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Santé au travail, santé des travailleurs Annie Thébaud-Mony ...

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Restitution<br />

<strong>Santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, <strong>santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs<br />

<strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong>, Sociologue, directrice de recherche à<br />

l’Institut national de la <strong>santé</strong> et de la recherche médicale,<br />

<strong>au</strong>teure de Travailler peut nuire gravement à votre <strong>santé</strong> (La<br />

Découverte, Paris, 2007)<br />

Document ISTNF non validé par les intervenants et les organisateurs<br />

Cette restitution est tirée de notes prises en séance le 29 mai 08 <strong>au</strong> cours du séminaire Ethique<br />

et <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> Nord – Pas-de-Calais, animé dans les loc<strong>au</strong>x de l’Université de Lille 2 par<br />

Catherine Le Grand – Sébille, en partenariat avec le Cereste et l’ISTNF. Seul le contenu de<br />

l’exposé réalisé durant l’après-midi par <strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong> est repris ici.<br />

<strong>Santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> ou <strong>santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs ? Il est indispensable de développer la connaissance de la<br />

reconnaissance. Les connaissances produites doivent donner accès <strong>au</strong>x difficultés et <strong>au</strong>x obstacles par<br />

rapport à la prévention.<br />

Je suis chercheur en <strong>santé</strong> publique à l’Inserm depuis 83, sociologue de formation : la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong><br />

est <strong>au</strong> cœur de mon activité. La question de la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> est une toute petite question dans le<br />

cadre <strong>des</strong> unités <strong>au</strong>xquelles j’ai été rattachée. J’enseigne à l’Université Paris 13, en sciences sanitaires<br />

et sociales. Au sein de l’Institut de recherche, je dirige le Groupement d’intérêt scientifique sur les<br />

cancers professionnels qui a été créé il y a 6 ans. J’ai pris également <strong>des</strong> engagements associatifs dans<br />

le rése<strong>au</strong> Ban Asbestos, rése<strong>au</strong> de lutte contre l’amiante, à l’origine d’Andeva en France. Je place une<br />

istnf.fr <strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong>, Inserm, Ethique et <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, Cereste/ISTNF, 29 mai 08 1


complémentarité entre le domaine professionnel et mes engagements citoyens sur la question de<br />

l’amiante et de la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>.<br />

Le titre donné à mon exposé demande une explication. <strong>Santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> ? <strong>Santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs ? Ce<br />

n’est pas la même chose. La <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> est une notion abstraite qui considère les <strong>travail</strong>leurs<br />

comme sujet d’étude épidémiologique, ou sociologique : il s’agit de construire un savoir qui dépossède<br />

souvent les <strong>travail</strong>leurs de leur propre mise en danger de leur <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>. On met en distance le<br />

savoir profane <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs. Le rapport Légeron rends compte d’une abstraction : le stress n’est<br />

plus le fait d’une tension avec <strong>des</strong> indicateurs qui existent, mais devient une notion abstraite qu’on ne<br />

sait pas saisir - on est à la surface de quelque chose -, alors que ce sont pourtant les êtres humains qui<br />

sont le sujet, leur souffrance n’est pourtant pas présente. Dans l’espace scientifique, la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong><br />

est devenue cela. Bien sûr <strong>des</strong> chercheurs et <strong>des</strong> praticiens considèrent <strong>au</strong>trement la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>,<br />

mais la conception courante en fait <strong>des</strong> sujets d’étude. Une <strong>au</strong>tre conception de la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> est<br />

celle que l’on voit dans le paritarisme, un enjeu de la négociation salariale ; la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> est un<br />

enjeu qui est porté par le patronat qui détermine quelles sont les questions à aborder, et celles qui ne<br />

le sont pas, à l’exemple du <strong>travail</strong> de nuit, qui pourtant est un cancérogène probable pour l’homme.<br />

