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Arts&spectacles<br />
L’œuvre fait partie d’une série qu’Henri<br />
Cueco, peintre et écrivain, a travaillée<br />
de 1965 à 1975. L’artiste s’attarde ici<br />
sur la révolte. Il met en scène des<br />
silhouettes, dépersonnalisées, perdues,<br />
angoissantes et démesurées. L’une<br />
d’elles a une pancarte à la main. Ce sont<br />
des manifestants, des hommes qui bougent.<br />
Rien d’étonnant à Rouvroy ; on<br />
connaît la ville, elle sait protester,<br />
bouger, et s’engager. Cueco a été<br />
membre du parti communiste de 1954 à<br />
1976…<br />
En 1974, Guy Carpentier était directeur<br />
de la maison de l’Art et de la<br />
Communication à Sallaumines.<br />
Intelligent et passionné d’art d’aujourd’hui,<br />
il a reçu les plus grands plasticiens<br />
et a proposé à la ville de se constituer<br />
un fonds d’art contemporain. «Les<br />
municipalités communistes aidaient les<br />
artistes, explique M. Marciniak,<br />
Rouvroy a donc aussi acheté une œuvre<br />
à Cueco. Elle a dû coûter entre 7000 et<br />
9000 francs de l’époque, ce n’était pas<br />
excessif. » Aujourd’hui, elle est estimée<br />
L’Écho du Pas-de-Calais n o 120 – Octobre-Novembre 2011 25<br />
Rouvroy retrouve ses Hommes rouges<br />
L’ŒUVRE était posée là depuis si longtemps, qu’elle s’était intégrée au<br />
quotidien. Accrochée au mur dans le hall de l’école Elsa-Triolet, elle en<br />
faisait partie. Certains l’avaient oubliée, d’autres n’avaient aucune idée de<br />
ce qu’étaient ces hommes rouges peints à l’huile, rivetés sur du contre-plaqué.<br />
Un support somme toute pratique, pour punaiser les dessins d’enfant…<br />
Pourtant, un jour, la grande plaque de 2 m sur 1,80 m a gêné. Elle s’est retrouvée<br />
dans un local, menacée de benne… Personne ne soupçonnait que cette pièce,<br />
tirée de la série Les Hommes rouges était le travail du maître Henri Cueco, un<br />
des plus grands peintres contemporains vivants. Personne sauf Richard<br />
Marciniak, responsable de la communication et… plasticien.<br />
Une Fille du pêcheur a sans<br />
doute été réalisée quand Jules<br />
Breton était à Douarnenez, en<br />
Bretagne en 1876. Elle représente<br />
Marguerite Moreau, un des<br />
modèles de l’artiste, en train de<br />
raccommoder un filet de pêche.<br />
« Quand le tableau est entré<br />
dans les collections du musée, il<br />
était considéré comme “la perle<br />
des œuvres contemporaines” »,<br />
raconte Anne Labourdette. La<br />
peinture était bien sûr inscrite<br />
dans le répertoire du musée et<br />
figure sur une liste des dommages<br />
causés aux collections… mais elle<br />
n’existe pas dans la base de données<br />
d’Interpol qui répertorie<br />
sur Internet les œuvres d'art les<br />
plus recherchées. Pas assez de<br />
temps, de moyens, de certitudes<br />
sur le sort des pièces disparues...<br />
Une évidence en tout cas : Anne<br />
Labourdette affirme que « le<br />
tableau relève d’une collection<br />
publique, il est donc inaliénable<br />
et imprescriptible. » Ce qui n’est<br />
pas le cas d’une œuvre privée,<br />
sauf s’il s’agit d’un bien appartenant<br />
à une personne considérée<br />
comme juive par l’Occupant ou<br />
les autorités de Vichy.<br />
Le marché sous-terrain de l’art<br />
est en constante ébullition. En<br />
2000, M me Baligand, alors<br />
conservatrice en chef du musée<br />
de la Chartreuse est avertie par<br />
Sotheby’s (New York) qu’un<br />
tableau de Breton est sur le point<br />
d’être mis en vente à la Galerie<br />
Köller de Zurich. L’œuvre avait<br />
été refusée deux fois : chez<br />
Sotheby’s puis chez Christie’s.<br />
On savait que le propriétaire<br />
était de nationalité allemande…<br />
Une information judiciaire a vite<br />
été ouverte, et Interpol saisi. Le<br />
tableau a été mis sous scellés à<br />
Zurich. Il a fallu quatre années<br />
de bataille d’experts pour l’identifier<br />
et enfin, certain de son fait,<br />
Douai a porté plainte pour vol et<br />
recel. Erreur ! Dans le droit<br />
français, s’il y a plainte pour vol,<br />
il faut être en mesure de nommer<br />
le voleur ; or c’était impossible !<br />
Des années de brouillaminis de<br />
procédures judiciaires ont donc<br />
suivi. Elles ont été ponctuées<br />
d’erreurs… au point que la justice<br />
suisse a levé les scellés. « La<br />
toile a ainsi été vendue à la<br />
galerie Anderson de Beverly<br />
