Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
L'ombre de soi<br />
Je suis une jeune femme au foyer de trente-huit ans. J'ai trois<br />
enfants quinze, treize et sept ans et je suis mariée depuis dix-sept ans.<br />
J'ai également une petite chienne que j'adore, elle s'appelle Romy.C'est<br />
un Cavalier KingCharles Bleinheim de deux ans et demi. Et je n'avais<br />
aucune idée de ce que le destin me réservait.<br />
Le 26 septembre 2002, je m'apprêtais à faire ou à sortir <strong>du</strong> feu des frites<br />
quand tout à coup je fus prise de maux de tête affreux. Résultat, je fus<br />
obligée de m'asseoir par terre tellement j'avais mal. Je répétai sans<br />
cesse : " J'ai mal, j'ai mal… ". Mon mari se précipita vers moi et me<br />
redressa. Il m'amena tout de suite sur le canapé pendant que les enfants<br />
et moi étions terrassés par la peur. "Que m'arrive-t-il ?" me demandai–je.<br />
Je sentis tout de suite tout mon côté gauche s'endormir, s'engourdir<br />
comme quand on a un membre pris de fourmis. J'étais là, gisant, me<br />
demandant ce qui m'arrivait pendant que les enfants, apeurés,<br />
appelaient les pompiers.<br />
Ils furent vite là et après diverses questions dont je ne me rappelle que<br />
vaguement, je perdis connaissance et fus con<strong>du</strong>ite à l'hôpital de<br />
Carcassonne. Le soir même, après un scanner, les docteurs pensèrent à<br />
un simple malaise. Là je ne me rappelle plus de rien, sauf que je<br />
souffrais énormément. Durant la nuit, je tombai dans le coma, une artère<br />
se boucha dans mon cerveau et celui–ci ne fut plus irrigué. Dans la<br />
même nuit, je fis une hémiplégie, un Accident Vasculaire Cérébral (AVC)<br />
avec une occlusion <strong>du</strong> tronc basiliaire. Je n'en ai aucun souvenir, on me<br />
l'a raconté. Le lendemain matin, je me rappelle avoir aperçu Sonia, la<br />
plus grande de mes filles, et ma mère, apeurée, qui me demandait ce qui<br />
m'arrivait, si je souffrais. On pouvait lire la peur sur leurs visages. Je<br />
perdis encore une fois connaissance et je n'arrivai plus à respirer : je fus<br />
donc transportée à l'hôpital de Toulouse, PURPAN.<br />
1
Mon départ pour Toulouse<br />
Mon état inquiétait tellement les médecins, que je fus transférée sur<br />
Toulouse en hélicoptère. Mais je ne me rappelle pas de ce baptême de<br />
l'air. Là je dormis ce qui me semblait une nuit et je me réveillai avec le<br />
souci d'aller fermer le camping. En effet, nous avons une caravane à<br />
l'année au camping de Pissevaches à Narbonne et il est ouvert <strong>du</strong><br />
dernier week-end de mars à fin septembre. C'est un endroit que j'adore,<br />
là où je me trouve le mieux. Lorsque je suis là bas, je revis. Ma fille<br />
Sonia, me dit que le camping est fermé depuis un moment : en effet<br />
nous étions le 12 octobre 2002, et cela faisait quatorze jours que je<br />
dormais. Là je fus intubée à plusieurs endroits. Un tuyau branché à un<br />
respirateur m'envoyait de l'air (car je ne pouvais pas respirer seule) par<br />
la bouche : je l'ai gardé deux semaines d'après les souvenirs de ma<br />
famille. Un tuyau dans le nez m'envoyait de la nourriture (on me posa<br />
une sonde gastrique quelques jours plus tard). J’avais aussi une<br />
perfusion. Le 3 octobre, on me posa la trachéotomie. Je me rappelle<br />
avoir vu beaucoup de personnes familières, venues pour me voir. C'est<br />
l'hallucination totale. Et tout de suite je pense : il faut bientôt payer le<br />
foncier et la taxe d'habitation. Je n'arrive pas à le dire et je me rends<br />
compte que je n'ai pas dit à mon mari où j'ai l'argent pour pouvoir les<br />
payer. C'est le trou noir, je ne sens plus ni mes jambes ni mes bras.<br />
Quand les infirmières arrivent pour me laver la tête, c'est l'horreur, je ne<br />
supporte pas ça. Etre allongée sur le dos et avoir la tête qui baigne dans<br />
un bac ne me convient aucunement. Le 13 octobre, je suis consciente et<br />
je vois arriver le docteur, mais je ne me rends pas compte de mon état.<br />
Je me souviens d'une infirmière, "momo", très excentrique qui arrive<br />
toujours en parlant fort et en me boulaiguant. Elle est blonde, aux<br />
cheveux courts, avec un maquillage des yeux d'une couleur bleue très<br />
soutenue. Elle me dit de garder espoir et me raconte qu'il y a un jeune<br />
homme d'à peu près mon âge qui a eu la même chose que moi : après<br />
deux mois, il a recommencé à se raser, à con<strong>du</strong>ire, etc…et elle me<br />
répète ça sans arrêt, jour après jour, car en fait, elle ne sait pas si<br />
j'entends. Par chance, oui, j'entends. C'est une des seules choses qu'il<br />
me reste pour le moment, avec la vue. Dans le domaine <strong>du</strong> cerveau, ils<br />
sont assez ignorants. Quand mon mari arrive à voir le professeur, il lui<br />
demande : "elle va se réveiller ?". Monsieur X est très performant, mais<br />
pas <strong>du</strong> tout sympathique avec les familles. Pour toute réponse, il fait un<br />
hochement d'épaules. "Elle va arriver à respirer sans cette machine ?".<br />
Hochement d'épaules. "Elle va reprendre connaissance ?" Hochement<br />
d'épaules. "Elle va pouvoir déglutir toute seule comme avant ?".<br />
Hochement d'épaules. "Est-ce qu'elle m'entend quand je lui parle ?".<br />
2
Hochement d'épaules. Toutes ces questions que se pose ma famille<br />
restent sans réponse. Non vraiment, ils sont très ignorants dans ce<br />
domaine. A ce sujet, je pense à ma fille Nelly, la seconde. Mon père lui<br />
dit qu'il faut qu'elle me parle comme si de rien n'était, qu'elle me raconte<br />
sa vie comme avant : Nelly vient me voir et sort de ma chambre en<br />
disant : "Je ne peux pas parler à quelqu'un qui ne me répond pas". C'est<br />
logique !!! Je suis restée comme ça un bon mois, un mois à Toulouse où<br />
mes parents, pour qui j’ai la plus grande reconnaissance, venaient me<br />
voir tous les jours. Ils ont toujours été là, sans baisser les bras. Quand il<br />
n'y avait pas école, les filles venaient aussi, et le week-end j'avais mon<br />
mari ! Seul le petit n'est jamais venu : j'ai une cousine qui habite près de<br />
Toulouse à qui ils laissaient le petit car il aurait été trop impressionné de<br />
me voir dans cet état, inerte.<br />
Des rêves étranges<br />
Je me rappelle vaguement des rêves que j'ai faits : ils sont assez<br />
incohérents mais il y a quand même une certaine similitude avec<br />
certains faits. Tout d'abord je me vois au milieu des aides soignantes qui<br />
me préparent pour une intervention, je ne me rappelle pas laquelle.<br />
Parmi elles, il y a une copine de mes filles, K. Je suppose que c'est un<br />
métier que je l’aurais bien vu faire car ce n'est pas <strong>du</strong> tout la voie qu'elle<br />
a choisie. L'intervention se passe bien et elle est filmée. Au moment de<br />
sortir, je me rends compte que les medecins ont fait plus que l'opération<br />
prévue. Ils ont peur que je porte plainte contre eux et vont voir mon père<br />
qui avait dit que je serai d'accord sans aucun problème. En fait, j'étais<br />
d'accord avec eux, mais je ne sais pas ce qui m'a pris d'être surprise et<br />
je suis désolée d'avoir été la source de nouveaux problèmes. Ensuite, je<br />
me rappelle que ma fille, Sonia, a ven<strong>du</strong> notre maison sans notre<br />
accord, et par coïncidence, c'est le medecin qui m'a opérée qui a racheté<br />
ma maison. Heureusement tout ça n'est qu'un rêve !!!<br />
J'ai ensuite rêvé que ma chienne avait des bébés. Moi, j'étais malade,<br />
alitée, dans un lit médicalisé dans un hangar et mon mari était avec moi.<br />
Il partait tous les jours pour travailler. Un jour, à son retour, il eut la<br />
surprise de constater que Romy avait fait des petits au milieu <strong>du</strong> hangar.<br />
3
Par la suite, je me suis vue à la maison, harcelée par les voisins qui<br />
voulaient me l'acheter. Il faut dire qu'avant l'accident, je voulais<br />
déménager sur Narbonne, vendre la maison et tout recommencer à zéro.<br />
Je menait une vie normale, mais au moment d'aller chercher Lionel, mon<br />
petit dernier, à l'école, il me fut impossible de monter dans la voiture : je<br />
restait là, couchée par terre, sans que personne ne bouge, et je n'arrivait<br />
pas à me relever. C'était horrible !!! J'étais là, impuissante, sans pouvoir<br />
bouger, ce qui présente une certaine similitude avec la réalité.<br />
Après, je suis en train de con<strong>du</strong>ire une voiture automatique en revenant<br />
de st Pierre là où nous avons notre caravane. Soudain, nous sommes<br />
bloqués à un carrefour, et de là, de faux policiers nous amènent<br />
jusqu'au tribunal, où on nous oblige à déposer. Je ne me rappelle plus<br />
de quoi traîtait le juge. Ce que je me rappelle c'est que j'ai fait ce qu'on<br />
me demandait. Je suis sortie par derrière, je monte dans la voiture et on<br />
me dit de m'éloigner un peu <strong>du</strong> tribunal, et d'attendre mon mari. Après<br />
une bonne demi-heure, je le vois enfin arriver, ce qui me fait ressentir un<br />
profond soulagement : nous sommes, enfin, sortis de ce cauchemar.<br />
Par la suite, mon rêve concerne ma fille, Sonia, qui doit se marier avec<br />
un homme de couleur. Cette situation est insoutenable : elle n'a que 16<br />
ans. Il est hors de question que nous acceptions cette situation. De plus,<br />
ma fille n'est pas encore mariée, et elle est déjà malheureuse. Il n'est<br />
pas possible que nous ne l'aidions pas, dans la mesure où nous<br />
pouvons. Nous nous rendons à coté de Montpellier, c'est là qu'il habite,<br />
nous avons rendez-vous avec Sonia, et sur le chemin, Eric est pris tout à<br />
coup d'une crise cardiaque. Après maintes tentatives pour lui venir en<br />
aide, on arrive à le sauver, je ne sais plus comment. Après cette<br />
épreuve, nous revenons au problème de Sonia. Nous faisons encore<br />
une fois appel à mes parents, et nous convenons, ensembles, de la<br />
marche à suivre, de l'attitude à adopter. Nous décidons de faire comme<br />
si de rien n'était, et de faire comme si le mariage allait avoir lieu. Mais la<br />
veille <strong>du</strong> jour J, nous donnons rendez-vous à ce garçon, et grâce à une<br />
concordance extraordinaire des évènements, nous arrivons à mettre fin<br />
à ses jours sans que personne ne se doute de rien. Arrive le jour<br />
fatidique et nous faisons comme si le marié était en retard. Tout à coup,<br />
le piège se referme sur nous et nous sommes obligés de tuer toute la<br />
famille, sauf une sœur <strong>du</strong> marié qui était cachée au premier étage sans<br />
que nous nous en doutions. Elle ne posera aucun problème, car elle a la<br />
peur au ventre. Elle décide donc de se taire. Pour que les meurtres ne<br />
4
nous soient pas un jour reprochés, il est indispensable que nous<br />
trouvions la mort également. Ce qui arrive. Mon père nous tue, les uns<br />
après les autres, et se donne la mort à son tour. Nous sommes tous<br />
sauvés par une amie de Carcassonne que je vois dans mon rêve<br />
comme une infirmière alors que ce n'est pas <strong>du</strong> tout son métier, elle<br />
travaille à la bibliothèque municipale, mais c'est le métier de sa fille et en<br />
plus elle exerce à Montpellier. Drôle de coïncidence !!! Elle arrive dans<br />
cette maison que nous ne connaissons pas,et elle nous fait un trou dans<br />
la gorge, pour nous permettre de respirer. Etrange similitude avec le fait<br />
qu’on m’a fait une trachéotomie.<br />
Je ne m'explique pas ces rêves étranges, certains ont une étrange<br />
similitude avec le réel, mais d'autres, sont purement imaginatifs.<br />
Mon arrivée à l'hopital de Carcassonne<br />
Mon départ de Toulouse fut un véritable déchirement intérieur. En effet,<br />
je ne pouvais pas parler, mais l'attachement aux infirmières qui<br />
s'occupaient de moi était bien présent. Ce n'est jamais facile de quitter<br />
les gens avec lesquels on a appris à vivre. De plus, je n'étais toujours<br />
pas très consciente de mon état. Je fermai sensiblement la main droite<br />
et pliai un tout petit peu ma jambe droite. Seuls progrès effectués ! Mon<br />
départ eut lieu, je ne sais plus à quel moment, en début d'après-midi, je<br />
dirais. Je fus rapatriée en hélicoptère. D'abord je partis de l'hopital en<br />
ambulance et après un kilomètre environ, je fus transférée dans<br />
l'hélicoptère. On me mit un casque pour le bruit sur la tête, car j'étais sur<br />
le brancard, la tête au niveau <strong>du</strong> moteur. Et les ambulanciers<br />
m'emmenèrent à Carcassonne. Là, je fus tranférée, encore une fois,<br />
dans une ambulance et con<strong>du</strong>ite dans la chambre 9. Je me rappelle que<br />
les aides-soignants s'activèrent autour de moi, puis ils me laissèrent<br />
seule en me disant qu'ils allaient revenir plus tard pour me mettre sur un<br />
matelas à eau, comme j'avais déjà à Toulouse. Personne de ma famille<br />
n'était là. J'étais anéantie par la peur de l'inconnu. Je hurlais à tel point<br />
qu'on pouvait m'entendre <strong>du</strong> bout <strong>du</strong> couloir. Mes parents, qu'on avait<br />
avertis de mon transfert à Carcassonne sans leur préciser l'heure de<br />
mon arrivée, n'eurent aucun mal à me trouver, tellement je hurlais! A leur<br />
arrivée, j'étais rassurée, je me rapprochais des miens. Je savais que<br />
maintenant que j'étais à Carcassonne, j'allais pouvoir voir tous les jours<br />
5
mes enfants, mon mari et mes parents qui venaient déjà tous les jours à<br />
Toulouse. Je ressentais un bonheur total, toujours sans être vraiment<br />
consciente de mon état. Pour moi, je pouvais m'exprimer normalement :<br />
je parlais probablement dans ma tête et de fait, je pensais qu'on<br />
m'entendait. Mais non, personne ne m'entendait. Je dois noter que<br />
jamais je n'ai pris un repas de l'hôpital. Ma mère me faisait le diner et me<br />
le faisait manger tous les jours, espérant que je pourrais manger ses<br />
mêts et ses desserts jusqu'au bout. Mon arrivée est accompagnée <strong>du</strong><br />
diagnostic, en provenance de Toulouse : locked-in-syndrome. Les<br />
caractéristiques <strong>du</strong> locked-in-syndrome sont les suivants :<br />
• Paralysie des quatres membres avec une conscience normale,<br />
(rien ne bouge sauf les yeux),<br />
• Perte de la parole (on ne sait plus parler),<br />
• Perte de la déglutition (on ne sait plus avaler). Il faut réé<strong>du</strong>quer le<br />
déglutition, la glotte ne fonctionnant pas naturellement. Il faut<br />
réapprendre à manger, à boire, c'est très difficile.<br />
• Perte <strong>du</strong> savoir respirer (d'où la nécessité d'être branchée à un<br />
respirateur)<br />
Vers le 22 octobre, on me pose une canule à clapet (lorsque j'inspirai, le<br />
clapet s'ouvrait et lorsque j'expirais, il se refermait). A la suite de quoi, je<br />
fus prise d'un cafard monstre, me rendant compte que le 12 novembre<br />
Lionel, le plus jeune de mes enfants, fêtait ses 7 ans. Pour la première<br />
fois, je fus consciente que mon état n'était pas normal. Je ne pourrais<br />
pas fêter son anniversaire avec lui, ça me déchirait le cœur. Alors, mes<br />
parents et mon mari décidèrent de m'amener Lionel (première fois<br />
depuis environ un mois et demi). Pour l'occasion, on m'avait maquillée.<br />
Mais l'entrevue fut courte, car en me voyant mon fils partit en pleurant,<br />
pendant que moi aussi j'étais en pleurs. L'entrevue ne <strong>du</strong>ra que deux<br />
secondes. Quatre jours après, mon fils revint et passa un moment dans<br />
ma chambre,où tout se passa bien, il était comme chez lui. Encore une<br />
fois grâce à mes parents, mon mari et mes filles, il était hors de<br />
questions que je ne fête pas son anniversaire avec mon fils. Ils<br />
emmenèrent les cadeaux à l'hopital, avec des tartes aux pommes,<br />
certaines pour les infirmières et les aide-soignants <strong>du</strong> service neurologie<br />
6
de l'hopital (même eux étaient de la fête) et nous passâmes une<br />
merveilleuse journée, à mon grand étonnement. Je profitai de la joie de<br />
voir l'émerveillement de mon fils devant ses cadeaux. Je ne l'aurais<br />
jamais cru !!!<br />
Je me rappelle aussi, d'une après-midi ou mon cousin Philippe et sa<br />
femme Corinne, ainsi que ses parents sont venus me voir. Premier fourire<br />
! Mon cousin avait décidé de prendre des cours de danse avec sa<br />
femme et il me raconte que si tout va bien, ils passeront bientôt à<br />
l'émission de Pascal Sevran : "la chance aux chansons". Quelle idée !!!<br />
Ca m'a bien fait rire en tout cas.<br />
Ma famille a lu un livre " putain de silence", où un homme a eu comme<br />
moi, une attaque cérébrale, mais lui, il garda à vie le Locked-In<br />
Syndrome. Moi, par chance, je m'en sors. C'est ce que j'ai eu lorsque<br />
j’étais à Toulouse. Une paralysie totale des membres et la perte de la<br />
parole. Je ne sais par quel miracle, certains gens arrivent à vivre comme<br />
ça. Une jeune femme près de Carcassonne est dans ce cas. Cela fait<br />
cinq ans qu'elle a eu un accident comme le mien et son seul progrés<br />
notable, c'est son pouce gauche, qui se plie légèrement. J 'ai <strong>du</strong> mal à<br />
imaginer une vie comme ça, dans la paralysie totale. Suite à la lecture<br />
de ce livre, mes parents installèrent un système pour que je puisse<br />
communiquer avec eux. Ils créèrent un alphabet divisé en six colonnes<br />
et lorsque je voulais parler, on me présentait l'alphabet et par hochement<br />
de tête, je sélectionnais les lettres, afin de former un mot. Mon premier<br />
mot fut "caca - sale". A partir de ce moment, je pouvais enfin<br />
communiquer et dire si j'étais mal installée, si j'avais mal, si j'avais<br />
besoin d'être changée… Ce fut pour moi une délivrance de pouvoir<br />
m'exprimer avec mes proches, car ne pas communiquer est très difficile,<br />
surtout lorsque l'on est inerte comme je l'étais. Ca paraît bête, mais rien<br />
de tel, que de ne pas pouvoir se gratter quand on en a besoin, et<br />
maintenant je pouvais le dire. Chouette !!!<br />
Quelques jours plus tôt, Eric me dit de ne pas m'inquièter pour le foncier,<br />
ma belle-mère nous avait dépannés de cette somme d'argent. Tout allait<br />
bien à la maison, lui, les filles et mes parents avaient les choses bien en<br />
main, ils maîtrisaient la situation. Je n'avais aucun souci à me faire. C'est<br />
vrai que ça me rassurait de ne pas m'inquiéter pour les affaires de la<br />
maison, surtout qu'avant c'était moi qui gérais les comptes à la maison.<br />
Un peu plus tard je fut prise en main, par R. la kiné, l'ergothérapeute et<br />
l'orthophoniste. R. avait eu un problème à l'âge de deux ans : elle ne voit<br />
que d'un œil avec deux dixièmes. Elle s'évertua à me mobiliser les<br />
7
membres et à me mettre au fauteuil roulant, chaque jour un peu plus. Et<br />
les premières fois étaient très <strong>du</strong>res. J'avais mal partout, au dos, aux<br />
épaules, aux fesses, ma tête ne tenait pas droite, mon père avait<br />
toujours l'impresion qu'elle allait tomber. La séance ne <strong>du</strong>rait qu'un quart<br />
d'heure mais c'était une éternité pour moi. Je souffrais tellement que je<br />
ne voulais plus monter sur le fauteuil. Les séances d'ergothérapie ne<br />
présentaient rien de particulier. En revanche, les séances d'orthophonie<br />
étaient assez rigolotes. G., une grande blonde, style allemande,<br />
m'apprenait à prononcer les ta la sa etc… et je n'arrivais pas à dire les<br />
pa ga za ba etc… Elle m'apprenait aussi à tirer la langue, chose que je<br />
n'arrivais plus à faire. Après trois ou quatre jours j'y arrivais enfin, et<br />
après je prenais un malin plaisir à tirer la langue à tout le monde. Dés<br />
que quelqu'un rentrait dans ma chambre, il y avait droit. Elle m'apprit<br />
aussi à ouvrir la bouche en grand, ce qui m'était aussi impossible.<br />
Pourtant, à cause de la maladie, je baillais énormément, mais à la<br />
demande, je n'arrivais pas à ouvrir la bouche entièrement. Par la suite<br />
mon père s'aperçut que je ne savais plus respirer par la bouche. Alors<br />
commencèrent les leçons de « boucher le nez pour respirer par la<br />
bouche ». Les premières fois, je crus bien m'étouffer, mais après trois ou<br />
quatre jours, ce fut acquis. Bonne chose de faite !!!<br />
Je commençais à retrouver les petits plaisirs de la vie quotidienne, dont<br />
j'avais été privée <strong>du</strong>rant un bon moment. Je recommençais à peine à<br />
manger de la nourriture (le goût des aliments me manquait un peu quand<br />
même).<br />
Entre temps, je fis la connaissance <strong>du</strong> médecin qui allait me suivre en<br />
