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Avant Propos<br />

Introduction<br />

- 1 -<br />

T A BLE DES MAT 1 E RES<br />

-===============00================-<br />

." " ..<br />

...............................................<br />

Pages<br />

PREMIERE PARTIE (1" (1 " 6" III... .. • 9<br />

1 - METHODOLOGIE DES SOURCES ..,....................... 10<br />

ID) Les écrits des lettrés musulmans •••••••••••••• 10<br />

2 0 ) Les récits des explorateurs européens ••••••••• 12<br />

30) Les archives 00................... ]5<br />

4 0 ) L'enquête de tradition orale •••••••••••••••••• 18<br />

II - APERCU GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE .......................... 26<br />

AI Aperçu géographique III III .. • .. .. • • .. 26<br />

10) L'eau Il •••••••••••• ••••••••••• ••••••••••••• 26<br />

2°) Les pâturages •. Cl • • • • • • • •• • .. • • .. • • • • • • • • • • • ... 27<br />

30) La trypanosomiase .....•.........••..•...... 30<br />

BI Aperçu historique "."" c • • 30<br />

ID) Le Jelgooji et le Liptaako jusqu'à<br />

la fin du XIVè siècle ••••.•.••••••••••••••• 31<br />

2 0 ) La conquête mossi et l'expansion<br />

songhaï .......... 0 . 35<br />

l<br />

2


- II -<br />

3 D ) La situation du XVlè au XVlllè siècle •••••• 37<br />

a) Au Jelqooji "'II .. 011 III '" .. .. .. .. .... .. .. .. 37<br />

b) Au Liptaako li"" III "'. III li......<br />

39<br />

4 0 ) Les Peu 18 '" '" . '" III III III III '" 40<br />

DEUXIEME PARTIE ......... lJ ........ III • • .. • • .. .. .. .. • .. .. .. • .. .. .. .. .. .. • • .. .. .. • • .. .. .. • 45<br />

1 - LES RAPPORTS ENTRE PEULS ET POPULATIONS SEDEN­<br />

TAIRES JUSQU'A LA VEILLE DU JIHAD AU DEBUT DU<br />

XIXè 5IECLE "' ........ III .......... CI '" .. '" ........ li" '" .... CI" .. • • .. .. .. .... .. ... 46<br />

AI Origine et périodes des migrations •••••.••••••• 46<br />

BI Signification des migrations ••••••••••••••••••• 49<br />

10) Les Jelgoobe Il '" '" • .. .. .. 49<br />

2°) Les Feroobe 0.0".................... 54<br />

3 D ) Le delta intérieur du Niger<br />

aux XVllè - XVlllè siècles •.••••••••••••••• 57<br />

cl La conquête peule au Jelgooji et la<br />

situation au Liptaako 62<br />

10) La conquête au Jelgooji •••••••••••••••••••• 62<br />

a) Les Jelqoobe à la veille de la<br />

conquête 62<br />

b) La conquête 66<br />

2 0 ) La situation au Liptaako ••••••••••••••••••• 72<br />

II - LE JIHAD '" li '" '" " 79<br />

AI LI islamisation " D ••••••••••••••••••••• " • 79<br />

10) Oriqine des propaqateurs de l'Islam •••••••• 79<br />

2 0 ) Le degré d'islamisation ••••.••••.•••••••.•• 81


- IV -<br />

4 0 ) Le pouvoir local ...... Il D III III 160<br />

BI Au Jelgooji .......................... 0 , .. lSl<br />

II - L'ORGANISATION SOCIO-ECONOMIQIJE<br />

AI Les Peuls<br />

ID) L'aristocratie<br />

........ D III ..<br />

2 0 ) Les Peuls non aristocrates<br />

BI Les esclaves<br />

cl Les artisans et les griots<br />

DI Le commerce<br />

........................................<br />

.................... Il ..<br />

............................ Il Il ..<br />

•••••••• ODOO.O.O ••• e- .<br />

ID) Dori, centre commercial<br />

2 0 ) Au Jelgooji<br />

........................................ II' ..<br />

...................................... CI ..<br />

•• 0000 ••••• 000 11 •••<br />

CONCLUSION ............................................ Il III .. , 198<br />

DOCUMENTATION •••••••••••••••••••••••••••••• 0 •• 0 ••••••••••••<br />

t.<br />

-======000======-<br />

167<br />

168<br />

168<br />

171<br />

173<br />

177<br />

182<br />

18Z<br />

194<br />

203


AVANT<br />

- l -<br />

PRO P 0 S<br />

Ce travail Que nous siqnons, comme toute oeuvre de<br />

recherche, revêt dans une certaine mesure un caractère collectif.<br />

Beaucoup de personnes y ont contribué d'une façon ou d'une autre.<br />

Qu'il nous soit permis d'exprimer notre profonde reconnaissance<br />

au professeur Jean DEI/ISSE qui a accepté de diriqer ce travail,<br />

nous a soutenu et suivi sans défaillance. Nous tenons éqalement à<br />

remercier "1adame Claude Hélène Perrot dont le séminaire sur la<br />

méthodologie de la tradition orale que nous avons suivi au cours<br />

de l'année universitaire 1975-76, nous a été fort utile pour nos<br />

enquêtes sur le terrain.<br />

C'est le moment aussi d'adresser nos remerciements à<br />

toutes les personnes Qui nous ont aidé dans notre travail d'enquête<br />

au Jelgooji et au Liptaako et en particulier nos informateurs.


-9 -<br />

PRE MIE R E PAR T 1 E<br />

-============000=============-


- 23 -<br />

abattues lors des baptêmes révèlent également ces rapports. Certains<br />

jurons ont un contenu historique : "ganyo wuro hoowu talaata" (que<br />

l'ennemi de la communauté se marie le mardi). Le mardi est en effet<br />

un jour maudit au Jelgooji ; c'est le jour où les Maasinankoobe<br />

portant main forte à une famille aristocratique vinrent massacrer<br />

des dizaines de princes de la famille rivale. La toponymie, la<br />

parenté à plaisanterie (entre Jelgoobe et Jallube), les airs musi­<br />

caux (Fasuusi Usumaana Jeykare Hamma rune) sont également porteurs<br />

d'éléments historiques.<br />

C'est ainsi donc que nous avons mené le travail d'en­<br />

quête. Le problème de la rémunération de l'informateur s'est posÉ<br />

à nous. Pour certains chercheurs, il faut éviter de transformer<br />

la tradition orale en marchandise ; on pourrait susciter la tenta­<br />

tion de fabriquer de toutes pièces des traditions historiques.<br />

L'attitude de chercheurs disposant de grands moyens financiers<br />

provoque le "génocide ethnologique" et les chercheurs moins nantis<br />

pourraient en être victimes ; en effet au Liptaako, un chercheur<br />

américain a mené avant nous un travail d'enquête en matière de<br />

tradition orale et s'est montré particulièrement généreux à l'égard<br />

des informateurs. Un de nos informateurs avec lequel il a travaillé<br />

a exigé un minimum de 10 Fr (500 F.CFA) pour livrer l'information


- 24 -<br />

historique. Nous avons dO céder ; heureusement que ce ne fut pas<br />

l'attitude de la plupart de nos informateurs. A notre avis la ques­<br />

tion de rémunération ne doit pas être tranchée sans tenir compte de<br />

ce qui la soutend. Pourquoi y a-t-il une nécessité de rémunérer<br />

l'informateur? La réponse est que l'informateur ne se sent pas con­<br />

cerné par le travail du chercheur ; il ne perçoit pas en quoi la<br />

recherche historique peut lui rendre service. Il appartient au cher­<br />

cheur de faire saisir l'utilité de son travail à l'informateur. Dans<br />

notre cas grâce au travail d'explication beaucoup de nos informateurs<br />

ont senti la nécessité de nous livrer les renseignements dont ils<br />

disposent Bans exiger une rémunération qui nous aurait beaucoup<br />

handicapé compte tenu de nos lamentables moyens financiers (1), Nous<br />

nous sommes cependant efforcé de leur offrir quelques francs selon<br />

nos possibilités.<br />

Notre travail d'enquête a connu des limites liées au<br />

temps et aux moyens matériels dont nous disposions. Pour le sujet<br />

que nous traitons il nous aurait fallu mener les enquêtes dans le<br />

maximum de localités de la région en Haute-Volta et aussi au Maasina<br />

(Mali), à Sokoto (Nigéria). N'ayant qu'une année universitaire pour<br />

mener le travail nous n'avons pu étendre l'enquête qu'à quelques<br />

villages en dehors de Jibo et Dori ; de sorte que nous risquons d'avoir<br />

(1) Pour notre enquête nous disposions de 750 FF et de 850 FF<br />

à partir d'avril 1977 par mois.


- 25 -<br />

une vue partielle des choses j nous espèrons que des travaux ulté­<br />

rieurs d'autres historiens permettront de mieux cerner les questions<br />

que nous aurons à soulever.<br />

*<br />

* *


- 26 -<br />

II. APERCU GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE<br />

A - Aperçu géographigue<br />

Le Jelgooji qui comprenait deux chefferies, celles de Jibo<br />

et de Barbulle est inclus de nos jours dans la sous-préfecture de<br />

Jibo j le Jelgooji était limité approximativement au nord par le vil-<br />

lage de Tigne, au sud par Nogo, à l'ouest par Fétogoli village situé<br />

à l'ouest de Barbulle, à l'est par Bélèhèdé (1).<br />

Le Liptaako était limité à l'ouest par Bambofa, à l'est<br />

par la mare de Yatako, au nord par Lilengo et au sud par le village<br />

de Bani (2).<br />

Ces deux régions sont situées au nord de la Haute-Volta<br />

actuelle sur la partie sahélienne du territoire. Cette zone favorable<br />

à l'élevage a attiré les Peuls éleveurs qui y trouvent de l'eau et<br />

des pâturages pour entretenir les troupeaux le danger que représente<br />

la trypanosomiase pour le bétail y est moindre.<br />

10) L'eau<br />

La zone, située au nord de l'isohyète 700 mm reçoit envi,<br />

ron 400 à 650 mm de pluie par an (mi-juin, mi-septembre) j pendant la<br />

saison des pluies des bancs d'argile entravent la circulation de l'eau<br />

souterraine j en l'absence de tout cours d'eau permanent il se forme<br />

(1) Ba Tekka, Jibo 29.12/76<br />

(2) Bande Maaligi, Dori 19/05/77,


N<br />

1<br />

Source; SEPfOIT Yic:ktl. op. ci" p. \2<br />

900<br />

---------<br />

---<br />

Pluviosite el nombre de jours de pluie sur vinof ons (S. ASECNA)<br />

1- Isohyefes en mm/on<br />

,/ ......<br />

1 2<br />

o 90 km<br />

1 1 1 1 1<br />

2 - Lione joiononf les points ou nombre<br />

jours de pluie par on est indenfique


- 35 -<br />

A la fin du XlVI! siècle et au début du XVè siècle les con··<br />

quérants messi venus du nord de l'actuel Ghana envahissent la région<br />

correspondant au pays mossi actuel et font une poussée plus au nord<br />

dans la région du Liptaako et du Jelgooji ; vers la fin du XVè siècle<br />

Naba Rategeba fils de Naba Zoungrana créa le Ratenga dont la limite<br />

septentrionale atteignit 50 au nord de Mengao ; nous avons vu plus<br />

haut la poussée de Naba Guigma jusque dans la région de Dari capitale<br />

du Liptaako. Devant la conquête mossi les Oogon vaincus se replient<br />

à l'exception de quelques groupes, au nord-ouest dans la falaise de<br />

Bandiagara ; ils refoulent ainsi les populations qui y habitaient<br />

vers la zone qu'ils occupaient auparavant c'est-à-dire le nord de<br />

l'actuelle Haute-Volta. Certains chercheurs (1) assimilent ces popu­<br />

lations refoulées par les Dogon aux Kouroumba identifiés aux Tellem.<br />

Des études montrent cependant la différence entre les trois popula­<br />

tions Dogon, Kouroumba et Tellem ; Tellem qui vient de "Temmen" si­<br />

gnifie dans la langue dogon "nous les avons trouvés" (2). Ceci refute<br />

l'assimilation des Tellem aux Kouroumbe ; d'autre part les recherches<br />

archéologiques confirment la non existence de relation biologique<br />

nette entre Tellem et Kouroumba vivant à Roanga (3). On ne sait pas<br />

(1) DIETERLEN G., Colloque sur les cultures voltaïques. p. 35<br />

(2) BEDAUX op. cit. p. 155<br />

(3) idem ibidem. p. 112


- 36 -<br />

non plus où localiser les Tellem après le XVIè siècle; il se pourrait<br />

comme le remarque Bedaux (1) qu'ils aient été décimés puis dissous<br />

parmi les Kouroumba ou les Dogon.<br />

De ce que nous venons de dire il y a lieu de penser que<br />

les Dogon en s'installant dans la falaise auraient repoussé les Kou­<br />

roumba qui y habitaient en quelques endroits. Ces derniers rejoignent<br />

le nord de la Haute-Volta actuelle où existent déjà quelques groupes<br />

donc face au conquérant mossi f Dogon et Kouroumba eurent deux atti­<br />

tudes différentes ; les premiers hostiles aux envahisseurs furent<br />

vaincus et explulsés tandis que les seconds acceptent de collaborer<br />

autrement-dit entre les Dogon qui les refoulent et les envahisseurs<br />

mossi plus puissants, les Kouroumba se mettent sous l'ombre des plus<br />

forta.<br />

n'autre part l'expanaion mossi du XVè - XVIè siècle coir<br />

cide avec l'expansion sanghai ; le nord de la Haute-Volta actuelle<br />

fut la zone de contact entre les deux forces politiques; l'existence<br />

de zones de peuplement sonQhai au Jelgooji et au Liptaako en atteste<br />

en effet au nord et au nord-est du Jelgooji persistaient des cheffe­<br />

ries songhai de filia, Tigne, Bélèhèdé et au delà en allant vers le<br />

Liptaako la chefferie d'Arbinda. L'aristocratie est d'origine songhai,<br />

(1) BEDAUX op. cit. p. 176


- 38 -<br />

Après la retraite des Mossi vers le sud et la chute de<br />

l'empire songhai, dans la région du Jelgooji jusqu'au XVIIIè siècle<br />

on assiste à un morcellement politique, au nord et au nord-est ce sont<br />

les chefferies songhai indépendantes les unes des autres. Au sud de<br />

Jibo autour de Saba s'organise le royaume kouroumba (le Louroum) re­<br />

groupant des Kouroumba qui coopérèrent avec les conquérants mossi<br />

le Louroum garde une certaine autonomie; le roi (Ayo) était à la<br />

tête d'un ensemble de villages unis par des liens spirituels et reli­<br />

gieux ; le Louroum comprenait environ 47 villages: Toulfé vers Titao,<br />

Bassi vers le Lac de Barn et Sougué en étaient les limites approxima­<br />

tives (1) avant la conquête peule. L'Ayo reconnaissait l'autorité<br />

nominale des naba mossi du Ratenga (2). L'organisation socio-politi­<br />

que était dualiste : le clan des Konfé détenait le pouvoir politique<br />

et celui des Sawadogo le pouvoir religieux. L'Ayo ne pouvait gouver­<br />

ner sans être initié par le chef religieux.<br />

Au XVIIIè siècle comme nous allons le voir plus loin, le<br />

Louroum était victime des incursions des Peuls de Booni(région de<br />

Douentza au Mali actuel) et c'est dans ce contexte que se déroula la<br />

conquête peule.<br />

(1) STALüE W., La chefferie du Louroum (réalité et légendes)<br />

République de Haute-Volta, thèse de Doctorat 3è cycle, p. l<br />

(2) IZARD Michel, Introduction à l'histoire ••• op. cit. p. 113


- 39 -<br />

Dans cette région les populations Kouroumba sont sous le<br />

joug des chefs d'origine songhaï métissés de Kouroumba. Selon la<br />

tradition orale Lerbu était le centre de la chefferie songhaï (1)<br />

avant la conquête Qourmantché.<br />

Les Gourmantché refoulés au sud par l'expansion songhaï<br />

lèvent la tête au XVlllè siècle ; une aristocratie venue du pays<br />

gourmantché établit sa domination sur la région ; selon la tradition<br />

orale Baligini prince de Koala s'imposa de façon pacifique<br />

Baligini "fut demandé par les Kouroumba" pour être leur roi (2).<br />

Autrement dit, le prince gourmantché s'impose avec l'assentiment des<br />

Kouroumba sous le joug de chefs songhaï ; en ce sens il serait ac­<br />

cueilli comme un "libérateur" à travers la tradition orale; ceci<br />

légitime le remplacement d'une aristocratie par une autre et laisse<br />

entrevoir un manque d'intégration socio-politique qui laisse les Kou­<br />

roumba en marge de la lutte entre les deux aristocraties.<br />

Entre 1718 et 1747 la région correspondant au Liptaako<br />

fut englobée dans le royaume gourmantché de Koala qui s'étendait au<br />

début à l'est jusqu'au fleuvre Niger; au sud-est il était limité<br />

par un autre royaume gourmantché (Jemsuaru), au nord-ouest par la<br />

chefferie d'Arbinda (3).<br />

(1) NASURU, Dori, 18/5/77<br />

(2) MADIEGA G., Le nord-Gulma précolonial (Haute-Volta) •••<br />

thèse de 3è cycle, Paris l, Janvier 1978, p. 209<br />

(3) idem, ibidem, p. 220


- 42 -<br />

au départ l'élevage d' 011 ils ttraier.t' leurs'ifl'loyens.d' existence ;<br />

ils élevaient leurs troupeaux de bovins et servaient de gardiens des<br />

animaux dont disposaient les populations sédentaires ; les Kurojiibe<br />

du Liptaako par exemple étaient les bouviers des Doforeebe (Kouroumba),<br />

Des formes d'échanges économiques prévalaient entre Peuls et popula­<br />

tions sédentaires liées à 'une certaine division du travail : produits<br />

de l'élevaqe (lait, beurre, fumier) contre les produits agricoles<br />

(céréales). Les Peuls étaient soumis aux autorités en place et leur<br />

versaient un tribut. C'est ce qu'atteste l'exemple des Fulbe Kelli que<br />

nous avons signalé plus haut; l'apoellation Fulbe Kelli est sans doute<br />

synonyme de "Peuls sujets de Kellikoy". Les Peuls étaient regroupés<br />

dans des campements de huttes (gure, wuro au singulier). Le campement<br />

peul ou "wuro" qui est une unité de vie, est une "unité socio-géogra­<br />

phique possédant un homme reconnu comme chef de cette unité et dont<br />

les membres sont noués par les liens de parenté ou de voisinage<br />

suivis" (1). Le chef du wuro est le ;'jooro", contraction de "jom wuro;<br />

(maltre du wuro). Il est porteur de la plus grande ancienneté généa­<br />

logique de tous ceux qui se considèrent comme appartenant à la même<br />

communauté même s'ils n'habitent pas ensemble physiquement. Le jooro<br />

ne pouvait pas contraindre les membres du wuro à agir selon sa volonté,<br />

mais donnait des conseils, était l'arbitre et les représentait dans<br />

leurs rapports avec les autorités en place.<br />

(1) RIE5MAN Paul, Société et liberté chez les Peuls djelgôbe de<br />

Haute-Volta. Paris, Mouton, 1974, p. 39


- 43 -<br />

All XVIIè siècle au Jelgooji et au XVIIIè siècle au LiptilSI


- 44 -<br />

La conquête et la domination politique des Peuls va se<br />

traduire par un changement de mode de vie. L'aristocratie rompt avec<br />

le nomadisme, les privilèges économiques que lui confère sa position<br />

politique lui permet de se sédentariser.


