />
un but avoué de contrer la surconsommation observée notamment chez la classe ouvrière. C'est<br />
l'époque de grands changements sociaux liés à l'industrialisation et à l'urbanisation. Aux États-<br />
Unis et sur tout le continent nord-américain, la mobilisation anti-alcool est à ce point forte qu'elle<br />
aboutit à une législation prohibitionniste après la Première Grande Guerre. <strong>Le</strong> Québec, à cette<br />
époque, se distingue de toute l'Amérique du <strong>No</strong>rd, en adoptant une position de tolérance et<br />
d'avant-garde par rapport à l'alcool. En effet, plutôt que de suivre la voie continentale de<br />
contrainte, le Québec instaure en 1921, un monopole étatique sur la consommation d'alcool avec<br />
la création de la Commission des liqueurs, l'ancêtre de l'actuelle Société des alcools. Après coup,<br />
cette stratégie particulière et novatrice du Québec s'est avérée efficace sur le plan de la baisse de<br />
surconsommation, contrairement au bilan négatif de l'expérience prohibitionniste. <strong>Le</strong> modèle<br />
québécois ne tarde d'ailleurs pas à être imité dès les premières années de l'ère<br />
postprohibitionniste: au moins quinze États américains, de 1933 à 1935, adoptent une structure<br />
de monopole d'État semblable à celle du Québec. Rappelons que le mandat initial de la<br />
Commission des liqueurs était de favoriser la consommation modérée de boissons alcooliques, de<br />
qualité dûment vérifiée, vendues à un prix raisonnable, et ce, dans un cadre d'exploitation<br />
contrôlée.<br />
Perspective culturelle<br />
<strong>Le</strong> monopole québécois sur l'alcool s'est exercé à travers des mécanismes de contrôle, non<br />
seulement dans sphère matérielle (législations, sanctions, contrôle de l'offre), mais aussi dans la<br />
sphère symbolique, c'est-à-dire de l'ordre du discours, des croyances, des valeurs, des attitudes.<br />
Ces derniers mécanismes de contrôle symbolique s'inscrivent dans ce qu'on appelle le code socioculturel,<br />
présent dans toutes les sociétés et, em même temps, propre à chacune d'elle. Quelles<br />
sont donc les normes culturelles qu'on tend à privilégier en ce qui concerne la consommation<br />
d'alcool au Québec? Avons-nous un modèle spécifique de consommation?