neurologie, le docteur F. A.. C'est vraiment une femme formidable. Elle<br />
me prit sous son aile, je ne sais pas pourquoi, mais elle s'intéressait<br />
beaucoup à moi. Sûrement car elle aussi à une famille. Elle venait me<br />
voir tous les jours, et comme je pleurais beaucoup de façon<br />
neurologique, elle me disait : "Je passerais l'après-midi dans la chambre<br />
! Mais il est hors de question que je parte sans savoir pouquoi tu<br />
pleures". En effet, je pleurais à tout bout de champ, quand j'étais<br />
contente comme quand j'étais triste. C'est ce qu'on appelle des spasmes<br />
neurologiques. Un jour, elle arriva dans ma chambre avec une tasse de<br />
café et me dit : "Tu veux que je te fasse boire <strong>du</strong> café ?" Moi qui adore<br />
ça, je répondis : "Oui !". Et elle m'amena un bol qu'elle me fit boire à la<br />
petite cuillère. Quel régal !!! Je me rappelle aussi, que les dimanches et<br />
mercredis, c'étaient des matinées "bain". On me prenait sur un brancard<br />
qui va dans l'eau avec une housse en plastique dessus. Et direction le<br />
bain et le shampooing. J'étais frigorifiée, malgré le chauffage. Cette<br />
opération devait <strong>du</strong>rer une bonne vingtaine de minutes. Je me rappelle<br />
d’un aide-soignant qui me chargeait sur le brancard en disant : "Un,<br />
8
deux, trois, douze…" C'est une façon comme une autre de compter. Aux<br />
dires de mes parents et de mon mari, il paraît que la première semaine<br />
j'ai régressé, je ne m'en souviens nullement. En effet, lorsque je suis<br />
arrivée le docteur A. partait en congés. Nous avons eu affaire au docteur<br />
Y, il ne voyait aucunement mon cas évoluer et dit, au grand désespoir de<br />
mes parents et de mon mari, qu'ils pouvaient me reprendre à la maison.<br />
Chose hors de question selon le docteur A.. La seule chose à envisager,<br />
c'est mon départ en Centre de Réé<strong>du</strong>cation. Je rêvais <strong>du</strong> centre car je<br />
crois que je savais dès le départ que c'est là que j'évoluerais. Après de<br />
nombreux coups de téléphone <strong>du</strong> docteur A., j'avais enfin une réponse.<br />
Lamalou m'a refusé <strong>du</strong> premier coup : en effet, il paraît qu'ils ont un<br />
malade comme moi un locked-in syndrome que sa famille a abandonné.<br />
Bagnières-de-Bigorre était le centre le plus loin (250km). Cerbère était<br />
également sur la liste, c'est à côté de Perpignan, là, ils avaient une<br />
chambre qui allait se libérer. Mais le premier à m'accepter a été le centre<br />
de Verdaich, entre Toulouse et Pamiers. Par chance c'était le centre le<br />
plus proche (70 km).Pour moi c'était une joie, j'allais enfin progresser.<br />
Mais avant ce départ à Verdaich, le dimanche d'avant, j'ai eu le droit de<br />
passer une heure chez moi, avec ma famille, sous la surveillance de<br />
mon docteur (et amie) Mme A.. Ce fut un grand moment de joie, où les<br />
pleurs étaient très présents. Là, j'ai retrouvé ma famille entière, mes<br />
voisins, venus pour l'occasion (contents de me voir ainsi), et ma petite<br />
chienne. Je devais quitter l'hopital le vingt-sept novembre 2002.<br />
Mon arrivée à verdaich<br />
Mes débuts à Verdaich furent les mêmes, à peu de choses près, que<br />
ceux que j'ai connus à Carcassonne. On m'entendait de dehors. A mon<br />
arrivée mon père et mon mari, ils ne savent pas pourquoi, pensèrent :<br />
"Nous sommes là jusqu'à fin juin". J'étais dans le Centre de réveil et je<br />
devais y rester deux semaines et demie. J'arrivais vers quatorze heures<br />
trente et je <strong>du</strong>s attendre dix-sept heures trente pour revoir mes parents,<br />
mon mari et mes enfants. Je pleurais toujours énormément. Les heures<br />
de visites étaient restreintes. Au début, mon père venait me voir tous les<br />
jours, et petit à petit, il a espacé ses visites. C'était <strong>du</strong>r mais nécessaire.<br />
Après deux ou trois jours, j'avais une orthophoniste, M., une jeune<br />
femme en fauteuil roulant, très sympa, que je regrettais beaucoup<br />
lorsque je partis <strong>du</strong> C.D.R.. En même temps que M., j'eus une kiné, C.,<br />
une jeune femme aussi très sympa. Elle venait tous les jours mobiliser<br />
9
mes membres et me mettre au plan incliné pendant une heure. J'étais<br />
attachée à une planche. C'était merveilleux, après ce qui me semblait<br />
être une éternité, de me sentir enfin debout, maintenue par des sangles,<br />
certes, mais debout tout de même. Je voulais tellement évoluer que je<br />
demandais tout le temps d'augmenter le degré d'inclinaison. Elle<br />
m'expliqua qu'à compter de 60% c'est comme si les gens étaient debout.<br />
Mais tant pis je voulais quand même augmenter l'inclinaison. C'est<br />
psychologique je crois mais ça fait <strong>du</strong> bien. Alors je passais une heure<br />
debout devant les "Feux de l'amour" (je me suis d'ailleurs ren<strong>du</strong> compte<br />
que les histoires n'avaient pas évolué car au bout de trois mois j'arrivais<br />
à reprendre le fil). Comme j'avais toujours la même sensation de mes<br />
membres qu’avant, j'essayais de me tenir sur un pied puis sur l’autre.<br />
Dans ma tête, il a toujours été clair que cette période d'inactivité n'était<br />
que temporaire.. Je n'allais pas rester paralysée, c'est peut-être ce qui<br />
m'a sauvée. Je ne sais pas, Je me souviens que je commençais à peine<br />
à manger avec une cuillère à soupe et que ma tante Lisette, qui venait<br />
des fois, m'y encourageait, car à Carcassonne j'étais encore avec la<br />
cuillère à café. Il me tardait de pouvoir manger seule. C'est le début de<br />
l'indépendance !!!.<br />
Un jour M. est venue avec une stagiaire que je devais la voir tous les<br />
mardis. Je ne me rappelle plus de son prénom. Elle devait prendre le<br />
relais de M. pour me faire travailler, et ça se passait bien. Tirer la langue,<br />
gonfler les joues, gonfler une joue puis l'autre etc… ce sont des<br />
exercices simples et bêtes mais difficiles au début pour moi.<br />
Au bout de ces deux semaines et demi, je fus transférée dans une<br />
chambre. J'étais contente car ça voulait dire que les visites étaient à des<br />
horaires moins stricts, et surtout plus longues. Mais à mon grand<br />
désarroi, je fus installée dans une chambre à trois lits. Horreur !!!. Je<br />
devais faire la connaissance de Mme C, qui a eu une rupture<br />
d'anévrisme, et dont le mari et les enfants venaient rarement. Mon mari,<br />
un jour, demanda à son mari, s'il habitait loin. Il lui répondit : "Oui je suis<br />
à vingt-cinq kilomètres". Cette réponse nous surprit tous les deux, car si<br />
on n'avait eu que vingt-cinq kilomètres à faire, mon mari aurait été là<br />
tous les jours. On vit très vite à qui on avait à faire. Pour preuve : quand<br />
je suis partie fin juin 2003, elle en avait encore pour au moins trois mois.<br />
Son mari comptait bien passer l'été tranquille !!!. Il faut noter au passage<br />
qu'elle ne faisait pas grand chose pour s'en sortir, elle ne venait au kiné<br />
que tous les quinze jours. Et je devais rester là. Avec Mme C, il y eut une<br />
femme de cinquante ans environ, qui ne resta pas longtemps. Elle fut<br />
vite remplacée : là-bas, les lits ne restent pas longtemps vides. Et le<br />
malheur voulut que nous héritions d'une ressortissante africaine qui ne<br />
10
parlait pas le français. Quand elle était au téléphone, c'était vraiment à<br />
filmer ou à enregistrer. Elle baragouinait en papou, c'était horrible !!!<br />
Alors entre C, qui ne pensait qu'à manger, et la noire et son papou, ce<br />
n'était pas triste… Enfin, c'est <strong>du</strong> passé !!! Quelle galère !!!<br />
Un jour je piquai une crise : un aide-soignant me faisait manger et on<br />
aurait dit qu'il me gavait, j'avais <strong>du</strong> mal à déglutir. Quand mon mari<br />
arriva, il demanda au docteur Z qu'on me transféra dans une autre<br />
chambre, sinon j'allais devenir folle. Sa demande fut exaucée en un<br />
temps, deux mouvements. Je passai de la chambre seize à la chambre<br />
dix-neuf. Là je me trouvai avec une voisine très agréable, H. Son<br />
accident fut un accident, une chute en ramassant des champignons.<br />
Contrairement à moi, ses jambes étaient vraiment mortes, insensibles.<br />
Pour elle, il n'y avait aucune autre issue que le fauteuil. C'était une<br />
personne d'environ cinquante ans. Elle me considéra avec beaucoup de<br />
gentillesse, remplaçant presque ma mère, ou <strong>du</strong> moins elle représentait<br />
presque la sœur que je n'ai jamais eue. Nous nous entendions si bien !!!<br />
Mais depuis le jour de mon départ, le dix-huit juin 2003, je suis sans<br />
nouvelle d'elle. Moi je l'ai appelée plusieurs fois et elle devait me<br />
rappeller. J'attends toujours !!! Je ne comprends pas !!! On a traversé<br />
sept mois ensemble, et on dirait que, pour elle, ça ne représente rien.<br />
Enfin bon…maintenant je ne me pose plus de questions inutiles ; je<br />
prends les gens comme ils sont; tant pis pour elle, on aurait pu rester<br />
amies après notre galère commune.<br />
Sinon à Verdaich, j'ai eu la chance d'avoir une kiné super : I.. Elles<br />
étaient nombreuses en kinésithérapie : il y avait J., V., P., M.F., F., C.,<br />
que j'avais au C.D.R., C., M.. C'était une jeune femme de trente-six ans<br />
avec une petite fille et un mari atteint de la polio. Elle m'a vraiment bien<br />
fait travailler, c'était une des meilleures. D'abord elle me mobilisait, et me<br />
mettait au plan incliné, qui par la suite fit place au standing (c'est un<br />
appareil qui sert à se tenir debout avec les genoux et les fesses<br />
bloqués). Ensuite, elle me faisait beaucoup travailler sur la table<br />
"bobath". La méthode bobath est une méthode qui apprend à marcher<br />
comme à un nourrisson. L'évolution se fait petit à petit. D'abord on lève<br />
les jambes, ensuite, on apprend à se retourner sur les deux cotés. Par la<br />
suite, on apprend à se mettre à genoux et pour finir on se met debout sur<br />
les genoux. Une fois par jour, elle me faisait marcher seule, le tour <strong>du</strong><br />
service neurologie, environ huit cents mètres. C'était impensable !!!!<br />
Cétait vraiment une fille formidable. Je lui dois énormément. Si je peux<br />
remarcher, c'est à elle que je le dois. Il ne me reste presque plus rien <strong>du</strong><br />
locked-in syndrome. Heureusement !!! Je peux dire qu’étant donné ma<br />
maladie (qui veut que je sois couchée avec seulement les yeux qui<br />
bougent) je m'en tire plutôt bien. Au gymnase, il y avait aussi celui qui<br />
11
nous aidait à nous mettre en place : un brancardier avec qui je<br />
m'entendais à merveille. C'était un homme qui plaisantait tout le temps.<br />
Vraiment un bon caractère pour travailler au milieu de gens en fauteuil.<br />
Il y a aussi l'ergothérapeute, S.. Avec elle aussi, je m'entendais super<br />
bien. Elle faisait équipe avec une collègue V.. C'est une jeune femme de<br />
trente ans à peu prés, avec qui je piquais de nombreux fous rires. Elle<br />
s'occupait surtout de me mobiliser les bras, surtout le gauche, qui est le<br />
coté le plus atteint. Mais elle s'occupait aussi de me donner des conseils<br />
pour la vie de tous les jours : comment m'habiller, me laver… A la fin de<br />
mon séjour elle me fit faire des gâteaux : gâteau aux pommes,<br />
brownies…<br />
Il y a aussi la psychomotricienne : A.. Une jeune femme d'à peine trente<br />
ans et peut-être pas encore. Elle me faisait travailler surtout l'écriture et<br />
la précision dans les gestes.<br />
Il y a pour terminer l'orthophoniste : X. Une jeune femme de mon âge,<br />
antipathique au possible. Avec elle, le courant ne passait pas <strong>du</strong> tout. Au<br />
lieu de me faire travailler la voix et le souffle, comme j'en ai besoin, elle<br />
ne me faisait faire que des exercices écrits. N'importe quoi !!! Elle était<br />
vraiment nulle. Mon père et mon mari étaient aussi de mon avis, c'est<br />
n'est donc pas l’œuvre de mon imagination. D'ailleurs je dit plusieurs fois<br />
que si ce n'était pas pour ma kiné, je ne reviendrais pas à Verdaich.<br />
Du coté des aides-soignants, ce n'était pas la joie non plus. Ils nous<br />
traitaient vraiment comme <strong>du</strong> bétail, toujours à souffler quand on sonnait.<br />
Si on n'est pas patient, il ne faut pas travailler avec des personnes<br />
handicapées, car elles vous sollicitent encore plus que des personnes<br />
"normales".<br />
Le seul point réjouissant, là dedans, c'est que tous les mercredis, mes<br />
enfants venaient me voir. Et quand il pouvait, mon mari venait aussi. Je<br />
lui dois beaucoup aussi. Nous avons passé ensemble les deux réveillons<br />
à Verdaich. Les réveillons, nous les avions organisés, nous les<br />
handicapés, c'était chouette !!!. Pour Nöel et pour le Jour de l'An, nous<br />
avons également fait un repas entre nous, en famille. Je voulus faire une<br />
surprise à mes parents (mon mari était déjà au courant). Je tendis ma<br />
jambe gauche deux fois de suite, pour la première fois. Autant dire que<br />
la surprise était de taille !!! Mon mari me dit : "Tu sais, on dit que quand<br />
ça a marché une fois, c'est acquis". J'espérait au fond de moi qu'il avait<br />
raison…. Et c'est grâce à lui que j'ai pu rentrer le week-end à partir <strong>du</strong><br />
dix janvier 2003. Fin mars je voulais ouvrir le camping et lui, il a ren<strong>du</strong><br />
cela possible. Il prenait sur lui de me changer quand j'en avais besoin…<br />
il a toujours été à mes cotés, c'est rare de la part d'un mari. J'ai de la<br />
chance de l'avoir !!!.<br />
12
J'ai oublié de vous raconter ma fausse route vers le quinze mars 2003.<br />
Ce jour là c'était un samedi. J'étais à la maison et ma fille Nelly faisait<br />
des crêpes. Nous avions fini le repas de midi et chacun vaquait à ses<br />
occupations. Je restais seule à la cuisine avec Nelly, et ma mère allait<br />
donner un biberon à Lionel, qui faisait la sieste. Je demandai une crêpe<br />
à Nelly, elle me la fit. Je la mangeai et fit une fausse route sans aucun<br />
bruit. Juste un "ah". Ma mère revint de la chambre, j'étais déjà<br />
inconsciente, elle dit à mon père : "Mon dieu, Véro s'étouffe, elle est<br />
violette, dépêche-toi, appelle les pompiers". Les pompiers arrivèrent et<br />
travaillèrent vingt minutes à me réanimer. Nelly se sentait coupable<br />
même s’il n'y avait pas de raison. La seule fautive c'était moi, j'aurais <strong>du</strong><br />
manger doucement et non comme une goulue. Au bout de vingt minutes,<br />
ils m'avaient réanimée. Ils demandèrent à s'asseoir, tellement ils étaient<br />
fatigués. Ils dirent à mes parents et à mon mari : « Cinq minutes de plus<br />
ou si vous habitiez dix kilomètres plus loin, on ne pouvait plus rien pour<br />
elle ». Sacré locked-in syndrome. Et re-direction les urgences de l'hôpital<br />
de Carcassonne. Je fus réceptionnée par le Docteur P. (beau-frère de<br />
ma cousine), avec qui nous avions joué à la belote au camping l'année<br />
précédente, le tout bien arrosé de cartagène. Mon mari appela tout de<br />
suite le docteur A.. Même si elle n'était pas de garde, elle laissa tout<br />
tomber et elle arriva sur le champ : cela rassura beaucoup Eric, qui ne<br />
se sentait plus tout seul. Le docteur P. expliqua bien à mon mari le<br />
travail fait par les pompiers. Mon mari était en confiance en ces<br />
moments difficiles. Je devais rester inconsciente jusqu'au mardi et le<br />
mercredi : retour à Verdaich où les autres malades ne se privèrent pas<br />
de me chiner.<br />
Cet incident de parcours m'a permis de me méfier en mangeant. Il faut<br />
dire qu'au début de la maladie et au moment de la fausse route encore,<br />
j'avais toute la bouche endormie mais maintenant il ne me reste plus que<br />
la lèvre supèrieure légèrement endormie. Je sens bien quand j'ai une<br />
arête dans la bouche, par exemple.<br />
Il faut aussi que je dise un mot sur X, notre secrétaire "adorée". C'est<br />
une femme aussi bête que méchante. Une blonde aux cheveux courts,<br />
qui m'était antipathique au possible.<br />
Voilà mes péripéties à Verdaich. Je devais quitter les lieux le dix-huit juin<br />
2003. oh ! Joie!<br />
13
Mon retour à la maison<br />
Le jour où je suis rentrée à la maison représente pour moi une<br />
renaissance, la fin de mon calvaire loin des miens. Hormis ma famille, j'ai<br />
retrouvé mes voisins, mes amis. Enfin, ils sont rares, j'ai Fred et Sophie,<br />
et Nicole et Robert. Il faut dire que tout n'est pas facile : c'est<br />
merveilleux, certes, mais difficile. On a le sentiment d'être inutile. On ne<br />
peut plus faire ce qu’on faisait auparavant. Il faut apprendre à être<br />
patient, à laisser faire les choses aux autres, pour un temps j'espère ! On<br />
a besoin d'être très entouré. Il faut l'accepter. Heureusement que je<br />
récupère bien de mon locked-in syndrome, car il me serait insupportable<br />
de ne plus rien faire <strong>du</strong> tout. Malgré tout, j'ai quand même participé à<br />
deux mariages : le premier, le trente et un mai celui de Fred et Sophie, et<br />
le deuxième, le vingt et un juin celui de Nicole et Robert. A ce dernier, j'ai<br />
même été la témoin de la mariée. Et en plus, au deux, j'ai dansé, des<br />
slows certes mais j'ai dansé. J'ai passé un été super, je ne l'ai pas vu<br />
passer.<br />
Je suis allée chez mes parents avec mes enfants. Le huit août je suis<br />
partie trois semaines à la mer avec la caravane avec mon mari, c'est<br />
super, non ?<br />
Depuis mon retour à la maison, j'arrive à faire ma toilette toute seule,<br />
c'est énorme !!! Je travaille beaucoup à l'ordinateur, et aujourd'hui, nous<br />
sommes le dix-neuf septembre 2003 j'ai même fait le souper toute seule.<br />
Je peux aller aux toilettes toute seule et j'arrive même à faire deux ou<br />
trois pas seule. J'estime que je n'ai pas à me plaindre, je reprends petit à<br />
petit les choses en main. Mais je redoute le vingt-six, date aniversaire <strong>du</strong><br />
jour où ma vie a basculé… Je dois avouer que maintenant, je vois la vie<br />
différemment, je ne supporte pas de me prendre la tête pour des<br />
broutilles. Je me dis que j'ai failli toucher le fond, alors à quoi bon. Je<br />
n'arrive pas à croire qu'une telle chose me soit arrivée, c'est insensé,<br />
comme la vie bascule <strong>du</strong> jour au lendemain. On est vraiment peu de<br />
choses.<br />
Aujourd'hui, nous sommes le 8 octobre 2003, et j'ai le moral dans les<br />
chaussettes.. Moi, après tout ce que j'ai fait, ce contre quoi j'ai lutté<br />
depuis un an., je m'entends dire que je ne fais pas d'efforts !!!!<br />
J'hallucine !!!!!<br />
14
Mon odyssée notée par mes parents<br />
Jeudi 26 septembre<br />
Vers 21H 30, ma femme Carmen et moi sommes brusquement<br />
tirés de notre somnolence télévisuelle par une sonnerie de<br />
téléphone, en pestant déjà contre cet importun. La voix de Sonia,<br />
hystérique, réclame sa grand mère, Véronique vient de faire un<br />
malaise et se trouve aux urgences. Plus tard, Eric revenu de<br />
l’hôpital nous rassure, il a parlé avec Véronique aprés son scaner,<br />
seul souci, le côté gauche présente une légère insensibilité.<br />
Carmen préfère descendre séance tenante, .....valise et départ.<br />
Vendredi 27 septembre<br />
Neuf heures : Sonia, Nelly, Carmen et moi déposons Lionel à<br />
son école et filons aux urgences où je m’attends à trouver Véro<br />
requinquée après quelques soins et une nuit de repos. A 11H nous<br />
poirotons toujours et Sonia va rouspéter au bureau. Enfin un<br />
médecin nous reçoit sans commentaire et nous intro<strong>du</strong>it deux par<br />
deux auprés de Véro. Nelly et moi attendons dans le couloir et<br />
lorsque nous entrons enfin, je comprends instantanément que c’est<br />
très grave.<br />
Véro gît inconsciente, couchée sur son côté gauche, elle respire<br />
très difficilement et bave.<br />
Midi : coup de téléphone à Corinne, ma nièce, infirmière en<br />
cardiologie pour essayer de savoir de quoi il retourne. A 13H Eric,<br />
qu’on a envoyé bosser le matin, part pour l’hôpital où il est rejoint<br />
un peu plus tard par Corinne. Ils reviennent à la maison vers<br />
14H30. Corinne nous indique que le transfert vers Purpan est en<br />
cours, et que le cas est trés grave. Sonia éclate en sanglots. Nelly<br />
reste muette comme pétrifiée. Lionel pleure, consolé par Carmen.<br />
Eric refuse d’accompagner Corinne et Carmen à Purpan car il ne<br />
s’en sent pas le courage.<br />
Voyage muet vers Toulouse. Carmen pleure doucement à<br />
l’arrière.<br />
17 heures : Véro est à peine installée en soins intensifs<br />