- 45 -<br />

D [ U X 1 ( M[ PAR T 1 [<br />

-============000============-


- 46 -<br />

1. LES RAPPORTS ENTRE PEULS ET POPULATIONS SEDENTAIRES JUSQU'A LA<br />

VEILLE DU JIHAD AU DEBUT DU XIXè SIECLE.<br />

Pour mieux saisir la signification de la conquête peule<br />

au Jelgooji et au Liptaako, il convient d'examiner la période, l'ori-·<br />

gine, les motifs réels des migrations des lignages peuls qui dirigè­<br />

rent le combat contre les populations qu'ils trouvèrent en place; il<br />

s'agit des Jelgoobe et des feroobe qui constituèrent l'aristocratie<br />

dans ces deux régions.<br />

AI Origine et période des migrations<br />

Jelgoobe et feroobe ·sont tous originaires du delta inté­<br />

rieur du Niger berceau de l'empire du Maasina selon la tradition<br />

orale l'ancêtre des Jelgoobe Sambo Naana serait originaire de<br />

fittuqa (1). C'est de cet endroit qu'il aurait émigré pour se rendre<br />

successivement à Booni puis à Simbi localités situées dans la subdi­<br />

vision de Douentza dans le cercle actuel de Bandiagara (Mali). De<br />

Simbi l'ancêtre et sa famille se seraient rendus ensuite dans la<br />

région du Jelgooji.<br />

Quant aux feroobe la tradition orale situe leur origine<br />

dans la réaion du Kunaari (Maasina).<br />

Ces données font donc du delta intérieur du Niger un<br />

foyer de migration de ces deux lignages peuls en direction du nord de<br />

l'actuelle Haute-Volta. Elles mériteraient d'être vérifiées par des<br />

(1) Aamadu Sewooma, Barbulle, 19.4.77


- 53 -<br />

la région (les Jallube). Ainsi ils devaient petit à petit se consti­<br />

tuer à leur tour des troupeaux par la rémunération en bétail des ser­<br />

vices rendus. La recherche des meilleurs pâturages les amena à s'ins­<br />

taller dans la région du Jelgooji ; les propriétaires des troupeaux y<br />

venaient de temps en temps récupérer une partie du bétail qu'ils leur<br />

avaient confié et qui s'accroissait au fur et à mesure (1).<br />

Cette version si elle reconnait la parenté entre Jelgoobe<br />

et Jallube de Simbi, elle ne fait pas des Jelgoobe pour autant des<br />

princes. Sambo Naana, Peul p8uvre de statut inférieur épouse la prin­<br />

cesse parce que cette dernière est infirme ; cette infirmité constitue<br />

un handicap pour trouver un mari de son ranq ; la seule possibilité<br />

qui s'offre à elle pour se marier est le recours à un étranger. Sambo<br />

Naana venu de Fittuga est totalement démuni. Il est de coutume chez<br />

les Peuls éleveurs riches de louer les services d'un berger étranger<br />

pauvre et désireux par cette voie de se constituer à son tour un trou­<br />

peau. Ce fut certainement le cas de Sambo Naana et de sa famille qui<br />

ne pouvaient nullement prétendre être des princes susceptibles de<br />

convoiter le pouvoir tel que le laisse apparaître la première version.<br />

La pauvreté de Sambo Naana ayant peut-être perdu son troupeau à<br />

Fittuga expliquerait donc sa miqration vers Simbi, ensuite au Jelgooji<br />

(1) Aamadu Sewooma.


- 54 -<br />

avec sa famille pour nourrir le bétail à sa charge. Cette migration par<br />

famille et non massive est plus conforme à la réalité ; le départ des<br />

Jelgoobe accompagnés par d'autres clans peuls comme les Bingaabe,<br />

Sadaabe, Umburuube et Kelli à travers la première version a certaine­<br />

ment comme objectif d'appuyer l'origine princière; en effet leur statut<br />

princier leur confèrerait une clientèle, une base sociale qui leur<br />

serait fidèle. Nous cernons la manipulation en ayant à l'idée que les<br />

Jelgoobe trouvèrent déjà établis dans la région du Jelgooji les Bin­<br />

gaabe, Sadaabe et Fulbe Kelli.<br />

2°) Les Feroobe<br />

Feroobe signifie "émigrants" et leur nom de clan à l'ori­<br />

gine était Sidibé ; par la suite probablement après la conquête ils<br />

adoptèrent le titre Dikko comme nom de famille à l'instar des Jelgoobc.<br />

Selon la tradition orale, les Feroobe étaient des princes au Kunaari<br />

(Maasina) ; ils auraient quitté la région à la suite d'une querelle<br />

dynastique ; évincés du pouvoir par Hambodeejo Paate Valla, Egudu<br />

Seega Paate et Birmaali Saala Paate l'ancêtre des Feroobe du Liptaako,<br />

frustrés, émigrèrent et vinrent s'installer respectivement dans la<br />

région de Barani en pays bwa et au Liptaako (1).<br />

Hambodeejo est effectivement un personnage historique ; il<br />

fut ardo du Kunaari au XVIIIè siècle (2) ; la tradition orale établit<br />

(1) Bandé 11aaligi, Dori, 19.5.77<br />

(2) CHRISTIANE Seydou, Le geste de Ham-Bodêdio ou Hama le Rouge (trad.)<br />

Classiques Africains nO 18, Armand Colin, 1976.


- 55 -<br />

une parenté entre ce dernier et l'ancêtre des Fcroobe du Liptaako. Faut<br />

il penser à une véritable parenté ou à une parenté fictive destinée<br />

encore une fois à soutenir l'origine princière? Seule une étude histo­<br />

rique et plus particulièrement sur la généalogie des ardo du Kunaari<br />

permettra d'y répondre. L'examen des différentes versions de tradition<br />

orale rend cette origine princière suspecte. Comme au Jelgooji certai­<br />

nes sources orales parlent encore d'une migration massive (ZOO person­<br />

nes) (1), tandis que d'autres parlent plutôt d'une suite de onze<br />

hommes et six femmes (Z). D'autre part s'agissant de la religion des<br />

émigrants Delmond rapporte que Birmaali était un musulman zélé et il<br />

fit beaucoup de conversions contrairement aux indications de Bandé<br />

Maaligi. Selon ce dernier, les Feroobe n'étaient pas à l'origine des<br />

musulmans, mais se seraient convertis à l'Islam au début du XIXè<br />

siècle en relation avec le Jihad ; le même informateur nous signale<br />

(1) DELMOND Paul, cité par IRWIN J.P., An Emirate of the Niger bend<br />

a political history of Liptako in the nineteenth century,<br />

University of lolisconsin Ph. D. 1973, p. 104<br />

(Z) Bandé Maaligi.


- 6fJ bis -<br />

1 !<br />

1704 !Famine et épidémie dite ITrop grande crue du Niger<br />

IBana-Faaa en Bambara !<br />

!"nerf de la maladie" ou !<br />

!"maladie des nerfs". !<br />

!! !<br />

!17ll-l7l6!Grande famine dite mina- !<br />

! !kikoi ; engloba toute la !<br />

! !boucle du Niger. La rela- !<br />

! !tion tomba à 1 mitkal !<br />

! !d'or = 700 cauris. Intro- !<br />

! !duction d'une nouvelle me-!<br />

! !sure de blé de faible !<br />

! !capacité. Révolte de la<br />

! !garnison de Djenné en !<br />

! 11713. En 1714, contribution<br />

!! !<br />

!172l-l722!Famine dite Alteq ou !<br />

! !Karbai-Hornou !<br />

! !<br />

!173B-1756!Famine dite la 000 Bari<br />

! ISouri. D'une intensité<br />

! !conaidérable et de longue<br />

! 'durée. Dépeuplement, pau­<br />

Ipérisation. Epidémie. Le<br />

Iprix du blé monte jusqu'à<br />

!10 000 cauris le gobelet.<br />

!Ruine de l'artisanat. La<br />

!relation du mitkal ne<br />

Ichange pas : 1 m = 3000<br />

!cauris. Contribution 7 !<br />

!fois. 1<br />

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fT en-N, p. 14<br />

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!Les données manquent, les informations suivantes sont incomplètes<br />

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!l770-177l1Famine à Tombouctou !P. l'1arty: Les<br />

! ! !chroniques de<br />

!1792-1793IEpidémie à OuaIata. Possi-I !Oualata et de<br />

! Ible antérieurement ou 1Nema/Soudan<br />

, Isimultanément à Tombouc- !Fr./ Rev.<br />

Itou. !étud. ial. !<br />

! !l927, fac.3-4,!<br />

1795-l796lSautereIIes aux environs !p. 355-426, ,<br />

Ide Tombouctou /à l'ouest !53l-575. !<br />

Ide la ville/. !!<br />

, ! !<br />

! ! !<br />

================================================================================<br />

Source : TYMOWSKI Michal, op. cit.


- 61 -<br />

populations et suscitaient des départs ; la sécheresse, les razzias d8<br />

bétail, privent les Peuls de leurs troupeaux. Vers 1670 Biton Coulibaly<br />

roi bambara établit son autorité sur les zones habitées par les Peuls<br />

au Maasina. Son autorité dépendait étroitement de la force militaire<br />

qu'il pouvait déployer et s'exprimait par des raids de coercition<br />

et de pillage. Aucune institution, aucune administration n'était mise<br />

en place (1). Des chefs peuls (ardube) se partageaient au XVlllè siècle<br />

cette vaste région qui s'étendait depuis le Dienneri (région de Djenné)<br />

jusqu'au Lac Débo et depuis la rive gauche de Diaka jusqu'à l'actuelle<br />

Haute-Volta. Ces chefs étaient à la tête d'un groupe de villages.<br />

Hambodeejo était l'arda du Kunaari ; la réoion de Kekeye était le do­<br />

maine de Silaamaka ; Hama Alséini Gâkoï de Kênioume règnait sur la<br />

rive du lac Niangaye au nord, et Boûbou ardo Galo règnait sur Wuro Môdi<br />

et Nêné. Ces chefs supportaient mal l'autorité bambara et luttaient<br />

âprement pour leur autonomie politique; Silaamaka par exemple refusa<br />

de payer l'impôt du "di 5000'. (prix du miel) taxe qui s'élevait à<br />

plusieurs kilos d'or par an et qui à l'origine était utilisée pour<br />

l'achat du miel destiné à la préparation de l'hydromel, boisson des<br />

rois bambara (2).<br />

Ce tableau du delta intérieur du Niger aux XVllè et XVlllè<br />

siècles, fait ressortir des facteurs objectifs certainement à l'origine<br />

de l'appauvrissement, de l'émigration des lignages peuls Jelgoobe et<br />

Feroobe. Cette émigration vers le nord de l'actuelle Haute-Volta est<br />

(1) GALLAIS Jean, Le Delts intérieur du Nioer, tome l, mémoire de<br />

l'IFAN - Dakar, 1967.<br />

(2) CHRISTIANE Seydou, op. cit. p. 13.


- 66 -<br />

- la région du Jelgooji était soumise aux Jallube de<br />

Booni et les Kouroumba étaient obligés de leur payer un tribut.<br />

- les Jelgoobe et les Kouroumba se coalisèrent pour<br />

secouer cette tutelle mais en vain; les Jelqoobe réussirent à s'en<br />

défeire après la conquête avec l'aide du Yatenga ; ce serait le<br />

point de départ du recours des Jelgoobe au Yatenge face à une force<br />

extérieure (voir p. 129 et suite). Ceci dénoterait l'état de fai­<br />

blesse du louroum des Kouroumba ayant à se tête l'Ayo et incapable<br />

de résister aux Jallube et qui aurait stimulé les Jelgoobe dans la<br />

conquête de la région.<br />

Nous avons vu plus haut que les Jelgoobe convergèrent<br />

à la veille de la conquête à Jibo localité faisant partie à l'épo­<br />

que du louroum. Selon la tradition orale les autorités Kouroumba<br />

exigèrent des Jelgoobe un lourd tribut ; c'est ce qu'un informa­<br />

teur exprime en disant que les "Haabe (Kouroumba) leur faisaient<br />

subir n'importe quoi" (l). Selon un autre informateur les "Heabe<br />

exigeaient chaque mois 20 boeufs" (2). Ce lourd tribut était inac­<br />

ceptable pendant longtemps par les Jelgoobe. A Jibo la famille se<br />

scinda en deux. Une partie y resta tandis que l'autre alla s'ins­<br />

taller à Barbulle ; en effet l'ancêtre Sambo Naana avait plusieurs<br />

fils: Hammadi (l'ainé), tune, Maaligi, Simbikoy. Hamm8di, tune et<br />

(1) Aamadu Sewooma<br />

(2) Hammadum Baaga


- 68 -<br />

sont selon la tradition orale les villages de Tigne et filio au<br />

nord-est de Jibo et ne faisant pas partie du louroum ; le village G"<br />

Baani Kaani opposa une résistance farouche avant de succomber (1).<br />

les Jelgoobe de Barbulle assaillirent Ingaani. En dehors de ces<br />

villages les versions peules ne retiennent pas de façon précise les<br />

différentes étapes de la conquête ; les informateurs se contentent<br />

d'affirmer qu'elle s'est poursuivie par la suite, village par<br />

village, les Jelgoobe remportant victoire sur victoire. C'est là<br />

une vision peule de la conquête présentée comme étant relativement<br />

facile; cette facilité est liée à l'intervention de la ruse et de<br />

la magie.<br />

la conquête<br />

En milieu peul et kouroumba un mythe fait référence à<br />

Pour certains informateurs peuls, le chef du village<br />

de filio possèdait un bonnet magique. Un homme parmi les Jelgoobe<br />

se mit à faire la cour à la fille du chef et réussit à la convain­<br />

cre de s'emparer du bonnet de son père et le lui remettre. C'est<br />

ce qui a permis aux Jelgoobe de vaincre le village de filio (2).<br />

Pour Sékou Tell, le chef commandait les villages de Bagou et Tigne<br />

et le Jelgoowo (pluriel : Jelgoobe) est Sambo Nyorgo petit fils de<br />

Mbuula Simbikoy. Pour un autre informateur le bonnet appartenait<br />

(1) Hammadum Baage<br />

(2) Ba Tekka


- 70 -<br />

populations sédentaires ; de cette vision des Peuls de la conquête on<br />

peut formuler deux hypothèses :<br />

- La ruse utilisée pour s'emparer de la puissance magique<br />

tendrait à faire croire à un rapport de force défavorable aux Peuls et<br />

qui a nécessité un esprit d'initiative pour contourner cet obstacle<br />

dans la conquête.<br />

- La ruse tendrait peut-être à occulter une situation<br />

réelle: l'état de faiblesse politique et militaire, une désintégra­<br />

tion sociale au niveau des populations sédentaires. Les Peuls voulant<br />

d'une conquête "honorable" créent ce mythe pour nier cette réalité.<br />

Cette hypothèse semble plus plausible ; mais avant de trancher exa­<br />

minons le mythe chez les Kouroumba.<br />

Chez les Kouroumba l'objet dont s'est saisi le Peul est<br />

une sandale. Mais pour l'essentiel on retrouve le même contenu. La<br />

victoire peule est attribuée à la ruse qui a permis aux Jelgoobe de<br />

se munir de la puissance magique des Kouroumba ; donc conquérants<br />

et conquis entretiennent un même mythe, mythe qui justifie l'ordre<br />

établi ; les deux communautés y trouvent leur compte. Comme chez les<br />

Peuls, au niveau des Kouroumba le mythe explique de façon "honorable"<br />

la conquête. La défaite est indépendante de la volonté des Kouroumba ;<br />

il ne pouvait en être autrement puisqu'ils ont perdu le siège de leur


- 71 -<br />

puissance magique. Les Peuls à travers l'objet magique ont capturé le<br />

force vitale transcend8nte et de ce fait s'imposent. Ceci masquerait<br />

l'état de faiblesse des Kouroumba devant l'assaut des Peuls. Ce mythe<br />

que l'on retrouve de part et d'autre rend la conquête acceptable;<br />

c'est en quelque sorte une charte entre les deux communautés et qui<br />

a l'avantage d'estomper une hostilité entre elles à la suite de la<br />

conquête et de permettre une symbiose notamment sur le plan religieux<br />

(voir p. 87).<br />

Tout compte fait il convient de penser que les Peuls<br />

émergèrent dans une zone d'instabilité, désintégrée sur le plan poli­<br />

tique et social du fait d'une crise sur le plan économique en<br />

effet nous avons vu plus haut qu'aux XVIIè et XVIIIè siècles des<br />

famines ravageaient le delta intérieur du Niger ; la conquête peule<br />

au Jelgooji est achevée vers 1740 (le premier chef de Jibo règne de<br />

1740 à 1754) et de 1738 à 1756 une grave famine règne dans le delta<br />

intérieur du Niger et il se pourrait qu'elle se soit étendue comme<br />

de nos jours sur une bonne partie de l'Afrique occidentale et en<br />

particulier sur la région du Jelgooji. Le problème d'acquisition<br />

des moyens de subsistance se serait alors posé avec une grande<br />

acuité expliquant ainsi la guerre de conquête et d'asservissement<br />

des populations sédentaires engagée par les Jelgoobe à l'image de<br />

ce qui se passait d8ns le delta intérieur du Niger. C'est proba­<br />

blement cette réalité que tente d'occulter le mythe.


