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Restitution
Julien KUBIAK : « En répondant au questionnaire, chacun a pu définir son
cœur de métier, ses collaborations, ses attentes vis-à-vis de l’approche
pluridisciplinaire des risques au travail, et sa confiance dans l’avenir de son
métier. »
Discours introductif proposé par Julien Kubiak, Ingénieur d’étude, MESHS-CNRS, Doctorant en
sociologie au laboratoire Printemps, UVSQ le vendredi 22 juin 2012, au cours de la première
matinée de restitution de l’enquête régionale sur la pluridisciplinarité proposée aux professionnels
de santé au travail et aux représentants de l’entreprise, à Lille, dans les locaux de la MESHS.
Dix années après la loi de modernisation sociale imposant l’approche pluridisciplinaire des risques
professionnels et à quelques jours de l’entrée en vigueur des décrets réorganisant la médecine du
travail, cette recherche arrive à un moment clé pour le secteur de la prévention des risques
professionnels.
C’est sur la base des récents changements normatifs et réglementaires touchant le secteur de la
prévention que le Paul Frimat, Pascal Roquet, Sophie Fantoni et moi-même avons entrepris, il y a un
peu plus d’un an, d’interroger les acteurs de la prévention des risques professionnels dans la région
Nord - Pas-de-Calais au sujet de leurs pratiques.
Le diagnostic de la santé au travail dans la région (Atlas régional-Actualisation 2011) justifie
également un investissement des sciences sociales sur l’organisation de la prévention et les
difficultés rencontrées par les « professionnels » du secteur.
Cette étude coïncide avec le programme du deuxième Plan régional de santé au travail (PRST 2 -
2010-2014), qui insiste sur l’importance de la coopération des acteurs de la prévention. Cette
enquête pourrait ainsi aider à améliorer la coordination des actions, la construction des messages et
des formations en direction des préventeurs et la diffusion des savoirs nécessaires à la promotion de
la santé au travail dans les entreprises du Nord – Pas-de-Calais.
istnf.fr Julien Kubiak, MESHS/CNRS 03 juillet 2012 1

Qui sont les professionnels de la prévention ?
Selon la directive-cadre communautaire du 12 juin 1989, l’employeur doit désigner un ou plusieurs
travailleurs pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de
l’entreprise. En droit français, l’employeur satisfait à cette obligation dès lors qu’il constitue ou
adhère à un service de santé au travail.
Compte tenu des évolutions de la santé au travail et de la grave pénurie de médecins du travail, nous
interrogeons les acteurs du système sur la division du travail, la pluridisciplinarité, les relations de
travail, la confiance en l’avenir de la profession. Plus largement, c’est le sens du travail de prévention
qui est en question.
La prévention des risques professionnels en entreprise est une activité de plus en plus stratégique
qui fait intervenir plusieurs catégories d’acteurs. L’une des singularités de la santé au travail tient à la
multiplicité des acteurs de la prévention des risques professionnels, qui sont pour la plupart « en
situation d’extériorité par rapport aux lieux de travail des salariés » (V.Viet, 2008).
Nous postulons qu’il existe une relation d’interdépendance entre les positionnements des différents
intervenants dans le système de prévention des risques professionnels dans l’entreprise. En d’autres
termes, si l’on observe une dilution de l’autonomie du médecin travail (Devinck, Rosenthal, 2007), il
parait alors légitime d’étudier les effets sur les autres acteurs du système.
L’analyse des enjeux identitaires de la recomposition des territoires professionnels de la prévention
au travail parait incontournable pour identifier les freins et les leviers au changement. L’évaluation et
la gestion des risques professionnels, dans une logique pluridisciplinaire, obligent désormais chacun
des acteurs à se positionner en tant que « professionnel » de la prévention.
Les médecins du travail, les infirmières, les intervenants en prévention des risques professionnels
(IPRP), les ingénieurs et techniciens sécurité, les CHSCT et, enfin, les acteurs institutionnels
(Inspection du travail, Carsat, Aract, OPPBTP), font un travail de prévention qui reste assez mal connu
des non spécialistes. L’objectif de cette recherche est d’améliorer la compréhension de cette activité
et d’éclairer la question complexe qu’est l’organisation de la prévention des risques professionnels
dans l’entreprise et en dehors de l’entreprise.
Notons que cette problématique est très peu étudiée en sociologie. Cette méconnaissance des
professionnels du secteur contraste avec l’intérêt croissant des chercheurs pour la souffrance au
travail et les maux du travail en général.
Une entrée par les fonctions et métiers de la prévention permet l’examen du secteur à l’aide des
outils méthodologiques proposés par la sociologie des groupes professionnels.
Quels sont les objectifs de l’enquête ?