(pavillon Riser), le docteur X vient à notre rencontre : « Le scanner<br />
de Carcassonne est un peu flou car la tête a bougé. Deux artères<br />
sont bouchées dont la principale qui alimente le cerveau. Le<br />
pronostic vital est réservé, on fait une artériographie .»<br />
15
Les deux heures qui suivent paraisent une éternité chargée<br />
de mauvais présages. Vers 19 heures nous voyons repasser le lit<br />
de Véro. Un moment plus tard, le docteur commente le résultat : «<br />
Deux régions sont atteintes, une de façon bénigne, l’autre est trés<br />
abîmée au niveau <strong>du</strong> tronc cérébral (zone frontière entre le<br />
cerveau et la moelle épinière). A cet endroit passent toutes les<br />
connections qui viennent <strong>du</strong> cerveau : station debout,<br />
respiration...etc ». Pendant quatre jours elle est sur le fil <strong>du</strong> rasoir,<br />
malgré les médicaments, elle peut rechuter et son cas s’aggraver.<br />
Retour à Carcassonne ; pour le moment, elle est vivante.<br />
Samedi 28 septembre<br />
Lionel reste à Villalier. Première visite. Sonia entre avec Eric<br />
et moi avec Nelly pour un premier contact. L’infirmière vient<br />
expliquer à Nelly le rôle de tous ces appareils : respirateur, sondes<br />
et capteurs de toutes sortes (Véro est intubée par la bouche). Elle<br />
lui dit qu’elle peut parler à sa maman. Nelly est pétrifiée et trouve<br />
juste la force de dire : « Je ne peux pas » avant d’éclater en<br />
sanglots.<br />
Véro dort accompagnée <strong>du</strong> rythme régulier <strong>du</strong> respirateur.<br />
Dimanche 29 septembre<br />
Le docteur nous donne un petit espoir car ils ont diminué<br />
l’assistance respiratoire un moment et, il semblerait que Véro ait<br />
tendance à prendre le relais.<br />
Véro dort avec de temps à autre un raidissement des deux<br />
bras et des épaules.<br />
Lundi 30 septembre<br />
Midi : Carmen ressort assez rapidement des soins intensifs<br />
dans un état d’exitation qui fait plaisir à voir : Véro ouvre les yeux<br />
et semble comprendre ce qu’on lui dit. Nous appelons Eric afin<br />
qu’il soit là pour 17H, car, croyons-nous, ce sera le grand réveil.<br />
17 heures : Véro dort d’un profond sommeil. Comme elle était<br />
trop agitée, ils ont augmenté la dose de sédatif.<br />
Triste retour vers Carcassonne.<br />
16
Mardi 1 octobre<br />
Toujours ce sommeil rythmé par le respirateur et ces<br />
contractions des bras et des épaules.<br />
Mercredi 2 octobre<br />
Elle passe un scanner de contrôle qui, nous l’espérons, va<br />
nous rassurer sur les progrés accomplis pendant ces quelques<br />
jours. Le verdict tombe comme un coup de massue : « Elle nous<br />
donne beaucoup de soucis : si elle survit les sequelles seront<br />
importantes”.<br />
Jeudi 3 octobre<br />
Ambiance pour le retour vers Carcassonne !!!!!<br />
Rien de particulier, à 17 h, on lui fait la trachéotomie ce qui lui<br />
redonne un visage plus humain mais n’empèche pas l’écoulement<br />
régulier de salive au coin des lèvres et la nécessité d’aspirer les<br />
glaires au fond de la gorge lorsque le gargouillis est trop fort. Cette<br />
opération désagréable et douloureuse est réalisée par les<br />
infirmières le moins souvent possible. Ce gargouillis rend la<br />
respiration trés pénible pour le patient et met mal à l'aise<br />
l’entourage. La suite allait nous montrer qu’on n’en avait pas fini<br />
avec ce problème.<br />
Vendredi 4 octobre<br />
Samedi 5 octobre<br />
17 heures : Véro entrouvre les yeux.<br />
Midi : Véro a les yeux grands ouverts. Elle reconnait à la vue<br />
et à la voix. Elle pleure beaucoup et ce faisant, elle affole le<br />
respirateur qui n’arrête pas de siffler et de tracer des courbes<br />
fantaisistes quand elle ne sont pas plates pendant que Véro<br />
reprend son souffle.<br />
Le regard ne suit pas, l’oeil gauche bouge peu et le droit est fixe.<br />
Elle tourne trés légèrement sa tête sur l’oreiller.<br />
17
Le docteur X nous dit d’envisager son transfert à<br />
Carcassonne à court terme.<br />
Dimanche 6 octobre<br />
17 heures : Véro est de nouveau endormie, trop agitée........<br />
Toujours dans un profond sommeil avec toujours ces<br />
contractions bras épaules. Peu ou pas de réactions. L’infirmière<br />
nous reparle de Carcassonne et de ses soucis quant à la motricité.<br />
Les capacités respiratoires ne semblent pas les inquiéter. Moi, je<br />
répète inlassablement à l’oreille de Véro : « Respire, respire... »<br />
Lundi 7 octobre<br />
Midi : trés peu de réactions, sauf des contractions des bras,<br />
des épaules, des jambes.<br />
Mardi 8 octobre<br />
14 h 45 :, Le respirateur s’affole, elle entrouvre les yeux.<br />
17 heures : sommeil.<br />
Nous avons vu une interne, elle nous reparle de<br />
Carcassonne et des soucis respiratoires. Véro n’accompagne pas<br />
la machine mais lutte contre elle. A ma question : respirera-t’elle<br />
un jour normalement? Elle répond : j’aimerais bien vous rassurer<br />
mais je ne suis sûre de rien. On la maintient endormie tant qu’elle<br />
n’arrive pas à s’habituer au respirateur.<br />
Midi : peu de réactions, toujours ces raidissements des<br />
membres et des épaules.<br />
Midi quarante : ouverture des yeux, le droit, fixe jusqu’alors,<br />
bouge légèrement vers la gauche.<br />
17 heures : elle ouvre les yeux quand les pulsations arrivent<br />
à quatre-vingt-dix. Si on lui parle, le coeur monte vers quatre-vingtquinze<br />
alors qu’au repos elle est à quatre-vingt cinq.<br />
L’interne nous dit qu’ils envisagent de remplacer la sonde qui<br />
passe par le nez par un tuyau direct dans l’estomac. Son transfert<br />
vers Carcassonne est prématuré pour l’instant.<br />
18
Mercredi 9 octobre<br />
Midi : une infirmière dit à Sonia qu’elle respire seule mais<br />
qu’il faut garder le respirateur pour ne pas la fatiguer.<br />
13 heures: l’infirmière me confirme qu’il y a un bon espoir<br />
côté respiration. Véro ouvre les yeux et manifestement, elle me<br />
voit et m’entend.<br />
17 heures : on a remis une seringue en route et elle est<br />
moins éveillée en prévision de la nuit<br />
Les médecins confirment à Carmen qu’il y a un petit pas dans le<br />
bon sens.<br />
Aujourd’hui je n’ai pas constaté de contraction des bras et<br />
des épaules, et j’ai l’impression que, sans sa trachéo, elle arriverait<br />
à parler.<br />
Jeudi 10 octobre<br />
Comme hier, elle ouvre les yeux et reconnait. Elle tousse un<br />
peu. L’interne nous confirme qu’elle prend le relais <strong>du</strong> respirateur<br />
mais qu’elle se fatigue vite. De temps en temps elle serre les<br />
mains sans contracter les épaules.<br />
Vendredi 11 octobre<br />
Véro est plus éveillée qu’hier, elle m’a serré la main, son<br />
regard suit bien à l’exception de l’oeil droit qui refuse obstinément<br />
d’aller <strong>du</strong> centre vers la droite.<br />
Le soir, il me semble qu’elle prend le pas sur le respirateur.<br />
Elle essaie de soulever sa tête et de la tourner. Le docteur X<br />
s'inquiète de l’inertie des quatre membres. Je lui demande si elle<br />
respirera normalement. Il me répond par une moue et un<br />
haussement d’épaule pour me signifier qu’il n’en sait rien. Il me<br />
reparle de poser une sonde gastrique et dit qu’il s’occupera ensuite<br />
de son transfert à Carcassonne.<br />
Samedi 12 octobre<br />
Midi : assez endormie mais elle reconnait Roselyne, ma<br />
sœur... On apprend qu’elle n’est plus sous sédatif depuis mardi.<br />
Inquiétude : le fait qu’elle soit un peu dans le cirage, est-ce dû à<br />
l’état de son cerveau ou aux restes de sédatifs dans son<br />
19
organisme ? Le docteur nous dit qu’il y a un léger mieux mais que<br />
son état peut retomber aussi bas qu’il y a quelques jours ou pire.!!!<br />
17 heures : nous la retrouvons réveillée sans son assistance<br />
respiratoire qu’on lui rebranchera pour la nuit. Je lui montre les<br />
dessins de Lionel, elle manifeste une grosse émotion (pleurs).<br />
Visiteurs : Frédéric, Ginette, Roselyne, Michel<br />
Dimanche 13 octobre<br />
Elle passe toute la journée sans le respirateur. Une affiche à<br />
la tête <strong>du</strong> lit indique: ”Conscience normale”. Ce matin le docteur a<br />
expliqué à Véro où elle était, pourquoi elle était là. L’interne<br />
reconnaît qu’elle a franchi un petit pas et nous conseille de lui<br />
mettre un peu de musique.<br />
Dès qu’elle voit l’un d’entre nous, elle éclate en sanglots. On<br />
essaie de la réconforter par la voix et par des caresses. Nous ne<br />
savons pas trop quelle attitude adopter: Faut-il la faire pleurer pour<br />
évacuer son stress ? Ou vaut-il mieux ne pas la stimuler et se<br />
contenter de la calmer ?<br />
Ginette, la belle sœur de ma mère, saute de joie de la voir<br />
aussi éveillée et réactive. Il nous tarde maintenant qu’elle respire<br />
suffisamment bien pour qu’on lui ôte la trachéo et pour savoir si<br />
elle parlera.<br />
Carmen est restée à la maison pour se reposer avec Lionel<br />
Visiteurs : Frédéric Ginette<br />
Lundi 14 octobre<br />
Midi : bien éveillée, mais toujours de grosses crises de<br />
larmes à chaque nouveau visiteur.<br />
17 heures : beaucoup plus calme. Carmen et Monique, une<br />
amie de Carmen, réussissent même à lui arracher un soupçon de<br />
sourire. Nous sommes impatients de l’entendre émettre un son.<br />
Nous ignorons si elle aura l’assistance respiratoire pour la nuit,<br />
cela va dépendre de son état de fatigue.<br />
Visiteurs : Pierrot, monique.<br />
Mardi 15 octobre<br />
20
Je lui installe le radio réveil. Elle pleure beaucoup. Je lui<br />
demande si elle veut que j’aille chercher maman, et elle me répond<br />
“oui” d’un signe de tête.<br />
17 heures: elle est calme, pas de larmes. Le docteur X que<br />
j’ai atten<strong>du</strong> dans le couloir me dit que l’électrocardiogramme est<br />
normal, mais qu’elle est trés dépressive et qu’on lui a administré<br />
des antidépresseurs.<br />
Pour la nuit on lui rebranche le respirateur.<br />
Visiteurs : Corinne, ma cousine.<br />
Mercredi 16 octobre<br />
Changé la canule. Somnolence toute la journée. Elle arrive à<br />
tourner la tête toute seule d’environ trente degrés. Elle est mieux<br />
installée avec la tête qui regarde en face. Dans un moment de<br />
somnolence, je lui touche les pieds, elle réagit en les bougeant<br />
tous les deux.<br />
Visiteurs : Ginette, Sonia, Nelly, Lionel au judo<br />
Jeudi 17 octobre<br />
Véro a passé sa première nuit sans le respirateur. On la<br />
découvre sans son tube d’alimentation qui passait par une narine :<br />
stomatotomie. Elle a meilleure allure. Elle est à nouveau sous<br />
respirateur suite à l’intervention <strong>du</strong> matin.<br />
17 heures : le respirateur a été enlevé. Sa tête est bien<br />
droite sur l’oreiller alors que depuis le début elle regardait sur sa<br />
gauche vers la fenêtre. Ses yeux: le gauche suit bien sur tout le<br />
champ de vision, le droit suit <strong>du</strong> centre vers la gauche et de haut<br />
en bas; par contre il ne suit pas <strong>du</strong> centre vers la droite.<br />
Il me semble qu’elle déglutit car elle ne rejette pratiquement plus<br />
de salive par la bouche et on entend beaucoup moins de<br />
gargouillis dans la canule.<br />
Le docteur X téléphonera demain à Carcassonne pour son<br />
transfert. Il pense qu’il faut attendre qu’elle ne soit plus intubée<br />
pour la transférer en centre de rée<strong>du</strong>cation.<br />
Vendredi 18 octobre<br />
21
Midi : beaucoup de pleurs. Carmen ressort assez déprimée.<br />
Le docteur X dit à Carmen que le retour sur Carcassonne est<br />
programmé pour lundi matin, service neurologie de l’hôpital, en<br />
chambre.<br />
Je recherche la pompe qui l’alimente et me fais la remarque<br />
à voix haute qu’elle est accrochée à la potence. Aussitôt Véro<br />
regarde vers le plafond pour la chercher <strong>du</strong> regard.<br />
17 heures : moins stressée qu’à midi, peut-étre ont-ils<br />
augmenté la dose de calmants ?<br />
Elle serre la main droite. Je l’exhorte à respirer à fond pour se<br />
remuscler l’appareil respiratoire et faire retomber son stress.<br />
Samedi 19 octobre<br />
Plus éveillée que la veille mais beaucoup de pleurs. Les<br />
infirmières sont très confiantes quant à son évolution. Elles nous<br />
racontent le parcours d’un patient de trente et un ans qui vient de<br />
leur téléphoner pour leur raconter qu’il marche sans béquille dans<br />
sa chambre. Il était rentré le six août à peu près dans le même état<br />
que Véro, sous respiration assistée, moins sensible des quatre<br />
membres et beaucoup plus dépressif en phase de réveil. Ceci<br />
nous donne un bon espoir.<br />
Dimanche 20 octobre<br />
Dernier jour à Toulouse, je la trouve bien éveillée Le docteur<br />
dit qu’elle a bien progressé, le côté droit réagit bien, elle ne devrait<br />
pas avoir de grandes difficultés de parole. Elle arrive à plier<br />
légèrement la jambe droite.<br />
Lundi 21 octobre<br />
Visiteurs : Primo, Lisette<br />
Arrivée à Carcassonne service neurologie. Mauvaise<br />
première impression. On finit par trouver Véro dans une chambre<br />
seule en pleurs. La suite dissipe ce malaise. Visite <strong>du</strong> docteur A.<br />
qui parle d’un cas grave de “locked-in syndrome” (LIS) : « on peut<br />
vivre avec, c’est très <strong>du</strong>r, il y a des associations... pour la parole,<br />
rien n’est gagné... Il faut prévoir des années de récupération! »<br />
Le docteur dit qu’à Toulouse les recherches n’ont pas permis<br />
de trouver une cause à la formation <strong>du</strong> caillot qui a provoqué<br />
22
l'accident. ”On va faire le maximum avec nos moyens mais il faut<br />
lui trouver un centre de rée<strong>du</strong>cation au plus tôt”. Je lui dis que j’ai<br />
pris rendez-vous avec l’assistante sociale pour mercredi onze<br />
heures et que Purpan l’a inscrite en liste d’attente à Verdaich.<br />
Visite ensuite <strong>du</strong> cadre infirmier qui nous met à l’aise. On<br />
reparle <strong>du</strong> centre avec lui. Il a l’air de pencher plutôt pour Cerbère.<br />
De toutes façons nous mettrons plusieurs lignes à l’eau avec<br />
l’assistante sociale.<br />
Véro se plaint de lancements dans la jambe droite. Le<br />
docteur dit que c’est normal dans son cas : le côté droit répond<br />
légèrement ainsi que l’épaule gauche<br />
A propos de la visite de Lionel, le docteur la déconseille sans<br />
préparation par un psy de Véro et de Lionel. Depuis quatre<br />
semaines Lionel commence à se languir de sa maman.<br />
Visite <strong>du</strong> pneumologue : demain on lui posera une canule<br />
parlante.<br />
Le soir tél. à JPS, un ami, : Il me dit que Jean Ferret et Roger<br />
ont aussi beaucoup pleuré en sortant de leur accident cérébral.<br />
Nous décidons de rester avec Véro la nuit et de la laisser<br />
seule de huit heures à douze heures : le temps des soins.<br />
Mardi 22 octobre<br />
Véro est mieux installée que la veille : les bras et les jambes<br />
surélevées.<br />
Onze heures quarante : pose d’une nouvelle canule munie<br />
d’un clapet qui permet d’inspirer et force l’expiration vers les voies<br />
supérieures. Elle a de nouveau un léger débit d’oxygène au niveau<br />
de la canule et <strong>du</strong> nez. Ainsi équipée, j’entends un premier son de<br />
voix lors d’une crise de larmes.<br />
Midi : visite <strong>du</strong> docteur A. qui ferme la canule avec un doigt<br />
demande de dire bonjour ; un faible “bon...” nous répond. Nous<br />
nous contenterons de ça.<br />
La kiné vient aussi nous rendre visite. Véro m’avait “dit” d’un<br />
signe de tête qu’elle était passée le matin. Elle lui demande de<br />
bouger le poignet droit : légère réponse. Puis de fermer et d’ouvrir<br />
les doigts : légère réponse également. Ensuite elle me dit que pour<br />
la diction elle la fait chantonner. Le bras droit est bloqué et<br />
douloureux quand on cherche à le replier.<br />
23
De midi à seize heures Véro déprime beaucoup. J’essaie d’y<br />
remédier par tous les moyens : calins, douceur, méthode plus<br />
forte, en lui expliquant qu’il y a plus mal loti, en l’exhortant à se<br />
ressaisir pour progresser plus vite en pensant à ses enfants... Rien<br />
n’y fait.<br />
Un infirmier explique à Sonia qu’une voix qui n’a pas<br />
fonctionné depuis plusieurs mois a besoin de se réé<strong>du</strong>quer. D’où<br />
l’espoir que le fait qu’elle ne parle pas n’est pas forcément le signe<br />
d’un mauvais fonctionnement <strong>du</strong> cerveau.<br />
Le docteur repasse en fin d’aprés midi : elle est ennuyée par<br />
son état psychique et nous dit ne pas vouloir lui administrer plus de<br />
calmants pour qu’elle reste active dans sa rée<strong>du</strong>cation.<br />
Visiteurs : Corinne, Lisette<br />
Mercredi 23 octobre<br />
La nuit a été trés difficile : un infirmier incompétent qui a<br />
bricolé la canule provoquant des souffrances terribles. Carmen est<br />
sur les rotules mais sur le petit matin elle réussit à lui faire dire<br />
“maman”.<br />
Vu l’assistante sociale. Si problème de trésorerie ou besoin<br />
d’aide ménagère, s’adresser à l’assistante sociale de la MSA !!!!!!<br />
En fin de matinée Véro reçoit une douche.<br />
Midi et demi : Véro pleure énormément. Par interrogations<br />
successives, elle me dit avoir mal à la gorge. L’infirmière lui<br />
administre deux dolipranes et fait appel au pneumologue. Le Dr C.<br />
est là à quatorze heures. Il place une canule en argent plus petite<br />
et plus courte. Il me dit qu’il n’a pas constaté d’inflammation et que<br />
d’une façon générale, les patients supportent sans problème ces<br />
canules en argent (contrairement aux canules en plastique). Il<br />
pense que les pleurs sont spasmodiques et font partie <strong>du</strong> tableau<br />
de ces maladies.<br />
Véro s’endort pour deux longues heures, même une piqûre<br />
de l’infirmier ne la réveille pas.<br />
17 heures : le docteur Y passe. (Le docteur A. est absente<br />
quelques jours). Il a vu Véro le 27/09 au matin aux urgences . Il me<br />
dit que les pleurs sont spasmodiques : il arrive quelquefois que les<br />
patients ayant ce type de problèmes aient des crises de rires<br />
spasmodiques. C’est lui qui s’occupe de trouver un point de chute<br />
pour la suite. Cerbère n’a pas de place avant décembre, il va<br />
24
interroger Verdaich, puis Lamalou centre Coste Floret. Pour ôter la<br />
canule, il ne donne pas de délai : ”certains la gardent très<br />
longtemps”<br />
Sonia me dit à dix-neuf heures que l’infirmier a fermé la<br />
canule pour la nuit pour forcer inspiration et expiration vers les<br />
voies supérieures. Elle m’apprend aussi que Véro est tombée dans<br />
le coma la première nuit aux urgences. Le docteur Y m’avait dit<br />
l’après-midi qu’elle avait fait une complication aux urgences.<br />
Jeudi 24 octobre<br />
La nuit a été calme, elle s’est bien reposée. A dix heures :<br />
rendez-vous de la famille avec le psy. Résultat : nouveau rendezvous<br />
pour demain dix heures trente route minervoise !!!!<br />
Midi : beaucoup de pleurs jusqu’à quinze heures trente. Je<br />
lui met la télé avec les feux de l’amour : aucune réaction. Depuis<br />
hier elle est beaucoup moins réactive. Un moment, l’idée <strong>du</strong><br />
syndrôme locked-in me vient à l’esprit. Elle est presque inerte, ne<br />
serre pratiquement plus la main, ne répond aux questions que par<br />
des mouvements de tête à peine perceptibles.<br />
L’infirmier passe et s’étonne de ses pleurs incessants. Par<br />
questionnement Véro indique qu’elle a mal aux jambes, surtout à<br />
la gauche. On lui remonte les jambes et on lui cale les pieds de<br />
façon à ce que le pied et la jambe soient à angle droit.<br />
Concernant son état léthargique les infirmiers me disent qu’ils<br />
n’ont pas augmenté les doses de calmants.<br />
Vu Mr H., le chef infirmier, pour trouver un centre d’accueil.<br />
Lundi, ils envoient les dossiers à Verdaich et à St Blancard (dans<br />
le Gers). Le dr Y téléphone à Lamalou mais on n’a rien su <strong>du</strong> coup<br />
de fil. Trouver une place rapidement paraît peu probable.<br />
19 heures : Carmen n’a pas le moral je la trouve en pleurs.<br />
On lui referme le clapet pour la nuit.<br />
Visiteurs : Josette, JP, Frédéric.<br />
Vendredi 25 octobre<br />
La nuit fut calme : sommeil alterné de périodes de pleurs qui<br />
sont plutôt des plaintes. Je cherche à en savoir plus sur le lockedin<br />
syndrome : ces informations me ruinent le moral, et je redoute<br />
25
usquement que son état n’évolue plus. André, un ami, m’appelle<br />
juste après.<br />
Lionel va chez une psy. Cela ne se passe pas bien : manque<br />
