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LE « CARNAVAL LEXICAL » DE RABELAIS<br />
351<br />
« Dopolnenija » de 1944. Dans <strong>le</strong>s « Dopolnenija », Bakhtine par<strong>le</strong><br />
de la « cruauté » et de l’« effusion du sang » comme d’un « moment<br />
constitutif de la force et de la vie » ; d’un « crime au-dessus des<br />
lois » (nad’’juridičeskoe prestup<strong>le</strong>nie) qui serait à la base du changement<br />
des générations, d’une négation et de la destruction juvéni<strong>le</strong>s du<br />
passé, ainsi que d’une hostilité à l’égard du futur qui serait propre<br />
aux vieillards 13. Bakhtine projette ce principe constitutif général –<br />
« la tragédie et <strong>le</strong> crime de la vie individuel<strong>le</strong> même » – sur la politique<br />
(la tragédie du pouvoir et du souverain), sur <strong>le</strong> droit (un crime<br />
juridique devant <strong>le</strong>s gens et devant un ordre social), et sur la littérature<br />
; plus précisément sur la littérature, et après sur la politique et<br />
<strong>le</strong> droit – par intermédiaire des évolutions des sujets dans <strong>le</strong>s tragédies<br />
shakespeariennes : Macbeth, Othello, Ham<strong>le</strong>t. Pour expliquer<br />
l’idée d’un changement forcé (nasil’stvennaja smena), Bakhtine étudie<br />
<strong>le</strong> motif du meurtre du père / meurtre du fils et son histoire dans la<br />
littérature mondia<strong>le</strong> : depuis Sophoc<strong>le</strong> (Œdipe roi) jusqu’à Shakespeare<br />
(Macbeth, Ham<strong>le</strong>t) et ensuite chez Dostoïevski (Les frères<br />
Karamazov). La ligne Sophoc<strong>le</strong> – Shakespeare – Dostoïevski, construite<br />
du point de vue de l’évolution du crime, et en rapport aux<br />
genres, du point de vue de l’évolution de la tragédie et de la transition<br />
du tragique au romanesque, permet de supposer que Bakhtine<br />
avait l’intention de compléter son livre sur Rabelais par une étude<br />
du crime (prestup<strong>le</strong>nie) et de la vio<strong>le</strong>nce (nasilie) comme composantes<br />
de la crise (krizis) et du changement (smena), parallè<strong>le</strong>ment avec <strong>le</strong><br />
« moment carnava<strong>le</strong>sque ».<br />
Ni l’architectonique du changement, ni la corrélation du crime<br />
(de la vio<strong>le</strong>nce) et du rire (<strong>le</strong> moment carnava<strong>le</strong>sque) comme composantes<br />
de ce dernier, n’ont été dûment étudiées. Or il est évident<br />
que, à la différence de ses critiques qui supposeront plus tard que<br />
que qui est typique de la Renaissance (ainsi que pour Boccace, pour Shakespeare,<br />
pour Cervantès, pour Rabelais). Ici s’est découvert, en renaissant,<br />
l’ancien lien de l’art, du spectac<strong>le</strong> (zrelišče), de la paro<strong>le</strong> (slovo) avec <strong>le</strong> carnaval<br />
(ou, plus précisément, avec ce qui était représenté par <strong>le</strong> carnaval à cette<br />
époque). Cela était typique de l’époque, du moment historique : l’histoire<br />
même y a actualisé l’aspect carnava<strong>le</strong>sque de l’art et de la paro<strong>le</strong>. […] Une<br />
grande importance des mystifications et des déguisements dans <strong>le</strong> “Don<br />
Quichotte” […] Dans ce roman tout <strong>le</strong> monde se déguise dans tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong><br />
mesure. C’est un roman de mascarades » (Archives de M.M. Bakhtine).<br />
13. M.M. Bахtin, « Dopolnenija i izmenenija k “Rab<strong>le</strong>” », op. cit., p. 85-<br />
86.