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A LIRE<br />
8__offensive<br />
analyse<br />
Laurent Ott<br />
Les enfants seuls<br />
Éd. Dunod, 2003.<br />
LA MOBILITÉ APPARAÎT COMME UN ENJEU<br />
ESSENTIEL DANS NOS SOCIÉTÉS CAPITALISTES.<br />
SON CONTRÔLE EST LE FRUIT DE POLITIQUES<br />
BIEN SPÉCIFIQUES. LAURENT OTT, ENSEIGNANT<br />
ET ÉDUCATEUR NOUS MONTRE COMMENT LA<br />
PERCEPTION DE L’ESPACE PAR LES ENFANTS ET<br />
LA CAPACITÉ À SE DÉPLACER SONT CONSTRUITS<br />
AVEC DES VISÉES BIEN PRÉCISES.<br />
La perte<br />
des milieux<br />
éducatifs<br />
LES ENFANTS ISSUS des quartiers défavorisés des grandes<br />
villes ont souvent des parents relativement exclus de la<br />
vie économique, sociale et culturelle. Ces enfants, à la différence<br />
des enfants issus des classes ouvrières mais insérées des<br />
Trente Glorieuses, n’ont pas non plus la chance de connaître un<br />
milieu éducatif extra familial consistant; il est indéniable que<br />
jusque dans les années soixante-dix, il y avait en France trois<br />
types de milieu éducatif qui donnaient lieu à un enrichissement<br />
important de la vie sociale et éducative des enfants, en<br />
dehors ou avec leur famille; que ce soit le milieu paysan, le<br />
milieu ouvrier ou même le milieu traditionnel bourgeois<br />
catholique, la plupart des enfants, outre l’école et leur famille,<br />
avaient fréquemment l’occasion de participer à des collectifs<br />
durables ou réguliers, liés à la vie sociale de leurs parents.<br />
La perte d’influence sur les conditions de vie des enfants de<br />
ces milieux sociaux a entraîné une réduction de l’insertion de<br />
nombreux enfants vis à vis de la connaissance de leur environnement<br />
géographique, économique, social et humain; or,<br />
cette perte d’influence a surtout été forte pour les enfants<br />
issus de familles isolées ou précarisées; les milieux les plus<br />
favorisés ont en effet souvent pu développer des alternatives<br />
ou des compensations à ce déclin de vie sociale, en mobilisant<br />
leurs réseaux de connaissances ou en faisant appel à des<br />
activités ou des services de remplacement souvent coûteux.<br />
UNE EXPÉRIENCE FRAGMENTÉE DE LA VILLE<br />
Les enfants issus de milieux plus défavorisés se retrouvent<br />
le plus souvent confinés dans des espaces urbains réduits<br />
(la cage devant leur immeuble, leur quartier) dont ils ne comprennent<br />
ni la logique, ni l’agencement global.<br />
Du coup, la découverte de l’environnement étendu à l’adolescence<br />
s’effectue souvent sur un fond de désorientation,<br />
comme une sorte d’aventure en territoire inconnu, avec ce<br />
que cela entraîne comme déplacements en bandes, prises<br />
de risque et sentiment d’impunité quand on n’est plus chez<br />
soi, qui découlent de ce sentiment d’étrangeté.<br />
Il s’agit bel et bien là d’une forme d’assignation dans l’ici et<br />
le maintenant que vivent de nombreux enfants issus des quartiers<br />
défavorisés et qui se résume ainsi : pauvreté de l’accompagnement<br />
adulte, faible insertion dans les structures de<br />
l’enfance, peur de l’environnement étendu, captation dans<br />
des groupes d’enfants non-choisis et non régulés qui imposent<br />
une certaine violence à ses membres en interne.<br />
Bien entendu, la connaissance de l’environnement par ces<br />
enfants est hétérogène: ils connaissent par exemple quelques<br />
points centraux de leur ville ne serait-ce que pour les avoir<br />
fréquentés avec l’école (piscine municipale, gymnases, bibliothèques)<br />
et parce qu’ils représentent des points d’attraction;<br />
mais c’est l’espace entre ces points qui, le plus souvent, n’est<br />
pas connu; de même la capacité de se déplacer seul en dehors<br />
du quartier est rarement développée.<br />
Et si ces enfants connaissent bien entendu, pour y être allés,<br />
des lieux parfois très éloignés de leur quartier (centres de séjour