de psychologie. C’est un comble. On l’amène voir sa mère :<br />
l’entrevue <strong>du</strong>re deux secondes. Les deux éclatent en sanglots.<br />
Le dr Y me dit que Lamalou ne la veut pas. Ils ont eu un cas<br />
qui n’a pas évolué et la famille leur a laissé le patient sur les bras.<br />
Il faut donc continuer à chercher. Il confirme que le cas est<br />
gravissime, plus grave qu’un tétraplégique suite à un accident car,<br />
dans le cas de Véro, la lésion est plus proche <strong>du</strong> cerveau. A ma<br />
question : “elle peut rester dans l’état actuel ?” Il me répond : "oui<br />
mais je ne devrais pas vous le dire".<br />
Le soir je fais part à l’infirmière de mon inquiétude sur son<br />
évolution depuis son arrivée à Carcassonne (voir tableau<br />
récapitulatif ci-dessous). Cette infirmière “qui suit le cas de<br />
Véronique”, je ne l’avais jamais vue dans la chambre. Demain j’irai<br />
monter la garde dans l’espoir de voir le chef de service. J’en viens<br />
à me demander si la fermeture progressive de la canule n’est pas<br />
de la seule initiative de l’élève infirmier et de la jeune grande<br />
infirmière qui s’intéressent vraiment à nous. J’ai laissé un message<br />
au docteur W pour lui faire-part de notre inquiétude.<br />
Carmen et moi décidons qu’à partir de ce moment nous<br />
assurerons une présence 24H/24 pour voir si un docteur passe<br />
dans la matinée.<br />
Visiteurs : Alfred, Jakie, Ida, André, Fred, Sophie.<br />
Bilan de l’évolution de Véronique dans la semaine <strong>du</strong> 21 midi<br />
au vendredi 25 au soir<br />
Ne bouge plus les pieds.<br />
Ne bouge plus la jambe droite (genoux).<br />
Ne bouge les épaules dans ces mouvements où elle semblait<br />
raidir les bras.<br />
Ne serre plus la amin droite (ce qu’elle faisait très nettement)<br />
Ne tourne presque plus la tête<br />
26
Ne communique plus que très faiblement les « oui » ou les « non »<br />
par signes de tête.<br />
Déglutit plus difficilement.<br />
Mardi midi, le docteur A. l’exhorte à dire « bonjour » : elle émet un<br />
léger « bon ».<br />
Mercredi matin (7h) Carmen arrive à lui faire dire un léger<br />
« maman ». Maintenant elle n’est plus <strong>du</strong> tout réceptive, et son<br />
regard est complètement éteint.<br />
Samedi 26 octobre<br />
A six heures trente : je dépose mon petit bilan au bureau des<br />
infirmières. Puis je vais relever Carmen de son poste. La canule<br />
est toujours fermée et la sat. O2 est >95%.<br />
L’infirmière, Mme D, me demande où en est le travail des<br />
psys. Je lui dis qu’avant d’apprendre la psy, ils devraient<br />
apprendre le bon sens. Une personne, qu’un gamin de 7 ans n’a<br />
jamais vu, n’interroge pas ce dernier en tête-à-tête pendant une<br />
demi-heure. Nous allons prendre cette affaire en main nousmêmes.<br />
Je lui explique ma démarche concernant le “bilan” suite à<br />
ma grande inquiétude de voir Véro devenir inerte. Elle me dit que<br />
j’ai bien fait et qu’elle aussi avait observé ce déclin.<br />
Vers dix heures visite <strong>du</strong> chef de service. Ni bonjour ni<br />
merde. Ce “grand” Monsieur consulte les fiches de suivi, palpe les<br />
bras, et me dit : “alors vous avez l’impressoin qu’elle régresse ?”.<br />
Ce à quoi je réponds calmement : “ce n’est pas une impression,<br />
c’est une certitude”. ”Il y a une légère fièvre qui pourrait expliquer<br />
cette faiblesse.” Il dit ensuite qu’il va faire un bilan complet :<br />
analyse de sang, analyse d’urine, radio des poumons, electroencéphalogramme,<br />
scanner, augmentation de la nourriture de<br />
1500 à 2000 cal/Jour. Il me demande aussi si les pleurs sont<br />
récents, je lui réponds que non.<br />
Evolution des températures: 37.6; 37.2; 37.7; 37.6; 38; 37.8;<br />
38; 37.8; 38.2; Et pour aujourd’hui: 37.8; 38.1; 38.8 à midi; ...<br />
A la sortie de la chambre je l’entend dire à l’infirmière": il va<br />
falloir s’en occuper”<br />
Une demi-heure aprés, radio des poumons. A midi : prise de<br />
sang et mise sous antibiotiques.<br />
27
Vers onze heures trente, je vois arriver le docteur Y. Il me dit<br />
que la régression de Véro est probablement <strong>du</strong>e à sa fièvre. Il me<br />
parle ensuite longuement des risques infectieux encourus par les<br />
personnes longtemps alitées (canules, sondes stomato,<br />
escarres...), phébites, AVC. On parle ensuite des possibilités de<br />
récupération de Véro, je lui dis que dans l’état où elle est<br />
aujourd’hui je ne crois pas qu’elle soit en situation de faire quoi que<br />
ce soit. Il me répond que ces centres ont des médecins et toute<br />
l’infrastructure pour reçevoir même des comateux. Il me dit aussi<br />
que les personnes atteintes <strong>du</strong> LIS restent trés fragile sur le plan<br />
de la santé.<br />
En conclusion, il me parle de ma “lettre” en m’assurant qu’il<br />
s’occupe de Véro, qu’il passe régulièrement la voir. A quoi je lui<br />
réponds qu’il ne s’agit pas d’une lettre mais d’un récapitulatif des<br />
points qui m’inquiètent beaucoup concernant l’évolution de la santé<br />
de Véro ! J’ai le sentiment qu’il s’est fait secouer par son patron.<br />
Pour ce qui est de trouver un centre, il a proposé au chef de<br />
service d’envoyer Véro à Cerbère dés la semaine prochaine à la<br />
place d’une patiente en attente dans le service, sous réserve de<br />
l’accord de Cerbère.<br />
Je suis satisfait d’avoir fait bouger ce monde léthargique.<br />
Dans ce service, les infirmier(e)s sont formidables mais les<br />
médecins nonchalents.<br />
Dimanche 27 octobre<br />
Etat toujours léthargique. Y nous dit que si on n’a pas de<br />
centre rapidement il vaudrait mieux dans la mesure <strong>du</strong> possible<br />
prendre Véro à la maison!!!!<br />
Visiteurs : JPS, Pierre, Monique, Nicole, Ginette<br />
Lundi 28 octobre<br />
Retour de congés <strong>du</strong> docteur A. et de la kiné (R.). Elles<br />
reprennent les choses en main avec bonheur. La kiné me dit<br />
qu’elle présente un syndrome de glissement c'est-à-dire qu’elle se<br />
laisse aller. Le docteur pense que son état n’est pas dû à une<br />
agravation de son état au niveau <strong>du</strong> cerveau mais cette perte de<br />
mobilité l’inquiète et elle demande un scanner qui est réalisé le<br />
soir.<br />
28
Docteur A. me propose son aide pour hâter une rencontre<br />
Véro –Lionel : c’est fait l’après-midi. C’est très difficile mais réussi.<br />
On s’occupe de Lionel et le docteur et la kiné s’occupent de Véro.<br />
Lionel promet à sa maman de revenir le lendemain.<br />
Le docteur pense qu’il est inutile d’envoyer Véro en centre<br />
avant de l’avoir “regonflée”. Elle me dit qu’elle est sur liste d’attente<br />
à Verdaich, qu’elle a contacté Cerbère où une place doit se libérer<br />
prochainement et où “elle a mis le paquet” mais prendront-ils<br />
Véro?<br />
Je lui parle de l’idée de Y de la prendre à la maison ; elle fait<br />
un bond et me dit : pas question ! Véro ira en centre puis reviendra<br />
à l’hôpital où nous envisagerons l’avenir en fonction de son niveau<br />
de récupération.<br />
Visiteurs : Sourouille, Combes, Alfred, Marie-Christine qui<br />
m’indique comment masser les pieds.<br />
Mardi 29 octobre<br />
Grosse fièvre : 39.3 le matin, mais à midi on a le résultat de<br />
l’analyse prélevée samedi : on lui donne alors le bon antibio.<br />
Station assise 5 mn. La tête dodeline mais la kiné est<br />
contente car elle n’a pas pali. On lui demande si elle voit des<br />
arbres par la fenêtre et elle semble balbutier des mots.<br />
Le matin, Lionel aperçoit sa maman depuis le couloir, sans<br />
paniquer, mais il a décidé que la visite aurait lieu l’aprés midi et<br />
n’en démord pas : il dit quand même depuis le seuil : « à cette<br />
après-midi maman!”. L’après-midi, cela se passe trés bien avec le<br />
docteur A. puis avec Eric. Le soir Lionel se sent chez lui et fait des<br />
va-et-vient entre la chambre et le couloir.<br />
Le docteur lui fait déglutir un peu de compote le matin et un<br />
peu de flan le soir.<br />
Elle est constipée : on lui fait un lavement pour la soulager.<br />
Le Docteur A. passe en tout la moitié de la journée avec Véro<br />
et le petit.<br />
Tél. à l’<strong>ALIS</strong>. La dame me dit entre autre qu’une bonne<br />
équipe en hôpital peut faire aussi bien qu’un centre même s’ils<br />
sont moins équipés.<br />
Eric rencontre la chef kiné, puis est reçu longuement par le<br />
docteur A. qui souhaite aussi connaître Sonia et Nelly. Le docteur<br />
29
demande une nouvelle fois de limiter les visites et souhaite que les<br />
visiteurs se lavent les mains avant d’entrer dans la chambre.<br />
Carmen téléphone en ce sens à toute la famille. Le risque est<br />
également de voir Véro se sentir diminuée devant un afflux de<br />
personnes en bonne santé ou d’entendre des paroles<br />
malheureuses, ce qui risque de ré<strong>du</strong>ire à néant le travail des<br />
docteurs et kinés et de voir Véro se refermer sur elle-même.<br />
Mercredi 30 octobre<br />
On la traite pour le muguet.<br />
Excellente nuit. Le matin, kiné, docteur, la fièvre est tombée.<br />
En rentrant à la maison avec Lionel qui a fait un gros calin à Véro.<br />
il me vient l’inquiétude <strong>du</strong> stand-by. Mais il faut quand même<br />
garder l’espoir. Eric me dit que le docteur lui a conseillé de faire<br />
participer Véro aux décisions qui concernent la vie de la famille.<br />
Levée 7 minutes avec Carmen. Le docteur A. repasse le soir.<br />
Elle lui explique tout son parcours depuis l’accident, la sortie de la<br />
zone dangereuse à Toulouse, puis son passage à Carcassonne où<br />
on la remet en forme pour ensuite aller dans un centre à Cerbère.<br />
Elle lui demande si elle a le moral : « Non! » Réponse: « c’est<br />
normal, mais il faut garder l’espoir! ».<br />
Vraiment ce docteur a une patience d’ange, elle lui parle<br />
même quand Véro a les yeux fermés, puis elle attend une réponse<br />
le temps qu’il faut. Véro lui obéit plus qu’à nous. Avant de la quitter<br />
elle a obtenu un léger “oui”. Lionel l’avait obtenu lui aussi avant de<br />
partir.<br />
Eric observe que Véro ramène son bras droit et bouge sa<br />
jambe droite vers vingt heures.<br />
Jeudi 31 octobre<br />
Arrêt des antibio. On lui fait trois prélèvements : salive,<br />
urines, et au niveau de la sonde gastrique pour rechercher s’il n’y a<br />
pas de foyers infectieux.<br />
Vers onze heures : on la prend au bloc pour lui enlever les<br />
bouchons des oreilles.<br />
Vers onze heures trente : on change la sonde urinaire.<br />
A quatorze heures : échographie <strong>du</strong> coeur, tout est correct.<br />
30
Quinze heures : examen doppler, tout est OK.<br />
Vendredi 1 novembre<br />
Le tranxène est ré<strong>du</strong>it de 50 à 25 mg. Température: 37.3,<br />
tension artérielle: 10-6.<br />
Avec le docteur, elle ferme les doigts de la main droite trois fois de<br />
suite.<br />
Samedi 2 novembre<br />
Temp. 37.3. Le matin, toute endormie, à huit heures-dix, elle<br />
bouge la jambe gauche, le genoux, les orteils, puis à huit heures<br />
trente elle bouge les deux jambes ensembles. Peut-être s’agit-il de<br />
réflexes.<br />
En rentrant de St Hippo, je la trouve assez éveillée mais sans<br />
aucun ressort. Elle se contente de répondre assez nettement de la<br />
tête lorsqu'on l’interroge pour savoir où elle a mal.<br />
Le soir, visite de la famille Grandpierre. Phillipe lui raconte<br />
qu’il prend des cours de danse et elle part d’un grand éclat de rire<br />
(malheureusement j’étais déjà rentré à la maison).<br />
Dimanche 3 novembre<br />
Toujours de grosses crises de larmes alors qu’elle ne souffre<br />
pas. Je lui croise les doigts sur l’estomac et ils restent en place<br />
contrairement au dernier essai quelques jours plus tôt.<br />
Le docteur lui fait dire le” bon “de bonjour et rencontre<br />
longuement Eric, Sonia et Nelly.<br />
Le soir, je prends la relève pour la nuit et je la trouve trés<br />
déten<strong>du</strong>e, elle baragouine un moment pour me dire dieu seul sait<br />
quoi.<br />
J’observe qu’elle ne geint plus comme auparavant, et que par<br />
moment elle regarde la télé. Elle va passer une nuit trés calme<br />
avec un sommeil profond, réparateur.<br />
Lundi 4 novembre<br />
Etire et ramène les deux jambes au réveil.<br />
31
Carmen lui donne une cuillère de confiture, la kiné (R.)<br />
l’assoit vingt minutes au fauteuil!<br />
Elle dit plusieurs fois “oui” trés distinctement, elle décolle<br />
nettement la tête de sur l’oreiller.<br />
Et le soir pendant une grosse crise de larmes, elle n’arrête pas de<br />
plier et déplier son avant bras droit en le tenant en l’air, appuyé sur<br />
le coude.<br />
Plus d’une heure de pleurs trés bruyants, inconsolables. Je<br />
pense que ses progrés lui révèlent encore plus le triste état où elle<br />
se trouve.<br />
Mardi 5 novembre<br />
Nuit trés calme. Carmen donne trois minuscules cuillerées de<br />
confiture que Véro ingurgite d’autant plus lentement que, ses dents<br />
étant à peine entrouvertes, la confiture doit franchir la barrière des<br />
dents, puis aller au fond de la bouche, ouvrir le bon tuyau, puis<br />
descendre aprés déglutition.<br />
Vers quatorze heures, le docteur fait venir l’ORL qui, au<br />
moyen d’un caméra intro<strong>du</strong>ite dans son nez, s’assure <strong>du</strong> bon<br />
fonctionnement de la déglutition et de l’absence d’infection et<br />
d’irritation à ce niveau. Il faut progresser lentement pour éviter à<br />
tout prix une erreur d’aiguillage vers le larynx.<br />
Le docteur passe beaucoup de temps le matin et l’après-midi<br />
pour chercher la cause des crises de pleurs.<br />
Par moment, elle commence à s’intéresser à la télé.<br />
Le docteur a contacté Verdaich pour avoir un médicament<br />
capable de dénouer ses muscles des bras sans lui enlever <strong>du</strong><br />
tonus. Plusieurs lits sont occupés par des patients qui n’évoluent<br />
pas mais que personne ne veut récupérer!!<br />
Mercredi 6 novembre<br />
Très bonne nuit. Le matin, une fois bien réveillée, elle se met<br />
à pleurer. Je ne rentre plus dans son jeu, aprés m’être assuré<br />
qu’elle ne souffre pas et qu’elle n’est pas malheureuse. Je<br />
l’abandonne à ses pleurs et je me mets à lire. Le remède est assez<br />
efficace.<br />
32
Kiné le matin et lever vingt minutes dans la chaise l’aprèsmidi.<br />
Lionel au judo à Pennautier, repas à Palaja, avec Emma et<br />
Vincent l’après-midi, la journée est bien remplie.<br />
Carmen a préparé de la purée pour Véro. La nourriture est<br />
bien passée, purée et compote.<br />
Jeudi 7 novembre<br />
Trés bonne nuit. Hier soir nous avons eu un quiproquo, Véro<br />
n’était pas bien au niveau de la tête, je cherchais toutes les<br />
positions possibles en vain. Véro me baragouinait pour me mettre<br />
sur la voie, rien à faire. Ce n’est qu’à la prise de service <strong>du</strong> poste<br />
de nuit, à qui elle a fait comprendre qu’elle se plaignait de la tête,<br />
que j’ai réalisé que sa demande de tout à l’heure était bien fondée<br />
mais que j’étais à côté de la plaque.<br />
Passage de l’orthophoniste. Elle nous laisse un schéma de<br />
travail à faire deux ou trois fois par jour, et nous dit qu’il est vain de<br />
vouloir tout de suite chercher à obtenir des mots.<br />
- ouvrir (grand) et fermer la bouche. Véro y met beaucoup de<br />
bonne volonté mais l’ouverture voulue est infiniment moins grande<br />
que lorsqu’elle baille.<br />
- bouche ouverte, entrer et sortir la langue puis la monter et la<br />
descendre dans le palais.<br />
- en lui tenant le bas des côtes, la faire respirer très profondément<br />
en expirant le plus longtemps possible.<br />
- en expirant à travers les lèvres presque fermées, obtenir des<br />
vibrations des lèvres.<br />
-lui faire prononcer enfin : a, o, i, u, é.<br />
Dans la matinée, le docteur cherche à connaître la raison de ses<br />
pleurs. C’est trés vraisemblablement la peur que nous (ses<br />
parents) l’abandonnions à son sort. Lorsque je le dis à Eric à treize<br />
heures, elle éclate en sanglots, ce qui semble confirmer. Idem<br />
aprés midi lorsque le docteur demande à Carmen si je lui ai dit la<br />
cause des pleurs.<br />
Véro ingurgite six cuillères de purée assez facilement. Elle<br />
éclate de rire le soir quand Lionel tire la langue en mimant les<br />
exercices de diction. Cela me fait très plaisir, c’est la première fois<br />
que je vois rire Véro. En plus c’est sûrement un signe fort que la<br />
guérison se poursuit à bonne allure.<br />
33
Vendredi 8 novembre<br />
Dure journée de kiné, elle bouge son genoux droit de droite à<br />
gauche avec la jambe fléchie. L’après-midi, elle reste assise au<br />
fauteuil une grosse demi-heure malgré des douleurs au niveau des<br />
épaules et <strong>du</strong> bras gauche. Elle travaille aussi la pronation <strong>du</strong><br />
poignet droit.<br />
Repas de midi : purée additionnée de crême fraiche et<br />
compote maison.<br />
En début d’après-midi, nous attaquons une séance de diction<br />
et c’est tout de suite une grosse rigolade, mais Véro y met quand<br />
même beaucoup de bonne volonté et prononce les voyelles à peu<br />
près bien.<br />
Le repas <strong>du</strong> soir <strong>du</strong>re longtemps mais Véro ne mange rien !<br />
Elle regarde « Star Academy », s’esclaffe lorsque je lui dis que le<br />
chanteur de l’instant « a <strong>du</strong> boulot devant lui ». Elle n’aime pas la<br />
purée, goûte peu la compote, s’esclaffe à nouveau quand je lui dis<br />
de ne pas mordre la cuillère comme à la bouchée précédente. A la<br />
fin <strong>du</strong> “repas”, elle me demande d’une voix à peine empâtée “de<br />
l’eau”.<br />
Quand Carmen, Nelly, et Lionel arrivent, elle rit à nouveau de<br />
bon coeur et demande à Carmen: “Téléphone à zozo”.Mais zozo<br />
s’est octroyé un quartier libre à rallonge et Sonia est souffrante.<br />
Le matin nous nous sommes échappés pour faire un petit<br />
tennis à Palaja, le premier depuis fin septembre.<br />
Samedi 9 novembre<br />
Vers midi le docteur passe voir Véro et suggère qu’elle<br />
pourrait rester seule la nuit... Aussitôt Véro se met à pleurer et le<br />
docteur essaie de se rattrapper: “j’ai dit une C...”<br />
Au cours <strong>du</strong> repas Carmen lui demande toujours de déglutir, ce<br />
que fait toute l’assistance : Nelly, Carmen, le docteur et moi. J’en<br />
fais la remarque et Véro éclate de rire, propulsant ce qui reste de<br />
purée dans sa bouche sur l’assistance.<br />
Je m’aperçois en prenant sa main gauche qu’elle serre<br />
nettement les doigts et le docteur me dit que sa jambe gauche<br />
commence à réagir. Lorsque Nelly s’en va, elle lui fait dire “au<br />
revoir” en agitant les orteils <strong>du</strong> pied droit.<br />
34
Resté seul, je repense à l’idée <strong>du</strong> docteur de communiquer<br />
au moyen d’un alphabet inspiré <strong>du</strong> livre “putain de silence”. Véro<br />
me dit quelque chose de mystérieux alors je lui propose de l’écrire<br />
et je commence à réciter l’alphabet pour obtenir la première lettre :<br />
S. Je poursuis par une deuxième récitation: A. Lorsque ce sont les<br />
premières lettres qui rencontrent un mouvement d’approbation de<br />
sa tête je suis satisfait, la travail est moins rébarbatif. La suite<br />
donne : SALECACA. Je comprends alors qu’elle à besoin d’ètre<br />
nursée et nous sommes tous les deux ravis d’obtenir une première<br />
communication qui se limitait jusqu’alors à des baragouinages<br />
indécriptables et aux questions fermées comme : Est-ce que tu as<br />
mal? Aux jambes? Aux bras? A la tête? Au ventre? ... Du coup<br />
Véro est intarissable: QUIDOR… je termine pour elle: mira ce soir?<br />
Troisième communication dans la foulée :<br />
ENTENDTOIAVECZOZOPOURDORmir.<br />
L’après-midi avec la famille Tensa : Ginette, Christine et<br />
Christian. Elle continue à faire part de ses inquiétudes, notament<br />
de son impatience de partir dans un centre. La communication est<br />
facilitée par un alphabet préparé par Nelly sous forme de colonnes<br />
qui évitent de réciter tout l’alphabet avant d’inscrire un Z!<br />
Dimanche 10 novembre<br />
J’arrive vers dix heures trente pour relayer Eric. Véro a le<br />
blues, elle pleure. Elle me dit de la tête qu’elle n’a pas le moral. Je<br />
lui explique qu’elle ne doit pas s’impatienter, s’imaginer qu’en<br />
centre elle sera sur pieds en quelques jours, qu’il faut qu’elle<br />
regarde devant elle et non derrière, que nous, qui l’avons vue<br />
proche de passer l’arme à gauche, nous sommes trés satisfaits de<br />
ses progrés quotidiens, que je me suis renseigné et dans l’état où<br />