Des sujets ne seront donc jamais abordés dans cet espace. Il y a un conflit d’intérêts entre entreprise<br />

et économie.<br />

Les deux gran<strong>des</strong> conceptions de la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> nous bornent le regard. La <strong>santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs,<br />

c’est tout à fait <strong>au</strong>tre chose, c’est un enjeu existentiel pour <strong>des</strong> sujets de droit. On peut revenir à <strong>des</strong><br />

concepts fondament<strong>au</strong>x en droit éthique philosophique : ils peuvent refuser toute forme d’altération<br />

de leur <strong>santé</strong> du fait de leur <strong>travail</strong>. Droit à la vie, à la <strong>santé</strong>, à la dignité sont <strong>des</strong> droits fondament<strong>au</strong>x.<br />

Perdre 10 ans d’usage de vie parce que <strong>des</strong> industriels utilisent <strong>des</strong> produits interdits, est-ce légitime ?<br />

Sur un plan fondamental, du point de vue du droit de la personne, ça ne l’est pas ; la production de la<br />

connaissance est différente suivant que l’on se place dans l’une ou l’<strong>au</strong>tre perspective. Il f<strong>au</strong>t<br />

comprendre les situations en se plaçant dans la perspective de ce que l’on veut comprendre de la<br />

<strong>santé</strong> mise en jeu dans le <strong>travail</strong>. J’ai en cela une conception spinoziste <strong>des</strong> choses. C’est dans cette<br />

démarche que j’ai réalisé le livre Travailler peut nuire gravement à votre <strong>santé</strong>. Les raisons de cet<br />

ouvrage découlent de ce que je viens de dire. On a un angle mort concernant la <strong>santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs<br />

dans le cadre de la <strong>santé</strong> publique. Cette question est occultée par la nécessité d’abaisser le coût du<br />

<strong>travail</strong>, qui est toujours mise en avant, contre le droit de la personne.<br />

Travail et <strong>santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs ? J’ai commencé mes recherches dans les années 70 à une époque ou<br />

toutes les brèches avaient été ouvertes sur <strong>des</strong> idées comme « ne pas perdre sa vie à la gagner » : les<br />

revendications portaient sur une transformation <strong>des</strong> conditions de <strong>travail</strong>. Je suis arrivée dans ce<br />

contexte, il était possible de <strong>travail</strong>ler en tant que chercheurs sur ce plan. Il y avait <strong>des</strong> rése<strong>au</strong>x<br />

istnf.fr <strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong>, Inserm, Ethique et <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, Cereste/ISTNF, 29 mai 08 2


pluridisciplinaires - très pluridisciplinaires - à l’époque : connaître le <strong>travail</strong> pour le transformer était le<br />

slogan. On a produit <strong>des</strong> résultats de recherche pendant 30 ans sur ce sujet, en ergonomie, en<br />

psychopathologie, et on constate pourtant <strong>au</strong>jourd’hui la présence de cancérogènes dangereux, <strong>des</strong><br />

formes de contrainte psychiques et temporelles, <strong>des</strong> cadences qui mettent la vie en danger. On a<br />

accumulé <strong>des</strong> résultats de recherche qui ne demandaient qu’à être intégrés dans une dimension<br />

action.<br />

Quand les éditions de La Découverte m’ont sollicitée, j’ai pensé que tout avait déjà été fait. En<br />

réfléchissant avec l’équipe <strong>des</strong> éditions, j’ai fait la proposition de ne pas rester seulement sur le<br />

rapport <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong> et de trouver un angle qui revienne sur les droits fondament<strong>au</strong>x de la<br />

personne. Il fallait comprendre pourquoi, alors qu’on avait produit cette connaissance, pourquoi,<br />

globalement, on était en phase de dégradation <strong>des</strong> conditions de <strong>travail</strong>. J’ai voulu reprendre les<br />

trav<strong>au</strong>x faits, pour essayer de comprendre pourquoi on en était là et pour interroger les résultats de<br />

ces enquêtes, dans l’optique de les replacer dans la perspective du droit pénal, qui interdit toute<br />

atteinte à l’intégrité d’<strong>au</strong>trui.<br />

En 1998, les parlementaires votent une loi sur les accidents du <strong>travail</strong> après 20 ans de débats. Cette loi<br />

est centrale pour comprendre pourquoi on est dans une exception de la <strong>santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs. On<br />

devait faire face à l’époque à une hécatombe d’accidents du <strong>travail</strong>, qui laissaient <strong>des</strong> personnes très<br />

invali<strong>des</strong>, ou à <strong>des</strong> décès qui laissaient les familles dans une misère noire. L’industrialisation devait se<br />

traduire par un progrès de la société, cette situation n’était donc pas acceptable non plus pour les<br />

industriels. Les ouvriers ont commencé à créer <strong>des</strong> caisses de secours mutuels <strong>au</strong>tonomes,<br />

indépendantes du patronat, que ces derniers d’ailleurs voient toujours d’un m<strong>au</strong>vais œil.<br />