- 72 -<br />

2°) La situation au Liptaako<br />

----------------------------<br />

Nous avons vu plus haut que les Feroobe émigrèrent du<br />

Maasina et vinrent s'installer au Liptaako ; le chef de migration<br />

était Birmaali Saale Peate. Ils s'établirent à Weedu village à l'ouest<br />

de Dori ; le village tire son nom de la mare (weedu en Peul) qui le<br />

sépare de Dori ; cela se fit selon certains informateurs avec l'au-<br />

torisation du Jooro de Weedu chef du lignage dominant (les<br />

Toroobe) (1). Pour d'autres l'autorisation de s'installer fut accor-<br />

dée par le chef gourmantché de Kuala conformément à la version gour-<br />

mantché : "Baligini (chef gourmantché) ordonna à son captif Kpedi-<br />

duani et son premier fils Koro de leur indiquer un emplacement. On<br />

leur montra Weeno / Weedu" (2). Weedu étant sous l'autorité des chefs<br />

gourmantché de Kuala l'installation d'étrangers ne pourrait se faire<br />

sans leur consentement. A Weedu Birmaali se maria avec la fille du<br />

Jooro et eut deux fils dont Yaaro ; leur grand père (le jooro) se<br />

fit remplacer par eux dans ses relations avec les autorités gour-<br />

mantché ; à la mort de ce dernier Yaaro accède à la fonction de jooro<br />

conformément au voeu des autorités gourmantché (3). Pour d'autres ce<br />

furent plutôt les Peuls Toroobe qui le choisirent (4). A ce niveau<br />

deux tendances s'affrontent; dans le premier cas les Feroobe à tra-<br />

vers Yaaro reçoivent l'autorité des chefs gourmantché. Ce qui tra-<br />

duirait une rupture avec l'ordre ancien où les Toroobe du fait de leur<br />

(1) Nasuru, Imam de Dori, 18.5.77<br />

(2) MADIEGA Georges, op. cit. p. 218<br />

(3) Nasuru<br />

(4) Bandé Maaligi, Dori, 19.5.77


- 74 -<br />

les chiens buvaient (1). Quand un Peul mourrait tous ses biens sauf<br />

une vache devenaient la propriété du roi gourmantché (2). les auto­<br />

rités gourmantché enlevaient les femmes peules et imprimaient des<br />

scarifications sur leur visaQe (3). Si un Peul se mariait avec une<br />

belle femme, il fallait que le prince gourmantché couchât avec elle<br />

pendant une semaine avant qu'elle pOt rejoindre son mari (4).<br />

Il convient d'examiner ces versions de tradition orale<br />

en relation avec le jihad à Sokoto pour mieux saisir la signification<br />

des griefs formulés contre l'aristocratie gourmantché.<br />

Toutes ces accusations visent à justifier sur le plan<br />

islamique la conquête entreprise par les Peuls ; la concordance<br />

entre ces accusations et les points d'agitation chez les dirigeants<br />

du jihad de Sokoto en particulier Dan rodio, atteste de l'existence<br />

d'un fond idéologique commun.<br />

En effet selon les versions citées plus haut les Peuls<br />

ne payaient pas un tribut régulier et l'aristocratie se livrait au<br />

pillage, s'emparait de leur bétail; ce que l'on veut montrer là,<br />

c'est la négation d'un principe islamique qui veut que les musulmans<br />

payent l'aumOne légale (zakat) et qui est l'un des cinq devoirs<br />

religieux. l'aumône porte sur:<br />

(1) Nasuru<br />

(2) IRWIN, J.P., op. cit. pp. 82-83<br />

(3) Nasuru<br />

(4) Bandé Maaligi


- 76 -<br />

à l'égard du décret divin qui a établi le statut de propriété" (1).<br />

c'est sans doute l'idée qu'expriment les griefs contre<br />

l'aristocratie gourmantché au Liptaako ; on retrouve chez Dan rodio<br />

des griefs semblables contre les autorités hawsa de la période<br />

antérieure au jihad. Ces dernières sont accusées de se saisir des<br />

biens des populations de façon illicite pour satisfaire leurs<br />

appétits démesurés d'infidèles (2).<br />

(1) GARDEl Louis, La cité musulmane, vie sociale et politique,<br />

4è édition, Paria, Librairie philosophique Ivrin - 1976. p. 83.<br />

(2) HISKEll, M., Kitab al-rarq : a work on the habe kingdoms<br />

attributed ta Uthman Dan Fodio, BSOAS, vol. XXIII, nO 3<br />

1960. p. 567 : "••• the intention of the unbelievers in their<br />

goverments is only the fulfilling of their lusts, for they are<br />

like the beasts ; ••• and whomsaever they wish ta kill or exile /<br />

or violate his honour or devour his wealth they do sa in pursuit<br />

of their lusts without any r ight in the shari' a ••• "


- 77 -<br />

La référence aux sacrifices aux autels vise à révèler de<br />

façon explicite le "paganisme" dans lequel baignent les autorités<br />

gourmantché ; là encore nous retrouvons le même thème chez Dan<br />

rodio ; les infidèles dans les traductions des écrits de ce dernier<br />

sont ceux qui "vénèrent les arbres, les honorent par des sacrifices<br />

ou des offrandes" CI). Le chien est un animal impur en Islam ; il<br />

est inséparable des infidèles, les populations sédentaires de<br />

religion traditionnelle comme les Gourmantché qui, l'élèvent et le<br />

consomment ainsi que d'autres bêtes impures; ce thème est égale­<br />

ment développé par Dan rodio (2).<br />

(1) Dan rodio, Nour-el eulbad (Lumière des Coeurs), Revue<br />

africaine, vol. 41. 1897. pp. 297-320 (p. 301).<br />

(2) HI5KETT, M., op. cil. p. 567 : "one of the ways of their<br />

governments is their intentionally eating whatever food<br />

they wish, whether it is religiously permitted or forbidden ••.<br />

and riding whatever ridinq beasts they wish whether<br />

religiously permitted or forbidden ••• "


- 82 -<br />

qu'su Jelgooji où la conversion massive ne date que de la fin du XIXè<br />

siècle; à cette époque en effet l'Islam devient une religion en­<br />

vahissante. Mais cette islamisation est malgré tout superficielle et<br />

n'efface pas les croyances traditionnelles. Avant l'Islam les Peuls<br />

avaient sans doute des croyances spécifiques. Peut-être pourrait-on<br />

retrouver la religion originale des Peuls chez les nomades tels que<br />

les Bororo du Niger peu Bcculturés : l'existence en langue fulfuldé<br />

d'une classe nominale énigmatique (nge) dans laquelle voisinent la<br />

vache, le feu, le soleil constitueraient les traces d'une religion<br />

anté-islamique (1). Les Peuls du Jelgooji adhéraient et adhèrent<br />

toujours aux croyances traditionnelles des populations sédentaires.<br />

Ceux de Barbulle apportent une vache et un mouton que l'on va sacri­<br />

fier à Ingaani sur l'autel appartenant à tout le Jelgooji. Les Peuls<br />

n'aasistent pas aux sacrifices confiés à un Kaado (Kouroumba) ou à<br />

un dimaajo (descendant d'esclave) (2). L'exercice du culte est aban­<br />

donné aux populations conquises qui en détiennent le secret inviolable<br />

L'émir peul de Dori (Liptaako) au cours de son intronisa­<br />

tion doit offrir aux génies un cheval noir, un bélier noir, un bouc<br />

noir, une houe, une lance, un couteau. Il doit offrir tous les vendre­<br />

dis un oeuf de poule à un serpent. Cela malqré une islamisation plus<br />

poussée qu'au Jelgooji. Les Peuls sont conscients du caractère super­<br />

ficiel de leur islamisation et l'expriment en ces termes:<br />

(1) DUPIRE Marguerite, Organisation sociale des Peuls, Paris, Plon,<br />

1970, p. 14<br />

(2) Ba Tekka


- 83 -<br />

"Je crois que si l'Islam s'était bien implanté fju Lipta8:'c?I<br />

les marabouts auraient de bonnea récompenses et les cens<br />

feraient de bonnes études. "1ais les gens ne sont pas aSS2Z<br />

éclairés pour s'en rendre compte" (1).<br />

Un informateur du Jelgooji ajoute : "Tout Peul prie, mais<br />

il peut ne pas être un marabout il posera son front<br />

contre le sol. Il a honte de ne pas le faire ••• Lea gens<br />

du Jelqooji prient mais ce que l'on appelle la prière du<br />

Peul n'est pas de la bonne prière car si tu ne connais pas<br />

ce qui la rend incorrecte et ce qui la rend correcte, ce<br />

n'est pas prier" (2).<br />

Il est évident donc que l'intégration de la conquête peulE<br />

du Liptaako au jihad ne fut pas déterminée par une profonde islamisa­<br />

tion, une adhésion aux idées de restauration islamique prônées par<br />

les leaders du jihad comme Dan rodio ; le jihad apportait une répons··<br />

aux aspirations socio-politiques. Ceci apparait nettement quand on<br />

sait que le Jelgooji ne fut pas entraîné dans le jihad au début du<br />

XIXè siècle j les Peuls ont conquis la réqion depuis le XVlllè siècle,<br />

(l) Nasuru<br />

(2) Usumaana Hasan


- 88 -<br />

Ce qui rappelle étrangement la situation dans laquelle émergèrent les<br />

Almohades en Afrique du nord au XIIè siècle. Ibn Tumart opèra dans un<br />

milieu peu cultivé où la propagande shi ite des VIlè - Xè siècles<br />

avait rendu familière l'idée du Madhi ; il n'eut aucun scrupule à in­<br />

tégrer cette idée à son système idéologique. Une généalogie alide fut<br />

confectionnée le rattachant à la dynastie idriside du sud marocain (1).<br />

Tout ceci contribua à donner une audience à Dan radio et<br />

ses partisans au sein des masses et au succès du jihad qui entraina<br />

un changement socia-politique. Ce changement se caractérise par<br />

l'émergence d'une nouvelle aristocratie de lettrés musulmans en grande<br />

partie rulani en particulier ceux issus de la famille de Dan radio ;<br />

en effet aux lendemains du jihad, Dan rodio confia l'administration<br />

de la partie est de l'empire à son fils Mahommed Bello, la partie<br />

occidentale à son frère Abdallah. Al-Bukhari un autre fils de Dan<br />

radio reçut un territoire au sud de Sokoto (2) ; les partisans du<br />

jihad les plus distingués obtinrent pour eux-mêmes et leurs familles<br />

le butin, les postes légués par l'aristocratie hawsa défaite; ils<br />

bénéficièrent de "fiefs" quelquefois héréditaires ou quasi­<br />

héréditaires (3). La couverture idéologique islamique constituait<br />

(1) LAROUI Abdallah, Histoire du Maghreb, un essai de synthèse,<br />

t. 1, Maspéro 1976, p. 162.<br />

(2) BALOGUM S.A., The place of Argungu in Gwandu History JHSN<br />

vol. VII nO 3, décembre 1974, p. 405.<br />

(J) JOHNSTON H.A.S., op. cita pp. 167-168.


- 89 -<br />

la force des promoteurs du jihad dans leur stratégie de prise du pou­<br />

voir en pays hawsa et l'extension du mouvement dans d'autres régions<br />

comme au Liptaako ; l'écho qu'a eu le jihad dans cette région est<br />

lié à plusieurs facteurs: le jihad est perçu comme l'affaire du<br />

groupe ethnique peul en relation avec la prédominance de ce groupe<br />

dans le mouvement en pays hawsa. C'est ce qui explique dans la jus­<br />

tification de la conquête un fond idéologique commun et que nous<br />

avons examiné plus haut. Le jihad léqitime l'émergence politique des<br />

Peuls (musulmans) et par conséquent le renversement de l'ancienne<br />

aristocratie gourmantché l "animiste" ; au sein même des Peuls la<br />

liaison de la conquête avec le jihad à Sokoto, l'allégeance vis-à­<br />

vis de Sokoto, sert la prééminence politique des dirigeants de la<br />

conquête, à savoir les reroobe.<br />

La conquête peule dans cette région se situe autour des<br />

années 1810 ; de 1804 à 1810 la première phase de Is création de<br />

l'empire de Sokoto est achevée (1). En IBOS non loin du liptaako, le<br />

Kebbi tombe, les Kebbawe s'exilent; la communauté islamique de Dan<br />

rodio s'installe au village de Gwando en 1806 Mohammed Bello fait<br />

fortifier le village, future capitale de la province occidentale de<br />

(1) JOHNSTON op. cit. p. 91


- 94 -<br />

à l'un des Gourmantché alla boire le lait dans la calebasse. Lorsque<br />

la femme peule se rendit compte de cela, elle abandonna sa vache,<br />

accourut vers le chien et le battit. Alors le Gourmantché la pour­<br />

suivit et lui assèna des coups. Un jeune Peul qui, était aux environs<br />

avait observé ce qui s'était passé et fonça sur les Gourmantché et de<br />

sa lance tua un d'entre eux. Les Gourmantché quittèrent Selbo. Quand<br />

Jaari Pamba apprit ce qui s'était passé, il envoya un groupe d'hommes<br />

à Selbo pour punir les habitants. Les habitants de Selbo étaient prêts<br />

à se battre et des gens vinrent de Dari pour les aider•••<br />

Les Peuls attaquèrent les Gourmantché et les tuèrent tous<br />

à l'exception /d'un cavalier7 qui put retourner à Koala.<br />

- -<br />

Ceci se passait un vendredi. Les Peuls et les Gourmantché<br />

se préparèrent pour une grande bataille le vendredi suivant••• ;<br />

Le vendredi suivant la bataille entre les Peuls et les<br />

Gourmantché eut lieu à Dari. Les Gourmantché furent défaits et firent<br />

retraite au sud, au Gourma. Aucun d'eux ne resta au Liptako et les<br />

Peuls brûlèrent leurs lfIaisons. Il y a de cela 162 années" (1).<br />

(1) IRWIN, op. cit. pp. 82-83 (la traduction est la nôtre<br />

à partir du texte en Anglais).


- 97 -<br />

Dans les versions peules ci-dessus le thème du chien<br />

buvant le lait revient à chaque fois ; nous avons déjà rencontré<br />

ce thème et expliqué sa signification en relation avec la justi­<br />

fication islamique de la conquête ; ajoutons aussi que le lait est<br />

la base de l'Alimentation des Peuls; dans la version peule nO 2<br />

le chien d'un Gourmantché boit le lait d'une femme peule ; cette<br />

dernière bat le chien ; le Gourmantché riposte en battant la<br />

femme. Cette version tend à montrer l'oppression, le mépris humi­<br />

liant dont sont victimes les Peuls. Aux yeux des Gourmantché la<br />

femme peule est sujette tout au plus aux mêmes éqards que le chien<br />

animal impur ; on lui inflige une correction pour avoir battu le<br />

chien. la version peule nO J exprime de façon explicite le mépris<br />

que les Gourmantché auraient à l'égard des Peuls en ces termes:<br />

"qu'est-ce qui est pire qu'un Peul ?" Dans cette même version la<br />

femme peule est ligotée; on lui rase la tête i raser la tête d'une<br />

femme peule, c'est lui enlever sa chevelure qui, abondante consti­<br />

tue une valeur esthétique ; les femmes peules entretiennent leurs<br />

cheveux qu'elles tressent et garnissent d'ornements (pièces<br />

d'argent, perles••• ). Raser la tête d'une femme peule c'est lui<br />

enlever un élément constitutif de sa féminité et lui donner l'ap­<br />

parence des femmes des populations sédentaires qui elles se rasent<br />

la tête ; elle perd alors sa "fulanité". D'autre part ajoutons que<br />

le Gourmantché en battant une femme peule l "créature faible" manifeste


- 99 -<br />

S'agissant des versions gourmantché, là encore nous<br />

voyons apparaître le chien manoeant les génisses. Une génisse est une<br />

vache jeune qui n'a pas encore vêlé donc la source de l'accroissement<br />

du troupeau i d'où l'attachement que les Peuls vouent aux génisses<br />

dans la version nO 2 le chef gourmantché tue la seule génisse d'un<br />

Peul pour son chien et le prive donc de sa raison d'être en tant<br />

qu'éleveur; dans la même version il est fait mention de l'immora­<br />

lité du souverain gourmantché qui "courait les femmes de ses sujets"<br />

en l'occurrence les femmes des Peuls. Comme les versions peules,<br />

les versions gourmantché justifient à leur tour le soulèvement peul<br />

mais sur une autre base. Chez les Peuls la justification s'inspire<br />

de l'Islam tandis que dans le second cas, le soulèvement est présenté<br />

comme étant suscité par les abus des autorités gourmantché qui, pri­<br />

vent les Peuls de leurs moyens d'existence économiques.<br />

l'interprétation de la cause de la victoire peule est<br />

également différente au niveau des deux communautés. Chez les Peuls,<br />

les versions ne font pas allusion à une intervention extérieure ;<br />

cependant l'idée selon laquelle la victoire est conforme à la volonté<br />

divine apparait (bénédiction de Dan rodio représentant d'Allah).<br />

Dans les versions qourmantché, il est question de la magie<br />

(version nO 1) ; dans la version nO 2 les Peuls auraient fait appel


-: )04 -<br />

la lutte contre les Gourmantché (1). Dans l'Islam l'affranchissement<br />

des esclaves est un acte de piété.<br />

"La bonté pieuse (birr) ne consiste point à tourner votre<br />

face du côté de l'Orient et de l'Occident mais l'homme bon<br />

est celui qui croit en Allah et au Dernier jour, aux anges,<br />

à l'Ecriture et aux Prophètes qui donne du bien - quel­<br />

qu'amour qu'il en ait - aux Proches, aux orphelins, au<br />

voyageur (sic), aux mendiants et pour l'affranchissement<br />

des Esclaves, qui accomplit la prière et donne l'aumône<br />

(zakat)" (2).<br />

Mais il ne faut pas que les arbres nous empêchent de voir<br />

la forêt la piété n'est sans doute pas l'aspect déterminant dans le<br />

souci de voir la libération des esclaves ; un mécontentement voir une<br />

révolte des esclaves que pourraient exploiter les éventuels opposants<br />

aux détenteurs du pouvoir serait à l'origine de cette directive de<br />

Sokoto afin de maintenir la cohésion socio-politique. La tradition<br />

orale ne parle pas de révolte des esclaves sous le règne de Saalu<br />

Hamma mais elle en fait cas sous le règne de Seeku Saalu (1861).<br />

Un marabout ayant des ambitions politiques tenta d'exploiter la<br />

situation (3). Il n'est pas exclu qu'une situation analogue se soit<br />

produite sous le règne de Saalu Hamma. D'autre part libérer les<br />

esclaves c'est les arracher tant soit peu à l'emprise de leurs m21tres<br />

(1) IRl./IN J.P. op. ciL p. 156<br />

(2) Le Coran, traduction BLACHERE Régis Paris, Maisonneuve et Larose,<br />

Sourate II verset 177.<br />

(3) Voir la partie sur les esclaves.