elle se trouve elle ne progressera pas plus vite en centre qu’à<br />
l’hôpital avec une bonne équipe soignante, ce qui est le cas à<br />
Carcassonne, qu’en tout état de cause elle est trop faible pour<br />
effectuer un travail intensif.<br />
Carmen et Nelly amènent le repas : pleurs... L’infirmière Mme<br />
D a arrêté l’alimentation par la sonde à dix heures pour lui donner<br />
de l’appétit, et elle reste là pour voir comment cela se passe. Vero<br />
baragouine, et avec la grille elle dit : CENTRE.<br />
Nous lui redisons que la première des choses à faire pour aller en<br />
centre est d’arriver à se nourrir par voie buccale afin de supprimer<br />
35
la sonde gastrique. Elle mange d’un meilleur appétit avec une<br />
qualité de mastication meilleure que la veille.<br />
Le soir nous arrivons avec Carmen pour le repas. Véro fait la<br />
tête des grands jours et on a <strong>du</strong> mal à la dérider. Elle souhaite<br />
s’exprimer : JOSETTE, SOUROUILLE. Carmen lui dit que Josette<br />
pense à elle, qu’elle fait dire des messes, que de toutes façons il<br />
faut qu’elle soit patiente mais qu’elle progresse un peu tous les<br />
jours. La condition pour aller en centre est de se débarrasser de la<br />
sonde gastrique. Véro mange d’un meilleur appétit et mastique et<br />
avale de plus en plus vite.<br />
Lundi 11 novembre<br />
Après une excellente nuit à Palaja où le Boubou a eu droit à<br />
un petit lit au sol, Carmen me dépose à l’hôpital où je relève Eric.<br />
Véro a communiqué ses problèmes de vision avec mission de le<br />
dire au docteur. La vision de près est OK, mais de loin elle voit<br />
double.<br />
A midi elle prend un bon repas, et je pense que ce bon début<br />
va amener rapidement à la suppression de la nourriture par la<br />
sonde gastrique. Hélas le repas <strong>du</strong> soir me rappelle que l’évolution<br />
ne peut pas étre rapide ; Véro rit sans cesse de sorte qu’il est<br />
impossible de la nourrir sans risquer une fausse route.<br />
Véro se met à pleurer avant le repas. Tra<strong>du</strong>ction sur papier :<br />
BOUGEROEIL. Incomprèhension : en fait il faut lui gratter l’oeil.<br />
Ce manque de précision dans l’expression et ce défaut de sérieux<br />
dans la volonté de se nourrir me rendent nerveux.<br />
Mardi 12 novembre<br />
Anniversaire de Lionel. Véro reste trente-cinq minutes au<br />
fauteuil, malgré un mal d’épaules. Elle me demande de lui sortir les<br />
mains de dessous le drap et pendant l’opération soulève son avant<br />
bras droit. Le soir, au cours de la même opération, je décide de ne<br />
pas obtempérer tant que Véro ne remplace pas son<br />
acquiescement de la tête par un oui clairement prononcé.<br />
La voisine de Véro vient lui rendre visite. Véro pleure<br />
beaucoup en la voyant et puis se calme. Je rassure la visiteuse en<br />
l’assurant que c’est l’émotion qui lui font monter ces larmes.<br />
Plus tard, nous avons la visite de G. et G., les autres voisins<br />
de Véro. Véro plus calme à ce moment ne manifeste pas une<br />
36
grande émotion, signe qu’elle passe par des moments de calme et<br />
d’autres où sa sensibilité est à fleur de peau.<br />
Le docteur vient passer un grand moment, elle nous dit avoir<br />
passé l’aprés midi au téléphone. A Cerbère une chambre en cours<br />
d’aménagement sera prête dans une dizaine de jours mais il n’est<br />
pas certain que Véro soit prise. Le docteur explique qu’elle est<br />
décidée à garder Véro aussi longtemps qu’il faudra mais que son<br />
départ <strong>du</strong> service créera un vide, que tout le monde la regrettera.<br />
Véro fond en larmes. Elle demande entre deux pleurs quand est ce<br />
qu’elle ira à la maison : le docteur lui explique qu’ici elle ne perd<br />
pas de temps, que le problème n’est pas quand rentrer chez soi<br />
mais de faire en sorte d’y rentrer dans de bonnes conditions, que<br />
suite à son accident, les fonctions assurées par les cellules mortes<br />
sont reprises par les cellules voisines mais cela prend <strong>du</strong><br />
temps.Les fonctions vitales sont assurées en premier puis petit à<br />
petit, les autres fonctions seront prises en charge.<br />
Véro me dicte alors: PRINTEMPS. Je lui réponds que je ne<br />
sais pas où nous en serons à ce moment là mais qu’il est certain<br />
qu’elle aura progressé de façon significative. Alors elle dicte:<br />
ONNESTPASsortidelauberge! Nous rions enfin de bon coeur tous<br />
les trois.<br />
Aprés l’anniversaire de Lionel, le docteur repasse pour nous<br />
dire qu’un docteur de Bagnère semble intéressé pour prendre<br />
Véro,. Elle envoie un fax le lendemain.<br />
Véro demande de la morue pour demain. Aujourd’hui elle a<br />
bien mangé à midi et assez bien ce soir.<br />
Mercredi 13 novembre<br />
Je me rends compte que Véro ne sait pas respirer de façon<br />
consciente par la bouche. C’est pourtant ce qui conditionne le<br />
retour de l’expression orale. Aprés explication, je lui pince le nez<br />
pour obtenir une ou deux respirations. Au début elle s’étouffe mais<br />
j’ai l’impression dans l’après-midi que cela viendra vite. Il restera à<br />
orienter l’expiration vers le nez ou la bouche de façon consciente.<br />
De même elle ne sait pas cracher. A midi, elle mange bien sa<br />
brandade. Elle me communique aussi: CEPARFUMDEAU<br />
ESTDégeulasse. Je cours lui en chercher un aux fruits rouges,<br />
l’abricot ne lui convenant pas.<br />
37
Lever au fauteuil vingt minutes, je la secoue un peu afin<br />
qu’elle ne pleure que lorsqu’elle a mal, sinon on ne peut rien faire<br />
et le transfert en centre sera trés <strong>du</strong>r à vivre.<br />
J’ai lu “le scaphandre et le papillon”. Plaisant à lire, trés bien<br />
écrit, mais j’ai préféré “putain de silence”. A noter le classement de<br />
l’alphabet en fonction de la fréquence d’utilisation des lettres.<br />
Jeudi 14 novembre<br />
E S A R I N T U L O M D P C F B V H G J Q Z Y X K W<br />
Nuit calme, passage de l’ergothérapeute, <strong>du</strong> kiné qui lui étire<br />
ses bras douloureux. Il m’explique que ce sont les muscles qui<br />
tirent comme quand on a des crampes. L’orthophoniste est passée<br />
également : Véro lui a dit Eric, papa, maman trés distinctement.<br />
Elle fait savoir au docteur qu’elle a mal aux oreilles : aprés<br />
vérification, le docteur constate qu’elles sont bouchées. Elle arrive<br />
pour la première fois à souffler par la bouche sans qu’on lui<br />
bouche le nez. Le docteur W passe la voir, puis Nanou, sa<br />
cousine,et à chaque fois, ce sont des pleurs. Le repas de midi est<br />
assez copieux.<br />
A quatorze heures elle fait une comédie parce que nous<br />
allons la laisser seule pour aller faire un tennis. Bien sûr, nous<br />
passons outre. Je lui dis qu’en centre, on ne pourra pas être trés<br />
longtemps à ses côtés. Je pense que la transition sera <strong>du</strong>re pour<br />
elle. Le docteur me dit qu’elle va doubler la dose d’antistress.<br />
Demande: LEBOUbou il est où?<br />
Le soir elle prononce de façon distincte : Sonia, Nelly, Lionel,<br />
Eric, Maman, mais pour dire papa elle dit invariablement maman !<br />
Le docteur A. est en congé demain et Véro nous donne le jour de<br />
son retour : “Mercredi”. En 36H elle a beaucoup progressé.<br />
Dans l’après-midi elle est passée à la balance: 57 Kg.<br />
Vendredi 15 novembre<br />
Premier petit déjeuner solide ! 100g de compote<br />
pomme/banane. Elle avait faim et m’a réclamé le “tuyau”, mais, le<br />
bain étant programmé, les aides soignants l’ont prié d’attendre.<br />
Elle s’est rabattue sur la nourriture solide.<br />
Venue de l’ergothérapeute. Elle a des idées pour recréer un<br />
environnement familier : lui mettre un réveil, une sonnette plus<br />
souple, la télé plus proche pour le feuilleton, lui faire la lecture.<br />
38
Véro n’accepte que les deux premières propositions. Elle va aussi<br />
la faire travailler avec une balle dans la main droite.<br />
Véro est restée cinquante minutes assise au fauteuil, mais elle<br />
se plaint des épaules. Je lui propose deux fois trente minutes pour<br />
demain.<br />
Samedi 16 novembre<br />
Levée cinquante minutes (au lieu de trente). Elle pleure<br />
beaucoup, de désespoir me semble-t-il, car je lui demande<br />
plusieurs fois si elle souffre et chaque fois la réponse est négative.<br />
Lorsqu’on la recouche, elle fait la gueule au personnel et à moi<br />
aussi bien sûr.<br />
Elle souffre toujours énormément <strong>du</strong> coude gauche. R. me dit<br />
qu’on va lui faire une radio <strong>du</strong> coude et une échographie si,<br />
comme elle pense, il n’y a pas de problème osseux.<br />
Le repas de midi est avalé sans beaucoup de conviction. Je<br />
suis inquiet de son état amorphe. Est-ce le moral, un manque de<br />
tension (10-6), un manque de nourriture ? Eric l’a questionnée à ce<br />
sujet, elle craint que son état nous rende malheureux. Il faudrait la<br />
persuader que la seule chose qui pourrait nous donner un moral<br />
d’acier serait de la sentir pleine d’énergie pour sortir de là.<br />
Après-midi retour de Primo et Lisette de Thailande. Véro<br />
profite des photos et esquisse quelques sourires.<br />
Dimanche 17 novembre<br />
J’ai l’adresse d’une personne ayant eu le même problème<br />
que Véro : M. XX<br />
Aprés une bonne nuit et un bon bain, Véro s’endort d’un bon<br />
sommeil d’1H1/2, avant d’avaler un bon repas, le moral est<br />
meilleur.<br />
Lundi 18 novembre<br />
Visite chez Mr XX. Sa fille, a eu son accident il y a quatre<br />
ans. Elle a “fait” Rangueil, Bagnères, Verdaich, Bagnères, en tout<br />
plus d’un an et demi. Tous les trois, les parents et leur fille ont un<br />
moral d’acier et sont trés sympathiques. Aujourd’hui, elle<br />
commence à bouger le pouce gauche, tourner l’avant bras gauche<br />
et légèrement le pied gauche. Elle a deux enfants, 17 et 11 ans et<br />
39
se trouve en instance de divorce. Ils ont étés trés déçus par<br />
Verdaich et ont conservé de bons contacts avec Bagnères où ils<br />
passent un coup de fil pour essayer de mettre Véronique sur les<br />
rails. Je garde une impression trés positive de notre visite, et je<br />
pense que cette rencontre leur a fait plaisir à eux aussi.<br />
Elle a fait son AVC pendant son sommeil.<br />
Elle est trés équipée : Micro-ordinateur qu’elle manoeuvre<br />
avec son pouce gauche, fauteuil roulant adapté à son état, fauteuil<br />
electrique sur mesure qui permet de la placer en position verticale,<br />
lit électrique, pompes à vide en cas de fausse route et, en cours de<br />
réalisation, une salle de bain adaptée.<br />
Elle fait des voyages avec l’équipe de Bagnères et assiste<br />
chaque année au congrés Alis à Paris où des neurologues<br />
spécialisés font le point sur l’évolution de la recherche. Elle espère<br />
beaucoup de la génétique pour lui permettre de faire d’autres<br />
progrés plus rapides.<br />
Mardi 19 novembre<br />
Bonne nuit, levée 1/4 H au petit fauteuil le matin.<br />
L’orthophoniste est trés satisfaite des progrés. Véro mange de<br />
mieux en mieux et de plus en plus vite.<br />
Aprés midi, première sortie de la chambre en fauteuil, Véro<br />
pleure sans arrêt et fait une tête de trois pans mais nous<br />
descendons faire un tour dans le hall. Le soir elle me dicte :<br />
JIRAIAUFAUTEUILAVECLOINEL--TUMAMENERARomi----<br />
JAILEBAIN.<br />
Nous décidons ensemble que la visite de Romi dans le sas<br />
d’entrée se fera samedi quand toute la famille sera présente.<br />
Mercredi 20 novembre<br />
Première fois que Véro se sert <strong>du</strong> bassin pour ses besoins.<br />
Bain matinal.<br />
Au retour, crise : PASR., elle ne veut aller que dans le<br />
fauteuil roulant. Lorsque Lionel et Nelly arrivent, elle fait son petit<br />
tour dans le hall, pas de sourires mais pas de pleurs. Sonia et<br />
Nelly se chargent <strong>du</strong> repas de midi pendant que nous allons<br />
manger à la cafèt. avec Monique, Eliane, Pierre, et Antoine.<br />
40
Aprés midi, grosse émotion lors de la visite des cigalois,<br />
puis elle se fait remettre sur le fauteuil pour les raccompagner.<br />
Jeudi 21 novembre<br />
Grosse matinée : toilette, kiné, orthophoniste,<br />
ergothérapeute, visite de Fred, docteur, ballade en fauteuil dans le<br />
hall. Déménagement de chambre dans l’aprés midi.<br />
Décision <strong>du</strong> docteur A. : arrêt de l’alimentation par la sonde<br />
gastrique, on enlève la sonde urinaire, passage progressif <strong>du</strong> gel à<br />
l’eau liquide.<br />
Ce soir on fêtera l’anniversaire de Carmen et on prendra des<br />
nouvelles de Jean Morage.<br />
Le rhumatologue vient pour son coude gauche toujours<br />
douloureux lorsqu’elle tend le bras. Il parle avec le docteur de<br />
sintigraphie et Véro demande ce dont il s’agit. Ensuite visite <strong>du</strong><br />
docteur avec son mari, anesthésiste, pour répondre à la question<br />
des risques d’anesthésie que j’avais posée au docteur. Il n’y a<br />
aucun risque ! Je ne suis pas rassuré à cause de ce que j’ai lu sur<br />
internet et de la réaction de Mr XX qui s’y était opposé à une<br />
fibroscopie à la clinique Montreal. Pour ôter la sonde gastrique, il<br />
faudra une fibroscopie car la sonde fait une collerette solide à<br />
l’intérieur de l’estomac. Je suis assez inquiet.<br />
Vendredi 22 novembre<br />
Vers dix heures trente, le docteur amène un café. Véro<br />
pleure d’émotion et boit son café à la petite cuillère jusqu’à la<br />
dernière goutte. Visite de Brigitte pendant la promenade. On<br />
commence à se passer de la grille pour communiquer : Véro dit la<br />
lettre à écrire et lorsqu’elle prend bien sa respiration on comprend<br />
parfaitement ce qu’elle dit.<br />
Après-midi, tennis avec Carmen dont c’est la fête, puis judo<br />
pour Lionel. Nelly est de permanence auprés de Véro.<br />
Arrivée à l’hôpital, l’infirmière, à qui nous demandons le n°<br />
de chambre , nous dit que Véro est réinstallée au n° 9 et que nous<br />
aurons des surprises. Effectivement, Véro qui a soudain récupéré<br />
des capacités pour se faire comprendre sans l’aide de l’alphabet,<br />
annonce son départ pour Verdaich mercredi et son excursion à la<br />
maison dimanche aprés midi, accompagnée <strong>du</strong> docteur A. . Au<br />
41
moment de se séparer aprés le repas Véro nous rappelle que le<br />
docteur nous attend demain à dix heures.<br />
Rentrés à la maison, nous annonçons la nouvelle à Corinne.<br />
Entre temps nous avions combiné un aller-retour à St Hippo<br />
pour le week-end et retenu notre repas à la Clède pour<br />
l’anniversaire de Roger et son mariage religieux. Aussitôt décidé,<br />
aussitôt annulé.<br />
Samedi 23 novembre<br />
L’euphorie de la veille a fait place à une série d’inquiétudes :<br />
Y aura t-il quelqu’un avec moi la nuit ? Quand m’enlèvera t-on la<br />
sonde gastrique ? (Condition nécessaire pour aller en piscine) Aije<br />
quelque chose au cerveau ? Quels traitements aurai-je plus<br />
tard?<br />
Le docteur A. lui réexplique tout son historique et l’espoir de<br />
récupérer un maximum sans pour autant savoir si elle remarchera<br />
normalement ou avec quelques difficultés et dans quel délai.<br />
Concernant la sonde, le docteur de Verdaich souhaite la recevoir<br />
avec la sonde.<br />
Aprés midi, visite de Marie Christine, Marie Ange, Bernadette<br />
et Nicole.<br />
Je téléphone à Mr XXpour le tenir informé de notre départ prochain<br />
à Verdaich. J’informe aussi Monique, Eliane, Maman et Odette qui<br />
me dit que Jean va pour le mieux mais vivement plus tard que<br />
nous puissions tous reprendre nos habitudes cigaloises.<br />
Dimanche 24 novembre<br />
Première sortie clandestine de l’hôpital avec le docteur<br />
A.Beaucoup d’émotions, mais tout se passe trés bien,.. Photos,<br />
champagne....Georges et Geneviève viennent partager ces<br />
instants avec nous. Véro demande si elle pourra recon<strong>du</strong>ire. Elle<br />
demande quelques calins à Lionel pour qui la venue de Véro à la<br />
maison est toute naturelle, joue tranquillement sur l’ordinateur.<br />
Lionel lui fait gonfler les joues (c’est la première fois) et<br />
Carmen lui fait toucher le bout de son nez avec sa main droite.<br />
Sonia me dit que Véro a ri tout l’aprés midi alors que nous<br />
pensions que la fatigue <strong>du</strong> matin et les émotions l’auraient plongée<br />
dans un profond sommeil réparateur.<br />
42
Lundi 25 novembre<br />
Essai de prendre un comprimé dans l’eau, c’est franchement<br />
dég... Véro fait sa première fausse route : impressionnant.<br />
Heureusement les aides soignantes n’étaient pas loin.<br />
Je décide de lui faire travailler uniquement la respiration :<br />
maîtriser la quantité d’air inspiré et prononcer une syllabe en<br />
bloquant sa respiration juste aprés, au lieu de se dégonfler comme<br />
une baudruche. Puis deux syllabes en bloquant son souffle entre<br />
les deux.<br />
Par moment, je pense que ma prévision de récupération<br />
assez rapide est trop optimiste. Il est vrai qu’elle fait des progrés<br />
chaque jour et qu’il y a de quoi être optimiste pour l’avenir. Mais si<br />
on regarde le chemin qui reste à parcourir, la route est longue,<br />
d’autant que tout est conditionné par la vitesse à laquelle les<br />
cellules voisines de la zone touchée prendront le relais.<br />
Avant midi le docteur passe voir Véro, lui réexplique tout le<br />
chemin qu’elle a parcouru mais Véro n’a pas trop le moral car elle<br />
redoute le changement.<br />
L’après-midi elle est fatiguée par les émotions de la veille et<br />
par l’appréhension <strong>du</strong> déménagement. Le soir elle me dit: “je ne<br />
peux pas manger seule.”<br />
Visite de Corinne, Michel, Mathé, Louis, Frédéric.<br />
Mardi 26 novembre<br />
Nuit calme. Le matin, je lui fais travailler le souffle. Les adieux<br />
de l’orthophoniste sont accompagnés de pleurs. Le docteur A.<br />
vient lui montrer les planches <strong>du</strong> scanner.<br />
Grosse inquiétude et pleurs. Véro demande au docteur si elle a<br />
préparé les ordonnances : on comprend qu’il s’agit <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>it<br />
qu’elle devra prendre à vie pour rester à l’abri d’une rechute. Le<br />
docteur la rassure et lui dit qu’elle a pris l’avis <strong>du</strong> docteur X à ce<br />
sujet.<br />
Le docteur demande à Véro de la tenir informée de son évolution<br />
et nous donne ses n° de télephone.<br />
Je téléphone à Verdaich: D’abord, hospitalisation en<br />
chambre seule sans supplément et sans possibilité de couchette,<br />
puis, plus tard, passage en chambre normale double ou simple<br />
43
avec supplément. J’informe Véro au cours de la promenade en<br />
fauteuil et c’est tout de suite la grosse crainte de dormir seule. Je<br />
lui explique qu’elle ne risque rien car, d’une part elle dort comme<br />
un sonneur et, d’autre part il y a plus d’encadrement qu’à l’hôpital.<br />
Visite à midi : Marie Christine et Colette<br />
Mercredi 27 novembre<br />
Adieux à Carcassonne, Véro pleure beaucoup parce qu’elle<br />
craint de dormir seule.<br />
Le docteur A. embrasse toute la famille et nous voilà partis, le<br />
temps est splendide.<br />
Arrivée à Verdaich accompagnés des pleurs sonores de<br />
Véro. Nous visitons le centre avec la secrétaire, c’est impeccable.<br />
A 17h30, nous pouvons rendre visite à Véro installée dans son<br />
box : elle s’est calmée bien que l’on sente les larmes toutes<br />
proches.<br />
Elle se trouve dans le service d’éveil, visites très strictes:<br />
contraintes horaires à respecter scrupuleusement (11h30-13H30 et<br />
17H30-21H), deux personnes à la fois.<br />
Véro a vu le docteur Z et le chef kiné. On abandonne Eric sur<br />
place et nous rentrons à Carcassonne.<br />
Jeudi 28 novembre (64)<br />
Coup de téléphone à Eric, resté de garde. Le café gel <strong>du</strong><br />
matin n’est pas bon. Premier contact avec l’orthophoniste : sympa.<br />
On lui prépare un fauteuil ; demain on aura son programme de<br />
travail.<br />
Vendredi 29 novembre (65)<br />
Je retrouve Eric aprés m’être per<strong>du</strong> dans la campagne<br />
ariégoise vers onze heures trente.<br />
Arrivée dans la chambre. Véro est en pleurs dés qu’elle nous<br />
aperçoit. L’orthophoniste commence à la faire manger, et Eric<br />
prend le relais. Entre deux sanglots, nous décriptons un :<br />
“CESTNUL” à l’aide de l’alphabet. Nous essayons de lui dire<br />
qu’elle radote et que si elle continue à se comporter comme un<br />
44
enfant gâté, qu’on va la remettre sous calmants et qu’elle aura tout<br />
gagné.<br />
Entrevue avec le docteur Z : Le diagnostic de purpan est bien<br />
un L.I.S.<br />