Politiquement, la situation devenait dangereuse. Les allemands avaient déjà mis en place un système<br />

assurantiel. La France décide à son tour que les accidents du <strong>travail</strong> seront inscrits dans une logique<br />

d’assurance. On a déplacé la question de l’accident vers l’indemnisation et on l’a fait rentrer dans la<br />

négociation entre patronat et ouvrier. La <strong>santé</strong> publique se donne un objectif de prévention. D’un<br />

côté on a donc la <strong>santé</strong> publique et d’un <strong>au</strong>tre côté, la <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, qui ne voit que l’indemnisation<br />

avec une réparation intégrale <strong>des</strong> dommages corporels, c'est-à-dire une prise en charge de tous les<br />

préjudices. On a fondé le regard sur la <strong>santé</strong> <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs par rapport à un risque normal, on a<br />

développé finalement une sorte de naturalisation <strong>des</strong> risques.<br />

J’ai repris les résultats en sortant de cette perspective là. J’ai eu envie de comprendre ce que<br />

signifiaient les atteintes à la <strong>santé</strong>-<strong>travail</strong> dès qu’on les place sous le registre du code pénal. Un<br />

accident du <strong>travail</strong> est un homicide involontaire, pourtant l’employeur connait les dangers. Mon livre<br />

s’ouvre sur un exemple pris dans la réalité : toutes les conditions étaient réunies pour que l’accident<br />

mortel survienne. Mise en danger, atteinte à la dignité, violence, cancers professionnel… <strong>au</strong>tant de<br />

istnf.fr <strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong>, Inserm, Ethique et <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, Cereste/ISTNF, 29 mai 08 3


sous titres balisent mon livre. L’illustration de la couverture évoque le tabac ; une idéologie veut nous<br />

montrer que l’individu est responsable de sa situation, parce qu’il boit, parce qu’il fume. J’ai voulu<br />

mettre l’accent sur l’aspect collectif. Il n’y a pas que vos comportements qui sont à l’origine <strong>des</strong><br />

problèmes de <strong>santé</strong> que vous rencontrez. Quelle démarche f<strong>au</strong>t-il adopter ? Il f<strong>au</strong>t vaincre une<br />

certaine invisibilité. On est souvent arrêté par la question de la statistique, il f<strong>au</strong>t donner une visibilité<br />

<strong>au</strong> delà <strong>des</strong> chiffres avec <strong>des</strong> cas concrets, en les remettant dans une perspective existentielle. Le fils<br />

ainé d’un sidérurgiste, âgé de 19 ans, perd la vie parce qu’une cascade de sous-traitance ne lui a donné<br />

<strong>au</strong>cune marge de manœuvre pour refuser un <strong>travail</strong> dangereux. On peut rencontrer dix fois le même<br />

accident, chaque fois il f<strong>au</strong>dra l’isoler du collectif pour replacer <strong>des</strong> logiques de choix <strong>des</strong> organisations<br />

du <strong>travail</strong>.<br />

Une interrogation est liée à la justice. Les atteintes et accidents ne viennent pas sans que quelqu’un ait<br />

pris <strong>des</strong> décisions. Il y a une interrogation de fond qui est absente en <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>. Qui a tué ? Qui a<br />

rendu malade ? Qui a amené <strong>au</strong> suicide ? Il y a <strong>des</strong> donneurs d’ordre, <strong>des</strong> organisations, une<br />

interrogation sur d’<strong>au</strong>tres types de responsabilités, celles provenant de l’Etat, <strong>des</strong> scientifiques, <strong>des</strong><br />

médecins, <strong>des</strong> institutions de prévention. La responsabilité première <strong>des</strong> atteintes à la <strong>santé</strong> <strong>des</strong><br />