L’objectif initial de cette première phase est d’interroger les conseillers en santé et sécurité au travail
sur la perception qu’ils ont de leur travail, afin de dresser un panorama des identités professionnelles
dans le secteur de la prévention. Il s’agit bien de décrire les missions de prévention telles qu’elles
sont vécues par ceux qui en ont la charge.
Les résultats présentés ce matin, proviennent du traitement statistique de 373 questionnaires et de
l’analyse de vingt entretiens semi-directifs effectués avec les acteurs institutionnels.
istnf.fr Julien Kubiak, MESHS/CNRS 03 juillet 2012 2

En interrogeant toutes les catégories de préventeurs de la région Nord - Pas-de-Calais, nous avons eu
l’ambition de rendre compte de la diversité des acteurs de la prévention.
Un médecin du travail, un ingénieur sécurité et un secrétaire de CHSCT ont peu de choses en
commun au premier abord. Néanmoins, ils partagent une mission commune : la prévention des
risques professionnels. Ils devraient participer, à différents niveaux, à l’évaluation des risques au
poste de travail, à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, à
l’amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail. Ils peuvent intervenir dans le
processus de décision au sujet des actions de prévention (conseil, contrôle, formation,
sensibilisation, promotion de savoirs de prudence).
Les acteurs de la prévention interrogés dans cette enquête ont, de fait, des objectifs communs. C’est
pour cette raison qu’ils peuvent répondre à l’appellation de préventeur.
Cette étiquette est utilisée aussi bien dans les services de santé au travail, dans les entreprises ou
dans les institutions de la prévention comme l’INRS. Pouvons-nous pour autant parler des
préventeurs comme d’un groupe professionnel ?
L’appellation de « préventeur » apparaît pour la première fois en 1960. C’est sur commande de
Pierre Calonni, que l’écrivain André Thérive (responsable de « La clinique du Langage » dans
Carrefour) propose le mot « préventeur » pour nommer ceux qui font de la « prévention » leur
occupation essentielle. A ce jour, il n’existe pas d’organisme ou de formation diplômante accordant le
titre de « préventeur ».
Malgré l’absence d’un groupe professionnel constitué, les préventeurs contribuent par leur action,
leur conseil, leur expertise à définir la prévention des risques comme une activité professionnelle
dans et en dehors de l’entreprise.
En questionnant les différents préventeurs sur leur métier, il ne s’agit pas seulement d’examiner la
complémentarité des missions de chacun. Il s’agit aussi de vérifier l’existence d’une relation
d’interdépendance entre les acteurs de la prévention. Trouver les meilleures conditions pour une
approche pluridisciplinaire des risques au travail demande que l’on s’intéresse aux représentations
que chaque acteur a de son métier et de celui de ses collègues. Nous serons inévitablement
confrontés à la question complexe de la mesure de l’efficacité du travail de prévention.
En répondant au questionnaire, chacun a pu définir son cœur de métier, ses collaborations, ses
attentes vis-à-vis de l’approche pluridisciplinaire des risques au travail, et sa confiance dans l’avenir
de son métier.
Peut-être que, comme le pense Edgar Morin à propos de l’interdisciplinarité : « Les disciplines
doivent demeurer à la fois ouvertes pour se nourrir de l’extérieur et fermées pour exprimer leur
identité. » (Avril 2011). Alors intéressons-nous à la capacité des professionnels de la prévention à
contrôler l’ouverture et la fermeture des frontières de leur discipline.
Penchons-nous ce matin sur le degré d’autonomie professionnelle de chaque catégorie, à la
légitimité et à la reconnaissance du travail de prévention dans le service, dans l’entreprise, dans la
région.
istnf.fr Julien Kubiak, MESHS/CNRS 03 juillet 2012 3

Qui effectue le travail de prévention que l’employeur, les salariés et les instances de contrôle
s’attendent à trouver ?
De fait, cette recherche s’inscrit dans une sociologie des groupes professionnels considérant chaque
travailleur comme détenteur d’une part de pouvoir dans la situation de travail. Il y a donc forcément
une négociation et des conflits au sujet de l’autorité, de l’autonomie d’un groupe par rapport à un
autre.
Pour aller plus loin, il parait indispensable de s’intéresser à la division du travail de prévention, aux
rapports coopératifs, mais aussi concurrentiels, entre préventeurs partageant, au moins
partiellement, le même territoire professionnel.
La question de la coopération des acteurs de la prévention soulève plusieurs problèmes. A
commencer par celui de la définition du professionnel de la prévention.
Dans les entreprises, un conseiller en prévention se doit d’être professionnel. Or, il est difficile de
répondre aux différentes attentes des uns et des autres. Le caractère assez flou du travail de
prévention des risques professionnels complique son évaluation et on observe souvent une
focalisation sur le taux de fréquence des accidents du travail.