La récupération de la parole est bien avancée; La<br />
récupération de l’hémi corps droit permet d’espérer une<br />
récupération jusqu’à un niveau fonctionnel sans que l’on puisse<br />
prognostiquer le pourcentage qu’elle atteindra ; Le pronostic<br />
concernant l’hémi corps gauche est beaucoup plus réservé.<br />
Généralement une récupération rapide a beaucoup plus de chance<br />
“d’aller plus loin” qu’une récupération plus lente. Je pense alors à<br />
la fille de M. XX dont les parents sont trés satisfaits des infimes<br />
progrés effectués au cours de l’année écoulée. Son état moral<br />
n’est pas brillant, il est normal qu’elle soit stressée par le<br />
changement de clinique, les pleurs font partie <strong>du</strong> tableau clinique<br />
de la maladie, mais le docteur nous conseille de la mettre<br />
progressivement devant ses responsabilités pour qu’elle se prenne<br />
en charge : ce sera une bonne chose pour elle et pour nous car<br />
nous ne tiendrons pas le coup si on veut trop l’assister.<br />
Le docteur nous dit que la réé<strong>du</strong>cation va moins vite que<br />
dans le cas d’une convalescence post-opératoire. J’en conclue in<br />
péto que, dans le meilleur des cas, nous sommes là jusqu’au mois<br />
de juin.<br />
Au travers de la discussion nous nous rendons compte que le<br />
docteur A. l’a régulièrement tenue informée.<br />
Le docteur n’est pas pressé de lui ôter la sonde gastrique, elle va<br />
contacter le docteur qui l’a posée.<br />
Demain midi Véro sera sur le fauteuil qui est prêt dans sa<br />
chambre et il a été réglé avec essayage par le kiné.<br />
L’ergothérapeute lui a fait travailler les bras.<br />
Le repas <strong>du</strong> soir est vite avalé, à la cuillère à soupe et nous<br />
partons vers vingt heures trente aprés avoir subi dix fois la<br />
recommandation d’être là demain à onze heures trente.<br />
Le retour sous la pluie est trés pénible. Il est impossible<br />
d’envisager des aller-retours quotidiens.<br />
Samedi 30 novembre (66)<br />
45
Je téléphone au docteur A. pour lui donner des nouvelles et<br />
lui dire l’évolution mentale de Véro vers l’infantilisme et le<br />
comportement capricieux d’enfant gâté.<br />
Eric ressort de sa visite complètement déprimé : Véro<br />
n’arrête pas de pleurer, “c’est nul”. Elle s’est fait engueuler parce<br />
qu’elle sonne plusieurs fois de suite pour la même chose alors<br />
qu’on est venu lui répondre à la première alerte qu’on allait<br />
s’occuper d’elle.<br />
Je lui rappelle que le comportement <strong>du</strong> personnel soignant<br />
sera fonction <strong>du</strong> sien et que si elle est emmerdante c’est elle qui<br />
en subira les conséquences.<br />
Nous lui disons aussi qu’elle doit penser à nous qui n’avons<br />
pas une vie facile <strong>du</strong> fait des déplacements de nuit qui sont<br />
pénibles et pleins de pièges. Donc elle doit se prendre en charge<br />
et dès que possible nous dispenser de quelques jours dans la<br />
semaine.<br />
A la réflexion il est normal que son retour d’une chambre vers<br />
un service de soins intensifs soit mal vécu, mais il nous faut la<br />
secouer.<br />
Le repas avalé à bonne allure, nous la faisons mettre à son<br />
fauteuil pour faire un tour <strong>du</strong> propriètaire et aller prendre le café au<br />
foyer. Elle trouve le fauteuil confortable et, pour la première fois<br />
dans un fauteuil, présente un visage déten<strong>du</strong>.<br />
L’après-midi, aprés un pique-nique dans le froid et un tour à<br />
Cintegabelle, le temps s’écoule trés lentement. J’ai le sentiment<br />
d’ètre inutile ; en effet à Carcassonne je lui faisais travailler la<br />
parole alors qu’ici la seule chose qu’on puisse faire c’est d’assurer<br />
une présence qui contribue à la maintenir dans un état d’assistée,<br />
contrairement à Toulouse où notre présence l’aidait à refaire<br />
surface.<br />
Dans la semaine elle a progressé énormément dans la<br />
parole depuis que, lundi dernier, je l’ai entrainée à lui faire<br />
prononcer une syllabe en bloquant son souffle juste aprés.<br />
Le soir, Sonia descend le lit pour qu’elle puisse, pour la<br />
première fois, prendre Lionel dans ses bras : grosse émotion!<br />
Pour la suite, je compte beaucoup sur le fait qu’elle va être<br />
occupée par sa réé<strong>du</strong>cation pour lui redonner un moral d’acier.<br />
Lundi, nous aurons son programme de travail affiché dans sa<br />
chambre.<br />
46
J’espère secrètement que son côté droit va progresser aussi<br />
vite que sa parole.<br />
Dimanche 1 décembre (67)<br />
Pluie toute la journée, pique-nique au foyer avec Véro qui va<br />
passer deux heures au fauteuil à midi et autant à seize heures<br />
trente sans se plaindre de maux de dos. Toujours pas mal de<br />
pleurs à la moindre émotion. Il me tarde de voir démarrer ce côté<br />
gauche et je commence à réfléchir à l’organisation <strong>du</strong> futur si ce<br />
côté restait inerte ou en tout cas non fonctionnel. Il me tarde de<br />
connaître son programme de travail et surtout de voir l’incidence<br />
qu’il pro<strong>du</strong>ira sur son moral.<br />
Lundi 2 décembre (68)<br />
Dès mon arrivée, je lui demande ce qu’elle a fait ce matin et<br />
elle se met à pleurer.<br />
Le kiné lui a fait travailler les jambes et Véro craint que son côté<br />
gauche reste inerte.<br />
Nouvelle crise de larmes, enquête : “le docteur m’a dit que je suis<br />
là pour longtemps”. “Le petit me manque”. Là, je la sermone<br />
sérieusement : « Il nous manque tous quelque chose et on se bat<br />
tous pour faire face ; si tu ne te prends pas en main, ce ne sont<br />
pas les kinés qui te remettront sur pied. C’est toi-même, si tu veux<br />
te battre... Je ne fais pas deux cents kilomètres sous la pluie pour<br />
venir te voir pleurer... etc ».<br />
Avant le repas, une demi-heure de fauteuil, et l’après-midi<br />
une heure de verticalisation à 30° sur la planche, sans problème<br />
pour les jambes.<br />
Au cours de l’après-midi, je fais le tour <strong>du</strong> Centre et je suis<br />
surpris <strong>du</strong> calme qui y règne par rapport à Lamalou.<br />
Mardi 3 décembre (69)<br />
Toujours des pleurs à notre arrivée mais on ne ressent plus<br />
le rejet <strong>du</strong> centre, Véro s’habitue à son environnement.<br />
Programme de la journée : matin : kiné (travail des jambes) ;<br />
après-midi : kiné (travail des bras), puis orthophoniste pour<br />
apprendre à claquer la langue. Pour la première fois, Véro gonfle<br />
ses joues.<br />
47
Elle nous dit qu’elle travaille seule et qu’elle arrivera à se<br />
gratter les yeux avant le 15 décembre. Elle commence à bouger le<br />
pied gauche, pas toujours, mais quand elle y arrive elle le sent.<br />
Seule la main gauche n’a pas démarré.<br />
L’après-midi avec Carmen, nous évoquons l’avenir, qui<br />
dépend bien sûr de son degré de récupération. De toute façon, il<br />
faut trouver une solution qui fonctionne sans notre aide. Si Véro<br />
peut marcher et con<strong>du</strong>ire, le problème sera facilement soluble.<br />
D’où l’intérêt de voir la jambe gauche se dégourdir.<br />
La secrétaire m’informe que la mutuelle ne prend en charge<br />
le forfait journalier que trois mois par an dans le cadre d’une<br />
rée<strong>du</strong>cation !!<br />
Mercredi 4 décembre (70)<br />
Crochet par Saissac pour faire une bise à Bernadette qui n’a<br />
pas vu les enfants depuis le printemps. Véro ne pleure presque<br />
plus bien que pour la première fois, il n’y ait eu personne d’entre<br />
nous avec elle pour le repas de midi.<br />
Je suis surpris de son aisance dans la diction, alors que je l’ai<br />
quittée hier soir. Lorsque je lui dis que je vais demander qu’on la<br />
laisse au fauteuil demain à midi, elle me dit d’un trait: “je le leur ai<br />
déjà dit”.<br />
Nous voulons la laisser seule toute la journée de vendredi<br />
car nous souhaitons ne plus monter le mardi et le vendredi dans<br />
les plus brefs délais. Ce sera une excellente chose pour nous et<br />
pour elle qui doit se prendre en charge.<br />
Elle pense inaugurer le camping en fauteuil mais demain je<br />
vais la secouer à ce sujet car je pense qu’à sa vitesse d’évolution,<br />
il faut qu’elle soit sur ses deux jambes.<br />
Jeudi 5 décembre (71)<br />
Véro est tout à fait intégrée avec le personnel, je ne<br />
monterai plus le mardi et le vendredi. On a bien rigolé quand elle<br />
m’a raconté que l’orthophoniste lui muscle la langue, elle appuie<br />
dessus et lui demande de monter la langue contre le palais, puis<br />
elle lui tire la langue vers l’extérieur. Le bout de sa langue est<br />
insensible depuis le début, elle l’a dit à l’orthophoniste. Elle<br />
commence à faire des claquements de langue.<br />
48
Demain : douche, ORL pour la déglutition, kiné inclinaison à<br />
40°, orthophoniste, ergothérapeute, et Lisette et Primo en visite.<br />
Vendredi 6, samedi 7, dimanche 8 décembre (74)<br />
Voyage à St Hippo.<br />
Lundi 9 décembre (75)<br />
Hier, Véro a bougé le pouce et l’index gauche, mais elle ne<br />
sait pas si c’était conscient. Ce matin, la kiné a montré au docteur<br />
que les orteils gauches commençaient à réagir. Elle arrive à se<br />
gratter le bout <strong>du</strong> nez toute seule, elle a tenu son pari <strong>du</strong> 3/12<br />
Premier repas mouliné au lieu de mixé ; midi, macédoine de<br />
légumes, le soir, pâtes avec jambon mixé. Elle pilote la<br />
télécommande.<br />
A midi pleurs sans discontinuer : elle veut retourner à la<br />
maison. Le docteur à qui elle l’a dit le matin, lui a dit qu’elle pensait<br />
lui donner un week end début janvier. Moi, je la secoue<br />
sérieusement car elle nous fait <strong>du</strong> chantage. Je ne veux pas la<br />
laisser tomber brutalement, bien que se soit la solution. Le soir je<br />
lui propose un marché : je viens demain mais elle me fixe le<br />
premier jour où elle restera seule. Le marché est conclu pour lundi<br />
16.<br />
Le soir au contraire c’est un repas fou rire. Elle nous raconte<br />
les dialogues de son voisin avec le personnel, les tisanes de 16 h<br />
où la cuillère tient droite...<br />
Une heure sur le plan incliné à 40 degré. Ses pieds la<br />
portent bien, aussi bien le droit que le gauche. Elle s’est testée<br />
seule car elle n’a pas de consigne <strong>du</strong> kiné pour travailler quand<br />
elle est à la planche.<br />
Mardi 10 décembre (76)<br />
Ce matin, un neurologue est passé et il pense qu’on est<br />
passé à côté <strong>du</strong> locked-in. Véro est très contente car elle bouge le<br />
pouce gauche. Même si elle ne peut pas le bouger<br />
indépendamment <strong>du</strong> pouce droit, c’est un début.<br />
Aujourd’hui le moral est bon : elle est restée une heure au<br />
plan incliné à 50° et l’orthophoniste continue de muscler la langue<br />
et de travailler le souffle.<br />
49
Les médicaments sont: : 3 diantalvic, et le soir: 1 plavix, 1<br />
séropram, 1 <strong>du</strong>phalac, 2 efferalgan.<br />
Mercredi 11 décembre (77)<br />
Bonne nouvelle, Véro doit aller en chambre dimanche aprés<br />
midi. Ce matin elle est restée une heure à 55°, l’aprés midi, elle n’a<br />
rien fait.<br />
Jeudi 12 décembre (78)<br />
Aujourd’hui, Ida, Lisette et Primo montent voir Véro. Plan<br />
incliné à 60°.<br />
Vendredi 13 décembre (79)<br />
Visite avec Nelly, Josette et JP Marcaillou nous rejoingnent.<br />
La secrétaire me dit que Véro sera dans une chambre à trois lits.<br />
Jour de bilan car elle change de kiné et d’orthophoniste en même<br />
temps que de service.<br />
Station debout à 70° pendant une heure. Je récupère son<br />
emploi <strong>du</strong> temps, c’est un document administratif bidon.<br />
Samedi 14 décembre (80)<br />
Eric, Sonia et Nelly et Romi sont montés à Verdaich, Lionel<br />
vient avec nous manger à Palaja. Cela fait 39 ans que nous<br />
sommes mariés !!!!! Dés leur arrivée à Verdaich, Véro leur dit<br />
qu’elle doit appeler Carmen, pour nous souhaiter bon anniversaire<br />
de mariage.<br />
Dimanche 15 décembre (81)<br />
Transfert en chambre, encore beaucoup de stress. Visite de<br />
Thierry avec Steffan.<br />
Sa voisine de chambre, aprés quatre mois en CDR, a<br />
énormément progressé en trois semaines car le travail de<br />
rée<strong>du</strong>cation est beaucoup plus intensif qu’au CDR. Nous verrons<br />
cela dans une semaine. Il semble qu’elle puisse attraper et tenir le<br />
combiné <strong>du</strong> téléphone, nous testerons cela demain car je ne<br />
monte pas ; c’est difficile mais il faut à tout prix la mettre en<br />
50
situation d’assumer son état et par-là même d’apprécier ses<br />
progrès à leurs justes valeurs.<br />
Finalement nous décidons avec Carmen de monter une<br />
semaine pleine à St Hippo pour le premier de l’an, j’espère qu’il<br />
fera beau et que je pourrai tailler et traiter les arbres.<br />
Lundi 16 décembre (82)<br />
Pas de visite et impossible de la joindre par téléphone.<br />
Mardi 17 décembre (83)<br />
Arrivée avec Carmen dans la chambre et tout de suite une<br />
pluie de larmes ininterrompue jusqu’à treize heures. J’en viens<br />
même à me demander si on ne sera pas obligé de la sortir de<br />
Verdaich sous peine de la voir déprimer et régresser.<br />
La cause de ses malheurs est probablement son inaction :<br />
hier, elle a fait une demi-heure de kiné au gymnase où on lui a fait<br />
travaillé le côté gauche uniquement. Ce matin, elle a vu<br />
l’orthophoniste qui est juste venue se présenter. Un jour et demi,<br />
au lit pour une demi-heure de travail est réellement frustrant.<br />
A treize heures trente je rencontre la secrétaire et lui fait part<br />
de mes craintes quant à son moral dégradé. Elle me répond qu’on<br />
est en train de lui changer son traitement et je lui dis que son état<br />
est lié à son inaction.<br />
Carmen con<strong>du</strong>it Véro à la salle de gym où celle-ci va rester<br />
une heure à 70° puis vient me rejoindre. Un moment plus tard, la<br />
kiné vient vers nous pour nous dire que si Véro ne travaille pas<br />
davantage c’est que son état ne lui permet pas un travail plus<br />
intensif. Elle nous demande de lui faire passer ce message et de<br />
ne pas nous ranger au point de vue de Véro. Carmen lui dit qu’elle<br />
travaillait plus à l’hôpital qu’ici. Résultat, aprés la planche, elle<br />
garde Véro en salle de travail une heure et quart de plus. Je<br />
décide d’équiper une télé indépendante pour soigner le moral et<br />
vais demander à la secrétaire si on peut capter avec une antenne<br />
intérieure, elle appelle le technicien et me dit que certainement le<br />
docteur passera nous voir.<br />
Effectivement, le docteur Z croisé dans le couloir nous parle :<br />
- on lui donne un nouveau traitement plus adapté à son cas qui<br />
devrait dans quelques jours lui donner plus de tonus.<br />
51
- elle travaille plus ici qu’à l’hôpital mais il faut adapter son rythme<br />
à son état de santé car c’est l’ensemble de l’organisme qui a été<br />
secoué par l’AVC.<br />
- Je lui dis que pour le moral il serait souhaitable de lui enlever la<br />
sonde et sa réponse est oui on va le faire mais il faut lui laisser<br />
“digérer” le changement de service pour ne pas cumuler les<br />
risques.<br />
- Son arrivée dans le service a été perturbée par l’absence d’un<br />
kiné qui a empéché une activité normale.<br />
- Si elle ne s’adaptait pas, « nous n’avons jamais attaché<br />
personne. »<br />
Conclusion de ces palabres avec les uns et les autres, tout<br />
ce petit monde communique trés bien et la secrétaire constitue un<br />
point d’entrée idéal.<br />
Médicaments <strong>du</strong> soir : Duphalac, Augmentin, Di-antalvic,<br />
Plavix, un comprimé bleu pour la nuit, 2 efferalgan.<br />
Encore des progrés, le pouce gauche fonctionne sur<br />
commande et elle rapproche l’avant bras gauche de son corps sur<br />
10 cm environ, par contre elle ne peut pas l’éloigner à sa position<br />
initiale. Le genou gauche bouge aussi. Avec le pied droit elle<br />
ramène l’oreiller sous ses genoux quand celui-ci est trop bas.<br />
Véro pense à l’anniversaire de Ginette et à celui de<br />
l’enterrement de mamie Livia.<br />
Mercredi 18 décembre (84)<br />
Visite avec les enfants, toujours un moral chancelant. Véro<br />
bouge le pouce et l’index côté gauche.<br />
Ce matin naissance de Clara.<br />
Jeudi 19 décembre (85)<br />
Dés mon arrivée Véro fond en pleurs, je me fâche pour de<br />
bon et elle se calme pour la suite <strong>du</strong> repas.<br />
Au cours de la promenade je lui redis :<br />
- pas question de partir de là.<br />
- se rend-elle compte qu’il y a à peine trois semaines, je lui<br />
apprenais à bloquer sa respiration aprés avoir prononcé une<br />
52
syllabe ? Que l’on communiquait encore avec l’alphabet pour<br />
certaines choses et qu’aujourd’hui elle répond au téléphone ?<br />
- les sorties dépendent de la MSA pour le moment, la seule chose<br />
sur laquelle nous pouvons agir est notre présence à ses côtés.<br />
- la réé<strong>du</strong>cation doit être con<strong>du</strong>ite prudemment car son accident à<br />
touché son cerveau mais aussi tout son organisme, le coeur n’est<br />
plus habitué à remonter le sang depuis les pieds, ses poumons<br />
sont restés inactifs pendant une dizaine de jours et il faudra <strong>du</strong><br />
temps pour retrouver leur pleine capacité. Une sollicitation trop<br />
forte de l’organisme peut con<strong>du</strong>ire à une récession.<br />
- sa seule obsession doit être de retrouver sa mobilité, comme<br />
premier objectif par exemple : arriver à manger seule pour le<br />
premier de l’an.<br />
Aprés midi je réalise que son esprit n’est pas assez occupé<br />
et que cet aspect n’est pas pris en compte dans le centre où<br />
beaucoup de personnes semblent errer sans but. Je lui propose de<br />
lire :”Ça ne m’intéresse pas”. J’ai plus de chance avec les mots<br />
croisés. Du coup je lui propose d’essayer d’écrire, “c’est comme le<br />
Boubou” me dit elle après un premier essai.<br />
Demain je lui ramène Télé Sept Jeux, Maxi et le casque pour la<br />
télé aprés modification pour qu’elle puisse le “chausser” toute<br />
seule.<br />
Vendredi 20 décembre (86)<br />
Le moral est moins mauvais. Après le repas de midi, pendant<br />
la dégustation <strong>du</strong> Capucino, Véro me répète sans cesse : “Tu le<br />
diras au docteur que je veux partir le premier avril, promet-le moi”.<br />
Le matin, elle a travaillé avec sa nouvelle orthophoniste.<br />
L’accent est mis sur le souffle et pour cela, elle lui fait dire<br />
des phrases un peu longues d’un seul trait sans reprendre son<br />
souffle. Je lui dis alors de s’exercer à dire : « je veux partir le<br />
premier avril pour assister à l’ouverture <strong>du</strong> camping de pisse<br />
vaches » mais elle a <strong>du</strong> mal car son phrasé est entrecoupé par des<br />
reprises de souffle mi-sanglots, mi-rires.<br />
La rencontre avec le docteur Z me rassure car je me rends<br />
compte qu’elle est au courant des moindres faits et gestes, ce qui<br />
confirme la trés bonne communication qui règne au sein de<br />
l’équipe soignante, elle même ne voyant Véro que rarement.<br />
53
(a) Véro progresse à un bon rythme, les muscles <strong>du</strong> visage, son<br />
côté gauche donne des signaux de démarrage.<br />
(b) Une crainte : La difficulté d’admettre que le travail de<br />
réé<strong>du</strong>cation ne peut pas être intensif. Il s’agit d’accompagner et de<br />
s’appuyer sur les progrès constatés. La récupération des facultés<br />
se fait aussi pendant les périodes de repos.<br />
(c) Rendez-vous va être pris à Purpan pour ôter la sonde<br />
gastrique.<br />
(d) Le seul changement qu’elle a apporté au traitement initial est<br />
au niveau de l’antidépresseur comme elle nous l’avait dit mardi, la<br />
semaine prochaine, elle doublera la dose pour que la transition se<br />
fasse en douceur. (ce sont des gouttes au repas <strong>du</strong> soir)<br />
(e) Nous serons invités à assister à un point qui est fait chaque<br />
un mois et demi par l’ensemble de l’équipe soignante sur chaque<br />
malade.<br />
(f) Véro va disposer, dés qu’un créneau de temps se libère,<br />
d’une ergothérapeute et d’une psychomotricienne.<br />
(g) La demande à la MSA porte sur deux week-ends par mois,<br />
mais cette caisse est très <strong>du</strong>re, même entre médecins ils ont <strong>du</strong><br />
mal à communiquer.<br />
Je dis au docteur que Véro est en train d’accepter sa vitesse<br />
de récupération. Et de digérer son changement de service. Je<br />
travaille à occuper son temps libre et l’ai décidée à lire et à faire<br />
