Tableau d'une exécution de Howard Barker - Odéon Théâtre de l ...
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Tintoret donne une image très dramatique, très sombre parfois, même dans ses couleurs. Toujours <strong>de</strong> la<br />
couleur magnifique <strong>de</strong> Venise, une espèce <strong>de</strong> polychromie qui a donné l’exemple <strong>de</strong> la peinture à toute<br />
l’Europe après, mais il a une vision <strong>de</strong>s scènes <strong>de</strong> la Passion par exemple – et il en a beaucoup peintes –<br />
notamment à la Scuola San Rocco, qui est très noire, très sombre, très visionnaire en quelque sorte. Tandis<br />
que Véronèse a une vision plus opulente, plus large, plus joyeuse, disons même, plus<br />
fastueuse. Il joue sur la beauté <strong>de</strong>s femmes, sur les enfants qui courent, les anecdotes, qui encombrent<br />
quelquefois la toile, et il a donné certainement à travers ses gran<strong>de</strong>s compositions héroïques la vision d’une<br />
Venise triomphante.<br />
On le voit assez peu dans le film, mais Venise était à l’époque aussi réputée pour sa vie libre et dissolue. Les mêmes<br />
marchands qui se faisaient peindre commandaient aussi <strong>de</strong>s œuvres érotiques… Parlez-nous <strong>de</strong> la peinture érotique<br />
<strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>…<br />
Michel Laclotte : Le nu, surtout le nu féminin, est essentiel dans la peinture vénitienne, et on peut dire que<br />
c’est à Venise que l’expression la plus charnelle du nu féminin s’exprime : à partir du tout début du XVI e<br />
siècle avec Giorgione, et surtout Titien qui, toute sa vie, va représenter <strong>de</strong>s femmes allongées. Danaé,<br />
quelquefois Vénus et Adonis, <strong>de</strong>s sujets presque toujours mythologiques, dans un cadre qui n’est pas froid<br />
mais au contraire le plus souvent très ouvert sur la nature. Il y a quelques exemples <strong>de</strong> nus à l’intérieur d’un<br />
palais, mais le plus souvent ce sont <strong>de</strong>s scènes, par Titien, Véronèse ou Tintoret, qui évoquent un couple<br />
d’amants, avec quelquefois une joie <strong>de</strong> vivre évi<strong>de</strong>nte, une exaltation <strong>de</strong> la beauté féminine, <strong>de</strong> l’opulence,<br />
<strong>de</strong>s draperies qui entourent les jambes, mais quelquefois aussi comme une sorte <strong>de</strong> nostalgie, <strong>de</strong> poésie<br />
nostalgique.<br />
Parce qu’au départ <strong>de</strong> tout ça, il y a aussi eu une association entre la représentation du nu et la<br />
vision humaniste d’un certain paradis païen. Nous sommes au moment où la Renaissance est <strong>de</strong>venue<br />
largement profane, et où l’on oublie que le motif peut être emprunté à un sujet religieux ou à un sujet strictement<br />
académique. Ce n’est pas pour rien que <strong>de</strong>s artistes comme Renoir ont beaucoup regardé la peinture<br />
vénitienne du XVI e siècle pour voir la façon, précisément, dont était traité le nu.<br />
Dans le cas <strong>de</strong> Titien, cette nostalgie s’exprime autour <strong>de</strong> l’Arcadie, c’est-à-dire les bergers dans la campagne,<br />
un mythe repris par la littérature <strong>de</strong> l’époque. Le thème <strong>de</strong> l’Arcadie a été cultivé à Venise. Ce<br />
thème sera largement repris dans la peinture: Poussin va continuer ces sujets arcadiques, jusqu’à Watteau, et<br />
même jusqu’à Cézanne et Matisse. Ces gran<strong>de</strong>s compositions <strong>de</strong> nus <strong>de</strong> Matisse sont dans la lignée d’une<br />
tradition qui vient <strong>de</strong> ce lyrisme vénitien pastoral et sensuel.<br />
Un <strong>de</strong>s tableaux montrés dans le documentaire est tout à fait caractéristique du genre : c’est un <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>rniers tableaux <strong>de</strong> Titien, alors très âgé. De même que Ingres peint Le Bain Turc à plus <strong>de</strong> 80 ans en exaltant<br />
la chair féminine, la beauté féminine, Titien peint à la fin <strong>de</strong> sa vie La Nymphe et le Berger, avec une femme<br />
allongée et un berger, imprimant dans les couleurs, dans la tonalité générale une sorte <strong>de</strong> mélancolie, <strong>de</strong><br />
nostalgie <strong>de</strong> quelque chose qu’il va bientôt quitter.<br />
Le talent <strong>de</strong> ces peintres, qui étaient d’immenses coloristes, n’était pas véritablement reconnu à l’époque. La couleur<br />
étant stigmatisée comme »moins noble» que le <strong>de</strong>ssin, l’école vénitienne est longtemps restée victime <strong>de</strong> préjugés<br />
et d’une certaine discrimination. A quelle époque ces peintures ont-elles enfin été reconnues à leur juste valeur ?<br />
Michel Laclotte : Il y a la rivalité entre Florence et Venise. Et Vasari, qui est le premier historien d’art et<br />
qui était Florentin, était un tenant du <strong>de</strong>ssin. Ici la couleur existe bien sûr, il n’y a pas <strong>de</strong> peinture sans couleur,<br />
mais ce qui prime, c’est la forme, le <strong>de</strong>ssin, la définition exacte dans l’espace <strong>de</strong> formes linéaires ou<br />
au contraire très plastiques (Michel-Ange). Vasari avait imposé une vision hiérarchique du <strong>de</strong>ssin par rapport<br />
à la couleur.<br />
Mais dès le début du XVI e siècle, d’abord avec Bellini, puis son élève Giorgione, puis Titien, l’élève <strong>de</strong>s<br />
Les Européens 12 – 25 mars 2009 / <strong>Tableau</strong> d’une <strong>exécution</strong> 26 mars – 11 avril 2009 42