- 105 -<br />

une telle mesure fait d'eux les sujets des seuls détenteurs du pouvoir,<br />

une clientèle politique pour les émirs ; le colonisateur français pro­<br />

céda également pour des objectifs similaires à la libération des excla­<br />

ves. Arrachés à l'influence de leurs maîtres autour des années 1903 ­<br />

1904, ces derniers devenaient les sujets d'un seul maître : le pouvoir<br />

colonial assoifé d'une main-d'oeuvre pour la "mise en valeur des<br />

colonies".<br />

D'autre part en 1890 après la mort de l'émir Aamadu lisa,<br />

Bokari Sori et Buhaari lisa rivalisèrent pour la prise du pouvoir ;<br />

selon la tradition orale Sokoto entérina le choix du collège élec­<br />

toral qui porta sur Bokari Sori (1). A ce niveau deux hypothèses<br />

s'imposent:<br />

- Soit conformément à la tradition orale Sokoto appuya<br />

un candidat ayant le plus de poids social qui détermina le choix du<br />

collège électoral ,<br />

- soit le candidat Bakari Sori se revélait plus fidèle<br />

à Sokoto que son adversaire.<br />

Dans les deux cas l'intervention de Sokoto eut le mérite<br />

d'éviter semble-t-il une compétition violente pour le contrôle du<br />

pouvoir; en ce sens le rôle d'intégration socio-politique de Sokoto<br />

est manifeste.<br />

(1) Bande Maaligi


- 107 -<br />

S'agissant du Liptaako les informateurs ne font pas cas<br />

d'une aide militaire apportée au Calife de Sokoto ni à l'émir de Gwando.<br />

Au lendemain du jihad une nouvelle aristocratie émerge (les reroobe).<br />

Comme nous l'avons vu le facteur idéologique d'inspiration islamique<br />

joua en faveur des reroobe acquis à la cause de Sokoto qui les soute­<br />

nait. Si dans les états hawsa hostiles au jihad il a fallu l'interven­<br />

tion directe de la force militaire de Sokoto pour renverser les<br />

anciennes aristocraties et en établir de nouvelles, au Liptaako comme<br />

dans d'autres régions (Adamawa, Say, etc••• ) le renversement des sn­<br />

ciennes aristocraties s'effectua différemment; il ne fut pas l'oeuvre<br />

d'une intervention militaire directe de Sokoto mais le résultat de la<br />

lutte menée sous la direction des éléments locaux aspirant à une pré­<br />

éminence politique et soutenus par Sokoto. Dans le premier cas la<br />

force militaire est décisive dans la création de l'empire tandis que<br />

dans le second cas le facteur idéologique est déterminant. Ceci est<br />

aussi lié en partie s'agissant du Liptaako, à la position géographi­<br />

que; l'émirat est situé à l'extrême ouest de l'empire et jouit d'une<br />

position marginale qui se manifeste par une certaine autonomie vis-à­<br />

vis du centre. D'autre part si au départ l'empire connaissait une<br />

unité politique il n'en fut pas de même après la mort de Dan rodio<br />

en 1817. Le Liptaeko relèvait de Gwando. L'émirat de Gwando manqua<br />

d'intégration politique jusqu'à la fin du XIXè siècle; les habitants<br />

du Kebbi (KEBBAWA) opposèrent une résistance jusqu'en 1831. Ils se<br />

soumirent en 1831 ; en 1849 une coalition (Kebbawa, Arewa, Zaberma)


- 110 -<br />

cl Le jihad au Maasina, l'impact au Jelgoo,ji<br />

Après le nord-Nigéria, le feu du jihad s'allume au Maasina.<br />

A la suite de trois batailles en Avril - Mai 1818 les partisans de<br />

Seeku Aamadu écrasèrent la coalition des Bambara et Peuls de religion<br />

traditionnelle (1). Un état musulman vit le jour au Maasina à l'ouest<br />

du Jelgooji ; le jihad entrepris non loin n'eut pas d'écho contrairement<br />

à ce qui s'était passé au Liptaako. Comment expliquer cela? Au Jelgooji<br />

les Peuls se sont libérés dès le XVlllè siècle de la tutelle des auto­<br />

rités en place et les Jelooobe créèrent deux chefferies (Barbulle et<br />

Jibo) de ce fait le jihad ne pouvait jouer son rôle de stimulant, de<br />

facteur de cohésion contre un pouvoir oppresseur comme c'était le cas<br />

au Liptaako et ne répondait donc pas à un besoin fondamental. Cependant<br />

le Jelgooji eut au cours du XIXè siècle des rapports avec l'empire du<br />

Maasina ; à ce propos nous confronterons les informations contenues<br />

dans les travaux et les données de la tradition orale.<br />

Selon Hampâté Bâ "Goura malado portait le titre d'Amiru<br />

Hayre. Il surveillait toutes les frontières Est du côté des Dogon, des<br />

Mossi, des Sema, des gens de Hombori et du Dyilgodji (Jelgooji). Il<br />

était secondé par Alfa Seyoma dont les troupes contrôlaient le Dalla<br />

et Douentza et par Moussa Bodedyo qui campait à Arbinda et patrouillait<br />

(1) BA (A.H.) et DAGET (J.), L'empire peul du macina, t. l, Mouton et<br />

Cie, 1962, p. 40


- 111 -<br />

dans tout le pays env ironnant" (1).<br />

"Le Dyilgodji était soumis à Hamdallay mais, il échapait quelque peu au<br />

contrôle du grand conseil. Celui-ci contrairement à ses habitudes n'y<br />

avait envoyé personne pour gouverner et unifier les trois chefferies de<br />

Dyibo, Baraboullé et Tonqoumayel qui vivaient indépendantes l'une de<br />

l'autre et se faisaient la guerre chaque fois qu'elles n'avaient pas à<br />

combattre à l'extérieur. L'anarchie était devenue telle dans le Dyilqodji<br />

qu'aucun chef ne pouvait se vanter de posséder une autorité sOre et du­<br />

rable. Des intrigants de toute nature pullulaient dans le pays et<br />

l'incurie de Hamda11ay fit croire aux habitants qu'on les craignait" (2).<br />

Izard écrit: "vers 1826 vraisemblablement, le Djelgodji fut<br />

intégré à l'empire peul de Cheikou Amadou. Ce résultat fut obtenu non à<br />

la suite d'une opération militaire, mais semble-t-il à la suite de pour­<br />

parlers menés par des envoyés du souverain du Masina avec les princi­<br />

paux chefs djelgobé. Il est possible que ces négociations aient été<br />

menées par un parent de Cheikou Amadou, cousin ou neveu appelé El Hadji.<br />

Ce chef de guerre du Masina avait été chargé par Cheikou Amadou de pour­<br />

suivre l'ancien chef de Kounari, Guéladio, qui assigné à résidence à<br />

Hamdallay et secrètement condamné à mort était parvenu à s'enfuir.<br />

El Hadji poursuivit Guéladio jusque dans le Djelgodji..." 0).<br />

(1) BA (A.H. ) op. cit. p. 69<br />

(2 ) idem ibidem p. 166<br />

0) IZARD M. op. cit. t.2, p. 336


- 113 -<br />

Hamdallay il mentionne également que les troupes du Maasina campaient<br />

à Arbinda à l'est du Jelgooji. Nos informateurs nient la soumission du<br />

Jelgooji au Maasina jusqu'à la veille de la conquête coloniale. Cependant<br />

le renseignement relatif à la zakat (en fait un tribut) laisse supposer<br />

qu'avant 1858 le Jelgooji était tributaire du Maasina sans que l'on<br />

puisse cerner à quelle date il fut institué l'inexistence d'un repré­<br />

sentant de Hamdallay, la non intégration de la région sur le plan ins­<br />

titutionnel à l'empire du Maasina expliquerait le fait que nos informa­<br />

teurs nient l'extension de l'autorité du Maasina sur le Jelgooji. Le<br />

paiement d'un tribut n'est pas perçu comme la manifestation d'une<br />

dépendance politique mais plutôt comme le témoignage de relations cor­<br />

diales et d'assistance entre les chefs de différentes entités politi­<br />

ques ; nous verrons plus loin qu'à la suite d'une aide militaire<br />

apportée par le Naba du Yatenga aux Taraabe Aadama contre leurs ad­<br />

versaires politiques, les Taraabe Mali alliés du Maasina, les chefs<br />

de Jibo (Taraabe Aadama) versaient un tribut annuel au Yatenga sans<br />

que cela ne soit perçu comme une dépendance politique. Il y a lieu<br />

de penser qu'après la naissance de l'empire du Maasina dont les<br />

troupes firent leur apparition dans le Jelgooji, les chefs de Jibo<br />

et de Barbulle (la chefferie de Tongomayel intégrée dans celle de


- 116 -<br />

Jibo ne s'en sépare qu'après la conquête française) pour prévenir une<br />

éventuelle conquête acceptèrent de verser un tribut aux autorités de<br />

Hamdallay et conservèrent une certaine autonomie. De sorte que l'hyoo­<br />

thèse de négociations vers 1826 avancée par Izard bien que les infor­<br />

mateurs ne la confirment pas n'est pas à écarter. Le Maasina ne<br />

renonça pas cependant au désir de contrôler plus étroitement le Jel­<br />

gooji et attendait une occasion pour le faire ; cette occasion fut<br />

une querelle dynastique. Plusieurs versions relatent les évènements.<br />

1) Le chef de Barbulle mourut pendant que son fils ainé<br />

était en transhumance dans la montagne du côté de Oouentza. Son second<br />

fils s'empara de la chefferie. Le fils ainé apprit le décès avec quel­<br />

que retard. Il recruta des cavaliers et se dirigea vers Barbulle pour<br />

y prendre la chefferie qui lui revenait. Son frère l'usurpateur posta<br />

ses troupes à Yaro, Ségué, Oelaa et Bané. L'héritier légitime marcha<br />

sur Yaro pour une ultime tentative de réconciliation qui fut vaine.<br />

L'affrontement de leurs troupes s'y déroula. Les partisans de l'ainé<br />

furent défaits et ce dernier réussit à se sauver avec seulement qua­<br />

rante cinq cavaliers. Ces rescapés allèrent solliciter l'aide de<br />

Hamdallay. Seeku Aamadu demanda à l'ainé de s'engager solennellement<br />

à embrasser l'Islam et à faire appliquer strictement ses lois.


- 115 -<br />

Ce dernier prit l'engagement. Hamdallay décida de mettre de l'ordre au<br />

Jelgooji et d'y placer un chef qui ne serait pas à la merci du premier<br />

intrigant venu. Le grand conseil décida alors d'envoyer une puissante<br />

armée pour punir l'usurpateur et de restaurer le commandement sur des<br />

bases solides. La direction de l'expédition revint à El Hadj Modi.<br />

La cavalerie reçut l'ordre de marcher sur Barbulle en contournant la<br />

montagne du Pignari et en suivant le trajet Bangassi, Kido, Kara, Tou,<br />

Bané, Delga, Tibbo. L'infanterie devait passer par Pigna, Tou,<br />

Doukoumbo, Boumbou, Madougou, Sandigué, Dyougani, Gangafari et Yaro.<br />

Devant l'avancée des troupes du Maasina, les ardo de Jibo<br />

et Tongomayel firent cause commune avec l'usurpateur.<br />

Le Yatença Naba non moins inquiet mobilisa ses forces.<br />

Il fit surveiller nuit et jour la frontière du pays dogon de Kiri-Koro<br />

et il offrit un cadeau au chef de Tou pour qu'il le renseignêt sur la<br />

marche des Peuls de Hamdallay et l'importance de leur armée.<br />

La bataille s'engagea à Yaro, Séqué, Débéré et Yerga.<br />

Entre Tibbo et Barbulle, les Maasinankoobé alliés de l'héritier<br />

légitime sont victorieux. Le Jelgooji se soumit, l'usurpateur fut<br />

exécuté et l'héritier légitime récupéra la chefferie de Barbulle.<br />

Les chefs de Jibo et Tonqomayel se soumirent. El Hadj occupa mili­<br />

tairement les villages de Barbulle, Piladyi, Sindé, Bélàhèdé, lngani,


- 117 -<br />

Diguiyel et Niangay. Il se rendit à Jibo avec une escorte y convoqua<br />

les notables pour traiter avec eux de la paix. El Hadj ne tarda pas 2<br />

remarquer leur esprit séditieux et leur volonté sourde mais ferme de<br />

reprendre les armes à la première occasion. Après une semaine de dis­<br />

cussion, il les invita dans une concession qu'il avait fait aménaqer<br />

et entourer de hautes murailles. Il retint les notables jusqu'à une<br />

heure avancée de la nuit et les congédia l'un après l'autre. Mais<br />

aucun ne sortit de la concession ; chaque homme pénétrant dans le ves­<br />

tibule était saisi par cinq ou six captifs rapidement décapité et le<br />

corps était jeté dans un grand puits creusé à cette occasion. Le chef<br />

de Jibo seul échappa à ce meurtre. Le rescapé se rendit auprès du<br />

Yatenga Naba pour lui demander une armée afin de se venger. Le Naba<br />

fournit une puissante armée qui se massa à Pobé. Elle se dirigea sur<br />

Jibo en passant par Pouga, Omo, Oiguiyel. Elle déferla sur les villa­<br />

ges de Ingani et Bélèhèdé, Wuro Saba. Elle infligea une cuisante<br />

défaite aux Maasinankoobe. Le Wudiranoqa dirigeant des troupes mossi<br />

envoya dire au Yatenga Naba qu'il valait mieux faire d'une seule<br />

bouchée de tous les Peuls. Il décida d'installer des chefs mossi à<br />

Jibo, Barbulle et Tongomayel et le Yatenga Naba acquiesça. Dès lors<br />

les Mossi traitèrent les habitants du Jelgooji comme leurs esclaves.


- 118 -<br />

Les Peuls se soulevèrent et les massacrèrent dans une série de rencon­<br />

tres autour de Jibo. Débarassés des Mossi, les Peuls des trois cheffe­<br />

ries du Jelgooji écrivirent à Harndallay pour demander leur rattachement<br />

aux états de la Dina. Pour tenir compte de leur bonne volonté, le<br />

grand conseil décida que le pays choisirait lui-même son chef et<br />

qu'aucun étranger n'y serait envoyé pour exercer une fonction à quel­<br />

que titre que ce soit (1).<br />

2) "0umarou Ba Sambo avait deux femmes : Adama et r"1ali<br />

qui eurent deux garçons. La lignée des enfants issus<br />

d'Oumarou et Adama est dite Tann Adama (petits fils<br />

d'Adama). Celle des enfants issus de Oumarou et de Mali<br />

est dite Tann Mali. Sékou Amadou règnait dans le Macina<br />

pendant que Naba Totbalbo était empereur du Yatenga.<br />

Il y a un siècle Tonqomayel florissait par son grand<br />

marché où se croisaient marchands de bétail et riches com··<br />

merçants des contrées lointaines. A 8 km de Djibo, sont<br />

les ruines d'un village: N'Didja. Ce n'est plus qu'un<br />

triste souvenir ; c'est là que vivait Amadou Alika petit<br />

fils de Mali. Il alla un jour à Tongomayel y vendre ses<br />

trois taureaux. Tiambahel Hama Fo Founé, petit fils de<br />

(1) BA (A.H.), op. cit. pp. 166-172


- 119-<br />

" Adama refusa systématiquement d' autoriser la vente des<br />

animaux dans le marché où son ascendant étant grand sur<br />

la population. Les raisons du refus n'ayant pas été obtenues<br />

par Amadou Alika, ce dernier au paroxysme de la colère jura<br />

d'abattre et d'incendier l'accacia sous lequel se tenait le<br />

orand marché de Tongomayel. Tiambayel Hama Founé retorqua<br />

que si cela se faisait, il brOIerait le village de N'Didja<br />

et le transformerait en une brousse où ne vivraient désor­<br />

mais qu'autruches et pintades. Amadou Alika reprit donc<br />

la route de N'Didja ses trois taureaux en avant accompagné<br />

de son palefrenier. Les deux voyageurs reprirent leur che­<br />

min, leurs trois boeufs toujours en avant. A Sibé il fit<br />

halte. Un mouton lui fut offert; l'animal fut abattu,<br />

grillé mis en outre et chargé par le palefrenier. A Wana­<br />

Wana, brousse des environs de N'Didja, ayant aperçu les<br />

femmes peulh, Amadou fit détacher l'outre, dégaina son<br />

couteau, découpa la viande en petits morceaux qu'il avalait<br />

en cheminant ses trois boeufs toujours en avant. Cette<br />

façon de faire est considérée comme attentat à la pudeur,<br />

un sacrilège en pays peulh, une injure à l'endroit de la<br />

femme. Ces femmes fuyant à ce triste spectacle entendirent<br />

la voix d' Amadou Alika qui leur disait: "par ce geste<br />

indigne d'un noble je vous annonce l'anéantissement immi­<br />

nent du Guelqodji".<br />

"S' étant couché chez lui jusqu'au chant du cop il se


- 120 -<br />

" leva, sella son cheval et prit la direction de Hamdallahi<br />

où résidait Sékou Amadou du Macina. Il revint quelques se···<br />

maines après accompagné de nombreux ouerriers à cheval,<br />

bottés, enturbanés, pillant et massacrant tout sur leur<br />

passage. Les villaoes de Piladi, Tigne, Bélèhèdé, Filio,<br />

Houbaye, Koboua, Mintao furent incendiés, les greniers<br />

détruits et les grains brûlés. La population terrorisée,<br />

fuyant mourant de faim de soif d'épuisement. Un mardi, les<br />

envahisseurs firent leur entrée à Djibo au cri de<br />

"Assalamou Aléikoum" annonce du bon musulman qui rend<br />

visite. Quarante princes, les quarante familles de Djibo<br />

furent invités à pénétrer dans un parc où devait se discu­<br />

ter d'après les paroles pleines de sollicitude des arri­<br />

vants, le différent qui oppose Amadou Alika et Tiambahel<br />

Hama Founé pour une solution pacifique de l'Islam.<br />

Trente neuf princes entrèrent enchantés dans le parc,<br />

n'ayant rien appris de ce qui s'était passé dans l'arrière<br />

pays. Gallo Oumarou le quarantième, l'un des plus braves<br />

des familles Guelgobé préféra attendre à l'entrée du parc.<br />

"Courageux d'hier, lâche d'aujourd'hui" ! s'écria Tiambahel


- 122 -<br />

" de Djibo en cet endroit qui s'appelle Tingandé. Ceux des<br />

Macinankobé qui échappèrent à leurs lances et à leurs hachc3<br />

furent précipités avec leurs montures dans l'eau littérale­<br />

ment engloutis dans les flots.<br />

Pas un seul ne revit Hamdallahi. La population de Djibo<br />

mit des mois à s'abreuver de cette eau polluée de sang<br />

humain faute de mieux. Les vautours s'emoiffrèrent de leur<br />

chair et celle de chevaux morts laissant aux caïmans et aux<br />

anguilles les cadavres enfouis dans les flots de la vase.<br />

Le tribunal siègea après ce carnage•••• Il confisqua /-les<br />

biens des tarabé Mali_7 et prononça leur déchéance à jamais<br />

au trône du Guelgodji •..• Il destina pour toujours aux des­<br />

cendants de Adama, le trône du Guelqodji ; Alou Oumarou<br />

Boulo héros de la tragédie fut intrônisé. Le pays prospère<br />

durant tout son règne" (1).<br />

3) Les descendants de Mali et Aadama ont le même ancêtre,<br />

Nyorgo Mbuula. Mali et Aadama étaient ses deux femmes. Les descendants<br />

de Mali détenaient le pouvoir à Jibo. Aamadu Aalika (tann Mali) alla au<br />

marché de Tongomayel pour vendre ses boeufs. Njoboyel l'en empêcha.<br />

(1) TALL Sékou op. cit.