des mots croisés. Hier soir elle a fait ses premiers essais<br />
d’écriture. Le docteur se montre vivement intéressé par ce fait<br />
nouveau et le note aussitôt. Pour cela je l’informe de mon projet<br />
d’aménager son fauteuil, elle appelle une soignante pour équiper<br />
le fauteuil avec une tablette <strong>du</strong> centre.<br />
Je lui parle alors <strong>du</strong> projet de Véro de partir le premier avril.<br />
Que Véro se fixe des objectifs intéresse beaucoup le docteur ! Je<br />
lui demande si, à cette date, Véro pourra partir en week-end dans<br />
notre voiture : cela lui semble tout à fait possible.<br />
Au cours de la discussion, le docteur me dit que la plupart<br />
des malades viennent de la région toulousaine : avec les autres, il<br />
y a souvent des difficultés d’ordre psychologique liées à<br />
l’éloignement même s’ils sont bien entourés. Intrigué, je demande<br />
à Véro comment elle se sentirait si le centre se trouvait à la place<br />
<strong>du</strong> lycée Jules Fil sans que cela ne change rien à sa vie, sans<br />
possibilité de sortir. Elle me répond qu’elle se sentirait beaucoup<br />
mieux.<br />
54
Samedi 21 décembre (87)<br />
Eric monte avec Nelly. Il semble que la journée ait été rude,<br />
malgré un temps radieux qui a permis une sortie en extérieur. Véro<br />
continue de répéter en boucle qu’elle veut sortir pour Pâques. Elle<br />
confirme une discussion que nous avons eu la veille au cours de<br />
laquelle j’ai réalisé qu’elle est persuadée que c’est moi qui décide<br />
tout en sous-main, en particulier : son maintien dans le centre,<br />
l’interdiction des week-ends à la maison...Ennuyeux ! Le soir<br />
Roselyne et Michel viennent souper.<br />
Dimanche 22 décembre (88)<br />
Début de journée trés difficile. Véro n'y croît plus et il faudra<br />
certainement faire intervenir le docteur A.. La période des fêtes<br />
avec de nombreux patients qui partent en week-end est difficile à<br />
vivre pour ceux qui sont en “prison”.<br />
L’après-midi et la soirée sont plus calmes mais notre<br />
inquiétude sur son moral est vive.<br />
Lundi 23 décembre (89)<br />
Eric monte avec Sonia. Véro a pu discuter avec le docteur ce<br />
qui l’a rasséréné.<br />
La suite nous dira si le moral revient de façon <strong>du</strong>rable. La kiné a dit<br />
à Véro qu’une personne qui supporte de rester à plus de 60 degrés<br />
sur la planche a de très fortes chances de pouvoir marcher.<br />
Monique et Roselyne ont téléphoné. Véro a répon<strong>du</strong> sans être<br />
submergée par les pleurs.<br />
Mardi 24 décembre (90)<br />
Eric et Nelly sont montés et doivent participer à un mini<br />
réveillon organisé par quelques pensionnaires. Le retour en<br />
chambre est prévu à vingt-deux heures. A la maison, pas de<br />
réveillon, coucher à vingt et une heures trente.<br />
Mercredi 25 décembre (91)<br />
Carmen nous a concocté un repas excellent que nous<br />
prenons dans le studio.<br />
55
Au déballage des cadeaux, deux nouvelles nous attendent, Une<br />
bonne : Véro souléve l’ensemble de sa jambe gauche à une bonne<br />
hauteur, une inquiétante : quand elle pleure, elle ressent un<br />
élancement violent dans sa tête depuis le front jusqu’à l’arrière !<br />
Pas de problème quand elle rit alors qu’elle subit aussi des<br />
contractions importantes. Ceci est apparu hier, peut être la<br />
conséquence de la <strong>du</strong>re journée d’hier où elle est restée assise dix<br />
heures. Véro panique aussi à l’idée d’être anesthésiée pour ôter la<br />
sonde, Eric en parlera au docteur en présence de Véro pour avoir<br />
un avis éclairé.<br />
L’air est trés doux et le soleil nous permet de profiter d’une<br />
promenade digestive bienvenue qui se déroule dans une bonne<br />
humeur. Je pense alors que Véro est en train d’accepter son<br />
séjour à Verdaich. Le soir elle se met dans la tête d’aller dans une<br />
chambre seule ce qui me met en transe. Je ne supporte pas ce<br />
genre de caprice et je lui dis aussitôt au revoir, laissant Eric régler<br />
le problème.<br />
J’espère que le docteur sera là demain pour avoir son avis<br />
sur ces élancements.<br />
Jeudi 26 décembre (92)<br />
Départ à St Hippo.<br />
vendredi 27 décembre (93)<br />
Samedi 28 décembre (94)<br />
Dimanche 29 décembre (95)<br />
Lundi 30 décembre (96)<br />
Aller-retour à Toulouse pour ôter la sonde gastrique. Eric<br />
récupère une lettre <strong>du</strong> docteur Z à Purpan. Diagnostic : Locked-in<br />
syndrome par occlusion <strong>du</strong> tronc basiliaire. Suivent l’historique<br />
des traitements, son évolution, son bilan à l’entrée à Verdaich, et<br />
ses perspectives d’évolution. Une phrase sybilline: “Il est à<br />
redouter un syndrome cérébelleux qui apparait d’ores et déjà au<br />
membre supérieur droit et altère le débit de la parole.”<br />
Mardi 31 décembre (97)<br />
56
Mercredi 1 janvier (98)<br />
Jeudi 2 janvier (99)<br />
Visite de Lisette, Véro prend son repas sans aide.<br />
Retour de St Hippo<br />
Vendredi 3 janvier (100)<br />
Visite groupée avec André et Ida, l’après-midi Ginette et<br />
Lisette nous rejoignent.<br />
Pique-nique dehors au soleil. Véro a subi un contrôle ORL :<br />
on lui recommande de boire épaissi pour éviter des micro- fausses<br />
routes qui pourraient aboutir à une infection pulmonaire. L’aprésmidi<br />
séance intensive de kiné pour rattraper le temps per<strong>du</strong> ce<br />
matin, le bras droit est lesté d’un poids de 200g. Au retour Véro est<br />
dotée d’un fauteur à cliquet pour se déplacer toute seule, elle se<br />
débrouille pas mal.<br />
Toujours cette idée fixe de venir en week end et de faire<br />
“tayaut” fin mars.<br />
Outre une nouvelle indépendance, ce moyen de locomotion<br />
va lui muscler le bras et le dos. Je demande si elle arrive à bouger<br />
légèrement au lit Véro pense que cela ne devrait pas tarder.<br />
Samedi 4 janvier (101)<br />
Eric et Sonia ont dormi sur place. Véro s’est fait chambrer<br />
par les kiné et les autres patients pour son piètre chrono dans le<br />
déplacement chambre- salle de rée<strong>du</strong>cation.<br />
Dimanche 5 janvier (102)<br />
Visite de Jeannette et Bernard. Véro pleure beaucoup à<br />
midi : elle se fait <strong>du</strong> souci pour son côté gauche. Elle n’a plus<br />
bougé le pied comme elle nous l’a fait à Noël.<br />
Je lui rappelle le discours <strong>du</strong> docteur A. qui nous a expliqué que<br />
l’organisme restaurait les fonctions les unes aprés les autres.<br />
57
Comme d’habitude, le soir elle a un meilleur moral. Elle se fait <strong>du</strong><br />
souci car la météo annonce des chutes de neige, je la rassure en<br />
lui disant qu’elle est à l’abri.<br />
Je m’interroge sur le fait que depuis une quinzaine de jours<br />
son accent et son débit de parole n’ont pas progressé.<br />
Lundi 6 janvier (103)<br />
Il neige à Carcassonne et à Verdaich. A neuf heures, je lui<br />
téléphone et elle me dit de rester à la maison. Un coup de fil à la<br />
MSA m’informe que les deux week end par mois sont acceptés.<br />
Appel au docteur A. : un syndrome cérébelleux est une<br />
atteinte <strong>du</strong> cervelet qui se caractérise par une imprécision des<br />
gestes et une altération <strong>du</strong> débit de la parole. Le scanner n’a<br />
montré aucune atteinte à ce niveau..<br />
Mardi 7 janvier (104)<br />
Je monte avec Sonia venue plaider sa cause pour la venue<br />
des cigalois le prochain week end. L’affaire est vite plaidée et le<br />
contre ordre donné à midi.<br />
Il fait froid et le soleil brille sur la neige, Véro est sortie à<br />
notre rencontre et n’a pas la force de remonter la pente pour<br />
rentrer, heureusement quelqu’un l’a aperçue avant qu’elle ne soit<br />
congelée.<br />
Le docteur lui a dit lors de la visite qu’elle pleurait moins et la<br />
kiné l’a assise pour la première fois. Véro avait peur de tomber<br />
surtout en levant la tête.<br />
Elle a un bon moral car la première sortie à la maison sont<br />
prévue pour ce week end.<br />
Mercredi 8 janvier (105)<br />
Pluie verglaçante, nous ne pourrons pas monter à Verdaich.<br />
Au téléphone Véro se plaint de l’ennui.<br />
Jeudi 9 janvier (106)<br />
Réunion avec l’équipe soignante : docteur, kiné, infirmière,<br />
orthophoniste, ergothérapeute, psychomotricienne, Eric et moi.<br />
58
Le docteur insiste à plusieurs reprises sur le fait que la<br />
qualité des soins prime sur l’intensité. La kiné fait le point de<br />
l’évolution avec un vocabulaire relatif à tous les dégrés de liberté<br />
des mouvements. J’ai retenu que la note 5 est réservée à une<br />
récupération totale et la note 3 à la capacité de vaincre la force de<br />
pesanteur. Côté gauche les membres sont au stade <strong>du</strong> réveil,<br />
coude, pouce, index, orteils. Les quelques levés de jambes<br />
effectués à Noël n’étant pas repro<strong>du</strong>ctibles ne sont pas pris en<br />
compte.<br />
A noter réflexes de défense lents mais bien présents pour se<br />
protéger des chutes lors des deux séances de station assise.<br />
L’orthophoniste travaille surtout la déglutition. Eviter les<br />
discussions au cours des repas. Véro peut boire liquide à la<br />
cuillère mais doit boire épaissi au verre. Sans le début de<br />
syndrome cérébelleux, elle pourrait boire sans épaissir parce que<br />
son mouvement de porter le verre à la bouche serait plus précis,<br />
moins brusque, mieux coordonné avec la glotte. Le syndrome est<br />
aussi perceptible au niveau de la jambe droite. Le docteur nous dit<br />
que cette manifestation est <strong>du</strong>e au fait que le cervelet a<br />
légèrement souffert. Les manifestations au niveau de la parole et<br />
des gestes ne sont récupérables que par la réé<strong>du</strong>cation si c’est<br />
pris trés tôt.<br />
L’ergothérapeute, ne connait pas encore Véro et va la<br />
prendre en charge à compter de ce jour (jusqu’à présent c’est la<br />
kiné qui la suppléait).<br />
La psychomotricienne va la prendre également en charge<br />
aujourd’hui. Véro demande si elle pourra travailler en piscine. Se<br />
pose en premier lieu le problème de la continence, ensuite c’est la<br />
psychomotricienne qui fera l’essai, sachant que dans certains cas<br />
la piscine permet de mieux travailler mais il arrive qu’il y ait un effet<br />
contraire avec manifestation d’une spasticité de tous les muscles.<br />
Le docteur re-rappelle que ce n’est pas la quantité de soins qui<br />
prime.<br />
Nous parlons de l’idée fixe qu’a Véro de partir fin mars. Le<br />
docteur lui demande pourquoi. « Verdaich c’est loin et je serai à la<br />
maison, j’irai à l’hôpital ».<br />
Eric, Véro et moi nous retirons laissant l’équipe soignante<br />
faire le bilan.<br />
Vendredi 10 janvier (107)<br />
59
Au repas de midi, je demande à Véro de manger lentement<br />
en s’appliquant pour maîtriser son geste. Elle me demande d’ôter<br />
son espadrille gauche pour me montrer que ses orteils bougent à<br />
la demande.<br />
Je l’ai récupérée en arrivant aprés la séance d’orthophonie.<br />
Elle a passé trois quarts d'heure à discuter avec l’orthophoniste.<br />
Cette dernière me demande si son caractère a changé à la suite<br />
de l’accident. En fait toute l’équipe s’interroge sur l’attitude de Véro<br />
qui est totalement illogique, en se fixant une date de sortie et non<br />
pas un niveau de récupération. Je lui dis qu’elle n’a pas changé :<br />
quand elle se met quelque chose en tête, elle a un comportement<br />
enfantin, capricieux et met tout en oeuvre pour arriver à ses fins<br />
sans mesurer et prendre en compte les conséquences de ses<br />
actes. Je lui dis aussi que je compte sur les sorties de week-end et<br />
sur le temps pour la laisser évoluer, sachant que de notre côté,<br />
nous sommes parfaitement conscients qu’elle ne peut pas être en<br />
de meilleures mains. L’équipe compte aussi sur les sorties et<br />
l’orthophoniste me renouvelle le souhait d’avoir un petit compte<br />
ren<strong>du</strong> sur la façon dont le week-end se sera déroulé.<br />
Après-midi kiné, station debout. Les muscles <strong>du</strong> dos et des<br />
jambes souffrent. Commentaire : « Je croyais avoir plus de force<br />
dans les jambes ».<br />
A dix-sept heures : prise de contact avec l’ergothérapeute,<br />
qui lui demande ce qui la gêne le plus. Réponse : la couche. Véro<br />
lui demande si elle peut avoir un fauteuil électrique.<br />
Samedi 11 janvier (108)<br />
Arrivée sans encombre vers quatorze heures. Mécontente de<br />
n’avoir pas pu aller au kiné le matin parce que les aides soignants<br />
n’ont pas voulu l’habiller. Aprés midi sans problème. Romi a<br />
commencé à la ré-adopter, visite de Thierry, Corinne, Fred et<br />
Sophie, quelques pleurs à la venue de Mme Rabahi. Thierry nous<br />
a expliqué comment s’y prendre pour la mettre à la chaise percée.<br />
Nous complétons notre formation d’aides soignants. Véro se<br />
comporte comme si elle revenait d’un court voyage.<br />
Le matin j’ai passé un coup de fil à la famille XX pour leur<br />
présenter nos vœux.<br />
Dimanche 12 janvier (109)<br />
60
Journée sans problème, beaucoup de visites, toute la famille<br />
Agnoletto, et surtout le docteur A. qui a passé une grosse heure à<br />
répondre à ses questions et à lui recommander de rester à<br />
Verdaich tant qu’elle progresse. Le docteur l’interroge pour savoir<br />
ce qu’elle pensait avant que l’on utilise l’alphabet pour<br />
communiquer.<br />
Si on la met à la chaise percée quand elle sent le besoin, elle<br />
n’a pas besoin de couche.<br />
J’appelle maman pour qu’elle entende la voix de Véro.<br />
Lundi 13 janvier (110)<br />
Juste quelques pleurs au moment d’embarquer, le soir au<br />
téléphone, elle a un bon moral.<br />
Mardi 14 janvier (111)<br />
Essai <strong>du</strong> fauteuil électrique. Nous parlions de Toulouse et<br />
elle nous raconte qu’elle aurait voulu nous dire des choses<br />
pratiques pour la vie de la famille : penser à payer les impôts,<br />
penser à faire la déclaration à l’assedic...<br />
Le kiné la fait travailler assise à califourchon sur une planche,<br />
elle la pousse d’un côté et de l’autre pour que Véro récupère son<br />
équilibre.<br />
Mercredi 15 janvier (112)<br />
Anniversaire de Véro. Nous partageons la galette des rois.<br />
En discutant on s’aperçoit qu’elle se souvient de beaucoup de<br />
choses à Toulouse.<br />
Maintenant que les risques sont un peu éloignés, j’ai<br />
tendance à être plus impatient que son état progresse et la vie<br />
normale reprend sa place. N’étant plus indispensable je pense aux<br />
bricoles qui m’attendent à St Hippo. Je ne continuerai cette<br />
rubrique qu’occasionnellement quand des progrés significatifs<br />
seront observés.<br />
Jeudi 16, vendredi 17 (114)<br />
Eric est monté à Verdaich. Jeudi Véro a tenu debout<br />
quelques instants sans aucune aide, elle est trés contente.<br />
61
Samedi 18, dimanche 19, lundi 20 (117).<br />
Mardi 21 janv. (118)<br />
Dimanche, je vais chercher maman pour midi.<br />
Mercredi 22 janv. (119)<br />
Véro est en bonne forme, elle me donne le jeudi et je<br />
monterai vendredi. Son côté gauche commence à bien démarrer.<br />
Elle nous apprend que son visage côté gauche était insensible,<br />
comme quand on endort une dent, elle ne m’avait parlé que <strong>du</strong><br />
bout de la langue.<br />
La kiné la fait passer de la position assise à la position<br />
couchée et se rasseoir en rampant sur le dos (comme un ver)<br />
pour remonter contre un plan incliné. Cet exercice va lui muscler<br />
le dos et les reins, c’est bon pour la marche.<br />
Je prognostique qu’elle pourra se tourner dans son lit le 30<br />
janvier et qu’elle fera ses premiers pas fin février<br />
Jeudi 23 janv. (120) pas de visite<br />
Vendredi 24 janv. (121)<br />
Véro est en bonne forme, elle a pris son petit déjéuner toute<br />
seule. Elle a réussi à décoller légèrement les fesses <strong>du</strong> fauteuil en<br />
forçant contre le dossier et en s’aidant <strong>du</strong> bras droit en appui sur<br />
l’accoudoir.<br />
Véro a dit à la kiné : papa m’a dit que fin février il fallait que<br />
je tienne sur mes jambes. Elle lui a répon<strong>du</strong> : je ne veux pas te<br />
faire pleurer.<br />
Je pense que le processus suivi pour l’amener à tenir debout<br />
est le suivant :<br />
- verticalisation à la planche.<br />
- tenir debout avec le poids <strong>du</strong> corps sur les jambes.<br />
- tenir la position assise sur un plan.<br />
62
- de la position assise faire le mouvement pour se lever<br />
comme si on voulait partir en se penchant vers l’avant pour<br />
progressivement décoller les fesses et se déployer.<br />
L’ergothérapeute est agréablement surprise de voir la solidité<br />
de la position assise. Elle décide de l’équiper d’un nouveau<br />
fauteuil à pilotage par cercle pour favoriser la projection <strong>du</strong> buste<br />
vers l’avant, le fauteuil actuel à bras de levier obligeant à une<br />
extention vers l’arrière pour se mouvoir<br />
Je déconseille à Véro de demander à changer<br />
d’orthophoniste car celle-ci fait tout pour lui être agréable même si<br />
elle ne s’y prend pas bien. Cette demande risque de créer un<br />
malaise au sien de l’équipe dont elle serait la première victime.<br />
L’orthophoniste lui a préparé un papier : « C'est neurologique,<br />
laissez-moi, merci » pour montrer dans le cas où elle pleurerait<br />
afin qu’on ne l’ennuie pas avec des discours inutiles. Véro l’a<br />
montré à la kiné qui lui a dit de se le faire tatouer sur le front.<br />
Véro me raconte les petites anecdotes de la salle de<br />
réé<strong>du</strong>cation où elle a l’air de se marer.<br />
Samedi 25 janv. (122)<br />
Dimanche 26 janv. (123)<br />
Lundi 27 janv. (124)<br />
Avant le départ, une première : Véro pilote son majeur<br />
gauche. L’après-midi, avec la kiné, elle soulève légèrement ses<br />
fesses en forçant sur la tête et sur ses jambes.<br />
Mardi 28 janv. (125)<br />
Véro est en bonne forme, calme, elle ne pleure pratiquement<br />
plus. On discute tranquillement <strong>du</strong> futur. Elle n’est plus butée sur<br />
la date de fin mars et envisage sans problème fin juin. Elle a<br />
suggéré à la psychomotricienne d’habiller le stylo avec <strong>du</strong><br />
sparadrap pour éviter qu’il ne glisse : astucieux !<br />
A treize heures elle a mal à la jambe gauche, la kiné lui dit<br />
que c’est peut être bon signe. Au standing, Véro se rend compte<br />
que sa jambe gauche ne supporte pas son poids pour le moment.<br />
63
Demain, l’ergothérapeute viendra voir comment elle s’y prend<br />
pour faire sa toilette.<br />
Mercredi 29 janv. (126)<br />
Visite des Sourouille. Véro décide d’attaquer le régime pour<br />
éviter de prendre <strong>du</strong> poids qui serait préjudiciable à sa<br />
réé<strong>du</strong>cation. Avec Carmen, nous avons vu une conseillère sociale<br />
qui a l’air d’une personne qui connait son travail. Nous avons parlé<br />
d’aides pour subvenir au forfait journalier auprés de la MSA mais il<br />
faudra pro<strong>du</strong>ire les factures donc on fera cela aprés coup, d’aides<br />
pour aménager sa maison.<br />
Véro progresse bien côté gauche, si on lui soutient l’avant<br />
bras, elle a une bonne force pour l’écarter ou le ramener vers elle.<br />
Jeudi 30 janv. (127)<br />
Vendredi 31 janv. (128)<br />
Nouvel exercice de la kiné : assise à l’équerre, les mains<br />
jointes il faut tourner les épaules à droite puis à gauche sans<br />
perdre l’équilibre. Pour le moment Véro n’y arrive pas.<br />
L’orthophoniste lui fait passer des tests de logique ?? Peutêtre<br />
pense-t-elle qu’elle n’a pas toute son idée…<br />
Nous sommes fin janvier, je me demande où nous en serons<br />
dans un mois. Se tourner dans le lit, se transférer <strong>du</strong> fauteuil au lit,<br />
se tenir droite...<br />
Véro me dit qu’elle a encore la joue gauche <strong>du</strong> coin de la lèvre<br />
jusqu’en dessous de l’oeil qui est endormie, par contre le maxillaire<br />
inférieur est tout à fait réveillé.<br />
La psychosomaticienne lui a dit que le syndrome cérébelleux<br />
était beaucoup moins important qu’ils ne le pensaient quand ils<br />
l’ont décelé.<br />
Samedi 1 février (129)<br />
dimanche 2 février (130)<br />
Lundi 3 février (131)<br />
64
La kiné qui suit Véro habituellement étant absente, la kiné qui<br />
a pris le relais l’a mise debout, Véro se tenant d’une main à<br />
l’èpaule de la kiné.<br />
Mardi 4 février (132)<br />
La kiné habituelle de retour, elle accompagne Véro pour<br />
passer de la position debout à assise puis couchée.<br />
Mercredi 5 février (133)<br />
jeudi 6 février (134)<br />
Vendredi 7 février (135)<br />