Hills… qui, explique Anne<br />
Labourdette, connaissait forcément<br />
son origine frauduleuse ».<br />
Peu importe ! Ensuite elle a été<br />
achetée par la galerie Daphne<br />
Alazraki. En 2010, le musée de la<br />
Chartreuse est averti qu’elle va<br />
être mise aux enchères à la<br />
galerie Lempertz de Cologne.<br />
Rapidement Douai porte plainte<br />
- uniquement pour recel cette<br />
fois - et la vente est empêchée par<br />
la police allemande. La galerie<br />
propose de garder le tableau, le<br />
temps que Douai réunisse toutes<br />
les preuves de propriété, et…<br />
sans prévenir personne, laisse<br />
repartir la toile aux USA. Une<br />
fille du pêcheur retraverse<br />
l’océan une fois de plus, jusque<br />
la galerie Daphne Alazraki.<br />
Grâce à l’efficacité du procureur<br />
douaisien Éric Vaillant et du<br />
cabinet parisien Borghese<br />
Associés, l’affaire a dès lors été<br />
rondement menée. D’autant<br />
que, soucieux de nettoyer un peu<br />
le marché de l’art, un déploiement<br />
policier considérable s’est<br />
emparé du sujet. Une cellule<br />
fédérale américaine, comprenant<br />
des agents des douanes, du FBI<br />
à 60000 euros… Richard Marciniak a<br />
bien fait de s’émouvoir quand il a vu<br />
l’œuvre de Cueco, abandonnée, oubliée,<br />
couverte en partie de dessins. « J’en ai<br />
parlé au collaborateur du maire… »<br />
et d’Interpol a interdit tout mouvement<br />
de l’œuvre. Enfin la Fille<br />
du pêcheur pouvait se poser, se<br />
reposer. Elle se prépare pourtant<br />
à une dernière traversée. La<br />
galerie Daphne Alazraki qui<br />
accepte de rendre l’œuvre sans<br />
compensation financière (la pièce<br />
est estimée à 150 000 €) sera présente<br />
à la cérémonie de restitution.<br />
Un moment important.<br />
Autant que le délai pour<br />
retrouver l’œuvre. La mise en<br />
lumière sera belle. Elle éclairera<br />
la coopération efficace des<br />
Américains se penchera sur ce<br />
peintre courrièrois qui a tant<br />
aimé l’Artois…<br />
Jules Breton,<br />
sa vie, son œuvre<br />
Selon les Archives départementales,<br />
Jules-Adolphe-Aimé-Louis<br />
Breton est né en 1827 à<br />
Courrières. Il a suivi des études<br />
au petit séminaire Saint-Bertin à<br />
Saint-Omer puis au collège royal<br />
de Douai. À 16 ans, il s’est installé<br />
à Gand pour apprendre la<br />
peinture à l’Académie royale<br />
des Beaux-Arts. Ses premières<br />
œuvres, Misère et désespoir et<br />
La faim, reflètent le climat<br />
social de l’époque. Jules Breton<br />
peint essentiellement la misère<br />
laborieuse, celle qu’il voit<br />
autour de lui, et s’inspire pour<br />
son travail de son pays natal. En<br />
1854, il retourne à Courrières et<br />
Jean Haja s’en est soucié tout de suite.<br />
Il a sauvé Les Hommes rouges et leur a<br />
trouvé une place de choix, dans la salle<br />
du conseil municipal.<br />
M.-P. G<br />
Après 93 ans de cache-cache et de balades sur l’océan<br />
La Fille du Pêcheur de Jules Breton rentre chez elle<br />
QUAND les soldats allemands de la première guerre mondiale<br />
ont quitté la région, ils ont emmené sous le bras quelques<br />
trésors prélevés de nos musées. Une Fille du pêcheur,<br />
œuvre commandée par la ville de Douai au Courrièrois Jules<br />
Breton, est l’un d’eux. Après mille péripéties dignes d’un polar<br />
international, la peinture sera enfin restituée très officiellement<br />
par la galerie d’art new yorkaise Daphne Alazraki Fine Art à la<br />
Ville de Douai. Cérémonie prévue à l’Ambassade de France à<br />
Washington le 13 octobre. Anne Labourdette, conservatrice du<br />
musée de la Chartreuse a déjà son billet.<br />
La Fille du pêcheur raccommode un<br />
filet de continent en continent.<br />
s’y installe définitivement.<br />
Débute alors son œuvre "paysanne"<br />
: il abandonne la représentation<br />
de la misère au profit<br />
d’une vision idyllique du monde<br />
rural. En 1859, Le rappel des<br />
glaneuses remporte la première<br />
médaille au Salon et un grand<br />
succès public. L’impératrice<br />
Eugénie le fait acheter par<br />
Napoléon III et le tableau est<br />
exposé au musée du<br />
Luxembourg, alors musée des<br />
artistes vivants. Six ans plus<br />
tard, le peintre découvre la<br />
Bretagne…<br />
Rens. 03 27 71 38 80<br />
Marie-Pierre Griffon<br />
Photo Richard Marciniak<br />
Photo musée de la Chartreuse