- 124 -<br />

A travers ces trois versions essayons de situer dans le<br />

temps l'évènement; dans la première et la seconde version, il est ques­<br />

tion du règne de Seeku Aamadu (1818-1845). La seconde version donne le<br />

nom du souverain du Yatenga à l'époque: Naba Totbalbo qui règna de<br />

1834 à 1850. Quant à nos informateurs (3è version) ils situent l'évène­<br />

ment sous le règne de Naba Yemde (1850-1877). D'autre part notons que<br />

Tall Sékou et nos informateurs s'accordent sur le fait qu'après l'in­<br />

tervention du Yatenga et la fuite des Maasinankoobe, Alu Umaru fut<br />

intrOnisé et règna de 1858 à 1874 (1). L'évènement se situerait alors<br />

autour de 1858 et non sous le règne de Seeku Aamadu ni celui de son fils<br />

Aamadu Seeku Aamadu (1845-1851) mais sous celui de son petit fils<br />

Aamadu III (1851-1862).<br />

Concernant les circonstances de l'intervention du Maasina<br />

Hampâté Bâ parle d'une querelle pour la prise du pouvoir dans la cheffe­<br />

rie de Barbulle sans mentionner les noms des personnages en scène ;<br />

l'héritier légitime, le rapport de force lui étant défavorable fait<br />

appel au Maasina tandis que nos informateurs et Tall Sékou parlent d'un<br />

conflit entre Aamadu Aalika et Njoboyel ou Cabayel Hamma rune respecti­<br />

vement descendants de Mali et d'Aadama. Les descendants de Mali déte­<br />

naient le pouvoir à Jibo et Tongomayel faisait partie à l'époque de la<br />

chefferie de Jibo. Aadama et Mali étaient les femmes de Nyorgo Mbuula<br />

(1) Ba Tekka


- 125 -<br />

LISTE DES CHEFS DE J180<br />

Paate Mbuula 1740-1754<br />

Umaru Nyorgo 1754-1757<br />

Samboru Nyorgo 1757-1762<br />

Hamare Jaare 1762-1776<br />

Buubu Nyorgo 1776-1792<br />

Sambo Nyorgo 1792-1805<br />

Samboru Paate 1805-1821<br />

Umaru Samboru Paate 1821-1828<br />

Bubukari Hamare Jaare 1828-1831<br />

Vero Kulle Nyorgo 1831-1855<br />

Aliu Sambo Nyorgo 1855-1858<br />

Hamari Jam Nyorqo 1858<br />

Nyori Vero Kulle Bura Nyorgo 1858<br />

Aliu Umaru Nyorgo 1858-1874<br />

Haamidu Aliu Sambo Nyorgo 1874-1897<br />

Haamidu Maaligi Sambo 1897-1898<br />

Saaliu Aliu Umaru Nyorgo 1898-1908<br />

Marmundi Gal0 Umaru Nyorgo 1908-1914<br />

Haamidu Alu Umaru Nyorgo 1914-1919<br />

Man9a Haamidu ou Bukkari Haamidu 1919-1952<br />

Aamadu Manga 1952 •••


- 126 -<br />

et non de son petit fils Umaru Aaa Sambo comme le mentionne Tall Sékou.<br />

Aamadu Aalika alla solliciter l'aide du Maasina. Cependant les trois<br />

versions s'accordent sur plusieurs points: assassinat d'une quaran­<br />

taine de princes et donc la liquidation des prétendants au pouvoir,<br />

simplification du problème de la succession. L'armée venue du Yatenga<br />

infligea une défaite aux Maasinankdobe qui prirent la fuite. Les ver­<br />

sions 1 et 2 s'accordent également sur certains villages investis par<br />

les troupes du Maasina, villages situés au nord et à l'est de Jibo<br />

tels que Piladi, Bélèhèdé ; de là les troupes rejoignirent Jibo.<br />

Dans les trois versions il y a concordance sur l'inter­<br />

vention des Maasinankoobe dans la chefferie de Jibo et de celle du<br />

Yatenga. La divergence apparait s'agissant de la chronologie et des<br />

circonstances. Hampâté Bâ mentionne une querelle dynastique dans la<br />

chefferie de Barbulle dont ne font pas état les deux autres versions.<br />

Il fournit également une grande précision en ce qui concerne l'iti­<br />

néraire des troupes du Maasina en direction de Barbulle. Au regard<br />

de tout cela une question se pose: s'agit-il dans les trois versions<br />

d'une même intervention du Maasina située à différentes époques ou de<br />

deux interventions survenues sous le règne de Seeku Aamadu et autour


- 128 -<br />

les armes lorsque le rapport de force leur était favorable. C'est ce<br />

qu'exprime Sékou Tall s'agissant de Cabayel Hamma Fune en ces termes<br />

"son ascendant était grand sur la population" à Tongomayel ; les des­<br />

cendants de Mali, le rapport de force leur étant défavorable firent<br />

appel pour se maintenir à une puissance politique extérieure avoisi­<br />

nante le Maasina. Hamdallay saisit cette occasion pour intervenir,<br />

annexer et contrôler mieux le Jelgooji ; en effet le Maasina avait<br />

des visées d'intégration des communautés peules avoisinantes avec les­<br />

quelles existaient des affinités ethniques et culturelles. les expé­<br />

ditions menées au sud de Hamdallay en pays bwa et samo (1) confirment<br />

ce fait. Mais le Yatenga craignait d'être encerclé par le Maasina.<br />

Pour l'éviter, il fallait contrecarrer l'annexion du Jelgooji qui fait<br />

frontière avec le Yatenga au nord. C'est ce qui explique l'intervention<br />

des troupes mossi au côté des Taraabe Aadama adversaires des Taraabe<br />

Mali alliés des Maasinankoobe.<br />

Hampâté Bâ parle d'une tentative des Mossi d'établir des<br />

chefs au Jelgooji ; ayant traité les Peuls comme des esclaves, les<br />

Jelgoobe se soulevèrent, massacrèrent les Mossi puis écrivirent à<br />

Hamdallay pour demander leur rattachement aux états de la Dina ; et<br />

pour tenir compte de leur volonté le grand conseil décida que le pays<br />

choisirait lui-même son chef et qu'aucun étranger n'y serait envoyé<br />

(1) BA (A.H.) op. cit. pp. 161-167


- 129 -<br />

pour exercer le commandement. Il s'agit certainement de la part des<br />

informateurs de l'auteur une tentative pour masquer l'échec du Maasina<br />

dans son désir de contrôler le Jelgooji ; en effet nos informateurs ne<br />

mentionnent pas la tentative du Yatenga d'installer des chefs mossi.<br />

Cependant il est question de rafle de femmes peules par les soldats<br />

mossi (1). La politique des souverains du Yatenqa à l'égard des Peuls<br />

ne permet pas de penser à une telle tentative. Les Peuls "ne participent<br />

pas de façon institutionnalisée au fonctionnement du système mossi ;<br />

leur présence sur le sol mossi est le fait d'une alliance entre eux et<br />

le roi, traduction contractuelle d'une relation plus fondamentale qui<br />

lie les Nakomsé aux Peul de statut ordinaire ou aux griots peul (Seta,<br />

pluriel: Setba)" (2). Les Peuls avaient une certaine autonomie, leurs<br />

propres chefs au Yatenga. L'objectif de l'expédition du Yatenga était<br />

de chasser les Maasinankoobe et de permettre aux laraabe Aadama d'accè­<br />

der à la chefferie de Jibo. Comme l'atteste la tradition orale Alu<br />

Umaru fut intrônisé et les laraabe Mali écartés pour de bon du pouvoir.<br />

Il s'en est suivi une rupture avec le Maasina et des liens étroits<br />

avec les souverains du Yatenqa symbolisés par un tribut annuel que les<br />

chefs de Jibo versaient au Yatenga Naba jusqu'à la pénétration fran­<br />

çaise. Le versement d'un tribut par les chefs du Jelgooji au Maasina<br />

(1) DIALLO Yero, Jibo, janvier 1977<br />

(2) IZARD Michel, Introduction à l'histoire des royaumes mossi,<br />

op. cit. t. l, p. 20


- 130 -<br />

survint à la veille de la conquête française j en 1862 le Maasina fut<br />

conquis par El Hadj Omar créateur de l'empire toucouleur. Par la suite,<br />

traqué par les troupes françaises son fils Ahmadou n'abandonna pas la<br />

volonté de se créer un second empire plus à l'est j dans sa retraite<br />

il noua des relations avec divers chefs peuls et touareg. Ne se sentant<br />

pas en sécurité à Hombori, Ahmadou et ses partisans gagnèrent Arbinda<br />

il y restèrent quelques mois avant de rejoindre Dori où il ne réussit<br />

pas à s'imposer (1894) (1). C'est à cette occasion que le Jelgooji<br />

faute de pouvoir résister à Ahmadou dut payer un tribut au souverain<br />

toucouleur (2).<br />

En définitive au cours du XIXè siècle le Jelqooji devait<br />

son autonomie par rapport au Maasina à l'intervention militaire du<br />

Yatenga dans son souci d'éviter un encerclement par Hamdallay.<br />

1(1) SAINT-MARTIN Yves, L'empire toucouleur 1848-1897,<br />

Livre Africain Paris 1970, p. 163<br />

(2) DIKKO Ha


- 133 -<br />

DI Frontière ou zone d'influence entre le Maasina et l'empire<br />

de Sokoto.<br />

Comme nous l'avons déjà vu, au début du XIXè siècle le<br />

centre et l'ouest du Soudan occidental virent la naissance et l'expan­<br />

sion des empires musulmans de Sokoto et du Maasina. Ces entités poli­<br />

tiques eurent des relations que nous tenterons d'examiner. On distinque<br />

trois périodes :<br />

- de 1815 à 1817<br />

- de IB17 à IB21<br />

- de 1821 à IB26 (1).<br />

Au commencement du Jihad au Massina, Seeku Aamadu prêta<br />

allégeance à Dan rodio et reçut de ce dernier un étendard, une aide<br />

sur le plan juridique ; il reçut de Sokoto quatre livres traitant du<br />

commandement, du comportement du prince, des instructions en matière de<br />

justice et des passages difficiles du Coran (2). Le jihad à Sokoto a<br />

sans doute inspiré Seeku Aamadu et d'autres lettrés musulmans dans le<br />

Maasina. Vers 1816-1817 Seeku Aamadu n'y était pas le seul reformateur<br />

il y avait d'autres comme Ibn Sa'id, Al Faqih, Al Husain Koita et Alfa<br />

Ahmad Alfaka. Jusqu'en 1821 Seeku Aamadu n'était qu'un leader poten­<br />

tiel du mouvement parmi plusieurs prétendants. L'allégeance vis-à-vis


- 138 -<br />

Seeku Aamadu avait désormais le contrôle sur la réoion<br />

de Fittuga, de Tombouctou. Les espoirs de Bello sur le succès du rival<br />

de Seeku Aamadu c'est-à-dire Al Husayn Koita sont déçus. Seeku Aamadu<br />

s'est imposé davantage et est devenu l'homme fort du r1aasina. 8ello<br />

accepta alors la rupture de l'allégeance; les deux émir al-muminin<br />

se vouèrent un respect mutuel ; on procèda à la formalisation des<br />

frontières. Selon Hampâté Bâ les forces militaires à la poursuite de<br />

Gelajo retournèrent à la rivière de Bélèhèdé qui marquait la frontière<br />

entre le Maasina et l'empire de Sokoto (1). Bélèhèdé, limite est du<br />

Jelgooji, est reconnu par nos informateurs comme étant la limite entre<br />

les deux empires (2). Nos informateurs du Liptaako situent la limite à<br />

Bamboofa limite ouest du Liptaako (3). Nous avons vu plus haut que le<br />

Maasina n'a pas réussi à établir son contrôle sur le Jelqooji. Entre<br />

Bélèhèdé et le Liptaako se situe la chefferie Kouroumba d'Arbinda qui<br />

ne fut pas entraînée dans le processus du jihad mais pourtant incluse<br />

dans l'empire de Sokoto par Hampâté Bâ et les informateurs du Jelqooji,<br />

De ce fait, il ressort que la base de la délimitation ne tient pas<br />

compte uniquement du contrôle politique et administratif il s'agit<br />

plutôt d'une délimitation de zone d'influence entre Sokoto et Hamdallay<br />

dans cette partie de l'Afrique occidentale.<br />

(1) BA (A.H.)<br />

(2) Ba Tekka<br />

(3) Bande Maaligi<br />

op. cit. pp. 127 et 168


- 140 -<br />

III - LES RAPPORTS AVEC LES COMMUNAUTES VOISINES JUSQU'A<br />

LA CONQUETE FRANCAISE<br />

Les rapports entre le Jelgooji, le Liptaako et les commu­<br />

nautés ou chefferies voisines se caractérisent au XIXè siècle par des<br />

guerres fréquentes.<br />

Au Jelgooji la tradition orale ne retient pas de façon<br />

précise toutes les guerres entreorises par les chefferies de Jibo et<br />

Barbulle et les attaques dont elles furent victimes; ceci s'explique<br />

d'autant plus qu'il s'aaissait d'exppditions nombreuses destinées à<br />

permettre de razzier les biens des populations environnantes et de<br />

se procurer des captifs (maccube) lorsque le rapport de force l'au­<br />

torisait ; ces expéditions étaient conçues comme faisant partie des<br />

préoccupations habituelles de l'aristocratie. Elles étaient source<br />

d'enrichissement et de prestige; organiser une campagne auerrière<br />

en revenir avec un butin forçait l'admiration; d'ailleurs le titre<br />

DIKKO (nom de famille des Jelgoobe) signifiait guerrier intrépide<br />

témoignant ainsi de leur vocation guerrière à l'image des ardo peuls<br />

du Maasina de la période antérieure au jihad (XVIIIè siècle).