<strong>travail</strong>leurs découle <strong>des</strong> choix industriels, mais <strong>au</strong>ssi <strong>des</strong> choix de sous-traiter les risques. Par exemple,<br />

prenons l’industrie nucléaire : 80% <strong>des</strong> expositions <strong>au</strong>x rayonnements ionisants le sont par <strong>des</strong><br />

<strong>travail</strong>leurs précaires, sous-traitants, ce qui rend le risque invisible. Ils sont mal placés par rapport à<br />

l’inégalité face <strong>au</strong> cancer.<br />

J’ai cherché à comprendre la logique de chacun <strong>des</strong> acteurs par rapport à la mise en jeu de la <strong>santé</strong> <strong>des</strong><br />

<strong>travail</strong>leurs. Les chapitres montrent l’évolution sur les 30 dernières années. Pourquoi n’est on pas plus<br />

avancé par rapport à la protection <strong>des</strong> salariés dans leur <strong>travail</strong> ? L’ensemble <strong>des</strong> processus de<br />

précarisation et d’individualisation sont liés. La loi sur la légalisation du <strong>travail</strong> temporaire de 1972 et la<br />

loi sur la sous-traitance en 1975 ont ouvert la porte à la flexibilité. Ce sont <strong>des</strong> concepts abstraits qui<br />

désignent <strong>des</strong> formes d’organisation du <strong>travail</strong> qui remettent en c<strong>au</strong>se la possibilité <strong>des</strong> <strong>travail</strong>leurs à<br />

faire valoir leur droit, à recourir <strong>au</strong> droit de retrait, à entrer dans <strong>des</strong> négociations. Une précarisation<br />

s’est inst<strong>au</strong>rée, d’<strong>au</strong>tant qu’elle se combinait avec un chômage structurel.<br />

Ma démarche est celle d’une démarche de recherche en <strong>santé</strong> publique, c’est à dire : produire <strong>des</strong><br />

résultats pour la prévention. Si elle doit recourir <strong>au</strong> droit pénal, il f<strong>au</strong>t l’utiliser. Les sanctions existent,<br />

elles sont explicites. Un <strong>des</strong> thèmes sur lesquels j’ai <strong>travail</strong>lé depuis longtemps est la question <strong>des</strong><br />

cancers professionnels. Avec l’amiante, on remarque que l’histoire est emblématique de la<br />

construction sociale de l’individualisation <strong>des</strong> risques. L’histoire de l’amiante est l’histoire d’un<br />

mensonge qui a duré un siècle, un mensonge collectif. On connait depuis 1890 les effets de l’amiante<br />

sur la <strong>santé</strong>. En 1905, un inspecteur du <strong>travail</strong> fait un bilan macabre <strong>des</strong> 50 ouvriers décédés dans les<br />

istnf.fr <strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong>, Inserm, Ethique et <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, Cereste/ISTNF, 29 mai 08 4


5 ans de fonctionnement d’une usine utilisant l’amiante. Les compagnies américaines refusent les<br />

contrats d’assurance vie <strong>au</strong>x ouvriers de l’amiante. Les résultats d’enquêtes sont gardés secrets dans<br />

les années 30. Une enquête en Afrique du Sud dans les années 50 montre les atteintes à la <strong>santé</strong> <strong>des</strong><br />

ouvriers <strong>travail</strong>lant dans l’amiante. Il f<strong>au</strong>t attendre le début <strong>des</strong> années 60 pour qu’un médecin<br />

américain fasse le lien entre cancer et amiante. En Grande-Bretagne, un médecin d’une firme<br />

multinationale fait le même constat. L’Angleterre est le seul pays à avoir pris <strong>des</strong> mesures pour éviter<br />

l’empoussièrement <strong>des</strong> ateliers. En France, <strong>des</strong> ouvriers meurent d’une maladie respiratoire que<br />

personne ne nomme. Il f<strong>au</strong>dra attendre les réactions <strong>des</strong> chercheurs de Jussieu pour que l’on<br />

s’aperçoive <strong>des</strong> risques. Il f<strong>au</strong>t attendre 1977 pour avoir la reconnaissance du cancer et une valeur<br />