Formation pour les transferts par la kiné qui me dit que Véro<br />
fait de très gros progrès.<br />
On demandera au docteur s’il est possible de partir le vendredi<br />
soir.<br />
Samedi 8 février (136)<br />
dimanche 9 février (137)<br />
lundi 10 février (138)<br />
Avec la technique de transfert <strong>du</strong> kiné Véro se lève vraiment<br />
toute seule. Elle a pris son premier repas assise sur une chaise.<br />
Lundi sombre, Verdaich n’autorise pas le dèpart le vendredi<br />
soir : pleurs abondants.<br />
Mardi 11 février (139)<br />
Je suis obligé de secouer Véro qui ne se remet pas <strong>du</strong> refus<br />
d’hier. Je lui rappelle qu’à son âge, elle devrait savoir et admettre<br />
que dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut, et qu’il est<br />
temps qu’elle se prenne en charge.<br />
Mercredi 12 février (140)<br />
65
Je commence à la préparer à l’idée qu’en mars je ne monterai<br />
que le mercredi.<br />
Jeudi 13 février (141)<br />
Vendredi 14 février (142)<br />
Contrôle de la déglutition : il faut continuer à épaissir les<br />
liquides car elle fait toujours des fausses routes silencieuses avec<br />
les liquides. Tout se passe bien dès qu’elle avale un pro<strong>du</strong>it qui a<br />
la consistance d’un yaourt. Je suis déçu car je pense qu’ils la<br />
feront manger au réfectoire quand la déglutition sera OK. Quand<br />
une petite partie <strong>du</strong> liquide est orientée vers les poumons ce<br />
dernier ne provoque pas de toux ! Je pense que cela est dû au fait<br />
qu’une partie de la face n’a pas retrouvé toute la sensibilité. Véro<br />
me dit que la moitié gauche <strong>du</strong> palais est peu sensible, que<br />
l’extrémité de la langue a retrouvé sa sensibilité mais que la<br />
langue entière est un peu gourde.<br />
Le soir elle se met aux mots croisés et le temps avant le<br />
repas passe vite.<br />
Elle n’a pas encore la force de soulever une bouteille d’eau<br />
minérale pleine avec le bras droit. Par contre elle commence à<br />
soulever son coude gauche. Aux espaliers, sa kiné lui a fait<br />
travailler la flexion des jambes sans arriver au vérrouillage des<br />
genoux en position haute. Véro me dit que ja jambe gauche<br />
commence à la porter, c'est-à-dire que son genou gauche se<br />
verrouille en extension.<br />
Samedi 15 février (143)<br />
Dimanche 16 février (144),<br />
lundi 17, mardi 18, mercredi 19, jeudi 20<br />
Vendredi 21 février (149)<br />
Inconsolable à midi car le docteur lui a demandé de changer<br />
de place dans la chambre.<br />
Véronique a commencé à lui apprendre à tousser le matin et, pour<br />
la première fois je l’entends tousser.<br />
66
Véro me dit que si elle boit liquide elle tousse. Je pense que<br />
c’est un signe très positif, qu’elle retrouve un début de sensibilité au<br />
niveau de la trachée artère.<br />
La kiné lui a recommandé de ne pas marcher avec le<br />
déambulateur et elle lui a montré comment passer de la station<br />
couchée à la station assise. Se mettre sur le côté droit, sortir les<br />
jambes dans le vide puis utiliser le contrepoids des jambes et la<br />
poussée <strong>du</strong> bras droit pour basculer en position assise.<br />
Vendredi 14 mars<br />
Véronique a fait 15 mètre en marchant sans se tenir.<br />
Mon vécu vu par ma famille<br />
Pour mon mari et mes enfants, ce fut quasiment la descente en<br />
enfer. Ils ne pouvaient pas penser à ce que le futur leur réservait. Quand<br />
les pompiers m'emmenèrent aux urgences de l'hôpital, Eric fut obligé de<br />
me laisser, et il <strong>du</strong>t rentrer pour la nuit. Le lendemain, mon mari venait<br />
me voir, pensant à une grosse migraine comme on lui avait dit la veille,<br />
et quand il arriva, il fut reçu par un "comité d'accueil" composé d'environ<br />
six personnes. Ce qui étonna mon mari, au premier abord, fut la<br />
présence de ma cousine, Corinne, infirmière en Cardiologie à l'hôpital.<br />
En effet, elle était enceinte et était en congé maternité : elle n'avait rien à<br />
faire là. Elle le considéra un moment avant de lui dire : "Viens par-là, il<br />
faut que je te parle. C'est grave, très grave !!! Prépare-toi au pire…" Eric<br />
rentra dans la pièce qu'on lui indiquait. Il se trouva en présence d'un gros<br />
malabar, prêt à intervenir en cas de réaction violente de sa part. Les<br />
professeurs dirent à mon mari que mon départ pour Toulouse était<br />
imminent et ils lui conseillèrent de m'embrasser au cas où il ne me<br />
verrait plus. Mes parents attendaient l'ambulance, prêts à me suivrent<br />
sur Toulouse. Mon mari ne pouvait pas venir, il fallait bien que quelqu'un<br />
reste avec les enfants, assez désorientés.<br />
67
Par la suite il venait dés qu'il pouvait, dés que le travail lui permettait de<br />
prendre un quartier libre. Les enfants, eux, venaient le mercredi, jour<br />
sans école. Il ne fallait pas tout laisser tomber.<br />
A mon arrivée à Toulouse, je fus réceptionnée par le professeur X<br />
qui m'examina. Il appella mon mari, lui disant qu'ils allaient m'opérer<br />
avant cinq heures. L'attente à la maison parue interminable. Résultat :<br />
on rappelle mon mari pour lui dire qu'on ne m'opérait pas, le caillaux<br />
s'étant résorbé. Quel soulagement !!!<br />
Mes parents rejoignèrent le reste de la famille, et dinèrent en relatant les<br />
faits. Les médecins leur avaient dit : "il faut compter quinze jours<br />
décisifs, pendant lesquels elle est sur le fil d'un rasoir. A tout moment,<br />
elle peut basculer d'un coté comme de l'autre." Il fallait garder espoir….<br />
facile à dire, avec le recul…<br />
Commença alors le défilé des visites, précédées d'une longue<br />
attente. Ils pouvaient me voir de onze heures à treize heure, et de dixsept<br />
heures à dix-neuf heures. Entre-temps, poireautage sur le parking<br />
de l'hôpital. Charmant comme distraction !!!!<br />
Mais avaient-ils le choix ?<br />
Les départs et les retours étaient accompagnés d'un lourd silence à<br />
chaque fois. Le retour à la maison n'était pas gai !!! Le soir était occupé à<br />
parler des impressions de la journée. Garder espoir, toujours garder<br />
espoir…Continuer à vivre malgré tout.<br />
Le travail et l'école leur changeaient les idées, ils en avaient besoin !!!Et<br />
de ce fait, ils y allaient avec un certain plaisir.<br />
Mais dans sa tête, Eric n'attendait que le week-end pour me voir. Même<br />
sans réponse de ma part, Eric me tenait au courant de la vie<br />
quotidienne. Il essayait toujours de faire "bonne figure" au travail et à la<br />
maison. Les voisins m'ont raconté à ce propos qu’il venait souvent chez<br />
eux pour pouvoir pleurer sans être vu des enfants. Il faut rester digne !!!<br />
Le gros soulagement intervint surtout quand je fus rapatriée sur<br />
Carcassonne. Là, tout le monde pourrait enfin profiter de tout le monde.<br />
Pour moi aussi, c'était la joie.<br />
Le programme des journées était régulier : Lever, boulot ou école,<br />
hôpital, diner, boulot ou école, hôpital, souper, coucher. Mon père venait<br />
dormir dans ma chambre la semaine et le vendredi soir et le samedi soir<br />
Zozo, c'est le petit nom que je donne à Eric, prenait le relais. Les soirées<br />
à la maison étaient plus décontractées : j'étais à Carcassonne, pas très<br />
loin, et "en vie". Un souci de moins !!!!<br />
68
Les journées étaient ponctuées de mes éventuels progrès. Le soir en<br />
rentrant, depuis le début de mon accident, mon père tenait un carnet de<br />
bord à l'ordinateur, car il est vrai, qu'au fur et à mesure <strong>du</strong> temps, on<br />
oublie. Beaucoup de choses me reviennent en mémoire ainsi. Des<br />
choses dont je me rappelle mais que j'oublierai facilement de raconter.<br />
Le prochain soulagement fut mon départ pour Verdaich : il y avait un<br />
espoir que les choses s'améliorent. L'éloignement était difficile à vivre<br />
pour tout le monde, mais c'était une nécessité, un passage obligatoire<br />
pour ne pas rester un légume. Mon départ de Carcassonne eu lieu en<br />
ambulance, avec Eric à coté de moi. A l’arrivée, Eric <strong>du</strong>t remplir un<br />
certain nombre de formalités administratives avant de me rejoindre dans<br />
ma nouvelle chambre. Pour moi aussi, tous les espoirs pointaient à<br />
l'horizon. Je misais beaucoup sur cet éloignement forcé. Ma première<br />
impression fut une prise de conscience <strong>du</strong> malheur qui pouvait exister.<br />
J'espérais vraiment faire des progrès. Ne pas rester dans cet état. Il est<br />
vrai que je suis arrivée parmi les plus mal fichues, mais j'ai eu la chance<br />
de partir parmi les mieux portantes. Je reconnais que j'ai subi un vrai<br />
MIRACLE. Là-bas mon vrai problème était que je n'avais aucune envie<br />
de me méler aux autres handicapés. Je ne supportais pas de me<br />
retrouver avec eux.<br />
Mais malgré tout je me suis fais une amie, ma voisine de chambre, H.Ca<br />
été ma compagne de galère, mais malgré notre galère ensemble, elle<br />
m'a tourné le dos. Je suppose que c'est la mentalité de Toulouse. Mais<br />
qu'elle ne me rappelle jamais ! Je la recevrai, et elle ne sera pas déçue<br />
<strong>du</strong> voyage. Moi, je suis comme ça. Quand je donne mon amitié c'est à<br />
deux cent pour cent, et je ne supporte pas qu'on me joue un mauvais<br />
tour. Je suis rancunière. Pour ma famille, c'était rassurant de me savoir<br />
en ces lieux et tous les espoirs étaient permis. Mon mari créa de<br />
véritables liens avec ma kiné, qui lui rendait compte <strong>du</strong> moindre progrés<br />
de ma part. Dès que je lui annonçais la venue d'Eric, elle savait qu'elle<br />
allait être assaillie de questions. Comment monter des marches ? Quand<br />
pourrais-je recon<strong>du</strong>ire ? …<br />
Il me revient en mémoire une réflexion de mon fils, Lionel, la première<br />
fois qu'il m'a vu marcher aux barres toute seule. Il m'a dit : "tu marches<br />
comme un robot". Cette réflexion me restera en mémoire pendant<br />
longtemps, je crois. Mon mari, par contre trouvait ça merveilleux de me<br />
voir debout comme avant, il était impressionné de voir ma progression,<br />
tel un enfant qui commence à marcher. Pour lui, c'était merveilleux de<br />
me voir après ces sombres périodes d'incertitudes concernant mon<br />
avenir. C'est comme une renaissance. Il n'hésitait jamais, dés que le<br />
boulot le lui permettait, à monter me voir, par tous les temps. Mais à<br />
Verdaich, on ne peut pas dormir dans la chambre avec le malade, il<br />
69
fallait louer un studio attenant au bâtiment. Ce n'était pas un problème :<br />
on payait. Quand on y repense, c'est quand même des "fumiers"de<br />
profiter des séjours des malades ( comme si on y allait pour le plaisir )<br />
pour louer un appart' à la famille. Enfin, bref…. Sans commentaire.<br />
Voilà !!! Ce n'est pas que ma famille était rassurée de me savoir là,mais<br />
pour eux, j'étais dans les meilleures mains possibles, aussi, ils pouvaient<br />
un peu relacher la pression. Le futur allait faire son travail.<br />
Petit récapitulatif<br />
principales étapes de l'odysée de Véro<br />
1 26 sept. accident vasculaire cérébral<br />
2 27 sept. transfert vers Purpan<br />
7 02 oct. scanner confirme la gravité<br />
8 03 oct. trachéotomie<br />
17 12 oct. première visite sans assistance respiratoire<br />
18 13 oct. étiquette "conscience normale"<br />
22 17 oct. première nuit passée sans l'aide <strong>du</strong> respirateur<br />
22 17 oct. pose de la sonde gastrique<br />
22 17 oct. début de la déglutition<br />
23 18 oct. Véro cherche <strong>du</strong> regard son système d'alimentation<br />
23 18 oct. elle serre la main droite<br />
25 20 oct. elle plie légèrement la jambe droite<br />
26 21 oct. Arrivée à Carca. Dr A. nous parle <strong>du</strong> L.I.S.<br />
27 22 oct. pose de la canule à clapet, premiers sons de voix<br />
30 25 oct. première nuit avec le clapet de la trachéo fermé<br />
70
30 25 oct. trés grosse inquiétude quant à son inertie je fais le<br />
"bilan"<br />
30 25 oct. première entrevue avec Lionel (2 secondes)<br />
34 29 oct. assise 5mn au bord <strong>du</strong> lit Lionel est chez lui<br />
dans la chambre<br />
34 29 oct. première cuillerée de compote elle rebouge son<br />
bras et sa jambe droite<br />
38 02 nov. premier éclat de rire (philippe)<br />
39 03 nov. Elle baragouine un langage incomprehensible mais<br />
c'est toujours ça!<br />
40 04 nov. Assise 20 mn au fauteuil<br />
43 07 nov. Rire quand Lionel tire la langue<br />
45 09 nov. Première communication avec l'alphabet<br />
49 13 nov. Je m'aperçois que Véro ne sait pas respirer par la<br />
bouche<br />
50 14 nov. Mercredi" prononcé distinctement, c'est le jour de<br />
retour <strong>du</strong> dr A<br />
51 15 nov. Premier petit déjeuner installation <strong>du</strong> réveil<br />
54 18 nov. Visite chez M.XX<br />
55 19 nov. Première sortie de la chambre en fauteuil<br />
56 20 nov. Visite des codou et des lopez<br />
57 21 nov. Ch1 arrêt de la nourriture par la sonde<br />
58 22 nov. Premier cafè<br />
58 22 nov. On apprend le départ vers Verdaich pour mercredi<br />
prochain et la visite à la maison dimanche<br />
60 24 nov. Visite à la maison, elle gonffle les joues, elle<br />
touche le nez<br />
63 27 nov. Transfert à verdaich -- ON comprend pratiquement<br />
tout ce qu'elle dit<br />
66 30 nov. Véro serre Lionel dans ses bras<br />
68 2 déc. Verticalisation 30°<br />
69 3 déc. Gonfle les joues<br />
71 5 déc. Verticalisation 40°<br />
71
75 9 déc. Elle arrive à se gratter le bout <strong>du</strong> nez et" jongle"<br />
avec la télécommande.<br />
76 10 déc. Verticalisation 60°<br />
79 13 déc. Verticalisation 70°<br />
81 15 déc. Transfert en chambre<br />
83 17 déc. Le pouce gauche fonctionne et le genoux bouge<br />
91 25 déc. Elle soulève la jambe gauche en guise de cadeau de<br />
Noël<br />
96 30 déc. Sonde gastrique ôtée<br />
97 31 dév. Premier repas pris seule<br />
100 3 janv. Fauteuil à cliquet<br />
104 7 janv. Station assise premier essai<br />
106 9 janv. Premier point avec l'équipe soignante.<br />
108 11 janv. Première sortie à la maison.<br />
113 16 janv. Debout quelques instants sans aide<br />
Voilà mon histoire, mon "chemin de croix", qui est assez ar<strong>du</strong>!!!,<br />
Comme le dit le guérisseur que je vois actuellement ! J'espère qu'elle<br />
n'aura pas été trop rébarbative !!! En tout cas, j'aimerais que beaucoup<br />
la connaisse, car c'est en quelque sorte, une lueur d'espoir. Il faut se<br />
dire que tout est possible, tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.<br />
Je remercie tous ceux qui ne m'ont pas abandonnée à mon sort, les<br />
autres, tant pis !!! Ils se reconnaitront tout seul. En tout cas, il faut<br />
reconnaître que c'est dans ces situations là qu'on voit sur qui on peut<br />
compter. Il y en a certains que j'attends de rencontrer !!! Il n'y a que les<br />
montagnes qui ne se croisent jamais.<br />
72
Maintenant<br />
Un an après, je suis presque la jeune femme d'avant.<br />
Je reste quand même un minimum handicapée. Surtout au niveau<br />
de la marche, je manque principalement d'équilibre. Sinon, sur les<br />
jambes, je me sens stable. Je fais <strong>du</strong> vélo d'appartement, j'arrive à faire<br />
deux ou trois pas toute seule, je fais ma toilette seule, je mange seule, je<br />
me chausse seule, je vais aux toilettes seule…mon vrai point faible, c'est<br />
le bras gauche, je n'arrive pas à le lever comme le droit. J'espère bientôt<br />
con<strong>du</strong>ire : d'ailleurs, je viens d'acheter une voiture automatique. J'ai <strong>du</strong><br />
mal à me coiffer, mais j'espère que ça viendra ! Je me donne un an pour<br />
me débrouiller vraiment seule. J'espère. On verra. Ce week-end, j'ai<br />
même fais le repas. Ca fait plaisir de se débrouiller ! Je vous donne<br />
rendez-vous dans un an pour le résultat final…<br />
A part ça, je suis écoeurée de voir certaines choses. En effet, je<br />
n'ai droit à rien. Pas droit à une auxiliaire de vie, à une personne pour<br />
amener et chercher le petit à l'école. Je suis obligée de le mettre à la<br />
garderie et à la cantine, le pauvre il passe à l'école, dix heures par jour.<br />
Du fait de l'accident, je ne suis plus au chômage, je suis en longue<br />
maladie, de ce fait, mes revenus ont diminués de deux tiers, et avec la<br />
cantine et la garderie, je vois mes dépenses augmenter. C'est<br />
dégueulasse !!! C 'est malheureux à dire mais, dans notre pays, il faut<br />
être étranger ou vieux, sinon on a droit à rien.<br />
Aujourd'hui, ça fait un an que j'ai eu l'accident. C'est un<br />
anniversaire qui n'est pas très gai, mais il faut bien y passer. Je ne peux<br />
pas m'empêcher de ressasser cette date, de penser à ce jour maudit où<br />
ma vie a basculé. Ca me semble encore incroyable !!! Aujourd'hui, je ne<br />
veux pas rester seule. J'ai ma fille Nelly jusqu'à dix heures, à dix heures<br />
moins le quart je vais chez l'orthophoniste et, après je vais chez mes<br />
voisins, L’après-midi ma tante, Ginette, vient à la maison.<br />
Le <strong>du</strong>r cap est passé, nous sommes le 29 septembre 2003. Ce<br />
week-end j'ai eu deux cadeaux "d'anniversaire", alors que nous<br />
mangions chez Fred et Sophie. J'ai eu un crêpe party téfal, et un chien<br />
avec un écriteau "bienvenue" au dessus de lui. C'est une petite attention<br />
de Fred et Sophie, car ils savaient que j'apréhendais cette journée.<br />
73
Sinon il faut dire que ce 26 septembre 2003, j'ai eu peur, une peur<br />
panique, jusqu'au soir à 21 heures, après ça allait mieux. Le lendemain<br />
je n'arrêtais pas de bailler, et ma fille, Sonia, m'en fit la remarque. Je lui<br />
dis, le plus naturellement <strong>du</strong> monde, "c'est que je décompresse <strong>du</strong><br />
stress d'hier".<br />
Aujourd'hui, nous sommes le 6 octobre 2003, je suis assez dépitée,<br />
figurez-vous que j'ai demandé à ma voisine de venir me chercher quand<br />
elle a fini son travail à la maison. Et bien, ça fait deux heures et j'attends<br />
toujours. Il y a des moments où l'on sent qu'on est un fardeau, où on a<br />
l'impression d'être un poids mort. Si elle espère que je me tournerai vers<br />
elle, à l'avenir, elle se met le doigt dans l'œil. Enfin, ce n'est pas grave !!!<br />
On s'habitue !!!<br />
C'est <strong>du</strong>r, psychologiquement, d'être un handicapé, il y a des moments<br />
où on a tendance à l'oublier. Mais les événements se font un malin<br />
plaisir de vous le rappeller. On a beau vouloir oublier, c'est impossible !!!<br />
Aujourd'hui, nous sommes le 9 octobre 2003, et, il faut que j’aille<br />
au kiné, ça me fait vraiment suer. Je n'en ai pas envie. Ca me gonfle !!!.<br />
Comme les autres jours, je vais passer une heure aux barres, c'est<br />
franchement saoûlant. Mais enfin, a-t-on le choix ?<br />
Aujourd'hui, nous sommes le mercredi 29 octobre 2003, nous<br />
sommes allés à Lourdes. Quand j'étais à l'hôpital de Carcassonne, une<br />
amie de ma mère a conjuré mes jambes et a dit, dans sa prière : "si elle<br />
s'en sort, elle viendra à Lourdes". Ce déplacement est plus symbolique<br />
qu'autre chose. J'ai brulé un cierge, je crois que c'est une chose que je<br />
devais faire !!! En fait, je suis loin d'être une grenouille de bénitier, mais<br />
je dois reconnaître qu'il doit y avoir un bon Dieu là-haut. J'en suis la<br />
preuve vivante…je crois !!!….<br />
Aujourd'hui, nous sommes le 15 novembre 2003, et devinez quoi ?<br />
J'AI CONDUIT !!!! C'est incroyable, mais j'ai con<strong>du</strong>it le partner avec<br />
l'embrayage. C'est inoui !!!!!Le seul petit problème (si on peut dire)c'est<br />
que je dois prendre les rond-points comme une fourmi, car j'ai un peu de<br />
mal à tourner les bras rapidement. Les gestes sont encore un peu lents,<br />
mais c'est la première fois, il ne faut pas vouloir aller trop vite. Quoiqu'il<br />
en soit, je con<strong>du</strong>is une voiture normale. Je n'en reviens pas !!!!!!!<br />
74
Encore une fois je me dis qu'il ne faut jamais désespèrer rien en ce<br />
monde, je pense que vu mes progrés, il y a quelqu'un là-haut. Le débat<br />
reste ouvert….<br />
2005<br />
Beaucoup de choses ont changées, d’abord on n’est plus à<br />
Carcassonne. On est redevenus Cigalois (Habitant de st hippolyte-<strong>du</strong>fort)<br />
depuis le 18/12/2004. On a changés de maison, ven<strong>du</strong>e celle de<br />
Carcassonne et acheter une maison bourgeoise au centre <strong>du</strong> village,<br />
maison à deux étages, que je monte facilement avec une bonne rampe.<br />
Moi, j’ai la volonté de faire plus de tâches ménagères, je ne marche<br />
toujours pas seule dans la rue,<br />
75