- 141 -<br />

La tradition orale fait état des guerres de la fin du XIXè<br />

siècle, à la veille de l'implantation française; la chefferie de<br />

Barbulle subit l'attaque des Peuls Fitoobe de Ban; la chefferie de Ban<br />

est située au sud de Barbulle au nord-ouest du Yatenga. Cette attaque<br />

avait comme objectif la razzia de bétail. L'affrontement eut lieu à<br />

un endroit dénommé Weedu-Pooli au sud de Barbulle. Les Fitoobe furent<br />

victorieux et baptisèrent l'endroit "Hantaw" (lieu d'extermination).<br />

Barbulle prit sa revanche et infligea une défaite aux Fitoobe à un<br />

endroit qu 1ils baptisèrent à leur tour "Yobitaw" (la revanche) ; ceci<br />

sous les rèones de Demba 5idiiki à Ban et 5iidi Amadu Galo à Barbulle<br />

ce dernier règna de 1898 à 1913 (1).<br />

Lorsque la cible était de taille les chefs concevaient des<br />

alliances circonstantielles ; c'est ainsi que 5iidi Aamadu, Nduldi<br />

Bulkaasum (chef peul de Booni, région de Bandiagara) et Demba 5idiiki<br />

entreprirent une expédition contre les Gourmantché de Téra. Victorieux,<br />

ils réduisirent une partie de la population en captifs. Devant les<br />

incursions des Kouroumba d'Arbinda tantôt au Jelqooji, tantôt au Lip­<br />

taako, les deux entités politiques organisèrent une expédition et<br />

livrèrent bataille à la chefferie d'Arbinda à Wulow à l'ouest de Dori<br />

vers 1894 (2).<br />

(1) Dikko Haruuna<br />

(2) Hammadum BaaQa


- 142 -<br />

S'agissant du Liptaako, en 1881, Aamadu lisa émir du Liptao!::J<br />

(1886-1891) s'allia à Naba Ligidi de Boulsa (pays mossi) ; ils entre­<br />

prirent des expéditions de pillage dans le royaume gourmantché de Kuala.<br />

Naba Ligidi infligeait ainsi une correction à Kuala dont les cavaliers<br />

traversaient le royaume de Bulsa et razziaient des troupeaux dans la<br />

région de Pibaré (1).<br />

En regardant de près ces expéditions, on observe qu'elles<br />

concernent des chefferies soit échappant au contrôle du Maasina, des<br />

royaumes mossi et de l'empire de Sokoto (Arbinda, Kuala, Téra) soit des<br />

chefferies marginales situées à l'extrémité de ces trois ensembles<br />

(chefferies peules de Booni, chefferie peule de Ban au Yatenga). Le<br />

Jelgooji et le Liptaako conservaient à leur tour une certaine autonomi2<br />

vis-à-vis respectivement du Yatenga et de Sokoto. Ces expéditions donc<br />

se déroulent entre communautés maroinales par rapport aux trois grands<br />

ensembles politiques (Maasina, Yatenga, Sokoto) et traduisent un<br />

manque d'intégration politique et sociale. Les entités politiques de<br />

petite envergure se livrent à des guerres de pillaoe de caractère<br />

"féodal" ; le seul but étant le butin. Elles ne visent pas une annexion<br />

territoriale ni le paiement d'un tribut régulier symbole d'une allé­<br />

geance politique. Ces expéditions ne modifient pas l'ordre politique<br />

établi entre les empires ; par conséquent elles sont tolérées ; en<br />

effet nous avons vu la réaction du Yatenqa lorsque le Maasina tenta<br />

d'annexer le Jelgooji, ce qui modifierait l'équilibre politique.<br />

(1) "'ADIEGA G., op. cit., p. 241


- 143 -<br />

D'autre part au Jelqooji et au Liptaako les guerres sont<br />

sources d'approvisionnement en captifs; ces derniers sont surtout<br />

utilisés dans les travaux agricoles dans une économie d'auto­<br />

subsistance. Les guerres enrichissent une couche aristocratique<br />

turbulante, véritable menace pour le pouvoir; les campagnes guerrières<br />

les détournent tant soit peu des intrigues politiques.<br />

Ces campagnes guerrières opposèrent des chefferies peules<br />

(Fitoobe de Ban et Barbulle) , des chefferies peules à des populations<br />

sédentaires ; dans les affrontements entre Peuls on se contente de<br />

razzier le bétail alors que dans le second cas on se procure aussi des<br />

captifs. Cela laisse transpara1tre au-delà des guerres une solidarité<br />

ethnique entre communautés peules qui se manifeste par le refus de<br />

réduire en esclave son semblable. L'opposition Peuls / populations<br />

sédentaires est accentuée et légitimée par l'Islam qui justifie une<br />

hostilité entre Peuls musulmans et populations sédentaires de reli­<br />

gion traditionnelle réduisibles en esclavage. Ceci était net dans<br />

l'empire de Sokoto où les zones "paiennes" étaient considérées comme<br />

réservoirs d'esclaves.


- 144 -<br />

Les campagnes guerrières évoquées plus haut n'ont pas cons­<br />

titué une menace à l'endroit du Jelgooji et du Liptaako contrairement<br />

aux incursions des Touareg. La descente des Touareq au sud de leur zone<br />

d'occupation est intimement liée à la situation politique et économique<br />

dans la boucle du Niger aux lendemains de la chute de l'empire songha!<br />

à la fin du XVlè siècle. Tant qu'il y avait une puissance politique et<br />

militaire, les Touareg étaient contraints de se cantonner au Sahara<br />

mais aux XVllè, XVlIIè siècles les Pachas de Tombouctou furent incapa­<br />

bles de contrôler militairement le pays qu'ils occupèrent. Les confé­<br />

dérations touareq installées au Sahara à l'est de Tombouctou, éleveurs<br />

nomades s'occupant aussi du commerce transsaharien firent alors leur<br />

descente plus au sud ; en effet vers 1680 les Illimnenden quittèrent<br />

l'Adrar pour s'établir à Gao (1). Il est indéniable que le déplacement<br />

des Touareg avait des motifs économiques; ces nomades s'approvision­<br />

naient en denrées alimentaires chez les populations sédentaires de la<br />

boucle du Niger; mais aux XVllè - XVlllè siècles l'insécurité, les<br />

calamités naturelles affectent l'agriculture et le commerce; la<br />

famine s'installe, les sécheresses déciment les troupeaux. Dans ce<br />

contexte, pillages et razzias sont les moyens utilisés pour s'assurer<br />

les moyens de subsistance ; la descente des Touareg au nord-est du<br />

Jelgooji s'effectue par exemple autour de 1916 période pendant laquelle<br />

(1) STEWART c.e., Southern Saharan Scholarship and the bilad<br />

AI-Sudan, Journal of African History XVII, 1 (1976),<br />

pp. 73-93 (p. 77).


- 145 -<br />

une grande famine rèQnait en Afrique occidentale. Les Touareg y raz­<br />

ziaient les troupeaux, s'emparaient des repas des Peuls (1).<br />

Au nord-est du Liptaako vers 1803 ou 1804, les Touareg<br />

Oudallan vinrent s'installer dans la région qui porte leur nom obli­<br />

geant les populations en place Gourmantché et Songhai à leur payer un<br />

tribut annuel, ce qui ne les protégeait pas d'être pillées à<br />

l'occasion (2). Quelques années plus tard les Touareg font irruption<br />

au Liptaako. Sous le règne de Sori Hamma (1832-1861) les Touareg<br />

Tingeredech et Logomaten assaillent la région ; les Peuls furent<br />

défaits ; les combats firent environ 1563 morts du côté peul et 900<br />

du côté touareg. Sori Hamma fit construire alors une palissade autour<br />

de Dori pour arrêter les Touareg ; il fut contraint de leur payer un<br />

tribut (un cheval, 10 têtes de bétail) deux fois par an. Un tribut<br />

similaire fut versé aux Touareg Oudallan mais les raids ne cessèrent<br />

pas pour autant.<br />

Sous le règne de Bokar Sori (1890-1897), le Liptaako subit<br />

une attaque des Illimenden dont l'aménukal (chef de confédération)<br />

Madidou était basé à Ménaka sur la rive gauche du Niger à l'est de Gao c<br />

en 1896 le chef envoya ses cavaliers à travers le Niger dans<br />

l'Oudallan pour faire reconnaître son autorité à des groupes touareg.<br />

(1) Sambo Huseyni<br />

(2) BOUVEROT, op. cit.


- 148 -<br />

ceci ne se passe pas sans la consultation des souverains de Sokoto et<br />

du Yatenga respectivement par l'émir du Liptaako et les chefs du Jel­<br />

gooji. Le Sultan de Sokoto recommande à l'émir de réserver un bon<br />

accueil à Destenave les chefs de Jibo et Barbulle se sont d'abord<br />

assurés de l'attitude du Naba du Yatenga avant de faire leur soumission­<br />

Tout ceci montre le souci de l'émir du Liptaako et des chefs du Jel­<br />

gooji d'avoir une attitude conforme à celle respectivement des autori­<br />

tés de Sokoto et du Yatenga, traduisant ainsi des rapports Dolitiques<br />

maintenus jusqu'à l'occupation française i le Liptaako est un émirat<br />

de l'empire de Sokoto dont il consulte les autorités pour adopter une<br />

attitude face à une force étrangère envahissante. Le Jeloooji regarde<br />

vers le Yatenga qui a su auparavant préserver le pays de la main mise<br />

du Maasina. Ces données laissent penser à la possibilité de la parti­<br />

cipation du Jelgooji et du Liptaako à une force de résistance contre<br />

l'occupation coloniale qu'auraient organisée le Yatenga et Sokoto.<br />

Mais que se passait-il dans ces deux entités politiques ? Dès 1885<br />

les autorités de Sokoto optèrent pour la collaboration avec les Britan­<br />

niques. Au Yatenga une querelle dynastique s'installe entre Naba Baoco<br />

et Naba Bulli ou Bakaré i ce dernier sollicite l'appui des Français et<br />

le 18 mai 1895 un traité de protectorat est signé (1) ouvrant le Yatenqs<br />

aux Français. La soumission du Yatenga et de Sokoto au colonisateur<br />

trouva écho au Jelqooji et au Liptaako.<br />

(1) Archives du Sénégal, IG. 211.