Si, nous savons tous ici à quelle besoin d’utilité répond la prévention (AT/MP…), nous savons
également à quel point l’activité est multiforme, partagée par de nombreux acteurs (spécialistes ou
non) et aussi contingente du contexte de travail. La prévention des risques professionnels n’appelle
pas les mêmes outils et les mêmes méthodes suivant les secteurs d’activité, ou les populations
visées. C’est sans doute l’une des raisons de l’hétérogénéité des préventeurs, qui peuvent être
spécialiste dans une discipline, sur un type de risque, sur un type d’organisation. Les savoirs, dans le
domaine qui nous intéresse, sont aussi riches et variés que le sont les situations de travail.
Ces savoirs ne sont pas figés et doivent suivre l’évolution du travail moderne. La connaissance du
travail réel, comme celle de l’état de santé de la population, représente une source de pouvoir pour
le préventeur. La question de l’information et du partage des expertises n’est donc pas anodine
lorsque l’on s’intéresse à la légitimité professionnelle du conseiller en prévention.
On observe des dynamiques professionnelles très variées dans le secteur de la santé au travail.
Certes, le droit français désigne le médecin du travail comme le premier interlocuteur de l’entreprise
sur les questions de santé et de sécurité au travail, mais l’on sait que la crise démographique affaiblit
fortement la profession. La protection juridique du monopole d’exercice de la médecine du travail
existe toujours mais la réglementation des conditions d’exercices évolue.
On note aussi que le Conseil de l’Ordre des médecins, qui veille au respect des règles, déplore la
suppression du « nombre maximal d’entreprises et de travailleurs par médecin ». Dans son bulletin
d’information de ce mois, le Conseil de l’Ordre parle de conditions contraires à la déontologie et aux
impératifs de qualité et de sécurité imposés par l’article 71 du Code de déontologie médicale.
Dans le même temps, d’autres métiers ou fonctions de prévention, encore considérés par certains
comme émergents, occupent une place croissante dans le système.
istnf.fr Julien Kubiak, MESHS/CNRS 03 juillet 2012 4

La coopération des acteurs de la prévention serait nécessaire, à la fois pour l’amélioration de
l’efficacité du travail de prévention, mais aussi pour l’avenir de la profession médicale.
Notons d’emblée que le caractère collectif de la production de conseil en prévention ne va pas de
soi. La prévention des risques en entreprise fait intervenir des logiques patronales, médicales,
syndicales et juridiques.
On peut penser que la légitimité et la crédibilité d’un acteur de la prévention dépend pour partie de
celles des autres conseillers en prévention. C’est le cas entre médecins, infirmières, assistantes et
IPRP. Un intervenant en prévention des risques professionnels interrogés lors de l’enquête nous
confia que l’un des objectifs de sa mission était de valoriser le rôle du médecin du travail dans
l’entreprise. Plus le médecin du travail est légitime et crédible comme préventeur, plus l’IPRP
disposera de moyens et de marge de manœuvre dans son expertise. On voit clairement ici
l’interdépendance des rôles dans le système de prévention.
Ce raisonnement peut s’appliquer peu ou prou à l’ensemble des acteurs de la prévention si l’on
considère l’activité de conseil comme la zone du territoire professionnel partagé par tous.
Après dix ans de réformes visant la valorisation du rôle préventif des médecins et des IPRP, les
services de santé au travail vont connaître de nouveaux changements à partir du 1 er juillet.
Le Professeur Paul Frimat, qui coordonne cette enquête, va exposer les enjeux de ces nouvelles
dispositions. L’indépendance professionnelle des médecins du travail, les conditions d’entrée dans la
profession ainsi que le rôle des infirmières, IPRP et assistantes feront partie des sujets traités ce
matin.
Si la médecine a fait l’objet de nombreuses études en sociologie des professions, la médecine du
travail n’avait pas encore été étudiée sous un angle sociologique avant le travail de thèse de Pascal
Marichalar. Soutenue en décembre 2011, cette thèse constitue un apport important à la
compréhension de cette profession. On y découvre une médecine du travail à l’autonomie
professionnelle fragile et exposée à des pressions venant de l’intérieur comme de l’extérieur du
service de santé au travail.
Dans la seconde partie de la matinée, je présenterai les résultats de l’enquête à laquelle vous avez
répondu. Nous pourrons ainsi mettre en perspective la situation en Nord – Pas-de-Calais avec la
situation nationale décrite précédemment.
Par la suite, Brigitte Sobczak (Médecin inspecteur du travail, Direccte Nord - Pas-de-Calais) et
Véronique Bacle (Cadre infirmier, SSTRN) nous feront part de leurs commentaires au sujet de la
coopération des acteurs de la prévention.
istnf.fr Julien Kubiak, MESHS/CNRS 03 juillet 2012 5