Allocution du Président d'Irlande Monsieur Michael D. Higgins

chercher à bâtir une citoyenneté qui soit ouverte, engagée politiquement
sans être dogmatique, dotée d’une conscience sociale et culturelle, une
citoyenneté permettant de consolider des institutions respectueuses de
l’équilibre des sociétés et des droits individuels, capable également de
donner naissance à un sens du devoir qui ne soit pas cette version
déontologique superficielle du devoir contractuel que nous propose le
conséquentialisme, mais un sens du devoir fondé sur le respect et la
compréhension. Et en tant qu’espace de pensée critique, l’université joue un
rôle central dans ce projet.
Il faut que les Européens s’affrontent à la question morale de la mémoire. Sur
le plan des relations internationales, faire face aux réalités du passé
impérialiste est un impératif à la fois moral et pratique si nous voulons
parvenir à une paix mondiale, proposer un nouveau discours pour une
Europe nouvelle, écrire un nouveau récit et prolonger la marche en avant des
droits de l’homme universels. C’est aussi à cette condition que nous
parviendrons à une féconde reconnaissance trans-nationale de ce que les
différentes cultures et les différents systèmes de croyance peuvent apporter
à la constitution et à l’acceptation de droits de l’homme universels.
Quelle est donc cette Europe que nous souhaitons ? Comment doit-on la
définir ? Comment doit-elle se souvenir d’elle-même ? Que souhaite-t-elle
être ? Un simple bloc commercial ou une communauté ? Au niveau mondial,
comment veut-elle que les autres se l’imaginent, la considèrent ? Toutes ces
questions sont souvent évitées ou laissées de côté afin de ménager des
intérêts nationaux rivaux à courte vue ou qui, cédant à la pression du
populisme, versent dans une politique de la peur et une rhétorique chauvine.
Nous pouvons nous interroger sur le prix qu’il a fallu payer, y compris au sein
de nos universités, lorsque tout discours régulateur s’est vu rejeter, et qu’un
alliage nocif entre individualisme extrême et bureaucratie irrationnelle est
venu se substituer à une société d’égaux.
Aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin d’une pensée ouverte et
émancipatrice susceptible de porter une vision généreuse et humaine de
l’Europe en son sein et dans la communauté mondiale. Nous commettrions
une erreur tragique si nous ne tirions pas profit de la puissante tradition
intellectuelle qui est à notre disposition au sein des diverses cultures
européennes.