- 149 -<br />

T ROI SIE ME PAR T 1 E<br />

-=============000==============-


- 152 -<br />

personnelles (qualité de chef, réputation en matière de justice, de<br />

piété, les services rendus au pays) et surtout leurs relations matri­<br />

linéaires et patrilinéaires, leurs alliances et leurs richesses (1),<br />

Il prenait contact avec tous les notables du pays résidents ou non à<br />

Dori et recueillait les renseignements auprès de tous ceux qui étaient<br />

susceptibles d'éclairer sa décision. Au niveau des groupes qui convoi­<br />

taient le pouvoir cela impliquait la nécessité de nouer des alliances<br />

à chaque fois compte tenu de leur instabilité au sein même du lignage<br />

aristocratique vue la tendance à la segmentation et à l'autonomie au<br />

cours des générations et sussi au niveau des lignages extérieurs. C'est<br />

ainsi qu'en 1833 après la mort de Saalu Hamma, Sari Hamma et lisa Saalu<br />

fils ainé de l'émir défunt rivalisèrent pour la prise du pouvoir; Sori<br />

fut aidé par Hamma Saalu petit frère de lisa Saalu mais issu de mère<br />

différente. Sari obtint l'appui des Peuls Moosiibe (venus du pays mossi)<br />

lignée à laquelle appartenait sa mère. En 1890 Buhaari Iisa en compé­<br />

tition avec Bubakar Sari pouvait compter sur l'appui des Feroobe de<br />

Kaccari car la mère de leur chef était sa soeur (2). Nous voyons appa­<br />

raitre l'importance des liens matrimoniaux dans la statégie politique,<br />

Il y avait des cas où des candidats grâce à leur personnalité arri­<br />

vaient à s'imposer sans une concurrence sérieuse: Hamma Saalu qui<br />

règna de 1817 à 1833, Seeku Saalu (1861-1887), Aamadu Iisa (1887-1891),<br />

(1) IRWIN J.P.,<br />

(2) idem<br />

op. cit., pp. 157-158<br />

ibidem p. 132


- 153 -<br />

tandis que la concurrence fut âpre entre Bubakar Sari (1891-1897) et<br />

Buhaari lisa. Le premier finit par l'emporter.<br />

S'agissant du collège électoral, il était composé des<br />

Toroobe de Weedu, Toroodi, Kampiti, Babirka et Dari. C'étaient de vieux<br />

notables chefs de villages représentant leurs localités. Nous nous sou-<br />

venons aussi que les Toroobe sont les plus anciens Peuls occupants de<br />

la région et constituaient l'aristocratie de certains villages comme<br />

Weedu, Toroodi etc••• Les Feroobe eurent des liens matrimoniaux avec<br />

eux à leur arrivée. Il est hors de doute que cela contribua au soutien<br />

que les Toroobe accordèrent à lbrahiima Seydu lors du Jihad. Mais après<br />

le Jihad, le pouvoir des Feroobe légitimé par Sokoto impliquait un<br />

renversement de l'ordre politique. Une nouvelle aristocratie se subs-<br />

titu8 à l'ancienne qu'il convenait de ménager et d'amener à coopérer<br />

pour désamorcer une situation conflictuelle. Le compromis trouvé par<br />

l'aristocratie des Feroobe fut d'accepter la constitution d'un collège<br />

électoral composé de Toroobe. Ce qui donnerait à ces derniers l'impres-<br />

sion d'une participation au pouvoir agissante dans le soutien à la<br />

Inouvelle aristocratie. D'autre part ce collèqe électoral a l'avantage<br />

Idans le système politique de par son extranéité par rapport à l'aristo­<br />

cratie des Feroobe de jouer un rôle d'arbitraqe dans la compétition pour


- 155 -<br />

2) Les attributs de l'émir<br />

--------------------------<br />

Les attributs de l'émir (amiiru) transparaissent à travers<br />

la cérémonie d'intronisation qui comporte des aspects traditionnels et<br />

d'inspiration islamique.<br />

Après le choix du collège électoral, le futur émir est sou-<br />

mis à un test consistant en un certain nombre de questions auxquelles<br />

il doit répondre ; ces questions se rapportent aux catégories de femmes<br />

qui portent bonheur au foyer et ayant les caractéristiques suivantes :<br />

une grosse tête garnie d'une chevelure abondante - une bouche large -<br />

une dentition bonne et les incisives espacées - les oreilles larges ou<br />

moyennes - le nombre des croix formées par les rayures de la paume des<br />

mains n'excèdant jamais sept. Les femmes qui portent malheur sont celles<br />

ayant : une petite tête - une bouche rétrécie - les yeux larmoyants -<br />

les femmes glabres. Ces croyances établissent un lien entre la forme<br />

des parties du corps et la destinée des femmes.<br />

Il doit également répondre à des questions concernant les<br />

animaux (oiseaux, chevaux, vaches, chèvres etc••• ) (1).<br />

Le futur émir ayant répondu correctement à ces questions<br />

reçoit le titre coutumier et doit offrir aux génies un cheval noir,<br />

un bélier, un bouc noir, une houe, une lance, un couteau. Tous les<br />

vendredis il offre un oeuf de poule à un serpent.<br />

(1) DICKO Nassourou, op. cit., p. 15


- 156 -<br />

L'étape suivante de l'intronisation se déroule le vendredi.<br />

Vers cinq heures du matin, c'est la confection du tambour (tubaI) ; le<br />

tambour n'existait pas avant le règne de Sari Hamma (1833-1861). Il fut<br />

intégré aux insignes du pouvoir sur les conseils de Sokoto (1) icelui<br />

de l'émir défunt est détruit dès l'annonce de sa mort et un nouveau<br />

est taillé dans un tronc de cailcédrat. Avant que l'on ne recouvre de<br />

peau le bois, le futur émir prend soin d'y déposer trois boules d'or<br />

et des "objets mystérieux". Pendant ce temps l'assistance ferme les<br />

yeux jusqu'à la fin de l'opération.<br />

Le même jour le futur émir est enturbanné par un des<br />

Toroobe i devant l'Imam et le Cadi face à l'étendard (fourni par<br />

Sokoto et conservé) il jure de respecter la coutume, les principes de<br />

l'Islam et d'assurer le bonheur de son peuple. L'Imam et le Cadi lui<br />

prodiguent des conseils. Vers deux heures du soir il va accomplir la<br />

prière du vendredi accompagné d'une nombreuse foule. Pendant une<br />

semaine on organise des festivités (2).<br />

L'intronisation constitue une recharge périodique de la<br />

machine politique. A travers cette dernière il y a intégration des<br />

éléments rituels traditionnels propres au pouvoir antérieur au jihad<br />

le savoir traditionnel que doit posséder l'émir pour diriger la commu­<br />

nauté ; les croyances relevant de la religion traditionnelle persistent<br />

(1) Bande Maaligi<br />

(2) DICKO Nassourou, op. cit., pp. 16-17


- 157 -<br />

et le chef politique en même temps garant de l'ordre cosmique doit se<br />

concilier les forces surnaturelles; c'est ce qui explique les of­<br />

frandes aux génies, au serpent. Le tambour est le siège du pouvoir<br />

spirituel de l'émir et à l'intérieur duquel sont déposés trois boules<br />

d'or et des "objets mystérieux" que ceux qui assistent à la cérémonie<br />

ne doivent pas voir. Nous n'avons pas pu connaître ces "objets mysté­<br />

rieux" mais il n'est pas exclu qu'il s'agisse des parties d'un corps<br />

humain. En effet selon certains informateurs l'émir devait tuer un<br />

être humain lors de son installation au pouvoir (1). C'est peut-être<br />

la raison pour laquelle ces objets sont occultés au public. La mani­<br />

pulation de l'or (métal précieux) et des "objets mystérieux" confère<br />

à l'émir une nature exceptionnelle allant dans le sens de sa trans­<br />

cendance et en dernière analyse contribue à la légitimation de son<br />

pouvoir. Mais ces aspects ne sauraient légitimer suffisamment le<br />

pouvoir; il faut rappeler les évènements, exhiber l'objet (l'éten­<br />

dard) marquant le rattachement à Sokoto et rappeler les implications<br />

de l'allègeance à savoir le respect des principes de l'Islam; c'est<br />

dans ce cadre que se situe la présence des autorités religieuses<br />

le fait que l'intronisation coincide avec le vendredi jour de la<br />

grande prière effectuée au milieu du jour en pays islamisé.<br />

(l) IRWIN J.P., op. cit., p. 135


- 158 -<br />

Les éléments islamiques de l'intronisation renforcent la prééminence<br />

de la nouvelle aristocratie sur l'ancienne.<br />

Souverain dont le jihad a léqitimé le pouvoir, l'émir<br />

adopte les institutions islamiques et c'est dans ce cadre que se situe<br />

la création des fonctions de Cadi et d'Imam.<br />

a) Le Cadi<br />

Aux lendemains du jihad le premier émir Ibrahiima Seydu<br />

choisit le lettré musulman Aliiyu Alfa pour assumer à la fois les rôles<br />

de Cadi et d'Imam au sein du lignage des Jallube (1). Par la suite<br />

les Cadis furent choisis parmi ses descendants. Après les trois pre­<br />

miers émirs (Ibrahiima Seydu, Seeku Saalu Hamma, Sori Hamma) les<br />

fonctions de Cadi et d'Imam furent dissociées; celle de l'Imam fut<br />

confiée à un ressortissant du lignage des Bariibe ou Sanfareebe (2),<br />

par souci d'efficacité ou peut-être pour s'assurer de la fidélité<br />

des Bariibe.<br />

Le Cadi unique pour tout le Liptaako réside à Dori ; son<br />

rôle est de rendre la justice conformément aux prescriptions du Coran<br />

(mutilation de la main droite du voleur, exécution de l'assassin au<br />

cas où la famille de la victime n'exige pas une réparation etc••. ).<br />

Il représente le tribunal de haute instance tandis que les questions<br />

(1) IRWIN J.P., op. cit., p. 116<br />

(2) Nasuru, Imam de Dori, 18.5.77


- 159 -<br />

mineures (divorce, succession •.• ) sont résolues sur le plan local (1).<br />

La fonction de Cadi répond à un besoin d'intégration sociale, de main-­<br />

tien d'ordre que l'Islam offre aux nouveaux maîtres du Liptaako,<br />

b) L'Imam<br />

Il existe un Imam dans les diverses localités du Liptaeko<br />

pour diriger les prières. Mais le grand Imam de Dori assure la direc­<br />

tion de la prière du vendredi ; il est le premier commentateur du<br />

Coran. Il recueille les aumônes en garde une partie et répartit le<br />

reste entre les marabouts et les pauvres (2) ; la prière du vendredi<br />

que dirige l'Imam de Dori revêt une grande importance. Au cours du<br />

XIXè siècle comme de nos jours, les habitants des villages du<br />

Liptaako en particulier les notables se rendent à Dori pour cette<br />

prière qui se fait en présence de l'émir. C'est l'occasion pour ce<br />

dernier de communiquer avec ses sujets à chaque semaine ; cette<br />

prière derrière un Imam symbolise l'unité de la communauté autour<br />

de la foi musulmane, communauté à la tête de laquelle se trouve<br />

l'émir. Elle rappelle de façon régulière les rapports entre l'émir<br />

et la communauté. L'Imam ne manque pas de prêcher pour le respect<br />

de la foi islamique et de l'ordre politique établi.<br />

(1) IRWIN J.P.,<br />

(2) Nasuru<br />

op. cit., p. 136


- 160 -<br />

Nous entendons par pouvoir local l'organisation politique<br />

au niveau des villages qui constituent l'émirat du liptaako. le pou-·<br />

voir local généralement héréditaire appartient à une famille du li­<br />

gnage le plus anciennement établi : Toroobe par exemple à Weedu et<br />

Toroodi, Waakambe à Kampiti et Koria etc.•• Mais dans certains cas<br />

des lignages nouvellement venus arrivent à s'imposer et à s'emparer<br />

du pouvoir local. Ce fut le cas à Kaccari où une famille des feroobe<br />

supplanta les Gaoobe vers 1840 (1). le chef de village ou jooro est<br />

choisi par les chefs de familles peules qui habitent les villages<br />

et l'émir entérine ce choix. Ce dernier envoie un morceau de tissu<br />

pour servir de turban au jooro, matérialisation de l'autorité de<br />

l'émir sur le chef de village. Nous voyons donc que sur le plan local<br />

l'aristocratie ancienne est conservée tandis que sur le plan central<br />

les feroobe monopolisent le pouvoir. Contrairement à ce qui s'est<br />

passé dans le pays hawsa au lendemain du jihad : les familles qui<br />

se sont illustrées dans le conflit remplacèrent les chefs de villages<br />

hawsa de religion traditionnelle qui ont été destitués. Au liptaako<br />

les émirs pour des raisons de cohésion sociale avaient intérêt à se<br />

concilier les anciens chefs de village dont l'éviction du reste serait<br />

difficilement justifiable sur le plan islamique d'autant plus que ces<br />

derniers avaient embrassé l'Islam et étaient par surcroît de la même<br />

ethnie que les feroobe.<br />

(1) IRWIN J.P., op. cit., p. 126


- 162 -<br />

Les descendants de Nyorgo eux-mêmes se subdivisèrent en différentes<br />

fractions rivalisant pour le pouvoir ; cette rivalité conduisait à<br />

des affrontements armés ; le cas le plus célèbre et qui a msrqué<br />

l'histoire du Jelgooji fut la lutte contre les descendants d'Aadsma<br />

et de Mali, toutes deux femmes de Nyorgo autour des années 1858.<br />

Cela a abouti à la simplification de la question de la succession<br />

et a favorisé la monopolisation du pouvoir par les descendants<br />

d'Aadama et plus particulièrement ceux d'Aliu Umaru Nyorqo qui<br />

règna de 1858 à 1874.<br />

Dans la chefferie de 8arbulle, comme nous l'avons vu<br />

deux lignées de Jelgoobe rivalisèrent pour le pouvoir : celle de<br />

Sambo Mboldi et de Hammari Jam Mboldi résidant respectivement à<br />

Dotoka et à 8arbulle.<br />

S'agissant de l'intronisation des chefs de Jibo et de<br />

Barbulle, le collège électoral des Sadssbe remet au candidat sur<br />

lequel a porté aon choix un bêton auquel on accroche les denrées<br />

alimentaires cultivées dans la région (mil, mals, arachide ••• ) (1).<br />

Le bêton symbolise l'élevage tendis que les denrées alimentaires<br />

représentent l'agriculture: élevage et agriculture étant les deux<br />

principales activités économiques J il est hors de doute que les<br />

chefs sont conçus comme syant une responsabilité en matière de<br />

prospérité de ls région; ils sont garants comme nous l'avons vu<br />

à propos du Liptssko du bien-être social lié à la réussite de<br />

(1) DIKKD Haruuns


- 163 -<br />

l'agriculture et de l'élevage; c'est ce qui explique que les chefs<br />

veillent à l'accomplissement des sacrifices sur les autels qui re­<br />

lèvent de la compétence des Kouroumba pour se concilier les forces<br />

surnaturelles. Nous voyons donc chez les Peuls du Jelgooji une con­<br />

ception traditionnelle du pouvoir que l'on retrouve dans bien<br />

d'autres sociétés de l'Afrique noire. Cependant comme au Liptaako<br />

cette conception du rÔle du chef ne suffit pas pour légitimer son<br />

pouvoir. En effet les candidats au pouvoir sont les doyens de leurs<br />

lignées (1) à ce titre ils exercent un rôle religieux et d'arbi­<br />

trage au sein de leur lignée i de ce fait ils ont le même statut<br />

que les doyens des autres lignages aristocratiques. Le collège<br />

électoral en portant son choix sur tel ou tel doyen ne résout pas<br />

le problème de légitimité du pouvoir qui nécessite une base idéo­<br />

logique plus solide; au Liptaako on la trouve dans l'autorité du<br />

calife de Sokoto en liaison avec le jihad. Cette base idéologique<br />

manque au Jelgooji ; dans cette région la conquête est antérieure<br />

au jihad et l'Islam ne pouvait catalyser et légitimer l'opposition<br />

Peuls / autorités des populations sédentaires assimilée à une<br />

oppoeition Musulmans / "animistes". D'autre part l'intervention du<br />

Maasina état musulman dans les querelles dynastiques du Jelgooji<br />

se situe à l'occasion d'un conflit entre deux fractions aristocra­<br />

tiques des Jelgoobe et non d'une opposition entre Peuls et populations<br />

(1) Hammadum Baaga, op. cit.


- 167 -<br />

II. L'ORGANISATION SOCIO-ECONOMIQUE<br />

Comme dans toute société, la structure économique et<br />

sociale des Peuls sont liées. Nous sommes en présence d'une économie<br />

d'auto-suffisance c'est-à-dire que la communauté produit tout ce qui<br />

est nécessaire à sa subsistance; l'agriculture et l'élevage cons­<br />

tituent les deux principales activités économiques. La conquête et<br />

la prise du pouvoir par les Peuls entraina un changement dans les<br />

rapports entre eux et les populations sédentaires. Nomades ou semi­<br />

nomades à l'origine, les Peuls principalement éleveurs échangeaient<br />

les produits laitiers contre les produits sgricoles nécessaires à<br />

leur consommation. En même temps ils gardaient les troupeaux des<br />

populations sédentaires à l'instar des Peuls qui de nos jours sont<br />

dispersés dans les zones où ils sont minoritaires.<br />

A la suite de la conquête, une partie des populations<br />

sédentaires est réduite en esclavage. D'autre part avec le bétail<br />

ou par des razzias, les Peuls se procuraient d'autres esclaves.<br />

Ces esclaves étaient destinés à diverses activités dont la princi­<br />

pale demeurait l'agriculture. Les Peuls possesseurs d'esclaves en<br />

l'occurrence l'aristocratie se sédentarisent rompant avec le genre<br />

de vie nomade ; le troupeau est alors confié soit à des esclaves<br />

ou à des Peuls psuvres. Il spparait une structure sociale hiérar­<br />

chisée composée de Peuls (aristocrates et hommes libres) et les<br />

esclaves (rimaybe) ; mais cette structure a d'autres composantes


- 168 -<br />

il s'agit des artisans, des griots et des commerçants j en effet si<br />

l'agriculture et l'élevage constituent les principales activités<br />

économiques, on ne peut se passer d'une production artisale locale<br />

(instruments de production, armes ••• ). Le commerce est une activité<br />

marginale mais il existe sur le plan régional et international assu-<br />

rant l'approvisionnement en produits de luxe (sel, kola, or, tissus<br />

etc•• ,), C'est dans ce cadre que se situe la présence d'artisans et<br />

de commerçants venus de l'extérieur.<br />

AI Les Peuls<br />

1) L'aristocratie<br />

-----------------<br />

Nous rangeons dans ce groupe les lignages aristocrati-<br />

ques (Jelgoobe et Feroobe) venus de l'extérieur au cours du XVllè<br />

et du XVlllè siècles et ayant dirigé la conquête peule. Ce groupe<br />

social jouit des privilèges économiques; en effet les autorités<br />

politiques (émirs du Liptaako, chefs de Jibo et Barbulle) lors de<br />

leur accession au pouvoir reçoivent de la part des sujets des biens<br />

surtout du bétail (1) : bovins, chèves, moutons, chevaux.,. Selon<br />

les informateurs ces "dons" n'étaient pas "obligatoires" (2). C'est<br />

dire que l'aspect idéologique détermine ce comportement: le pouvoir<br />

donne droit à la richesse source de prestige j dans les villages les<br />

chefs jouissent de ce privilège. D'autre part lors des razzias, une<br />

partie du butin revient aux autorités politiques. Le reste du butin<br />

(1) Saiidu Alayidi<br />

(2) Bande Maaligi


- 169 -<br />

est partagé aux membres de l'expédition notamment les aristocrates<br />

non au pouvoir. Au Liptaako l'émir recevait quelquefois le cinquième<br />

du butin mais cette proportion n'était pas toujours respectée et il<br />

en recevait moins souvent (1) à cause de la cupidité des partici­<br />

pants. C'est sans doute une pratique d'inspiration islamique mais<br />

qui souffre d'une déviation car le cinquième du butin doit revenir<br />

au Cadi. Le Liptaako partage cette entorse à la prescriptation<br />

islamique avec l'autorité suprême, le califat de Sokoto: sous le<br />

règne de r10hammed Bello, après trois expéditions successives le<br />

partage du butin fut fait entre les soldats après que l'on eut<br />

prélevé le quint; ensuite les soldats refusèrent de combattre en<br />

disant :<br />

"Nous ne combattons pas pour que le produit du butin<br />

appartienne à un autre que nous" (2).<br />

Bello après maints efforts faits pour les persuader<br />

d'accepter ce prélèvement dut céder et laisser les combattants se<br />

partager le butin entre eux.<br />

Au Jelqooji à la fin de chaque année (période des ré­<br />

coltes) les populations se rendent auprès des chefs pour les "saluer"<br />

et leur remettent des biens (récoltes, bétail) (3). Au Liptaako l'émir<br />

(1) IRWIN J.P., op. cit., p. 141<br />

(2) Tedzkiret En Nisiam Fi Akbar Moulouk Es Soudan, traduction<br />

O. Houdas, Paris Ernest Leroux 1901, p. 306<br />

(3) Hammadum Baaga.


- 174 -<br />

Au Jelgooji il y avait une autre source d'approvisionne-­<br />

ment en esclaves pour les chefs; face à l'insécurité suite aux<br />

guerres de razzias, guelques éléments des populations des régions<br />

voisines venaient se refugier chez les chefs de Jibo et devenaient<br />

leurs esclaves désignés sous le terme de dogganaataabe (1) (ceux qui<br />

fuient et entrent, se réfugient).<br />

En plus de l'agriculture les esclaves exécutaient divers<br />

travaux au profit de leurs maîtres : construction des habitations,<br />

gardiennage du troupeau, tissaqe etc••. pour les hommes; ces der­<br />

niers participent aux guerres comme fantassins ; tandis que les<br />

esclaves de sexe féminin sont au service des femmes du maître :<br />

elles filent le coton, vont chercher l'eau, pilent le mil, bref<br />

elles exécutent tous les travaux ménagers.<br />

Il s'agissait d'un esclavage domestique dans une éco­<br />

nomie d'auto-subsistance; les esclaves étaient prooriété commune<br />

d'une cellule familiale cadre dans lequel s'effectuait la produc­<br />

tion ; ils constituaient une main-d'oeuvre servile qui assurait<br />

l'essentiel de la production nécessaire à l'auto-subsistance. A<br />

la fin du XIXè siècle dans le cercle de Dori on comptait environ<br />

50 000 captifs pour 50 000 hommes libres (2) ; cela nous donne une<br />

idée de l'importance de l'esclavage chez les Peuls du nord de la<br />

Haute-Volta actuelle.<br />

(1) 8a Tekka<br />

(2) SOUTIllER J., les captifs en A.O.F. (1903-1905) SIFAN<br />

t. XXX nO 2, 1968, p. 528


- 177 -<br />

un noyau de fidèles alla fonder un village qui porta son nom dans<br />

la région de Tera. Là encore l'Islam servit de couverture idéolo­<br />

gique pour la lutte politique menaçant l'ordre étébli.<br />

cl Les artisans et les griots<br />

Cette catégorie sociale comprend les boisseliers (Lawbe),<br />

les forgerons (Wayilbe), les cordonniers (Gargasaabe), les griots<br />

(Maabube) j les points suivants retiendront notre attention : leur<br />

origine, leur activité économique, leur place dans la société.<br />

- Les Lawbe du Jelgooji sont originaires du pays Songhaï<br />

ou du pays mossi j ceux du Liptaako appelés encore Sekkeebe viennent<br />

du pays mossi après la guerre contre les Gourmantché (1) c'est-à­<br />

dire à la suite de la prise du pouvoir par les Peuls. Les Lawbe<br />

s'occupent du travail du bois pour la confection des outils et us­<br />

tensiles nécessaires à l'utilisation locale: récipients en bois<br />

pour contenir les aliments ou pour abreuver le bétail, les mortiers<br />

et pilons pour écraser le mil." qu'ils échanaent contre du bétail.<br />

Les Lawbe du pays mossi sont toujours en perpétuel déplacement en<br />

quête d'endroits où ils peuvent écouler leur production. C'est cer­<br />

tainement ces randonnées qui les conduisirent au Liptaako et au<br />

Jelgooji où ils se sont installés auprès des communautés peules.<br />

(1) Bande Maaligi


- 178 -<br />

- Quant aux forqerons on en distingue deux sortes : ceux<br />

qui fabriquent les outils à partir du fer extrait des roches ferru­<br />

gineuses fondues et ceux qui transforment les métaux précieux (or,<br />

argent) en objets de parure (boucle d'oreilles, bracelets, baques. ,.)<br />

tant appréciés par les femmes peules. Au Jelgooji les premiers<br />

viennent encore du pays mossi, tandis que les seconds viennent du<br />

Maasina (1) attirés par un nouveau marché que constituent les com­<br />

munautés peules pour mettre à profit leur savoir technique. Au<br />

Liptaako ceux qui travaillent le fer sont d'origine gourmantché.<br />

- Les Gargasaabe s'occupent du travail du cuir (sacs,<br />

couasins, harnachement des chevaux, chaussures ••• ) i ils sont<br />

d'origine Gaoobe ou 8ella.<br />

- Les Maabube du Jelqooji étaient à l'origine des Peuls<br />

pauvres venus du pays hawsa. Ils quittèrent leur lieu d'origine et<br />

vinrent au Jelgooji, commencèrent à quémander pour vivre. Par la<br />

suite ils se constituèrent en catégorie sociale qui ne vit que de<br />

son rôle de griot i ils seraient venus sous le règne d'Alu<br />

Buulo (2). Ceux du Liptaako sont originaires du Jelgooji (3) : une<br />

fraction alla rejoindre la nouvelle aristocratie issue de la con­<br />

quête pour chanter ses louanges. Tandis que les autres artisans<br />

(1) Ba Tekka<br />

(?) idem<br />

(3) Bande Maaligi


- IBD -<br />

En observant les rapports entre Peuls d'une part et les<br />

artisans et griots d'autre part, on cerne la place de ces derniers<br />

dans la société. Les Peuls ne se marient pas avec eux ils se<br />

marient entre eux et sont exclus du pouvoir; cependant l'aristo­<br />

cratie peule se marie avec les filles esclaves. Cela s'explique dans<br />

la mesure où les esclaves n'ont pas la liberté de leur personne<br />

de sorte que les Peuls peuvent contrôler leur mobilité sociale ;<br />

tandis que les artisans et griots sont des hommes libres ; d'où la<br />

nécessité de préserver la stratification sociale par les interdits<br />

de mariage. Le système socio-politique marninalise cette catégorie<br />

sociale du reste marginale par rapoort au système de production<br />

fondé sur l'élevage et l'agriculture pratiquée par les esclaves.<br />

L'exclusion des artisans et griots du pouvoir vise à perpétuer les<br />

privilèges de l'aristocratie; l'intégration politique de cette<br />

catégorie sociale venue de l'extérieur avec un savoir technique et<br />

intellectuel qui inspire la crainte au niveau des Peuls risquerait<br />

de rompre l'équilibre social existant. Cette crainte des Peuls se<br />

manifeste à travers quelques exemples de comportements que conser­<br />

ve la tradition orale: "avant on avait peur du forgeron; s'il se<br />

fâchait c'était très mauvais car son coeur est vénimeux (pour dire<br />

sa colère est redoutable). S'il oubliait son objet dans la forge •••<br />

personne n'osait y toucher ••• " (1).<br />

(1) BOKUM A., Textes de tradition orale peule du Liptaako. p. 79.


- 182 -<br />

L'appartenance à la catéqorie sociale des artisans et<br />

des autres strates sociales est déterminée par la naissance qui con-<br />

fère à chaque individu un statut. La société sanctionne tout acte<br />

portant atteinte à l'ordre social. Au Jelgooji un qriot surpris en<br />

train de faire la cour à une femme peule ou esclave est victime du<br />

"ben". Le "ben" prive ce ariot du droit de quémander; "alors il<br />

reste là pendant un certain temps, il tournoie••• va demander pardon<br />

à droite, à gauche et en fin de compte ••. un conseil se réunit et on<br />

dit que le "ben" est levé. Il récupère tous ces droits et il peut<br />

aller demander. Mais pendant tout le temps du "ben" on ne lui donne<br />

rien••• " (1).<br />

DI Le commerce<br />

ID) Dari: centre commercial<br />

----------------------------<br />

Au cours du XIXè siècle on voit converger à Dari capi-<br />

tale du Liptaako plusieurs courants commerciaux. Selon les indica-<br />

tians de l'explorateur Barth (2) qui séjourne à Dari en 1853, les<br />

Arabes (Maures) de l'Azaouad, la région au nord de Tombouctou s'y<br />

rendent. Il précise que ces derniers viennent de l'Azaouad non pas<br />

en passant par Tombouctou mais par Gao. Toujours d'après Barth<br />

viennent à Dari les commerçants dyula qu'il appelle les Il'angarawa<br />

(1) DIKKO Haruuna<br />

(2) BARTH (H.), Travels and discoveries in north and central Africa,<br />

éd. Casso London 1968, t. III, pp. 201-203.