limite d’exposition.<br />

Suède, Norvège, Allemagne, interdisent l’amiante dans les années 80. A cette époque le cartel <strong>des</strong><br />

producteurs d’amiante change de message : « on fait l’usage contrôlé de l’amiante ; il n’y a plus de<br />

danger, puisque <strong>des</strong> mesures de préc<strong>au</strong>tion sont prises ». Fin années 90, je fais une étude sur le<br />

mésothéliome, peu de cas sont alors déclarés, je me trouve face à une donnée de l’Inserm qui montre<br />

que le mésothéliome <strong>au</strong>gmente. Quand je publie les résultats, un coup de téléphone du Comité<br />

permanent amiante me demande un rendez-vous. On me dit que mes données sont f<strong>au</strong>sses. Dans les<br />

congrès, rares étaient les experts à avoir un avis contradictoire. L’interdiction gagne peu à peu <strong>des</strong><br />

points en Europe. En 1993 l’Italie l’interdit.<br />

En France, un groupe de <strong>travail</strong> est alors formé, il y a un vrai problème. Le Ministre du <strong>travail</strong> et de la<br />

<strong>santé</strong> nomme une expertise Inserm ; le groupe de <strong>travail</strong> est formé, je n’en fais pas partie. Je suis<br />

écartée car on me dit je suis un chercheur « engagé ». Le <strong>travail</strong> réalisé a été rigoureux, l’expertise<br />

collective rejoint l’expertise internationale, la décision d’interdiction de l’amiante est prise. Cela met<br />

en évidence le fait que chaque chercheur construit sa recherche en référence à <strong>des</strong> postulats qui vont<br />

l’amener à produire certains types de résultats, soit c’est un paradigme explicite, soit il est implicite ce<br />

qui est le cas pour tous les cancers. L’amiante est l’arbre qui cache la forêt. Si on reprend les chiffres.<br />

L’incidence estimée montre que le nombre de cas ne cesse d’<strong>au</strong>gmenter. Pourquoi ? Les cancers<br />

professionnels ne représenteraient pourtant que 3% <strong>des</strong> cancers. Le cancer est une maladie très<br />

inégalitaire. Chez les hommes de 45 à 55 ans, les ouvriers ont 4 fois plus de risques de mourir d’un<br />

cancer que les cadres et les fonctions intermédiaires. La c<strong>au</strong>se est-elle unique ? Un cancer c’est une<br />

histoire qui se fait en plusieurs étapes. Une exposition peut se situer dans l’enfance ou dans<br />

l’apprentissage. On peut avoir <strong>des</strong> sta<strong>des</strong> de promotion du cancer, différentes agressions jouant pour<br />

qu’un cancer se développe. On ne peut dire à coup sûr que c’est dû <strong>au</strong> tabac, <strong>au</strong>x rayonnements, <strong>au</strong><br />

plomb etc. il y a une proportion connue, mais la c<strong>au</strong>salité directe ne peut être établie, il f<strong>au</strong>drait<br />

istnf.fr <strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong>, Inserm, Ethique et <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, Cereste/ISTNF, 29 mai 08 5


econstituer toutes les étapes jusqu’<strong>au</strong> moment où s’est déclenché le cancer. De multiples éléments<br />

ont pu jouer.<br />

Le cancer professionnel, d’un point de vue scientifique n’existerait-il pas ? Le système règle le<br />

problème par présomption d’imputabilité. Il f<strong>au</strong>t faire la preuve du lien entre la pathologie et le <strong>travail</strong>.<br />

Il y a une triple invisibilité. On doit faire face à une ignorance toxique ; on est passé d’une production<br />

d’un million de tonnes à 400 millions de tonnes en 40 ans. Pour qu’un cancérogène soit inclus dans le<br />