- 189 -<br />

la dimension économique de la politique du Maasina et de Sokoto au<br />

début du XIXè siècle. Il est à penser que Dori est devenue carrefour<br />

commercial à partir de 1825 date de la prise de Tombouctou par le<br />

Maasina. C'est ce qui expliquerait la facilité pour trouver un com­<br />

promis en ce qui concerne la délimitation des zones d'influences<br />

entre les deux empires.<br />

Examinons maintenant les produits commerciaux. Du nord­<br />

ouest passant par Gao, les caravanes maures et touareg apportent à<br />

Dori du tabac, des nattes en fibres de palmier, du bétail et surtout<br />

du sel (1). Dans l'Afrique noire précoloniale en dehors des zones de<br />

production on éprouvait une véritable faim de sel; c'était une mar­<br />

chandise de luxe faute de laquelle on se contentait de cendres vé­<br />

gétales pour assurer l'équilibre des besoins physiologiques. Le sel<br />

transporté à Dori est comme le note Barth celui de Taudéni et pro­<br />

bablement de l'Air; il est acheminé oar la "route du sel" reliant<br />

le Maroc au Soudan, route de l'ouest faisant un détour, la ligne<br />

directe du Tafilalet au Soudan étant infestée de pillards à la fin<br />

du XVlllè siècle et au début du XIXè siècle (2). Elle passe par<br />

Oued Noun, Séguiet el Hamra, Oued Soutana, Ouadan, le Sénégal,<br />

Tichit, Arouan (grand entrepôt du sel venu de Taudeni) pour aboutir<br />

(1) BOUVEROT, op. cit.<br />

(2) EMERIT Marcel, Les liaisons terrestres entre le Soudan et<br />

l'Afrique du nord au XVlllè et au début du XIXè siècle,<br />

Travaux de l'Institut des Recherches Sahariennes. t. XI, ier<br />

sem. 1954, Univ. d'Alger, pp. 29-47 (p. 30).


- 190 -<br />

à l'Azouad au nord de Tombouctou (1). Le sel était transporté à Dori<br />

à dos de chameaux, un seul marchand pouvant posséder environ 40<br />

chameaux (2).<br />

Les Maures et Touareg échangeaient leurs marchandises<br />

contre les bandes de coton utilisées pour la confection de vêtements,<br />

les turbans venant du pays hawsa ou contre des marchandises d'ori­<br />

gine européenne (3). Les commerçants hawsa transportaient à Dori<br />

pagnes, boubous, turbans bleus ou noirs qu'ils échangeaient contre<br />

du bétail et du sel qu'ils conduisaient en pays mossi, au Mamprussi<br />

et plus au sud. Ils y échangeaient le sel contre des tissus et dif­<br />

férents produits qu'ils ramenaient à Dori pour les échanger encore<br />

contre du bétail, des plumes d'autruches et de l'ivoire (ces deux<br />

marchandises étant en très faible quantité (4). Les marchandises<br />

venant du pays mossi sont acheminées par les Varsé d'origine mandé<br />

installés dans le pays depuis le XVIè siècle; il s'agit des bandes<br />

de coton, des objets de cuivre ouvré pour la fabrication de bijoux,<br />

des ânes, moyen de transport qu'achètent les commerçants hawsa.<br />

Par le pays mossi venait également la kola importée du sud (pays<br />

Asante) et échangée contre sel et bétail. Ce produit comme le sel<br />

est un produit de luxe originaire des zones forestières ; ses alca­<br />

loides en font un excitant puissant autorisé par l'Islam et son<br />

amertume profonde protège efficacement contre la soif. Sa consommation<br />

(1) EMERIT Marcel,<br />

(2) BARTH<br />

(3) BOUVEROT<br />

(4) Idem.<br />

op. cit., p. 32<br />

op. cit., pp. 201-203<br />

op. cit.


- 193 -<br />

Monteil et surtout Barth cet excellent observateur lors de leur<br />

passage à Dari. Les esclaves ne devaient certainement pas alimenter<br />

un commerce régulier à Dari en direction du Maghreb ou du pays haws8.<br />

Les f1aures s'approvisionnaient en esclaves dans les cités marchandes<br />

des marka à le périphérie de la zone centrale du royaume bambara de<br />

Ségou. Nyamina, Sansanding, Nayro etc••• (1) ; au sud-ouest du<br />

Yatenga en pays samo, les pillards mossi capturaient les populations<br />

qu'ils échangeaient contre le sel auprès des commerçants dyula ; ces<br />

derniers les acheminaient dans la région de Tombouctou en passant<br />

par Gomboro, Louta, Baï, Bankas, Bandia9ara, Mopti (2). Quant aux<br />

commerçants hawsa, les guerres de l'empire de Sokoto leur fournis-<br />

saient les esclaves dont une partie était exportée vers Tripoli et<br />

l'Egypte. Faire venir les esclaves à Dori aurait nécessité le par-<br />

cours d'une longue distance pour les commerçants du pays mossi et<br />

du nord Nigéria. Ce qui rendait ce commerce peu rentable compte<br />

tenu des sources d'approvisionnement plus proches pour les Maures<br />

dans les localités citées plus haut. Tout ceci explique que les<br />

esclaves ne transitent pas par Dari,<br />

Quant à l'or la même remarque reste valable; le com-<br />

merce du métal orécieux s'effectue en direction du Maghreb dans la<br />

partie ouest de la boucle du Niger. L'or du pays lobi passe par<br />

Bobo-Dioulasso pour aboutir à Djenné et Bandiagara (3) ; l'or du<br />

Bouré remonte à Sansanding, Nyamina, Nayro.<br />

(1) MEILLASSOUX C., L'esclavage en Afrique précoloniale,<br />

Paris Maspéro, 1975, p. 153.<br />

(2) Idem Ibidem, p. 502.<br />

(3) CROZAT (Dr), Mission eu pays Mossi, Kinia Déc. 1890<br />

janvier 1891, J.OR.T. 5-9 oct. 1891, p. 4790.


- 194 -<br />

Tout compte fait le rôle essentiel de Dori c'est la<br />

jonction entre d'une part les commerçants de l'empire de Sokoto et<br />

d'autre part les commerçants sahariens et des autres régions de la<br />

boucle du Niger. Toutefois comme le confirme la tradition orale,<br />

il ne faut pas exclure l'arrivée sporadique à Dori de quelques<br />

esclaves que les Peuls achètent pour ajouter aux esclaves capturés<br />

lors des razzias ou acquis lors de la conquête. L'or alimentait pro­<br />

bablement un commerce "invisible" marginal.<br />

Au Jelgooji aux XVIIIè et XIXè siRcles Tonaomayel et<br />

Jibo étaient situés sur les routes commerciales reliant le pays mossi<br />

au delta intérieur du Niger aboutissement des caravanes transsaha­<br />

riennes. Une route directe reliait Ouagadougou à la région de Tom­<br />

bouctou en passant par Zitenga, Mané, Tonqomayel, Jibo, Douentza.<br />

Une autre plus à l'est partant de Ouagadougou passait par Boussouma,<br />

Kaya avant de rejoindre la précédente (1). Ouagadougou communiquait<br />

avec Ouahigouya (Yatenqa) par une route passant par Zitenga, Yako<br />

ou ManP-. Ouahigouya est à son tour branché sur le delta intérieur<br />

du Niger par Bandiagara en passant par le Jelqooji.<br />

Ces routes sont des routes du sel et de la kola dont le<br />

commerce est entre les mains des Yarse et Dyula. Du pays mossi, les<br />

commerçants se rendaient au sud en zone kolatière (Asante) pour se<br />

(1) IZARD Michel, op. cit., p. 386


- 195 -<br />

procurer la kola qu'ils échangeaient contre le bétail et les<br />

esclaves (1), les marchandises européennes (tissus, verroterie,<br />

colliers ••• ). Ces produits étaient alors acheminés en pays mossi<br />

une partie y 6tait vendue tandis que le reste est conduit plus au<br />

nord dans le delta intérieur du Niger où la kola permettait d'acqué­<br />

rir des cowris nécessaires à l'achat du sel comme le note Réné<br />

Caillé: "168 cowrieaprovenant de la vente des colats ••• sont des­<br />

tinées à l'achat du sel, car avec cette sorte de marchandise ils<br />

ne pourraient pas en acheter" (2) à Djenné. Munis du sel, les com­<br />

merçants se dirigent vers le sud. Au Jelgooji une partie du sel est<br />

échangé contre le bétail chez les Peuls éleveurs. La tradition orale<br />

fait état de la convergence à Tongomayel orand marché de bétail du<br />

Jelgooji des commerçants du pays mossi en provenance de Ouagadougou,<br />

Pisila, Kupéla, Ouahigouya et••. (3). Le bétail servait comme nous<br />

l'avons vu à se procurer la kola. Ouagadougou était reliée plus au<br />

sud à Vendi, Salaga, Kintampo, Wa, Bondoukou (4).<br />

Le Jelgooji était donc une zone intermédiaire, une étape<br />

entre le pays mossi et la zone forestière d'une part et le nord où<br />

(1) LOVEJOV P.E., Long-distance trade and Islam: the case of the<br />

nineteenth century hawsa kola trade J.H.S.H. V, 4, 1971, p. 540.<br />

(2) CAILLE R. op. cit., p. 213<br />

(3) Ba Tekka<br />

(4) IZARD Michel, op. cit., p. 386


- 196 -<br />

aboutissaient les caravanes transsahariennes. Le Yatenga comme le<br />

royaume de Ouagadougou s'approvisionnait en sel par les routes<br />

passant par le Jelgooji. Cet aspect revêt une grande importance et<br />

constitue le fondement économique de la politique du Yatenga à<br />

l'égard du Jelgooji. C'est ce qui explique en partie l'opposition<br />

du Yatenga à la main mise du Maasina sur cette région.<br />

Le moyen d'échange utilisé au Jelgooji était le troc;<br />

cette région n'était pas affectée par les cowris selon la tradition<br />

orale (1) ; tandis qu'à Dari les coquilJages intervenaient dans les<br />

transactions sans être le moyen d'échange dominant. Ceci traduit la<br />

moindre importance commerciale du Jelgooji par rapport au Liptaako<br />

les cowris intervenaient comme moyen d'échange et unité de compte<br />

surtout dans les marchés d'une certaine importance où convergeaient<br />

les commerçants de plusieurs contrées comme dans le delta intérieur<br />

du Niger ou à Salaga. Le Jelgooji n'était pas un carrefour commer­<br />

cial mais plutôt une zone où les commerçants effectuaient le com­<br />

merce d'escale.<br />

Au Jelgooji et au Liptaako ce qui frappe chez les com­<br />

merçants, c'est leur origine extérieure (Dyula, Yarsé, Hawsa,<br />

Maures). Ces commerçants viennent des zones de contact entre l'Afri­<br />

que du nord et le Soudan, contacts ayant stimulé au cours des siècles<br />

le commerce. Jusqu'au début du XIXè siècle en effet l'essentiel de<br />

(1) DIKKO Haruuna.


- 198 -<br />

/TONCLUSION<br />

-========000========-<br />

Au terme de cette étude, le moment est venu de faire le<br />

bilan, de déqager les acquis essentiels et les insuffisances liées<br />

aux sources et sans doute à nos limites personnelles en tant que<br />

chercheur.<br />

En jetant un coup d'oeil sur l'histoire de l'Afrique<br />

occidentale soudano-sahélienne aux XVlllè - XIXè siècles, ce qui<br />

est frappant c'est l'émerqence des Peuls qui, à la suite de la<br />

conquête constituèrent çà et là des entités politiques dans<br />

plusieurs régions: Bundu, Fuuta Tooro, Fuuta Jalon, Maasina,<br />

Pays hawsa, Adamawa. Certains historiens eu égard à ce phénomène<br />

ne manquèrent pas de parler d'une hégémonie peule à cp-tte époque.<br />

C'est dans ce cadre plus global qu'il convient de situer l'émer-<br />

gence peule dans le nord de la Haute-llolta actuelle au Jelgooji<br />

et au Liptaako respectivement au XVlllè et au début du XIXè siècle.<br />

On note dans l'ensemble un processus analogue: migration des Peuls<br />

éleveurs à partir de foyer de dispersion, installation dans diffé-<br />

rentes régions où ils entrent en contact avec des populations<br />

sédentaires, conquête.<br />

A propos de la migration des Peuls notamment de l'aris-<br />

tocratie du Jelgooji (Jelgoobe) et du Liptaako (Feroobe) la tradition<br />

orale indique le delta intérieur du Niger comme étant le foyer de


- 199 -<br />

dispersion ; mentionnons également que les Peuls conquérants du<br />

Fuuta Jalon sont originaires du Maasina ; nous avons essayer de<br />

saisir les motifs possibles de ces migrations à travers la situa­<br />

tion politique,économique et sociale du delta intérieur du Niger<br />

aux XVIIè - XVIIIè siècles. Cependant le problème de migration<br />

reste à approfondir par des travaux d'enquête en matière de tradi­<br />

tion orale pour cerner de façon plus précise l'histoire des commu­<br />

nautés peules de cette région pendant cette période; sur l'orioine<br />

des Jelgoobe et des Feroobe, la tradition orale indique des loca­<br />

lités situées en République actuelle du Mali où les recherches<br />

devront être menées (Fituga, Kunaari, Booni, Simbi). Ceci permet­<br />

tra le mieux refuter les origines princières, les querelles dynas­<br />

tiques pour expliquer les miorations. En effet tout groupe social<br />

dominant élabore une idéologie pour légitimer sa position et c'est<br />

dans ce cadre qu'il faut situer la recherche d'une origine presti­<br />

gieuse par les aristocrates Jelgoobe et Feroobe.<br />

En ce qui concerne l'émergence des Jelgoobe au Jelgooji<br />

nous avons formulé des hypothèses sur le contexte dans lequel elle<br />

s'est déroulée en nous appuyant sur des données insuffisantes de<br />

tradition orale peule : une crise économique effectant l'oroanisa­<br />

tion socio-politique des populations sédentaires a permis aux Peuls


- 201 -<br />

comme un facteur d'intégration socio-politique, de détribalisation<br />

par la diffusion d'une pensée commune et qui favorise la consti­<br />

tution d'ensemble politique d'une certaine envergure. C'est dans<br />

ce cadre qu'il faudrait situer la naissance de l'émirat du<br />

Liptaako en relation avec le jihad de Sokoto. C'est dire que le<br />

phénomène islamique revêt une importance historique oarticulière<br />

aux XVlllè - XIXè siècles où il a été un ferment de transformation,<br />

une principale force sociale capable de bouleverser le visage tra­<br />

ditionnel de l'Afrique Soudano-Sahélienne. Une meilleure compréhen­<br />

sion de ce phénomène passe par la traduction et l'étude des<br />

oeuvres des reformateurs et les ouvrages de pensée islamique en<br />

circulation par des chercheurs arabisants. Les chercheurs anglo­<br />

phones ont sans doute saisi l'importance de cette question<br />

lorsqu'ils ont entrepris la traduction des oeuvres de Dan Fodio.<br />

La comparaison de quelques idées contenues dans certaines oeuvres<br />

avec les données de tradition orale peule du Liptaako nous a permis<br />

de déceler un fond idéoloqique commun notamment sur la justifica­<br />

tion islamique de la conquête peule, le fondement du pouvoir, sa<br />

légitimité. Ce travail mérite d'être entrepris au niveau des<br />

reformateurs des autres régions (Fuuta Jalon, Maasina etc ••• ) pour<br />

une meilleure compréhension du jihad.


- 202 -<br />

L'émergence politique des Jelooobe et des Feroobe con­<br />

sacre la rupture avec le mode de vie antérieur à la conquête. Les<br />

éleveurs nomades d'antan, soumis aux autorités des populations<br />

sédentaires, se sédentarisent, établissent leur domination sur les<br />

populations conquises dont l'exploitation leur assure des revenus<br />

économiques (travail des esclaves, tribut sur les récoltes et le<br />

bétail) j une organisation sociale stratifiée voit le jour inté­<br />

grant des éléments extérieurs à l'ethnie peule. A quelques nuances<br />

près nous retrouvons la même organisation sociale au Maasina, au<br />

Fuuta Jalon, au Fuuta looro. Chez les Peuls nomades une telle or­<br />

ganisation sociale n'existe pas. Les Peuls empruntèrent alors aux<br />

populations sédentaires une organisation sociale qui répondait à<br />

un besoin interne sur le plan économique et culturel.


II) Bibliographie<br />

- 205 -<br />

ABDALLAH L., Le règne d'Ousman Dan rodio, Présence Africaine<br />

nO 39, 4è trim. 1961, p. 159 et suite.<br />

BARRAL H., Mobilité et cloisonnement chez les éleveurs de Haute­<br />

Volta, Cahiers ORSTOM série sciences humaines, vol. XI<br />

nO 2, 1974, pp. 275-322.<br />

BA (A.H.) et KE5TELOOT (L.), Une épopée peule : Silamaka,<br />

L'Homme t. 8 nO l, 1968, pp. 5-36.<br />

BA (A.H.) et OAGET (J.), L'empire peul du Macina, vol. 1<br />

(1818-1853) Mouton et Cie, 1962.<br />

BALOGUM (S.A.), The place of Argunqu in Gwandu history<br />

Journal of the Historical Society of Nigeria<br />

(J.H.5.N.) 7/3 décembre 1974, pp. 403-415.<br />

BARRAL H., Les populations d'éleveurs et les problèmes pastoraux<br />

dans le nord-est de la Haute-Volta (1963-1964)<br />

Cahiers de l'ORSTOM série sciences humaines,<br />

vol. IV, nO l, 1967, pp. 3-30.

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