Circ, il f<strong>au</strong>t une évidence suffisante de la cancérogénéité, mais à partir de quel point l’évidence est elle<br />

suffisante ? Il y a une invisibilité physique <strong>des</strong> cancérogènes, ils échappent à la perception, les<br />

rayonnements par exemple ne se voient pas. Il y a <strong>au</strong>ssi une invisibilité sociale <strong>des</strong> cancérogènes : les<br />

employeurs doivent délivrer <strong>des</strong> attestations d’exposition, ce qui n’est pas fait, cela contribue à<br />

masquer l’ampleur de l’exposition <strong>au</strong>x cancérogènes.<br />

Hors amiante, le nombre de cancers professionnels reconnus est inférieur à 200 cas. Comment briser<br />

cette invisibilité ? En Seine-Saint-Denis nous avons mis en place une enquête permanente <strong>au</strong>près de<br />

mala<strong>des</strong> atteints d’un cancer pour refaire leur parcours professionnel, 85% d’entre eux ont été<br />

exposés à <strong>des</strong> cancérogènes, avec une durée moyenne de 30 ans d’exposition, avec <strong>des</strong> expositions<br />

fortes sans protection. La plupart meurent avant l’âge de la retraite, la visibilité est pourtant marginale<br />

par rapport à l’ampleur du dispositif. Il f<strong>au</strong>t mettre en place un tribunal pénal international contre ce<br />

que j’estime être un crime contre l’humanité.<br />

Echange avec le public<br />

Question. Reach, éthers de glycol, notre position est difficile.<br />

Réponse. Il f<strong>au</strong>t <strong>travail</strong>ler en rése<strong>au</strong>. En Seine-Saint-Denis, <strong>des</strong> coopérations se sont mises en place<br />

avec les services de <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>.<br />

Q. Il y a de moins en moins de toxicologues, pourquoi ?<br />

R. La toxicologie industrielle indépendante de l’industrie n’intéresse personne, mais les industriels ont<br />

leurs toxicologues, c’est une menace pour toutes les équipes de <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>.<br />

Q. Le droit est un reflet de la société. Les condamnations sont dérisoires.<br />

R. Le principe de justice existe, même si les condamnations sont dérisoires, il f<strong>au</strong>t en parler, pour que<br />

les juges fassent leur métier. Les entreprises n’apprécient pas d’être condamnées.<br />

Q. Le Canada exploite encore l’amiante.<br />

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R. Ils exportent 98% de leur production. Ce sont <strong>des</strong> mines à ciel ouvert, les cabines sont totalement<br />

étanches, mais les déchets <strong>des</strong> mines produisent une poussière dont on trouve une contamination<br />

dans les maisons. Ce qui est en jeu c’est le marché international, le démantèlement <strong>des</strong> navires en<br />

Asie par exemple.<br />

Q. J’ai fait un <strong>travail</strong> d’analyse sur un questionnaire.<br />

R. C’est une démarche à généraliser, il f<strong>au</strong>t créer <strong>des</strong> registres département<strong>au</strong>x <strong>des</strong> cancers incluant<br />

l’histoire résidentielle. L’Italie a fait ça pour certains cancers.<br />

Q. Pour le <strong>travail</strong> de nuit, le lien avec le cancer du sein est établi, pas pour les <strong>au</strong>tres cancers.<br />

R. Ce que disent les cancérologues, c’est que ça n’atteint pas qu’une seule cible, les effets de synergie<br />

entre les différents cancérogènes ne sont pas connus.<br />

Q. C’est la même chose pour les coiffeurs, leur métier est cancérogène, mais on ne connait pas les<br />

fiches de données de sécurité.<br />

Q. Pourquoi ne pas préconiser une re-réglementation du <strong>travail</strong> <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> européen ?<br />

R. Si on appliquait les textes existant à la lettre, on <strong>au</strong>rait déjà une meilleure protection <strong>des</strong> salariés. Il<br />

f<strong>au</strong>t en finir avec le double standard, c’est-à-dire avec <strong>des</strong> pays qui appliquent les textes et d’<strong>au</strong>tres<br />

non.<br />

Q. On a re-réglementé en Amérique et cela a fait baissé les accidents.<br />

R. Il y a un pan de réalité qui n’entre pas dans l’analyse : la sous-traitance, les sans-papiers ne figurent<br />

pas dans les statistiques. La sanction peut être plus lourde <strong>au</strong>x USA.<br />

istnf.fr <strong>Annie</strong> Théb<strong>au</strong>d-<strong>Mony</strong>, Inserm, Ethique et <strong>santé</strong> <strong>au</strong> <strong>travail</strong>, Cereste/ISTNF, 29 mai 08 7

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